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o.
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CHIRURGIE PRATIQUE
COMPLÈTE
DIVISÉE EN SEPT MONOGBAPHIES
El fondée sur de nouvelles recherches d'analomie, de physiologie cl de clinique,
reliilivcs surloul à riiifliimmaliou et aux dégéncralious ciigcuéral, el en
particulier aux maladies des os el des tissus blancs , à celle des sens et
des organes de la parole, à celles des organes respiratoires, digestifs,
urinaires et génitaux.
I.ISTE GEBÏEB.AI.E
DES OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
]^ Thèse inaugurale, Recherches, etc., sur la langue,
le cœur, l'utérus, le tissu cellulaire du dos, les gaines
fibreuses de la cuisse , la circulation , les fièvres, essen-
tielles, etc., avec figures. Chez Labé, place de l'École-de-
■ Médecine. Iw-h". Paris, 1823.
2° Anatoniie des formes eiKtérieures du corps
liuniain appliqué à la eliirurgie, etc. 1 vol.
iii-8° avec 3 planches. Paris, 1829. Chez le même.
3* Essai de classification naturelle et d'ana-
. lyse des phénomènes de la vie. Chez Raillière,
libraire, rue Hautefeuille, 19. In-8°. 1823.
h° Physiologie médicale, etc. Le l"vol. de 800 pages
in-S" en deux parties. 1832-33. Chez Victor Masson, place
de l'École-de-Médecine, Prix : 6 fr.
5° Physiologie philosophif|ue des Sensations
et de rintelligenee. 1 vol. in-8° de 600 pages. 18^i6.
Chez Labé, place de l'École-dc-Médecine. Prix : 6 fr.
6° Des Polypes et de leur traitennent. In-8".
Chez le même. Paris, 1833.
7° Traité des Bantlages et Traité des Pan-
sements. 2 vol. in-8°, avec figures. Chez Baillière , rue
Hautefeuille, 19. 1833-39. 2-^ édition.
PAIIIS. DE SO\E ET BOUCIIET, IMPriIMEURS , llVE nE SEIMI , 3G.
GHIRIRGIE PKATIOUË
CO!«IPE,ETK
DEUXIEME MONOGRAPHIE
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ET DIATHÉSES
AVEC RECHERCHES NOUVELLES SUR LES INFLAMiMATlONS
LES DlATHÈSES PURULENTES
LES GANGRÈNES, LES BRCLUr.ES, LES FROIDURES, LES PLAIES
PAR ARMES A FEU, ETC.
Par P.-N. GERDY
rr.OFICSSEllR 1>E pathologie CIlIRUnCItALE \ L\ FACl LTlî IIL MÉDECINE DE PAUiS , r.H:rn!P,filEN
DE I.'hOPTTAL DE LA CUAUITÉ ,
MESiDiiE nr l'académie nationale de médecine, etc.
Tome II
PARIS
CHEZ VICTOR MASSON, LIBRAIRI
PLACE DE l'ÉCOLE-DE-MÉDECUVE
1853
l'LI. CELLULES ITRKULES OU GLOBULES MORBIDES MICROSCOPIQUES
^lo/iu/kr «sfe San^. (&• /a Z^i/m/)Ae .
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EXPLlCiTION DE Li PLANCHE 1
MICRO» lSej4»S>S$S]Eli$.
Fig. 1. «, a. Globules de sang, vus de face, avec une ombre au centre
qu'on a prise longtemps pour un noyau qui n'existe pas. — h-, b, vus de
côté. — c, c, ridés par l'évaporation , d, d, renflés dans l'eau. (Henlé ,
pi. 4. — Fig. 2. Globules blancs du sang, renfermant des granules, —
Fig. 3. a, a, globules granuleux d'exsudation inflammatoire sans noyau. —
Fig. -4. Globules semblables à noyau.
Fig. 5. Globules du pus à noyaux peu évidents, à nucléoles inapparents.
— Fig. 6. Globules du pus à noyaux, a, a, à nucléoles, b, b, rendus plus
apparents par l'acide acétique, — Fig. 7. Globules du pus fraîchement
formés, a, a, globules d'apparence homogène; b, b, globules contenant des
granules, qui sont des noyaux incomplètement formés; c, c, granules mo-
léculaires.— Fig. 8. Globules du pus déformés par dessiccation, a, a, sur-
face; b,b, noyaux. — Fig. 9. Globules pyoïdes, différant de ceux du pus
par l'absence de noyaux.
Fig. 10. Globules fibro-plastiques. a, a, surface ; b,b, noyaux; c, c, nu
cléoles; d, globule fibro-plastique granulé ; e,f, g, globules fibro-plastiques
de plus eu plus allongés, depuis l'ovoïde à pointe et à noyau jusqu'à la fibre
qui ne présente plus de noyau.
Fig. 11. Corpuscules épidermiques. a, sans noyau ; b, b, b, à noyau.
Fig. 12. Globules du cancer, a, a, noyaux; b, b, nucléoles; c, globule à
couches concentriques ;c,c, à. noyaux et nucléoles ; d, globule ovoïde pointu
à noyau ; /, nucléoles. — Fig. 13. Globules du cancer, à circonférence ir-
régulière. a,b, et à noyaux et nucléoles; c, c, globules cancéreux mêlés à
du tissu fibreux; d, d, e, noyau avec ses nucléoles. — Fig. 14. Suc cancé-
reux contenant des noyaux; «, a, avec leurs nucléoles et des granules, b,b,b.
— Fig. 15. Tissu gélalinil'orme ou colloïde d'exsudation inflammatoire,
composé d'une substance transparente qui renferme a, a, de petits glo-
bules granuleux; b,b, des granules moléculaires; c,c, des fibres entre-
croisées.
Fig. 16. Globules du tubercule, a, a, vus à un grossissement de 400 dia-
mètres; b,b, granules moléculaires; c, c, matière intermédiaire qui les
unit d, d, mêmes globules isolés ; e, les mêmes, vus à un grossissement
de 600 diamètres.
Fig. 17. Tissu fibreux très-dense, désigné vulgairement depuis Bichat
sous le nom de fibro-cartilagineux, et composé de fibres entre-croisées.
Fig. 18. Matière tuberculeuse a, a, a, mélangée de globules b,b,b, et
de granules c,c,c, de mélauose. — Fig. 19. Matière tuberculeuse crétacée,
a, a, a, globules du tubercule; 6, 6, 6, granules du tubercule ; c, c, c, cris-
taux de cholestérine.
Fig. 20. Tissu graisseux ; a, a, a, ses vésicules ; b, b, b, tissu graisseux du
foie infiltré de graisse.
J'aurais publié plutôt, et tout entière, la monogra-
phie des maladies générales et des diathèses, si je n'a-
vais été arrêté dans sa rédaction par une maladie
longue et sérieuse. On verra que les diathèses, si
nulles dans le Broussainisme, embrassent au contraire
plus de la moitié des maladies dans la na(ure. On re-
marquera, dans ce volume, qu'elles peuvent se mon-
trer avec toutes les espèces de maladies générales,
sans ces affections, et sont très-communes.
Cette monographie contient l'histoire : 1» de
l'inflammation et de ses suites : ulcères, abcès, fis-
tules; T celle des gangrènes, et 3° celle des maladies
organiques générales : lipomes, kystes, etc., le can-
cer, puis quelques maladies organiques un peu moins
générales qui appartiennent au derme cutané et
muqueux : cancroïdes épilhéliaux, polypes; et aux
vaisseaux: tumeurs sanguines, varices, anévrismes,
dilatations et varices artérielles; 4° après, viendront
les diathèses scrofaleuse, syphilitique, scorbutique;
5° enfin, l'histoire des lésions physiques : brûlures,
froidures, blessures.
On trouvera peut-être un peu trop de physiologie
VIII PRÉFACE.
pathologique dans cette monographie. On m'excu-
sera -, J'ai toujours eu pour la physiologie une si grande
faiblesse que je ne puis m'empêcher d'en parler cha-
que fois que j'en trouve l'occasion.
Les recherches de ce volume qui me sont propres
portent surtout sur les inflammations rétractives, les
inflammations diffuses et déclives, les diathèses sup-
purantes, la syncope, l'étiologie des gangrènes, les
brûlures, les froidures et les plaies.
Les inflammations rétractives embrassent un ordre
de faits pathologiques obscurs, à peine connus, mais
fort communs et par cela même très-importants à
connaître pour le diagnostic, le pronostic et le traite-
ment. Les inflammations déclives, dont la plupart des
caractères ont échappé jusqu'à ce jour à la sagacité
des observateurs, ne sont pas moins intéressantes
et moins communes. Je crois avoir éclairé les dia-
thèses purulentes l'une par l'autre, mais je n'ai pas
la prétention d'avoir mis fin à toute controverse sur
ce sujet, en m'élevant contre les théories d'infection
qui sont si répandues aujourd'hui. A l'occasion de la
suppuration, j'ai pesé de nouveau, sérieusement, les
raisons des quelques partisans des pansements rares.
Je n'ai pu accepter les idées qui régnent aujour-
d'hui sur les causes de la gangrène et surtout sur
la cause des gangrènes compliquées de lésions vas-
culaires. En rapprochant la syncope des mortifica-
tions par la gangrène, j'ai été conduit à revoir aussi
la théorie de cette affection, et mes recherches m'ont
encore obligé d'y apporter des réformes, mais j'ai eu
le bonheur de rester d'accord avec les auteurs sur
le traitement à suivre.
J'ai élevé des doutes sur la théorie actuelle des
kystes épithéliaux fermés (athéromes, miliceris, etc.).
j'ai rendu compte de mes recherches cliniques et
PRÉFACE. IX
opératoires sur le traitemeut des kystes, et parmi
mes observations j'en ai rapporté une dont je ne con-
nais pas d'exemple (p. 385). J'ai essayé de profiter
des travaux microscopiques des micrographes aux
ari\e\ es tumeurs fibreuses, cancer, cancroïdes, polypes. Ana-
lysant les tumeurs vasculaires d'après les observa-
tions cliniques, j'en ai trouvé jusqu'à huit espèces;
j'ai simplifié, au contraire, les anévrismes eo les rame-
nant à trois, le vrai, le ceîluleux ou enkysté, trau-
ma tique ou non, l'artério-veineux et en séparant
nettement la dilatation des artères et la varice ar-
térielle.
Je me suis malheureusement retrouvé en dissidence
avec les auteurs sur les brûlures, !es froidures et les
plaies d'armes à feu , surtout. Je le regrette vive-
ment, mais encore une fois, je ne puis enseigner que
ce que je pense et ce que je crois. Je n'en dirai pas
davantage et me bornerai à renvoyer aux pages 186,
850, 360, 361, 557, 723, 790 et suivantes ceux qui
apprécient les détails opératoires pratiques dont l'im-
portance réclame des descriptions minutieuses, quel-
que ennuyeux qu'ils puissent être.
Dans les diathèses, et particulièrement dans la
syphilis, je me suis armé d'une critique sévère, et
pour épargner les personnes en attaquant les doc-
trines, je me suis servi de fictions, comnie à l'Aca-
démie, oii mes précautions ont été bien inutiles!
En efTet, on l'a vu, j'aurais, dans mon dernier dis-
cours à l'Académie de médecine, culbuté, à coup de
pieds, la ruche des chancriers, qu'ils n'auraient pas
été plus furieux et n'auraient pas fait entendre de
plus effroyables bourdonnements. Heureusement
que tout cela a fini par un bon conseil, dont je les
remercie : ils m'ont renvoyé à l'école , pour y ap-
prendre ce que j'ignore. J'en profiterai, mais j'en
X PREFACE.
aurais beaucoup plus de reconnaissance, s'ils m'eus-
sent donné une leçon qui me montrât mes torts et
mes erreurs; ils ont mieux aimé s'en prendre à mon
avorton de discours; ils lui ont étouffé la voix, ftar-
tout où ils ont pu, et un censurier, sans m'en prévenir
et sans droit, comme sans éruilé, s'est chargé de lui
arracher les dents, les ongles, et d'en faire un idiot
pour le Bulletin de C Académie, qui passait alors pour
officiel. En conséquence, je déclare que je désavoue
ce discours. Celui publié par M. J.-B. Baillère, dans
son volume sur la Sijphilhation, 18o2, qui en est la
copie, n'est pas plus vrai. En effet, sur treize pages
qu'il avait quand j'ai signé le bon à tirer, le censu-
rier pwrfi/jîmrfiis en a retranché six.
Pour remédier autant que possible aux petits tours
de mes honnêtes adversaires, je me bornerai à pu-
blier ce pauvre discours, qui hur a causé tant d'hor-
reur et qu'ils tenaient tant à éloulTer.
Paris, le 10 novembre 1852.
-^^300&4<^-
DISCUSSION
AU SUJET DE l'unique
TRANSMISSIBILITÉ SYPHILITIQUE DU CHANCRE.
ÏM. Gerdt : L'histoire de la syphilis est remplie d'obscurités, de ténè-
bres et de mystères : d'obscurités sur son origine, de mystères dans sa
propagation, de ténèbres dans sa nature, et je ne puis partager les idées
de ceux qui prétendent y avoir porté une éclatante lumière.
Des motifs de pudeur, de honte, du côté des malades, obscurcissent
souvent les faits particuliers. L'amour-propre, l'envie de la renommée,
l'esprit de système, la cupidité, peuvent inspirer des assertions fausses,
des annonces et des promesses menteuses de la part du charlatanisme et
de la spéculation, qui sont loin de répandre la lumière sur la réalité des
faits. {Traité prat. des malad. vénér., par Ricord, p. i, 2.) Comment
donc porter remède à ces obstacles et arriver à la vérité ? C'est par un
examen sévère, sans complaisances, sans éloges personnels, fait avec une
critique juste et vraie.
Cette critique est d'autant plus indispensable qu'aujourd'hui deux par.
tis, deux camps opposés sont en présence : 1° l'un qui s'appelle un peu
ambitieusement Cécole de L hôpital du Midi, comme s'il n'j avait qu'un
enseignement dans cet hôpital, tandis qu'il y en a trois. Comme tout le
système de celte école a pour base l'existence du chancre, que c'est son
principal appui, qu'elle fait tout dériver du chancre, elle s'appelle encore
le système ckancrier,
2» L'iiutre parti, soutenant que la blennorrhagie et les accidents secon-
daires peuvent aussi communiquer la syphilis, prend le nom de blennor-
rha^iens, de pluriconiagionistes, ou de pluricontagiens pour abréger.
Étant peu au courant des discussions qui les divisent, je me rendis un
jour à un tournoi scientifique, oii les deux partis devaient entrer en lutte,
et là je demandai des renseignements à un chancrier qui me parut ca-
pable de me les fournir. Il m'accueillit favorablement et m'offrit même de
m'éclairer sur la méthode du système et sur les dissidences des deux par-
XII DISCUSSION
lis. Sans cela, me dil-il, vous suivriez difficilement ia discussion. Je le re-
merciai beaucoup de sa bienveillance et lui annonçai que j'élais prêt à
l'écouler. 11 m'txpliqua d'abord ce que je viens de vous dire sur les deux
partis, et continua en ces termes :
« Le système chancrier a pour caractère de suivre la méthode bacon-
nienne. — Ah! m'écriai-je, j'ignorais que Bacon eût jamais fait d'inocu-
lations vénériennes arliQcielles. — Je veux dire, reprit mon interlocuteur,
que notre école en fait '''après la méthode exjiérimentale de Bacon, pour
arriver au diagnostic de la nature des accidents syphililiques inoculables,
et par là on y arrive sûrement. — On ne reconnaissait donc pas, lui disais-
je, un chancre vénérien avant la naissance du système? — Non, me dit le
chancrier, on croyait le reconnaître ; mais, dans la réalité, on n'en était
jamais sûr. — Que je suis fier et heureux, m'écriai-je, d'exister à l'époque
d'une aussi grande découverte l
Mais diles-moi, je vous prie, monsieur, l'inoculation est-elle infail-
lible? — InfLiillihle! « L'égalité la plus [larfaile existe en jjrésence d'une
pointe (ie lancette. » {Lett. sur la sypkiL, j). 87.) — Cependant, on m'a
assuré un fait qui m'étonne; on prétend avoir inoculé sur la même ma-
lade : 1" par deux piqûres sur la cuisse une plaque muqueuse des gran-
des lèvres; 2° par deux autres piqûres de lancetle, un ulcère rose et gra-
nuleux du col utérin ; 3° par deux autres piqûres les fluides de l'intérieur
du col, qu'on alla y chercher avec nn pinceau et une curetle, et
dans chacun de ces trois eus une piqûre réussit et une manqua, en sorte
qu'on obtint de six piqûres seulement irois résultats positifs? — Le
chancrier : Pas possible! (1) — Eh bien! puisque celte variation est
impossible, dites-moi, je vous prie, si l'inoculation arlificielle esl sans
danger? — Mais certainement, me répondit mon interlocuteur. — Cepen-
dant, repris-je, on m'a assuré que le chancre produit par l'inoculation,
se guérit quelquefois fort difficilement; qu'il s'étend, et peut s'étendre
parfois beaucoup. M. Thierry n'a-t-il pas même rapporté deux cas : 1° ce-
lui d'un élève, aveuglé par le système physiologique, qui, après s'être
inoculé, se tua de souffrance et de désespoir au bout de huit mois, parce
qu'il ne pouvait guérir; 2° celui d'un ouvrier qui se noya par les mêmes
causes? — Le chancrier : Ce sont là des faits exceptionnels, extraordi-
naires. — Vous avez raison, mais il suffit qu'ils puissent arriver pour
qu'une pareille opération ne soit permise que dans un cas de nécessité
absolue, et coupable dans les autres. (Bravo, applaudissements.) D'ail-
leurs l'innculabilité prouve-t-elle la contagionabilité et réciproquement ?
— Le chancrier : Qui pourrait en douter? — Mais il parait qu'il y a des
gens qui en doutent, car ayant inoculé vainement le mucopus de la blen-
norrhagie sous la muqueuse de l'urètre, ils l'ont inoculé avec succès en
le déposant seulement à la surface de la muqueuse urétrale (2).
Mon interlocuteur : C'est possible; la blennorrhagie non syphilitique
ne s'inocule pas traumatiquement. Mais, permettez que nous pariions
(1) bibliothegue du médecin praticien, page 513.
(2) Bell, Maladies vénérifnnti, tom« 1, page 49-
SUR LE RAPPORT DE M. BEGIN. XIII
d'autre chose. Un des caractères de notre système, c'est défaire des lois,
par exemple, le chancre en progrès ou en statu qiio spécifique est la
seule source du virus syphilitique. Poison morbide inoculable, (Lettres
sur la syph., p. 129.) On nous a reproché l'emploi de celle expression loi,
mais la médecine est un art soumis à des règles dans sa pratique : or ces
règles sont des lois. — Permettez, monsieur, cette expression n'est pas
prise ici dans le môme sens que plus haut ; ici, en eSet, il y a précepte
de pratique et cela ne s'appelle pas une loi, mais une règle. Dans le pre-
mier cas, le chancre en progrès, etc., le mot Zoi s'applique à l'énoncé
d'un fait général, que le chancre est la cause unique de la transmission
delà syphilis. C'est renonciation d'un lait de causalilé. Si je disais: un
coup de poing dans une vitre la fait voler en ^éclats, serait-ce là une
loi ? Si l'on confond tout fait plus ou moins général avec ce qu'on appelle
une loi, chacun peut -fiiire des lois sans nombre. Mais enfin, me direz-
vous, qu'est-ce donc qu'une loi? Cette expression empruntée aux scien-
ces mulhémaliques et physiques, où l'on observe beaucoup de lois vérita-
bles, signifie un fait mathématique appréciable par le calcul. Ainsi un
rayon de lumière tombe sur un plan en faisant un certain angle de 15, 20,
50 degrés avec le plan ; ce rayon en se réfléchissant fait un autre angle
qui est égal au premier, en sorte que l'angle de réflexion est égal à l'an-
gle d'incidence. Voilà une loi parce que c'est un fait calculable. Un corps
tombe, il parcourt uu espace 1 dans la première seconde, il a parcouru
un espace 4 après la deuxième seconde, 9 après la troisième, 16 à la fin
de la quatrième. Les espaces parcourus sont donc comme le carré des
temps que le corps met à tomber ; ce rapport mathématique et calculable
est la loi du fait.
Le chancrier : Dans les phénomènes de la vie on n'observe pas ainsi de
ces lois rigoureusement mathématiques; on dort un certain nombre
d'heures ; on peut faire des marches d'une certaine étendue , manger des
quantités à peu près égales ch;ique jour ; mais il n'y a rien de rigoureu-
sement exact dans ces faits. — Vous avez bien raison, repris-je, et c'est
pour cela que le mot loi n'y a pas de sens précis, et qu'il affiche une pré-
tention d'exactitude qui prête à rire lorsqu'on en veut faire plus qu'une
simple métaphore.
— Au reste, reprit mon interlocuteur, ceci n'a pas grande importance
pour la pratique; mais un fait qui en a davantage, c'est l'extrême sévé-
rité de notre système. Feu Lisfranc avait popularisé l'emploi du spécu-
lum ; notre école a pensé qu'il y avait là une bonne tradition à conserver
la généralisation de l'usagedu spéculum; aussi, malheur aux observations
de femme où le spéculum n'a pas porté la lumière ! C'est par ces re-
cherches exactes que notre système s'est assuré que le chancre est la
source unique du virus syphilitique. Cherchez et vous trouverez, a dit le
maître {Leti., p. 230) ; quand on cherche bien, on trouve toujours. — De
manière que lorsqu'on ne trouve pas, c'est qu'on u mal cherché?— Pré*
ciséuicut, répond le chancrier.
— Mais ne craignez-vous pas d'arracher par l'ennui, par l'influence
quelconque que vous exercez sur des malades faibles, timides, polis ou
XIV DISCUSSION
inintelligents, des aveux contraires à la vérité? Parexemple, quand on
affirme hardiment à un avocat qu'il a jioi té, il y a deux ou trois mois, du
TÎrus vénérien à son œil, lequel virus a produit le chancre qu'on y voit;
quand, frappé de surprise par une perspicacité si extraordinaire, le ma-
lade répond, sous Tinfluence de l'aplomb qui lui en impose : Effective^
ment, je me rappelle qu'étant couché avec un;' femme, après certains
altducliements, je fus pris d'une vive démangeaison à l'œi! , que j'y por-
tai la main, le frottai longtemps, et c'est depuis ce moment que ma pau-
pière est malade {Lett. sur la syp/iil. , p. Zi7) ; croyez-vous que l'on puisse
compter sur cet aveu ? El cet élève en médecine, irès-intelligent, chei le-
qutl on constata dans le toufTu des favoris un chancre induré, avec gan—
glionite sous-maxillaire; il n'y aitachait aucune importance; rauis dès
qu'on le lui eût fait remarquer, il put en préciser L'origine et La date
{Ib., p. 46). Et ce confrère {Ib., p. 31) très-distingué qui a eu, sans y
faire attention, un chancre au doigt, un bubon vers le pli du bras, et qui
je rappelle tout cela avec précision quand on le lui nflirme ! De pareils
aveux ))euvent-ils inspirer de la confiance à un observateur sévère? Je ne
le pense pas, car l'expérience m'a dejiuis longtemps démontré qu'on fait
dire à beaucoup de malades les choses les plus contradictoires et les plus
opposées. Je vous demande pardon de ma franchise: muis vous êtes jeune,
TOUS devez aimer la sévérité dans la recherche delà vérité. — Oui, mon-
sieur, me répondit mon inlerlocuttur, et c'est pour cela que j'aime le
systèuicchancrier, queje l'approuve de rejeter toute observation de femme
suspecte qui n'es! pas accomi)agnée de l'examen des cavités muqueuses
profondes comme celle du vagin. — Vous avez jusqu'à un certain point
raison, lui dis-je; cependant il ne faut pas exagérer ce principe, car il y a
d'autre^ cavités muqueuses, celles du col, du corps, de l'utérus, des
trompes, de l'urMre et même des conduits éjaculateurs des vésicules sé-
minales, etc., où peuvent aussi se développer des chancres et qu'on ne
peut examiner. Or, si l'on rejetle les observations où l'examen du vagin
n'a pys élé fait, il faut rejeter toutes les observations où l'examen des ca-
vités muqueuses plus profondes est nécessaire et impossible.
Lé chaitcrier : On ne nous a jamais fait ces objections ; je n'y ai pas ré-
fléchi. Mais je mainliens la nécessité d'une extrême et juste sévérité dans
la critique des fails. Si cela froisse momentanément Paraour-propre d'un
homme, l'art et l'humanité entière y gagnent , tandis que les compli-
ments ne prolilenl qu'aux parasites et aux flatteurs. — Mais, repris-je,
croyez-vous que le système qui se plaint qu'on est injuste à son égard,
soit é(|uiiable pour M. Waller, lorsqu'il lui dit (p. 222 de ses Lettres) :
«Soyez léger, monsieur, je vous le permets; je n'aime pas les gens
lourds ; » et (p. 22()) : « Si j'avais eu l'ignorance de soutenir mes doc-
trines par des faits srmblables, y aurait-il a^sez de récrimination contre
moi? T) Le système est-il donc si am^sa/if lorsqu'il proclame le fait de
rinoculation d u virus sy phi litique à la page 26, la rejette aux pages 26, 130,
parce que c'est une graine, puis un ferment qui se développe plus ou
moins vite, suivant le terrain ; lorsqu'il admet des bubons sympathiques
et qu'il ajoute : « Le mot est bien ici à sa place, pour des maladies quj
SUR LH IIAPPORT DE M. BEGIN. XV
sont elles-mêmes dans leurs causes, le résultat de malheureuses sympa-
thies (p. 192)? » Tout cela est-il sérieux? tout cela est-il si amusant et si
instructif?
Le chancrier : Je sais bien qu'on reproche à notre école sa légèreté
joyeuse, mais est-il défendu, n'csl-il pas de bon goût même d'instruire
en amusant? N'est-ce pas là ce qui amène la foule? Pour que vous
puissiez en juger, je vais vous en ciler quelques exemples : l'histoire du
dîner des amis où le mari fait la femme, celle de l'officier de cavalerie,
celle de la Madeleine repentante au bubon. Celle du dîner des amis est
on ne peut plus plaisante et parlant on ne peut plus instructive, car
voyez-vous, ce qui est plaisant se fait lire avec inlérêl. — Vous avez rai-
son sous un certain rapport, mais il ne faut pas ajouter au; faits des
détails qui les rendent invraisemblables et compromettent la vérité. Eh
bien ! dans ce dîner du jeune et petit ménage, dont je connais l'histoire,
le mari qui au dessert, entre la poire et le fromage, comme dit le sys-
tème, laisse son épouse en lête à tête avec son ami, et court chercher le
fromage pour réparer l'oubli de sa femme et en remplir les fonctions ; cet
ami ardent qui attaque et triomphe; cette femme facile qui se rend si
vite, que lorsque l'époux rentre les faits sont accomplis et que le désordre
est réparé; ce mari qui, un peu plus tard, allant plonger ses lèvres dans
la coupe empoisonnée, s'infecte sans que sa Temme qui renferme le poi-
son en soit atteinte; l'aini libertin qui porte un magnifique chancre sur le
gland, et se laisse ensuite traîner chez le chirurgien pour prouver son
innocence, ne sont-ce pas aulnnt de détails invraisemblables? Quelle
instruction nssurée tirer d'une pareille histoire? [M. G erdy est inter-
rompu). Puisque l'analyse de ces faits déplaît, je ne la poursuivrai pas,
dit M. Gerdy, et je passe aux principes de la doctrine que mon interlo-
cuteur m'exposa ain^i :
— Un des plus larges principes de notre doctrine, c'est que tout est
clair, régulier et constant dans la syphilis depuis notre système. — Alors
pourquoi le système ditil donc : « Il est temps enfin de sortir de ce perro-
quetage qui donne sans variations les mêmes caractères ù l'accident
primitif (p. 140, Lett.), » Pourquoi dit-il ensuite : e Le début du
chancre étant toujours semblable, l'uîcératiitn qui suit l'inoculation
prend, en définitive, et offre les mêmes variétés que le premier accident
qui avait f(!urni le pus. Ainsi le chancre phagédénique causera un
chancre phagédénique, etc. (p. 142)?»
Le chancrier : C'est que notre système admet un second principe pour
expliquer les faits qui ne rentrent pas dans le premier. Par cette élasticité
merveilleuse, notre doctrine se prête aisément à toutes les difficultés. —
Ah ! monsieur, je \ous en lais mon compliment ; ces deux systèmes con-
tradictoires sont en effet merveilleux ; je conçois qu'avec deux ressorts
semblables vous ne soyez jamais embarrassé, cette imagination est un
trait de génie.
Le chancrier : En voici un second qui est l'axe même de la doctrine,
j'en ai déjà parlé, mais je dois vous l'expliquer : « Le chancre, à la
période de progrès et de statu quo spécifique, est la seule source du virus
XVI DISCUSSION
sypliililique (poison morbide, etc. Admirez cette épilhète qui exprime si
laconiquement que ce poison n'est pas sain!). Dl> h^i la blennorrhagie
syphilitique prouvée par l'inoculation positive et non négative. — Mais
l'inoculation féconde de la blennorrhagie syphilitique ne me semblait
prouver qu'une chose, que la blennorhagie mère est réellement syphili-
tique, et non l'existence d'un'chancre urétral caché. En effet, comment
prouver l'existence d'une chose cachée si on ne la montre pas I
Le chancrier : Aussi a-t-on montré à l'Acadiimie doux vastes chancres
de l'urètre unis à un écoulement blennorrhagique. — Quoi ! on n'a trouvé
que deux fois cette coexistence depuis vingt-deux ans de pratique dans un
vaste hôpital ! Mais c'est cent fois, permeltez-moi de le dire, qu'il aurait
fallu rencontrer c'.'tte coexistence, pour être autoiisé à penser que la blen-
norrhagie syphilitique lient réellement et toujours à un chancre urétral.
Jusqu'ici, celte prétendue loi n'est qu'une supposition gratuite. Mais les
observations elles-mêmes, quelles sont-elles? Voyons, la première est crlle
de Boisseau. Il a été affecté d'une blennorrhagie syphilitique, avec ulcère
urétral étendu à la prostate, à la vessie, etc., qui a donné un peu de
sang, n'a point été traitée néanmoins par les anlisyphililiques, a entraîné
la mort avec un marasme progressif, et les viscères n'ont pas seulement
été examiné?. La deuxième est celle de Bourdon, qui a eu un vaste
chancre à l'entrée de l'urètre, et dans l'urètre jusqu'à la vessie, avec ul-
cération de la prostate, des conduits séminifères qui s'y rendent, quelques
altérations thoraciques vaguement indiquées, quelques petits écoulements
sanguins. Comme dans la précédente, il n'est pas question de traitement
anlisyphi'itique, et les observations sont si légèrement rapportées que les
figures et la table explicative de l' Iconographie sont hUerverlies, en sorte
que la pièce de l'un des malades se rapporte ù l'autre. {Maladies véné-
riennes, p. '2.11, 21b, e.\. Iconographie.)
Le chancrier: Ce sont là des choses sans conséquence. — Soit, mais
pour des faits aussi importants j'aurais désiré plus d'exactitude. D'ail-
leurs, M. Baumes, un des plus illustres syphiliographes, un inoculnteur
comme vous, n'a-t-il pas vu un monsieur de Villefranche affecté d'une ba-
lanite, d'une blennorrhagie de la muqueuse du gland, sans ulcératioD,
sans chancie, épouser une femme bien portante, lui donner une blennor-
rhagie qui fut suivie desyphilides; et un malade, affecté encore de bala-
nite sans ulcération, infecter <leux maîtresses et sa légitime épouse ?
Le chancrier : Le diable a passé par là. — Mais vous avez donc fait un
pacte avec le diable, dans votre école, que vous l'appelez à votre secours
aussitôt que vous êtes dans l'embarras? Eh bien, votre savant ami,
M. Puche, que vous citez toujours, avec son consentement, je n'en doute
pas, comme partageant vos idées, n'est-il pas accusé, depuis déjà long-
temps, d'avoir publié dans la Gazette des hôpitaux, décembre 1842, une
observation de balanite sans ulcération, qui s'est permis d'engendrer un
chancre, malgré les lois chancrières, monstruosité qu'on ne peut attri-
buer qu'à la licence de ces temps-ci ? {Bibl, du méd. prai., p. 125.) En-
fin, pour n'en pas citer davantage, car je crains vraiment d'abuser de la
liberté de discussion que vous me permettez, M. le docteur Bartholi n'a-
SUR LE RAPPORT DE M. BÉGIN. XYl'
l-il pas rapporté plusieurs observations de balanites analogues, ou même
plus instructives encore qui. sans ulcération, ont donné naissance à la
fameuse pustule caractéristique d'ectiiyma, à un bubon inoculable, etc.
(Thèses de Paris, 1845, p. 18.)
Ne vous paraît-il pas que, puisque la muqueuse du gland enflammée,
sans chancre, est aussi évidemment la source du virus syphilitique, il
n'est pas possible de le nier pour celle de Turètre qui en est la suite; il
n'est pas possible de soutenir que le chancre en est l'unique source; que
la muqueuse urétrale, avec laquelle celle du gland se continue immédia-
tement, doit présenter les mêmes caractères, et qu'on n'est pas autorisé à
avancer le contraire sans preuves légitimes et évidentes?
A ce moment une voix acclame l'ouverture de la discussion sur la
contagiosité des accidents secondaires, et mon cicérone m'annonce qu'il
est obligé de me quitter ; je le remercie, il me salue, et se plonge dans la
mêlée où je le perds de vue.
Aussitôt un pluricontagien, élevant la voix, engage la lutte en ces
termes: « Pourquoi donc, messieurs les sectateurs du chancre, refusez-
vous aux plaques muqueuses la faculté de se transmettre par contact,
lorsque tant de praticiens, qui ne sont rivés à aucun système, affirment
l'avoir observé; lorsqu'on voit si souvent ces altérations, nées sur un des
côtés des sillons ou des plis de la peau, se développer par une sorte d'im-
pression du côté opposé ? Comment supposer que la réunion et l'arran-
gement des points qui composent la deuxième plaque, puissent être le
résultat de la syphilis constituiionnelle et du hasard ? N'est-ce pas abso-
lument comme si l'on prétendait que la médaille n'est pas le résultat de
l'impression dans la matrice où elle a été frappée ; qu'une goutte d'encre
jetée sur une feuille de papier qu'on plie en deux pour l'imprimer à la
fois des deux côtés, donne deux images symétriques par une autre voie
que l'impression mécanique et le contact?
Un chancrier : Qu'importe, aprt'S tout, qu'elles soient symétriques,
lorsqu'elles ne s'inoculent pas? Est-ce que l'inoculation n'est pas la
pierre de touche qui suffit à tout et répond à tout? — Tout beau ! mon-
sieur, reprend un second pluricontagien ; elles sont si bien contagieuses,
que le système avoue qu'elles le sont par un procédé yt/anncompréhen-
sibie.
Alors apparaît M. Baumes, qu'on se montre du doigt comme l'un des
plus distingués syphiliographes, et dont chaque parti attend l'opinion
avec quelque inquiétude. « Le tubercule muqueux (plaque muqueuse),
dit-il, ne se transmet pas par l'inoculation artificielle; cependant il se
transmet par le coït comme un chancre, et peut être suivi , comme ce
dernier, de symptômes constitutionnels (p. 300, t. II, Précis des malad.
véné,). n El puis il rapporte à l'appui l'observation d'un ouvrier de la
Guillotière, qui, portant au devant du scrotum des plaques muqueuses,
les communiqua aux grandes lèvres chez sa femme.
Un inconnu, à l'accent germanique, s'écrie : Et moi aussi j'ai inoculé
traumatiquement avec succès les tubercules muqueux sur un teigneux I
— AI) ! e'est M. Waller (de Prague), s'écrie à son tour un chancrier, et
XVIII DISCUSSION
tout le parti des cliancriers répète en frémissant : « C'est ce lourd Alle-
mand de Prague. Nous ne vous comprenons pas, lui disent-ils tous à la
fois; nous nous eniorliUons dans votre allemand; remmenez votre tei-
gneux. — Eh ! répond VValler d'un ion fort dégagé qui n'est point lourd,
si vous ne me compreniez pas, vous ne seriez pas si en colère. Si vous
aviez de bonnes raisons à m'opposer, vous ne me taxeriez pas d'ignorance;
si mes coups avaient la légèreté des vôtres, vous n'en seriez pas si ébran-
lés, et ne me reprocheriez pas d'être lourd. Je savais déjà, et vous n'aviez
pas besoin de m'en donner un exemple, qu'il est plus uisé de trouver des
injures que des raisons. — Un chancrier, plus ardent que prudent, ré-
pond : Mais qui prouve que la femme Némec, où vous avez pris le virus
des plaques muqueuses, n'avait pas de cbancre dans le vagin ? Pourquoi
n'avez-vous pas couvert les scarifications inoculées de votre teigneux
avec vos beaux verras de Bohème? {Lett.) — M. TVallei' : Parce que,
si j'avais voulu dire tout ce que Némec n'avait pas, c'eût été un peu
long ; parce que vous eussiez pu me répliquer : 4 Mais vous ne savez
pas si Némec n'avait pas de chancre dans l'utérus ou même dans les
trompes? » Quant au pansement que j'ai employé, il e=t plus commode,
plus sûr et moins fragile que les plus beaux verres de Bohême. « Dans la
t médecine, non moins que dans tous les arts, il est honteux, après beau-
» coup d'embarras, beaucoup d'étalage et beaucoup de paroles, de ne
« rien faire d'utile. » Voilà, messieurs, ce que dit, non pas un Allemand
de Prague, mais notre maître à tous, le divin Ilippocrate {Lir. des arti-
culations, t. IV, p. ISl. Trad. de Liltre). Allez, messieurs, sojez à l'ave-
nir un peu plus graves I »
On voit venir alors M. Vidal, qui ne veut pas, dit-on, se laisser absor-
ber par le système de l'hôpital du Midi. Or, cette résistance est aussi li-
cite que la tentative de l'elTacer le serait peu. Le compatriote de Franco
se met à raconter, avec son accent provençal et l'humeur ilcgnialique
d'un Anglais, comment il a inoculé le fluide de pustules eclhymaieuses
secondaires; comment il a réussi sur le malade; comment il a inoculé
son interne en pharmacie, qui s'est, dans cette occasion, dévoué volon-
tairement à la science et aux recherches du chirurgien ; comment cet
élève dévoué lui a donné l'observation de sa maladie; comment néan-
moins plus lard on a séparé de lui cet élève ; comment on a obtenu de
lui des espèces de rétractations, et comment, à celte occasion, on a in-
exactement prétendu {Leil., p. 111 ) que le virus avait été pris sur des
ulcérations croissantes et non secondaires, accompagnant une syphilis
constitutionnelle. (Nouveaux murmures qui empêchent M. Gerdy de dis-
cuter ce fait, et l'obligent à l'abandonner.) Allons, messieurs, reprend-il,
puisque ces franches et sincères analyses déplaisent à plusieurs d'entre
vous, je me bornerai à citer encore quelques faits sans les analyser.
M. Bouley n'at-il pas également inoculé, par le vésicatoire, des plaques
muqueuses qui ont produit un ccthyma et ensuite des syphilides (Vidal,
Maiad. véhé., p. 2/i2) ?
MM. Cazeiiavef/ô., p. 364), Puche (p. 361), Richet (p. 3.65\, n'ont-ils
pas pratiqué la même opération avec succès, et en prenant toutes les pré-
SUR LE RAPPORT DE M. BEGIN. XIX
cautions et tout le soin qu'on pouvait attendre d'hommes aussi instruits
et aussi sérieux.
Après toutes ces preuves d'inoculations artificielles fécondes des acci-
dents secondaires, e^t-il besoin de rapporter des exemples de contagion
naturelle d'autres accidents second.iires? Lisez les observations si inté-
ressantes de M. Baumes (t. 1", p. 326), et rappelez-vous ce qu'ont dit
dans cette discussion MM, Velpeau, Lagneau, Giberl et Roux. Cela me
fait remarquer que si nous triomphons, nous n'aurons pas fait preuve de
courage en combattant cinq contre un. Pour ma part, je ne m'en vante-
rai pas, car il n'y a pas de quoi en être fier.
Conclusions. — Ainsi toujours mystères et ténèbres sur l'horizon de
la syphilis, au lieu de l'éclatante lumière partout annoncée par les trom-
pettes bruyantes de la renommée; assertions contradictoires de constance
et de variations mal déterminées; expérimentations poussées jusqu'à i';!e
sorte de licence et de débauche d'inoculations ; généralisation utile de
l'emploi du spéculum ; confusion des faits avec les lois qu'ils suivent
dans leur développement et leur accomplissement ; sévérité extrême et
aveugle pour les autres, qui ébranle le système lui-même et le ruine, ù
cause qu'en rejetant les observations incomplètes sur l'état du vagin, il
en rejette une foule des siennes nulles ou incomplètes sur une foule d'or-
ganes plus profonds que nous ne pouvons examiner et apprécier; d'ail-
leurs, sévérité partiale et légère en faveur du système; observations in-
complètes qui compromettent la vérité; enfin contagion et inoculation
prouvée un grand nombre de fois pour les plaques muqueuses, Peclhyma,
les végétations, les affections secondaires en un mot, tels sont, à mes
yeux, la science d'aujourd'hui et le nouveau système dans ce que j'en ai
dit. Je ne porte point de jugement général de la doctrine, parce que je
ne veux rien avancer sur les points que je n'ai pas dCi discuter.
-- ^f§^<—
DEUXIÈME MONOGRAPHIE
r /
mmm
MALADIES UNIVERSELLES
La première monographie de ma chirurgie pratique
ne considère, sous le lilre de Pathologie générale mécHco-
chimrgkale ^ que la maladie en général. La seconde
s'occupe des maladies générales ou communes à toutes
les parties du corps, et d'an certain nombre àernala-
dies universelles ou dialhèses non féîjriies et fébriles.
Ces affections totius substaruiœ corporis, compliquent trop
souvent les maladies chirurgicales pour qu'il soit
possible de tracer une histoire fidèle et intelligible
de celles-ci sans avoir une notion exacle de celles-
là. Néanmoins nous ne donnerons pas une descrip-
tion détaillée de ces atfections diathèsales. Nous tâ-
cherons seulement qu'elle suffise au but que nous
cherchons à atteindre, l'exposition claire et exacte de
ces graves complications des maladies chirurgicales.
1
CHAPITRE P^
1$e l'IasâLarasBasation est géaiéral.
Cette grande entité morbide générique qui forme
la première classe de notre classification naturelle
(Voy. Pathol. génér., p. 86), est encore désignée sous
le nom de phlegmasie, de pblogose, parce qu'elle est
ordinairement accompagnée d'une chaleur plus ou
moins vive et ardente. C'est assurément la maladie la
plus importante et la plus intéressante à bien con-
naître parmi les sept grandes classes qui se partagent
nos affections. Elle mérite cet intérêt et elle a cette
importance parce qu'elle est la plus fréquente des ma-
ladies 5 parce qu'elle est si commune que nous la ren-
controns à chaque instant , et partout , dans les af-
fections chirurgicales, comme maladie essentielle,
ou comme lésion symptomatique, constitutionnelle 5
parce que les principes de son traitement sont pour
la plupart très-rationnels, fort généraux et d'une ef-
ficacité réelle, quoique leur puissance soit limitée.
L'inflammation mérite tout notre intérêt , parce
qu'enfin, pour n'en pas dire davantage, c'est en
même temps une des plus importantes fonctions de
la vie, une fonction de réparation.
Définition. — Les auteurs, par imitation les uns des
autres, par un défaut de critique trop commun,
prétendent qu'on ne peut définir l'inflammation que
par ses symptômes, et point par sa nature, parce que
sa nature est inconnue. Mais si l'essence en est
ignorée , on doit la confondre avec les autres affec-
tions. Or, ceux-là mêmes qui tiennent ce langage
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 3
distinguent très-bien en théorie et en pratique l'in-
flammation d'avec les névralgies, les névroses, les
hémorrhâgies , les hydropisies , les diathèses, et une
foule de maladies chirurgicales. Ils ne la confondent
donc point avec ces affections, ils connaissent donc
la nature de l'une et îa nature des autres j s'ils ne
connaissaient pas îa manière d'être particulière qui
la distingue de la nature des autres, ne la confon-
draient-ils pas avec celles-ci, ainsi que je l'ai déjà
expliqué dans la pathologie générale? Les auteurs se
font donc par inconséquence plus ignorants qu'ils ne
sont et que nous ne le sommes tous.
Quant aux caractères par lesquels les auteurs défi-
nissent l'inflammation, ce sont les quatre symptômes
indiqués par Celse , la rougeur et le gonflement , la
chaleur et la douleur. Eh bien ! ces quatre caractères
ne s'observent sur le vivant que dans les inflamma-
tions extérieures. Ils manquent souvent tous, pour le
praticien, au lit du malade, dans celles qui sont inté-
rieures et profondes : ils caractérisent donc mal la
phlegmasie en général ^ils sont donc mal choisis pour
la définir et en donner une idée. C'est pour cela,
sans doute, qu'on a tant cherché d'autres définitions,
et que les iatro-mécaniciens la regardaient , pour en
donner l'idée îa plus simple, dirai-je, comme une ob-
struction des petits vaisseaux par les globules du sang
(pi. l^ fig. 1,2) qui les engorgent et passent succes-
sivement, par erreur de Lieu, dans des artères séreuses
et dans des|artères lymphatiques où ils ne passent pas
habituellement. (Voy. Aph. de Boërhave, § 378, Com.
par Vanswieten, trad. franc., t. IV, p. 56 et suiv.
Pour plus de simplicité et d'exactitude, nous défi-
nissons l'inflammation : une lésion vitale accompa-
gnée d'engorgement sanguin, dégonflement, de rou-
geur, de douleur, de thaleur, d'augmentation de
Zf CHAPITRE I.
fibrine dans le sang, de troubles fonctionnels de
l'organe enflammé , et même de fièvre lorsque la ma*
ladie est un peu intense. Alors la définition ne cesse
pas d'être suffisamment courte et claire.
Quant à celle qui dit l'inflammation une exalta-
lion des propriétés vitales, c'est une des plus mau-
vaises, car si la sensibilité et la clialeur sont augmen-
tées, l'activité des vaisseaux est évidemment diminuée
puisque les vaisseaux se laissent engorger, distendre,
et que la circulation s'arrête. D'ailleurs les propriétés
fonctionnelles de l'organe sont aflaiblies , abolies ou
perverties, comme le prouve le coma ou le délire dans
les phlegmasies cérébrales, le vomissement et les in-
digestions dans la gastrite, l'absence ou la suppres-
sion de l'urine dans la néphrite, etc.
Cependant il ne faudrait pas croire que toute in-
flammation s'accompagne nécessairement de tous les
phénomènes que nous venons de mentionner. Il n'y
en a ordinairement qu'un certain nombre de réunis;
chacun deux, pris isolément, peut manquer sans que
l'inflammation perde sa physionomie propre ; elle
conserve alors sa nature, comme l'homme la sienne,
lors, même que, crétin horrible, il manquç des for-
mes qui distinguent son espèce et de la raison qui
l'éclairé. Ainsi la tuméfaction peut être tout à fait
nulle; d'autres fois c'est la rougeur qui manque ou
rie peut être appréciée-, ailleurs c'est la douleur qui
ne se manifeste pas, etc.. Il en est de même et à pliis
forte raison, des autres caractères.
Causes, — Peu d'aflectious sont produites par des
causes plus nombreuses et plus variées. La plupart
des causes dont nous avons étudié l'action dans la
pathologie générale peuvent y prédisposer ou la dé-
terminer.
Causes individuelles. — Tous les âges prédisposent
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 5
à peu près également aux phlegmasies ; peut-être la
jeunesse y est-elle plus exposée que la vieillesse pro-
prement dite, mais au total les différences ne portent
guère que sur les organes affectés, et ici encore,
comme nous le verrons plus loin , les auteurs ont
commis plusieurs erreurs. L'hérédité transmet souvent
aux enfants l'aptitude que présentaient leurs parents à
contracter certaines phlegmasies. C'est ainsi qu'il n'est
pas rare de voir dans certaines familles des angines,
des bronchites, des érysipèles se développer avec une
remarquable fréquence. Parmi les tempéraments on
a dû choisir a priori le tempérament sanguin, comme le
plus exposé aux phlegmasies , et s'il y a là quelque
chose de vrai , il ne l'est pas moins que les sujets
lymphatiques en présentent peut-être aussi fréquem-
ment. Diverses maladies universelles causent des
phlegmasies; les diathèses inflammatoire, scrofuleuse,
syphilitique, fébriles essentielles, sont dans ce cas;
mais il faut remarquer qu'alors l'inflammation n'est
pas essentielle mais symptôme d'une maladie univer-
selle, et qu'elle revêt des caractères spéciaux. L'his-
toire de ces phlegmasies se rattache à celles des
diathèses dont elles dépendent. Il n'est pas rare de
voir une inflammation s'étendre aux parties environ-
nantes qui s'affectent par continuité et par contiguïté,
ce sont des inflammations circonvoisines.
Nous avons montré dans la pathologie générale
l'immense influence de la déclivité des organes sur la
production des inflammations, et sur leur aggrava-
tion. Nous le rappellerons seulement.
