En
PEETERS
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L'ILLUMINATEUR DANS L'ART BYZANTIN
Author(s): Sirarpie der Nersessian
Source: Byzantion, 1966, Vol. 36, No. 2 (1966), pp. 386-395
Published by: Peeters Publishers
Stable URL: lhttps://www.jstor.org/stable/4416921
JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms
Peeters Publishers is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to
Byzantion
JSTOR
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L'ILLUMINATEUR
DANS L'ART BYZANTIN
Après la fin de la crise iconoclaste, lorsqu'on entreprit
d’orner de mosaïques figuratives Sainte-Sophie de Constan-
tinople, on avait représenté une série de portraits d’évêques
à la zone inférieure des deux tympans. Au tympan nord
étaient figurés : saint Athanase, saint Cyrille, saint Ignace le
Théophore, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire le Thau-
maturge, et les patriarches Méthode et Ignace le Jeune. Les
portraits d’Ignace le Théophore, de Jean Chrysostome et
d’Ignace le Jeune ont été dégagés par les soins du Byzan-
tine Institute of America et on a trouvé des fragments de
celui d'Athanase. Les autres portraits de ce tympan et tous
ceux du tympan sud, qu’on voyait encore lors des grands tra-
vaux de restauration de 1847-49, ont depuis disparu et ils ne
sont plus connus que par les dessins de Fossati et la publica-
tion de Salzenberg (1). Au tympan sud on voyait: saint
Anthime de Nicomédie, saint Basile, saint Grégoire de Nazian-
ze, saint Denys l’Aréopagite, saint Nicolas et saint Grégoire
l'Illuminateur. La copie imparfaite de l'inscription qui ac-
compagnait ce dernier portrait porte: l'PHI'OPIOZ AP-
MENIAZ qu’on peut corriger par comparaison avec d’autres
inscriptions connues en J'PHTOPIOZ THZ (ou O TH2)
METAAHZ APMENIAZ (?). Grégoire, en habits épiscopaux
comme les autres évêques, est debout de face, bénissant et
tenant le livre des évangiles (fig. 1) (°).
(1) W.SALZENBERG, À ltchristliche Baudenkmäler von Constantinopel
vom V. bis XII. Jahrhundert, Berlin, 1854. Cyril MANGo, Materials
for the Study of the Mosaics of St. Sophia at Istanbul, Washington,
1962.
(2) C. MANG&o, op. cit., p. 50.
(3) Aquarelle et dessin de Fossati dans MANGo, op. cit., pl. 57-58.
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR 387
Le style de ces portraits est très proche de celui des évêques
représentés dans le manuscrit des Homélies de Grégoire de
Nazianze illustré pour Basile Ie et l’impératrice Eudoxie
entre les années 880 et 883 (Paris, gr. 510), et c’est vers la
fin du règne de Basile qu’on a dû commencer à exécuter ces
mosaïques des tympans de Saïinte-Sophie. Ceci nous met sur
la voie des motifs qui ont conduit à placer le saint national
de l’Arménie aux côtés des Pères de l’Église orthodoxe et des
deux patriarches du 1rx° siècle récemment inscrits dans le ca-
lendrier grec.
Il existait peut-être à Constantinople, vers la fin du ve
siècle ou le début du vi, une église où la colonie arménienne
vénérait le tombeau de son apôtre national, dont les reliques
auraient été transportées dans la capitale de l’empire par
l’empereur Zénon (1). Mais la Vie de Grégoire l’Illuminateur,
dont l’auteur se nomme Agathange, était très peu connue
en dehors de l’Arménie,même en 714,lorsque Georges, évêque
des Arabes, répondait à une question que le reclus Josué
d’'Anab lui avait adressée au sujet de saint Grégoire (?). Mais
traduit en grec dans le courant du virre siècle, l’« Agathange »
ne tarda pas à être incorporé dans les ménologes à la date du
30 septembre (*). Des hommes cultivés du 1x° siècle connais-
saient ce texte, car dans l’Antirrhetica contra Eusebium LXXV
le patriarche Nicéphore (806-815) cite un passage de la prière
récitée par saint Grégoire pendant son martyre, et une phrase
de cette même prière se trouve dans le florilège sur le culte
des images composé par Nicétas, higoumène du monastère
de Médikion en Bithynie, mort en 824 (4. C'est sans doute
au 1xe siècle également qu’une notice abrégée, dérivant de
l'« Agathange » grec, fut introduite dansles synaxaires, car on
(1) P. PEETERS, S. Grégoire l’Illuminateur dans le calendrier lapi-
daire de Naples, dans Analecta Bollandiana, LX (1942), pp. 118-125.