On a regardé la structure anatomique de certains or-
ganes comme y prédisposant singulièrement. L'illus-
tre Boyer a cité comme telle l'abondance des vais-
seaux et des nerfs, et le tissu cellulaire, comme un
des tissus les plus susceptibles d'inflammation , quoi
6 CHAPITRE r.
qu'il ne soit pas d'une structure nerveuse et vascu-
laire, et se laisse, pour ainsi dire, seulement traverser
par les vaisseaux et surtout par les nerfs. Ces asser-
tions sont donc contradictoires. D'ailleurs nous ver-
rons bientôt que le tissu cellulaire n'est pas celui
qui s'enflamme le plus facilement. D'un autre côté, les
membranes séreuses qui s'enflamment fréquemment
sont encore moins vasculaires et moins nerveuses que
le tissu cellulaire; c'est plus évident encore pour la
rate et le foie, qui sont très-vasculaires et s'enflam-
ment très-rarement. La structure vasculaire et ner-
veuse ne sont donc pas des causes organiques d'in-
flammation aussi évidentes qu'on le croit.
Il est, au contraire, une circonstance qu'on ne cite
pas et dont l'efficacité est beaucoup moins contesta-
ble, c'est la fréquence des relations des organes avec
les choses du dehors. Ainsi la peau et les membranes
muqueuses digestives , respiratoires et génitales, qui
sont habituellement en rapport avec les excitants du
dehors, sont très-souvent affectées d'inflammation.
L'excès d'activité de certains organes cause des
phlegmasies. L'excès des travaux intellectuels, les
passions, ne donnent pas lieu seulement à des phleg-
masies du cerveau et de ses enveloppes, mais aussi à
des inflammations de différents organes. Nous en
avons rapporté (Path, génér.) des exemples; les excès
dans l'alimentation, mais plus particulièrement l'abus
des alcooliques, sont des causes fréquentes d'inflam-
mation , non-seulement des voies digestives , mais
aussi de divers autres organes. Les troubles divers
dans les sécrétions jouent encore un grand rôle dans
l'étiologie de l'affection qui nous occupe; les suppres-
sions de transpiration ou un refroidissement insensi-
ble amènent des angines, des bronchites, des pneu-
monies, des entérites. On connaît les fâcheuses con-
DE L INFLAMMATION EN GENERAL. 7
séquences que peut avoir un arrêt bruscjuement
survenu dans la menstruation; les abus ckns les
fonctions génératrices causent parfois des affec-
tions du poumon ou des caries vertébrales ; des sup-
pressions de maladies ou de sécrétions morbides
sont bien capables de produire des affections inflam-
matoires. J'ai vu *des suppressions brusques d'érysi-
pèles, d'arthrites rhumatismales, suivies d'accidents
cérébraux et de pleuro-pneumonies mortels.
Enfin, ajoutons que beaucoup d'inflammations se
développent les unes après les autres, ou sans cause
connue, spontanément en apparence, sous l'influence
d'une diathèse inflammatoire en réalité.
Causes extérieures. — Les degrés extrêmes de tem-
pérature sont des causes fréquentes d'inflammation.
Nous avons parlé des efî'ets pernicieux de l'insolation
{Path. génér.^ p. 364); il peut en résulter des éry-
thèmes, des méningites. Les corps brûlants agissant
directement sur nos tissus déterminent une phleg-
masie aiguë, désignée sous le nom de brûlure, qui
peut entraîner la suppuration et même être accom-
pagnée de gangrène. De son côté, le froid produit
des effets locaux analogues à ceux du calorique, et
déplus une forme particulière d'engorgement érythé-
mateux connue sous le nom d'engelures. L'action im-
médiate de l'air froid sur divers organes en déter-
mine l'inflammation. C'est ainsi que se^déveioppent les
angines, les bronchites si communes pendant l'hiver
et dans les pays froids. L'action du froid sur ia peau
cause sympathiquement ou médiatement une pharyn-
gite, une inflammation intérieure, une pleurésie, une
péricardite, etc.
Parmi les causes les plus communes de l'inflamma-
tion il faut ranger les violences extérieures et méca-
niques : une pression modérée mais continue ou une
CHAPITRE I.
pression forte amènent l'inflammation-, des frictions
trop fortes sont dans le même cas. Les contusions,
les piqûres, les coupures, les plaies de toutes sortes,
s'accompagnent nécessairempnt d'inflammation. Les
corps étrangers formés dans l'inlérieur même de l'é-
conomie, tels que la bile, l'urine, les fèces, le sang,
les calculs, diverses concrétions, les entozoaires, les
esquilles osseuses, les séquestres de nécrose, etc.,
tous ces corps étrangers déterminent l'irritation et
l'inflammation des tissus avec lesquels ils sont en con-
tact • très-souvent même il s'établit un travail d'éli-
mination avec suppuration, formation d'abcès, de fis-
tules qui ont pour résultat l'expulsion du corps étran-
ger. Ces phénomènes sont surtout fréquents dans les
cas de corps étrangers venus du dehors. On sait qu'un
simple grain de sable, une paillette de fer dans l'œil
suffisent pour donner lieu à une ophthalmie intense.
Les excès dans l'alimentation produisent des phleg-
masies dans les voies digestives. Nous avons étudié à
propos de l'étiologie, dans la pathologie générale, les
effets des poisons irritants sur l'économie et noiis avons
vu qu'ils donnent lieu à des inflammations plus ou
moins intenses. Les venins de certains animaux de-
puis la puce ou la punaise jusqu'au taon, à l'abeille ou
au scorpion causent des phlegmasies locales indépen-
damment des accidents de l'empoisonnement, et lors-
que les piqûres sont nombreuses, on voit des gonfle-
ments énormes. Certains virus inoculés donnent lieu
à des inflammations plus ou moins vives, plus ou
moins graves, tels sont le virus variolique, celui de la
vaccine, celui de la syphilis, etc.
Certains animaux parasites, par le seul fait de leur
présence sous Tépiderme ou au-dessous du tissu cu-
tané, agissent à la manière des corps étrangers et dé-
terminent des accidents phlegmasiques plus ou moins
DE L INFLAMMATION EN GENERAL. 9
intenses, la chique, le ver de médine etl'acarus scabiei
en sont des exemples remarquables.
Caractères anatomiques . — Les inflammations sont so-
litaires et uniques sur le même malade ou multiples.
Ce caractère est important à connaître pour le diag-
nostic de la nature de la maladie. Solitaire, la phleg-
masie est souvent locale, idiopatbique, et bornée à la
partie affectée par l'action d'une cause locale. Mul-
tiple, elle est souvent le symptôme d'une diathèse,
d'une maladie essentielle générale, inflammatoire ou
autre, et rarement le résultat accidentel d'une ou
de plusieurs causes extérieures qui ont agi sur les
diverses parties enflammées.
Siège. — Tous les tissus de l'économie peuvent être
atfectés d'inflammation ; il faut cependant en excepter
les parties non vivantes, telles que les poils, les ongles
et les dents, car la carie de celles-ci paraît être une
décomposition chimique. Mais si tous les tissus peu-
vent être atteints de l'état morbide dont nous par-
Ions, ils ne le sont pas assurément avec la même fré-
quence. Les auteurs les ont rangés, relativement à
cette aptitude, dans un ordre que je ne saurais ad-
mettre. Voici ce que dit Boyer à cet égard : « Au pre-
mier rang des parties ainsi disposées doivent être
placés : 1° le tissu cellulaire proprement dit, qui, si-
tué au-dessous de la peau, s'unit aux organes sous-
jacents, et s'enfonce dans leurs interstices. (Il est
évident que par le tissu cellulaire proprement dit,
Boyer entend ici celui qui est sous la peau entre
les organes et non le tissu cellulaire intime des or-
ganes, des tissus. Sans cela, comme celui-ci s'en-
flamme toujours avec les tissus dont il fait partie, il
serait possible de le placer en tête de ceux qui sont le
plus capables de s'enflammer.) Boyer continue: « 2° la
peau, cette membrane extrêmement composée, qui
10 CHAPITRE I.
présente dans sa structure une quantité prodigieuse
de vaisseaux et un nombre infini de filets nerveux
auxquels elle doit la sensibilité exquise dont elle
est douée. Le second rang est occupé par les mem-
branes séreuses ou muqueuses. Viennent ensuite les
viscères qui sont d'autant plus susceptibles d'inflam-
mation qu'il entre dans leur texture une quantité
plus grande de tissu cellulaire et que le réseau vas-
culaire y est plus serré- C'est ainsi que les poumons,
organes très-vasculaires et celluleux sont beaucoup
plus sujets à s'enflammer que le foie et les autres
viscères. Mais tous, sans en excepter le cerveau,
dans lequel cependant l'anatomie n'a pas encore dé-
montré de tissu cellulaire, peuvent être affectés d'in-
flammation. Les muscles, les vaisseaux, les nerfs, les
tendons, les ligaments, les cartilages, et même les os
peuvent s'enflammer. » (T. I, p. 2, Traité des mal. chir.,
1822.) «Les parties qui ne sont jamais attaquées d'in-
flammation sont l'épiderme, les ongles, les cheveux
et les poils ; aussi ces parties n'ont encore offert à l'a-
natomiste aucune trace sensible de vaisseaux san-
guins. » (16,, p. 4.)
Voici l'ordre que je demande humblement à sub-
stituer à celui de Boyer : 1° les muqueuses et la peau 5
2» le tissu cellulaire, les séreuses et le parenchyme
pulmonaire; 3° les os, les ligaments, le périoste, les
aponévroses ; 4° le tissu cérébral, la rate, les reins, le
foie, les cartilages et les muscles.
fLes membranes muqueuses tiennent évidemment
le premier rang. Il n'est peut-être personne qui n'ait
eu dans sa vie un coryza, une angine, une bronchite ;
les ophthalmies sont également très-communes, et,
enfin, les entérites simples, bien que moins fréquen-
tes que ne l'avait dit Broussais, s'observent cepen-
dant très-souvent, surtout dans l'enfance. Mettez en
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 11
regard les phlegmons et les abcès, et il sera facile
de voir de quel côté est la fréquence la plus grande.
Cependant les muqueuses sonttrès-vasculaires et peu
sensibles, mais les influences extérieures les affectent
fréquemment d'une manière directe ou par sympa-
thie, comme le froid. La peau est aussi très-sujette
aux inflammations, quoique à un degré moindre que
les muqueuses; les gourmes dans l'enfance, les érysi-
pèles, les éruptions cutanées sont des afi'ections très-
communes et la vie se passe rarement sans qu'on en
éprouve quelque atteinte.
2° L'inflammation du tissu cellulaire vient ensuite ;
il suffit de parcourir une salle de chirurgie pour voir
que les phlegmons simples, érysipélateux ou diffus,
les panaris, les furoncles s'y rencontrent en assez
grand nombre ; c'est probablement là ce qui a frappé
Boyer 5 mais il faut remarquer que la plupart des ab-
cès sont envoyés aux salles de chirurgie, et que les
inflammations des muqueuses et de la peau sont
adressées aux services de médecine. Il n'est pas besoin
d'insister sur la fréquence de la phiogose des séreuses
et du parenchyme pulmonaire, c'est là un fait univer-
sellement admis, et même les pathologistes modernes
ont démontré que, contrairement à ce qui avait été
dit, les phlegmasies pulmonaires sont aussi com-
munes dans l'enfance qu'à tout autre âge de la vie.
3°Les inflammations du tissu osseux n'ont été réelle-
ment bien étudiées que depuis un petit nombre d'an-
nées; et déjà, nous avons prouvé que l'ostéite est
une maladie fort commune. Il est même impossible
d'entrer dans une salle de haute chirurgie sans en
voir un assez grand nombre-, c'est ce que nous dé-
montrons depuis quinze ans, au moins, dans les ser-
vices de chirurgie qui nous sont confiés. Les caries,
les tumeurs blanches des os sont peut-être pour un
12 CHAPITRE I.
tiers dans les manifestations de la scrofule, et presque
toutes 1( s affections des os sont accompagnées d'os-
téite. Quant aux ligaments, aux aponévroses, ils sont
si souvent enflammés, rétractés, indurés ou ramollis
dans les arthrites, dans les phlegmons, les lymphites,
les phlébites, les ulcères des jambes, etc., qu'ils doi-
vent venir après les os, comme nous le prouverons
dans les maladies des organes du mouvement.
Four les cartilages, nous exposerons, en parlant
des arthrites, ce que nos recherches nous ont appris
au sujet de ces organes.
Les muscles paraissent très-rarement enflammés ;
quelques auteurs même révoquent en doute que la
fibre musculaire puisse être réellement atteinte de
phlegmasie; pour eux, la myosite des nosographes
serait une phlegmasie du tissu cellulaire qui entoure
les fibres et fibrilles musculaires ; mais c'est là une
analyse subtile et téméraire qui n'est point démon-
trée. Les douleurs rhumatismales non inflammatoires
ont une dénomination qui suffit pour indiquer qu'elles
sont hors de cause.
4° Le tissu nerveux cérébro-spinal vient assuré-
iuent après ceux qui précèdent : les encéphalites vé-
ritables , les myélites sont des maladies peu com-
munes, et la fièvre cérébrale de l'enfance est le plus
ordinairement une véritable fièvre typhoïde à forme
délirante, ou une méningite tuberculeuse. Hors les
cas de lésions traumatiques, le foie, dans nos climats
tempérés, n'est, pour ainsi dire, qu'exceptionnelle-
ment atteint de phlogose; mais dans les pays chauds,
les hépatites paraissent presque aussi communes que
les pneumonies chez nous. Les quelques observations
de splénites spontanées rapportées par les auteurs
ne nous paraissent pas entourées de détails assez
circonstanciés pour que l'on puisse admettre avec
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 13
toute certitude l'inflammation de la rate dans les
cadres nosologiques, et lout au moins elle est exces-
sivement rare.
D'où viennent ces erreurs sur la fréquence relative
des inflammations des divers tissus ? Disons-le dans
l'intérêt de la science, elles viennent moins de ce
qu'on n'a pas assez observé que de ce qu'on n'a pas
assez réfléchi sur les faits observés-, car la plupart
avaient été vus, mais n'avaient pas été bien compris.
On avait vu, par exemple, des os vermoulus, comme
on disait, mais on n'avait pas compris que cette ver-
moulure était de l'inflammation. Pour le comprendre,
il fallait réfléchir, raisonner, et c'est ce qu'on n'a pas
fait. Nous sommes à une époque où l'on observe
beaucoup, mais où l'on réfléchit peu, où l'on craint
même de raisonner. Nous prenons le contrepied des
philosophes grecs, qui raisonnaient trop et n'obser-
vaient pas assez.
Les inflammations présentent encore de grandes
et importantes différences de siège , suivant qu'elles
sont siipeificielles , sous - cutanées , sous - aponévrotkpies ,
splancimiques ou viscérales, ainsi que nous le verrons.
Relativement à leur étendue, elles sont circonscrites,
ou bornées à une partie très-restreinte, ou étendues,
vastes mais nettement limitées, ou diffuses, dissé-
minées, et alors elles sont graves. Lorsque les tis-
sus enflammés forment des masses épaisses ils se
gonflent de manière à s'arrondir et à offrir plus tard
une saillie plus prononcée au point où ils doivent
suppurer, quand la suppuration est inévitable, comme
on le voit si souvent dans le phlegmon. Les tissus
membraneux s'épaississent seulement ^ quelquefois
ils s'amincissent. Tous, à la longue, peuvent s'hy-
perlrophier, s'accroître sans changer de consistance
ni souffrir, ou s'atrophier par résorption.
Ik CHAPITRE I.
Les formes des organes s'arrondissent et se modi-
fient par suite du gonflement inflammatoire, et il en
résuite des altérations notables pour le diagnostic,
dans les formes extérieures du corps.
La couleur des tissus enflammés est généralement
rouge ou violacée, grise, brune, etc.
La rougeur est subordonnée à la vascularité 5 tan-
tôt d'ailleurs, elle est uniforme à l'œil; tantôt arbo-
risée, réticulée comme sur la conjonctive 5 tantôt li-
néaire, striée, fasciculée, pointillée, piquetée, ponc-
tuée, comme dans l'intestin. La couleur des tissus est
souvent grise, brune, uniformément dans la peau des
jambes affectée d'ulcères anciens, de varices, de
squammeuse ou d'eczéma chronique ; dans les syno-
vialites anciennes, oîi elle est souvent en même temps
pointillée , comme dans les phlegmasies chroniques
de l'estomac et de l'intestin. Mais parmi ces couleurs,
ces injections, il en est qui sont dues à des injections
sanguines, cadavériques par déclivité. On les recon-
naît à ce qu'elles ne sont accompagnées ni d'épais-
sissement, ni surtout d'altération dans la consistance
des tissus.
Consistance. — Les tissus enflammés ont souvent
plus de fermeté, d'élasticité, qu'à l'état normal.
Cela se voit surtout lorsque l'inflammation par-
vient à son maximum d'intensité. On en a un exemple
dans la tension du phlegmon , même lorsqu'il sup-
pure, mais qu'il n'est pas encore ouvert. Ce fait pa-
raît dû d'abord aux fluides plastiques, organisables,
géiatiniformes qui infiltrent les aréoles des tissus,
et surtout du tissu cellulaire, et plus tard au sang
et au pus qui se développe dans le foyer inflam-
matoire engorgé. Mais comme la tension, l'élasticité
sont beaucoup plus prononcées que dans un sim-
ple œdème ou dans l'engorgement chronique qui
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 15
précède un abcès froid , je suis disposé à croire
que la diminution de l'extensibilité, ou la rétraction
du tissu cellulaire et des tissus blancs, concourt à
augmenter la tension. La diminution de l'extensibilité
et le raccourcissement des tissus sont des états mal
connus et très-communs dans les inflammations ai-
guës, et surtout dans les phlegmasies chroniques;
aussi j'en parlerai avec détail, plus bas, sous le titre
de Phlegmasies rétractives. L'induration accompagne
souvent, mais non toujours, les rétractions inflamma-
toires, et on ne doit pas les confondre.
La friabilité est une sorte de fragilité qui fait déchi-
rer des tissus qui auparavant s'étendaientau lieu de se
rompre. On l'observe dans le poumon hépatisé, dans la
rate, dans les ligaments articulaires. Ceux-ci se rom-
pent facilement au lieu de s'étendre et de céder lors-
qu'on fléchit ,des jointures rendues rigides par la ré-
traction des tissus blancs, dans l'arthrite chronique.
Ramollissement. — Les tissus enflammés sont parfois
ramollis jusqu'à la diffluence, comme on voit le tissu
cellulaire dans les phlegmons suppurants. Ces ramol-
lissements sont rouges, gris, bruns, même blancs, soit
par suite d'infiltration sanguine ou purulente, soit
sans infiltration, comme dans la muqueuse gastro-in-
testinaîe, qui se déchire avec les ongles.
Les parties constituantes d'un organe emflammé sont
aussi altérées ; les vaisseaux capillaires sont gorgés
de sang, plus dilatés, et paraissent plus nombreux.
Ils offrent des caractères microscopiques dont nous
parlerons plus loin. Cruikshank à même vu des lym-
phatiques pleins de sang. Il y a plus de sérosité ou de
lymphe dans le tissu cellulaire. Cette sérosité est la
lymphe coagulable de Hunter. Elle est, dans les pa-
renchymes et les tissus, liquide vers la circonfé-
rence ou aux alentours de la phlogose, puis plus
16 CHAPITRE I,
consistante vers le centre, où elle peut se trou-
ver à l'état concret. Cette coagulation de la lym-
phe plastique concourt à l'augmentation de consis-
tance dont nous parlions tout à l'heure. Epanchée
dans les cavités séreuses, elle s'y présente ou à l'état
de flocons blanchâtres adhérents à la séreuse ou na-
geant dans la sérosité, ou à l'état de fausses mem-
branes étalées sur la séreuse pariétale et viscérale.
Ces membranes adhèrent immédiatement l'une à
l'autre, ou médiatement par des prolongements cel-
luieux, filamenteux plus ou moins serrés ou lâches.
Dans ce cas, les intervalles sont remplis de sérosité
claire, trouble ou colorée. Tous ces produits sont des
sêrosies. Dans les plilegmasies synoviales des fléchis-
seurs de la main se montrent parfois des granulations
synoviales, en grain de riz, sijnoviosies, et dans les
muqueuses des fausses membranes ou mucosies.
Les chimistes modernes ont fait beaucoup de re-
cherches sur ces liquides coagulables, que la plupart
ont regardé comme de nature fibrineuse dans leur
élément organisable, tandis que d'autres (Mu Ider,
Berzélius) en font une matière changeante, un oxyde
de protéine. Un examen attentif y a fait aussi recon-
naître des globules sanguins sortis des capillaires par
transsudation physique, par sécrétion ou par rupture
des parois vasculaires.
Symptômes locaux : troubles de sensibilité. — 11 n'y arien
de plus commun que les troubles de sensation dans les
phlegmasies. Le moindre attouchement excite la sensi-
bilité tactile générale, les matières intestinales irritent
souvent l'intestin, et l'urine presque toujours la vessie
enflammée. Les besoins naturels de la faim dans la
gastrite, de l'union des sexes dans l'urétrite, s'abo-
lissent ou diminuent; d'autres augmentent, comme
la soif dans la pharyngite ; des sensations permor-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 17
bides variées se manifestent sans attouchement, sans
choc, sans violence, spontanément, en apparence:
ici dans la conjonctivite, des sensations de gravier 5 Ik
des démangeaisons dans les dartres; des picote-
ments brusques dans l'urticaire 5 des ardeurs dans
l'érysipèle ^ des douleurs permorbides très-variées,
sourdes et profondes dans les viscères, dans les os;
superficielles dans le phlegmon sous-cutané, l'éry-
sipèle surtout; lancinantes dans les névralgies, les
cancers; pulsatives dans.le panaris, le phlegmon, etc.
Ce dernier mode de douleur est dû à raugmentatioe
de la sensibilité , k la douleur que les dilatations des
vaisseaux capillaires correspondant aux contrac-
tions ventriculaires suffisent à déterminer. Ce sont,
par conséquent, des douleurs physiques. Ces dis^
tinctions paraîtront peut-être subtiles. Gomment ce-
pendant ne pas distinguer des douleurs comme celles
des os, que la scie, la gouge et le maillet n'augmen-
tent pas, quoique les os enflammés souffrent sans
qu'on les touche, spontanément! Dire que des tissus
insensibles dans l'état sain deviennent sensibles dans
les maladies, n'est pas dire précisément la vérité;
car, dans l'état morbide comme dans l'état sain, les
os sont insensibles k l'action des agents physiques.
Voilà pourquoi je n'ose pas présenter les douleurs
permorbides qui se font sentir sans violence, comme
des douleurs physiques que la pression la plus légère
augmente. Enfin, on voit des sensations illusoires spé-
cialesdansunefoule de sens spéciaux ou de parties qui
sentent tout autrement les unes que les autres, des vi-
sions de brouillards dans les ophthalmitessans opacité,
des sensations de bruits divers dans les otites, des
sensations d'odeurs dans les naritcs ou coryzas, etc.
(v. Path. génér.^ p. 17 6 et suiv.).
Augmentation de la chaleur Locale. — • L'augmentation de
9
18 CHAPITRE I.
la température est un phénomène incontestable, mais
beaucoup plus sensible pour le malade que pour le
thermomètre. Cependant cet instrument appliqué sur
un point enflammé accuse réellement une élévation
de chaleur, mais qui ne dépasse pas un à deux degrés.
Suivant MM. Andral et Gavarret, la température des
parties extérieures phlogosées ne s'élève pas au-
dessus de celles des parties intérieures à leur état
normal. D'antres observateurs, M. H. Roger par
exemple, qui a fait beaucoup de recherches à cet
égard, croient que la chaleur peut s'éliever à plu-
sieurs degrés. Le phénomène dont il s'agit est très-
bien senti par la main de l'observateur, mais comme
l'a fait observer Hunter, la température de celle-ci
est très-variable , Fappréciation ne pourra donc pas
être bien rigoureuse. Cette remarque est très-juste 5
néanmoins, la main suffit dans la pratique ordinaire.
Aussi nous avons l'habitude quand nous voulons ap-
précier avec la main la température d'une inflamma-
tion peu profonde ou extérieure, de mettre à décou-
vert la partie saine et la partie malade correspon-
dante pendant quelques instants pour en comparer
la chaleur, ainsi que nous l'avons dit. (Pathol. génér.,
p. 186.)
Sécrétions morbides Locales. — Nous avons vu qu'il se
fait des épanchements concrescibles sur les mu-
queuses, dans les séreuses, les synoviales, le tissu
cellulaire, et tous les tissus enflammés. Ces épanche-
ments sont des phlogosies, des sécrétions produites
par la partie enflammée : ils contiennent de la fibrine
et même de l'albumine, mais moins que n'en ren-
ferme le sérum du sang. (Andral, Ilématol.^p. 109, etc.)
Du sang d'ailleurs, ou seulement sa matière colo-
rante se mêle à ces fluides organisables , soit par
suite de la rupture des capillaires , soit par transsu-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 19
dation, et concourt à colorer les tissus enflammés des
teintes rouges, brunes, grises, etc. , indiquées ci-
dessus.
Symptômes locaux, fonctionnels. — Ils sont d'autant
plus importants qu'eux seuls peuvent faire distin-
guer le siège des dilTérentes inflammations intérieures
et profondes qui échappent à l'action directe des sens.
Les fonctions remplies par l'organe enflammé
sont en général 1° plus difficiles et diminuées ou
afiaiblies: 2° quelquefois suspendues et plus rare-
ment abolies-, 3° quelquefois perverties, et 4° très-
rarement augmentées. A l'aide de ces principes géné-
raux vous pouvez à peu près déterminer à l'avance
les principaux symptômes fonctionnels des inflamma-
tions et les reconnaître. En effet , quels symptômes
fonctionnels pourra-t-il y avoir dans l'inflammation de
l'ouïe? diminution de l'audition , perversion de l'au-
dition, bruits illusoires, peut-être? — précisément.
Et quoi dans l'ophlhalmite? Vue trouble, difficile, —
précisément encore. Et dans la narite ou le coryza?
Diminution, suspension, parfois perversion de l'odo-
rat 5 — c'est encore vrai. Dans une arthrite profonde?
Diminution ou impossibilité de mouvement; — vous de-
vinez toujours. Dans la laryngite? Afiaiblissement, en-
rouement de la voix, parfois aphonie. — Et dans la pha-
ryngite? Difficulté ou impossibilité de parler, d'arti-
culer les sons gutturaux , d'avaler, quelquefois de
respirer. — Dans la gastrite? Difficulté ou impossi-
bilité de digérer, indigestion et vomissement. —
Dans l'entérite? Digestion intestinale difficile, péni-
ble et souvent diarrhée. — Et dans la pneumonite?
Difficulté de respirer qui rend la respiration plus
courte et plus fréquente pour suppléer à son étendue
diminuée. — Etquoidanslesphlegmasiesséreuses? Di-
minution ou suspension de l'absorption, perversion de
20 CHAPITRE I,
l'exhalation devenue coagulable, plastique ou orga-
nisable, mais pas d'augmentation d'exhalation dé-
montrée 5 puisqu'il y a diminution ou suspension cer-
taine de l'absorption et que cette lésion suffil pour
expliquer les épanchements séreux. — Dans les phleg-
masies des organes circulatoires, cœur, artères, veines
et capillaires? Difficulté, diminution ou arrêt mo-
mentané et parfois définitif de la circulation, dans
un point de l'appareil circulatoire. — Quoi dans les
phlegmasies cutanées ou dermites? Une perversion
des fonctions de sentir et d'exhaler plutôt qu'une
augmentation. — Dans les phlegmasies des mu-
queuses? D'abord une diminution, puis une perver-
sion de sécrétion muqueuse qui commence par être
claire et ténue pour devenir jaune et épaisse; — dans
les phlegmasies glandulaires? La sécrétion sera di-
minuée ou suspendue dans le rein , et ce fait y sera
plus facile à apprécier que dans les autres glan-
des, etc. Eh bien! c'est précisément ce qui arrive
dans tous ces cas, vous voyez donc que ces principes
généraux vous donnent la clef des plus importants
symptômes fonctionnels, et vous initient aux faits les
plus féconds du diagnostic des inflammations internes
et profondes.
Phénomènes microscopiques. — Aux suppositions très-
probables de l'obstruction des capillaires engorgés par
le sang et déduites de l'observation directe des sym-
ptômes des phlegmasies , ont succédé des observa-
tions microscopiques qui l'ont prouvée. Wilson Philip
a démontré par des observations de ce genre sur les
animaux à sang froid et a sang chaud que les vaisseaux
capillaires sont dilatés , ce qu'il attribue à leur fai-
blesse -, que le cours du sang est retardé dans ces vais-
seaux; que les pulsations des gros vaisseaux d'où
viennent les capillaires sont augmentées , ce qu' il
DE L INFLAMMATION EN GENERAL. 21
explique par raceroissement de leur activité, quoique
cela sait probablement l'effet mécanique de l'obsta-
cle que l'engorgement des capillaires oppose au dé-
gorgement des gros vaisseaux par ces capillaires,
(Allen dans S. Coop., p. 8, t. II.) Si la résolution de
l'inflammation survient, l'engorgement et les autres
phénomènes se dissipent. (S. Cooper, Dict. injlammat.,
p. 8.) Thomson a cherché, par l'expérience, à con-
naître l'action d'une foule d'influences sur la circu-
lation de la patte d'une grenouille. En y appliquant
divers agents , il vit les artérioles se contracter diver-
sement et souvent à diverses reprises, trois ou quatre
fois dans un quart-d'heure, et moins de deux minutes
après une application d'ammoniaque, par exemple.
Une irritation mécanique avec la pointe d'une aiguille
a quelquefois réussi à faire contracter les vaisseaux
sans causer la moindre agitation à l'animal. Une so-
lution de sel les fait dilater. (Thomson, Traité de l'infl. ,
trad. en franc., p. 56-58; (82'7.)
Un autre auteur anglais, Ch. Hastings, dans le but
de vérifier les recherches de W. Philip et de Thom-
son, s'est livré à des études microscopiques qui ont
éclairci la question. Il a reconnu que certains sti-
mulus, appliqués sur les parties vivantes, accélèrent
le mouvement du sang et provoquent la contraction
des vaisseaux sanguins; la partie devient alors plus
pâle. En continuant l'action de ces stimulus, les petits
vaisseaux se dilatent^ admettent un sang moins fluide,
plus rouge, qui perd son apparence globuleuse et qui
se meut beaucoup plus lentement qu'à l'état normal. Si
l'on cesse, il faut quelque temps pour que les vais-
seaux recouvrent leur contractilité et résistent à
l'effort du sang lancé par le cœur. Si le stimulus est
très-violent, il y a dilatation et ralentissement du
cours du sang, sans excitation préalable.
22 CHAPITRE I.
Lorsque la résolution survient, les vaisseaux di-
latés se contractent, ils reçoivent un sang plus fluide,
contenant de plus petits globules, presque incolores 5
et ce liquide se meut bientôt avec la même régula-
rité qu'avant l'inflammation. Si l'inflammation con-
tinue, le sang s'arrête, devient très-rouge; les vais-
seaux restent dilatés. La gangrène peut alors se ma-
nifester. Dans ce cas, la partie se ramollit, le sang y
est immobile, il prend une teinte jaunâtre ou brunâ-
tre, et la partie morte tend à se séparer de la portion
vivante. (S. Cooper, p. 9.) Gruitliuisen a confirmé en
partie ces observations par des recherches analogues.
Kaltenbrunner (Expérimenta circa stat. sang ^ etc.;
Munich, 1826, et Répert. génér. cl'anat. et de pliys.-,
1827, t. IV, p. 201) distingue l'un de l'autre les deux
étatssuivants : VCongestion. — Il y reconnaît trois pé-
riodes : celles d'accroissement, d'état et de déclin.
Dans la première, qui est précédée d'un temps d'incu-
bation entre l'application du stimulant et la manifesta-
tion des accidents, le sang afflue vivement vers la
partie irritée; le cours du sang est accéléré, le cali-
bre des vaisseaux agrandi -, leurs parois sont tendues,
le sang conserve sa couleur vermeille, même en pas-
sant dans les veines ; les globules s'accolent et for-
ment de petits grumeaux qui pénètrent dans les vei-
nes; le parenchyme de la' partie est tuméfié; ses
fonctions, l'absorption surtout, sont suspendues.
Dans la période d'état, les choses restent au même
point; dans le déclin on voit l'accumulation du sang
et sa rapidité diminuer peu à peu, de la circonférence
au centre, et tout disparaît. Il y a quelquefois alors
ce que Kaltenbrunner appelle une crise, c'est l'exha-
lation par saccades d'un fluide sanguin ou séreux
hors des vaisseaux capillaires.
2° Inflammation. — Sa marche est partagée aussi
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 23
en trois périodes, précédées d'un temps d'incubation
pendant lequel se passent les phénomènes immédiats
dus à l'application du stimulant, et que les auteurs
anglais ont cru appartenir aux premiers temps de
l'inflammation. L'incubation terminée, au bout d'un
temps variable , quelquefois plusieurs heures, com-
mence la période d'accroissement; le sang afflue,
son cours s'accélère comme dans la congestion 5 puis,
vers le centre, il se ralentit, oscille irrégulièrement
dans divers points et finit par s'arrêter; il stagne dans
les vaisseaux dont les parois semblent relâchées.
Quand la phlogose est un peu étendue, il y a plu-
sieurs foyers de stagnation, et, àl'entour, la circula-
tion est plus rapide 5 la persistance des stases cons-
titue la période d'état. C'est alors que le sang peut
être diversement altéré , que du pus peut se former,
la gangrène survenir. Si ces accidents n'ont pas lieu,
commence le stade de déclin ; la circulatior^ se ra-
lentit vers la circonférence , les vaisseaux se désem-
plissent; aux environs des stases, un liquide sangui-
nolent ou séreux est rejeté par saccades plus ou
moins répétées : c'est la crise qui, exceptionnelle dans
la congestion, est constante dans la phlegmasie. Alors
les foyers de stagnation se dégorgent peu à peu, mais
les vaisseaux y demeurent relâchés pendant quelque
temps, et les dépôts de la matière critique y forment
une certaine tuméfaction.
Lorsque l'irritation locale gagne tout le système
circulatoire, c'est la. fièvre : la. fièvre n'est, suivant
Kaltenbrunner, que le phénomène de la congestion
généralisé. Il constate que des foyers inflammatoires
se forment très-souvent pendant la durée de cet
état.
Suivant Koch, dont le travail a été analysé dans les
Archives générales de n7édecine (t. III, p. 608, 1833,
2 k CHAPITRE I.
2* série), pendant la stase il y aurait dissolution des
globules : Koch, comme Kallenbrunner, comme Has-
tings, a reconnu qu'un stimulant nouveau ou plus
énergique peut rétablir la circulation et faire dispa-
raître Tengorgement; mais bientôt apparaissent de,
nouveaux phénomènes d'inflammation (stase, etc.)
quelquefois plus étendus. Dans ses leçons sur les Phé-
nojnènes physiques de la vie (t, III), M. Magendie a mon-
tré que le sang ne converge vers un point irrité que
lorsqu'un vaisseau capillaire étant ouvert il y a moins
de résistance en ce point.
M. Dubois d'Amiens (v. Préleçons, de patli. expérim.^
in-8, 1841) confond les phénomènes microscopiques
de la congestion et ceux de l'inflammation, qu'il réunit
sous le titre commun d'hypérémie capillaire. Il ré-
sulte de ses observations que quand une congestion
ou une inflammation tend à s'établir dans une partie
quelconque, il y a d'abord, mais non toujours^ une ac-
célération notable dans les courants capillaires 5 puis,
dans tous les cas, un ralentissement de plus en plus ma-
nifeste : bientôt surviennent une rémittence, des pro-
pulsions saccadées, puis des intermittences, des temps
d'arrêt dans la circulation ; viennent ensuite des mou-
vements alternatifs de progression et de recul, des
oscillations qui vont en s'afî'aiblissant ; enfin, il y a sta-
gnation complète , cessation absolue de tout mouve-
ment dans le système capillaire. A mesure que le ra-
lentissement se prononce, les globules d'abord, espa-
cés par du sérum, se rapprochent les uns des autres;
ils se tassent, pour ainsi dire, et cela avec d'autant
plus de facilité qu'ils sont plus aplatis. M. Dubois n'a
jamais vu, dans l'état de congestion le plus prononcé,
que les petits courants se laissassent pénétrer par
plusieurs globules de front. Quant à tout ce qu'on a
dit sur de petits capillaires à fluides blancs qui ad-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 25
mettraient alors des fluides rouges, ce sont là de pures
imaginations. Le sérum qui séparait les globules trans-
sude probablement hors des conduits et pénètre dans
la substance interposée 5 de là, sans doute, l'œdème
qui accompagne si souvent les congestions actives ou
passives. Enfin, des îlots de substance animale, na-
turellement limités par les courants réticulés, ten-
dent à se confondre avec ceux-ci par le fait d'un
ramollissement; c'est ce ramollissement qui est le cri-
térium du travail phlegmasique.
Dans un ouvrage récemment publié (Physiologie pa-
thologique^ 2 vol. in-8, 1845), et qui est consacré à des
recherches microscopiques , M. le docteur Lebert a
étudié avec soin le phénomène qui nous occupe, et il
est arrivé à peu de chose près aux mêmes résultats
que Kalteubrunner. Il reconnaît qu'au début, la cir-
culation est accélérée, et que le calibre des vais-
seaux semble rétréci; que bientôt le sang se ralen-
tit, que les vaisseaux se dilatent, et que le sang
s'arrête. Alors les globules s'accumulent, le sérum
qui les entoure se coagule 5 celui qui tient en sus-
pension la matière colorante transsude par les ca-
pillaires. Ce liquide renferme une certaine quantité
de fibrine qui se coagule, colle ensemble les parties
lésées, etc. Ce dernier résultat concorde avec celui
de Kalteubrunner, sur ce que cet auteur appelle les
crises. Souvent ce liquide a une teinte rougeâtre due
à la solution de la matière colorante du sang, qui
transsude des capillaires sans globules sanguins; sou-
vent aussi il y a rupture d'un certain nombre de vais-
seaux capillaires, et il se forme, de petites hémorra-
gies avec épanchement de globules du sang ronds et
très-petits {pi. i,fig. 1). M. Lebert regarde la des-
truction de capillaires oblitérés, engorgés et Informa-
tion de nouveaux vaisseaux comme l'un des phénomènes les
26 CHAPITRE I.
plus constants de l'inflammation. Leur formation est tou-
jours centrifuge, c'est-à-dire que les nouveaux vais-
seaux ne peuvent provenir que de ceux qui existent
déjà. C'est, suivant l'auteur, une erreur de croire que
des vaisseaux se formeraient d'une manière tout à fait
indépendante de la circulation dans les produits mor-
bides et ne s'aboucheraient que plus tard avec les
vaisseaux de la circulation générale. Ces vaisseaux
destinés à remplacer ceux que l'inflammation a obli-
térés se forment de deux manières; soit par la dila-
tation de canaux très-petits qui, dans l'état normal,
n'admettaient pas les globules sanguins; soit par Ja
formation de canaux latéraux. Indépendamment de
ces phénomènes microscopiques, M. Lebert a décrit
en dehors des capillaires, dans les tissus enflammés,
et comme s'y étant formés dans les fluides transsu-
dés ou sécrétés, les globules granuleux {pi. 1, fig. 3),
qui sont au moins huit ou neuf fois plus gros que ceux
du sang, sphériques. Ils paraissent remplis de gra-
nules moléculaires que l'on trouve aussi en abondance
dans les fluides oîi se font formés les globules granu-
leux. (Lebert, t. I, p. 6-32.)
La cause du travail inflammatoire paraît être une
irritation. A-t-elle le pouvoir d'attirer les fluides au-
tour du point oii elle existe, même contre les lois
de la circulation, de manière à justifier le célèbre
aphorisme ubi stimulus, ibi Jluxus? C'est ce que beau-
coup d'expériences semblent démontrer. Cependant
M.Dubois (d'Amiens) fait aussi observer, après M. Ma-
gendie (Leç. sur les phén. physiq,, t. III), que quand
on pique une partie soumise au microscope sans léser
aucun capillaire, il y a accélération de la circulation,
mais uniforme dans tous les points de la partie obser-
vée, et que si l'on vient à ouvrir un capillaire avec
l'instrument on voit réellement affluer de toutes parts
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 27
les globules vers le point lésé. C'est, dit M. Dubois, un
phénomène tout à fait mécanique, ie sang afflue la où
il trouve moins de résistance : les globules sortent
par la petite plaie, puis bientôt se coagulent, font
obstacle au cours du sang et il survient des phéno-
mènes de congestion ou d'hypérémie.
Bien d'autres observateurs encore, qu'il serait trop
long de citer, se sont occupés de cet intéressant su-
jet, sans jamais tomber parfaitement d'accord. Nous-
même aussi l'avons étudié, mais nous ne sommes
point encore assez satisfait de nos observations pour
les publier. Tout ce que nous croyons pouvoir en dire
c'est que la science des phénomènes microscopiques
de l'inflammation n'est pas achevée et réclame de
nouvelles études.
Symptômes circonvoisins. — Nous avons vu, dans la
pathologie générale, combien de symptômes de voi-
sinage s'observent dans chaque région du corps; nous
voulons montrer ici que les phlegmasies de certains
tissus s'accompagnent fréquemment de certains
symptômes circonvoisins qu'une haute généralisation
de l'inflammation ne doit pas laisser échapper sous
peine d'être légitimement accusée d'aveuglement.
Les symptômes de voisinage sont, comme les phé-
nomènes locaux, des troubles de sensation, des dou-
leurs 5 de circulation ou de rougeur; de chaleur-, de
sécrétion œdémateuse ou plastique dans les tissus, et
des altérations des fonctions spéciales aux organes
malades, qui se propagent de proche en proche, aux
parties voisines, à une distance plus ou moins consi-
dérable. Développés à un degré modéré d'intensité,
ces phénomènes sont des symptômes qui se dissipent
avec la guérison de la maladie dont ils sont l'eifet. A
un degré plus élevé, ils constituent l'inflammation la
mieux caractérisée, une inflammation d'abord dé-
28 ' CHAPITRE I.
pendante de la phlegmasie primitive , mais bientôt
indépendante, essentielle, vivant par elle-même, de
sa propre souffrance, quoique pouvant être encore
influencée par l'inflammation première qui l'a engen-
drée et qu'elle influence à son tour par voisinage.
Descendons dans les faits particuliers pour y pui-
ser les preuves de ces assertions générales. Elles sont
si communes que nous ne sommes embarrassés que
du choix des exemples et que nous serons obligé de
nous restreindre.
Les inflammations de voisinage s'observent surtout
dans l'érysipèle, dans les phlegmasies des muqueuses
des paupières, de la bouche, de la gorge , de l'anus,
de 1 urètre, de l'utérus, de quelques séreuses, des
synoviales, des os, etc., où elles donnent lieu à des
inflammations, à des phlegmons de voisinage qui se
terminent souvent par des abcès sous-cutanés des
paupières, des alentours de l'oreille, des joues, de la
région sous-maxillaire, des environs de l'anus, du
périnée, du bassin, des abcès sous-pleuraux, péri-
synoviaux ou périarticulaires et périostaux. Nous re-
viendrons un peu plus bas, à l'occasion des abcès, sur
ces abcès circonvoisins, que nous ne pouvons décrire ici.
Voilà donc de nombreux et graves exemples d'inflam-
mations circonvoisines qui souvent l'emportent sur la
phlegmasie première, après avoir été déterminées par
elle.
Par suite de la continuité de tous les vaisseaux les
uns avec les autres et du sang qui les remplit plus ou
moins 5 par suite de l'action de la partie enflammée
qui se comporte sous ce rapport comme un organe
particulier, la masse du sang entière s'altère graduel-
lement et rapidement.
État du sang dans les inflammations. — Nous avons
déjà indiqué dans la pathologie générale ( 1. 1, p. 121)
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 29
l'ensemble des recherches modernes sur l'état du
sang dans les inflammations. C'est dans les phleg-
masies que paraît se rencontrer la modification du
sarig la plus constante et la mieux connue. Je veux
parler de l'augmentation de l'un de ses éléments, la
fibrine. On l'observe toutes les fois que l'inflamma-
tion est assez intense pour déterminer un mouvement
fébrile. Elle ne se montre point avant l'inflamma-
tion 5 mais elle paraît en même temps que la fiè-
vre, c'est-à-dire quand la lésion locale s'est déjà
manifestée , et disparaît avec la fièvre , bien que
les altérations locales persistent encore quelquefois.
Dans l'état normal, la proportion de fibrine est de
2,50 a 3, au plus 4, sur 1,000 parties de sang. Suivant
M. Andral, chez l'homme, la fibrine, dans une inflam-
mation aiguë bien établie, oscille ordinairement entre
les chiffres 6 et 8 ; elle s'élève dans un moins grand
nombre de cas, entre 8 et 9 ; et enfin plus rarement
encore elle dépasse ce dernier chiffre, pour arriver
graduellement jusqu'à 10 et demi, chiffre qui a été
jusqu'à présent le plus haut qu'il ait trouvé, en fibrine,
dans les phlegmasies. {Hématologie pathologique, p, 84.)
11 ajoute, même : « Quant aux cas dans lesquels la
fibrine n'atteint pas le chiffre 5, ils sont relatifs à des
phlegmasies aiguës encore peu prononcées, et qui
commencent à peine, ou qui ont fort peu d'intensité
et d'étendue -, alors il peut arriver que la fibrine des-
cende de 5 jusqu'à 4 et demi et quelquefois même
jusqu'à 4; mais à ce dernier chiffre se trouve la limite
la plus inférieure possible et comme exceptionnelle de
la quantité de fibrine dans l'état phlegmasique aigu
ou subaigu. (IbicL, p. 85.) » Cet abaissement du chiffre
de la fibrine se rencontre encore dans les phlegmasies
survenues d'une manière intermittente, chez des in-
dividus atteints de maladies dans lesquelles la pro-
30 CHAPITRE I.
portion de fibrine diminue. C'est ce qui arrive pour
la fièvre typhoïde. Les affections dans lesquelles on
a trouvé la plus forte proportion de l'élément fibri-
neux sont la pneumonie et le rhumatisme articulaire
aigu. L'augmentation absolue de la fibrine au-dessus
de son chiffre normal donne lieu à la couenne du sang
caillé, dite inflammatoire, parce qu'elle est un caractère
d'inflammation. Quant aux globules, leur quantité ne
change pas dans les phlegmasies et ne les influence
pas. Si leur chiffre diminue, ce n'est pas par la ma-
ladie, mais par la saignée, la diète, etc. Ils n'in-
fluent pas non plus sur la quantité de la fibrine. Dans
l'anémie, la chlorose, oii le chiffre des globules des-
cend de 127 à 27, les phlegmasies sont aussi fréquen-
tes que lorsqu'il est à 127, son état normal. Et si la
couenne se forme dans l'anémie et la chlorose, c'est
parce qu'il y a augmentation de la fibrine relativement
aux globules.
D'après les recherches de MM. Becquerel et Ro-
dier, la proportion d'albumine contenue dans le sang
diminue 5 et cette diminution, chose fort remarqua-
ble, est en rapport avec l'augmentation de fibrine, de
telle sorte que les deux chiffres ainsi modifiés en sens
inverse, étant additionnés donnent pour résultat une
somme à peu près égale à celle de ces deux principes
à l'état normal. Ce fait porterait ces auteurs à penser
que la fibrine n'est autre chose que de l'albumine
modifiée, et que cette transformation s'accomplit
avec plus de facilité sous l'influence d'un travail
phlegmasique. MM. Becquerel et Rodier signalent
encore, comme phénomène assez commun, une aug-
mentation dans la proportion de cholestérine qui,
dans certains cas, serait doublée. Quant à la diminu-
tion des globules dont parlent ces deux auteurs, ils
l'attribuent eux-mêmes soit aux maladies g^raves dans
DE l'inflammation EN GÉNÉUAL. 31
lesquels ils l'ont rencontrée, soit au traitement débi-
litant qui avait été mis en usage.
Symptômes sympathiques. — C'est la fièvre sympathi-
que déjà signalée plutôt que décrite, page 86 de la
Pathologie générale. Ce sont en outre quelques symp-
tômes variables qui s'y joignent sans en faire rigou-
reusement partie, mais qu'on peut sans inconvénient
laisser confondus avec ceux de la fièvre et ne point
chercher k séparer. Il y a un malaise général qui est
un trouble de sensation; souvent aussi, d'abord, une
sensation de froid avec sécheresse de la peau et
frissonnement pénible, mais ordinairementbien moins
prononcés que dans les accès des fièvres intermit-
tentes, et en outre une sensation de faiblesse qui dé-
rive de la faiblesse musculaire ; parfois quelques
bourdonnements d'oreilles, quelques éblouissements,
quelques sensations de tournoiement , de balance-
ment, phénomènes de sensations permorbides. Le
sommeil alors est rarement intact; il est ou plus lourd
ou plus léger, l'intelligence est incapable d'une at-
tention soutenue ; le visage a perdu de sa gaieté
naturelle, mais il n'est pas triste, il est sans émo-
tion , il est calme, si le malade ne souffre pas. La
musculation a perdu de sa force et de son acti-
vité. L'appétit est diminué, quelquefois nul, la soif
plus ou moins intense, la digestion stomacale gênée,
les selles sont rares ou liquides ; la circulation est accé-
lérée , et le pouls d'autant plus fréquent, en général,
que l'inflammation est plus intense. La chaleur ani-
male est généralement plus élevée, et a succédé aux
frissons momentanés indiqués plus haut. La peau est
habituellement moite ou humide sous l'influence de
la chaleur fébrile qui, comme la fièvre, est ordinaire-
ment continue, mais avec des exacerbations irrégu-
lières. Souvent alors les urines sont troubles et bri-
32 CHAPITRE I.
quetées. La piiissaoce génératrice est ordinairement
défaillante, et son inaptitude est en général, comme
tous les autres effets sympathiques, proportionnée à
l'intensilé de l'inflammation.
Cependant cette fièvre et ces symptômes peuvent
manquer. C'est ce qui s'observe dans les inflamma-
tions légères, de peu d'étendue et très-circonscrites.
Ainsi une multitude de petites inflammations trau-
matiques, la plupart des ophthalmies et même des
ophthalraies graves qui entraîrfent le ramollissement
de la cornée, la perforation de l'œil, et la perte de la
vue, existent sans fièvre. Dans d'autres inflamma-
tions plus étendues, mais peu intenses, subaiguës ou
chroniques comme les pleurésies latentes, la fièvre
peut manquer généralement ou ne se manifester qu'à
certaines heures, le soir, pendant la nuit, etc., et si
on ne visite pas les malades à cette époque, la fièvre
peut rester méconnue.
Marche. — Les inflammations sont quelquefois pré*
cédées d'une fièvre d'invasion. On l'observe surtout
lorsqu'elles sont ou paraissent être spontanées; mais
des phlegmasies causées par le froid, comme une
pharyngite, une pleurite, une pneuraonite, sont même
souvent précédées de frisson et de fièvre d'invasion.
Les phénomènes locaux se succèdent en général
assez rapidement : la douleur éclate ordinairement
la première-, elle est promptement suivie delà rou-
geur, dont la manifestation est apparente dès les pre-
miers moments sur les parties' extérieures ou sur les
parties internes, visibles de l'extérieur, les amygda-
les et le pharynx, par exemple. Dans certains cas, la
congestion sanguine se montre avant la douleur et
les autres accidents. C'est ce qui a lieu dans les hy-
postases ou inflammations par déclivité. La chaleur
apparaît en troisième lieu. Souvent aussi ces syraptô-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 33
mes semblent se montrer en même temps, souvent
même avec !e caractère anatomique du gonflement
qui n'est pourtant bien apparent que lorsque l'afflux
sanguin est devenu assez considérable pour augmen-
ter le volume de la partie affectée. Alors aussi l'aug-
mentation de consistance et de tension se manifestent.
Le ramollissement ou l'induration viennent plus tard.
Les troubles fonctionnels se font apercevoir en
môme temps que les accidents locaux, ou peu après.
Soit une angine : la gêne de la déglutition se pro-
duit en même temps que la douleur, la rougeur. Les
symptômes de voisinage ne se montrent pas toujours ;
mais comme leur groupe n'a pas frappé les observa-
teurs, pent-être ces phénomènes sont-iîs plus fré-
quents qu'on ne serait tenté de le croire. Cessymptômes
consistent, dans des congestions sanguines, de la dou-
leur et autres accidents phlegmasiques qui s'obser-
vent au voisinage delà partie primitivement affectée.
Il peut même survenir plus tard de la suppuration.
Quant aux symptômes sympathiques ils se montrent
dès que les autres prennent un peu d'intensité. Leur
accroissement à tous est plus ou moins rapide. Leur
progression est ordinairement continue, mais elle
offre souvent des exacerbations qui ont lieu à certai-
nes heures, le soir. Des médecins prétendent même
avoir observé des inflammations intermittentes. Je
crains'bien qu'ils n'aient pris des fièvres intermitten-
tes avec phénomènes inflammatoires symptômatiques
pour des phlegmasies intermittentes. Je discuterai ces
faits plus loin à l'occasion du diagnostic.
Durée. — Elle est trop variable pour en rien dire
de général; tantôt elle est véritablement éphémère
et dure à peine vingt-quatre heures; d'autres fois,
elle se prolonge pendant plusieurs semaines; ses
symptômes sont intenses et elle est aiguë; d'autres
3
3h CHAPITRK I.
fois les symptômes sont peu intenses et la marche est
plus longue et subaiguë; d'autres fois, les symptômes
sont moins intenses encore, la durée est plus longue
et la maladie est chronique.
Terminaisons. — L'inflammation peut se terminer par
résolution, par délitescence, par métastase, par une
crise, devenir aiguë, subaiguë, chronique et récipro-
quement, ou devenir soppurative, ulcérative, atro-
phiante, hypertrophiante, adhésive, rétractive, in-
durante , ramollissante , gangreneuse. Enfin , elle
peut offrir simultanément ou successivement plu-
sieurs de ces caractères et de ces formes et entraîner
la mort.
î° Terminaison par résolution, — Disparition graduelle
de tous les symptômes, à peu près dans un ordre in-
verse à celui do leur apparition. Cette terminaison
est la plus sûre et la plus heureuse. — Le microscope
nous apprend que pendant la résolution la circulation
se rétablit dans les parties enflammées-, que les vais-
seaux restent , d'abord , dilatés et imparfaitement
remplis par le liquide qui les parcourt-, que les dé-
pôts de la lymphe plastique sont graduellement ré-
sorbés.
2° Terminaison par délitescence. — Quand les accidents
inflammatoires d'un érysipèle, d'un rhumatisme ar^
ticulaire inflammatoire, d'un accès de goutte articu-
laire, disparaissent dans l'espace de quelques* heu-
res sans accident, on dit qu'il y a délitescence. Il est
rare que la délitescence survienne quand l'inflamma-
tion a déjà duré assez de temps pour causer un en-
gorgement et des altérations matérielles considéra-
blés. Elle est, en général, moins favorable et inspire
moins de sécurité que la résolution, parce qu'on ne
sait pas d'abord, si ce n'est pas une métastase. Tan-
tôt !a délitescence est spontanée, tantôt elle résulte
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 35
de l'action de certains médicaments appelés réfrigé-
rants ou répercussifs,
3° Terminaison par métastase. — Dans ce cas, l'inflam-
mation disparaît brusquement, comme dans le cas
précédent 5 mais, tandis que dans la délitescence la
santé suit, il n'en est pas de même ici. Une affection
nouvelle se déclare sur un point plus ou moins éloi-
gné. Je dis un'te affection nouvelle, car ce n'est pas
toujours une inflammation, bien que, dans la plupart
des cas, la nouvelle maladie soit de même nature que
celle qui avait disparu. C'est, comme on le voit, une
conversion de la phlegmasie en une autre affection.
Il n'est pas rare, non plus, de voir un érysipèle de
la face s'éteindre complètement, puis îouL à coup sur-
venir une méningite mortelle. La métastase est quel-
quefois naturelle -, d'autres fois elle est provoquée :
c'est dans ce sens qu'agissent les répercussifs. D'au-
tres fois .la métastase a lieu sous l'influence d'un
traitement rationnel. J'ai vu , dans le temps de mes
études médicales, mourir d'une affection aiguë de
poitrine un enfant de quinze ans. 11 portait d'abord
à l'un des genoux un rhumatisme articulaire aigu, qui
avait brusquement disparu sous une application de
trente à quarante sangsues au genou. — Quand la ma-
ladie nouvelle est moins grave, ou attaque un organe
moins important que celle qui a disparu, la métastase
est favorable; mais dans le cas contraire, comme nous
venons d'en citer des exemples, elle est très-fâ-
cheuse.
4° Terminaison par une crise. — Si, en même temps
que cède l'inflammation, on voit survenir des sueurs
abondantes plus ou moins fétides, une sécrétion uri-
naire copieuse , plus ou moins chargée et sédimen-
teuse, une diarrhée abondante, une éruption cutanée
momentanée, un trouble phénoménal quelconque, on
36 CHAPITRE ï.
dit qU'ii y a une crise. Nous avons apprécié ailleurs
(Pathol. génér., p. 226) la valeur de ces phénomènes.
Nous parlerons plus bas des formes aiguë, subaiguë,
chronique, suppurative, ulcérative, adhésive, rétrac-
tive, que l'inflammation peut revêtir dans sa marche
ou en lesquelles elle peut se convertir. Elle est d'ail-
leurs atrophiante quand elle entraîne ramincissement,
la diminution des tissus sans les ulcérer, sans y
produire de solution de continuité ; hijpertrophiante
quand, au contraire, elle les épaissit et en accroît
la substance. Elle est enfin indurante quand elle en
augmente la consistance, ramollissante quand elle la
diminue. Elle peut même les rendre /nai;/es sans les
ramoliir, et même en les rendant plus résistants,
comme nous l'exposerons à l'article spécial que nous
voulons consacrer à l'inflammation rétractive. parce
que cette affection est peu ou mal connue.
La mort survient assez souvent dans les phlegma-
sies très-graves , très-étendues , accompagnées de
phénomènes réactionnels très-considérables ou inté-
ressant des organes essentiels à la vie. Il est par-
fois possible d'en comprendre le mécanisme ; mais
quelquefois il est inexplicable. Ainsi on conçoit très-
bien que, dans une pneumonie double, la gêne de
l'hématose devienne si grande que la mort par as-
phyxie en soit le résultat. On le conçoit encore dans
les phlegmasies croupales ou couenneuses qui ob-
struent le passage des conduits aériens-, dans les
péritonites étendues, dans les méningites, les encé-
phalites, oîi les grandes fonctions de l'innervation
sont violemment troublées ; dans les phlegmasies chro-
niques, avec sécrétion purulente abondante, qni amè-
nent des pertes incessamment répétées et l'épuise-
ment par consomption. Mais la mort qui survient dans
certaines phlegmasies peu étendues ne se comprend
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 37
pas, et il j a beaucoup de cas de ce genre. Ce sujet
est donc un point de recherches important.
Des influences qui peuvent modifier l'inflammation. — Deux
âges extrêmes, l'enfance et la vieillesse, aggravent
les phlegmasies et rendent mortelles les plus légères.
11 me paraît impossible de rien dire de précis sur
l'influence du sexe et du tempérament. Au reste,
toutes les causes capables de produire l'inflamma-
tion sont susceptibles de l'aggraver en agissant pen-
dant son cours.
Diagnostic. — Il n'est pas difficile lorsque l'inflam-
mation est extérieure et que la rougeur, le gonfle-
ment, la chaleur et la douleur de la partie enflammée
sont évidents. C'est plus facile encore s'il s'y joint
des troubles fonctionnels, circonvoisins, de la fiè-
vre, et de la couenne sur le sang des saignées. Lors-
que la maladie est profonde, l'impossibilité de con-
stater les quatre caractères locaux sus - indiqués
n'empêche point le diagnostic s'il y a des troubles
fonctionnels dans la partie malade et de la fièvre.
Si, au contraire, la maladie est interne, légère, très-
peu étendue, que tous les symptômes, ou à peu près
tous, viennent à manquer ou soient très-peu pro-
noncés, le diagnostic de la nature inflammatoire de
la maladie peut être douteux , même impossible. Et
remarquez bien que je ne dis pas le diagnostic de
l'espèce 5 celui-ci peut être plus impossible encore,
si l'on peut admettre des degrés dans l'impossible.
Qui n'a trouvé sur les cadavres des injections, des
ramollissements, même des ulcérations inflamma-
toires internes non- soupçonnés , faute de caractères
propres à en révéler l'existence? Qui n'a vu à la
peau de petites rougeurs inflammatoires qu'on ne re-
connaîtrait pas si elles ne tombaient sous les yeux?
Si celles-là sont sans importance, il en est qui en
38 CHAPITRE I.
ont beaucoup et qui seraient également méconnues
si elles n'étaient extérieures et visibles. J'ai cité ail-
leurs des ophthalmies conjonctivales et cornéales qui,
sans faire souffrir le malade, sans symptômes locaux
autres qu'une injection conjonctivale et de l'opacité
de la cornée, sans symptômes circonvoisins, sans
fièvre, détruisent l'œil en deux ou trois semaines.
Je crois donc qu'il y a des inflammations internes
latentes qui restent méconnues , parce qu'elles ne
sont pas visibles, et les raisons que je viens d'ex-
poser ne permettent, du moins, à personne de le
nier. En efl'et, si l'œil n'était pas un organe extérieur,
lorsqu'il est affecté des ophthalmies graves que je
viens de signaler, son inflammation échapperait au
diagnostic.
Diagnostic différentiel d'avec les pklegmasies constitu-
tionnelles, syphilitiques, scrofuùeuses , fébriles. — Ordi-
nairement, ces phlogoses sont précédées de l'affec-
tion diathésale, sont modifiées par celle-ci dans leurs
caractères, leur marche, leur durée , leur progrès,
et souvent soulagées ou guéries par les moyens qui
réussissent contre l'affection constitutionnelle plus
que parles moyens curatifs des phlegmasies locales
ou idiopathiques. Pour des raisons analogues je n'ad-
mets pas d'inflammations locales intermittentes.
Je crains, ai-je dit déjà, qu'on ait fait à cet égard
une erreur de diagnostic sur la nature et la classe de
ces maladies, et qu'on ait pris pour des inflammations
intermittentes , des fièvres périodiques accompa-
gnées de phénomènes inflammatoires symptômati-
ques de la fièvre essentielle. Comme c'est une haute
question de logique médicale et de diagnostic gé-
néral fort importante, j'en profiterai pour établir,
par un exemple éclatant, ce que je regarde comme
les vrais principes à cet égard, et pour prouver en-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 39
fin, comme je l'ai déjà dit, que, pour connaître les
faits, il ne suffit pas d'observer, il faut encore réjQié-
chir et raisonner.
Parmi les faits cités comme exemples de phleg-
masies intermittentes, je choisirai les suivants. Le
docteur Georgiadi a communiqué à M. Mongellaz
l'observation d'un cuisinier chez lequel on constata
un érysipèle bien caractérisé de la moitié droite de
la face s'étendant jusqu'au bas du cou. Il y avait
aussi fièvre intense, avec anxiété, etc. Après avoir duré
vingt-quatre ou trente-six heures, l'érysipèle se re-
produisait sous le type tierce et envahissait à chaque
accès une portion plus étendue de la face. Dans les
intervaiîes, l'érysipèle disparaissait j le malade res-
tait en parfaite santé. Il guérit par le quinquina.
(Mongellaz, Irrit. intermit.^ t. I, p. 9(5.) — Stoil a VU
UB paysan dont les yeux s'enflammaient tous les
jours, avec douleur, rougeur, etc., depuis quatre
heures précises de l'après-midi jusqu'au îendemain
matin. Le malade guérit par les vomitifs et les vési-
catoires. (Méd. prat., an. 177 3, obs. 5.) - — Un soldat
suisse était pris tous les jours, à quatre heures, d'une
violeyite ophtlmlmie de l'œil gauche, sl^qq, fièvre intense,
si peu commune dans les ophthalmies locales. L'af-
fection, durant depuis assez longtemps, il y avait
une taie au-dessus de la pupille. Guérison par le sul-
fate de quinine. (Obs. du docteur Fallot, Journal compl.
des se. méd., 1829.) On cite d'autres cas d' ophthal-
mies tierces, quartes, octanes et même annuelles
(Mongellaz, t. I, p. 78-84); un cas d'Hoffmann, tou-
chant une ophthalmie quotidienne interne qui finit
par causer une taie assez épaisse. — On rapporte,
en outre, des exemples de fluxions faciales, de co-
ryzas, de mammite, d'entérite avec le caractère in-
termittent.
llO CHAPITRE I.
Fluxions faciales. — Une dame convalescente d'une
affection catarrhale de la poitrine , frappée de l'air
froid au visage, fut prise d'une fluxion inflammatoire
à la joue droite, qui, d'abord irrégulièrement inter-
mittente, devint quotidienne au bout de quelques
jours. Vers huit heures du matin, il survenait du
malaise, de la fièvre, puis la joue droite devenait rouge,
tendue, brûlante. La douleur s'étendait à la tempe,
à l'oreille du même côté. A quatre heures, l'accès
était passé. Le sulfate de quinine amena une prompte
guérison. (Durand, Journ. comptém.^ t. XX.) — M. Las-
salvy a observé, chez une jeune femme qui allaitait,
une fluxion inflammatoire de la moitié gauche du
crâne et de la face qui se reproduisait tous les jours
à la même heure. [Ephémérides médic. de Montpellier,
1827.) — Mêmes phénomènes chez une dame con-
valescente d'une pneumonie, qui, ayant reçu l'im-
pression de l'air froid au visage, fut prise également
d'une fluxion inflammatoire de la joue droite au type
quotidien. (Journ. univ. des se. méd,^ t. XVIIL)
Coryzas. — Un homme de trente ans éprouvait tous
les jours, vers le déclin de la nuit, un engorgement
douloureux des fosses nasales et des sinus frontaux,
avec écoulement séreux abondant et douleur. Le
reste de la journée se passait tranquillement. {Journ.
de Vandermonde, t. XLVÏ.) — Deschamps fils, dans son
Traité des maladies des fosses nasales, parle d'un homme
de vingt-six ans chez lequel survenait chaque soir,
entre sept et huit heures, de la pesanteur, de la
douleur et un sentiment de sécheresse dans les
fosses nasales 5 il y avait du frisson suivi de chaleur,
avec fréquence du pouls. Le malade mouchait dans
les intervalles une matière visqueuse très-abondante.
— On a observé, à la clinique de M. Chomel, un jeune
homme de dix-huit ans qui, tous les jours, était pris,
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. ^1
à sept heures du matin, d'une douleur au-dessus du
sourcil droit, avec écoulement assez abondant des
deux narines, éternuements fréquents, élancements
passagers, douleurs à la région frontale. Cet état ar-
rivait à son plus haut point entre dix heures et midi, et
cessait vers sept heures du soir. (Lanc.fr., 1831.)
Mammite. — M. Bonnet, de Bordeaux, dans son
Traité des fièvres intermittentes, 1835, raconte l'obser-
vation d'une femme qui, après l'accouchement, fut
prise d'une mammite très-intense se reproduisant
sous le type tierce et occupant alternativement les
deux mamelles. Cette inflammation, accompagnée à
chaque accès d'une fièvre intense vainement combattue
par les émissions sanguines, puis par le sulfate de
quinine, céda, en définitive, à deux dernières appli-
cations de sangsues.
Entérite. — Le docteur Jannyot, de Coiffy-la-Ville,
a publié deux observations d'entérites intermittentes
guéries par le sulfate de quinine. Le second cas est
surtout remarquable : les accès revenaient tous les
jours à quatre heures de l'après-midi et se prolon-
geaient jusqu'à onze heures ou minuit 5 ils étaient
caractérisés par de la douleur aiguë dans le ventre,
avec fièvre, chaleur à la peau, soif vive, rougeur de
la langue à sa pointe, etc. {Journ. des conn. méd. prat.,
t. IX, p. 324.)
Les inflammations locales et idiopathiques mettent
bien plus de temps pour s'accroître et arriver k leur
maximum, et plus de temps aussi pour se terminer.
Leur accroissement comme leur terminaison ne s'ac-
complissent pas l'un et l'autre en quelques heures.
Les phlegmasies locales ne se termiaent pas aussi
souvent par résolution lorsqu'elles ont causé une fièvre
intense. La fièvre qui les accompagne ne se montre
pas ordinairement quand l'inflammation est très-lé-
42 CHAPITRE I.
gère 5 elle n'arrive d'habitude que plus tard. Elle est
même peu commune dans les ophthalmies.
La fièvre des inflammations idiopathiques ne pré-
secte pas des stades réels, des stades aussi distincts
que ceux des phlegmasies dites intermittentes, et une
intermission fébrile comparable à celle des fièvres in-
termittentes. Pour que ces inflammations puissent être
regardées comme des ajQPections locales, il faudrait
prouver que la fièvre qui les accompagnait en était
un eff'et sympathique, et par conséquent consécutif
à l'inflamoiation. Gomment un effet pourrait-il pré-
céder sa cause? Or, si ia plupart des observations
citées nous laissent dans le doute à cet égard, com-
ment ce doute démontrerait-il que les phlegmasies
étaient intermittentes? La première des histoires de
fluxion faciale est précise cependant : « 11 survenait
de la fièvre, du malaise 5 puis la joue devenait rou-
ge, etc. » Conclusion : Les faits cités n'offrent pas
d'exemples de phlegmasies locales intermittentes.
Ils ressemblent bien plus à des fièvres intermittentes
accompagnées, entre autres symptômes, de phleg-
masies diathésales ou symptômatiques , comme les
congestions de la rate, si communes dans ces fièvres,
ou comme les éruptions des exanthèmes, les inflam-
mations des follicules intestinaux dans les fièvres
typhoïdes , les phlegmasies bronchiques ou pulmo-
naires de la même fièvre. On m'objectera peut-
être que ces phlegmasies déterminent l'augmentation
de la fibrine dans le sang; mais je ne nie pas que ce
ne soient des inflammations, je dis seulement qu'elles
sont symptômatiques, constitutionnelles, fébriles, et
réclament comme la fièvre intermittente, dont elles
dépendent, le traitement antipériodique qui les gué-
rit avec la fièvre.
On reconnaît enfin l'ordre de l'inflammation aux
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 43
tissus affectés, son genre à l'organe, son espèce aux
tissus, aux parties spécialement atteintes dans l'or-
gane malade, enfin ses modes aux caractères indé-
pendants de ceux que je viens d'indiquer.
Pronostic. — 11 est nécessairement très-variable.
Tout ce que nous pouvons dire dans ces généralités,
c'est que la gravité du pronostic est en rapport avec
l'intensité et la durée de l'inflammation, l'étendue
qu'elle occupe et l'importance des organes qu'elle
affecte. L'âge très-tendre ou très-avancé, la faiblesse
native ou acquise ne sont pas non plus des circon-
stances indifférentes pour le pronostic.
Traitement. — Dans toute inflammation, la première
indication qui se présente est d'en chercher la cause,
afin de l'éloigner, si au lieu d'avoir été instantanée
elle est persistante , comme un corps étranger, un
virus introduit dans l'économie, une suppression
morbide, etc., sublata causa, toUitureffectus. La seconde
est de placer l'organe ou les organes enflammés dans
le repos le plus parfait, et même les autres organes,
si la maladie est intense et grave, afin de ne pas faire
obstacle à la tendance de la naiure à la guérison.
Ainsi, l'œil sera mis à l'abri de la lumière, l'ouïe des
sons , les articulations seront tenues immobiles et
dans une situation commode, le larynx sera con-
damné au silence. Dans les phlegmasies graves ou
étendues, accompagnées de réaction fébrile, le ma-
lade sera mis à une diète absolue, et les influences
capables d'exciter les organes seront soigneusement
écartées. Ces règles sont la diététique ou le régime des
inflammations. r
Troisièmement, il est une autre indication qui en
comprend plusieurs : il faut combattre directement
l'inflammation ou les divers éléments que représentent
ses caractères anatomiques et ses symptômes. Pour
t^[^ CHAPITRE I.
y parvenir, on a recours à des moyens divers qui
agissent snr les solides et sur le sang.
Moyens extérieurs. — lis conviennent surtout dans
les cas d'inflammation extérieure ou peu profonde;
tels sont les topiques réfrigérants, émollients, nar-
cotiques, perturbateurs. Les réfrigérants soi^ii spéciale-
ment indiqués pour resserrer les tissus, en chasser
le sang et rafraîchir leur température. Ils convien-
nent pour prévenir une inflammation imminente, à
la suite d'une entorse, d'une brûlure superficielle,
surtout au début des phlegmasies dues à une cause
extérieure, là où il y a peu a craindre de répercus-
sion dangereuse pour les viscères. Une précaution
qui peut être utile et qui avait été déjà conseillée, en
1824, par M. Tanchou, dans son Traité du froid, c'est
de commencer par des applications que l'on rend
graduellement et rapidement de plus en plus froides
jusqu'à la glace fondante. Les moyens propres à rem-
plir ce but sont les lotions , les fomentations , mais
plus particulièrement les irrigations froides. (V. Pa-
thol. cjénér.) Elles conviennent peu pour les inflamma-
tions du tronc et pour les phlegmasies profondes;
elles exposent à des douleurs consécutives, rhuma-
tismales-, sous l'influence des réfrigérants, l'inflam-
mation peut persister dans la profondeur des tissus
sans manifester son existence par des symptômes ap-
parents, et il peut se former des suppurations plus ou
moins étendues et d'autres désordres dont on est
averti trop tard, par l'accélération tardive du pouls
et la fièvre pour pouvoir s'y opposer efficacement.
Une grande prudence, et une observation attentive
et répétée sont donc indispensables dans l'emploi des
réfrigérants, quand les inflammations attaquent des
organes profondément placés. Néanmoins on a recours
à des topiques très-froids dans les inflammations en-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. ^5
céphaliques spontanées ou traumatiques, et la réfri-
gération peut et doit être portée très-ioio. On se sert
alors de glace pilée, de neige, etc., renfermées dans
une vessie de porc, ou mieux de caoutchouc, qui est
moins perméable. Souvent des lotions ou irrigations
àpeine tièdes suffisent très-bien. 11 faut, dans l'appli-
cation de ces moyens, prendre beaucoup de précau-
tions pour que le lit ne se mouille pas de proche en
proche, par imbibition, et ne gèle pas le malade. Il en
pourrait résulter des accidents, tels que bronchites,
douleurs rhumatismales, etc.
Topiques émoUients. — Ils consistent dans les fomen-
tations et les cataplasmes. On les emploie pour dimi-
nuer, par la chaleur et l'humidiié, la tension et la
douleur, et souvent ils réussissent, probablement en
diminuant la rétraction et calmant. C'est une de leurs
propriétés, que! que soit le mécanisme par lequel ils
relâchent les tissus. Leur' action favorise aussi la ré-
solution ou la suppuration. Rien de plus répandu,
de plus vulgaire que l'emploi des émoUients; ils ont
cependant quelquefois des inconvénients, soit par
leur température, soit par leur poids. Ainsi, dans
certaines phlegmasies et chez certains individus,
les émollients, par la chaleur, augmentent le gon-
flement et la douleur. C'est ce qui arrive, par exem-
ple, dans les ophthalmies. Dans les cas de ce genre,
on pourra les employer à une température plus basse,
ou se borner à l'usage de simples compresses froides
imbibées d'une décoction émolliente.
Relativement aux substances qu'il convient de
faire entrer de préférence dans la composition des
cataplasmes, nous dirons, une fois pour toutes, que
dans les inflammations externes, surtout chez les
personnes dartreuses ou dont la peau est fine et dé-
licate comme celle des femmes, il ne faut pas se ser-
46 CHAPITRE I.
vir de ia farine de graine de lin, qui a l'inconvénient
de rancir facilement et de causer des éruptions vésicu-
laires eczémateuses, surtout aux parties supérieures.
Dans ces cas, on emploie la fécule de pomme de terre
ou de riz, ou la première mêlée de farine de seigle;
on l'arrose d'eau blanche. Dans tous les cas, il faut
renouveler d'autant plus souvent les cataplasmes
que l'inflammation est plus vive , l'appareil fébrile
plus développé.
Aux topiques émollients se rattachent les bains gé-
néraux ou locaux, les injections émoUientes.
Topiques narcotiques. — Ils conviennent pour calmer
la douleur trop vive; mais il faut alors que la conges-
tion sanguine soit peu rûarquée ; car, en stupéfiant
la partie malade, on craint qu'ils ne favorisent la stase
du sang. Dans les cas oîi on les associe aux émollients,
l'on fait des décoctions de racine de guimauve et de
pavots, des cataplasmes laudanisés.
Topiques perturbants. — Tels sont les irritants , les
astringents, les résolutifs. (Voyez Pathologie générale.)
Les irritants s'emploient dans deux intentions et de
deux manières différentes : l*' dans l'idée de révul-
ser l'irritation, de l'appeler là où la substance irri-
tante a été appliquée (d'après l'aphorisme hippocra-
tique : duobus doloribus, simul obortis, vehementior obscu-
fat alierum)^ et alors cette application doit avoir lieu
à une certaine distance du mal ; 2° dans l'intention
de modifier la phlegmasie et de substituer une in-
flammation artificielle, plus facile à guérir , à l'in-
flammation spontanée. Dans ce cas, l'application a
lieu sur la partie phlogosée, sur un érysipèle, par
exemple. Ce sont là, comme nous l'avons dit ailleurs,
de véritables moyens perturbants. Ils réussissent mal
dans les phlegmasies aiguës en génçral. L'irritation
locale du vésicatoire agit avec un peu plus de succès,
DE l'inflammation ËN GÉNÉRAL. 47
appliquée à des pblegmasies chroniques, comme cer-
taines darfres, les bubons, doni ils hâtent la mar-
che et la terminaison. Enfin, depuis Celse, tout le
monde sait que les collyres excitants exercent de
temps en temps une action favorable sur les ophthal-
mies même aiguës. Les topiques irritants sont plus
avantageux dans les inflammations à marche chro-
nique; tout le monde connaît leur efficacité dans les
phlegmasies chroniques des muqueuses, oculaire,
pharyngée, urétraie, vaginale, qu'elles irritent d'a-
bord, mais dont bientôt elles diminuent la sensibilité,
et resserrent en même temps le tissu. Je m'en suis
assuré sur moi-même dans un cas d'ophthalmie, qui
céda prompteraent. Les paupières resserrées glis-
saient alors sur l'œil avec un frottement plus rude;
mais la sensibilité était engourdie.
Les astringents tiennent aux excitants et aux réfri-
gérants par leur action sur les vaisseaux capillaires.
Ils engourdissent aussi la douleur.
Aux perturbants nous pouvons rattacher les topi-
ques dits résolutifs , et en particulier les onctions
mercurielles, qui, parfois, semblent assouplir et re-
lâcher les tissus enflammés et retractés. Néanmoins
leur mode d'action n'est pas parfaitement clair! En
général les résolutifs qui, pour la plupart, appartien-
nent aux excitants, sont surtout appropriés à la forme
chronique.
2° Moijens intérieurs. — Ils consistent dans l'emploi
de tisanes, de potions, de pilules, etc. Tisanes elbois^
sons délayantes : Nous citerons comme telles les infu-
sions de mauve, de violette, les décoctions de chien-
dent, d'orge, etc., édulcorées avec du sucre, du
miel, divers sirops ou de la réglisse 5 les solutions de
gomme, de miel ou de ces mêmes sirops, la limo-
nade, etc. Ces différentes tisanes sont peu actives, et
Zf8 CHAPITRE I.
elles n'agissent que par l'eau qu'elles contiennent et
qui délaye la masse du sang, étend ses globules et
semble relâcher la tension des tissus en les pénétrant.
La préférence de l'une à l'autre est donc sans impor-
tance, il faut seulement consulter le goût, ou les dis-
positions particulières des malades; ou sait, par
exemple, qu'il est certaines personnes auxquelles les
acides donnent des maux d'estomac; chez elles on
préférera les émollients, etc. Dans beaucoup de cas,
quand il n'y a pas de phlegmasie des voies respi-
ratoires, et quand les malades le désirent, on peut
très-bien leur permettre l'usage de l'eau pure et fraî-
che qui désaltère mieux que les boissons édulcorées,
et remplit parfaitement le but que l'on se propose.
Relativement à la quantité, il faut se baser sur le de-
gré de soif des malades. Ces tisanes sont spécialement
indiquées pour calmer la soif, délayer le sang, et re-
lâcher les tissus.
Médications perturbantes internes. — Nous rangeons
dans cette catégorie, les diurétiques tels que le ni-
trate de potasse, la pariétaire, etc.-, les sudorifiques,
la poudre de Dower, la bourrache, etc.; l'hydro-
sudopathie, dont l'action peut être avantageuse dans
certains cas, surtout quand il s'agit de seconder une
sécrétion d'urines ou de sueurs, déjà naturellement
établie, et qui semble annoncer une crise favorable.
Parmi les sudorifiques, l'hydro-sudopathie qui se pra-
tique parles lotions froides sur tout le corps, l'emploi
de couvertures échauffantes après, en même temps
qu'on prend des boissons froides, est un moyen qui
ne convient pas dans les phlegmasies aiguës. — Les
purgatifs doux, tels que l'eau de sedlitz, la limonade
magnésienne, l'eau magnésienne, la crème de tartre,
sont très-fréquemment employés dans les phlegma-
sies : chez certains individus réfractaires, il faut avoir
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 49
recours à des purgatifs plus énergiques , à moins que
l'état de l'intestin n'y mette obstacle. Ils paraissent
propres à diminuer le sérum du sang, et en même
temps l'albumine et la fibrine qu'il tient en dissolu-
tion.
Parmi les moyens perturbants, je range encore les
médicaments que les théories rasoriennes désignent
sous le nom d'Iiyposthénisants. Ce sont des médications
très -énergiques et parfois très-utiles. Je citerai, en
particulier, l'émétique à haute dose, dans les pneu-
monites, dans les rhumatismes articulaires aigus, le
sulfate de quinine à dose également élevée, le nitrate
de potasse, etc.
Moyens chirurgicaux. — Ils comprennent l'élévation
et les différents modes d'émissions sanguines qui
sont les antiphlogistiques par excellence. Ils sont
spécialement indiqués pour dégorger les capillai-
res des tissus enflammés, et combattre directe-
tement la tuméfaction , la rougeur, la tension et la
chaleur par la diminution du sang; ces moyens con-
viennent dans toute inflammation un peu intense et
doivent être proportionnés à son intensité, à son acuité
et aux forces du malade.
Nous avons exposé (Pathologie générale, p, 271) en
quoi consiste l'élévation. La saignée générale convient
surtout dans les phlegmasies parenehymateuses, et
chez les sujets adultes, forts et bien constitués, dans
les cas où la fièvre est très-violente; il est bon de
l'employer dès le commencement de la maladie; on
peut, suivant les forces du sujet et l'intensité du
mal, la répéter deux ou trois fois, rarement plus,
pendant les trois premiers jours, et ces saignées peu-
vent être de 200 grammes environ, et même plus, si
ie pouls conserve de la plénitude , de la fréquence et
autant de force que dans l'état de santé.
■h
50 CHAPITRE I.
Saignées locales. — Les sangsues sont très -utiles
dans les phlegniasies extérieures médiocrement in-
tenses, chez les enfants, les femmes, les sujets d'une
complexion peu forte ; le dégorgement qu'elles pro-
duisent portant surtout sur les capillaires , il faut les
appliquer le plus près possible de la partie malade ,
dessus si l'inflammation a son siège à l'extérieur.
Dans certains cas on est obligé de les mettre à dis-
tance; ainsi, dans les phlegmasies des viscères abdo-
minaux, on les mettra sur le ventre ou à l'anus 5 les
dispositions particulières des vaisseaux mésentéri-
ques expliquent cette dernière préférence. Il est évi-
dent que le nombre des sangsues, la fréquence des
applications sont, comme pour les saignées générales,
en rapport avec la violence du mal et le degré de ré-
sistance vitale du sujet. Ou ne doit guère employer
moins de 20 à 30 sangsues chez un adulte de force
ordinaire. Après la chute des sangsues on favorise
l'écoulement du sang à l'aide de lotions d'eau tiède,
de eataplasmes émollients, etc. Les ventouses sont
destinées à suppléer les sangsues, trop souvent mau-
vaises et gorgées de sang de veau que leur donnent,
dit-on , des marchands en gros , parce qu'ils les ven-
dent au poids. On applique très-bien les ventouses
aujourd'hui, et l'on en tire beaucoup de sang; elles
sont donc très-utiles. — Les saignées locales affaiblis-
sent bien moins que les saignées générales.
Les mouchetures et les incisions sont encore des
opérations propres à dégorger et à relâcher les tissus
enflammés.
Les différents moyens que nous venons d'énumérer
et de considérer d'une manière générale, sont com-
binés dans la pratique de diverses manières, suivant
les cas et d'après des indications qui seront appré-
ciées en détail pour chaque maladie en particulier.
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 51
Leur premier effet est, en général, de produire une
diminution de la douleur et des autres accidents-, mais
il ne faut pas se tenir pour satisfait de cet amende-
ment et abandonner le malade à la nature; on conti-r
nuera l'emploi des mêmes moyens, quoique avec
moins d'activité , en surveillant attentivement le
moindre retour des accidents pour le combattre.
Dans quelques cas , la maladie marche malgré l'u-
sage habilement combiné des médications les plus
actives; dans ces cas, on ne saurait poser de règles
générales de conduite, c'est au médecin de se guider
d'après la connaissance du malade, l'appréciation
des ressources que présente sa constitution , la vio-
lence du mal, et, dans certains cas, d'après une consi-
dération attentive des conditions extérieures, saisons,
climats, constitutions épidémiques, etc.
Mais, il faut le dire, dans l'immense majorité des
cas, la force médicatrice naturelle remplissant une
fonction curative conduit à la guérison par divers-
mécanismes. Il semble que ce soit le fruit d'une
pensée intelligente et paternelle du Créateur pour
la conservation de son ouvrage. C'est ainsi que la
phlegmasie elle-même, dans beaucoup de cas, ré-
pare par ses sécrétions plastiques ou adhésives le mal
qu'elle a fait, et cicatrise les ulcérations, les abcès
qu'elle a creusés, etc.: c'est ainsi que, dans d'autre»
maladies, dans les plaies qu'elle complique , dans les
fistules, elle chasse, par la suppuration d'abord, des
corps étrangers nuisibles, et ferme ensuite toutes ces
solutions de continuité. De cette considération que
les phlegmasies tendent à guérir par elles-mêmes,
découle l'application aux inflammation^ de la médecine
txpectante qui consiste à suivre attentivement les phé-
nomènes de la maladie, à éloigner les causes qui
pourraient les aggraver, et à se tenir prêt à combattre
52 CHAPITRE I.
les accidents s'il en survient. Il est très- vrai que
quelques inflammations, les érysipèles, par exemple,
continuent très-souvent leur marche, quels que soient
les moyens qu'on leur oppose, et que d'autres dispa-
raissent parfois d'eux-mêmes sans y avoir été forcés
par une médication active; la médecine expectante
est donc fort souvent justifiée en pratique. Mais, dans
les cas graves, il ne serait pas prudent de se fier aux
seules ressources de la nature qui pourraient fort bien
trahir cette imprudente confiance, et de plus, on don-
nerait des inquiétudes au malade qui «e verrait , en
quelque sorte, abondonné par le médecin. Toutefois,
on peut adopter une activité prudente et raisonnée qui
ressemble beaucoup à l'expectation, sans laisser le
praticien complètement désarmé en présence du mal.
Historique de L'inflammation. — Cet historique se di-
vise en deux parties : l'une relative aux doctrines
ou à la pathogénie de l'inflammation 5 la seconde,
plus courte, à la thérapeutique.
1° Historique de la Pathogénie.. — Le mot inflammation
remonte à la plus haute antiquité ; on trouve déjà dans
Hippocrate les mots cpAs^y-ova;, STi:i61oytGiJ.aTa{aph. I,
sect. V, aph. 23), pour désigner les phlegmons et les in-
flammations-, Hippocrate se sert aussi du mot cpAs-yfjia
dans le même sens, bien qu'exprimant le plus ordi-
nairement la pituite ou pldegme. (V. Foës, OEcotwm.
Mipp.) Galien explique que ces mots étaient dérivés
de cp).£-yc£), je brûle, à cause de l'analogie des phéno-
mènes de l'inflammation avec ceux des brûlures. Il
dit aussi (Comment. 3, in libr. Hipp. de fract.) que les
anciens Grecs donnaient le nom de phlegmon à toute
sorte d'ardeur, et que depuis Erasistrate on ne l'a
appliqué qu'aux tumeurs dans lesquelles il y a non-
seulement chaleur, mais encore rénitence, batte-
ments, rougeur, etc.
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 53
C'est aussi à Erasistrate que remonte la première
explication connue des phénomènes de l'inflamma-
tion. Celse nous apprend (préface, p. 5) que, suivant
Erasistrate, l'inflammation nommée phlegmon par
les Grecs se produit quand le sang- passe dans les
veines destinées au pneuma (les artères). Il en ré-
sulte alors un mouvement semblable à celui de !a fiè-
vre. C'est aussi une erreur de lieu, mais diff'érente de
celle des modernes. Quant à Celse lui-même, il défi-
nit l'inflammation, avec son laconisme habituel, par
ces seuls caractères : « Notœ vero infiammationis quatuor
sunt rubor et iumor, cum calore et ardore. » (Lib. III, C. 10.)
Seul et peut-être dernier représentant de la secte
méthodique ancienne, Cœlius Aurelianus n'a nulle
part traité de l'inflammation en général; mais il ré-
sulte de l'examen des divers articles consacrés aux
phlegmasies dans son ouvrage, que pour les métho-
distes elles étaient dues à une augmentation de la
tonicité, de la tension {strictum)^ à laquelle se mêlait
parfois un peu de relâchement (laxum) quand les sé-
crétions étaient augmentées.
Galien a souvent parlé de l'inflammation -, il s'en
occupe surtout dans son Traité de thérapeutique adressé
à Glaucon. (Lib. II, c. 1 et 2.) Il la regarde comme
la plus fréquente des maladies locales, et lui re-
connaît de nombreuses différences. Là il donne essor
à son imagination pour déterminer à quelles humeurs
simples ou composées sont dues les difi'érentes sortes
d'inflammations. Le phlegmon résulte de l'afflux d'un
sang trop chaud 5 l'érysipèle de sang mêlé à de la
bile; les dartres plus ou moins vives et rongeantes
de bile à différents états de concentration et d'acri-
monie, etc., etc. Dans un e^utre endroit (ifiM. méd.,
1. X, c. 9) , il semble avoir pressenti les découvertes
des micrographes modernes , quand , parlant des
5h CHAPITRE I,
phlegmons, il établit que si le sang vient à se porter
en trop grande abondance dans une partie, les petits
vaisseaux se trouvent alors fortementdilatés et disten-
dus, et, comme ils ne peuvent contenir dit-il, tout le
sang qui y afflue, ils le laissent Iranssuder dans les
espaces qui sont entre eux, de sorte qu'il occupe tous
les intervalles laissés libres dans la trame des tissus.
Les auteurs des siècles suivants n'ont fait que repro-
duire, avec diverses modifications toutes de fantai-
sie, les Hypothèses de Galien sur l'origine humorale
des différentes sortes d'inflammations. A l'époque
de la Renaissance et au XVIP siècle, nous nous trou-
vons en présence de trois grandes théories qui peuvent
résumer toutes les doctrines pathogéniques de cette
époque, le vitalisme, la chémiâtrie, le mécanicisme.
Van Helmont doit être regardé à plus juste titre
que Paracelse comme le fondateur du vitalisme. C'est
à Varchée qu'il rapporte la cause du mouvement
fluxionnaire inflammatoire. Une épine enfoncée dans
le doigt n'échauffe pas par elle-même le sang qui
aborde alors dans le point blessé; mais elle excile le
principe vital {vitalis spiritus) de la partie. (Tract, de
febnb.^ c. II.) Suivant Stahl, l'inflammation est une
action vitale du principe agissant qui entraîne le sang
vers une région quelconque de l'économie. (Juncker,
Conspect. méd., tab. XX.)
La chémiâtrie, que nous voyons reparaître avec
des théories appropriées aux progrès de la science,
pourrait aussi être ramenée k Paracelse; mais comme
^lle doit son principal éclat à Sylvius Deleboe, c'est
à cet auteur qu'il faut nous adresser. Pour lui , l'in-
flammation se produit quand le sang s'étant accumulé
dans une région , les parties ténues et subtiles qui
dans l'état normal tempéraient les acides et les sels
du sang viennent k se volatiliser; alors ces derniers,
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 55
rendus plus acres, réagissent avec éaergie les uns sur
les autres, à l'aide des éléments huileux, déterminent
une effervescence chaude et finissent par corrompre le
sang de manière à le transformer en pus. (Syivius,
Méd. prax., lib. I, c. 40, p. 281.) Quant aux autres
chémiâtres, nous pouvons dire ab uno disce omnes.
Les idées iatro-mécaniques ne sont, eu général,
que les déductions des théories de physique générale
répandues par Descartes. La donnée commune deee
système appliqué à l'inflammation est l'obstruction, à
laquelle certains auteurs ajoutent les réactions ché-
miatriques de Syivius, d'autres de bizarres hypothèses
sur le rôle que jouent alors les pointes aiguës des
particules acides dans les tissus. (J.-B. Verduc, Path.
de chir.y t. I, p. 4 et suiv.) La théorie de l'obstruction
a été surtout développée et soutenue par l'illustre
Boerhaave, qui a mis à contribution sa brillante ima-
gination pour rechercher les différentes circonstances
qui pouvaient amener la stase du sang dans un or-
gane, par suite du passage des globules rouges, ré-
cemment découverts par Leuvenhoeek, dans des con-
duits trop étroits pour les recevoir. Nous n'avons pas
à nous appesantir sur cette doctrine, depuis long-
temps abandonnée.
A mesure que l'on se rapproche de l'époque ac-
tuelle, on voit les études sur l'inflammation prendre
un caractère plus positif et s'éloigner de plus en plus
du domaine de l'hypothèse. L'auteur qui a fait faire
le plus grand pas à l'histoire de cette maladie est as-
surément John Hunter. 11 s'est attaché à en faire con-
naître les effets, le rôle qu'elle joue dans la patholo-
gie, l'état des vaisseaux et du sang pendant sa durée.
Suivant Hunter, l'inflammation est un accroissement
d'action des petits vaisseaux d'une partie , combiné
avec un mode particulier d'action au moyen duquel
56 CHAPITRE I.
ils peuvent : 1° unir les parties du corps les unes avec
les, autres (inflammation adhésive)^ 2° former du pus
{infl. siippurative), 3° détruire quelque portion des so-
lides (infl. ulcérativù). {Treatise on the blood and inflam.)
Nous avons déjà vu que les auteurs modernes, ai-
dés du microscope, se sont surtout occupés de l'état
des vaisseaux dans l'inflammation ^ que deux hypo-
thèses principales ont été émises à cet égard. Selon
la première, V action des capillaires est augmentée. C'est la
vieille doctrine de la tonicité, le Strictum, de Thémi-
son. C'est l'effet de l'irritabilité suivant Haller; Fabre
(Essais sur diff. points de physioL^ etc., 1770); Cullen
(Méd. prat.^ 1, II, c. 2); Hunter (Treatise, etc.), ou de
l'action accrue des capillaires de la partie malade, qui
peuvent, en vertu de leur vitalité propre, changer
la circulation dans un point circonscrit. Selon la
deuxième , l'action des capillaires est diminuée. La véri-
fication expérimentale de la première doctrine a con-
duit les observateurs à une conséquence toute diffé-
rente, caractérisée par l'arrêt de la circulation dans
les capillaires, (V. pour les détails Thomson, Traité
de L'inflammation, trad. fr., 1827; Dezeimeris, Mém.
sur les découvertes, etc., Archiv. gén. de méd.^ juin 1829;
Dubois (d'Amiens), Préleçons de path. exp.^ Paris, 1841 ;
Lebert, Physiol. path.^ Paris, 1845, t. I, etc.)
Une autre idée remarquable s'est produite depuis
trente ans environ. C'est que l'engorgement et les
phénomènes inflammatoires locaux n'ont pas indiffé-
remment leur siège dans les capillaires artériels et
veineux, mais dans ces derniers. Ribes l'avait déjà
énoncée sans la généraliser pour toutes les inflamma-
tions. (V. Exposé succinct, Bullet. de la Soc. méd. d'émuL,
I8l6, p. 626, et Piech. sur la phleb., Rev. méd., 1825.)
Mais M. Cruveilhier l'a généralisée et proclamée en
1826 (Bib, med,^ t, IV), en déclarant que le système ca-
DE l'inflammation EN GÉNÉRAL. 57
pillaire veineux est le siège de toute inflammatioïi. (V. aussi
Dict. méd.^ en 30 vol., t. XII, p. 675.
Relativemeiït à Vétat du sang dans les phlegmasies,
on verra, dans les savantes notes que sir J.-F. Palmer
a jointes à son édition de Hunter (trad. de Richelot),
que déjà Hunter avait signalé l'augmentation de la
fibrine, et que depuis, Thomson (18 13), Davy(1815),
Scudamore (1824), Thaekrah (1834), avaient constaté
le même fait. MM. Andral et Gavarret {Hématologie
pathologique) n'ont pas moins le mérite d'en avoir
vulgarisé chez nous la connaissance et de l'avoir en-
touré de toutes les garauties de la science chimique
moderne. MM. Becquerel et Rodier {Gaz. méd.^ 1844)
ont continué et vérifié les recherches de MM. Andral
et Gavarret.
2° La thérapeutique de l'inflammation n'a que très-
peu varié depuis les temps d'Hippocrate jusqu'à nous.