(2) Ibid., pp. 94-98.
(3) Les témoins les plus anciens datent de la fin du 1x° et du x®
siècle : G. GARITTE, La tradition manuscrite de l’« Agathange » grec,
dans Revue d'histoire ecclésiastique, 37 (1941), pp. 197-294, et G. GA-
RITTE, Documents pour l’élude du livre d’Agathange, Studi e Testi,
127, Cité du Vatican, 1946, pp. 357 sq.
(4) GARITTE, Documents, p. 403, n. 1.
388 S. DER NERSESSIAN
la trouve, sous une forme tronquée, dans le synaxaire-typi-
con de Patmos, n° 266, que l’on a tendance à dater mainte-
nant du 1x° siècle plutôt que du xe (1). Nous ignorons quand
la synaxe de saint Grégoire fut établie à Constantinople.
D’après le Synaxaire de Sirmond, sa fête était célébrée à l’é-
glise de Saint Théodore, qui se trouvait près du Tétrapyle
d’Airain ; un autre synaxaire du xri® siècle, le Paris. gr. 1594,
situe cette fête à l’église de Saint Abercius, au palais patriar-
cal, où on conservait le chef de saint Grégoire (°).
Quoi qu’il en soit de ces témoignages plus tardifs du culte
de saint Grégoire, il est certain qu’à la fin du 1x° siècle, lorsque
furent exécutées les mosaïques de Sainte-Sophie, son nom était
déjà inscrit dans le calendrier grec (), mais il fallait une rai-
son de plus pour le choisir de préférence à d’autres saints plus
vénérés et mieux connus. Ce choix est sans doute en rapport
avec les légendes sur la descendance arsacide de Basile Ier (f).
Dans la généalogie fictive qui, d’après certains auteurs, fut
inventée par le patriarche Photius, il était dit que Basile
descendait du grand roi des Arméniens, Tiridate, qui vivait
au temps du saint martyr Grégoire (5). Constantin Porphy-
rogénète a conservé le souvenir de la prophétie attribuée au
catholicos Sahak, « issu lui-même de la race arsacide », d’après
(1) DMITRIEVSKIJI, Opisanie liturgiteskikh rukopisej, Kiev, 1895, I,
p. 10. F. DvorniK, The Idea of Apostolicity in Byzantium and the
Legend of the Apostle Andrew, Cambridge, Mass., 1958, pp. 255-56.
C. MANGo, op. cit., p. 56, n. 131.
(2) H. DELEHAYE, Synaxarium ecclesiae Constantinopolitanae …
Propylaeum ad Acta Sanctorum Novembris, Bruxelles, 1902, pp. 89-
94. Antoine de Novgorod, qui visita Constantinople en 1200, rapporte
que Grégoire était enterré à Sainte-Sophie : B. DE KHITRoVo, Jtiné-
raires russes en Orient, Genève, 1889, p. 96.
(3) Dans le calendrier lapidaire de Naples, Grégoire l’Illuminateur
est commémoré au 30 septembre et aux 2 et 3 décembre. Cf. P.
PEETERS, 0p. cil., dans Analecta Bollandiana, LX (1942), pp. 91-130.
(4) Garabed DER SAHAGHIAN, Un document arménien de la généalo-
gie de Basile I®*, dans Byzantinische Zeitschrift, XX (1911), pp. 165-
176. N. ADoNTz, L'âge et l’origine de Basile Ier, dans Byzantion, 8
(1933), pp. 475-560, et 9 (1934), pp. 223-260. G. MorAvesiK, Sagen
und Legenden über Basileios I, dans Dumbarton Oaks Papers, 15 (1961),
pp. 61-126.
(5) Vita Ignatii, Migne, PG. 105, col. 565 D.
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR 389
laquelle « l’un des descendants d’Arsace recevrait le sceptre
de l’empire romain » (?). Le texte arménien de cette préten-
due prophétie dit qu’un « roi surgira de la race des Arsacides
et le siège patriarcal sera restauré par un descendant de saint
Grégoire». Il faut aussi rappeler une autre légende, connue
uniquement par des sources arméniennes, concernant l’in-
vention des reliques de saint Grégoire, des saintes Hrip’simé
et Gayané, à l’église de la Sainte-Trinité au palais de Daphné.
C’est en présence de Michel III, de l’impératrice Théodora
et du patriarche Photius que ces reliques auraient été décou-
vertes et cette nouvelle aurait été communiquée plus tard au
roi A$ot par Basile Ier (2). Il n’est pas sans intérêt de noter
enfin les termes élogieux dans lesquels Photius parle de Gré-
goire l’Illuminateur dans ses lettres adressées au catholicos
Zacharie (*). En parlant, par exemple, de la traduction de la
Bible en grec, il mentionne les grands prélats successeurs des
apôtres et qui sont : «Basile de Césarée, Grégoire le Thau-
maturge, Grégoire le Théologien, Grégoire de Nysse, Grégoire
l’Illuminateur qui reçut son instruction à Césarée, Jean Chry-
sostome, Épiphane, Justin» et d’autres évêques illustres (2).
Nous trouvons ici la plupart de ceux en compagnie desquels
Grégoire l’Illuminateur a été figuré à Sainte-Sophie. Il est
permis de penser que l'introduction de Grégoire parmi ce
groupe est due à l'initiative de Photius, et que son portrait
y fut placé pour rappeler l’origine auguste de Basile, issu de
cette même famille arsacide à laquelle avait appartenu le
saint apôtre de l’Arménie.
Par la suite, on oublia sans doute les raisons pour lesquelles
Grégoire l’Illuminateur avait été représenté à Sainte-Sophie,
à supposer même qu'elles fussent connues, mais l’exemple
célèbre de la Grande Église fut imité dans d’autres monu-
ments byzantins, d'autant plus que, grâce à la popularité du
ménologe de Syméon Métaphraste, où l’« Agathange » était
(1) Theophanes Continuatus, ed. Bonn, p. 241.
(2) ADONTZ, op. cit., pp. 246-47. PEETERS, op. cit., pp. 120-21.
(3) Ed. PApADoPouLos-KERAMEUS dans Pravoslavnyj palestinskij
Sbornik, pp. 227, 228, 234, 240. |
(4) Ibid., p. 234, texte arménien, p. 186.
390 S. DER NERSESSIAN
introduit sous une forme remaniée, cette Vita était mieux
connue. À l’église de la Panagia Chalkeon de Salonique,
décorée de fresques au xie siècle, Grégoire l’Illuminateur est
représenté à côté de trois de ses homonymes, Grégoire de
Nysse, Grégoire le Thaumaturge et Grégoire d’Agrigente,
dans l’abside centrale, au-dessous de la Vierge orante entre
deux anges (1). A Saint-Luc en Phocide, église également du
xiesiècle,on voit le portrait de Grégoire, en buste,en compagnie
de ceux d’Ignace le Théophore et de Cyrille d'Alexandrie,
sur l’une des voûtes du bas-côté nord (?). A Constantinople,
dans la chapelle érigée au xrv® siècle à la mémoire de Michel
Glabas Tarchaniote, au côté sud de l’église de la Théotokos
Pammakaristos (Fetiye Cami), le portrait en buste de Gré-
goire occupe la voûte du compartiment sud-est (fig. 2) (°).
Il avoisine ainsi, comme à Salonique, les portraits en pied de
Grégoire le Thaumaturge et de Grégoire d’Agrigente repré-
sentés à la douelle de l’arc sud-est ; un fragment du portrait
de Grégoire de Nysse est conservé sur l’arc nord-est (?).
A leur tour, les peintres des pays balkaniques accordèrent
une place d’honneur au portrait de Grégoire l’Illuminateur.
Au monastère de Zemen, en Bulgarie, décoré au xrv® siècle,
les quatre évêques représentés debout sur les murs latéraux
de l’abside sont : Grégoire de Nazianze, Grégoire l’Illumina-
teur, Athanase d'Alexandrie et Grégoire le Thaumaturge (5).
En Roumanie, les exemples sont plus nombreux. A Balinesti,
Voronet, Gura Motrolui et Hurez, le portrait de Grégoire
l’Iluminateur se trouve dans l’hémicycle de l’abside, et il
tient, comme les autres évêques, un rouleau déployé qui porte
une inscription ($). A Balinesti, par exemple, cette inscrip-
(1) K. ParaDpopouLos, Die Wandmalereien des XI. Jahrhunderts
in der Kirche TON XAAKEQN in Thessaloniki, dans Byzantina Vindo-
bonensia, II, Graz-Kôln, 1966, p. 28 et figg. 7 et 23.