Ainsi nous voyons que les médecins grecs traitaient
les phlegmasies par les saignées, les topiques émol-
lients ou réfrigérants, les révulsifs, et même, quant
aux réfrigérants, Hippocrate note leur utilité au dé-
but des phlegmasies. Thémison et les méthodistes
ajoutèrent l'usage des sangsues à celui des saignées
et des ventouses scarifiées. Du reste, une phrase
d'Aëtius résume très-bien les indications qui diri-
geaient les anciens dans le choix des moyens de trai-
tement : « Superflui evaciiatio, distentœ partis remissio et
inflammatœ refrigeratio {Tetrab. I,sermo,iv, c. 38). »
Nous ne pouvons terminer ces remarques sans
mentionner l'influence exercée sur la thérapeutique
de l'inflammation par deux célèbres systématiques,
Brown et Broussais. Le premier, grâce à sa complai-
sante théorie de Vasthénie indirecte, traitait par les ex-
citants la plupart des maladies réellement inflamma-
toires 5 le second, tombant dans un excès contraire,
58 CHAPITRE I.
mettait surtout en usage la méthode antiphlogistique
pure, et cela, dans beaucoup de cas, contre des affec-
tions qui n'étaient nullement phlegmasiques. Brous-
sais, malgré la singulière exagération de sa renom-
mée, a droit cependant à de justes éloges pour ses
recherches sur les phlegmasies chroniques, mal étu-
diées et trop souvent méconnues jusqu'à lui.
En définitive, les traités les plus importants à étu-
dier sur l'inflammation sont celui de Eoerhave, com-
menté par Vanswieten {Aph. de chir.^ trad. en français
par Louis, t. JII) 5 ceux de Borsieri (DeinsL med. prat.,
1785, t- I); de John Hunter {A treatise on the blood and
inflam. etc., 1794, en franc, par Bichelot); de Thomson
{Lect. on infl.^ 1813, en français par Jourdan et Bois-
seau); de S. Cooper (Z)icï. de c/zir., art. Infl.^ trad. fr.);
de Gendrin, mais avec critique {HisL anat. des inflam.,
1826); de Monneret et Fleury, dans le Compendiumde
médecine pratique, t. V.
DES PRINCIPAUX MODES DE l'iNFLAMMATION.
Si les inflammations présentent des analogies qui
permettent, de les rapprocher sous un nom commun
et générique, elles présentent aussi des difî'érences,
des modes divers qui obligent de les distinguer les
unes des autres. Les difl'érences les plus considérables
«n font des modes si distincts , qu'on les désigne
quelquefois sous le nom d'ioflammations spécifi-
ques, c'est-à-dire de phlegmasies toutes particulières.
Tel est par exemple le rhumatisme articulaire aigu,
qui est ordinairement produit par le froid, et non par
des violences traumatiques , qui aifecte plutôt les
grandes articulations que les petites, qui peut s'éten-
dre à toute l'économie et constituer une diathèse, qui
se déplace avec facilité et brusquement, qui se trouve
en général soulagé et souvent guéri par la chaleur,
DE l'inflammation CHRONIQUE. 59
mais surtout par les antiphologistiques, lorsqu'il est
à l'état aigu chez des sujets forts.
Des principaux modes de l'inflammation sons le rapport de
l'ensemble de ses caractères anatomiques , de ses symptô-
mes et de sa marche.
L'inflammation aigde ayant surtout servi de type à
ma description générale de l'inflammation , je n'en
dirai rien de plus.
inflammation chronique.
Causes. — Ce sont celles des phlegmasies aiguës,
mais agissant avec plus de lenteur et de faiblesse. Sou-
vent c'est l'inflammation aiguë même, car l'inflamma-
tion chronique succède fréquemment à la forme aiguë,
soit que celle-ci ait été mai traitée, que le malade ait
été indocile, ou qu'elle soit l'effet d'une rechute, etc.
Tous les caractères en sont moins prononcés. Parmi les
altérations anatomiques, la rougeur vive manque, la cou-
leur des tissus est violacée, grise ou brune. Les tissus
sont ramollis ou indurés, rétractés, souvent épaissis
par la lymphe coagulable, moins souples, moins ex-
tensibles et friables. Parmi les symptômes locaux, les
douleurs sont obtuses ou nulles, la chaleur est peu
développée, mais appréciable au toucher dans les
phlegmasies extérieures, lorsque la partie enflammée
a un peu d'épaisseur, d'étendue, et qu'on peut la bien
toucher. La fièvre manque souvent et ne se montre
guère que le soir ou la nuit. Ces phlegmasies sont
sujettes à revenir à l'état aigu, et alors elles peuvent
guérir. L'augmentation de fibrine n'y est pas appré-
ciable, sauf au moment des exacerbations. Elles
se terminent souvent par des dégénérations maté-
rielles graves qui causent la mort; par des ulcéra-
tions, par des amincissements, surtout dans les or-
60 CHAPITRE I.
ganes creux; par des perforations fatales; par des
hypertrophies incurables ; par des suppurations pro-
longées qui amènent l'épuisement, le marasme et la
mort, avec fièvre hectique. Elles finissent aussi par
la guérison.
Si le diagnostic d'une phlegmasie chronique inté-
rieure primitive est parfois difficile, il est plus facile
lorsqu'elle succède à une inflammation aiguë. Il l'est
plus encore lorsqu'elle dure depuis longtemps. Ses
exacerbations concourent à la démasquer. Néan-
moins, il est parfois difficile ou impossible d'en dis-
tioguer sûrement la, nature.
Le pronostic n'est cependant pas toujours très-sé-
rieux. Si la chronicité n'est pas bien établie, si les
symptômes sont peu intenses, l'étendue du mal bor-
née, et s'il n'y a pas de complication, les chances sont
favorables.
Traitement. — Le régime, quoique moins austère que
dans le cas de phlegmasie aiguë, doit être très-sévère-
ment réglé; ce sont les écarts de régime qui amènent
si souvent des recrudescences qui perpétuent la ma-
ladie. Les antiphlogistiques seront employés moins
énergiquement, plutôt localement et à intervalles
éloignés. Les révulsifs sont ici très-utiles, ils n'affai-
blissent pas le malade. Appliqués trop près, les vési-
catoires, très-bons d'ailleurs, peuvent raviver l'in-
flammation ; il faut parfois des moyens plus actifs, des
sélons, des moxas, des cautères, dont on entretient la
suppuration. Si la partie est accessible aux moyens
directs, il y a avantage à porter sur elle des agents
perturbateurs légèrement caustiques, excitants, as-
tringents, comme on le pratique dans les inflamma-
tions des yeux, du pharynx, du vagin, du col et de l'inté-
rieur de l'utérus. Quand il y a suppuration abondante
et prolongée ou affaiblissement par toute autre cause,
DE L INFLAMMATION RÉTRACTIVE. 61
les toniques et les analeptiques sont nécessaires.
Les inflammations subaigues sont intermédiaires aux
phlegmasies aiguës et aux chroniques et admises pour
exprimer toutes les nuances de l'inflammalion. Elles
sont souvent primitives; les symptômes y sont moins
prononcés que dans les premières, mais plus que dans
les secondes, la fièvre est plus fréquente. Le traite-
ment doit aussi être plus actif que dans les phlegma-
sies chroniques.
INFLAMMATION RÉTRACTïTE (rétractions, rigidités).
Les rétractions sont des inflexions, des déviations
des membres et du corps, dues à l'inextensibilité ou
au raccourcissement des tissus.
Causes. — On peut voir par la discussion de l'Aca-
démie nationale de Médecine {Bullet. de t'Acad., 1842,
p. 114, 129, loi, 178, etc.) combien on était peu
éclairé il n'y a que quelques années sur les causes
organiques des rétractions et des déviations du corps
et des membres; combien on était habitué à les attri-
buer à l'état des muscles, à leur rétraction, à un état
fibreux supposé, à une rétraction mystérieuse dont on
ne connaissait ni les caractères anatomiques, ni la
nature, sans se|douter que la cause la plus évidente
de la rétraction organi(|ue se trouvait à côté et tout
autour, dans les tissus fibreux et cellulaires, en un mot
dans les tissus blancs surtout. Aussi avons-nous été
incompréhensible lorsque, dans la discussion de la
ténotomie, nous avons avancé que les rétractions
avaient surtout leur siège dans les tissus blancs ré-
tractés (loc. cit., p. 182). En 1844, à la lecture, a
l'Académie, de notre premier mémoire sur la rétrac-
ture des tissus albuginés {bc. cit., p. 766), personne
ne demanda la parole , comme si l'on ne voulait pas
s'engager sur un terrain inconnu, comme si l'on n'a-
62 CHAPITRE i.
vait rien à dire. 11 n'en fut plus de même à la lec-
ture de notre second mémoire, le 28 avril 1848. La
vérité avait déjà désillé quelques yeux, éclairé quel-
ques esprits, et MM. Bouvier, Martin Solon, Blandin,
Rochoux, accordant la rétraction des tissus blancs,
firent seulement des réserves en faveur de la rétrac-
tion du tissu musculaire que je ne voulus ni contes-
ter, ni affirmer {loc. cit., p. 600). L'histoire générale
que je vais tracer de l'inflammation rétractive et de
la rétraction sera tirée des mémoires que je viens de
citer, d'observations ultérieures qui me sont propres,
enfin d'observations de M. Jarjavay, professeur.agrégé
de la Faculté de Paris et chirurgien des hôpitaux, et
même de quelques faits antérieurs imparfaitement
compris. Je tiens plus aux faits recueillis par d'autres
observateurs que par moi, comme je préfère la rédac-
tion de mes propres observations par tnes internes à
la mienne. Ce sont autant de vérifications, de contrô-
les faits par des personnes qui n'ont pas d'intérêt à
altérer la vérité pour soutenir mes opinions.
Histoires particulières.
L'inflammation rétractive est celle qui occasionne des
rétractions évidentes, et s'accompagne de raccour-
cissements ou de diminution d'extensibilité des tissus.
Causes. — Il y a des causes de rétraction antérieures
à l'inflammation, et ce sont des causes inflammatoires
ou au moins des irritations mécaniques ou physiques.
Il y a néanmoins un premier mode de rétraction oîi
l'inflammation est contestable.
Premier mode. Rétractions des^maiiis- laborieuses-. — Telles
sont celles que produisent les rudes pressions, les frot-
tements que les mauouvriers, les terrassiers, les labou-
reurs, les forgerons éprouvent dans les mains de la part
de leurs instruments de travail. Les légères soufl'ran-
DE l'inflammation rétractive. 6S
ces qu'ils ressentent aux mains quand il sont encore
inaccoutumés au travail, la chaleur qu'ils éprouvent
toujours, quand le travail est porté assez loin pour
échauffer vivement la peau sans qu'il en résulte d'am-
poules me paraissent constituer un état d'irritation
chaude très-voisin de celui d'une contusion modérée
et d'une inflammation, si ce n'en est pas une. Cette
affection a été décrite par Alibert sous le nom d'éry-
ihèmeparatrime, bien qu'il n'en connût pas exactement le
siège (V. p. 16, Monogr. desdermat, in-é", 1832, Paris).
«Le paralrime palmaire est une affection à laquelle
on fait peu d'attention et qui tourmente néanmoins
dans quelques circonstances ceux qui touchent des
corps durs ou qui appuient par métier leurs mains
sur des instruments mécaniques. La plupart d'entre
eux se plaignent d'une chaleur vive, d'une sensation
analogue à celle d'une brûlure. Un épicier, que nous
avons traité à Saint-Louis, s'était ainsi rendu très-ma-
lade en maniant des substances irritantes : il était
tourmenté d'un violent prurit dans le creux des
mains 5 il éprouvait encore tous les inconvénients
d'une inflammation chronique, car il s'était opéré une
rétraction des tendons fléchisseurs dans les doigts de
chaque main, avec endurcissement de la peau qui
les couvrait; les gaines des tendons refusaient leur
office-, il y avait partout adhérence complète. »
Lorsque l'irritation des mains est portée jusqu'aux
ampoules, à la vésication, l'inflammation est évidente
et s'étend parfois au delà du derme, de manière à
produire des abcès. Le froid est une autre cause phy-
sique d'irritation et d'inflammation qui produit des
engelures, des ulcérations, par conséquent des in-
flammations, de la gangrène, et par suite des rétrac-
tions des orteils et des doigts aux mains et aux pieds.
Les brûlures sont dans le mêoie cas et plus puissantes
64 CHAPITRE I.
encore. Toutes les rétractions sont-elles dues à l'in-
flammation? Sans l'affirmer, je crois que c'est du
moins leur cause la plus commune.
Caractères anatomiques. — Les caractères de ces ré-
tractions, par irritation mécanique, sont très-pronon-
cés dans les mains calleuses des manouvriers la-
borieux. Tandis que ia peau est douce , ilexible ,
sensible, plicable ou susceptible de se laisser plisser
aisément à la paume de la main chez les personnes
qui ne vivent pas du travail de leurs mains \ tandis
qu'elle est d'une souplesse et d'une douceur merveil-
leuses chez les oisifs, elle est dure, calleuse, sans
souplesse, sans plicabilité et si peu extensible chez
les laborieux artisans qui gagnent leur vie à la sueur
de leur corps, que lorsqu'ils ouvrent les mains et éten-
dent leurs doigts autant qu'ils le peuvent, ces organes
restent légèrement courbés du côté de leur flexion :
donc les tissus sont moins extensibles ou raccourcis
et rétractés de ce côté. Mais quels sont ces tissus et
jusqu'où s'étendent leurs altérations?
La peau est évidemment plus dure, moins exten-
sible. On ne peut la pincer ni en faire un pli, elle est
unie par un tissu cellulaire plus adhérent aux parties
sous-jacentes; elle est moins mobile parce que le tissu
cellulaire est aussi rétracté et moins extensible qu'à
l'état normal. La dissection montre que Fépiderme
est plus épais, le derme, plus ferme, en quelque sorte
hypertrophié et rétracté-, que le tissu cellulaire qui le
double participe à ces propriétés 5 que ces altérations
s'étendent à l'aponévrose palmaire, à la peau, au tissu
cellulaire sous-cutané des doigts et souvent aux pro-
longements fibreux ou fibro-cellulaires qu'ils reçoi-
vent de l'aponévrose palmaire, peut-être et pro-
bablement aux ligaments latéraux des doigts , parce
qu'ils se raccourcissent eux-mêmes consécutivement,
DE l'inflammation rétragtive. 65
par cela seul qu'ils ne sont plus suffisamment et clia-
que jour étendus; que tous ces tissus sont souvent
secs, sans infiltration évidente de lymphe coagula-
ble, comme nous en verrons des exemples dans d'au-
tres cas de rétraction inflammatoire.
Les symptômes locaux sont parfois de la chaleur, de
la douleur à la peau ou dans toute la paume des
mains, quelquefois des ampoules, des phlyctènes et
beaucoup plus rarement des inflammations et des
abcès, puis, plus tard, des altérations matérielles,
une diminution de souplesse dans la main et les doigts,
et même une diminution légère de leur mobilité et
de l'adresse de leurs mouvements.
Marche. — Ces altérations matérielles s'établissent
ordinairement peu à peu, à la suite des irritations
douloureuses et de quelques ampoules seulement,
puis ces inflammations se dissipent par un travail
modéré et, par l'habitude du travail, ne se renouvel-
lent plus. Mais l'endurcissement de la peau, l'incur-
vation des doigts se prononcent de plus en plus par la
rétraction du tissu cellulaire et de l'aponévrose pal-
maire. Parvenue à un certain degré, la rétraction
reste stationnaire chez les ouvriers qui continuent à
travailler comrne devant; mais elle peut être suivie
de rétractions partielles dans les doigts.
Si l'ouvrier parvenu à l'aisance vient à cesser de
travailler de ses mains, la peau et les tissus rétractés
peuvent reprendre à la longue, a peu près leur
souplesse primitive, surtout si l'ouvrier est encore
jeune. Des soins de toilette un peu recherchés, des
lotions émollientes et adoucissantes de pâte de gui-
mauve , l'usage habituel de pommades fraîches et
douces, des gants de peau contribueraient certaine-
ment à accélérer ces résultats, si par une vanité
66 CHAPITHE I.
puérile l'ouvrier tenait à effacer au plus vite, ciiez
lui, les honorables stigmates du travail.
Quoique le premier mode de rétraction que je viens
de décrire ne soit pas habituellement accompagné de
phlegmasie aiguë, comme dans les premiers temps,
et même à toutes les époques, le travail, poussé trop
loin chez les manouvriers, cause fréquemment des
ampoules aux mains ; comme dans les cas ou poussé
trop loin, en tout temps, il cause une irritation locale
à la paume des mains avec chaleur plus où moins pé-
nible et momentanémeiît douloureuse, il me paraît
impossible de méconnaître que l'inflammation a con-
couru par moments, au moins, avec l'irritation méca-
nique à produire les rétractions qui viennent de nous
occuper.
Rétractions partielles des doigts. — Dupuytren a publié
en 1832, daps ses leçons orales de clinique chirurgi-
cale, t. ï, p, 2, sous le titre de rétraction permanente des
doigts, ce qu'il savait sur cette rétraction en particu-
lier, a On l'a successivement fait dépendre, dit-il,
d'une affection rhumatismale, goutteuse, d'une vio-
lence extérieure , d'une cause morbifique... comme
cela arrive à la suite d'inflammation des gaines des
tendons fléchisseurs ou d'une espèce d'ankilose ; nous
reconnaîtrons bientôt combien ces prétendues causes
étaient peu fondées » (p. 3).
Cette dénégation de Dupuytren prouve qu'il n'a
pas l'idée du travail morbide qui produit la rétraction
des doigts. Il sait pourtant quelle est la suite de
pressions mécaniques chez les tonneliers, les cochers,
qui font jouer sans cesse leur fouet sur le dos de leurs hari-
delles (p. 3). il en décrit ensuite les symptômes, il
note que la préhension serrée des objets cause de la
douleur (p. 6)j puis il revient aux causes et nie le rac-
DE l'inflammation rétractive. 67
cornissement de la peau, l'inflammation, l'adhérence du
tissu cellulaire, il nie même qu'il existe une maladie
chronique de ces parties (p. 7).
Ayant eu occasion de disséquer un cas de rétrac-
tion, il a trouYé avec étonnement que l'aponévrose palmaire
était tendue, rétractée, diminuée de longueur; de sa partie
inférieure partaient des espèces de cordons qui se rendaient
aux côtés du doigt malade (p, 9). Cette découverte est
une vérité réelle qu'il n'a pas comprise, et les autres
lui ont échappé. Si au lieu d'une seule dissection il en
eût fait plusieurs^ d'abord il aurait reconnu qu'il avait
besoin d'étudier l'aponévrose palmaire comme le
prouve la description inexacte qu'il en a donnée. ( V.
Gerdy, Anat. des formes, p. 232.) C'était d'autant plus
indispensable que, suivant lui, si l'on touche la face pal-
maire de l'annulaire, on sent une corde très-tendue (p. 5).
Or l'aponévrose palmaire n'existe pas là, même
d'après sa description; c'est le tissu fibro- cel-
lulaire sous -cutané qui forme la corde rétractée.
Dupuytren, en observant mieux et méditant davan-
tage, aurait encore reconnu que le tissu cellulaire et la
peau participent souvent, sinon toujours, aux rétrac-
tions des doigts; que si des pressions, des irritations
mécaniques, comme la contusion qu'il avoue, en sont
les causes éloignées, l'irritation, l'inflammation même,
quelque obscure, quelque sourde qu'elle soit, en est
la cause prochaine; que les phlegmasies circonvoi-
sines peuvent s'étendre et se propager à la paume
delà main, aux doigts, et en causer la rétraction,
comme nous en citerons plus bas un exemple; enfin
que cette maladie n'est point propre à ces parties,
mais commune au moins à tous les tissus blancs et
surtout aux tissus cellulaire et fibreux. L'observation
prouvera la vérité de ces assertions.
68 . CHAPITRE I.
Obs. P**. — Rétraction des doigts.
Une jeune femme nous amena, en 184 3, à la con-
sultation de la Charité, un enfant de trois ans. Les
deux derniers doigts de la main droite étaient inflé-
chis en demi-cercle par deux brides qui s'étendaient
de la paume à la phalange onguéale, en soulevant la
peau et faisant un repli falciforme mince comme le
tranchant d'un couteau. Ses replis étaient peu résis-
tants et formés par le tissu fibro-cellulaire sous cu-
tané et non par l'aponévrose palmaire qui ne se pro-
longe pas devant les doigts sur la ligne médiane.
Nous avons rompu ces deux replis en renversant for-
tement les doigts en arrière, et nous avons achevé
l'œuvre au moyen d'une palette, d'un coussin et d'un
bandage spiral qui tenaient les doigts étendus et
même renversés en arrière. Passons maintenant à des
rétractions inflammatoires manifestes pour tout le
monde.
2° Mode : Inflammations rétractives évidentes. — Com-
mençons par des phlegmasies consécutives à des vio-
lences extérieures mécaniques.
Obs. il — Contusion de ta région temporo-maxillaire , et
rétraction, etc. , recueillie par mon interne M. Mor-
van.
Phlipotin, âgé de vingt-trois ans, charretier, est
entré le 7 avril 1847, se plaignant d'une douleur vive
dans l'oreille gauche et dans la région temporo-maxil-
laire du même côté. Cette douleur date de cinq se-
maines environ; elle est consécutive à un coup de
pied de cheval reçu le 1^"^ mars. Immédiatement après,
perte de connaissance momentanée, puis aussitôt hé-
morrhagie abondante parle nez, la bouche et l'oreille,
de la quantité d'un litre environ dans l'espace de dix
DE l'inflammation rétractive. 69
minutes. On l'arrête par des applications froides.
Dix-huit sangsues le l" mars, douze le lendemain,
forent appliquées en arrière de l'apophyse mastoïde
pour combattre le gonflement de la face, devenu tel
que les paupières étaient fermées des deux côiés. Le
malade paraît avoir eu des ecchymoses conjonctivales,
mais sans trouble aucun de la vision. L'oreille gau-
che est restée un peu dure.
Le gonflement a disparu dans l'espace d'une quin-
zaine, pendant l'usage des cataplasmes émollients et
des lotions d'eau de sureau. Dès ce moment, il y avait
impossibilité d'écarter les mâchoires. Après la cessa-
tion du gonflement, il est resté, au niveau de l'arti-
culation, une douleur fixe avec la même impossibilité
d'écarter les mâchoires de plus d'un centimètre. Elle
persiste jusqu'à l'entrée du malade à l'hôpital , le 7
avril, oïl il offre l'état suivant :
Gonflement léger de la région articulaire, avec in-
duration des tissus dans un espace assez étendu. La
peau, un peu rouge, assez sensible, est tendue, lui-
sante ^ on ne peut y faire un pli aussi fin que dans la
région correspondante du côté opposé. Le tissu cellu-
laire sous-cutané induré forme un gâteau dur, inflexi-
ble, de la consistance d'une plaque ligneuse. Il en
est de même à la région massétérine; il en est proba-
blement de même des parties fibreuses de l'articula-
tion, car on ne peut faire écarter la mâchoire de plus
d'un centimètre. La mastication des aliments solides,
même d'un petit volume, est presque impossible 5
c'est tout au plus si le malade peut introduire sa
soupe avec une cuiller. Gomme état général, il y a un
peu de céphalalgie, de fièvre 5 le pouls est accéléré,
fréquent, la peau chaude.
Le 8 avril, saignée de trois palettes, sans couenne;
elle a mal coulé; cataplasmes émollients, potages.
70 CHAPITRE I.
Le 12, application de vingt-cinq sangsues sur la
région malade 5 on continue les cataplasmes. A la
suite de ce traitement, les mâchoires s'ouvrent un
peu plus, elles peuvent admettre le doigt; diminu-
tion notable de la douleur, de l'induration et du gon-
flement. L'amélioration continue de jour en jour, jus-
qu'au 18 avril, jour de la sortie du malade , qui offre
l'état suivant : toujours un peu de surdité; écartement
des mâchoires bien plus considérable qu'auparavant,
de quatre à six centimètres, avec tiraillement dans
l'article 5 peau toujours moins souple que du côté op-
posé, et ne pouvant former un pli mince ; induration
persistante, mais moindre et moins étendue du tissu
cellulaire sous -cutané; pas de rougeur, ni de dou-
leur, ni de chaleur anormales; seulement encore gêne
des mouvements d'écartement et de mastication.
Oes. III, recueillie par M. Morvan, interne. — Ckute
sur la plante des pieds, contre-coup au genou; arthrite chro-
nique; carie du tibia; abcès circonvoisins ; rétraction des
tissus blancs qui enveloppent le genou.
Le 18 décembre. 1845 est entré à la Charité le
nommé Carbonnet, âgé de trente- cinq ans, journalier.
A la suite d'une chute sur la plante des pieds, chute
qui remonte à deux ans et demi, il éprouva une vio-
lente secousse dans toute la longueur du membre ab-
dominal gauche, avec douleur fixe dans le genou ,
douleur qui persista une année, sans gonflement ni
rougeur, mais avec gêne dans la station, dans la mar-
che, surtout lorsque le malade était resté immobile
quelque temps. Au bout de cette période , dévelop-
pement rapide d'une tumeur chaude, rouge, doulou-
reuse, correspondant au côté externe et antérieur du
genou, rapidement abcédée en cinq ou six jours. Il
entra alors à la Charité, dans le service de M. Vel-
DE l'inflammation rétractive. 71
peau; il y resta trois mois, pendant lesquels la sup-
puration fut très-abondante. On le traita par les émol-
lients, puis par la cautérisation avec un liquide dont
îl ne peut préciser la nature. A sa sortie, la plaie
était convertie en une fistule étroite, mais qui ne s'est
pas fermée. La marche, tout à fait impossible à l'en-
trée, était redevenue possible, quoique pénible et
accompagnée de claudication.
Pendant six mois, l'affection resta stationnaire;
alors, nouvel abcès avec exaspération des accidents
inflammatoires, au-dessous du précédent. Cet abcès
fut ouvert à Beaujon au mois de janvier 1845; il
donna issue à du pus, mais jamais il n'en sortit d'es-
quilles, non plus que du premier; il en résulta une
nouvelle fistule, avec laquelle le malade sortit encore
de l'hôpital pour rentrer définitivement, au mois de.
décembre {845, à la Chanté, chez M. Gerdy, où il
est actuellement. Il portait alors un nouvel abcès à
la partie interne et moyeane de la jambe, qui, ouvert
comme les deux autres , parut être également un
abcès circonvoisin, c'est-à-dire sans communication
avec l'os malade. Déjà, à cette époque, la marche
était impossible ; la jambe, douloureuse, commençait
à s'atrophier et à se fléchir peu à peu sur la cuisse ^
quoiqu'on pût encore l'étendre en faisant souffrir le
malade.
En janvier 1846, M. Gerdy réunit, par une incision
longue de douze centimètres environ , les deux fis-
tules correspondantes aux deux premiers abcès; une
suppuration abondante s'établit; trouvant que le
tibia était malade dans sa partie supérieure, qu'il était
carié, diminué de cohésion, que son tissu se laissait
traverser par le stylet en donnant une sensation ca-
ractéristique de carie, M. Gerdy y porta le cautère
actuel. Quelques mois après, la plaie étant recouverte
72 CHAPHTRE I.
de tissus fongueux, sans tendance à la cicatrisation,
le fer rouge fut appliqué une deuxième fois ; il mor-
tifia les tissus, et il en résulta la sortie de plusieurs
petites esquilles nécrosées. Peu après, une inflam-
mation très- vive envahit tout le tiers supérieur de
la jambe , avec rougeur, chaleur intense , sensibilité
exaltée. On y opposa des applications successives de
sangsues, au nombre de cent dix en quatre jours, et
l'emploi des irrigations froides pendant une période
de six semaines.
Ce traitement actif ralentit les progrès de l'inflam-
mation nouvelle, mais n'empêcha pas la marche des
accidents primitifs de la maladie des os. Une troisième
cautérisation avec fer rouge fut pratiquée au mois de
novembre I84C5 elle pénétra cette fois, malgré
M. Gerdy, jusque dans la cavité articulaire, comme
la dissection l'a montrée depuis; néanmoins elle ne
causa pas d'accident, et elle put arrêter complète-
ment la marche de la carie, amener une cicatrisation
osseuse solide, dans les points oîi elle avait porté,
comme l'examen ultérieur le démontra. Pendant les
premiers mois de Î8i7, à la suite de cette cautérisa-
tion, on put recueillir cinq ou six petites esquilles re-
jetées par élimination à la suite de la cautérisation.
Dans le même temps , deux nouveaux abcès se for-
mèrent et furent ouverts au côté externe de la jambe ;
la suppuration fut aussi abondante que par le passé.
Aucune de ces nouvelles fistules ne conduit le sty-
let aux os, mais aucune d'elles ne tend à se fermer,
non plus que les anciennes. Tout le membre est le
siège de douleurs vives, continues, qui enlèvent toute
espèce de repos au malade; ces douleurs s'exaspè-
rent au moindre mouvement volontaire ou communi-
qué, le membre repose sur son côté externe, la jambe
fléchit à angle très-aigu sur la cuisse. Tous ces motifs
DE l'inflammation rétractive. 73
engagent M. Gerdy à pratiquer l'amputation que le
malade réclame depuis longtemps. Du reste, l'état
général est satisfaisant 5 il n'y a pas d'amaigrissement
considérable; les forces sont conservées. La face est
fatiguée, anxieuse 5 mais cela s'explique aisément par
les insomnies prolongées et les douleurs continuelles.
D'ailleurs, appétit conservé, digestions bonnes, ja-
mais de dévoiement; la nuit, quelquefois, sueurs,
avec accélération du pouls, coïncidant avec l'exacer-
bation périodique des douleurs. Toutefois, le pouls
reste un peu fréquent le jour; il varie, pendant les
deux ou trois jours qui précèdent l'opération , entre
88 et 96 pulsations.
L'amputation est pratiquée, le 12 avril 1847, parla
méthode circulaire, enviion à la partie moyenne de la
cuisse. Le malade fut soumis à Tinhalation éthérée,
malgré les insuccès antérieurs de ce moyen sur lui,
dont les habitudes anciennes d'intempérance ren-
daient l'ivresse difficile à obtenir (il pouvait boire
plusieurs bouteilles de vin sans être ému le moins du
monde) ; néanmoins, au bout de dix minutes, il tomba
dans un assoupissement profond , précédé d'abord
d'agitation, d'exaltation, de loquacité; il voulait ra-
conter l'histoire d'une malade dont le cas avait, au-
tant qu'on put le comprendre, de l'analogie avec le
sien. L'assoupissement fut accompagné d'une insen-
sibilité complète, car, pendant la durée de l'opéra-
tion, il ne poussa aucun cri, ne fit aucun effort pour
se dérober au couteau; l'inhalation avait été con-
tinuée.
La perte de sang ne fut pas très-abondante, il ne
parut pas altéré dans sa couleur; l'artère fémorale
ayant été liée, il se trouva qu'aucune artère ne don-
nant, il fut impossible de pratiquer d'autres ligatures.
Malgré la crainte probable d'une hémorragie immi-
Ih CHAPITRE I.
nente, le pansement fut fait à fond , la partie supé-
rieure de la plaie réunie avec des bandelettes, l'infé-
rieure pansée simplement. Le malade, reporté dans
son lit, fut tenu aux boissons chaudes, à la diète; on
lui donna une potion avec 30 gr. de sirop diacode
pour la nuit. Le pouls était à 104. Dans la journée, il
se plaignit que le moignon était un peu serré. Le 13
avril, il y a du sommeil et quelques élancements dans
le moignon, dont le malade se plaint à peine 5 toutes
les fonctions sont en bon état-, 100 pulsations. Le 14,
le malade a peu dormi ; il se plaint que sa cuisse est
trop serrée 5 le pansement est enlevé tout entier,
parce que la bande qui rapprochait les tissus et s'op-
posait à leur rétraction avait engorgé le moignon,
dout les lèvres sont rouges, un peu tendues à la partie
inférieure. Le pansement , moins serré , est refait de
la même manière ; notons que la suppuration est déjà
établie. Pouls à 96 ; peau un peu Chaude 5 faim. Quel-
ques cuillerées de bouillon. Le 15, même état; seule-
ment, le malade a un peu reposé et moins souffert; il
est pansé simplement; toujours un peu de tension
dans les lèvres de la plaie. Pouls à 92; selle natu-
relle. Le 17, le gonflement des lèvres du moignon a
beaucoup diminué; moins de douleur; le pouls est
tombé à 88 ; pas de frissons, suppuration assez abon-
dante. Le malade demande à manger. On lui donne
des potages.
Avant de décrire les altérations anatomiques de la
jambe amputée, disons que, malgré l'engourdisse-
ment éthéré du malade , on ne put, au moment de
l'opération, étendre cette jambe sur la cuisse par
suite de la rétraction des tissus. Cet état persista
même après la section des muscles, ce qui tenait au
siège de la rétraction que nous allons trouver, non
dans les muscles, comme on l'a cru, mais dans l'en-
DE l'inflammation rétractive. 75
semble des tissus blancs qui entouraient les parties
malades.
Aujourd'hui, dix-sept ou dix-huit jours après l'opé-
ration, Carbonnet est dans l'état le plus satisfaisant
et le pins favorable à la guérison.
Dissection du membre le lendemain et le surlendemain de
f amputation. — La première chose qu'on observe est
une flexion du genou un peu moins prononcée que pen-
dant la vie, ce qui s'explique par l'absence de l'eiBfort
instinctif que le malade opposait à toute extension
quand il portait son membre. Ainsi, quoique cette
flexion actuelle dépasse encore un peu l'angle droit,
elle est moins forte que dans les derniers temps oti le
jarret formait un angle aigu ouvert par derrière. Déjà,
pendant i'éthérisation et l'opération, cet angle s'était
notablement ouvert, sans doute parce que la crainte
de la douleur et la douleur ne s'opposaient plus à
l'extension du membre. Ainsi, ce qui était dû aux
musclQS et à l'influx nerveux ayant été neutralisé
paT l'éther, nous ne pouvions plus avoir affaire qu'à
la rétraction acquise, permanente, indépendante de
l'influx nerveux et dépendante des parties molles qui
entouraient l'articulation.
État de la peau et des tissus cellulaire et fibreux. — La
peau ofl're une ouverture fistuleuse vers le quart su-
périeur de la jambe, à son côté interne. En avant,
elle paraît intacte , souple, aussi bien que les tissus
sous cutanés. Il en est de même du tissu cellulaire,
à la partie interne du genou. Dans le jarret, immé-
diatement sous la peau , on trouve des faisceaux
fibreux qui gênent l'extension du membre. Dans le
creux poplité, les téguments sont eux-mêmes bien
plus adhérents que d'habitude au tissu cellulaire sous-
jacent, et par lui à l'aponévrose sous-cutanée de la
région. Cette aponévrose, quand on enlève la peau, y
76 CHAPITRE I.
reste par places adhérente à la surface interne. Cette
séparation s'accompagne d'un petit bruit de déchire-
ment. Le tissu cellulaire interposé est devenu homo-
gène, gris-jaunâtre , assez semblable au tissu cellu-
laire sous-rauqueux de l'estomac squirrheux. Si on
pénètre plus profondément dans le jarret, on trouve
tous les tissus blancs fortement rétractés et tendus
lorsqu'on cherche à ouvrir le genou. Le jarret en
dehors offre une nouvelle ulcération qui vient con-
courir à expliquer les lésions précédentes par les ré-
tractions que l'ulcération et son inflammation ont dé-
terminées au voisinage. Dans ce point, la fusion en
une seule couche de la peau , de l'aponévrose et du
tissu cellulaire induré, se trouve très-marquée. La
coupe perpendiculaire de ces tissus a ici un aspect lar-
dacé. En dehors et en avant du genou, là où l'inflam-
mation a été très-intense , se voit l'autre forme d'al-
tération consécutive , déterminée dans les tissus
fibreux par les phlegmasies chroniques, c'estrà-dire
le ramollissement £énatmiforme du derme, du tissu cel-
lulaire, et des parties fibreuses situées au-dessous.
Ce ramollissement occupe un espace infundibuliforrae
creusé entre les extrémités supérieures du péroné et
du tibia. Ailleurs, partout oii il y a eu inflammation
plus ou moins vive, existe une induration inextensi-
ble, forte et homogène des couches superficielles. Il
y a une sorte de cartilaginification au devant et en
dehors du quart supérieur du péroné, là oîi le tissu
• cellulaire et les lames fibreuses normales ont déjà,
comme on le sait, une grande force. En dehors du
genou, on isole l'aponévrose pour l'étudier spéciale-
ment, et on voit au-dessous d'elle les muscles très-
pâlfes, grêles, infiltrés d'un liquide roussâtre comme
gélatineux et mélangé de graisse molle. Ce sont les
fibres inférieures du vaste externe. Plus en arrière,
DE l'inflammation rétractive. 77
on ouvre la gaîne dn biceps en incisant la cloison fi-
breuse intermusculaire externe qui, jusqu'à la ligne
âpre, est épaissie, semi-cartilagineuse, injectée, évi-
demment enflammée et résistant à la pression du bis-
touri. De plus, on trouve, profondément dans son
épaisseur, un certain nombre d'ecchymoses. Ici en-
core^ c'est, en résumé, une induration semi-cartila-
gineuse. Tout le tissu cellulaire qui double les aponé-
vroses est induré, épaissi, et, de plus, dans l'intérieur
même de la gaîne du biceps, on trouve un foyer san-
guin ressemblant à de la fibrine altérée , et commu-
niquant à l'extérieur par la fistule que nous connais-
sons. Ainsi, il y avait là un abcès circonvoisin. Enlevant
tout à fait le biceps de sa gaîne pour examiner la lame
interne de cette dernière , on la trouve moins ré-
tractée, et il semble d'abord que le tissu cellulaire
recouvre un peu de souplesse en se rapprochant du
paquet vasculaire et nerveux du jarret. D'un autre
côté, le large feuillet de l'aponévrose fémorale qui
couvre en dedans la partie inférieure des muscles in-
ternes de la cuisse est devenu une forte bande fi-
breuse, rétractée vigoureusement, formant corde, se
tendant quand on cherche à ouvrir le genou fléchi, nn
peu au delà de l'angle droit, et rendant bien vite
cette manœuvre impossible. On enlève alors le tissu
graisseux qui enveloppe les vaisseaux et les nerfs po-
plités, et on trouve dans les graisses des bandes cel-
luleuses devenues fibreuses qui, allant de l'aponé-
vrose fémorale au jarret, s'opposaient aussi à l'exten-
sion du genou. Eri dehors, là où plonge dans les
muscles péroniers le nerf sciatique poplité externe,
on trouve des lames aponévrotiques qui sont plus
fermes, plus brillantes, plus tendues que dans l'élat
naturel , et analogues aux bandelettes fibreuses ré-
tractées que l'on trouve nombreuses et radiées dans
78 CHAPITRE I.
les seins squirrheux. Les tissus qui entourent le nerf
sciatique poplité interne sont eux-mêmes rigides, con-
densés, de sorte que, quand on veut soulever le cor-
don nerveux, il résiste beaucoup à cette traction. Ar-
rivé là, si on cherche à étendre la jambe, on fait saillir
une bride fibreuse, médiane, triangulaire, placée de
champ dans l'espace poplité. Elle est formée profon-
dément par la condensation du tissu cellulaire qui
unit l'artère aux os. Ces lames de tissu cellulaire in-
duré se montrent rigides et très-tendues quand on
veut ouvrir le genou fléchi 5 mais , comme leur élas-
ticité et leur cohésion sont diminuées, elles ne résis-
tent pas et se déchirent en masse. Plus bas, à travers
le tissu cellulaire condensé qui sépare les deux têtes
des muscles jumeaux, on arrive à une membrane pyo-
génique circonscrivant une poche du volume d'une
petite noix, d'aspect ancien, et située un peu plus
près de l'insertion du jumeau externe. Cette poche
s'étend profondément jusqu'à la face postérieure de
l'articulation , dont elle n'est séparée que par une
couche fibro-celluleuse indurée et friable, que le bout
du doigt troue facilement. Ceia fait, on étend la jambe
avec une certaine force, on entend un craquement
général , et tout ce tissu fibreux se rompt par une
vaste et irrégulière déchirure. Ce plan fibreux, pro-
fond, est parsemé de plaques ramollies, infiltrées d'un
liquide rougeâtre. La déchirure est transversale dans
sa direction générale. On déchire également avec fa-
cilité les ligaments interarticulaires friables.
Cartilages articulaires et synoviale. — La synoviale est
épaissie, veloutée à sa surface interne, comme une
membrane muqueuse, dans plusieurs points de 'son
étendue, en dedans des ligaments. A la surface des
os et à la place des cartilages articulaires diarthro-
diaux, on voit un tissu cellulaire sous^cartilagineux qui,
DE l'inflammation RÉTRACTIVE. 79
tuméfié par l'inflammalion, a fait irruption à la surface
des cartilages après les avoir, dans plusieurs points,
usés par résorption. Aussi, autour de ces chanapignons
vasculaires aplatis, iotra-articulaires, se voit le bord
aminci et érodé de l'ouverture anormale des carti-
lages. Est-ce là un tissu de nouvelle formation, ou
existant normalement et tuméfié par le fait de l'in-
flammation survenue? Selon M. Gerdy, il est plus
probable qu'il existe primitivement entre le cartilage
et l'os, une couche celluleuse très-déliée qui, s'en-
flammant, résorbe le cartilage par sa face adhérente,
et s'épaissit comme la synoviale elle-même avec la-
quelle elle se confond par l'addition de matière orga-
nisable produite elle-même par la maladie. Dans les
intervalles qui séparent les points où les cartilages se
sont laissés traverser par elle, ces derniers ont tantôt
conservé une grande dureté et une adhérence intime
à l'extrémité osseuse , tandis qu'ailleurs les lamelles
cartilagineuses ramollies et amincies se détachent fa-
cilement des condyiés.
Au devant du genou, les parties molles étaient dis-
tendues par la flexion exagérée du genou, loin d'être
rétractées. Il est probable qu'il en est de même toutes
les fois qu'une jointure est dans un état de flexion
permanente. Ce fait montre que la direction des join-
tures dans les arthrites n'est pas dû seulement aux
épancheraents synoviaux.
Altération du tissu musculaire. — Les muscles, coupés
un peu au-dessus du genou, sont mollasses, friables,
un peu pâles, nullement tendus, sans rétraction évi-
dente. Chez eux, ce dernier phénomène, quand il
existe, s'explique, dans certains cas, par l'induration
de leur tissu cellulaire interstitiel 5 mais leurs tendons
peuvent être rétractés. Aussi, assez souvent, on trouve
ces organes formés de fibres molles, mais unies par du
80 CHAPITRE I.
tissu cellulaire plus ferme, plus résistant, qui rend
plus difficile la séparation de leurs différents faisceaux.
C'est ce qu'on observait ici dans le demi-membraneux,
en sorte que le tissu cellulaire interstitiel du muscle
était induré.
En disséquant son extrémité inférieure, on y trouve
aussi un ensemble de prolongements fibreux entre-
croisés qui vont du tendon de ce muscle à l'aponé-
vrose fémorale, et qui sont bien plus forts qu'à l'état
normal. Ce sont des bandelettes nacrées, résistantes,
disposées comme le tissu fibreux du cœur au voisi-
nage de ses orifices. La gaine du demi-tendineux est
très-épaisse et résistante. L'aponévrose fémorale,
qui paraît épaissie, se laisse pourtant facilement per-
forer par des instruments mousses dans le voisinage
de son insertion au côté interne de l'articulation.
Les ligaments latéraux ont été coupés, par inad-
vertance, avant l'examen. Leur tissu, vu après cette
section, ne présente ni ramollissement ni infiltration.
Il n'y avait d'ailleurs pas eu, pendant la durée de la
maladie, de mobilité latérale du genou en rapport
avec de semblables altérations. On conçoit qu'une lé-
gère augmentation d'épaisseur et de consistance se-
rait à présent bien difficile à mettre en évidence.
État des os. — ^ Un mot maintenant de l'état des os.
Le périoste qui, épaissi, s'en détache facilement,
laisse une foule de gouttelettes sanguines à la sur-
face du fémur. Les trous et les sillons vasculaires y
sont très-prononcés. H y a quelques sécrétions pé-
riostales le long de la lèvre interne isolée de la
ligne âpre. Il y a beaucoup de taches rouges, et
on enlève facilement une mince couche osseuse à
la surface de quelques-unes. La section perpendi-
culaire du fémur présente descanalicules vasculaires
rouges.
DE l'inflammation rétractive. 81
l
En s'éloignant du voisinage de l'articulation , un
peu en dehors de l'épine du tibia, là oîi une cautéri-
sation a été faite dans l'os carié, s'offre une poche
pyogénique contenant une très-petite quantité de
pus et recouvrant un tissu osseux condensé parfai-
tement guéri. S'il n'y avait eu que cette lésion , la
maladie aurait certainement achevé de se guérir.
Vers la partie interne du tibia, un peu au-dessus du
milieu de sa hauteur, il s'était formé un abcès dont
le foyer, qu'on peut suivre aujourd'hui, remonte le
long des vaisseaux interosseux , revêtu dans tout ce
trajet par une membrane pyogénique. Le tibia, dé-
nudé avec soin dans toute sa longueur, est injecté,
creusé de nombreux sillons longitudinaux, de sorte
qu'il présente véritablement une teinte ardoisée.
Enfin, dans le point où sa crête commence à s'é-
mousser par en bas, l'injection devient encore plus
considérable que partout ailleurs, et circonscrit une
production osseuse qui est une sécrétion périostale.
iongue, étroite, à plusieurs arêtes longitudinales,
dont une la fixe légèrement au bord interne du tibia.
Cette observation n'est pas seulement importante
par les rétractions albuginées qu'elle présente au-
tour des abcès développés eux-mêmes autour d'une
arthrite grave 5 elle l'est encore par l'absence de
toute rétraction matérielle dans le tissu charnu des
muscles, malgré la flexion considérable que présen-
tait le genou. Enfin, elle est encore intéressante par
les lumières qu'elle répand sur les maladies des tis-
sus fibreux, des tissus osseux, cartilagineux et syno-
viaux; mais je ne m'en occupe ici que sous le rapport
des rétractions des tissus blancs.
Je trouve dans la thèse de mon interne M. F. Vin-
cent (Paris, 10 mai 18.51, p. 16) un fait d'anatomie
pathologique recueilli à l'amphithéâtre de Clamart
6
82 CHAPITRE I.
par M. Gallard, interne des hôpitaux. Les mêmes
faits de rétraction y ont été constatés, en dehors de
toute influence de ma part et sans que j'en aie même
eu connaissance.
Obs. IV, — Inflammation rétractive, traumatique aiguë de
L^ aponévrose antibrachiale ^ recueillie par l'interne.
Dubreuil (Jean), âgé de trente-quatre ans, menui-
sier, demeurant rue des Marais, n° 41, est entré à la
Charité le 26 février 1844. Cet homme portait, à la
réunion du tiers supérieur avec les deux tiers infé-
rieurs de l'avant-bras gauche et à sa face antérieure,
une plaie longitudinale, ayant dix centimètres de
longueur, produite, le 24 février, parle fer tranchant
d'un rabot. Le malade s'étant rendu à la consultation
d'un autre hôpital, on réunit les lèvres de la plaie à
l'aide de bandelettes de diachyîon faisant le tour du
membre. Cette application détermina une inflamma-
tion érysipélateuse de la peau comprise entre la plaie
et le coude. Le malade les enleva avant son entrée
à la Charité. Le 27, les bords de la plaie étaient écar-
tés, tuméfiés; au fond s'apercevait le tendon du mus-
cle radial antérieur. Les mouvements de la main
étaient difficiles à cause du gonflement érysipélateux
occupant la partie supérieure de l'avant-bras.
Du 27 février au 17 mars, l'érysipèle a été com-
battu et guéri par des applications d'eau blanche; la
plaie, pansée avec un linge enduit de cérat et de la
charpie , s'est guérie graduellement en partie , mais
lentement. Le 1 7 mars, les deux tiers inférieurs seu-
lement étaient complètement cicatrisés et le tiers su-
périeur était rempli par des bourgeons charnus. L'at-
tention de M. Gerdy est alors fixée sur l'impossibilité
d'étendre complètement la main sur l'avant-bras et
les doigts sur la main. Cette difficulté des mouve-
DE l'inflammation rétractive. 83
nients devient de plus en plus manifeste, et le 23 on
peut constater les faits suivants :
23. La plaie est presque tout à fait cicatrisée; l'a-
vant-bras est à demi-tléchi sur le bras ; la main fait
un léger angle rentrant avec la surface palmaire de
Favant-bras; les quatre derniers doigts, à demi-flé-
chis sur la main, le sont aussi sur eux-mêmes. Les
troisièmes phalanges peuvent seules s'étendre sur les
secondes. En explorant Favant-bras , tandis qu'on
essaie d'étendre les doigts sur la main, on sent au-
dessous de la peau, depuis le pli du coude jusqu'à la
paume de la main, une rétraction prononcée due à
la forte tension d'un pian sous-cutané formé par Fa-
ponévrose antibrachiale. Cette rétracture occupe au
pli du coude un espace étendu en largeur, de l'épi-
trochlée à la partie moyenne du pli du coude. Elle a
la forme d'une lame triangulaire sous-cutanée, à base
supérieure. Elle descend obliquement, en passant
sous la plaie, jusqu'à la paume de la main. Suivant ce
trajet, elle forme une sorte de ruban fortement tendu
quand on veut étendre la main , ce qui cause une
saillie visible à l'œil. Sous la moitié supérieure de la
plaie s'observe une induration prononcée, large de
trois centimètres, longue de cinq. Cette plaque indu-
rée adhérente à la plaie et à la lame mentionnée
plus haut, suit tous les mouvements de celle-ci, et
ne peut glisser sur l'aponévrose comme le fait la par-
tie inférieure de la cicatrice et la peau du reste du
membre.
On applique un cataplasme émollient autour de
Favant-bras. On fait usage de bains de bras.
31 mars. L'emploi des moyens précédents n'ayant
amené aucun changement dans Fétat de Favant-bras,
M. Gerdy saisit la main et les doigts, et soumet ces
parties à une extension graduelle, mais forcée. Sous
s h CHAPITRE I.
l'influence de cette tension violente , les parties cè-
dent, les doigts s'étendent, et en même temps s'en-
tendent des craquements manifestes. Le résultat de
cette manœuvre est l'extension presque complète des
doigts sur la main et de la main sur l'avant-bras. Le
malade a assez vivement, mais momentanément souf-
fert pendant cette extension. Des adhérences ou des
rétractures se sont rompues. Celles de l'aponévrose
avec le tissu induré sous-jacent à la plaie existent en-
core. La rétraction de l'aponévrose par suite de son
altération de tissu est aussi la même 5 il n'y a de changé
que la facilité plus grande de la main et des doigts à
s'étendre.
Application d'un cataplasme et d'une attelle éten-
due du pli du coude aux doigts pour prévenir une ré-
tracture nouvelle; bain de bras.
3 avril. Une nouvelle extension forcée est pratiquée
et produit encore quelques ruptures. La main et les
doigts peuvent s'étendre tout à fait.
Mais il reste toujours une bande tendue entre le
pli du coude et le poignet, bande passant sous la ci-
catrice qui lui est toujours adhérente dans son tiers
supérieur. La largeur de cette bande est de six centi-
mètres au pli du coude. Elle va en diminuant jusqu'à
l'induration subjacente à la cicatrice, qui offre deux
centimètres de largeur et cinq de longueur. Elle n'a
plus que deux à trois centimètres de largeur jusqu'au
poignet.
IG avril. Depuis huit jours, on a cessé l'emploi de
l'attelle et des cataplasmes. Les changements surve-
nus sont les suivants : l'avant-bras s'étend tout à fait
sur le bras, la main sur l'avant-bras et les doigts sur
eux-mêmes et sur la main. Au-dessous de la plaie se
trouve toujours l'induration avec les mêmes dimen-
sions. Entre la plaie et le poignet nulle tension, nulle
DE l'inflammation rétractive. 85
rétracture. Du pli du coude à la plaie existe encore
une tension assez marquée; mais la largeur de la
bande aponévrotique à laquelle elle est due n'est plus
aussi prononcée, et ses bords se perdent insensible-
ment. La cicatrice n'est adhérente qu'à l'aponévrose
et nullement aux tendons, qui se meuvent librement
au-dessous.
Conséquences immédiates et premières qui découlent de la
maladie de Dubreuil. — Il résulte, comme conséquences
immédiates et premières de ce fait : 1° que la cause
de la rétraction observée chez notre malade ne peut
se trouver que dans la plaie dont il a été atteint 5
mais comme cette blessure a été accompagnée^ d'in-
flammation, de suppuration, et suivie de cicatrisa-
tion, il reste à déterminer quelle est celle de ces cir-
constances qui a pu entraîner la rétraction que nous
avons observée. Nous ne pouvons y parvenir que par
la comparaison de ce fait avec des faits analogues dont
nous avons été souvent témoin, et que nous avons
analysés avec soin, chaque fois qu'ils se sont présentés
à notre observation.
2° Il en résulte encore que la maladie consécutive
à la plaie, consécutive au commencement et à l'a-
chèvement de sa cicatrisation, consiste dans une in-
duration d'une partie de la cicatrice j dans une adhé-
rence intime du point induré de la cicatrice, avec
l'aponévrose antibrachiale sous-jacente et le tissu
cellulaire intermédiaire; dans une rétraction de l'a-
ponévrose antibrachiale, surtout au-dessus de la ci-
catrice, et que la partie affectée occupait une largeur
graduellementcroissante jusqu'au pli du bras, et même
jusqu'au commencement du bras.
3° Il en résulte encore qu'il n'est point démontré
et qu'il n'est pas même probable qu'aucun muscle
ait participé à la rétraction de la main ou à la ré-
86 CHAPITRE I.
traction des doigts qui se sont manifestées pendant
la cicatrisation. En effet, d'une part les muscles se
sont toujours montrés mous, souples, flexibles, non
douloureux et contractiles comme dans l'état sain ,
et, d'autre part, la rétraction de l'aponévrose, bien
constatée, suffit pour expliquer la difficulté de la
flexion de la main sur îe dos de l'avant-bras et de
l'extension des derniers doigts. Les craquements in-
térieurs que le renversement forcé de la main et des
doigts en arrière, du côté des muscles extenseurs, a
déterminés, peuvent bien avoir été produits par la
rupture d'une adhérence récente qui se serait éta-
blie au commencement du travail de la cicatrisation
de la plaie entre le tendon du grand palmaire, l'apo-
névrose antibrachiaîe et la cicatrice. Je ne parle pas
du palmaire grêle, parce qu'il manque chez Dubreuil
et des deux côtés, ainsi qsie cela arrive souvent. Mais
ces craquements furent dus aussi à la rupture de l'a-
ponévrose rétractée, puisque la rétraction que des
adhérences ne peuvent expliquer a disparu, et que
le malade a recouvré la faculté d'étendre les doigts et
la main.
4° il résulte enfln, de l'observation de la maladie
de Dubreuil, qu'elle n'a point été grave, que l'ex-
tension forcée que nous avons fait éprouver à la main
et aux doigts en les renversant en arrière a été mé-
diocrement douloureuse, que la flexion de la main et
des doigts en avant par une rétraction toute méca-
nique a cessé immédiatement en grande partie, et
que cette rétraction a encore diminué depuis, pen-
dant que Icibras malade était soumis chaque jour à
l'action des cataplasmes émollients et des bains de
bras. Quelle est la part prise par ces cataplasmes et
ces bains à la diminution delà rétraction? C'est ce
que nous verrons plus tard.
DE l'inflammation rétragtive. 87
Obs. V. — Inflammation rétractive de la main et des doigts
par le froid et la fatigue^ communiquée par M. Jar-
javay.
« Le 22 juillet est entrée à l'hôpital des cliniques la
nommée Gaîin (Désirée), concierge, âgée de cin-
quante-deux ans, qui n'avait jamais eu de rhuma-
tisme, se portait habituellement bien, et était d'une
assez forte constitution.
Cette femme ayant lavé du linge le IZ juin, a ressenti
le li une douleur vive avec gonflement et un peu de rougeur
dans la région du poignet droit. En même temps les doigts
se sont fléchis et ont pris l'aspect de crochets. Rien n'a
été fait contre cette lésion. Le 23 juillet, nous consta-
tons l'état suivant : Flexion de tous les doigts de la main
droite et de la main sur C avant-bras; le dos des doigts est
œdématié ainsi que la face dorsale du carpe. Légère
teinte de rougeur, paume de la main tuméfiée ; dîspantion
du creux palmaire. L'engorgement s'étend sur la partie
inférieure de l'avant-bras jusqu'à trois travers de
doigts. Compression douloureuse sur la paume de la
main, flexion un peu douloureuse dans l'articulation
radio-carpienne. Point de fièvre, langue bonne, ap-
pétit. Vingt-cinq sangsues sur la région du poignet, cata-
plasme. Une portion. Même état le 26, trente sangsues.
Les émissions locales ayant mal réussi, car toutes les
sangsues n'avaient pas pris, on en applique trente le
27. Amélioration le 28, consistant dans une diminu-
tion de l'œdème de la face dorsale de la main et des
doigts, et une extension moins douloureuse de ces derniers.
Des cataplasmes sont toujours maintenus sur la partie
malade; deux portions. Le 28, l'état meilleur per-
siste, les doigts peuvent encore être portés dans une
extension plus grande. Les jours suivants, on remarque
que les doigts peuvent de plus en plus être portés dans
CHAPITRE I.
l'extension; les cataplasmes sont toujours maintenus sur la
région malade.
4 août. Les doigts étant portés dans une extension
complète.^ en les tirant avec force, des craquements se
sont fait sentir pendant ce mouvenaènt sur leur face
palmaire. Je remarque que la peau de la face pal-
maire de la main est épaisse, ne faisant qu'un avec
l'aponévrose sous-jacente ; il en est de même de celles
des doigts. Point de douleur à la pression, ni de rou-
geur. La peau de la partie antérieure et inférieure de
l'avant-bras n'est plus mobile, elle adhère à un lien cellu-
leux, dur, épais; le tendon du pafmaire grêle ne fait
plus une saillie prononcée dans la flexion de la main
comme sur le membre opposé.
10 août. On dirait que la main est moins volumi-
neuse, plus sèche, la peau de la partie inférieure de
l'avant-bras a recouvré sa souplesse, mais celle des
doigts paraît encore ne faire qu'un avec les tissus
sous-jacents. L'extension ne peut être obtenue d'une
manière complète. Quand on porte les doigts dans
ce sens, la peau fait une saillie sur la partie latérale
et antérieure de l'articulation, comme si des brides
s'y étaient formées.
Du 10 août au 29 septembre, cet état persiste
malgré l'application continuelle des émollients ; dans
le poignet^ seulement^ la peau et le tissu celluleux sous-cutané
sont revenus à leur état normal; à la paume de la main et
à la face palmaire des doigts la peau moins mobile,
plus épaisse, est cependant sèche et ne présente aucune rou-
geur. L'extension des doigts ne se fait pas d'une manière
complète. La malade sort de l'hôpital. »
Obs. VI. — Rétraction de la main et des doigts par le froid
humide, communiquée par M. Jarjavay.
«J'ai vu au bureau central un homme de quarante-
DE l'inflammation rétractive. 89
cinq ans, terrassier, qui pendant les fortes chaleurs
de l'été s'était couché et avait dormi pendant trois
heures sur du sable tout récemment tiré du fond de la
rivière. Cet homme, en se réveillant, sentit sa main
droite qui était placée entre ce sable et sa tête pendant son
sommeil, légèrement engourdie. Au bout de trois heures il ne
pouvait plus étendre le petit doigt, ni Cannulaire. La dou-
leur et la rétraction persistèrent pendant la nuit. Le lende-
main, à la consultation du Bureau central, cet homme
avait le petit doigt fléchi ainsi que f annulaire; cependant
la peau de ses doigts ne présentait rien de particu-
lier. Au niveau de l'éminence hijpothénar, le moindre
attouchement était douloureux, il n'y avait pas de rou-
geur. Je prescrivis un cataplasme. Le malade n'est
pas revenu malgré ma recommandation. »
Obs. VII. — Rétraction des orteils par le froid.
J'ai donné des soins à l'hôpital de la Charité, 1840,
à un vieillard qui avait les orteils tellement renver-
sés sous le pied qu'il marchait sur leur dos et en souf-
frait beaucoup, malgré les coussins qu'il mettait dans
ses chaussures. Le mal était dû au moins à une ré-
traction du tissu cellulaire sous-cutané induré et de
l'aponévrose plantaire. Il disait avoir eu les pieds
gelés dans la campagne de Russie. Je redressai les
orteils dans l'espace d'un mois à six semaines, au
moyen d'une semelle de bois rembourrée sur laquelle
j'étendis peu à peu les orteils au moyen d'un ban-
dage spiral compressif. Mais après sa sortie de l'hô-
pital le mal reparut faute de soins.
Obs. VIII, communiquée par M. Jarjavay. — Rétrac-
tion axillaire par suite de phlegmon suppuré.
« Le nommé Henry (Jean), dix-sept ans, cordonnier,
entre le 10 octobre 1850 à l'hôpital des Cliniques. II
90 CHAPITRE I.
porte un abcès dans l'aisselle droite, abcès survenu
sans cause appréeiable. Incision, cataplasme, le 11.
Le 13, les parties sont détergées, la peau est encore
un peu rouge, mais on remarque que le bras ne peut
être écarté du tronc sans de vives douleurs. En même
temps on voit une corde qui soulève la peau, corde
parallèle au bord antérieur de l'aisselle. Cataplasme 5
le malade, allant bien d'ailleurs, a toujours mangé
trois portions. 14, même état; les 15, Ï6, 17,1a rétrac-
tion s'est maintenue, la peau est cependant moins
rouge. 18, le bras s'écarte davantage du tronc ; les
parties reprennent peu à peu leur souplesse. Sous
l'influence des topiques émollients, la raideur dispa-
raît peu à peu ; le 19, la plaie est presque cicatrisée
et, le 27, le malade est parfai(.ement guéri. »
Obs. IX, communiquée par M. Jarjavay. — Phlegmon
suppuré de l'avant-bras, rétraction palmaire de la main et
des doigts.
«Au numéro 18 delà salle Sainte-Rose, à l'hôpital
de la Charité, est en ce moment une jeune fille de dix-
sept ans, domestique, qui était atteinte d'un phlegmon
de l'avant-bras près du poignet. La cause n'a pu être dé-
terminée. Cette jeune fille avait à son entrée la main
un peu fléchie sur le poignet et les doigts sur la
paume de la main. Si l'on portait les doigts dans l'exten-
sion, une douleur vive se faisait sentir dans la partie de
C avant-bras rouge et tuméfiée. On aurait pu croire à une
inflammation sous-aponévrotique; cependant une tu-
meur fluctuante se développe sur le bord externe, de
l'avant-bras. Incision qui n'intéresse que la peau,
issue d'un pus louable ; cataplasme. Le surlendemain
la main est étendue, les doigts se meuvent avec faci-
lité etsans douleur. Ilneresteplusaujourd'huiqu'une
petite plaie qui se cicatrise. »
DE l'inflammation rétractive. 91
Obs. X. — Èrysipèle phlegmoneux, rétraction Jîbro-
cellulaire du bras, arthrite scrofuleuse.
Une jeune blanchisseuse, entrée à Ja Charité pour
une arthrite du coude ankilosée avec fistules encore
suppurantes et qui venait d'être reprise d'une recru-
descence inflammatoire aiguë de la peau et du tissu
cellulaire sous-cutané, présenta tout le long du côté
interne du bras un repli falciforme, fibro-cellulaire,
soulevant la peau et dont le bord était mince comme
le tranchant d'un couteau. Né avec l'inflammation,
il disparut avec elle par l'usage de cataplasmes émol-
lients arrosés d'eau blanche.
Obs. xi, recueillie par M. Vincent, interne et que
j'abrège. — Eczéma ou dartre sqiiammeuse humide des
deux jambes; rétraction du tissu cellulaire de la peau, im-
mobile et endurcie comme une écorce.
Darbois (Louis), âgé de soixante-seize ans, homme
de lettres, est entré à l'hôpital de la Charité, service
de M. Gerdy, le 8 novembre 1830. Après un travail
de cabinet de vingt-deux ans, pour composer un dic-
tionnaire français et un excès de repos pour ses jambes,
ilafait des excès de marche pendant vingt-cinq ans, en
colportant lui-même son dictionnaire de ville en ville.
A la fin il s'aperçoit que le soir sesjambes sont enflées
et douloureuses. Un peu plus tard, à son entrée à l'hô-
pital, ses jambes sont ie siège d'un eczéma chronique.
Trois semaines avant, il s'est fait une vaste excoria-
tion à la jambe droite du bas jusqu'en haut ; mais avant
cet accident, les jambes étaient déjà fléchies, quoi-
qu'il marchât encore avec une canne. Dans les der-
niers jours de novembre, diminution (resserrement)
rapide des mollets, flexion inaccoutumée (augmentée)
des jambes. Aussi étendue que possible sur la cuisse,
92 CHAPITRE I.
la jambe fait un angle de 110<> environ, et les ten-
dons fléchisseurs du jarret sont tendus. Sous les
squammes de l'eczéma la peau est brune, tendue et
adhérente aux parties sous-jacentes sur lesquelles on
ne peut la mouvoir ni la plisser, ce qui suppose la ré-
traction du tissu cellulaire sous-cutané. Cette im-
plissabilité de la peau est bien plus prononcée dans
le membre inférieur droit que dans le gauche oîi elle
s'étend à des degrés divers de la cuisse jusqu'aux or-
teils. Le volume des membres est diminué ; la sensi-
bilité et la température y sont augmentées. (Traite-
ment : repos au lit, bains simples et bains de vapeurs
alternant tous les jours.) 25 décembre : mieux. L'ex-
tension des jambes va jusqu'à former un angle de
130°.
Pour mieux apprécier cet angle nous avons mesuré
la distance qui sépare l'épine iliaque autero-supé-
rieure de la malléole externe ; par abréviation, nous
appellerons cette distance sinus de l'angle de flexion
ou mieux d'extension. Le 26 décembre ce sinus à
droite = 0"»76, à gauche 0'^82. (Même prescription,
cataplasmes de fécule.)
L'amélioration ne se soutient pas. Au 15 janvier
1851 l'état de rétraction des jambes revient à celui
des premiers jours de novembre, à peu près. Au
jer ayril, le sinus d'extension du membre droit=0'"6 5,
et celui du gauche==:0™69. Les symptômes de rétrac-
tion se prononcent peu à peu; enfin, le malade suc-
combe, non aux phénomènes et aux altérations de ré-
traction, mais à son âge et à sa faiblesse.
Autopsie, jambe gauche. — La peau a perdu de son
élasticité, elle est inextensible et ne revient pas sur
elle-même. Une incision longitudinale est faite à la
face interne de la jambe, depuis la malléole jusqu'à
la tubérosité interne du fémur et les lèvres de cette
DE l'inflammation rétractive. 93
incision ne s'écartent pas. Là oii la peau adhère for-
tement c'est au moyen d'un tissu cellulaire plus dense,
plus.opaque, plus blanc et en quelques points cellulo-
jfibreux, criant sous lescalpel, etc. Dans toutes ces par-
ties, il n'y a plus de graisse. L'aponévrose d'enveloppe
des jumeaux est calcaire, épaissie et adhère intime-
ment aux jumeaux au moyen d'une couche de deux
lignes d'épaisseur, que M. Broca a trouvée, au micros-
cope, composée de tissu cellulaire, de lymphe plasti-
que et de matière colorante du sang. Les jumeaux et
les muscles de la cuisse n'ont pas présenté d'autre
altération.
La peau du genou enlevée on n'obtient qu'un al-
longement du membre de 0™02 ; l'aponévrose enlevée,
point d'allongement. Les tendons des fléchisseurs de
la jambe se bandent quand on essaye d'étendre la
jambe et on n'y parvient pas. Leurs gaines celluleuses
sont épaissies ; leur section n'amène qu'une extension
incomplète de la jambe 5 pour qu'elle devienne com-
plète, on est forcé de couper les têtes des jumeaux.
Point d'altération des ligaments.
L'infiltration œdémateuse de la jambe droite ne
permet pas d'y étudier les lésions de rétraction.
M. Vincent ajoute à ce fait des réflexions dont j'ex-
trais les suivantes, parce que j'y trouve des témoi-
gnages de la doctrine des rétractions. « Cette obser-
vation nous dispense de rapporter avec détails plu-
sieurs cas analogues que nous avons observés à la
Charité et à Saint-Louis, oîi les rétractions de la peau
abondent à la suite des dermatoses chroniques. — A
la suite de tous les phlegmons que nous avons ob-
servés depuis que les leçons de M. Gerdy ont attiré
notre attention, que ces phlegmons se soient terminés
par résolution ou par suppuration, nous avons tou-
jours trouvé la peau plus ou moins indurée, ayant
9k CHAPITRE I. ♦
perdu sa souplesse, sa mobilité, son aptitude à sç
laisser plisser et le tissu cellulaire présentait les mê-
mes caractères. »
HISTOIRE GENERALE DE L INFLAMMATION RETRACTIVE
ET DES RÉTRACTIONS.
Causes. — • Tous les tissus mous paraissent devenir
inextensibles, se raecourcir, so rétracter par l'in-
flammation et c'en est la cause morbide immédiate la
plus évidente. L'inflammation qui la détermine est
essentielle, idiopatliique, comme dans les 11% V%
VI^, ¥11"= observations ^ ou circonvoisine comme dans
les HP, IV% VIII«, IXe, Xe 5 ou spontanée comme
dans la 1X% etc., c'est-à-dire sans cause connue;
par cause physique dans les rétractions produites
par le froid (obs. V, VI, VU) 5 traumatique, dans
les observations il, III, IV, etc. Ainsi tous les mo-
des de l'inflammation, sous le rapport des causes pa-
raissent capables de produire des rétractions, et
en produisent presque toujours, mais à différents
degrés.
Caractères anatomiques. — On observe souvent des
rétractions inflammatoires a la peau, dans les tissus
cellulaire, fibreux, synovial, dans les régions planes
ou convexes, au voisinage des articulations, aux ou-
vertures et dans les parois des conduits naturels, des
viscères creux et même dans des viscères qui ne le
sont pas, dans tous les tissus peut-être, excepté les
tissus durs, comme les tissus osseux et cartilagineux,
mais surtout dans les tissus blancs. Partout les ré-
tractions offrent des caractères communs et des ca-
ractères spéciaux, enfin des caractères différents
suivant le degré de l'affection. Au degré le plus lé-
DE l'inflammation rétractive. 95
ger, au premier, il y a diminution d'extensibilité sans
altération matérielle appréciable, et on ne reconnaît la
maladie qu'à la diminution d'extension. A un deuxième
degré, il y a opacité, épaississement, induration, rac-
courcissement des tissus, probablement, en partie,
par suite d'un dépôt de lymphe coagulable dans les
tissus. A un troisième degré, il y a augmentation de
ces caractères et cartilaginification apparente des
tissus. A tous ces degrés, il y a extensibilité diminuée
et résistance mécanique accrue; mais si les tissus sont
soumis à une puissance extensive supérieure à leur
résistance, souvent ils se rompent au lieu de s'éten-
dre et ne sont pas toujours plus friables, puisqu'ils
résistent souvent à des forces plus grandes que d'ha-
bitude.C'est au contraire ce qui arrive quand les tis-
sus sont ramollis par l'inflammation, mais alors, ils se
déchirent avec plus ou moins de facilité.
Lorsque la peau est rétractée, elle est souvent en
même temps indurée et rugueuse comme l'écorce
d'un hêtre , par suite des dépressions ponctuées
qu'elle offre k la base des poils, des rides que les yeux
y distinguent à peine dans l'état de santé, et qui de-
viennent très -sensibles dans l'état de rétraction.
Alors on a d'autant plus de peine à la plisser avec les
doigts que son extensibilité normale est plus dimi-
nuée, et que le tissu sous-cutané est plus rétracté lui-
même.
Si le tissu cellulaire existant en couche d'épais-
seur à peu près égale, est en même temps rétracté,
comme on le voit quelquefois dans l'érysipèle phleg-
moneux induré, dans la dartre squammeuse humide,
dans les ulcères chroniques des jambes et à la suite
de ces affections, la peau pressente des caractères de
rétraction plus prononcés encore. Elle ne glisse plus
sur les tissus sous-jacents, elle s'y applique à peu
96 CHAPITRE I.
près également, ne se plisse plus ou presque plus, et
est parfois lisse et luisante.
Dans les parties que le tissu cellulaire arrondit par
son abondance, dans les seins, dans les fesses, l'in-
flammation cause des rétractions, quelquefois très-
enfoncées, qui altèrent la grâce de leurs contours.
Les mammites en offrent beaucoup d'exemple; mais
c'est surtout à la suite des phlegmons suppures qu'on
observe des dépressions profondes dans les mamelles
et dans les fesses.
Les tissus fibreux rétractés se montrent souvent
épaissis, indurés et plus opaques. Les membranes sy-
noviales, le tissu cellulaire qui les double participe
aussi à ces altérations, que l'on retrouve dans le tissu
cicatriciel et tous les tissus analogues des phlogo-
sies, dans les fausses membranes, les infiltrations
plastiques, formés au sein même de l'inflammation et
revêtant les caractères des tissus enflammés.
Quoique j'aie dit que la rétraction se montre sur-
tout dans les tissus blancs, c'est-à-dire dans les tissus
albuginés, qui, comme la peau, le tissu fibreux, se
rédnisenf. en gelée par la coction, je ne prétends point
que le tissu charnu, la fibre musculaire, la substance
nerveuse ne soient pas susceptibles de se raccourcir
et de se rétracter sous l'influence de l'inflammation;
mais je l'ignore encore, bien que j'aie fait des efforts
pour m'en assurer. J'ai bien vu des muscles, des nerfs,
des vaisseaux rétractés, mais ils m'ont toujours paru
l'être par leurs tissus cellulaire ou fibreux, plus ou
moins épaissis et indurés. Je me borne donc à dire ce
que je sais, sans esprit de système, et à confesser ce
que j'ignore. Je suis même disposé à croire que tous
les tissus mous peuvent se rétracter-, ma raison ne
s'y refuse même absolument que pour le tissu solide
des os.
DE l'inflammation RÉTRACTIVE. 97
Qui n'a été frappé des phénomènes de rétraction
qui s'<ibservent dans les maladies articulaires, dans
les arthrites aiguës et chroniques? Combien de fois
ît'ai-je pas vu des malades tombés depuis quelques
jours, depuis vinift-quatre heures seulement, sur le
sol ou sur un corps très-iiur, se trouver dans l'im-
possibilité d'élendre la jointure contuse par la chute,
ceile du coude, par exemple! Que s'est-il passé
a! ors?
On est d'abord disposée croire que le malade tient
rarticuialion immobile parce que, Tarliculation étant
douloureuse, il craint d'augmenter ses souffrances
par le moindre mouvement. 11 est même certain que
celte circonstance concourt k l'immobilité que le ma-
lade conserve. Néanmoins, il est certain aussi que le
patient ne peut réellement étendre le membre, ni le
fliirhir autant que dans l'état sain. On peut quelque-
f(tis s'en assurer dans les arthrites en paralysant la
d(Hjleur par le chloroforme, ou sur le cadavre par des
tentatives de flexion et d'extension. On s'en assure
même dans les arthrites aiguës en fléchissant et éten-
dant très-(îoiicement la jointure. Alors il arrive un
moment oîi le mouvement, mécaniquement imprimé,
est arrêté par une résistance qui cause une vive dou-
leur, non dans les muscles, mais dans l'arlicuîation ou
autour de l'articulation, et dont le patient d'Her-
mine la position par la d(»uleur. Parfois alors on
sent, soi-même, en palpant !a partie, des brides, des
rubans hbro-cel!ulaires, des cordes fibreuses qui sou-
lèvent la peau et se tendent pendant que l'on fait des-
efl'orts modérés pour en vaincre la résistance. Bans les
cas où les muscles se contractent eu même temps
pour arrêter la douleur, les chirurgiens en concluent
que ce sont les muscles seuls qui empêchent le mou-
vement. Nous prouverons le contraire plus bas.
7
98 ^ CHAPITRE I.
Alors, en réalité, les muscles concourent, avec les
parties fibreuses et cellulaires, à entretenir l'inflexion
et la rétraction de la jointure. Pour affirmer que les
muscles empêchent seuls les mouvements articulaires,
il faudrait prouver, qu'on veuille bien le remarquer,
que la rétraction ne tient alors ni au raccourcisse-
ment des tendons, ni au retrait des gaines fibreuses
des muscles, qui, comme nous l'avons démontré il y
a plus de vingt ans, entourent le corps charnu de la
plupart de chacun des muscles des membres, et se
confondent avec leur tendon terminal qu'elles em-
brassent (t). Il faudrait même prouver, dans l'intérêt
de la science, que ie raccourcissement des muscles
n'est pas du à ia rétraction et à Tinduration des gaines
celluleuses de leurs fibres, mais à leur action ou au rac-
courcissement de Leurs fibres charnues. Cela doi \ a rri ver dans
certains cas; mais ces cas sont aujourd'hui très-mal
connus, et la science est à cet égard remplie de doutes
et d'incertitudes. Je dois avouer que, pour la prati-
que, des connaissances aussi précises sur les parties
rétractées dans les muscles raccourcis ne sont pas
aussi nécessaires que pour la science.
On supposera peut-être, d'après les intéressantes
expériences de M. Bonnet, de Lyon, que les rétrac-
tions articulaires dont nous venons de parler pour-
raient bien tenir à la distension des synoviales par
l'épanchement, par l'hydropisie qu'on observe sou-
vent dans les arthrites! Mais les iîtflexions, les rétrac-
tions articulaires se manifestent dans les arthrites
sans épaacheraent, ou presque sans aucun épanche-
ment.
Les rétractions articulaires ne se manifestent pas
(1) Voy. ma Ihîse inaugurale, 1825, p. 45; mon mémo'm, journal de
Févussac, n" 165, et surtout mon Aiuii. des Formes, 1829, où toutes ces
gaines sont décrites, p. 163, 169, 180, 205, 232, 2/|9, 263, 278, 30/i.
DE l'inflammation rétractive. 99
seulement dans les arthrites; on les observe souvent
dans les simples douleurs articulaires sans inflamma-
tion, et très-peu de temps après l'apparition des dou-
leurs, ou dans des fluxions et des inflamuiations du
tissu cellulaire voisin. C'est ce qui arrive sous l'in-
fluence des douleurs dans toutes les jointures. On
l'observe souvent à l'articulation de la mâchoire in-
férieure, sous l'influence du froid, d'une douleur den-
taire, d'une otite, d'une fluxion de îajoue, d'une amyg-
dalite. Dans ces diff'érents cas, la mâchoire inférieure
peut être rapprochée mécaniquement de la supérieure
à diff'érents degrés, et même au point que le malade
ne puisse pas du tout écarter les mâchoires et ouvrir
la bouche. On pourrait penser qu'alors la rétraction
est due à l'action des fibres charnues du muscle mas-
séter ou du temporal 5 mais souvent la douleur éprou-
vée par le malade quand il ouvre la bouche ne
s'étend point à la région occupée par ces muscles.
La pression et les contractions volontaires n'y dé-
terminent point de souffrance, et ces organes
n'ont rien perdu de leur force et de leur consistance
naturelles. On ne saurait donc, sous aucun prétexte,
les accuser de la rigidité et de la rétraction que l'on
obserye. Dans certaines rigidités anciennes, on peut
même s'assurer que la rétracture estdue à des brides
fibro-cellulaires ou fibreuses voisines.
Mais les observations llï et XI, que nous avons
rapportées avec tant de détails pour éclairer défini-
tivement ce sujet, et auxquelles nous pourrions en
ajouter beaucoup d'autres, ne permettent aucun
doute et montrent d'une manière éclatante oîi se
trouvent surtout les rétractions , qui empêchent si
constamment les jointures de s'étendre ou de se flé-
chir au maximum de leur extension et de leur flexion,
et qui les maintiennent si fréquemment déviées ou in-
100 CHAPITRE I.
fléchies, d'une manière permanente à divers degrés,
et souvenf, pour la vie.
On en a surtout des exemples remarquables dans
les f)ieds-bots et les déviations du rachis; car si je ne
prétends pas que ces déviations tiennent toujours et
seulement à des phlegmasies rélractives, je sais que
les tissus ceHulaires et fibreux y sont rétractés, et
que, dans certains cas, l'inflammation a concouru à
produire la rétraction et la dévialion des os. C'est
surtout ce qui arrive quand le tissu rétrjicté couvre
l'un des côtés d'une succession d'articulations. J'en
ai observé un cas curieux dans le service de mon
co!!èi,nie et ami le docteur Rayer, qui a bien voulu me
le faire voir.
Obs. XIV. — Le malade, qui avait cinquante à
soixante ans, avait la tête et le cou renversés sur
l'épaule droite-, la peau, dure comme l'écorce d'un
arbre, ne pouvait ni se plisser, ni glisser sur le côté
droit du cou-, elle était épaissie et indurée depuis
la joue droite jusqu'à l'épaule correspondante, et
d'arrière en avant depuis la nuque jusque vers le
muscle sterno- mastoïdien. H n'en éprouvait de la
gène que pour les mouvements. Le tissu cellulaire
sous-cutané était hypertrophié, induré comme la
peau, et ne paraissait guère plus souple et plus ex-
tensible. 11 l'était peut être moins, car la peau formait
des plis inefl'açables dirigés d'arrière en avant sur le
cô'é malade.
Dans les ouvertures et les canaux naturels, dans
les viscères creux, l'inflammation produit des rétrac-
lions des tissus blancs surtout, qui les resserrent et
rétrécissent leurs cavités et leurs ouvertures. Les dé-
générations squirrheuses en font autant, peut être
par l'inflammation obscure et latente qui accompagne
leur première période, peut-être aussi sans inflam-
DE l'inflammation rétractive. 101
mation. On a des exemples du rétrécissement des
ouvertures naturelles par inflammation dans le res-
serrement des paupières, phénomène commun dans
]es conjonctivites, quoiqu'on ne le remarque pas; du
conduit auditif externe dans les otites externes et à
leur suite; de l'orifice des narines, de la bouche, dans
les dartres; de l'œsophage, de l'estomac, de l'intes-
tin, du rectum, de l'urètre, du vagin, par suite de la
rétraction du tissu cellulaire sous-cutané et du tissu
muqueux; dans les rétrécissements des orifices du
cœur par la rétraction de ses tissus fibreux et cellu-
laires; dans le ratatinement du poumon par suite
de la rétraction de ses fausses membranes et de
ses tissus. Enfin, on observe même des ratatine-
inents du foie, de la rate, des reins, par la rétrac-
tion de leur tissu cellulaire interstitiel et de leurs
membranes.
Le caractère analomique le plus constant, parfois
le seul caractère appréciable, dans les tissus rétrac-
tés, consiste dans une diminution d'extensibilité, sans
induration ni épaississement évident au toucher ni à
la vue; alors l'altération échappe à l'anatomiste,
comme cela est souventes fois arrivé. Ce fait s'ob-
serve dans les rétrécissements de l'urètre, comme
autour des jointures rétractées, et explique très-bien
pourquoi tant d'observateurs pleins de sagacité, qui
avaient soigné des rétrécissements pendant la vie, ont
été très-étonnés de n'en pas retrouver de traces ap; es
la mort. Mais si l'on soumet les tissus cellulaires,
fibreux et synovial rétractés à une tension ou dis-
tenlion normale, leur résistance ou leur déchirure
prouve bientôt qu'ils ont perdu leur extensibilité,
leur souplesse normale, puisqu'ils résistent au lieu de
céder, ou se rompent au lieu de s'étendre.
D'autres fois, les tissus malades sont en même
102 CHAPITRE I,
temps évidemment plus courts que dans l'élat sain,
et on ne peut leur rendre leur longueur habituelle
sans les rompre; d'autres fois, on reconnaît que les
tissus blancs : tissus cellulaire, fibreux, aponévroses,
membranes synoviales, peau, membranes muqueu-
ses, tissu cellulaire sous-muqueux, tunique des ar-
tères, des veines, des nerfs, sont plus ou moins épais-
sis; souvent alors, mais non toujours, ils sont infiltrés
de fibrine ou de lymphe plastique qui les épaissit et
les indure; alors encore, ils résistent sans cédera des
tractions beaucoup plus énergiques que celles aux-
quelles ils cèdent dans l'état sain, puis ils se rom-
pent, comme nous l'avons dit. D'ailleurs, ces tissus
peuvent présenter d'autres altérations, et surtout
des altérations de couleur, de vascularisation ,
d'infiltrations séreuses ou sanguines, et les dégé-
nérescences communes aux inflammations aiguës et
chroniques.
D'aucuns peut-être en concluront que ce sont
les altérations d'induration, d'épaiaissement plasti-
que qiii sont la cause de l'inextensibiiité et quel-
quefois du raccourcissement des tissus rétractés.
Mais, outre que la rétraction consiste souvent dans
l'inexteiisibililé seule du tissu malade, d'autres
fois dans son inextensibilité et son raccourcisse-
ment évident prouvé par la mensuration comparée
des tissus malades avec celle des tissus sains du côté
opposé du corps, l'induration et l'épaississement
n'eiilraînent pas nécessairement le défaut d'extensi-
bilité et d'élasticité dans des tissus. L'acier, malgré
sa dureté, les ressorts, malgré leur épaisseur, con-
servent de l'élasticité, et on les voit plier, s'allonger
sans se rompre, puis se raccourcir. Or, les tissus dont
nous parlons ne cèdent guère que pour se rompre.
D'ailleurs, comment expliquer la flexion croissante
DE l'iNFLÂSIMATION "uÉTRAGTIVt:. 103
d'une aîticulalion, le rcssorremeat croissant d'une
ouverture ou d'un canal, l'enfoncement du ma-
melon sans rétra^ilion des tisvsus? il faut donc en
convenir, la rétracliun est ut! fait capital, un fait
principe-, c'est une vérilé-inère, une grande vérité
générale en pathologie, qiUi eag^ejâdre une multitude
de faits parlicuiiers que nous retrouvons, à tout
instant, dans les maladies spéciales, et dont elle
nous révèle l'origine et le mécanisme.
Les symptômes des rétractions inflammatoires sont
ceux des rétractions non évidemment inflammatoires
auxquels s'ajoutent des symptômes manifestes d'in-
flammation aiguë ou chronique. Ceux-ci consistent
dans les maladies des jointures ou de leur voisinage:
1° dans des douleurs vives ou obtuses , lorsqu'on
clierehe à étendre et surtout à fléchir les arlicuia-
tions à leur maximum, ou quand le malade fait lui-
même des efîi)rts pour y parvenir; 2° dans l'effort des
muscles pour maintenir la jointure immobile aussitôt
que le mouvement y éveille la douleur. Celte coïnci-
dence de l'action musculaire a entraîné les chirur-
giens dans l'erreur. Ils en ont conclu que les muscles
étaient la cause de l'immobilité. Si, au lieu d'arrêter
leur raisonnement à moitié, ils s'étaient demandé:
mais d'où vient la douleur qui fait contracter les
muscles? ils auraient vu qu'elle devait provenir
d'abord de ce que les tissus articulaires ne pouvaient
s'étendre sans souS'rance autant que dans i'éîat sain.
Alors ils auraient senti la nécessité de les étudier, et
la dissection et les distensions auxquelles ils les au-
raient soumis leur aurait appriSi^u'iils étaient seule-
ment moins extensibles ou raccourcis, indurés, épais-
sis, en un mot rétractés.
Les rétractions inflammatoires s'accompagnent en
outre fréquemment 3° d'une chaleur locale augmen-
104 CH/VPITRE I.
tée et sensible au toucher; i° (i'un gonflement va-
riable, souvent avec infiltration appréciable par la
palpation ; ô» de la gêne et de la diminution des mou-
vements causées par les tissus rétractés; 6° des symp-
tômes inflammatoires de voisinage ; enfin, 7° de fièvre
dans les cas de phlegmasie aiguë.
Leur marche est simple dans les inflammations ai-
guës. La rétraction apparaît et souvent disparaît avec
l'inflammation; d'autres fois la maladie se prolonge
indéfiniment ou reste stationnaire, indolente, mais en
tenant toujours les parties, les membres ou le tronc
déviés et véritablement rétractés, plus ou moins
changés, mutilés dans la liberté de leurs mouvements
et atrophiés dans leur volume; en tenant certaines
parties, comme le sein déformées; en rendant les
membres grêles, les ouvertures naturelles froncées
et les conduits rétrécis et d'une étroitesse extrême.
Quoique les rétractions se produisent en général
avec un peu de lenteur, on en voit envahir un mem-
bre en vingt-quatre heures, quelques jours ou quel-
ques semaines.
Le diagnostic des rétractions est facile d'après les
caractères extérieurs qu'elles présentent. On les
soupçonne d'abord dans les canaux à la gêne qu'ils
opposent au passage des matières qui les parcourent,
à la difficulté anormale d'y introduire le doigt ou une
bougie quand ils ne sont pas trop profonds, aux em-
preintes qu'ils laissent sur les bougies emplastiques
lorsqu'elles peuvent y pénétrer. On les reconnaît,
même dans les viscères ratatinés et indurés, snit par
la palpation, soit par les déformations qu'elles pro-
duisent dans une poitrine où le poumon est rétracté,
soit par les troubles fonctionnels d'auscultation du
poumon, du cœur avec resserrement de ses ouver-
tures, avec rétraction des tendons de ses colonnes, de
DE l'inflammation rétragtive. 105
ses valvnles; ruais on conçoit que, dans certains cas,
Je diagnostic peut rester douteux ou impossible jus-
qu'à l'autopsie.
Les rétractions intéjieures squirrheuses pourraient
être facilement confondues avec les rétraclions con-
sécutives à une phlegmasie aiguë ou chronique. Ce-
pendant l'antécéiîent connu de la phlegmasie pour-
rail, dans certains cas, faire éviter l'erreur. L'erreur
serait plus facile à éviter dans le cas de squirrhe dé-
généré, à cause des symptômes possibles de cette
dégénération. (V. plus bas Squirrhe)
Pronosiic. — Les réiracticms extérieures sont moins
graves que les rétractions intérieures qui peuvent
devenir morlelles. Mais on coiiçoit que le pronostic
diffère suivant les parties affectées et suivant le de-
gré de l'affection.
Le traiicment des plilegmasies rétractives exté-
rieures est, d'abord celui des inflammations aiguës
ou chroniques, suivant les symptômes qui les ac-
compagnent : les émissions sanguines locales ou gé-
nérales, les topiques émollients, ies lotions, les bains
de même nature et un régime ténu, dans le cas d'a-
cuité inflammatoire^ les mêmes moyens, mais avec
beaucoup moins d'énergie, dans le cas de chronicité,
et de plus les douches de vapeurs, d'eaux minérales
sulfureuses, alcalines, etc., les frictions mercurie'.les.
Lorsque ces moyens sont impuissants : distensions
mécaniques graduées, prolongées au moyen de ma-
chines ou passagères dont l'action ne doit jamais
être assez énergique pour rompre des rétractions
nombreuses considérables, comme on en voit dans
les arthrites chroniques, mais assez fortes pour rom-
pre des tissus rétractés de l'épaisseur de un à deux
millimètres et d'une résistance modérée. Les exten-
sions et redressements prolongés ont une efficacité
106 CHAPITRE I.
bien prouvée dans le traitement du pied-bot. Dans
les cas où la résistance est plus considérable, il faut
préférer, si le fait est possible, la section sous-cuta-
née -, mais on ne peut plus y songer s'il s'agit de ré-
tractions multipliées autour d'une jointure, sur le
nombre et la situation desquelles on n'a pas de don-
nées certaines. D'ailleurs, respectez toujours dans ces
sections, les organes importants comme les grosses
veines, les artères et les nerfs un peu volumineux.
Et après les redressements forcés, maintenez-les par
un appareil ou une machine contentifs convenables,
car les rétractions ont une grande tendance à se re-
produire, comme on le voit a la suite des rétrécis-
sements de l'urètre, du pied-bot, des déviations
du rachis, que les rétractions fibro-cellulaires com-
pliquent toujours. Après une flexion ou une ex-
tension forcée, entretenez les mouvements par des
exercices appropriés. Enfin, après toutes ces manœu-
vres, faites au besoin un traitement antiphlogistique
et calmant.
Dans les cas de rétrécissement, dilatez par des
mèches enduites ou non d'onguent mercuriel, par des
instruments topiques dilatants, bougies, sondes, ca-
nules, etc.; quelquefois même recourez à des inci-
sions, des débridements prudents et éclairés, ainsi
que nous l'exposerons en détail dans les maladies
particulières.
M, B , enfant de dix à douze ans fait, pen-
dant les vacances de 1849, une chute ; il y a entorse
du coude. Le médecin de la campagne de son père
est appelé-, il soigne l'enfant, mais il reste une tu-
méfaction du coudé avec déformation de l'articula-
tion et gonflement apparent du condyle et de l'épi-
condyle de l'humérus, inflexion de l'avant-bras pres-
qu'à angle droit, par suite de rigidité et de rétraction.
DE l'inflammation RÉTR ACTIVE. 107
Le père inquiet me prie de lui donner des soins. J'hé-
sitais, parce que l'enfant qui m'était connu était très-
gâté parses parents. Néanmoins j'y consentis. L'enfant
fut, pendant au moins trois mois, soumis à des flexions
et extensions alternatives graduées et forcées de la
jointure malade, mis à l'usage des bains et des cata-
plasmes, surtout quand !a jointure était par trop
chaude et par trop souffrante. A l'usage presque ha-
bituel d'une machine extensive que je fis fabriquer,
le membre s'étendit et se redressa peu à peu, et en-
fin je parvins, malgré l'indocilité de l'enfant, après
bien des peines et à force de patience, à lui rendre sa
mobilité, et sa rectitude naturelles. Après il porta
encore sa machine extensive pendant un certain
temps. La guérison a toujours persisté depuis.
En résumé, la cause la mieux connue des rétractions
est aujourd'hui l'inflammation, et presque toutes les
inflammations les produisent et; les déterminent très-
fréquemment à des degrés divers. Les plus communes
portent sur les jointures, quelques-unes sur la surface
du corps et des membres qu'elles rappetissent et dé-
forment, comme je l'ai dit d'ailleurs à la fin de mon
deuxième mémoire sur ce sujet, en mai 1847.
En général, t(»us les rétrécissements des ouvertures
et des conduits naturels sont dus à ia mêrije altéra-
tion matérielle, comme ou le voit dans les rétrécisse-
ments du rectum, de l'urètre et du vagin. Il est vrai
qu'il s'y joint quelquefois une rétraction due à la pro-
duction de matières organisables, dans l'épaisseur
des parois du conduit rétréci. A cette occasion, je
remarquerai qu'un de mes amis, M. Chresîien, pro-
fesseur agrégé à la Faculté de médeciiie de Montpel-
lier, m'a écrit pour me reproch(>r de ravir à son maî-
tre Delpech, sans le citer, un des plus beaux fleurons
de sa couronne chirurgicale. Je n'ai point cité Del-
108 CHAPITRE ï. — DES INFLAMMATIONS
pech, parce que je ne faisais point l'hislorique des
rétractions, et que, d'ailleurs, mes observations por-
tent sur un sujet plus vaste. En efTet, Delpech, en
montrant que le tissu cicatriciel,, que les fausses mem-
branes, que certains tissus de nouvelle formation
qu'il appelle du nom générique de tissu inodulaire,
sont très-réiractiles et produisent des rétractions fort
remarquables, a rais en lumière un i'ait très-général et
très-important, comme tous les faits généraux; mais ce
fait n'est lui-même qu'un élément, qu'une espèce par-
ticulière d'un cas plus îiénéral encore qui l'embrasse
lui-même. Ce fait général, c'est que l'inflanimation
et surtout les inflammations chroniques resserrent les
tissus soumis à leur influence, les condensent, les
raccourcissent, les indurent, etc.; que les tissus en-
gendrés par Tinflaramation au sein des parlies enflam-
mées participent eux-mêmes à ces caractères remar-
quables, et on devait le présumer, puisqu'ils y parti-
cipent aussi par leur vascularilé; que quelquefois il
suffit du traitement antiphlogislique, c'est à-dire des
traitements opposés à l'inflammation, pour combaltre
et guérir ces rétractions -, mais que, dans les cas ex-
trêmes, il faut recourir à d'autres moyens, tels que
les divisions mécaniques. Ce grand fait des rétractions
n'est donc pas seulement un grand l'ait théorique,
c'est aussi un fait pratique de la plus haute imi)or-
tance, et sur lequel on ne saurait trop appeler l'atten-
tion des médecins comme des chirurgiciis, dans l'in-
térêt de l'humanité.
DES INFLAMMATIONS SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRI-
SANTE OU PLASTIQUE.
L'inflammation produit trois effets forts diflérents
qui en sont trois modes très-distincts 5 de là les trois
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 109
déiioniinafions particulières qui les désjji;nent. Néan-
moins ces trois modes marchent ordinairement en-
seirible dans les parties enflammées, et c'est ce qui
m'engage à les décrire ensemble, tout en indiquant ce
qui est [>articnlier à < hacun.
L'inflammation suppurante est caractérisée par la
forma lion du pus dans Tépaisseur ou à la surface des
lissns plilogosés ; Vulcéraute par une solution de con-
tinuilé des tissus qui se fait m(tlécnle à molécule, et
qui paraissent emportés par l'absorplion , probable-
ment après s'être dissous. Ou pourrait la confondre
avec l'inflammation atrophiante qui paraît absorber
les tissus, molécule à m(ïlécide, mais sans ulcération,
comme on le voit dans certaines inflammations de
l'estomac dont les parois sont gradueliement amin-
cies. L'inflammation plastique ou organisanle consiste
au contraire dans la production par sécrétion, de
lymphe coagulable fibrineuse, plastique, qui se con-
crète, s'organise et répare en partie ou en totalité
les pertes et les désordres causés par l'inflammation
ulcérante, en sorte que c'est une véritable fonction
de la vie, et une fonction des plus utiles et des plus
merveilleuses que je voudrais, mais que je ne puis
décrire ici.
Cames. — Le pus est habituellement produit dans
les tissus enflammés ou à leur surface. On en a con-
clu que la phlegmasie est la cause génératrice de la
suppuration et de l'ulcération, et qu'aucun autre état
de la vie ne peut les produire. Ct^lte conclusion n'est
pas logique, elle est aventurée. Néanmoins, la plu-
part des causes de l'inflammation doivent être regar-
dées comme des causes éloignéesdesuppuration, d'ul-
cération et d'adhési(»n. Telles sont surtout les causes
mécaniques, les compressions fierraanentes, les frot-
tements, les irritations moléculaires, chimiques ou
110 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
vésicantes. (V. d'ailleurs plus haut, p. 7, les causes
de l'inflaramation.)