(2) E. Drez et O. DEmus, Byzantine Mosaics in Greece. Daphni
and Hosios Lucas, Cambridge, Mass., 1931, figg. 26, 28.
(3) Je remercie le professeur P. Underwood de m'avoir communiqué
la photographie de cette mosaïque encore inédite.
(4) Dumbarton Oaks Papers, 14 (1960), p. 216, et 17 (1963), p. 367.
(5) A. GRABAR, La peinture religieuse en Bulgarie, Paris, 1928,
p. 187.
(6) J. D. STEFANESCU, L'évolution de la peinture religieuse en Buco-
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR 391
tion est un passage de la prière secrète dite par le prêtre pen-
dant le chant du Trisagion (!). Par la place qui lui est assi-
gnée dans l’hémicycle aux côtés de l’amnos, et parmi les au-
teurs de la liturgie et autres Pères de l’Église grecque, Gré-
goire l’Illuminateur est considéré comme leur égal.
Il était tout naturel que le portrait de Grégoire figurât dans
les synaxaires et les ménologes illustrés, étant donné qu'il
est le seul saint commémoré le 30 septembre, en compagnie
des saintes Hrip’simé et Gayané, le récit du martyre de ces
saintes et de leurs compagnes étant incorporé dans sa Vita.
Le plus ancien exemple connu est celui du Ménologe de Basile
IT (fig. 3). Comme il est d’usage dans ce manuscrit pour les
saints morts d’une mort naturelle, Grégoire, tenant le livre
des Évangiles et bénissant, est debout devant un riche porti-
que à colonnes. Au siècle suivant, on trouve son portrait dans
deux ménologes métaphrastiques du mois de septembre. Dans
celui de la Bibliothèque Bodléjienne d'Oxford, Barocc. 230,
où tous les saints du mois sont groupés sur plusieurs registres
dans la miniature de pleine page qui sert de frontispice, Gré-
goire, debout et bénissant, est représenté à l’extrême droite
de la rangée inférieure. Dans le ménologe de Venise, Marc.
gr. 586, où chaque vie est précédée d’une petite miniature,
le portrait de Grégoire se trouve en tête de sa Vita au 30 sep-
tembre. Le « synaxaire » inscrit à la fin de l’évangile hturgi-
que du Vatican, gr. 1156, a été largement illustré, et le
peintre y a représenté, au folio 255, Grégoire tenant le livre
et bénissant. Son portrait se trouve aussi dans un petit
manuscrit du x1v® siècle à Oxford, Bodi. MS. gr. th. f. 1, qui
est en réalité un recueil d'images où, après les scènes princi-
pales de la vie du Christ, ont été représentés tous les saints de
l’année. Au premier registre du folio 11v., qui correspond au
30 septembre, on voit deux saintes et un évêque. Aucune
légende n’accompagne ces portraits, mais on ne risque pas de
se tromper en les identifiant comme les saintes Hrip’simé et
Gayané, et saint Grégoire. On connaît d’ailleurs d’autres exem-
vine et en Moldavie, Paris, 1928, p. 98. In., L'évolution de la peinture …
Nouvelles recherches, Paris, 1929, pp. 14, 48-49. Ip., La peinture re-
ligieuse en Valachie et en Transylvanie, Paris, 1932, pp. 174, 183.
(1) STEFANEScU, Nouvelles recherches, p. 14.
392 S. DER NERSESSIAN
ples où les portraits de ces deux saintes s'ajoutent à celui de
Grégoire. Dans le Ménologe de Basile II, une notice séparée,
consacrée à ces deux saintes, suit celle de saint Grégoire, et
elle a été illustrée par la scène de leur martyre : le bourreau
tranche la tête de l’une des deux saintes, tandis que l’autre se
tient à gauche, les mains liées derrière le dos (). L’illustra-
teur de l’évangile liturgique du Vatican, gr. 1156, a, lui aussi,
représenté au 30 septembre les deux saintes ; le portrait de
Grégoire se trouve au folio 255, comme il vient d’être dit ;
au folio 255v., on voit les deux saintes, en habit de nonne,
tenant une petite croix, symbole de leur martyre (?).