Du pus. — C'est un liquide plus ou moins épais, de
couleur, d'odeur variées, et essentiellement carac-
térisé par la présence de globules microscopiques
particuliers et de granules nageant dans une certaine
quantité de sérum.
Propriétés physiques du pus. — Il est de consistance
variée, plus épais dans les inflammations aiguës que
dans les chroniques oîi il est diffluent. Sans être
jamais assez visqueux pour filer entre les doigts,
qui s'écartent après s'y être plongés, il est pour-
tant plus visqueux, en général, lorsqu'il est épais;
dans ce cas aussi, il est généralement opaque et d'un
blanc jaunâtre; il est gris et trouble, en quelque
sorte, dans les phlegmasies chroniques, et quelque-
fois brun ; il est en partie clair, séreux et mêlé de
grumeaux blancs ou jaunâtres dans les abcès froids, et
surtout dans les abcès tuberculeux. Il est générale- *
ment inodore dans les abcès non ouverts , à moins
qu'il ne soit séparé des cavités de la bouche , du
pharjnx, du rectum par une couche un peu mince;
dans ce cas il peut participer aux odeurs excrémen-
titielles du rectum, à celles, plus fétides encore, qui
résultent de la décomposition des fluides de la bouche.
Il est d'une odeur désagréable et spéciale sur les
surfaces suppurantes ouvertes largement à l'exté-
rieur, et d'une senteur plus repoussante lorsqu'il
croupit dans des foyers où il s'altère et se décompose.
Au microscope, il se montre composé : 1° d'un li-
quide séreux (sérum du pus); 2° de granules molécu-
laires; 3° d'une quantité variable de globules {pL I,
fig. 5-8) sphéroïdaux d'un à deux fois, à peu près,
plus gros que les globules du sang qui sont arrondis
et lenticulaires ou même aplatis comme une pièce
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 111
de monnaie. Leur circonscription n'est pas réguliè-
rement arrondie, elle peut être altérée; leur surface
est ponctuée et couverte par places de granules qui
lui donnent l'aspect de la, framboise. (Pliysiol. pathoL,
par Lebert, t. 1., p. 12; Sédiilot, PyoéMie, p. 2, in-8°,
I84i>. Paris.) Suivant plusieurs micrographes, Gueter-
bock, J. Vogel, le globule serait formé d'un noyau et
d'un involucre ou tégument soluble par Facide acéti-
que, et le noyau lui-même serait composé de granules.
Suivant Bî. Lebert, ies noyaux s'élèvent d'un à cinq, et
le plus souvent k trois ou quatre. Ils se dissolvent dans
certains cas et se réduisent en granules moléculaires.
Les noyaux peuvent offrir des nucléoles (t. 6, pi. 1).
Le nombre des globules est, en général, proportionné
à l'épaississeraent du pus, et les grumeaux du pus
grumeleujf paraissent dus à des globules de tubercules
mêlés à de la fibrine concrétée. On distingue les glo-
bules du pus de ceux du sang parce que ceux-ci sont
deux à trois fois plus petits {fig. 1), des globules gra-
nuleux de l'inflammalion parce que ceux ci sont
une fois plus gros environ {jig. 3); des globules
blancs du sang {^ficj. 2) et des globules pyoïdes, sou-
vent mêlés au pus, parce que ceux-ci n'ont pas de
noyau. (F. ;;/. I,^ft. 12.)
Propriétés chimiques. — Le pus est sans action sur le
papier bleu de tournesol ou sur ce même papier rougi
par un acide, et neutre lorsqu'il n'a point été encore
en contact avec l'air. ïl est au contraire généralement
acide dans les plaies bien ouvertes et où il ne sé-
journe pas, parce qu'il s'écoule promptemenl; alcalin
dans les foyers mal ouverts d'oii il s'écoule ditficile-
ment. Il devient visqueux et tenace comme du mu-
cus par l'ammoniaque-, alors les globules se lient les
uns aux autres et leur contour se confond et s'efface
par cette union.
112 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
Sa composition chimique est. : eaii^ 0,90, — Albumine,
0,03. — Corps gras à l'état émulsif, en proportion de
la consistance du pus, et qui contribuent à l'opacité
du pus, — Extraits de t;ia»îrfe(alcooli'.|ue et aqueux) —
Fibrine. — Lactique et acétique. — Pyine ou caséeux. —
Sels analogues à ceux du sang. (Bérard, Dict. en 30 v.,
art. pus.)
La composition du pus peut être altérée par des
mélanges divers : 1° de sang; 2° de fibrine en gru-
meaux; 3° de matière tuberculeuse; 4° de sécréta di-
vers, comme mlicus, bile, urine, lait, etc., par «ies
débris des organes, du tissu cellulaire, du l'oie, des
esquilles, etc.; enfin, par des produits de la décom-
position du pus lui-même, tels que le sulphydrique,
l'ammoniaque, l'hydro-sulfate d'ammoniaque.
Propriété cicatrisante du pus. — Par ceite propriété
merveilleuse, le pus concourt à la cicatrisatiosi; mais
il ne remplit celte fonction que par la lymphe plasti-
que qu'il renferme, et il la remplit probablement
d'autant mieux qu'il en contient davantage.
Propriétés morbides du pus. — Autrefois, on attribuait
au pus des propriétés assez irritantes pour carier les
os, altérer et perforer les parois des vaisseaux. De-
puis l'Académie de chirurgie, on est revenu à des
idées tout opposées, et on s'^est imaginé qu'il est |;ar-
faitement innocent. Sans le croire très- irritant, je
ne suis pas convaincu de son innocuité. Les pre-
mières gouttelettes de pus formées augmentent
déjà la suppurali<m à l'entonr par 1 irritation qu'el-
les causent, comme corps étranger. Si ces gontie-
lettes forment des pustules siq)erficielles aux doigts
ou au visage , et qu'on les ouvre avec une simple
épingle, dès que le pus s'écoule, la douleur cesse et
îa guérison suit. Souvent le pus qui baigne la peau,
autour d'un cautère ou d'un vésicatoire, enflamme !e
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CIGATP.ISANTK. 113
derme, y cause un eczéma, un érysipèle, même un éry-
sipèle phlegmoneux qui oblige de supprimer le vési-
catoire, et bientôt la guérison de l'érysipèle survient
encore. L'action irritante et inflammatoire du pus est
bien plus évidente dans un abcès aigu, quand on com-
pare les douleurs qui précèdent son ouverture et le
calme qui la suit immédiatement. J'ai souvent ob-
servé aussi que, lorsque la suppuration est assez abon-
dante pour inonder les bords d'un abcès ou d'une
plaie, la peau s'enflamme, rougit sous l'influence du
contact du pus, et que des érysipèles traumatiqiies et
bienlôtambulants ou progressifsen sont la suite. Le pus
qui séjourne dans ses foyers y entretient de même l'in-
flammation suppurante. On pourrait croire que cela
tient aux altérations qu'il y subit. Cela peut y con-
tribuer; mais il entretient également la suppuration
dans des trajets fistuleux, lors même qu'il ne s'y al-
tère pas sensiblement. Au reste, foyers ou fistules,
si on les ouvre, et qu'on y introduise de la char-
pie qui absorbe le pus et l'empêche au moins d'y sé-
journer en grande quantité; ou si l'on pratique une
contre-ouverture suffisamment étendue, dans un lieu
déclive, l'inflammation qui, jusque-ià, s'était mon-
trée exclusivement suppurante, devient souvent
cicatrisante. Donc, le pus même, peu ou point sen-
siblement altéré, n'est pas aussi innocent qu'on le
suppose sur les surfaces et dans les tissus.
Il est bien plus nuisible encore s'il est injecté dans
les veines, et peut même causer la mort très-promp-
tement, en quelques heures, comme le prouvent les
expériences de M. Gaspard (Journal de Magendie,
1821-22), s'il est injecté en quqnlilé assez cousidé-
rable. Il peut aussi ne la causer qu'au bout de plu-
sieurs jours, en produisant des abcès multiples, si les
injections sont faites à doses fractionnées, de temps
8
114 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
en temps, plusieurs fois par jour, comme l'ont fait
MM. Castelnau et Ducrest d'abord {Mém. de l'Acad.
de Méd.^ t. XII, p. 40), puis M. Sédillot (De L'infect,
puriil. ou pyoémie, 1849, in-S").
Voyez le résumé très-court des expériences de
MM. Castelnau et Ducrest. Le nombre des chiens in-
jectés est de sept; sur ce nombre, deux ont guéri.
Le premier était un chien vigoureux 5 il n'avait reçu
que I gramme de pus. Le second était une petite
chienne; elle avait reçu 2 grammes de pus d'un bu-
bon syphilitique, et fut conservée bien portante pen-
dant deux mois : ce fait est des plus intéressants.
Chez ceux qui succombèrent, la quantité de pus in-
jecté varia de 4 à 49 grammes; l'accomplissement de
la mort, de trenle-deux heures à quatorze jours. Chez
tous ceux qui ont succombé, ces auteurs ont trouvé
des abcès multiples complètement formés, quand la
durée de la maladie a été assez longue; ou les lésions
qui caractérisent le commencement de ces abcès,
quand les animaux ont succombé trop tôt. Quand l'a- <
nimal a vécu un temps intermédiaire : existence des
deux lésions réunies; chez l'animal mort en trente-
deux heures, ecchymoses multiples dans les muscles;
chez celui qui succomba lequatrième jour, ec(;hymoses
sous-pleurales, abcès formés ou se formant dans les
poumons; chez ceux qui succombèreqt le sixième et
le septième jour, mêmes lésions plus avancées; chez
celui qui mourut au quatorzième jour, abcès complè-
tement formés et plus nombreux.
Parmi les symptômes, le plus constant est le fris-
son, puis le vomissement, puis les déjections alvinfes;
l'émission des urines est bien plus rare. La soif est '
très-fréquente; il y a anorexie, abattement, respira-
tion accélérée, etc. (P. 77-88.)
4 grammes de sérum de pus, mêlés à 6 grammes
SUPPURANTE, ULCÉUANTE ET CICATr.ISANTE. 115
d'ean, et injectés dans la veine, produisirent, au
bout de cinq minutes , un frisson d'une demi-heure ;
au bout de trente minutes, trois vomissements; après
quaraiite minutes, deux selles-, deux émissions d'u-
rine en six heures, une soif vive, de l'abattement, et
l'animal était guéri au bout de six heures. (P. 106.)
M. Sédillot, qui a fait des expériences analogues et
en a ajouté d'autres, a contribué aussi àprouverqu'une
injection de pus très faibîe, non répétée, pouvait ne
pas causer la mort (Eicpér. 2-7), et par conséquent était
curable-, qu'il fallait, en un mot, une certaine dose de
pus pour tuer, ce qui me paraît une vérité un peu
banale qu'on peut dire de toute substance nuisible;
que des injections successives de pus dans les veines,
à l'instar de celles de MM. Castélnau et Ducrest, pra-
tiquées de deux en deux heures jusqu'à la mort {Expér.
29-32, p. 126), causent des abcès viscéraux multi-
ples analogues à ceux qui sont consécutifs aux
grandes opérations; que des injections, également
successives, de globules de pus séparés par îiitra-
tion, étendus d'eau distillée , causent la mort avec
abcès multiples des poumons, du foie,» de la rate
{Expér. 33, p. 142); que les globules de pus lavés au
chlore ou k l'eau, et injectés, en une ou plusieurs
fois, à la dose de 3 à 16 grammes, chez des chiens,
causent la mort sans abcès inétasta tiques {Expé^. i'à-
4 5); ce qui prouve pour M. Sédillot que les globules
du pus sont toxiques (p. I 78, etc.). îl a fait également
des injections de sérosité purulente ou de sérum de pus
dépouillé des globules, et, autant que possible, de
raniiles par la filtration ; enfin des injections d'eaux
puti ides. (EccpeV. 3 i-il.) Suivant M: Sédillot, toutes ont
amené la mort par septicité, par putridité, ces li-
quides s'altéranl de la première à ladernière injection,
au bout de plusieurs heures. La mort, au contraire,
116 CIIAPITRiî I. — DES INFLAMMATIONS
n'a pas suivi l'expérience 42* faite avec 160 grammes
de sérosité purulente non putride, non fétide, injec-
tée en une fois, et qui n'a point para pénible pour
l'animal, quoique la dose fût énorme.
L'auteur réduit les effets produits sur les chiens
par des injections répétées de pus aux deux sui-
vants : « Tantôt , c'est une affection purulente
simple, signalée par une inflammation à caractères
francs, tranchés, et par le développement d'abcès
dits métastaliques; tantôt c'est une véritable affec-
tion gangreneuse. Les abcès ne sont pas primitifs dans
ces cas, mais le résultat d'une inflammation élimi-
natoire, et dépendent de la présence des parties frap-
pées de mort. Ce sont là deux maladies : l'une déter-
minée parles éléments solides du pus; l'autre par la
putridité d'une substance animalisée quelconque. »
(P. 183.)
Symptômes et marche de la suppuration, de C ulcération et
delà sécrétion organisable. — La suppuration est précédée
et accompagnée de douleurs pulsatives, de sécrétions
plastiques locales, de frissons irréguliers dans leur re-
tour, leur durée, leur intensité. Alors, quand les tissus
sont encore engorgés du sang accumulé par l'inflam-
mation, des globules de sang s'échappent parles pa-
rois des vaisseaux capillaires et se mêlent au pus.
Les symptômes et la marche de la maladie offrent
d'ailleurs des modifications, suivant que la suppura-
tion se développe sur une surface ou dans l'épaisseur
des tissus.
A la peau, le pus s'épanche sous l'épiderme, en gout-
telettes très-fines qui n'éveillent parfois l'attention que
lorsqu'elles forment une pustule sous-épidermique du
volume d'une lentilleou d'un pois. Si l'on n'ouvre pasla
pustule, elle s'agrandit un peu, l'épiderme se déchire,
le pus s'écoule, l'inflammation sécrète des utricules ou
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 117
cellules épilhéliales(l) qui forment un autre épiderme,
et la pustule se guérit. Quelquefois, l'inflammation
ulcérante érode, au contraire, la surface du d^rnie.
Si la peau, dépouillée de son épiderme, est constam-
ment irritée par une pommade vésicante, la peau
suppure ordinairement aulant qu'on le veut 5 mais
alors, Tinflammalion organisatrice sécrète en même
temps à la surface des fluides organisables fibri-
neux, qui, en se concrélaut, couvrent cette surface
de granulations rouges ou bourgeons charnus qui peu-
vent avec le temps prendre le volume d'un pois, et
même beaucoup plus de grosseur. Souvent alors le
pus, surtout chez les femmes, où la peau est plus
susceptible que chez les hommes, le pus cause,
comme nous l'avons signalé, une inflammation dar-
îreuse eczémateuse, et même un érysipèle qui ne
guérit qu'en supprimant le vésicatoire.
Dans des cas plus simples, chez ies personnes
grasses, à seins volumineux, à fesses rebondies, où la
peau est toujours appliquée à elle-même dans ses
plis et humide, la sueur, ne se desséchant pas, peut
causer une irritation et une rougeur locales qui amè-
nent d'abord le ramollissement de l'épiderme, puis
une sécrétion muqueuse qui, ne se solidifiant pas, ne
renouvelle plus l'épiderme, et finit par se mêler de
globules purulents.
Lorsque la suppuration s'établit à la surface d'une
membrane muqueuse, le mucus s'épaissit peu à peu ,
devient opaque, jaunâtre, même verdâtre; des glo-
bules de pus y apparaissent en se multipliant, à me-
(1) Je préviens le lecteur que, pour éviter tonte équivoque, je désisne-
rai oïdiiiairement sous le nom d''utricule le corpuscule microscopique
appelé ce/Zu/e par les micrographes allemands. Celle expression n'a pas
d'ailleurs pour seul inconvénieiil de jeter de l'obscurité dans le langage
en changeant le sens du mot cellule qui est Irès-usilé,
118 CHAPITRE I, — DES INFLAMMATIONS
sure qu'il devient purulent, puis il se mêle plus ou
moins inîimemenlaux humeurs etaux matières étran-
gères qui circuientdans les organes, par exemple aux
aliments, aux boissons, à l'air atmosphérique, à i'u-
rine, etc., et il est rejeté au dehors avec ces ma-
tières. Alors on peut souvent Ty reconnaître à l'œil
simple. Si l'inflammation devient ulcérante, elle ré-
sorbe la muqueuse et l'ulcère-, ensuite l'inflamma-
tion cicatrisante sécrète avec le pus des fluides orga-
nisables qui la guérissent. Si, par suite de l'occlusion
de la cavité muqueuse, le pus ne peut être rejeté
d'abord, il forme momentanément une collection puru-
lente, une sorte d'abcès qui, s'il ne parvient à s'échapper
par le canal de la muqueuse, se conduit précisément
comme un abcès profond, et finit par s'ouvrir une
issue à l'extérieur, parce que le pus, moins sa matière
plastique, est pour l'économie un fluide étranger irri-
tant qui n'y reste jamais indéfiniment.
Si la suppuration se développe dans une cavité
close, séreuse, synoviale, osseuse même, elle pourra
causer la mort si la cavité est très-étendue; mais elle
pourra s'ouvrir directement par la ligne la plus
courte, ou indirectement, un chemin au-dehors par
une ligne sinueuse, comme un abcès profond.
Si la suppuration survient dans les tissus, alors
qu'ils sont infiltrés de lymphe plastique, ellecommence
par une ou plusieurs cellules voisinesycn distend mé-
caniquement les parois, qu'elle ramollit et irrite de
plus en plus; elle détruit Ses cloisons qui les sépa-
rent, et les réunit en un ^bcès, "
Cependant l'inflammation ulcérante érode les tissus
plus ou moins directement, de dedans en dehors, tout
simplement parce que le pus éprouve moins de ré-
sistance, en générai, à se porter vers la peau que
vers l'axe du corps ou des membres. Cependant le
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 119
tissu qui environne les points suppurants reste en-
gorgé, inûlîré de lymphe coagulable et fibrineuse qui
l'épaissit, et il résiste k la distension de la suppura-
tion. Suivant l'activité respective de ces différents
modes de l'intlammation, la collection purulente
prendra peu ou beaucoup d'accroissement, tout en
restant toujours emprisonnée dans ce tissu pyogéni-
que formé par les cellules voisines infiltrées de lymphe
coagulable ou plastique.
Si la suppuration se développe daiis beaucoup de
points y la fois ou successivement, et dans une éten-
due considérable, elle ne sera plus circonscrite, mais
éisséminée, diffuse; des phénomènes analogues aux pré-
cédents se passeront dans chaque point en particu-
lier, et aggraveront le mal en proportion du nombre
des points malades; mais l'inflammation suppurante,
par l'action disteusive du pus, et l'inflammation ul-
cérante, que cette action du pus paraît augmenter,
feront er; cor e disparaître les cloisons intermédiaires
à plusieurs foyers, qui communiqueront alors les
uns avec les autres.
Les abcès formés, superficiels ou profonds, dispa-
raîtront quelquefois par résorption et sans accident
(V. notamment Casielnau et Ducrest, Mém. de l'Acad.,
t. Xll, p. 620, etc.), dans l'immense majorité des cas;
au contraire, les abcès, en continuant de s'accroître,
ulcéreront les parties voisines, de dedans en dehors
surtout, et parviendront sous la peau, que l'inflam-
mation ulcérante finira par perforer. Alors ie pus
trouvera une issue et s'écoulera au dehors. D'autres
fois, le pus ne parvient au dehors que par un trajet
long et tortueux, en émigrant de proche en proche,
d'une région dans la voisine, d'un viscère dans un
autre, et franchissant, par l'inflammation ulcérante,
une cavité séreuse , comme la plèvre ou le péri*
120 CHAPITRE 1. — DES INFLAMMATIONS
toine , sans s'y épancher quand la cavité est oblité-
rée par l'inflaramation plastique, ou en s'y épanchant
quand elle n'est pas oblitérée.
On a de nombreux exemples d'abcès migrateurs
ouverts des poumons à travers les parois de la poi-
trine et la plèvre localement fermée, sans s'y épan-
cher; des intestins, à travers les parois du ventre,
sans s'épancher dans le péritoine; du foie, dans les
poumons et les bronches, à travers la plèvre oblité-
rée; du rein même., à travers les bronches et les par-
ties inlermédiaires, sans se répandre dans aucune sé-
reuse. Cependant les plus communs sont des abcès qui
omigrent à travers le tissu cellulaire sous l'influence
de la déclivité.
La suppuration est aiguë ou chronique ; la suppu-
ration aiguë est précédée et accompagnée de dou-
leurs, de souffrances, de troubles sympathiques et
d'une fièvre d'autant plus intense que l'inflammation
est plus aiguë, la suppurati(m plus profonde, et que les
tissus résistent davantage à l'action du pus par leur
densité naturelle. Sous ce rapport, il n'en est pas qui
résistent plus que les fortes gaines aponévrotiques,
et surtout le tissu osseux; aussi il n'en est point ou
l'orage de la suppuration soit plus long et plus pé-
nible.
L'abcès ouvert, l'orage s'apaise aussitôt, le malade
est soulagé, la rougeur de la peau diminue, la tension,
la chaleur aussi, les symptômes sympathiques et la
fièvre encore, puis le malade, ordinairement privé de
sommeil depuis un certain temps, s'endort dans le
calme et l'espérance. Après l'ouverture spontanée
des abcès petits ou médiocres, superficiels ou peu
profonds, respérance est fondée; car l'inflammation
cicatrisante sécrète des fluides plastiques ou fibri-
neux, qui tapissent la surface interne de l'ab-
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 121
ces de bourgeons charnus. Ces granulations rouges
forment une membrane pyogéne [Tunica^ de Celse,
I, VII, c. 2) qui, se resserrant chaque jour davan-
tage, parce que son tissu est très-rétractile, finit
par cicatriser le foyer en continuant à y verser des
liquides plastiques, et enfin, des utricules épithé-
liales qui forment i'épiderme de la cicatrice en se
desséchant.
Mais il n'en est pas de même après l'ouverture des
grands abcès circonscrits, des abcès profonds, des
abcès diffus ou multiples. Si l'art ne vient au secours
de la nature, une foule d'accidents plus ou moins
fâcheux peuvent traverser le cours de la maladie et
même amener la mort.
Accidents possibles de la suppuration. — Outre les dou-
leurs et l'inflammation causées par le pus:
1° L'ouverture ou les orifices par où s'écoule la
suppuration peuvent être ou devenir trop étroits, pro-
portionnellement à la quantité de pus produit. Alors
le pus entretient l'inflammation suppurante, et l'ou-
verture de l'abcès forme souvent une fistule difficile
à guérir, intarissable même, si on l'abandonne à la
nature.
2" La suppuration peut diminuer et même se sup-
primer. Ce fait est tantôt précédé, tantôt suivi d'au-
tres accidents, d'une autre inflammation, d'un érysi-
pèle, d'une phlegmasie intérieure, d'une autre sup-
puration. La diminution de la suppuration première a
été regardée tantôt comme la cause, tanlôt comme
l'effet de la seconde suppuration, et telle est proba-
blement la vérité.
3° La suppuration peut devenir excessive, surtout
si l'abcès est fort étendu, et le malade épuisé tomber
dans le marasme, la fièvre hectique et succomber.
4° La suppuration, sans devenir excessive, mais
122 •> CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
surtout quand elle offre ce caractère, peut préparer,
engendrer une diathèse érysipélateuse, des inflam-
mations viscérales, par le trouble universel qu'elle
cause dans l'économie. Souvent alors l'érysipèle
commence sur les bords de l'abcès, que le pus irrite,
rougît et enflamme, pour s'étendre ensuite successi-
vement sur toutes les parties du tégument, et former
un érysipèle ambulant. Souvent aussi l'érysipèle
éclate plus ou moins loin de la plaie, sous la seule
influence de la diathèse, comme les inflammations
viscérales. Comme elles, il peut concourir à troubler la
suppuration, à ladiminuer,àlasupprimer, quelquefois
à l'augmenter, k retarder la cicatrisation, et mê«e
a épuiser le malade, à le précipiter dans la tombe.
5° Le pus, croupissant dans ses foyers, peut s'alté-
rer, devenir très-diffluent, fétide et très-fétide. Nous
avons dit plus haut (p. 1 10) qu'en général inodore et
neutre à son principe, le pus est acide dans les foyers
ouverts où il ne séjourne pas, alcalin dans les foyers
oïl il croupit. Alors il peut devenir plus fétide, se dé-
composer, et donner à l'analyse chimique du sulfhy-
drique, de l'ammoniaque, de l'hydro-sulfate d'am-
moniaque, et même d'autres produits mal connus.
Ces altérations, quoique imparfaitement étudiées,
suffisent, surtout avec les changements de consis-
tance du pus, de couleur, d'odeur, pour prouver sa
décomposition, residrecompte deson extrême fétidité,
des inflammations redoutables des parois des abcès,
des accidents d'heclicité purulente, de purulence,
successive, de purulence simultanée, d'érysipèle ,
d'inflammations multiples et simultanées, qui sont les
effets d'autant de dialhèses.
6® L'inflammation des parois desabcts ou des foyers de
suppuration, qui s'apaise ordinairement immédiate-
ment après leur ouverture, par la diminution de la
' SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 123
distension mécanique et probablement de l'action
moléculaire du pus, peut se réveiller et se réveille
souvent, probablement, sous l'influence de l'alté-
ration du pus, car ce fait coïncide parfois avec
celui de la distension. Quoi qu'il en soit, tous les phé-
nomènes de rinflammatioîi reprenant plus d'intensité
et d'acuité, le malade peut succomber promptement,
7° L' h ecîicité purulente est la fièvre hectique, qui coïn-
cide fréquemment avec l'abondance de la suppuration
et son altération. Alors le pus est plus ou moins dif-
fluent, souvent fétide. On suppose qu'il est résorbé avec
plus d'activité 5 mais M. Bérardpense,s;insleprouver,
que l'absorption ne s'empare que des éléments du pus
en dissolution dans l'eau, et nullement du pus en nature
ou des ^dobules, à moins qu'ils ne soient eux-mêmes
dissous par l'altération du pus. (V. Pas et Abcès, Dic-
tion, de méd. en 30 vol.) Comme alors on ne retrouve
point évidemment, au microscope, les globules carac-
téristiques du pus dans le sang, ,si l'on y rencontre
des globules qui ont les apparences et le volume
de ceux du pus (Bérard, Dict. en 30 vol., t. XXVI,
p. 49 1), il faut, pour ne pas s'en laisser imposer, se
rappeler que le sang a des globules blancs qui ressem-
blent à ceux du pus par leur volume, par leurs gra-
nules, et en diffèrent par l'absence de noyau. {PL 1 ,
fig. 2.)
Je ne puis rien affirmer sur l'exactitude de l'ingé-
nieuse théorie de l'infection putride du san-j et de l'éco-
nomie par le sang. Si M. Sédillot comptait même un
certain nombre d'expériences comme sa 4 2* (p. 170
de sa Pyoémie)^ je nierais dès à présent la théorie
de M. Bérard. Par cette expérience, M. Sédillot
montre qu'une injection de 160 grammes de sé-
rosité purulente, non fétide, ne cause pas d'accidents
morbides.
12Z( CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
Les expériences 34^ et 41" ébranlent encore la
théorie, en ce que les injections d eau ou de sérosité
pulride qui les constituent ont produit non l'infection
putride, mais des accidents de septicité et de gan-
grène, tout à fait différents des symptômes de la fièvre
heciique purulente.
Quoi qu'il en soit de la cause et du mécanisme
par lequel la fièvre hectique survient à l'occasion de
la suppuration, cette fièvre est caractérisée, comme
ïhecticité en général, par des exacerbations quirevien-
nenr le soir ou la nuit, et s'accompagnent de malaise,
d'affaiblissement des forces, de sommeil pénible et
léger, de diminution d'appétit, de dévoiement li-
quide, 'Je fréquence et d'accélération du pouls, de
chaleur, d'ab<»rd sèche, à la peau, puis humide et
enfin de sueurs abondantes coUiquatives , épui-
santes et parfois fétides, ainsi que la plupart des
sécrétions. La fièvre est enfin caractérisée par l'a-
maigrissement croissant, poussé jusqu'au marasme et
même à la mort, qui termine souvent cette affection.
K° La purulence mccessu'c succède souvent à une sup-
puration essentielle, idiopathique aiguë, prolongée
ou même chronique. Elle est caractérisée par l'ap-
parition successive , quelquefois simultanée , de
phlegmasies cellulaires ou autres qui se terminent
généralement par la suppuration. Ces suppurations
peuvenî causer trois, quatre, six abcès successivement
ou même davantage, dans les parties du corps les plus
éloignées et les plus indépendantes les unes des au-
tres, dans le bassin, l'aisselle, les membres supérieurs,
les inférieurs, etc., ensuite guérir ou causer la mort
par le marasme. Cet état ne saurait être une affection
locale. Ces abcès successifs et quelquefois en partie
simultanés ne sont pas rares et ne sauraient être ac-
cidentels 5 j'en ai souvent vu. On en trouve plu-
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 125
sieurs exemples dans le mémoire de MM. Cas-
telaau et Ducrest (^Mémoh^e de l'Académie nat. de méd.,
t. XII, p. 6, 17, etc.) et dans d'antres observations
qui ne m'appartiennent pas et que je n'ai pas imagi-
nées, par conséquent, pour la doctrine que je dé-
fends. Cette diathèse dure longtemps, donne beau-
coup d'inquiétudes et remet toujours la guérison et
la vie du malade en question.
Tient-elle à une résorption purulente partielle des
éléments en dissolution dans le sérum du pus? Tient-
elle à une phlébite? Qu'on en montre doiic la trace
dans les observations que je viens de rappeler, et si
l'on ne peut y parvenir, je serai en droit, au moins
jusqu'à preuve contraire, d'en conclure qu'il peut
se produire des diathèses purulentes sans phlébite.
9° La purulence simultanée (abcès métastatiques) est
généralement plus grave encore parce que les mala-
des y succombent presque tous.
Causes : on la voit survenir dans des circonstances
dont il n'est pas facile d'apprécier l'action causale,
ni le mécanisme , quoique aujourd'hui beaucoup
d'auteurs croient les parfaitement connaître l'une
et l'autre. Mais l'opinion la plus universelle n'est pas
une preuve; les faits et le raisonnement peuvent
seuls la fournir. Les circonstances au milieu des-
quelles apparaît l'accident qui nous occupe sont :
l'inflammation suppurante, surtout celle qui est trau-
matique, la diminution ou même la suppression de
la suppuration, Texistence de phlébites non trauma-
tiques comme celles des couches et traumatiques
comme celles qui se développent après la saignée,
une amputation, une fracture communitive ou non,
une plaie même petite, peu profonde. On voit même,
encore, les abcès qui concourent à la caractériser sur-
venir dans le cours ou sur la fin des varioles graves et
126 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
clans d'autres affections miasmatiques. (Dance, Dict. en
30 vol., t. I, p. 92, 98; Casteîneau et Ducrest, p. 10,
1 1 .) On observe surloiit la purulence simultanée chez
les malades d'un hôpital plus ou moins encombré,
c'est-à-dire dans une circonstance favorable aux
fièvres essentielles, aux maladies universelles ou dia-
thésales les plus graves, aux aiïections folliculaires
intestinales, suppurantes et vdcéranles de la lièvre
dite typhoïde, aux affections suppurantes, ulcérantes
et gangreneuses dos ganglions lymphatiques axilîai-
res, inguinaux dans la peste. On la rencontre dans !a
scarlatine (Casteîneau et Ducrest, in Mem. de CAc. de
3}2ef/., t. Xlî, p. lô), dans le charbon (p. Ifi), dans
l'érysipèle (p. 17), dans la diathèse furonculeuse
(p. 22), dans la morve; en un mot, dans une foule
de maladies compliquées ou non de phlébite et de
suppuration traumatique ou autre. 11 me paraît donc
impossible de considérer la phlébite et la suppurai ion
comme les seules causes de la maladie. Voilà des ca-
ractères de causalité dont on doit tenir un grand
compte.
Marche et symptômes. — Suivant les observations de
Dance, qui a bien décrit la purulence simultanée,
sous le titre à' Abcès métastatiques (Dict. en 30 vol.), cette
affection se manifeste le plus souvent dans un état
grave de l'économie, au milieu de frissons violents et répétés,
j'ajoute comme on n'en voit guère, dans les inflam-
mations et les suppurations idiopathiques. Ces fris-
sons sont irréguliers, rarement accompagnés de dou-
leurs dans les organes et les régions où se dévelop-
pent les abcès, les épanchements purulents, dans
les poumons, le foie, les plèvres, les articulations,
les mollets; il y a de plus, ^ordinairement, défaut
d'intelligence, délire même, surtout la nuit; fré-
quence du pouls-, fétidité purulente de l'haleine
SUPPURANTE, ULCÉRAÎiTE ET CICATRISANTE. 127
et des excrétions. Bientôt la peau devient terne,
puis jaune, les sujets maigrissent beaucoup, ettrès-ra-
pidement dans certains cas. Ordinairement, six ou huit
jours après les premiers frissons, existent des abcès
raulliples, en général peu volumineux, rarement de
la grosseur d'un œuf de poule, souvent pisiformes ou
miliaires, et quelquefois alors par centaines. La sup-
puration survient ainsi après avoir été précédée d'une
ecchymose ponctuée (Sédillot, p. 4 70), d'une indu-
ration rouge, arrondie en noyau, puis d'une infiltra-
tion de pus jaunâtre, analogue au tubercule non ra-
molli encore (Biandin, Maréchal, Dance, Diction, en
30 vol., 1. 1, p. 88 5 Cruveilhier, Dict. en 15 v., t. XII,
p. 6i8). Ces abcès se montrent surtout dans les pou-
mons; puis, de moins en moins fréquemment, dans le
foie, la rate, le cerveau, le cœur, les reins, le tissu
cellulaire extérieur ou splanchnique; enfin, il se
fait aussi des épanchements de pus dans les plèvres,
les jointures et rarement dans les muscles, surtout
dans ceux du tronc. Souvent on trouve à l'autopsie
nn engorgement vasculaire, inflammatoire évident
autour des abcès, mais il peut manquer. (Velpeau,
Cruveilhier, ib.^ p. 648.) Dans les viscères, c'est dans
leurs parties les plus vasculaires que ces abcès s'ob-
servent, lis se développent, non toujours, mais sou-
vent rapidement. Il y a fréquemment en même temps,
diminution de la suppuration primitive, quand il
existe une plaie suppurante. M. le professeur Sé-
dillot prétend même s'être alors une fois assuré ,
en tirant un peu de sang à la veine, sur le vivant,
qu'il contenait du pus reconnaissable au microscope.
[Obs. VIII, p. 263.) Une semblable expérience méri-
terait bien d'être répétée. Ordinairement, six ou huit
jours après les premiers frissons, quelquefois même
quinze jours ou trois semaines après, les malades suc-
128 CHAPITRE I. — DI£S INFLAMMATIONS
combent 5 cette affection est donc fort grave. On con-
çoit même difficilement qu'on guérisse spontanément,
ni par le secours de l'art lorsque les abcès sont très-
multipliés, surtout dans les principaux viscères, mais
les auteurs ont été, par inconséquence, au delà de
leur pensée, en la présentant comme toujours mor-
telle. 11 n'en est aucun, en effet, qui n'entende que le
pronostic doit varier suivant l'intensité de chaque cas
particulier, et qui ne fasse un traitement quelconque.
Théorie. — D'oii viennent ces suppurations multi-
ples et simultanées? A cette question difficile, obs-
cure, complexe, les esprits se divisent, d'abord sur
la question principale, puis sur les questions de dé-
tails qui naissent des solutions diverses de la pre-
mière et des autres. C'est la confusion des langues.
Les uns les font venir, ces abcès multiples dits métas-
tatiques, d'une source, les autres d'une source diflfé-
rente; les uns, par exemple, du passage du pus dans
le sang; les autres d'une diatlièse purulente. Puis les
premiers, qu'on croyait d'accord les uns avec les au-
tres, font entrer le pus par une porte, les autres par
une autre ; les uns lui donnent une direction, les au-
tres une autre; les uns ensuite lui font engendrer les
abcès comme une pomme de terre déposée dans le
sol engendre une pomme de terre ; les autres inven-
tent divers mystères de génération qu'ils expliquent
merveilleusement, mais qu'ils ne prouvent jamais, et
oïl leur imagination brille plus encore que leur juge-
ment. De là, pour en donner en peu de mots une idée
claire, des résorptionistes qui font passer le pus dans les
Yeïnes par résorption, des phlébititiens qui le font entraîner
par le sang de l'intérieur des veines suppurées, des
diathésiens qui ne voient dans tout cela qu'une diathèse;
des éclectiques y ici comme partout, qui choisissent dans
les idées des autres, puis des douleurs qui savent qu'ils
SUPPURANTE, ULCÉRAINTE ET CICATPaSANTE. 129
ignorent et l'avouent. A quoi peaventtenir ces dissiden-
ces? Probablernentàceque personne encore n'a trouvé
la vérité ou du moins ne l'a prouvée, car lorsqu'elle
est bitn démontrée, les conviclionsarrivent et les dis-
cussions cessent de par l'autorité de la critique ou de
la raison, quand toutefois on veut bien l'entendre et
vérifier ses démonstrations. Ao reste, écoutons les
auteurs qui se sont le plus spécialement occupés de
cette question et qui prennent part à la discussion.
Parmi eux, Boerhave, beaucoup cité, ne parle que
par aphorisme (§ 262, trad. de Louis, t. III, p. 488 et
suiv.) : « Ou bien la partie la plus fluide (du pus d'un
foyer) s'étant dissipée, ce qui reste, se durcissant,
forme des tumeurs dures, surtout dans les parties
glanduleuses; ou étant enfin résorbé par les orifices
corrodés des glandes lymphatiques ou sanguifères, il
se mêle au sang, se gâte et corrompt les viscères oti il
fait ses pernicieux amas, trouble leurs fonctiows et
produit ainsi une infinité de maladies très-dange-
reuses. » Son commentateur, Vanswieten [toc. cit. ^
p. 497), entrant dans ces idées, dit à son tour : « Ré-
sorbé par les orifices veineux contigus, il (le pus) cor-
rompra la masse du sang par une cacochymie puru-
lente, d'oîi la fièvre hectique et la phthsie pourront
s'ensuivre. » Puis il cite un exemple d'un énorme
abcès du coude qu'on voulait ouvrir quand il fut ré-
sorbé, rejeté avec diarrhée par les selles, et d'autres
observations analogues, il ajoute, p. 499 : «L'on ob-
serve fort souvent dans la petite-vérole que le pus ré-
sorbé allume des fièvres très-violentes, et qu'ensuite
ce pus est déposé dans différentes parties du corps et
y forme tout à coup des tumeurs qui, étant percées,
donnent de vrai pus... Un grand nombre d'observa-
tions confirment que le pus.. . est absorbé par les vei-
nes, peut se mêler au sang et se déposer dans quelques
9
130 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
parties du corps. » « Cette résorption de pus fait sou-
vent périr ceux à qui l'on a fait l'amputation de quel-
que membre ou l'opération de l'anévrisme, et à qui
Ton a fait une grande plaie. » (/6., p. ôOl ). A l'auto-
rité de ces rcsorptionistes célèbres s'ajoutent celles
de Morgagni {^Leiir.^ Ll, 23, trad. franc.), de plusieurs
autres, et, dans ces d<'rniers temps, celles de M. Vel-
peau {Thèsedu cloct.^ 1823), de Marchai {Thèse du doct.,
1828), etc., etc.
Quoique mes savants collègues Gruveilhier {Dict. en
15 vol., p. 566) et Bérard admettent que rabsorj/lion
s'accomplit incessamment dans les abcès, quoiqu'ils
reconnaissent que des abcès tlisparaissent complète-
ment par une résorpîion soudaine, ils Oiit inventé des
théories pour prouver qu'alors le pus ne passe pas en
nature dans le sang. J'aurais mieux aimé qu'ils !e dé-
montrassent, et il est probable qu'ils auraient aussi
préféré de le faire s'ils l'euàsent pu. « S'il est certuin, dit
M. Béraid, que l'introduction du pus en nature dans
le sang fait naître l'ensemble des symptômes qui dé-
cèlent l'infection purulente, si ie pus pouvait être ab-
sorbé en nature, on verrait se développer les acci-
dents de l'infection purulente chez tous les individus
qui ont quelques surfaces en suppuration. » {Dict. en
30 vol., p. 478. ) D'ailleurs, «les dimensions du glo-
bule du pus sont telles qu'il faudrait êtrestupide pour
supposer que ces globules pussent pénétrer au travers
des parois vasculaires... Ces globules sont difficile-
ment décomposables... Ainsi donc, une fois déposé
dans un foyer, le globule y reste jusqu'à l'évacuation
de ce foyer; mais si les particules solides, les por-
tions grossières du pus résistent ainsi à l'absorption,
il n'en est pas de même des parties liquides en dissolu-
tion dans le pus.» (76., p. 4 17.) Si j'osais, je dirais que
tous ces arguments tirés du microscope ne sont pas
SUPPURANTE, ULCÉRANTE EE CICATRISANTE. 131
des preuves 5 que ces globules si grossiers ne se voient
qu'au microscope; que je serais bien plus sûr qu'ils ne
peuvent pas traverser les parois des vaisseaux capil-
laires s'ils n'en étaient pas sortis; que d'ailleurs ils se
partagent et se dissolvent facilement dans certaines
circonstances ; que nous ne pouvons pas avoir la pré-
tention de connaître toutes ces circonstances, et que
les globules du pus ne restent certainement pas dans
le foyer des abcès résorbés et non évacués par le
bistouri; qu'enfin la résorption du pus des abcès qui
disparaissent en quelques heures , est bien mieux
démontrée que les théories qu'on en donne; et que
personne n'a prouvé qu'alors, les globules ne sont
pas absorbés. Cependant ce serait bien nécessaire, ne
fût-ce que pour faire voir que les nombreux obser-
vateurs qui affirment avoir alors reconnu du pus dans
les urines devenues plus abondantes, et dans les selles
devenues plus liquides, s'en sont laissé imposer par les
apparences. (V. Vawswieten, Morgagni, loc. cit., etc.)
Les phlébititiens sont plus nouibreux que les ré-
sorptionistes. Ils ont à leur tète un de ces rares gé-
nies qui commandent l'attenlion; c'est Hunfer.«Dans
tous les cas, dit-il, ou le tissu cellulaire devient le
siège d'une inflammation. .. les membranes des grosses
veines qui traversent la partie enflammée... s'enflam-
ment aussi et... la cavité des veines m'a présenté dans
certains points des adhérences, dans d'autres du pus
et dans d'autres des ulcérations. Alors il se formerait
des abcès dans les veines si le pus n'était emporté
très-souvent vers le cœur avec le sang... Et si l'on
examine le vaisseau à partir de cet endroit vers son
extrémité périphérique ou vers le cœur, on trouve le
pus de plus en plus mélangé avec le sang. Examinant
le bras d'un homme mort des suites d'une saignée au
bras, je trouvai les veines enflammées et adhérentes
132 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
en différents points. Mais au delà de l'aisselle, oii (a
veine avait suppuré, il ne s'était pas formé d'adhé-
rences, de sorte que le pus avait un libre passage
dans la circulation générale. » (Trad. de Richelot,
1, XïlLp. 6i3.) Plus tard, Klarke, Yilson , Hodgson
( Mal. des artères et des veines, Paris, !8ï9) ont observé
la phlébite, et la phlébite utérine en particulier, et
Hodgson s'en explique la graviié par la possibilité du
mélange du pus avec le sang. Ribes a vu du pus dans
des veines enflammées qui avoisinaient des érysipèles
gangreneux, des péritonites puerpérales, et il est en-
traîné aussi à supposer que le mélange du pus avec
le sang peul être cause des morts fréquentes qu'on
observe alors. Dance, en éclairant l'histoire de la
phlébite, contribue plus que personne à montrer dans
la phlébite suppurée !a source des abcès métastali-
ques. (V. Arcliiv. deméd., 1828-29.) M. Blandin sou-
tient les mêmes idées. (Dkt. en 15 vol., Amputation^
1829.) M. Cruveilhier (//>., 1824, Phlébite) ne recon-
naît pas d'autre cause des abcès simultanés et multi-
ples; pour lui la phlébite oblitère d'abord la veine
enflammée, mais plus tard les adhérences se détrui-
sant, le pus passe dans le sang et l'infecte. Les abcès
métastatiques prennent tous leur source dans une
phlébite suppurante interne, qui mêle le pus au
sang et le répand ainsi par toute l'économie. Et il ne
les attribue pas seulement aux phlébites traumati-
qnes, aux phlébites consécutives aux opérations, aux
phlébites consécutives à la phlébotomie,qui sont évi-
dentes; il les rapporte encore aux phlébites sponta-
nément développées, survenues du moins sans plaie,
sans opération, à la phlébite utérine consécutive aux
couches, à une phlébite plus mystérieuse, à la phlé-
bite capillaire, et à la phlébite osseuse. Il admet proba-
blement cette dernière, quoiqu'on ne puisse ouvrir les
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 133
veines trop déliées des os longs, lorsqu'il trouve une in-
flammation de la moelle ou une suppuration du diploé,
parce que, dans son opinion, l'inflammation de tous
les tissus a son siège dans les veines capillaires qui en
font partie. Comme, malgré toutes ces suppositions, il
est des cas oîi l'on ne peut trouver ni phlébite évi-
dente, ni apparence de phlébite, ni suppuration, alors,
tout en le confessant, les uns, comme M. Bérard
(Dict. en 30 vol.. Pus, p. 477), croient néanmoins à
l'existence de la phlébite suppurante, et ils suppo-
sent sans hésiter que queSques veinules suppurantes
leur ont échappé; d'autres se rejettent sur des éro-
sions veineuses 5 c'est ce que fait M. Sédillot qui les
déclare très-probables, et blâme la facilité de M. Bé-
rard, qu'il imite exactement (p. 425).
Mais M. Tessier, en diathésien profondément con-
vaincu, rejette entièrement la phlébite, comme cause
d'abcès métastatiques. 11 attribue exclusivement
ceux-ci à la maladie qu'il appelle fièvre purulente,
a cause de la dialhèse purulente qui la domine et est
caractérisée, ainsi que chacun le sait, par l'appari-
tion d'un nombre infiniment variable d'abcès qui
peuvent aS'ecter toute espèce de siège. (Journal rEx-
périence, 2o avril 1838, p. ô58.) « Elle ne peut pas,
dit-il, résulter du passage du pus dans le sang à la
suite des phlébites suppurées, parce que ce passage
est impossible, attendu que le pus, à toutes les pé-
riodes de rinflammation veineuse, est séquestré dans
le canal de la veine enflammée par des caillots et des
fausses membranes. (/6., juin 1838, p. 2.)» Puis il
s'appuie non-seulement sur des observations, sur des
dissections minutieuses et attentives qui lui sont
propres, mais encore sur celles de deux infeclio-
nistes et phlébiticiens justement fameux : Dance et
M. Cruveilhier, du dernier surtout, qui dit (art.
13i CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
Phlébite du Dict. en lô vol.) : « Le premier effet de la
phlébite, c'est la coagulation du sang, par consé-
quent l'oblitération du vaisseau.» {Dict. en 15 vol.,
t. XII, p. 677.) Sans doute la règle générale, pour
toute cavité close enflammée, est que l'intérieur
soit rempli de matières coagulables et tapissé de
fausses membranes adhésives, en sorte que lorsque
la suppuration arrive, c'est généralement dans l'in-
térieur des limites du produit [ilastique, et, par ex-
ception, en dehors de ses limites, que le pus s'accu-
mule. Cependant il n'est pas possible de soutenir qu'il
n'y a pas d'exceptions à cette règle générale. Il y a
maintenant assez d'observations qui tendent à prou-
Ter et qui, s'appuyaut les unes les autres, ne permet-
tent pas de nier le passage du pus dans le sang.
Parmi les éclectiques, M. Sédillot s'écrre, son livre
de C Infection purulente à la main (i849, p. 394) : « La
pénétration du pus dans le sang est l'unique cause
de l'infection puruleuie. Une suppuration dévelop-
pée sur un point quelconque de l'économie précède
toujours l'appariti(?u de la pyoémie » (p. 39^). Et
comme dans cette affection la simultanéité des abcès
n'est pas si rigoureuse qu'il n'y en ail pas un qui
précède les autres, M. Sédillot aurait des chances de
défendre sa proposition avec quelque succès. Mais
comme il invoque une foule de causes accidentelles,
l'ouverture extraordinaire possible d'un abcès dans
une veine (p. ! 24), les érosions, les ouvertures trau-
matiques des veines, l'aspiration veineuse, qu'il sait
être locale et très-bornée, la possibilité de l'intro-
duction du pus dans le sang par artérite, cardite
(p. 429) et lymphangite suppurées (p. 127), les phlé-
bititiem et les diathésiens rejetteront son éclectisme
sans hésiter.
Les premiers le rejetteront parce que, suivant eux,
SUPPURANTE, TLCÉUANTl-: ET CICATHISANTE. 135
la phlébite snppuraiile seule peut infecter la masse
du sang et non un abcès, sme snppurafion quelcon-
que. H faudrait pour cela qu'une veine ouverte par
ulcération ou par blessure, conime le veut M. Sé-
dillot (p. 426), pût absorber ou aspirer sous l'in-
fluence de l'aspiration thoracique. Mais les expé-
riences de Barry ne prouvent pas ce fait, et celles
de M Poiseuille démontrent que celte aspiration ne
s'étend qu'à peu de distance du cœur. Dès lors on
ne connaît pas de force, ni d'action capable de faire
pénétrer et cheminer le pus dans des veines un peu
éloignées du cœur, c'est-à-dire dans l'immense ma-
jorité des veines. D'ailleurs ces vaisseaux, pressés
par les tissus voisins et par l'air exiérienr quand ils
sont vides de sang, ne peuvent rester béants que
par accident. Le pus ne peut donc s'y engager que
par hasard et très-rarement. Enfin, la syslole des
oreillettes peut bien causer un reflux auriculaire,
mais leur «liastole ne produit pas d'aspiration vei-
neuse.
On a pu prévoir, par ce que j'ai dit jusqu'à pré-
sent , que je n'appartiens à aucune des sectes précé-
dentes. Je m'en confesse, je ne suis pas un croyant,
je n'ai point de foi dans tous ces systèmes, je ne suis
pas éclairé, je flotte dans l'obscurité du doute, en un
mot, je suis un douleur. Donc, je suis bien loin d'ac-
cepter la théorie de M. vSedillot. Je ne crois point à
l'aspiration du pus par les veines, comme cause géné-
rale possible de pénétration du pus dans le sang.
On a pu le remarquer. VA tout en reconnaissant qu'il
se passe des phénomènes d'absorption dans les ab-
cès, et des résorptions plus puissantes qui enlèvent
tout : sérum, globules et granules^ en sorte qu'une
guérison radicale de l'abcès peut en être la suite, je
ne sais rien de plus sur ce phénomène. Tout ce qu'on
136 CHAPITRE I. DES INFLAMMATIONS
a dit à l'égard de la possibilité ou de l'impossibilité
de l'absorption de tel ou tel élément du pus n'est
à mes yeux qu'un ensemble de suppositions ingé-
nieuses qu'il aurait fallu démontrer.
Je crois que, dans un certain nombre de cas, la
phlébite peut verser du pus dans le sang; mais je
crois que dans beaucoup d'autres les caillots obtura-
teurs, les adhérences plastiques des veines s'y op-
posent, et que le pus se fraye plutôt une issue vers
l'extérieur que vers l'intérieur des veines. Je me
fonde, pour le croire, d'abord sur mes propres ob-
servations, puis sur celles des auteurs, particulière-
ment sur celles qu'a publiées ou réunies M. Tessier,
et surtout sur le petit nombre d'observations propres
à démontrer le mélange du pus d'une phlébite sup-
purée avec le sang, dans le cas d'abcès métastati-
ques(voy. Hunter, p. 6i3 etsuiv.5 Mém. de MM. Cas-
telneau et Ducrest, dans Mém. de l'Acad.., t. XII,
p. 117; Sédillot, plusieurs de ses obs. cliniq., etc.);
sur letempset surles soinsqu'il a fallu à M. Sappey
pour découvrir ce passage dans l'observation de
MM. Castelneau et Ducrest; enfin, sur ce que M. Ro-
bin, qui s'est tant occupé de microscopie, n'a pu
trouver encore ni pus, ni globule purulent dans le
sang des hommes morts avec des abcès mélastatiques
multiples, comme il me l'a assuré.
Et puis, si le pus, mêlé momentanément au sang
et dispersé partout, causait seul les abcès multiples,
pourquoi ne les verrait-on pas se former partout
d'une manière plus égale? Parce que, dira-t-on, ils
sont et doivent être proportionnés à la vascularité.
Oh! la proportion de la vascularité capillaire n'est
pas facile à apprécier sûrement. Les capillaires les
plus fins échappent aux yeux et on n'en juge pas
d'une manière bien certaine au microscope. Mais
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 137
comment se fait-il que les abcès ne se montrent pas
ord'innhement en plus grand nombre dans les organes
où il passe le plus de sang dans un temps donné?
C'est précisément ce qui arrive, répondra t-on, car
les poumons, par où le sang de tout le corps est
obligé de passer, en offrent presque constamment et
en plus grand nombre quelles autres organes. Soit,
ici la théorie n'est pas en défaut. Mais est-elle en
harmonie avec la circulation des reins qui fait passer
par ces organes des torrents de sang, comme le
prouve l'abondance, la rapidité de leur sécrétion, la
grosseur, la brièveté de le4^rs artères qui présentent
beaucoup moins d'obstacles au cours du sang, ainsi
que je l'ai démontré au mui Circulation, du Dict. en 80
vol., et qui cependant offrent bien moins d'abcès que
la rate, par exemple? On dira peut-être que le pus
passe avec l'urine et ne s'y arrête pas. Alors les glo-
bnbs du pus ne sont donc pas trop gros pour les
capillaires des reins? Alors c'est à prouver.
Pourquoi, d'ailleurs, se forme-t-il tant d'abcès du
foie dans les suppurations traumatiques de la tête et
des membres inférieurs, puisque le sang qui revient
de ces régions par les veines ne passe point direc-
tement par la veine porte et n'y arrive que par l'ar-
tère hépatique, si grêle et si petite comparativement
aux artères rénales et à l'ensemble des carotides in-
ternes et vertébrales? Pourquoi le cerveau cependant
ne se montre-t-il pas plus affecté que le foie? Nous
pourrions multiplier beaucoup ces questions sur la
partialité et la variabilité avec laquelle la circulation
sème dans les différents organes les germes de sup-
puration qu'elle semblerait devoir rouler pèle mêle
et avec indifférence dans tous les vaisseaux.
Ce n'est pas tout : les faits cités, p. 125, plaident
très-haut contre la théorie de l'infection purulente
1S8 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
du sang par les phlébites. On y voit des suppu-
rations multiples dans le cours ou sur la fin des va-
rioles, dans les affections miasmatiques et une foule
d'autres où l'on n'a pas démontré, que nous sachions,
de phlébites suppurantes. Or si les abcès multiples
existent si souvent sans phlébite, sans pus dans le
sang, que devons-nous penser de la théorie de l'in-
fection du sang par le pus des phlébites? D'ailleurs,
les injections purulentes sont moins probantes qu'on
Dépense, car les symptômes diffèrent notablement
de ceux de la purulence simultanée.
Si la théorie des phléfeititions n'est qu'un mirage
décevant qui nous égare , ne peut-on pas se de-
mander si cette suppuration plus ou moins univer-
selle des abcès multiples, ne serait pas, dans un
nombre de cas que je ne puis déterminer, le témoi-
gnage géjîéralement incompris, le symptôme réel
d'une dialhèse purulente grave, comme les altéra-
tions matérielles des fièvres essentielles graves, de
la typhoïde, des fièvres éruptives, de la pestie, comme
les phlegmasies des diathèses érysipélateuse, inflam-
matoire qui naissent sous une influence perturbatrice.
Pour nous éclairer sur la valeur de ces idées, com-
parons rapidement les caractères des diathèses.
Chez l'homme et chez les animaux ces redoutables
affections naissent sous l'influence de trois ordres
de causes : 1° de causes obscures, en sorte que la ma-
ladie semble spontanée 5 2" de causes d'infection de
l'air par un principe infectieux provenant de décom-
positions animales ou végétales, de l'encombrement
des hommes et des animaux , sains ou malades ,
d'une mauvaise nourriture, etc. j 3° de perturbations
vitales trop peu remarquées, parce que la réaction hu-
moriste actuelle ne nous préoccupe que des altéra-
tions des humeurs, je veux parler des excès et peut-
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 139
être de la perversion d'action des solides qui fatiguent
l'économie, la frappent d'une perturbation, d'une
souffrance universelle et des diathèses les plus graves,
sans le secours de principes infectants venus du dehors. On
en a cependant de nombreux exemples dans les dia-
thèses graves survenues à la suite de veilles et de
travaux intellectuels excessifs, d'actions musculaires
de marches, de courses forcées, d'excès- vénériens
des fatigues de l'accouchement ou d'actions morbides
de maladies des solides, comme la suppuration même
qui est bien une action des solides. Ne voit-on pas
en effet, ces actions organiques, ces excès de veilles
et de travaux intellectuels, les fatigues corporelles,
les excès de femme, déterminer chez des jeunes gens
sains, robustes, bien nourris et sans le secours de
principes infectants, des fièvres typhoïdes; chez les
animaux surmenés, l'excès de la fatigue, produire des
fièvres graves ou le charbon, l'accouchement causer
la fièvre puerpérale qui est une véritable diaihèse?
Pourquoi donc la diathèse suppurante ne pourrait-
elle pas naître, sous l'influence des mêmes causes per-
turbatrices, sans introduction du pus en nature dans
le fluide sanguin?
Mais ce symptôme diathésal des suppurations mul-
tiples est-il donc un phénomène morbide si extraor-
dinaire dans les affections diaihésales qu'on doive
inventer en leur honneur une généalogie toute spé-
ciale? La fièvre typhoïde n'offre -t-elle pas des
exemples d'inflammations suppurantes et ulcérantes
dans les follicules intestinaux, dans la peau, dans la
région parotidienne et même dans le tissu cellulaire
et ailleurs? La variole n'en offre-t-elle pas dans la
peau, la peste dans les ganglions et le tissu cellulaire
des aines, des aisselles et ailleurs? Enfin, n'en a-t-on
pas observé dans toutes les affections diathésales et
l/lO CHAPITRE I. DES INFLAMMATIONS
surtout dans celte diathèse suppurante qui produit
successivement des abcès dans diverses parties de
l'économie, mais qui n'ont pas le caractère de multi-
plicité simultanée de la diathèse grave qui fait le sujet
de cette trop longue discussion?
Je ne suppose pas qu'on m'oppose, que dans les
suppurations simultartéesmuliiples, d y a une altéra-
tion, une infection du sang qui n'existe pas dans les
diathèses que j'ai citées. L'altération est loin d'être dé-
montrée pour la majorité des cas de purulence siînul-
tanée, quoiqu'on l'admette maintenant, grâce à la
réaction humoriste, sur les preuves les plus légères.
Quoi qu'il en soit, les suppuralions multiples et
simultanées marchent, résistent fortement à nos
moyens thérapeutiques et sont presque toujours sui-
Ties de la mort, comme les altérations graves des
autres diathèses. Cette fatale terminaison arrive
même parfois avant la suppuration des noyaux in-
flamuiatoires qui en sont fréquemment le berceau,
comme dans les autres diathèses avant l'ensemble des
altérations matérielles dont elles s'accompagnent or-
dinairement. D'ailleurs les abcès multiples et simul-
tanés n'ont point de rapport constant par leur nom-
bre et leur volume avec l'étendue de la phlébite, ni
avec les symptômes généraux, ni avec l'état du sang.
Conclusion. — Néanmoins, comme tous les faits de la
science sur ce sujet ne me suffisent pas pour m'éclai-
rer entièrement, je me borne à dire que la purulence
simultanée me paraît être une diathèse causée, dans
la plupart des cas, par la perturbation que les grandes
suppurations traumatiques apportent dans l'écono-
mie^ que dans certains cas elle est causée, ou seule-
ment aggravée, par le passage du pus dans le sang;
mais que, dansun très-grand nombre, elle est indépen-
dante de toute phlébite, de tout passage du pus dans
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. l^l
le sang; qu'alors elle tient à d'antres causes, des cau-
ses ignorées, des causes d'infection, et des actions vi-
tales exagérées ou perverlies, perturbatrices, en un mot,
comme les excès de veilles, de fatigues, les excès de
frmme , la puerpérie, le traumatisme, les fractu-
res, etc., dont les liumorlens ne semblent pas avoir
la moindre idée, pas plus d'idée que le peuple qui
ne voit la vie que dans le sang et ne comprend les
maladies que par les altérations du sang. Je déclare
donc humblement que je ne vois point aussi claire-
ment la vérité sur ce sujet que les résorptionnisles.
les phlébiticiens, les diaibésiens exclusifs, et que j'ai
des doutes qu'ils n'ont point éclairci.
Et ce qu'il y a de plus humiliant pour moi, je suis
obligé de m'en confesser encore, je ne suis pas plus
avancé sur le mécanisme de la formation des abcès.
Tandis que les savants afdrment, sans en douter, les
uns, les métabtasiens ^ que le pus est déposé par les
vaisseaux capillaires pour former les abcès métas-
tatiques ; d'autres, les phlogosîens^ que le pus, entraîné
par le sang, coTme la vase des eaux, va causer une
inflammation suppurante et de nouveaux abcès par-
tout oii il se dépose, j'en suis à me demander pourquoi
se dépose- t-il plutôt dans certains organes que dans
d'aulres? Ceux dont l'imagination féconde ne s'em-
barrasse «le rien, répondent : par la différence de vas-
cularité, comme je l'ai déjà exposé, et cette réponse
en vaut une autre qui ne vaut pas mieux. D'autres
vous disent que les globules du pus, qui ne sont pas
moins gros que les globules blancs du sang, ne pou-
vant passer par les capillaires du poumon et des
autres organes, oîi passent pourtant très-bien les
globules blancs, causent alors des embarras qui pro-
duisent les abcès; d'autres racontent autre chose...;
mais je ne finirais pas si, pour être complet, comme
l/l2 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
disent quelques-uns, je voulais ramasser les idées de
tout le monde : les idées déraisonnables, comme les
idét s justes, qui ont le malheur d'être toujours en
minorité, malgré leur justesse. Je m'arrête donc pour
ne pas ra'exposer à me perdre sur ces mers incon-
nues et dans leurs brouillards obscurs. J'ai voulu
montrer seulement que nous n'étions pas si savants
sur ce sujet que nous le croywns : il est vrai qu'on
pouvait le deviner au nombre des sectes qui nous di-
visent.
Le diagnostic de la suppuration est loin d'être tou-
jours facile, certain et complet : les douieurs puisa-
tives, les frissons irréguliers, répétés, violents même,
quelques troubles locaux, comme une douleur obs-
cure, profonde, peuvent la faire soupçonner, mais
non la démontrer dans une partie profonde.
Le diagnostic ne s'est même pas encore suffisam-
ment exercé à reconnaître la suppuration des surfaces
intérieures, et surtout à distinguer celle qui est ac-
compagnée d'ulcération d'avec celle qui n'en est pas
compliquée. Des abcès profonds et d'un certain vo-
lume peuvent même alors rester ignorés. Il n'en est
pas de même pour les abcès extérieurs aux cavités
splanchniques et aux os. La source des abcès migra-
teurs peut rester longtemps méconnue, et elle peut
l'être encore après leur ouverture à l'extérieur. Le
diagnostic est impossible pour une foule de fistules
intérieures-, presque toujours facile au contraire pour
celles qui s'ouvrent sur la peau ou très-près des ou-
vertures naturelles du corps. Nous traiterons toutes
ces questions de diagnostic aux articles ulcères, abcès
et fistules.
L'hecticité purulente et la purulence successive ne
peuvent se reconnaître au moment oîi elles commen-
cent, parce qu'elles manquent alors d'une partie de
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. IZjS
leurs caractères; mais plus tard, lorsqu'elles les, pos-
sèdent, que l'hecticité est accompagnée de ses exa-
cerbations fébriles nocturnes, des sueurs et de la
diarrhée colliquatives, de l'amaigrissement consomp-
tif; que la purulence successive s'est révélée par des
abcès successifs, le diagnostic devient possible et
souvent facile.
On peut présumer la purulence simultanée à la
force, à la violence des frissons, à la teinte jaune ic-
térique de la peau, k la fétidité de rhaletne, à la
coïncidence d'une puerpérie, d'une phlébite, de sup-
purations traumatiques graves, diminuées ou suppri-
mées, de douleurs dans certaines régions de la poi-
trine, du foie, dans les jointures, et la reconnaître k
peu près certainement.
Le pronostic des suppurations des surfaces de la
peau et des muqueuses, sans ulcération, est moins
grave que lorsqu'il y a ulcération. Les suppurations
de la surface de la peau sont moins graves aussi que
celles des surfaces muqueuses profondes ; celles des
surfaces séreuses sont plus funestes encore. Le pro-
nostic des suppurations circonscrites est, en général,
moins grave que celui des suppurations diffuses. La
suppuration est d'ailleurs d'autant plus dangereuse
qu'elle est plus multipliée, plus étendue, plus pro-
fonde, plus déclive, qu'elle intéresse des parties plus
importantes à la vie et se complique d'une diathèse
plus grave. Le péril est d'autant plus imminent qu'elle
est plus aiguë et accompagnée de symptômes sympa-
thiques et de fièvre plus intenses. Voyez, en outre,
pour plus de développements sur ce^ujet, les articles
ulcères, abcès, fistules. D'ailleurs les accidents dont la
suppuration est susceptible peuvent aussi en aggraver
le pronostic. Ainsi la dégénération fistuleuse des abcès
retarde ou empêche leur guérison ; la diminution etla
IhU CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
suppression de la suppuration peuvent être suivies
d'autres accidents plus ou moins graves; son excès
peut l'être de fièvre hectique et d'épuisement; la dia-
Ihèse érysipélateuse, la viciatiori du pus d'inflamma-
tion des parois des foyers, de l'hecticité purulente, de
purulence successive: ces dialhèses et la purulence
simultanée peuvent causer la mort par leur gravité,
par épuisement, par mélange du pus avec le sang.
Traitement. — La suppuration étant une transfor-
mation de l'inflammation bien moins favorable que la
résolution de la phlegmasie, on doit chercher à ia
prévenir : 1° par le traitement curaiif de l'inflamma-
tion; il n'y a d'exceptions que pour certaines inflam-
mations graves, comme l'anthrax malin, que Ton
traite par la cautérisation et les suppuralifs.
2° Les écoulements muqueux ou puriformes inter-
cutanés desseins et des fesses ne réclament que des
onctions avec le cérat, le cérat saturné, l'axonge
fraîche, ou l'application de linge fin et sec, de poudre
d'amidon, etc.
3° Lorsque la suppuration a commencé, et même
lorsqu'elle a acquis un certain développement sur les
surfaces cutanée, muqueuses extéro-intérieures,
muqueuses profondes avec ou sans ulcération, le trai-
tement est variable ou différent, comme ce sera ex-
posé dans la pathologie spéciale pour la plupart de
ces suppurations et à l'article w/rèrfs.
4° Lorsque la suppuration forme des collections
closes, épan( hements ou abcès, le traitement est ce-
lai des abcès. ,
5 " Lorsqu'elle entretient des ouvertures et des tra-
jets fistuleux, c'est le traitement des fistules qu'il
faut lui opposer.
6° Lorsqu'elle se supprime ou seulement diminue
brusquement, il faut en combattre la cause. Si l'on
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 145
parvient à connaître celle-ci, pour en prévenir les
effets il faut rappeler la suppuration, là où elle se sup-
prime, au moyen de pansements irritants.
7° Lorsqu'elle est excessive et accompagnée de
symptômes inflammatoires trop intenses , le traite-
ment antiphlogistique et calmant est au contraire in-
diqué.
8" Si l'excès de suppuration coïncide avec une in-
flammation subaiguë ou chronique, avec un éfat d'in-
sensibilité dans le foyer, avec une suppuration dif-
fluente, dépravée et sans plasticité, des pansements
avec injections astringentes au nitrate d'argent, au
sulfate de zinc , à l'acétate de plomb très-étenda
d'eau, ou à l'alun doivent être essayés, en commen-
çant par des doses légères; des injections aromati-
ques et toniques à la décoction de feuilles de noyer,
«ne solution aqueuse saturée d'iode , de teinture
d'iode étendue d'eau à divers degrés, ou une solution
légèrement caustique d'iode sont aussi indiquées.
Nous avons retiré de bons résultats de cette dernière
dans des cas analogues. Des pansements avec la char-
pie sèche sont également favorables. En absorbant le
pus et en excitant la sécrétion plastique ils favorisent
la cicatrisation.
tes soins hygiéniques, la propreté, l'aération de
l'appartement, la bonne nourriture, si le patient peut
la supporter, le transport du malade d'un hôpital
toujours encombré , d'un air toujours peu salubre
dans une situation plus favorable, à la campagne sur-
tout, sont des moyens de régime qu'on ne doit pas
négliger parce qu'ils concourent au même but. Lors-
que le pus séjourne et croupit dans les foyers de
la suppuration, il faut, suivant les cas, l'en expul-
ser par la compression, l'y absorber an moyen de
charpie sèche, l'en chasser par des injections, en fa-
10
1 /l6 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
voriser l'écoulement par «ne situation appropriée,
par des ouvertures plus grandes, par des contre-ou-
vertures, des mèches ou des sétons, et quelquefois
même par une irrigation tiède continue, pénétrant
par en haut et sortant par le bas des foyers suppu-
rants.
9° Lorsque la diathèse érysipélateuse survient, elle
exige des soins particuliers, que nous discuterons à
l'occasion de l'érysipèle, et les précautions de régime
dont nous venons de parler.
10° Dans l'heclicité et les diathèses purulentes, le
régime doit être encore le même; mais dans l'hecti-
cité purulente, l'eau de riz gommée, édulcorée avec
le sirop de coing, la décoction blanche^ si l'estomac
les supporte, le diascordium sont indiqués. Si l'esto-
mac en est fatigué, les quarts de lavement amidonnés
et Jaudanisés, les lavements de ratania peuvent être
employés, ainsi que d'autres astringents. Nous ne
connaissons pas de traitement particulier contre les
diathèses purulentes, et nous nous bornons aux pan-
sements irritants du foyer suppurant primitif, lors-
qu'il en existe un, aux vésicatoires dans le voisinage,
aux purgatifs, aux diurétiques et aux sudorifiques.
Mais leur efficacité est fort douteuse quand la pu-
rulence simultanée est très-étendue et très-grave,
malgré l'extrême confiance que M. Sédiilot leur ac-
corde > et lorsque la maladie guérit, on peut se de-
mander si la cure n'est pas due à la nature bien plus
qu'à la puissance de l'art.
Pansements. — Dans tous ces cas, la suppuration,
de quelque maladie qu'elle se montre compliquée,
ulcère, abcès, plaie, etc., réclame les soins indiqués
en général aux pansements contentifs, calmants, irri-
tants, dilatants, détersifs, compressifs, cicatrisants et
même désinfectants , dans la pathologie générale
I
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 1^7
(p. 635 et suivantes), et de plus l'emploi des moyens
préservatifs.
Les pansements doivent préserver les foyers suppu-
rants par les moyens indiqués {Path. générale, p. 635),
contre ie froid et les chocs qui peuvent les irriter.
Dans beaucoup de cas on pourrait remplacer la char-
pie, les compresses, les bandes de l'appareil, en se
bornant à laisser à nu la partie suppurante et la re-
couvrant au moyen d'un cerceau, d'un drap et de
couvertures, comme il nous est arrivé de le faire bien
des fois sans inconvénient. On voit même les petites
suppurations du visage, ainsi abandonnées à l'air
libre, guérir facilement. La suppuration, au reste, à
l'air libre ou à l'air concentré et peu renouvelé d'un
appareil plus ou moins fermé, mais jamais entière-
mentclos, la suppuration surtout, dis-je, donne lieu
bientôt à la dessic ation du pus en une croûte jaune-
grise ou brune, suivant la couleur du pus, qui s'é-
paissit peu à peu. Sous cette couche protectrice, la
guérison s'accomplit en quelques jours, quelques se-
maines, plus tôt ou plus tard, suivant l'abondance de
la suppuration. Cette fonction du pus concrète n'est-
elle pas un calcul de l'intelligence de la nature qui
a donné au pus la concrescibilité nécessaire pour
protéger la cicatrisation qui s'accomplit par la lymphe
organisable.
D'autres fois, la suppuration étant plus considéra-
ble, la croûte du pus se rompt au bout de quelques
jours; soulevée par les flots de la suppuration sous-
jacente, celle-ci s'écoule aux environs, rend la partie
malpropre, dégoûtante et souvent insalubre par les
émanations qui s'en élèvent. Néanmoins si la surface
suppurante est largement ouverte, plane, comme la
plupart des ulcères des jambes; que le pus n'y sé-
journe qu'en médiocre ou faible quantité, le contact
i48 CHAPITRE l. — DES INFLAMMATIONS
de l'air ne paraît pas nuisible, et la gnérison s'accom-
plit encore, quoique très-îenteraent. Cependant on a
coutume d'attribuer beaucoup d'inconvénients à l'ac-
tion de l'air sur le pus qu'il altère. Mais le pus non
altéré n'est pas innocent, quoiqu'en se concrétant à
l'extérieur il remplisse une utile fonction.
Dans les abcès sans tension, subaigus ou froids, oii
le pus n'agit pas mécaniquement, il suffit parfois pour
amener par son action moléculaire l'inflammation ul-
cérante des parois du foyer. Plus tard, comme nous
l'avons prouvé, il éteint par son séjour dans les foyers,
même lorsqu'il s'y amasse à peine, comme dans les
fistules, l'inflammation cicatrisante. Pourquoi n'alté-
rerait-il pas les parois du foyer plus gravement quand
il séjourne en abondance et que l'air peut alors le
rendre plus nuisible encore? pourquoi ne le ferait-il
pas, puisque, par son contact et sans être altéré, il
cause des érysipèles, des érysipèles phlegmoneux,
comme nous l'avons prouvé (p. 1 12, H 3) ?
Des chirurgiens s'imaginent d'ailleurs vainement
d'empêcher l'action moléculaire de l'air sur le pus,
en couvrant les surfaces suppurantes d'appareils et
^îe cuirasses inamovibles ou rarement renouvelés.
L'air et les miasmes putrides y croupissent, comme
le pus, et s'y concentrent seulement davantage, en
s'y renouvelant moins parfaitement que par des pan-
sements plus fréquents et des appareils plus légers.
Ces chirurgiens me paraissent préserver le pus contre
l'action del'air, comme ferait le berger pourson trou-
peau s'il l'enfermait avec le loup dans la bergerie.
Mais le berger ne le fait pas, et je préfère son procédé
à celui des chirurgiens qui emprîsonoent l'air avec le
pus dans les foyers.
Pour nous donc, la suppuration exige que les pan-
sements soient plus ou moins fréquemment et plus ou
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 1^9
moins complètement renouvelés. Cette question de la
fréquence ou de la rareté des pansements a préoccupé
beaucoup quelques chirurgiens dans ces dernières
années. Je ne l'examinerai ici que pour la suppuration
qui est, au reste, le cas le plus important de la ques-
tion, et je n'en appellerai pour la résoudre qu'à l'ob-
servation et au sens commun.
Inconvénients des pansements rares. — Les pansements
rares salissent les appareils, y retiennent le pus qui
se corrompt, devient de plus en plus fétide, infecte le
malade, la pièce qu'il habite et les personnes qui y
demeurent avec lui. D'un autre côté, l'air se renou-
velant difticilement au-dessous de l'appareil, l'air et
le pus s'y altérant, il en résulte ordinairement de la
chaleur, de l'irritation, de la douleur, des pustules,
quelquefois, je le répète, un eczéma, un érysi-
pèle sur la peau que le pus inonde, parfois même un
érysipèle phlegmoneux autour du foyer suppurant,
des ulcérations, de la fièvre et d'autres accidents. Et
tous ces phénomènes n'ont rien d'extraordinaire; ils
sont fréquemment le résultat inobservé des propriétés
morbides du pus et se voient même dans des suppu-
rations médiocres telles que celles d'un vésicatoire
ou d'un cautère, surtout chez les femmes. D'autres
accidents encore peuvent survenir; par exemple, le
pus devenir diffluent, dépravé, et altérer la sécré-
tion suppuratoire elle-même, comme nous l'avons
déjà dit, en éteignant ou diminuant la sécrétion plas-
tique, et retardant indéfiniment la guérison.
Et la preuve que ces accidents en sont bien l'effet,
c'est qu'une foule de malades attendent avec impa-
tience au bout de vingt-quatre heures, le moment du
pansement qui doit les délivrer de la chaleur, de l'ir-
ritation locales qu'ils éprouvent, et leur donner à la
place le calme et le bien-être que leur procure en
150 CHz\PITRE I. — DES INFLAMMATiONS
effet îe renouvellement du pansement ; c'est que plu-
sieurs demandent à être pansés îe soir pour jouir
d'une nuit plus tranquille et d'un repos plus parfait,
surtout quand la suppuration est abondante, ou quand
on a été obligé d'ajouter un cataplasme au pansement
pour apaiser la vivacité de l'inflammation. Croit-on
que ce bien-être produit par le renouvellement de
linges saîes, dégoûtants pour l'odorat, durcis dans
certains points par du pus ou du sang desséchés, par
le renouvellement d'un cataplasme rance, acescent
ou refroidi, et irritant d'une manière quelconque, soit
un bien-être imaginaire ou l'illusion d'un espiit ma-
lade? S'il en était ainsi, celte illusion même serait
encore un bien précieux. Mais qui n'a éprouvé ce plai-
sir en quittant un linge échauffe et sali par la sueur
4'une chaude journée? Qui ne sait que les personnes
fatiguées trouvent dans le linge propre un repos déli-
cieux suffisant pour les délasser ? Qui n'a ressenti enfin
une sorte de volupté a s'étendre et à reposer dans un
Ut garni de linge blanc et propre? 11 faudrait être sale
comme un Yacoute , un Tongouze ou un Samoïède
pour être insensible à ce plaisir. Quel épais bandeau
ne faut-il pas avoir sur les yeux pour ne pas voir des
faits aussi évidents qui se renouvellent tous les jours !
De quel préjugé ne faut-il pas être frappé pour ne pas
apprécier des faits aussi éclatants ! Néanmoins je m'ena-
presse de le dire, les accidents que j'ai indiqués ne se
manifestent pas toujours dans les pansements rares.
Mais personne n'ayant dressé de statistique à cet
«égard, et d'ailleurs une statistique concluante et
pratique sur ce sujet n'étant pas facile à établir, la
science manque de ce guide indispensable. On me
dira peut être, à vos faits on en oppose d'autres. C'est
Trai, aussi je vais les examiner et tâcher de les ap-
précier.
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 151
Avantages des pansements rares. — Cœsar Magatus a
depuis longtemps (1616) attaqué la méthode des pan-
sements quotidiens et l'abus des mèches et des tentes.
(De r ara medicatione vuinerum... libri duo in quibus )iova
traditur methodus qua felicissime , ac cilius quam alio quovis
modo sanantur vuinera , etc. Venet^ 1616, in-fol.) 11 re-
jette d'abord les pansements quotidiens pour les
plaies simples, mais il croit devoir discuter la ques-
tion pour les plai<îs creuses {Cavis, c. I, p. à) ; sa mé-
thode des pansements rares et renouvelés après un
nombre variable de jours écoulés, lui paraît la meil-
leure, parce qu'elle remplit très-bien les principales
indications et avec la plus parfaite sécurité. 1^ Elle
rend plus forte et plus vigoureuse la chaleur naturelle
affaiblie par l'absence de tégument dans les plaies,
par les pertes de sang et par le renouvellement des
pansemenîs de la méthode commune^ 2° on doit re-
garder la méthode des pansements rares comme très-
bonne, parce qu'elle écarte les obstacles à la guérison,
tels que l'afflux des humeurs dont les causes sont affai-
blies dans les blessures couvertes, où la chaleur
naturelle est maintenue plus élevée par le tégument
artificiel; 3<* parmi les choses qui nuisent le plus à la
nature, s'observe l'exposition à l'air ambiant; 4° par
là, la chaleur naturelle est affaiblie dans la partie
dépouillée de tégument. Par le nouveau mode, dans
les fractures avec plaie, les os sont réunis et non sé-
parés; 5° les excrétions purulentes sont moins abon-
dantes et la guérison plus heureuse et plus rapide
que par la méthode commune (c. III, p. 6).
On peut voir que des six avantages que j'ai pré-
sentés séparément, à l'instar dç Magatus, quoiqu'ils
soient la reproduction les uns des autres et repa-
raissent incessamment, avec la plus ennuyeuse pro-
lixité tout le long de son ouvrage, ces avantages sont
152 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
on ne peut plus vains et ridicules-, aussi je ne pren-
drai pas la peine de les combattre. Une seule asser-
tion mériterait d'être pesée si nous avions les moyens
de la discuter : ce sont les succès de la pratique de
l'auteur. Mais il nous faudrait une statistique éclai-
rée et vérifiée par des contemporains capables ; or, ce
moyen nous manque absolument ; il n'y a donc pas ici
d'élément possible d'examen et de discussion. Aussi
l'affirmation de Magatus reste à l'état d'assertion sans
preuves, lorsqu'il dit (ch. XXn,p. 56) : « Nous affir-
mons que les blessures parviennent beaucoup plus
heureusement au but, la guérison, si elles sont pan-
sées et découvertes très-rarement, à moins qu'il ne
survienne quelque^ accident qui nous oblige à renou-
veler le pansement. Les corps étrangers eux-mêmes
sont plus facilement chassés des blessures mainte-
nues couvertes par un tégument artificiel qui donne
plus de force à la nature. » C'est vainement aussi
qu'il prétend connaître suffisamment, par les symp-
tômes et les accidents^ l'état d'une blessure couverte
d'un appareil. Vainement il affirme que la douleur,
le prurit, l'érosion, la fétidité, l'hémorragie, les alté-
rations de la suppuration et des chairs ne peuvent
rester cachées (c. XXXIX, p. 68, 69). Ce sont là des
exagérations insoutenables de systématique.
Tout en blâmant les pansements fréquents, il re-
connaît cependant qu'un accident peut obliger à les
renouveler : Nos contra asserimus longe felicius liosce
scapos aitingi, si quant rarissime vulnera salvantur ac dete-
gantur; nisi superveniens aliquod malum ad solutionem nos
cogat. Si ces accidents, et surtout une cicatrisation dé-
réglée qui commençant par les bords d'une cavité au
lieu de commencer par le fond, en fait un abcès ou
une fistule, s'annonçaient au dehors, malgré l'appa-
reil qui recouvre une surface suppurante, le précepte
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 153
pourrait être suffisant -, mais il l'est si peu qu'on a
été forcé, par l'expérience, d'abandonner la réunion
immédiate dans toutes les plaies un peu profondes ou
formées de parties trop hétérogènes. Dans ces plaies,
la peau et les muqueuses, s'il y en a, comme dans la
plaie de l'opération de la fistule k l'anus, se réunis-
sent presque toujours avant le fond, si l'on ne s'y
oppose, et il en résulte des abcès et des fistules qu'il
faut rouvrir par une nouvelle opération pour guérir
les malades.
Magatus blâme aussi l'usage fréquemment répété
des topiques, des tentes qui écartent les bords des
plaies qu'il faut réunir et la détersion répétée de ces
plaies. Suivant lui, le pus est la matière qui produit
la cicatrice; comment pourra-t-elle s'opérer si on lui
en Ole les moyens? — On conçoit dès lors que ta
surabondance du pus n'oblige pas Magatus à renouveler
un pansement. — Nous ne défendons pas l'abus des
topiques ni des tentes 5 mais nous soutenons d'abord,
avec l'auteur lui-même, quoiqu'il se contredise en
cela, que la partie purulente du pus ne fournit pas la
niatière de la cicatrice; que celle-ci ne s'écoule pas
aveclepus etreste dans les plaies 5 qu'elles'y unitavec
les points qui la sécrètent pour produire la membrane
pyogène ou granuleuse et en définitive la cicatri-
sation; que le linge dont il recouvre toujours la pfaie
pour empêcher l'air de s'y introduire est un moyen
incapable de s'y opposer; que la suture vantée et
essayée à différentes époques pwur obtenir une réu-
nion immédiate n'a de succès probable que dans les
plaies homogènes, ou composées de parties peu hété-
rogènes par leur structure, leurs propriétés vitales et
leurs altérations; que c'est par ces faits qu'il faut se
guider pour tenter ou rejeter, d'après des règles lo-
giques et précises, la réunion immédiate, ainsi que
i5k CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
nous l'avons fait dans notre Traité des pansemenîs, t. lï,
p. 573.
Larrey , qui aaussi adopté la doctrine des pansements
rares, à l'exemple des nations barbares en chirurgie,
n'en donne pas de raisons convaincantes dans sa
Clinique chirurgicale {V avis ^ 1829,4 vol. in-8°). C'est
ainsi qu'au traitement des plaies d'armes à feu (t. ï,
p. ô2) , après avoir conseillé l'emploi du panse-
ment tonique par le vin chaud et camphré, il recom-
mande de ne pas panser avant le septième ou le neu-
vième jour, et ajoute : « Nous avons vu un assez
grand nombre d'amputés parcourir des distances im-
menses sans être pansés une seule fois. Ils se conten-
taient d'éponger tous les jours l'extérieur de l'appa-
reil, et de le couvrir d'un morceau de peau ou de
toile cirée... A leur arrivée à destination ils trou-
vaient leur moignon cicatrisé ou tout près de l'être.
Un chef de bataillon amputé à l'épaule s'est rendu
de la bataille de la Moskowa à Paris sans avoir été
pansé une seule fois; à son arrivée son moignon était
entièrement cicatrisé. Le général Jamin a guéri de
la même manière d'une plaie avec fracas de la mâ-
choire inférieure qui le frappa en Prusse (p. 56, 57). »
Aux plaies des articulations Larrey applique son
appareil contentif à V acétate de plomb et au blanc d'œuf,
et*ne le lève pas avant le vingt et unième jour ou
avant la guérison complète (t. III, p. 381, 82). Il re-
commande également de ne pas lever l'appareil des
fractures, compliquées ou non de plaie, avant la sou-
dure complète de l'os et l'entière cicatrisation des
plaies, s'il y en a, (t. III, p. 425, 26). Enfin, à l'arli-
cle Amputation^ après la description du premier pan-
sement^ \\ Y A toutes sortes d'avantages, dit-il, à ne
lever rappar«il que le plus lard passible (t. III, p.
490). Ainsi des préceptes et pas une, raison valable
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 155
pour les justifier, si ce n'est trois ou quatre observa-
tions ou faits complexes qu'il faudrait apprécier, voilà
tout ce que Larrey apporte en faveur des pansements
rares. On ne peut donc eu tirer aucune conséquence
pratique assurée. D'ailleurs, remarquez le vice de
notre logique actuelle : on ne veut que des faits pour
s'éclairer; n'apportez que des faits, point de raison-
nements, défiez-vous du raisonnement, c'est un
moyen trompeur qui n'est propre qu'à égarer, vous
crient de ton tes parts les meneurs de la science ! Alors
Larrey, suivant l'impulsion générale, apporte des
faits de pansements rares, et, comme la critique doit
se taire là où il n'y a pas à raisonner, personne ne
s'avise de nier que ce soient des pansements rares.
Et cependant chaque jour, peut-être même plusieurs
fois par jour, les malades nettoyaient avec une éponge,
au moins humide, la suppuration qui salissait leur ap-
pareil. N'était ce pas pour remédier à la malpropreté
et à l'infection? — Ce n'est pas là un pansement à
fond, diront nos adversaires. — Soit, mais enfin c'est
quelque chose, c'est un pansement incomplet, comme
celui d'un ulcère dont on ne change pas les bandes
emplastiques,si vous voulez, c'est un pansement sale,
malpropre, barbare, c'est l'enfance de l'art même,
mais enfin c'est un pansement qui n'est pas rare puis-
qu'il est quotidien. Il faut bien le faire remarquer aux
plus incrédules pour qu'ils le reconnaissent. Il faut
même faire observer que ce fait qui paraît si simple et
si facile à apprécier au premier coup d'œil de l'esprit,
devient très-complexe pour le jugement qui raisonne;
que les malades qui voyagent ne vivent pas dans l'en-
combrement; que cette circonstance a pu favoriser
leur guérison, que celle-ci a pu l'être encore par l'état
moral de ces malades rentrant pour toujours, dans
leur pays, auprès de leurs amis, dans leur famille,
156 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
couverts de blessures gagnées en défendant la pa-
trie, ce qui leur assurait une vieillesse tranquille,
honorée et glorieuse. Qui peut calculer rintluence
d'aussi heureuses dispositions morales sur la guéri-
son tout attribuée à un prétendu pansement rare
qui se faisait plusieurs fois le jour? Qui pourrait éga-
lement calculer l'influence physique du voyage,
l'aération, et une foule d'autres dont les observations
de Larrey n'ont pas dit un mot? Vous le voyez, pour
apprécier un fait il ne suffit pas d'observer, il faut le
juger par le raisonnement. Un fait est la pierre brute
d'un édifice ; pour l'employer avec avantage, il faut
en apprécier au moins la nature, les propriétés, et les
avantages qu'on en peut tirer.
M. Sasie a publié dans les Archives générales de méde-
cine, 1833, p. 153, 305, un Mémoire sur la réunion im-
médiate et la levée tardive du premier appareil, où il a ras-
semblé quatorze observations empruntées à Larrey,
et surtout h la clinique de Maréchal, jeune chirur-
gien enlevé prématurément à la science. Dans les
faits de Maréchal, le premier appareil n'était levé
que du onzième au treizième jour; les pansements
étaient renouvelés ensuite tous les vingt-quatre heu-
res, ou à quelques jours d'intervalle. Presque tous les
cas furent suivis de guérison non tardive, mais cepen-
dant pas prompte. La plupart de ces cas consistèrent
dans des ablations de parties molles d'une étendue
médiocre, et sans section de grands os, qui est une
complication des plaies souvent mortelle. Les suc-
cès de Maréchal n'ont donc rien d'extraordinaire , et
comme ils sont peu nombreux, et qu'il y avait en
outre réunion immédiate, on n'en peut rien conclure
d'assuré sur la valeur de la levée tardive du premier
appareil, ni sur la réunion immédiate. Pour que ces
observatioiis fussent concluantes, il faudrait que les
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 157
expériences fussent plus nombreuses, et que l'action
de la réunion immédiate et de la levée tardive du pre-
mier appareil eussent été expérimentées séparément.
Ce mode de pansement diffère d'ailleurs beaucoup
trop des pansements de voyage de Larrey, pour que
Ton puisse conclure de l'un à l'autre, comme l'a fait
M. Sasie. Ces vices de logique, dans un temps où l'on
observe plus qu'on ne raisonne, ont besoin d'être signa-
lés, parce qu'ils ne permettent pas de profiter d'obser-
vations et d'expériences mal instituées. Nous avons
pour cette raison même pris le soin, dans notre Traité de
pansement, d'isoler la question de la réunion immédiate
de celle des pansements rares. (T. II, p. àl3 et 624.)
Néanmoins, M. Godée, qui connaît ce que nous avons
dit à ce sujet, puisqu'il nous a fait l'honneur d'en
profiter en plusieurs endroits, est retombé dans la
confusion (Thèse de la Fac. de Paris, 1846, n» 15), en
ne faisant pas voir que l'emploi simultané de la réu-
nion immédiate et des pansements retardés d'une
manière quelconque, empêchait de distinguer auquel
des deux moyens appartenaient les effets obtenus.
D'ailleurs les expériences de M. Josse, invoquées par
l'auteur, ne portent que sur le premier pansement,
retardé jusqu'au dixième jour, et fait sans réunion
immédiate, etc. Ces faits ne peuvent donc plus être
exactement comparés aux précédents. Donc, toutes
ces variétés d'expérimentation, loin de concourir à
éclairer le sujet, ne font que l'obscurcir. M. Godée,
d'ailleurs, exagère plus encore que ses prédécesseurs
l'action irritante de l'air et des mouvements commu-
niqués aux plaies, dans les pansements faits avant le
dixième jour; mais après le dixième jour, il ne craint
plus ces terribles influences et panse volontiers tous
les jours. Comment peut-il croire à de vives et dan-
gereuses douleurs causées par l'air et les secousses
158 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
des pansements, quand on voit les malades réclamer
eux-mêmes le renouvellement des pansements jus-
qu'à deux fois par jour, parce que les pansements les
soulag^ent et leur procurent du calme et du som-
meil?
Qui ne sait encore que, dans nos hôpitaux, les ma-
lades restent souvent assez longtemps les plaies à dé-
couvert sous leur couverture, où la température est
généralement douce, sans en manife ter la moindre
souflVance, ou même sans daigner mettre les plaies à
l'abri sous leur couverture? Cependant, i'air froid
les irrite quelquefois, surtout quand l'intlammation
suppurante est accompagnée d'une vive irritation ,
comme dans les brûlures. Eh bien^ dans ce cas même,
la cuisson causée par l'air, et même ensuite par le
contact des pièces de pansemenS, n'est suivie d'au-
cun des accidents, érysipèie, phlegmon , phlébite,
qu'on leur aitribue. Néanmoins, la douleur étant un
mal, on doit toujours en tenir compte pour l'épar-
gner au malade par des pansements appropriés à la
circonstance.
Je rappellerai ici les principes généraux que j'ai
donnés dans mon Trailé des pmisements, t. Il, p. 6-'>0 :
«Dans les solutions de continuité, abcès ouverts, iis-
tules, ulcères, plaies, le premier pansement ne doit
jamais être renouvelé que lorsque la suppuration a
détaché entièrement ou presque entièrement les pre-
mières pièces d'appareil de la surface malade, ou
qu'un accident le réclame impérieusement. Ce pré-
cepte est général pour le premier pansement comme
pour ceux qui le suivent, parce qu'en détachant mé-
caniquement, ou par le lavage à l'eau tiède, comme
on doit au moins le faire, les parties collées aux bords
des solutions de continuité ou à leur surlace, le ma-
lade en est toujours plus ou moins irrité. On a donc
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 159
tort lorsqu'on se hâte de panser les vastes plaies con-
sécutives à l'araputation des membres dès le troisième
ou quatrième jour, et à plus for!e raison dès le se-
cond. Si, après avoir enlevé les bandes d'un appa-
reil sali par la suppuration, vous trouvez les com-
presses et la charpie trop adhérentes, ne vous obsti-
nez point à les enlever; remplacez la bande sale par
une bande propre; faites enj&n, suivant le besoin,
un quart ou une moitié de pansement, si je puis par-
ler ainsi. Dans le cas, au contraire, où les pièces
d'appareil seraient presque entièrement détachées
par la suppuration, il faudraii achever le pansement.
On arroserait, d'ailleurs, avec une éporige imbibée
d'eau tiède, les parties encore adhérentes pour les
ramollir et les détacher sans douleur; mais si l'on
trouvait quelques fragments de charpie trop adhé-
rents pour se détacher facilement par ces arrosions,
ils devraient être abandonnés pour être enlevés plus
tard. »
En général, les pansements étant destinés à net-
toyer une partie salie par la suppuration, à réappli-
quer un appareil par trop relâché, à remédier k un
accident quelconque, si ces indications ne se font
pas sentir, le pansement est inutile. Il a même des
inconvénients s'il fatigue le malade, l'irrite ou peut
refarder la guérison en rompant des adhérences
utiles, comme cela peut arriver dans des panse-
ments faits avant le huitième jour pour une plaie
qu'on veut légitimement essayer de guérir par une
réunion immédiate. Si, au contraire, il s'agit de solu-
tion de continuité dont on ne doit pas tenter la réu-
nion immédiate, ou dont on doit diriger la réunion du
foiid d'un foyer vers les bords, les pansements doi-
vent être fréquents et même quotidiens. Il n'est donc
pas plus raisonnable de recommander d'une manière
160 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
générale et absolue les pansements rares que les pan-
sements fréquents. (Traité des pansements, t. lî, p. 627.
Paris, 1839.) Telle est à peu près la doctrine soute-
nue cette année, 1851, dans sa thèse de concours
pour le professorat , par M. Gosselin , professeur
agrégé et chef des travaux anatomiques de la Faculté
de Paris.
Historique de la suppuration. — Comme Hunter, les au-
teurs anciens avaient vu que trois phénomènes consé-
cutifs à l'inflammation, la suppuration, l'ulcération et
la fistule, se lient très-fréquemment entre eux. Ainsi
ils font très-bien remarquer que les fistules, les ulcères
succèdent souvent à des collections purulentes ou-
vertes à l'extérieur de la peau ; mais ils n'avaient pas
songé à étudier cette question d'une manière générale.
Hippocrate , sobre d'explications théoriques, ne
parle guère de la suppuration que comme accident
critique, ou bien, à son point de vue patticulier, la
prognose, à propos des symptômes qui peuvent faire
prévoir la formation du pus; mais déjà dans le Traité
des ulcères, attribué à l'un de ses disciples, on trouve
l'explication qui devait le plus naturellement se pré-
senter à l'esprit. L'auteur dit que les plaies s'enflara-
ment quand elles doivent suppurer, et qu'elles suppu-
rent quand le sang est échauffé et altéré, de sorte
qu'il éprouve une sorte de putréfaction qui le con-
vertit en pus.
On croyait déjà alors aux métastases purulentes :
car dans le livre des Pronostics (t. I, n» 46, trad. de
Gardeil), on lit ce passage : «Toutes les fois que,
dans les maladies du poumon, la matière se trans-
porte autour des oreilles, qu'il s'y fait un dépôt, ou
aux extrémités inférieures, c'est guérison, et la sup-
puration en est salutaire. » On avait aussi remarqué
des phénomènes de diathèse purulente, car l'auteur
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 161
du livre des Humeurs (loc. cit., n° 27), dit : « Chez
ceux qui sont excédés par les fièvres, il survient des
abcès autour des articulations ou des oreilles. Si ceux
qui relèvent de maladie éjDrouvent des douleurs su-
bites aux pieds ou aux mains, il s'y fait un dépôt. »
{Ib., n" 28.)