Dans tous ces exemples, Grégoire l’Illuminateur est repré-
senté tenant le livre des Évangiles et bénissant, selon le type
iconographique habituel pour les portraits d’évêques. Il est
donc tout à fait surprenant de voir une scène de décollation
dans le beau ménologe métaphrastique du xie siècle du British
Museum, Add. 11870 (fig. 4). Grégoire est dans un paysage
montagneux ; tourné vers la droite, il s'incline légèrement,
portant ses mains voilées vers son visage, tandis que le bour-
reau, debout derrière lui, brandit son épée. Cette scène ne
correspond ni au texte du Métaphraste ni à celui des autres
versions, car Grégoire est mort dans la solitude où il s'était
retiré et où il acheva sa vie en anachorète. Le peintre a pro-
bablement été induit en erreur par le titre de la Vita : Bloc
xai noluvtela xai uaptôoioy Toû äyiov iepouäptvoos T'onyooiov
tic Meydins ‘Aouerlas. Or Grégoire est appelé hieromar-
tyr, non pas à cause du genre de sa mort mais à cause des
supplices qu’il a endurés par ordre du roi Tiridate avant d’être
jeté dans une fosse profonde. Cette minature n’est d’ailleurs
pas la seule qui témoigne du peu d’attention que l’illustrateur
de ce manuscrit, meilleur artiste qu’iconographe, a prêté
au texte. Il a répété cette scène de décollation pour d’autres
(1) Il Menologio di Basilio II (Cod. Vaticano Greco 1613), Turin,
1907, II, p. 75.
(2) On peut reconnaître aussi la décollation des saintes Hrip’simé
et Gayané suivie du portrait de Grégoire l’Illuminateur sur l’une des
icones-ménologes du Mont Sinaï, à l’extrême droite de la troisième
rangée ; G. et M. Soririou, Icones du Mont Sinaï, Athènes, 1956,
fig. 138.
PLANCHE 1
C
agi,
|
F1G. 1. — Sainte-Sophie. Tympan sud. (D’après Salzenberg).
PLANCHE II
F1G. 2. — Parecclesion de l’église de la Pammakaristos.
PLANCHE III
9IISPS 9P 2950[0U9N
‘CTOT ‘15
‘UBIIJEA — ‘E ‘OI
PLANCHE IV
pmenet
4
L
# : f
L -
#
"”
F1G. 4. — British Museum, Add. 11870. Ménologe, folio 242v.
PLANCHE V
* » Vi: Mas
men nt COOP ME 0 SOUS ONU RENE LENS ETES RUN EN RES
%
FER |
Dee smsente opens
D à à nt de db +
F1G. 5. — British Museum, Add. 19352. Psautier, folio 48.
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR 393
saints qui avaient subi un autre genre de martyre, à savoir
pour saint Autonome, qui avait été tué à coups de bâton de-
vant l’autel de son église, et pour Nicétas le Goth, qui avait
été brûlé vif.
Le dernier exemple que je voudrais verser à ce dossier, qui
ne vise pas à être exhaustif, se trouve dans le Psautier de
l’an 1066 du British Museum, Add. 19352. Comme on le sait,
le cycle des psautiers à illustration marginale s’est enrichi
au x1® siècle par l’introduction de nombreux portraits de saints
et des compositions illustrant des épisodes de leur vie. C’est
à cette dernière catégorie d’images que se rattachent les deux
miniatures qui illustrent le verset 3 du psaume 39 (40) : «Il
m'a tiré de la fosse de misère et du bourbier fangeux. Puis
sur le roc il a placé mes pieds et affermi mes pas» (fig. 5).
La première scène est celle qui se trouve au bas de la marge
latérale et qui porte la légende suivante, tracée sur le fond de
la miniature : dycos l'onyôoros éxBallôouevos x Toù Aaxxov
to BooBéoov. Le récit d’Agathange, repris par Syméon Méta-
phraste, rapporte qu'après l’excécution de Hrip’simé, le roi
Tiridate fut terrassé par une maladie qui lui fit perdre toute
forme humaine. Sa sœur, Khosrovidukht, fut avertie en songe,
par trois fois, que seul Grégoire pourrait guérir le roi. On
envoya donc des hommes pour le retirer de la fosse où il
avait été jeté. Dans la miniature, Grégoire, figuré par anti-
cipation dans ses vêtements épiscopaux, tient des deux mains
la corde sur laquelle il est assis et que hissent deux hommes
debout près de l’ouverture de la fosse. La scène supérieure,
intitulée : &y1oçs l'onydotos nooodyæwy Tôv Tnotôar T& Xotot®,
ne se rapporte pas à un épisode précis, mais représente, d'une
manière en quelque sorte symbolique, la conversion de Tiri-
date. Grégoire, ayant pris le roi par la main, le conduit vers
une église de forme basilicale et lui montre l’image du Christ
qui décore le tympan de la porte. La reine, qui, comme le
roi, porte le costume impérial byzantin, les suit.
Ces miniatures, qui n’ont pas été répétées dans les psau-
tiers plus tardifs, sont interéssantes à plusieurs égards.
Bien que la Vie de Grégoire l’Illuminateur aït été bien connue
en 1066 grâce à la rédaction métaphrastique, il est peu pro-
bable que l’illustrateur du psautier s’en soit directement
inspiré pour illustrer l’allusion à la «fosse de misère». S'il
394 S. DER NERSESSIAN
a choisi cet épisode de la vie de Grégoire de préférence à un
sujet biblique connu, comme Daniel dans la fosse aux lions
qui vient tout de suite à l'esprit, c’est sans doute parce qu’il
l’avait vu représenté dans un manuscrit auquel il a emprunté
aussi d’autres images se rapportant à d’autres saints. Il exis-
tait donc avant 1066, et probablement au monastère de Stu-
dios où le Psautier de Londres fut copié par le moine Théo-
dore, un ménologe illustré renfermant une suite d'images
montrant les événements importants de la vie de saint Gré-
goire. On possède quelques rares exemples de manuscrits
de cet ordre, tel le ménologe n° 13 du monastère d’Esphig-
menou du Mont Athos, où de nombreuses scènes, groupées sur
deux pages, précèdent les vies des saints. D'un cycle détaillé
analogue, illustrant la vie de Grégoire, l’illustrateur du Psau-
tier de Londres a détaché les scènes qui pouvaient s’appliquer
au verset 3 du psaume 39 (40). Je ne pense pas que les deux
miniatures du Ménologe de Basile IT dérivent, elles aussi,
d’un cycle narratif, car le portrait de Grégoire et la scène de
martyre des deux saintes sont des images banales, maintes
fois répétées dans ce manuscrit, et ne renferment pas de dé-
tails spécifiquement propres à la Vita de Grégoire. Les deux
scènes du Psautier de Londres nous offrent donc le témoignage
le plus ancien de l’existence d’un cycle narratif.
D’après un texte arménien du vire siècle, on avait représenté
dans les églises «saint Grégoire, ses tourments agréables à
Dieu et ses saintes vertus …, la bienheureuse et glorieuse
sainte Gayané et sainte Hrip’simé avec toutes leurs compa-
gnes » (1), mais toutes ces peintures anciennes ont disparu. Sur
les stèles arméniennes qui sont antérieures au milieu du vrr®
siècle, on voit le portrait de Grégoire, celui de Tiridate avec
une tête d’animal, c’est-à-dire sous l’aspect qu’il avait avant
sa conversion (?), mais il n’y a pas de composition narrative
à proprement parler. Ce n’est qu’au xrrre siècle, dans l’église
(1) S. DER NERSESSIAN, Une apologie des images du VIIe siècle,
dans Byzantion, 17 (1944-45), p. 64.
(2) J. SrrzyGowski, Die Baukunst der Armenier und Europa,
Vienne, 1918, II, p. 719, fig. 685 ; B. ARAKELIAN, La sculpture figurée
arménienne aux IVe-VIIe siècles (en arménien), Érevan, 1949, figg. 17,
23, 25, 27, 29, 31.
LES PORTRAITS DE GRÉGOIRE L’ILLUMINATFUR 395
de Saint Grégoire érigée par Tigran Honents à Ani, que nous
trouvons des épisodes de la vie de saint Grégoire peints sur
les murs (i). Les miniatures du Psautier de Londres, par con-
séquent, ne sont pas seulement les exemples byzantins les
plus anciens d’un cycle narratif ; elles sont aussi antérieures
de près de deux siècles aux exemples arméniens conservés et
connus jusqu’à présent.
Paris. Sirarpie DER NERSESSIAN.
(1) STrzYGowski, op. cit., I, pp. 300-301. T. IzmatLovaA et M. Ar-
VAZIAN, Iskustvo Armenii, Moscou, 1962, fig. 62.