Dans un chapitre fort remarquable sur les abcès
(V. plus bas), Celse exprime le fait de la formation du
pus sans l'expliquer. Quant à Galien, pariant du
phlegmon {Detum. prceiernat.)^ il représente toutes les
parties comme imprégnées de sang qui se convertit
en pus et forme l'abcès. Ailleurs {De febrib., lib. I,
c. 7), il dit : « La putréfaction qui se fait dans lès
vaisseaux est semblable à celle qui arrive dans les in-
flammations Jes abcès et autres tumeurs.» Seulement,
à cette putréfaction, il ajoute la chaleur et la coction.
Cette idée régnera sans partage, avec le galénisme,
pendant les siècles suivants.
Vanhelmont introduit dans la question ses idées
chémiatriques et vitales, oîi l'acidité et les ferments
jouent un grand rôle. {Blas humanum.)
Pour Sylvius Deleboë, la génération du pus pro-
vient d'une réaction des acides et des sels du sang
que favorisent les éléments huileux, et d'où résultent
une effervescence chaude et une corruption du sang.
(Op. med., p. 282.) Puis viennent les théories de phy-
sique cartésienne sur le mélange des particules gros-
sières de la partie enflammée pour former la matière
purulente. C'est Verduc qui s'en fait l'interprète.
{Path. dechir., t. I, p. 16.)
Boerhaave reprend la vieille doctrine de la disso-
lution des solides, qu'il expose à propos de l'inflam-
mation. Pour lui , comme pour son commentateur
Vanswiéten, la suppuration est une sorte de gan-
grène, une fonte, comme le disaient certains auteurs,
11
162 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
une dissolution en bouillie des capillaires obstrués,
mais non une véritable putréfaction. Quant au pus,
c'est une humeur composée des liquides extravasés,
et des solides tendres et délicats broyés et mêlés avec
eux. Parmi les partisans de doctrines analogues, nous
citerons Pringle {Mal. des arm., traduct. fr., p. 379,
2' édit.), et Gaber (Mém. de CAcad. de Turin, t. XI),
qui admettaient la putréfaction du sérum ; Grothius
la fonte de la graisse.
Mais bientôt va surgir une nouvelle doctrine plus
en rapport avec les données physiologiques. Vers
1722, Simpson avait reconnu de l'analogie entre une
surface suppurante et une espèce de glande nouvelle.
Plus tard, Deliaen fit observer que si la suppuration
consistait dans une fonte putride, elle devrait tou-
jours être suivie d'une déperdition considérable de
substance, ce qui n'a pas lieu dans la majorité des
cas ; il faut donc croire que le pus est séparé du sang
au niveau de la partie malade. Mais le pus était donc
mêlé au sang? Oui, dit Dehaen avec Sauvage et
quelques autres. Il pense donc que la matière du
pus préexiste dans le sang, malgré l'apparence ho-
mogène de ce dernier, et que ce n'est autre ch^ïse
que la couenne qui se forme par le dépôt, cette ma-'
tière coagulable qui se sépare par le battage, e'est-a-
dire la fibrine alors, mal connue. {Rat. med., 1. 1, c. xi,
p. 60-755 édit. in-8°, 1761). Quesnay est plus expli-
cite encore : il regarde la suppuration comme une
transformation des humeurs naturelles du corps en
un produit particulier, qui est le pus, et la cause de
cette transformation réside dans Vactio7i augmentée des
petits vaisseaux , même dans les plaies oii Quesnay
n'admet pas que la suppuration soit accompagnée
d'inilamniation. (Traité de la suppuration, chap. 1, p. 6,
et chap. Il, p. 17; Paris, 1764.)
SUPPURANTE, ULCÉRANTE ET CICATRISANTE. 163
Mais c'est Morgan qui, lepremier, établit nettement
la lliéorie de la sécrëtion(Tlièse inaug. indt. Puopoioses,
sive V , 1763), et c'est celte doctrine que Hunter
a développée avec cette hauteur de vues qui lui est
propre. ( Traité de Cinflammation.') Longtemps Dupuy-
tren enseigna l'opinion qui nous occupe actuellement,
quand tout à coup, en 1820, il reprit la théorie des
anciens. Suivant lui, le sang, qui distend les vais-
seaux de la partie enflammée, se répand dans cette
partie et se combine avec elle; il en résuite un tissu
plus dense, plus compacte, friable, etc. Si de mouve-
ment inflammatoire n'est pas arrêté ou ralenti, les
tissus altérés se ramollissent, se détruisent, et, se mêlant au
sang qui les pénètre, constituent une matière pulpeuse que d'ul-
térieures élaborations convertissent en pus. {Dict. de méd. et
de chir. prat., t. î, art. Abcès.)
On a remarqué, il y a longtemps, que les parties
suppurantes sont revêtues d'une fausse membrane
molle, tomenteuse, analogue aux muqueuses; car
Celse l'a décrite dans les abcès sous le nom de Tu-
nica (liv. VII, c. li), et c'est aussi là que nous en re-
parierons.
L'application du microscope à l'étude du pus et de
la suppuration n'est pas tout à fait récente; mais ce
n'est réellement qu'à partir de J. Hunter et de Gruit-
huisen, à la un du siècle dernier, qu'elle a pris une
véritable importance. La plupart des auteurs qui se
sont occupés de cette question, parmi lesquels nous
citerons MM. Prévost et Dumas, Kaltenbrunner,
Weber, Gueterbock, Vogel, Henle, Mandl, Donné,
Lebert, les professeurs Bérard, Andral et Gavarret,
se sont plus particulièrement attachés à la détermi-
nation des caractères propres au globule purulent.
Quelques-uns ont voulu rechercher son mode dé for-
mation; ainsi M. Donné avait cru d'abord à la trans-
164 CHAPITRE I.
forinatioQ du globule sanguin en globule purulent, er-
reur qu'il a reconnue depuis. MM. Kaltenbrunner et
Lebert se sont efiorcés d'établir que les vaisseaux de
l'organe enflammé laissent transsuder la partie fluide
du sang qui sert de blaslème à la formation des glo-
bules*
Au total, les auteurs que l'on peut consulter sur la
suppuration, sont, outre les ouvrages déjà cités à l'ar-
ticle inflammation, et notamment ceux de Hunter, de
Thomson et de Lebert , VAtlas de micrographie de
M. Donné, l'article /^ms, de M. Bérard, etc.
Historique de ta purulence. — Après les transports du
pus d'un lieu dans un autre, après les dépôts et les
évacuations critiques admis par les anciens sur de
simples apparences, on a étudié ces faits anatomique-
ment, pliysiologiquementet cliniquement. Nous avons
exposé dans le courant de cet article les opinions des
principaux auteurs qui ont abordé cette vaste et obs-
cure question de la purulence. 11 n'y a donc plus qu'à
les rappeler ici, en les rangeant dans l'ordre pure-
ment chronologique. En tète se placent Boerhaave et
son tidèle commentateur Vanswiéten, qui admettent
l'absorption du pus. Plusieurs chirurgiens du XVIII'
siècle, sous la dénomination vague et peu physiolo-
gique de reflux des matières purulentes^ croient expliquer
les abcès multiples simultanés qui se montrent dans
les viscères à la suite des blessures. (J.-L. Petit,
Traité de mal. chir.^t. I, p. 6. Ledran, Obs. de chir., t. I
et 11); d'autres, comme Bertrand!, Pouteau, Riche-
rand, etc., méconnaissant les relations du trauma-
tisme et des plaies de tète en particulier, avec les
abcès multiples, tombent dans des erreurs qui ne
s'expliquent que par l'ignorance de la physiologie
pathologique à l'époque oii ces auteurs ont écrit.
Cependant Morgagni, imité par Quesnay, tout en
DES ULCÈRES ET DES ULCÉRATIONS. 165
croyant au passage du pus dans le sang, professe que
ce fluide ainsi altéré forme dans les viscères des
foyers d'irritation qui deviennent le point de départ
des collections purulentes. (Morgagni, Du siège et des
causes, etc., let. ôlj Quesnay, Traité de la suppurai. ,
p. 844.)
Vient enfin Hunter, et avec lui la théorie de la
phlébite, adoptée par Hodgson. En France, ces dif-
férentes doctrines semblent sommeiller ; le fait a été
perdu de vue 5 les abcès du poumon succédant aux
grandes opérations ne sont plus que des ramollisse-
ments de tubercules, quand, tout à coup, la question
se réveille et devient l'occasion d'une polémique très-
vive entre les résorptionisles (MM. Velpeau, Maré-
chal, etc.) et les phlébititiens (Ribes, Dance, Cruveil-
hier, Blandin, etc.), jusqu'à ce qu'enfin apparaisse la
théorie diathésale, défendue avec talent, mais exa-
gérée, je crois, par M. Teissier.
Nous avons longuement exposé les opinions des
auteurs contemporains qui ont pris part à ces luttes:
nous avons indiqué leurs ouvrages; nous n'y revien-
drons pas ici; nous pourrons d'ailleurs renvoyer au
traité, fort complet, de M. Sédiïlot, les personnes
qui n'auraient pas le temps de remonter à toutes ces
sources. [Traité de f infection purulente, historique, p.
17-70.)
DES ULCÈRES ET DES ULCÉRATIONS.
Solutions de continuité à la surface de la peau ou
des membranes muqueuses causées par une inflam-
mation ou une lésion physique,* entretenues par une
disposition morbide locale ou générale et souvent
croissant par une ulcération progressive, les ulcé-
rations ne difi"èrent des ulcères que parce qu'elles
sont peu étendues en largeur et en profondeur.
166 CHAPITRE I.
Les ulcères diffèrent des plaies parce qu'ils n'ont pas
de tendance à )a guérison. Si, comme quelques chi-
rurgiens le yeulent {Compendium de chirurgie, etc.), on
réservait le nom d'ulcères aux solutions de conti-
nuité produites par ulcération, un abcès ouvert ou
non, serait un ulcère, et une plaie de la jambe de
quinze mois de date serait encore une plaie.
Causes. — Le froid, la chaleur, les contusions, les
déchirures, les solutions de continuité produites par
des violences mécaniques, les pressions répétées ou
continues (Hunier), peuvent en être les causes exté-
rieures, primitives ; mais ces causes seraient insuf-
fisantes sans le concours de la déclivité, des varices,
des dartres, de la teigne, de la scrofule, de la tuber-
culie ou affection tuberculeuse, de la syphilis, du
scorbut, du cancer, de la dothinentérite ou fièvre
typhoïde, d'une diathèse gangreneuse, etc., qui suf-
fisent à elles seules pour produire des ulcères par
une inflammation ulcérative, superficielle ou peu pro-
fonde, extérieure ou intérieure. C'est par cette der-
nière que de simples solutions de continuité persis-
tent et s'agrandissent au lieu de guérir.
Caractères anatomiques . — Les ulcères sont souvent
uniques, mais ils peuvent exister au nombre de deux,
trois ou davantage, comme les ulcérations de la fiè-
vre typhoïde, comme les ulcères scrofuleux.
Ils commencent par une ulcération sur la peau ou
les muqueuses ordinairement. Ils peuvent creuser en-
suite plus profondément, même jusqu'aux os dans le
tronc et les membres, et percer les organes creux,
les poumons], les intestins. Leur étendue en sur-
face peut être fort considérable à la peaij , dans
les ulcères des jambes, dans les ulcères cancéreux,
dartreux, syphilitiques, etc. Ils affectent quelquefois
des directions particulières, verticale, transversale,
DES ULCÈRES ET DES ULCÉRATIONS. 16^
oblique, serpigineuse, comme on le voit sur le tronc
et les membres, etc. Ils ont des formes variées, ar-
rondies, allongées. Ils ont des bords réguliers ou ir-
réguliers, renversés en dedans ou en dehors, avec ou
sans décollement, graduellement amincis ou perpen-
diculairement rongés; leur surface est granuleuse,
fongueuse (ulcères fongueux des auteurs), parfois
anfractueuse, plane ou excavée.
Leur couleur est violacée, grisâtre, et peut deve-
nir rouge par la médication à laquelle ils sont soumis.
La consistance de leur surface est ordinairement
molle 5 mais le tissu sous-jacenl peut être induré par
des fluides plastiques concrètes, organisés. Il en est
de même de leurs bords. C'est ce qui constitue les
ulcères calleux des anciens. Quelques-uns sont com-
pliqués de varice^ {ulcères variqueux)^ d'exostoses ou
périostoses sous-jacentes, quelquefois d'ostéite ou de
carie. Ils peuvent même être compliqués de vers,
produits par des œufs de mouche déposés et éclos à
leur surface ou dans les linges qui les couvrent.
Sîjmptômes. — On connaît mal les symptômes de
ceux qui sont internes et profonds, et d'ailleurs ils
varient tellement, suivant leur mode, qu'on n'en
peut rien dire de général. Prendre pour type les
symptômes des ulcères des jambes, comme on le fait
trop souvent, c'est prendre le particulier pour le
général et tombe» dans l'erreur.
Marche. — Né d'une engelure, d'une brûlure, d'une
contusion, d'une plaie mal traitée et dégénérée en
ulcère, d'une inflammation locale ou diathésale dans
laquelle Ja solutioa de continuité s'est établie de de-
hors en dedans ou de dedans en dehors , l'ulcère
reste au bout d'un certain temps stationnaire; sou-
vent il va croissant par l'érosion ou l'ulcération des
tissus, en surface et en profondeur, pour s'arrêter,
168 CHAPITRE I.
presque toujours, après avoir pris une certaine éten-
due variable dans chaque mode; d'autres fois il s'ac-
croît dans un sens tandis qu'il se cicatrise dans un
autre. La cicatrice, quand on parvient à l'obtenir par
la guérison ou par l'amoindrissement de la maladie
locale ou générale qui l'entretenait, se fait ordinaire-
ment de la circonférence au centre ; alors elle com-
mence au bord, par un liseré d'un gris bleuâtre,
mince, qui s'accroît du côté du centre : quelquefois
la cicatrice s'accomplit par un ou plusieurs points de
la surface, qui s'unissent peu à peu. Je l'ai même vu,
sur un ulcère de la jambe de la largeur de la paume
de la main, se faire à la fois par une membrane de
nouvelle formation qui fut consolidée sur toute la
surface, en huit jours. La cicatrice se compose d'une
couche d'épiderme et d'une couche de derme plus
minces que celles de la peau ; d'une couche mu-
queuse et d'une couche d'épilhélium sur les mem-
branes muqueuses.
La marche des ulcères peut être traversée par des
accidents, par l'inflammalion, l'ulcération, la gan-
grène d'une cicatrice commencée ou de la surface de
l'ulcère, par des hémorragies capillaires, veineuses
ou artérielles même, par suite de l'ulcération d'une
artère.
Des différents modes ou espèces des ulcères. — Sous le
rapport de leurs causes, les uns tiennent à une cause
locale, tels sont : 1° les ulcères par solution de con-
tinuité négligée ou mal traitée consécutivement à une
engelure, une brûlure, une plaie, etc.; 2° les ulcères
par déclivité des jambes qui seron tdécrits aux maladies
des membres; 3° les ulcères cancéreux et cancroïdes;
4° les ulcères teigneux; 5° les ulcères dartreux ron-
geants; 6° les ulcères variqueux; 7° les ulcères os-
téitiques ou compliqués d'une maladie des os sous-
DES ULCÈRES ET DES ULCÉRATIONS. 169
jacents; d'autres tiennent à une diathèse : tels sont
les ulcères scrofuleux , syphilitiques, syphiloïdes,
scorbutiques, gangreneux. Les ulcères vermineux ne
méritent pas de mention spéciale. Les ulcères à bords
décollés, calleux, méritent au moins quelques remar-
ques, et leur indication dans la description générale
suffit; mais les autres seront décrits à l'occasion des
maladies auxquelles ils se rattachent. Les variqueux
le seront avec les ulcères des jambes.
Diagnostic. — ïl est facile quand l'ulcère est ex-
terne et tombe sous les yeux , quand sa cause est
bien connue et sa tendance à persister ou à s'agran-
dir prouvée par des traitements appropriés bien faits
et tentés inutilement. Le diagnostic peut être impos-
sible quand l'ulcère, étant peu ancien, n'a pu être
suffisamment exploré par le traitement, et que sa
cause est inconnue ou douteuse. Les caractères qui
peuvent l'éclaircir varient d'ailleurs suivant la cause
qui le produit ou l'entretient, et quelquefois suivant
les caractères anatomiques et phénoménaux que pré-
sente l'ulcère, ainsi qu'on le verra dans la pathologie
spéciale.
Le pronostic des ulcères n'a rien de général ; la grande
diversité de leurs espèces le fait prévoir. Cependant
il est subordonné, dans ces affections comme dans
les maladies en général, à l'intensité et à l'activité
des causes 5 aux caractères matériels qui accompa-
gnent les ulcères, et particulièrement à leur nombre,
à leur siège, à leur étendue, surtout en profondeur,
aux lésions particulières qui peuvent les compliquer ;
quelquefois à leur ancienneté et à l'influence fatale
que peut avoir la guérison de quelques-uns.
Ainsi les ulcères scrofuleux, syphilitiques, scor-
butiques, coïncidant avec des diathèses scrofuleuses,
syphilitiques, scorbutiques, très-prononcées et pro-
170 CHAPITRE I.
fondes, sont plus difficiles à guérir que dans les caS
opposés^ les uleères multipliés des fièvres graves ou
typhoïdes sont plus funestes que ceux qui sont rares;
les ulcères des intestins sont plus dangereux que
ceux de la peau; ils causent des péritonites mor-
telles s'ils perforent les intestins et amènent un épaur
chement. Les ulcères très-étendus sont plus diffi-
ciles à guérir que ceux qui ont une étendue médiocre;
ceux qui entraînent l'ouverture d'une artère peuvent
devenir funestes; des ulcères des jambes étendus
et anciens ne peuvent pas toujours être guéris sans
danger.
Il n'est pas moins difficile de généraliser le traitement
que le pronostic des ulcères, par suite de la diversité
de leurs modes. Il est en effet essentiellement fondé
sur la diversité de leurs causes, à peine sur celle de
leurs caractères anatomiques et phénoménaux, et sur
les accidents et les complications qui peuvent modi-
fier leur marche. D'après leurs causes, ils seront trai-
tés comme les affections auxquelles ils se rattachent,
comme une plaie, une inflammation par déclivité, un
cancer, une affection scrofuleuse, vénérienne, scor-
butique, gangreneuse, etc. D'après leurs caractères
anatomiques, les ulcères fongueux, à bords indurés
ou décollés réclament quelques remarques particu-
lières. J'en dirai autant pour ceux que quelque acci-
dent, une inflammation, la gangrène humide , des
hémorragies viennent compliquer.
Les ulcères fongueux, couverts de bourgeons char-
nus, mous et exubérants, doivent être tondus avec
des ciseaux, ce qui donne lieu à un écoulement de
sang immédiat qui les dégorge. Cette opération cause
peu ou pas de douleurs, parce que <ses granulations
sont des produits de nouvelle formation , riches en
vaisseaux, pas en nerfs et peu sensibles. L'écoulement
DES ULCÈRES ET DES ULCÉRATIONS. 171
du sang arrêté, on les cautérise avec le nitrate d'ar-
gent. Si l'ulcère a son siège aux jambes, on le couvre
de bandelettes de sparadrap, comme il sera dit aux
ulcères des jambes, et on tient le malade couché ho-
rizontalement. Si ces ulcères se trouvaient ailleurs,
on pourrait souvent encore y appliquer de semblables
bandelettes ou un emplâtre de sparadrap ou des com-
presses, de la charpie imprégnée de décoctions as-
tringentes de quinquina, de poudre de la même subs-
tance. On renouvellerait le pansement tous les deux
ou trois jours au plus tard, en cautérisant, comme
devant, pour empêcher la reproduction des fongo-
sités. *
Les ulcères à bords indurés s'observent surtout
aux jambes. La compression par les bandelettes de
sparadrap suffirait ordinairement; mais on pourrait
aussi recourir d'abord au repos horizontal, aux cata-
plasmes émollients et féculents renouvelés tous les
deux jours ou deux fois par jour, pendant une se-
maine environ.
Les ulcères à bords décollés doivent être cautéri-
sés souvent par l'azotate d'argent dans les points dé-
collés, pansés par l'interposition d'une mince couche
de charpie dans les décollements, et au bout de sept
ou huit jours, par des bandelettes de sparadrap re-
nouvelées tous les trois ou quatre jours. Si au bout
de trois semaines, un mois au plus, ce moyen est in-
suffisant : excision des bords ou des parties amincies
et décollées.
Les complications d'inflammation cutanéo- cellu-
laire aiguë, d'érysipèle, de lymphite, de phlébite, se
traitent comme les inflammations en général; la gan-
grène humide ou pourriture d'hôpital, comme cette
afi'ection (Y. gangrène et plaies) ; les hémorragies ,
comme ces maladies mêmes ; les complications ostéi-
472 CHAPITRE I.
tiques, les varices, comme il sera dit aux maladies
des organes du mouvement et aux varices.
Historique. — Les ulcères en général ont été envi-
sagés sous des points de vue très-différents. On peut
s'en assurer en comparant seulement ce qu'en disent
Boyer et Delpech dans leurs Maladies chirurgicales.
On a eu d'ailleurs des idées très-confuses de l'in-
fluence de la déclivité sur les ulcères les plus com-
muns, ceux des jambes. On ne doit donc pas s'é-
tonner de la diversité des doctrines chirurgicales sur
ce sujet,
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL.
C'est une collection purulente développée au sein
de nos tissus, ou même dans les cavités des membra-
nes séreuses^ synoviales ou des membranes muqueu-
ses oblitérées.
Causes. — Inflammations suppurante et ulcérante,
aiguë ou chronique, spontanée, idiopathique, circon-
voisine, éloignée 5 par coups, violences extérieures,
corps étrangers solides, liquides venus du dehors ou
de nos organes, comme les matières intérieures,
épanchées, infiltrées dans nos tissus; enfin diathèses
ou dispositions morbides générales, comme la scro-
fule, la syphilis, les diathèses purulentes, successives
ou simultanées. De là des abcès très-divers, désignés
sous les noms d'abcès aigus ou chauds, de froids ou
chroniques, dldiopathiques lorsqu'ils ont leur siège à
l'endroit même de la suppuration, de circonvoisins lors-
qu'ils sont dus à une inflammation voisine d'une pre-
mière inflammation :; de migrateurs^ ou par congestion,
lorsqu'ils sont dus à une suppuration plus ou moins
éloignée de sa source, et émigrant par son poids et
l'ulcération qu'elle cause pour aller se rassembler à
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 173
une certaine distance; de diathésaux , comme les abcès
scrofuleux, etc. On parle aussi d'abcès sympathiques ,
dus à une inflammation de même nom, comme des
abcès de l'anus dans la phthisie pulmonaire, d'abcès
critiques, qui seraient la crise d'une autre maladie, par
exemple, ceux des parotides dans le cours des fièvres
graves. Il est permis de douter de la causalité réelle
de ces derniers.
Caractères anatomiques. — En général, on n'observe
guère qu'un abcès, à la fois, dans l'économie animale:
mais il n'est pas rare néanmoins d'en observer plu-
sieurs et même des centaines^ quand ils sont diathé-
saux, comme ceux de la purulence simultanée. Les
abcès ont leur siège dans le tissu cellulaire sous-cu-
tané, sous-aponévrotique ou splanchnique, et même
dans la substance grenue, fibreuse, lamineuse ou
aréolaire des tissus. On les y rencontre d'autant plus
souvent que le tissu est plus lâche et forme des mas-
ses plus épaisses ou plus volumineuses, où des collec-
tions purulentes peuvent atteindre un volume suffi-
sant pour être visibles. On dit qu'il ne s'en forme pas
dans l'épaisseur d'une membrane séreuse : je le crois
bien, ces membranes sont plus minces qu'une feuille
de papier fin; oii les abcès pourraient-ils s'y loger?
A quoi bon parler de ce qui n'existe pas? Mais il y
a des gens qui aiment les longueurs inutiles et même
ridicules. On n'en trouve pas ordinairement dans
les tissus serrés des tendons, des ligaments et des
cartilages , mais on en voit dans le tissu compacte
des os et même dans des caillots sanguins du cœur et
des vaisseaux, c'est-à-dire dans une portion de sang
décomposé.
Vétendue des abcès varie depuis l'imperceptibilité
jusqu'au volume de la têle. Les abcès viscéraux mul-
tiples de la purulence simultanée qui se montrent par
174 CHAPITRE I.
centaines dans le cerveau, par exemple, sont des
gouttelettes de pus presque imperceptibles, des abcès
miliaires pour le volume 5 d'autres abcès sont comme
des pois, d'autres comme des œufs, d'autres gros
comme la tête. Tandis que les petits abcès ne se mani-
festent point à l'extérieur s'ils sont profonds, les gros
s'y montrent, au contraire, par des saillies, dessoulève-
ments d'autant plus prononcés et plus convexes qu'ils
sont plus superficiels ou plus rapprochés de la peau,
et souvent alors ils offrent un point plus saillant, une
sorte de sommet obtus qui est le point par oîi ils
tendent à s'ouvrir au dehors.
Leur forme est également très-varié«. Le plus sou-
vent les abcès sont sphériques ou ovoïdes, et dessi-
nent à l'extérieur une saillie hérai-sphérique, semi-
ovoïde, ou une saillie de forme indécise, mal terminée,
suivant la forme de la région qu'ils altèrent. La cavité
intérieure de l'abcès a une forme un peu analogue à
la forme extérieure de l'abcès. Quelquefois, cepen-
dant, elle est traversée par des brides celluleu&es
plastiques, des nerfs, des vaisseaux. Quelquefois, par
suite de la résistance des tissus sous et sus-jacents,
par suite de la facilité avec laquelle les tissus lâches
et surtout le tissu cellulaire se laissent distendre,
ulcérer sous la pression du pus , ils sont disposés en
nappe, bilobés, branchus, à clapiers, à foyers secon-
daires multiples et divers par leur direction, leurs
étranglements et leurs dilatations. Par suite des
mêmes causes et de la lenteur ou de la rapidité de la
suppuration, ils sont pâteux, mous ou tendus, élas-
tiques à la pression, vibrants, vibratiles par la per-
cussion, tluctuants et ondulants par des pressions ou
des percussions alternatives exercées en deux sens
opposés.
La siructure des abcès est d'autant plus simple qu'ils
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 175
sont plus rapprochés de leur naissance. A leur ori-
gine, ils ne consistent tous que dans une gouttelette
de pus sécrétée et versée dans un aréole qu'elle se
creuse mécaniquement au sein du tissu enftemmé.
Des chirurgiens, EverardHome,Delpecli ont prétendu
que la sécrétion du pus est précédée de la formation
d'une vésicule membraneusepyogènequiseraitàiafois
la source du pus et le berceau du futur abcès. Ce n'est
que plus tard, disent d'autres chirurgiens, MM. Bé-
rard, par exemple, que i'abcès se montre réellement
composé de la membrane pyogène qui sécrète le pus.
Voici, je crois, l'exacte vérité : il n'y a d'abord qu'un
tissu infiltré de lymphe plastique, unissant les uns
aux autres les points contigus des parties placées
à la circonférence de la première gouttelette de
pus. Sansêtre alors entouré par une membrane vésicu-
laire, le pus n'a point d'interstice pour s'échapper et se
trouve, tout d'abord, dans une cavité close de toutes
parts. Plus tard même, dans les abcès aigus le fait est
évident 5 lorsqu'on ouvre la cavité on ne distingue ja-
mais les interstices, ni les aréoles des parties circon-
férentielles du foyer, ni ces parties elles-mêmes. Bien
n'y est à nu et en contact avec le pus, si ce n'est Ja
substance plastique. Les interstices elles aréoles des
parties voisinessontferméspar cette matièreorganisa-
ble que les tissus enflammés sécrètent avant de sup-
purer. Mais alors encore, il est impossible d'en déta-
cher par la dissection la plus délicate une membrane
enkistante. Ce n'est même pas possible dans les abcès
chauds, ouverts déjà depuis un certain temps et dont
la surface interne, couverte de bourgeons charnus,
paraît tapissée d'une membrane granuleuse tomen-
teuse, veloutée comme une membrane muqueuse qui
manquerait de villosités et de follicules; elle est tou-
jours trop mince et trop adhérente aux tissus qu'elle
176 CHAPITRE I.
r
revêt. Elle est d'ailleurs d'une teinte, d'une consis-
tance et d'une couleur variables, blanche, grise,
rouge, brune; elle présente beaucoup de vaisseaux,
s'enflamme, s'ulcère et se détruit facilement.
Le pus qui concourt à la formation de l'abcès avec
la tunique pyogène a été décrit plus haut (p. 1 10).
Le& symptômes des abcès n'ont rien de général, tant
ils diffèrent, surtout dans les abcès aigus et chroni-
ques. Leur marche les partage entre ces deux modes.
Je les distinguerais même, sous ce rapport, en trois
espèces : les aigus, les subaigus et les chroniques ou
froids, pour exprimer plus fidèlement toutes les nuan-
ces de la nature, si je ne craignais de multiplier par
trop les divisions.
Leur diagnostic est, par suite, très-variable. S'il est
facile en général de reconnaître des abcès cutanés ou
sous-cutanés, des abcès même très-petits de la peau,
soit par leur teinte blanchâtre ou jaunâtre, tranchant
sur celle de la peau environnante, soit par leur con-
sistance molle, pâteuse, élastique, ou par leur fluc-
tuation, il n'en est plus de même pour les abcès pe-
tits, profonds, subaigus ou froids : le diagnostic alors
peut être absolument impossible. Il serait même
parfois douteux, pour des abcès sous-cutanés du
volume d'une noix ou d'un œuf, si l'on ne s'éclai-
rait par une ponction exploratrice avec un bistouri
à lame très-étroite ou un trois-quarts explorateur
très-fin.
En général, le diagnostic est d'autant plus difficile
que les abcès sont plus petits et plus profonds, comme
les abcès sous-aponévrotiques des gaines fibreuses,
les abcès splanchniques et viscéraux. Cependant des
symptômes fonctionnels joints à du gonflement, à de
la douleur dans un point déterminé, l'issue du pus
par une ouverture naturelle peuvent lever tous les
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 177
doutes et prouver que la suppuration s'est faite dans
tel ou tel organe; par exemple, une tuméfaction dou-
loureuse de la région du rein et l'émission de pus, de
sang et de calculs indiquent un abcès du rein. Enfin,
l'ouverture d'un abcès au dehors, la nature du pus,
les matières tuberculeuses, osseuses qu'il entraîne
peuvent éclairer sur son espèce.
Pronostic. — Il est en général d'autant plus fâ-
cheux ou même grave que les abcès sont plus nom-
breux, plus profonds, plus considérables, et situés
dans des organes plus importants ou plus rappro-
chés de ces organes importants. Enfin , les abcès
dialhésaux sont plus redoutables que les abcès idio-
pathiques.
Traitement. — Lorsqu'un abcès est formé, qu'il n'y
a plus autour qu'un léger engorgement inflammatoire
ou qu'il n'y en a pas du tout et qu'il ne s'accroît pas
sensiblement, on peut, s'il est petit, l'abandonner à la
nature ou l'ouvrir, quoique cela ait peu d'importance
et que Celse s'y oppose. Si le malade veut abréger la
cure, il vaut mieux l'ouvrir avec la lancette ou le bis-
touri dans toute son étendue. Si l'abcès est immense
il vaut mieux faire plusieurs grandes ouvertures. Celse
(liv. VII, ch. 2) a donné, sur la conduite à tenir à
l'égard des abcès, des préceptes qui régnent encore
de nos jours, chez les bons chirurgiens. S'il occupe une
région découverte, qu'une cicatrice pourrait déformer
désagréablement, surtout chez les femmes, on peut
l'abandonner à la nature. Dans les autres cas, il faut
se conduire d'après les principes que nous allons ex-
poser plus bas, en parlant des divers modes des ab-
cès. Ajoutons seulement ici, avec Celse [ibtd.)^ parce
que ce précepte est très-général, que lorsque les pa-
rois des abcès sont trop minces, il faut les exciser.
12
178 CHAPITRE I.
DES DIFFÉRENTS MODES DES ABCÈS.
Sous le rapport des symptômes et de la marche, ils sont
chauds et aigus ou froids et chroniques.
Des abcès chauds ou aigus.
Leurs causes sont celles de l'inflammation, de la
suppuration aiguës; leurs caractères anatomiqiies ou
matériels, ceux des abcès en général et plus parti-
culièrement, quelquefois, une tuméfaction acuminée,
en pointe conique, qu'on nomme leur sommet. C'est
ce qui arrive quand ils sont sous-cutanés ou que le
pus est proche de la peau qu'il amincit et rend plus
saillante à l'endroit oii il tend à s'ouvrir une issue
au dehors. La tumeur est alors ordinairement ten^.
due, élastique, probablement par suite de l'état de
rétraction des tissus enflammés, comme tend à le
prouver la laxité des parois des abcès froids. Alors
la tumeur peut être vibratile par la percussion et non
fluctuante. Une fluctuation véritable s'y distingue au
contraire quand la tumeur est molle et que le pus
peut s'y mouvoir et y fluctuer. D'ailleurs la peau est
plus ou moins rouge, parfois pâle au sommet oii elle
est plus mince, et laisse quelquefois entrevoir la cou-
leur du pus.
Sijmptômes locaux. — H y a sensation de douleurs,
de chaleurs locales variables par leur intensité, quel-
quefois douleurs pulsatives, tensives, troubles fonc-
tionnels des organes affectés quand les organes ont
peu d'étendue ou que l'abcès en a beaucoup relati-
vement à la leur, par exemple : troubles de la vision
dans les abcès de l'œil ; de l'ouïe dans un abcès de la
caisse; de la parole, de la respiration, de la dégluti-
tion dans un abcès du pharynx; de la voix et de la
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 179
respiration dans un abcès du larynx j de l'émission
des urines dans un abcès de la prostate, etc.
Symptômes chronvoisins. — Engorgement plastique et
œdémateux à la circonférence de l'abcès; quelquefois
progression de l'abcès en bas par son poids.
Symptômes sympathiques. — ^ Variables; fièvre nulle or-
dinairement dans les très-petits abcès ; fièvre, au con-
traire, dans les grands, jusqu'à l'issue spontanée ou
artificielle du pus qui l'entretient par l'irritation que
cause sa présence, et la distension des parois du
foyer. (Voy. Celse, 1. V, de Abcès. ^ n° 11.)
Marche généralement rapide depuis la suppuration
jusqu'à l'ouverture de l'abcès, qui s'accomplit quel-
quefois spontanément, en quelques jours, parfois en
quelques semaines, et est suivie de l'écoulement du
pus et souvent de matières plastiques ou fibrineuses
infiltrées dans le tissu cellulaire, et mêlées au pus.
C'est ce que l'on voit si distinctement dans le furon-
cle, petite phlegmasie spéciale qui se termine toujours
par suppuration, avec expulsion d'un bourbillon ver-
miforme. L'évacuation de l'abcès s'accomplit souvent
par une seule ouverture ; mais il peut arriver que i'al-
cération progressive qui a amené la première issue
continue après dans certains points amincis des pia-
rois de l'abcès, et détermine d'autres perforations na-
turelles. Après l'ouverture, rapprochement et res-
serrement graduel des parois du foyer, d'abord par
élasticité, puis par une contraction lente, toute vitale,
puis parla rétraction de la cicatrice, qui met plus ou
moins de temps à s'accomplir entièrement, mais qui
souvent ne peut y parvenir. Alors l'abcès, rétréci
dans son foyer et à son ouverture, reste fistuleux
avec une ou plusieurs issues étroites par pîi s'écoule
indéfiniment une quantité variable de pus, qui assujé-
tit le malade à une infirmité dégoûtante, peu doulou-
180 CHAPITRE I.
reuse, mais où le froid, des violences extérieures, les
mouvements, la fatigue d'un travail musculaire peu-
vent réveiller de temps en temps une inflammation
plus aiguë, amener une suppuration plus abondante,
et quelques-uns des accidents qui l'accompagnent et
qui ont été décrits p. 121 et suivantes.
Le diagnostic caractéristique des abcès aigus formés est
d'abord celui des abcès en général (V. p. 1 72-78); mais
il est rendu facile par les caractères prononcés de
l'inflammation aiguë, surtout par les douleurs ten-
stves, pulsatives, la fièvre et les frissons qui les pré-
cèdent, les accompagnent, par les caractères anato-
miques de la tuméfaction, de la tension élastique ou
de la mollesse et de la fluctuation qu'on y observe;
enfin par la rapidité de leur marche. Néanmoins, il
est toujours rendu fort difficile ou douteux par la
profondeur du siège des abcès, par leur peu de vo-
lume, par la connaissance même de certaines mala-
dies capables de les simuler et dont il faut s'efibrcer
de les distinguer.
Diagnostic distinctif. — Ces maladies simulantes sont
lin abcès froid , une tumeur sous-cutanée ou plus
profonde, un encéphaloïde, des tubercules, une tu-
meur œdémateuse ou séroso-sanguine, un anévrisme,
qui ne seraient ni les uns ni les autres accompa-
gnés de chaleur, de rougeur et de fièvre, ou en se-
raient, au contraire, accompagnés. Dans le premier
cas, le diagnostic ne permettrait pas de penser à un
abcès chaud; mais si ces tumeurs, moins l'abcès dont
j'ai parlé, appréciables au toucher sans être chaudes,
étaient douloureuses spontanément ou par la pres-
sion, celles qui sont molles pourraient en imposer,
sinon pour un abcès aigu, au moins pour un abcès
subaigu, et ne pourraient être reconnues que par
leurs caractères propres , qui seront exposés à leur
DES ABCÈS ^ EN GÉNÉRAL. 181
article particulier ou par une pooclion exploratrice.
Celle-ci ne doit pas être tentée sur une tumeur pul-
sative, comme un anévrisme, à moins de précautions
toutes spéciales. (V. Anévrisme, dans ce même vo-
lume.)
Si ces tumeurs étaient accompagnées d'inflamma-
tion locale, et surtout de suppuration ou d'abcès su-
perposés, l'erreur serait beaucoup plus facile; mais
dans le cas de pulsations isochrones à celles du pouls,
dans le cas prévu de tumeur encéphaloïde, il fau-
drait, si l'on voulait opérer, se tenir prêt à agir sui-
vant ces prévisions.
Si ces tumeurs étaient tellement profondes qu'on
pût à peine les sentir, et que, cependant, elles eus-
sent été précédées dedouleurs, de fièvre, de frissonsy
et en fussent encore accompagnées 5 si même on ne
pouvait sentir ces tumeurs, les symptômes, des trou-
bles fonctionnels propres à une inflammation parti-
culière, et des antécédents capables de déterminer
des abcès pourraient faire supposer ou même recon-
naître l'abcès. Enfin l'issue du pus au-dehors, par les
orifices naturels du corps ou par une ouverture
morbide, pourraient le faire reconnaître.
Le pronostic des abcès aigus est relatif à leurs ca-
ractères. Uniques, superficiels, peu étendus, les ab-
cès n'ont pas de gravité; mais leur multiplicité suc-
cessive, et surtout simultanée, l'accroissement de
leur étendue, leur profondeur, surtout dans les vis-
cères, dans le crâne, dont ils ne peuvent sortir, fa-
cilement du moins, les aggravent au point de les ren-
dre mortels.
Traitement. — Il oe suffit pas de combattre l'inflam-
mation aiguë par les antipblogistiques actifs pour
prévenir la supjruration, il faut encore continuer
après que la supf uration a commencé pour en dirai-
182 CHAPITRE I.
nuer l'étendue, si rengorgement inflammatoire cir-
conférentiel est considérable. Dans ce cas, il n'est
pas nécessaire d'attendre qu'il ait entièrement dis-
paru, et soit tout à fait fondu et mûr (serf cœtera etiam
subcruda aperiri possunt. Celse, l. VII, c. 2, 15) pour ou-
vrir l'abcès. La résolution de l'engorgement plastique
s'accomplira lorsque le pus s'écoulera librement au de-
hors, et que l'incision aura dégorgé les vaisseaux et
les tissus par la saignée locale qu'elle provoque. La
saignée locale et l'évacuation du pus sont alors deux
puissants résolutifs. Il faut même ouvrir de bonne
heure dans iès abcès du cou, de la gorge, pour éviter
la suffocation (Roux, Dict. en 30 vol. ^ Aôcès) ; des parois
delà poitrine, de peur de la pénétration du pus dans
la plèvre (Fabrice de Hilden, J.-L. Petit, Gailisen)^
des lombes, de peur que le pus ne fuse dans le bas-
sin; autour du rectum et à l'aisselle, à cause de l'a-
bondance du tissu cellulaire, de l'excavation con-
sidérable et des fistules qui résultent de sa destruc-
tion par une vaste suppuration ; autourdes artères et
des veines, parce qu'elles peuvent s'éroder, quoique
la lymphe plastique les épaisisse le plus souvent; au-
tour des tendons secs et grêles, parce que leur dénu-
dation peut entraîner leur exfoliation ; près des syno-
viales articulaires, de peur que les abcès ne les ulcè-
rent et n'y pénètrent; partout oii il existe une grande
tension et une sorte d'étranglement que l'élévation
de la partie ne peut pas diminuer suffisamment.
Il faut, au contraire, ouvrir tardivement les par-
ties oii la suppuration marche avec lenteur, comme
les ganglions inguinaux, parce que l'irritation causée
par la présence du pus hâte un peu la suppuration. Il
faut souvent, même ici, exciter la suppuration par des
topiques stimulants, suppuratifs, comme les emplâ-
h^es, l'onguent de la mère, des vésicatoires même et
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. l&S
des caustiques pour accélérer la fonte de ces inflam-
mations lentement suppurantes.
On ne doit d'ailleurs abandonner l'ouverture des
abcès à la nature que lorsqu'ils sont peu volumineux,
parce que les ouvertures spontanées son t souvent trop
étroites, que le pus s'écoule difficilement, que l'abcès
devient souvent fistuleux, que la peau en est parfois
trop amincie, et qu'alors l'abcès marche lentement
fers la guérison.
Pour ouvrir les abcès chauds, une lancette suffit s'ils
sont petits comme une noisette; il faut un bistouri
s'ils sont plus gros. Dans toutes les régions où l'on peut
craindre de blesser une artère, il faut d'abord s'assu-
rer qu'on n'y sent pas de battements artériels, afin de
s'éloigner du vaisseau s'il est possible, et c'est pres-
que toujours possible. En général, si l'on est exposé
à blesser un organe sous-jacent qu'on doive ménager,
il faut inciser de dehors en dedans^ couche par couche,
en tendant la peau de bas en haut avec la paume de
la main gauche, et de gauche à droite avec le pouce
d'un côté et les derniers doigts de l'autre, ou en fai-
sant un pli à la peau et même en soulevant les cou-
ches celluleuses sous-jacentes avec des pinces à cro-
chet et les coupant en dédolant avec la lame du bis-
touri portée à plat dans la plaie jusqu'à ce qu'on soit
parvenu au pus et que l'on puisse introduire une sonde
cannelée sous la paroi.de l'abcès pour glisser un bis-
touri droit à dos rond dans la sonde et ouvrir conve-
nablement le foyer. Je dis un bistouri à dos rond,
parce que les angles du dos sont susceptibles, au lieu
de glisser, de s'arrêter, comme deux tranchants, dans
le fer de la aonde, d'obliger le chirurgien à un effort qui
peut chasser le bistouri hors de la sonde et amener
un malheur. Tout minutieux qu'il est, ce précepte est
essentiellement pratique, et je m'étonne d'être le pre-
184 CHAPITRE I.
mier à le formuler. Les chirurgiens sabreurs riront
de ces minutieuses et sages précautions; mais avec
ces soins on n'ouvre pas, du premier coup, une her-
nie crurale, un anévrisme placé sous un abcès, on
n'éblouit pas la multitude par la rapidité de ses évo-
lutions, et on n'a pas de malheur à déplorer. Or, c'est
bien quelque chose pour le malade.
Dans les cas oîi ces précautions sont inutiles, il suf-
fit de tendre la peau comme nous avons dit, puis de
prendre le manche du bistouri avec la paume de la
main, les trois doigts allongés sur les côtés et le dos
de la lame, de la plonger perpendiculairement vers la
partie supérieure de l'abcès, puis de l'incliner sous
un angle demi-droit et d'inciser de haut en bas, di-
rectement ou obliquement, à gauche ou à droite. L'in-
cision doit être prolongée en ligne droite (Celse, 1. VU,
c. 2), autant que possible, par les points les plus min-
ces de l'abcès, et vers la parlie la plus déclive, de
manière à favoriser l'écoulement du pus et à ne pas
laisser de cul-de-sac qui puisse le retenir. Elle doit
être, en général, à peu près aussi étendue que le foyer
à ouvrir, à moins que l'abcès n'ait une grandeur par
trop considérable. On raconte qu'un chirurgien, qui
n'apas peur des souffrances de ses malades, en incisa
un du grand trokanter à la malléole externe. J'avoue
que je ne suis pas aussi hardi. J'ai eu à ouvrir cette
année même, à la Charité, un abcès consécutif aux
couches, qui s'étendait du pli de la fesse au milieu de
la jambe 5 je me suis borné à faire quatre incisions de
dix à douze centimètres les unes au-dessous des au-
tres, j'ai fait passer des sétons de l'une à l'autre, et la
malade a guéri en six semaines environ. G'^est un pro-
cédé semblable qu'il faut suivre dans les abcès très-
étendns.
Lorsqu'on n'a pas d'écueils à redouter, que l'on ne
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 185
peut blesser aucun organe important, ni gros nerf, ni
gros vaisseau, dans un abcès, on peut l'ouvrir de de-
dans en dehors^ en prenant le manche du bistouri à
pleine main, le pouce et l'index de chaque côté de la
lame et le tranchant en l'air, puis en le plongeant obli-
quement dans l'abcès, le poussant devant soi la pointe
en avant, le tranchant sous et contre la peau tendue
en deux sens opposés au moyen de la paume de la
main gauche, ou de la paume de la main et des doigts,
comme je l'ai déjà expliqué plus haut. Alors on relève
perpendiculairement l'instrument pour le retirer. On
peut aussi ouvrir l'abcès contre soi, en prenant le bistouri
comme une plume à écrire, en plongeani le bistouri
encore obliquement, en le dirigeant et le poussant
vers soi-même, le tranchant en l'air, contre la peau,
pour le relever perpendiculairement en finissant l'in-
cision.
Si l'on avait afiPaire à un abcès viscéral de la poi-
trine ou du ventre, il faudrait bien se garder d'y faire
une large incision et de la faire trop tôt. La surface
des abcès viscéraux contracte des adhérences avec la
plèvre ou le péritoine des parois, lorsqu'ils marchent
vers l'extérieur pour s'y ouvrir, et si l'incision était
pratiquée avant la formation des adhérences, ou si
elle en dépassait les limites, le pus s'épancherait dans
la plèvre et le péritoine et pourrait y causer une in-
flammation mortelle. Il y a un égal danger à ouvrir
ces abcès trop tard, parce qu'ils peuvent alors s'ou-
vrir d'eux-mêmes à l'intérieur.
Pour les ouvrir avec toute la prudence nécessaire,
on peutpratiquer une cautérisation circulaire de deux
ou quatre centimètres de diamètre au moyen de pe-
tits fragments de potasse maintenus par deux emplâ-
tres superposées, dont le premier présente des trous
ou une rainure circulaire pour recevoir la potasse.
186 CHAPITRE I.
tandis que l'autre, plus large, est destiné à recouvrir
le caustique et à le fixer. Par cette caustication suffi-
sainment profonde, en la répétant deux ou trois fois,
on favorise les adhérences de la surface de l'abcès
viscéral avec la séreuse pariétale dans une étendue
suffisante pour Touvrir assez largement dans le cer-
cle de la caustication. On pourrait encore se borner
d'abord à une incision étroite, par laquelle on intro-
duirait l'un des mors d'une pince à coulant dont on se
servirait pour étendre les adhérences de l'abcès.
Pansement des abcès chauds. — Bien que ces abcès ou-
verts aient peu de tendance à se fermer, parce que la
suppuration s'y oppose, il est encore plus sûr d'intro-
duire entre les lèvres de la plaie une mèche dont la
grosseur et la longueur doivent être proportionnées à
l'étendue de l'ouverture et qui empêche celle-ci de se
cicatriser avant le fond du foyer. Sans cette précau-
tion on s'expose, surtout quand l'incision a été trop
petite, à voir l'abcès se reproduire ou devenir fistu-
leux. Si cet accident devenait imminent par l'accol-
leraent des lèvres de la plaie, il faudrait se hâter de
les décoller avec un instrument mousse, comme un
stylet ou une sonde, glissé entre l'une et l'autre. Si
une fistule devenait menaçante par le resserrement et
le froncement de l'ouverture, comme on le voit sou-
vent par suite de la négligence du panseur, il faudrait
s'efforcer de la dilater avec une sonde de femme ou
les bords d'une spatule, et de la maintenir dilatée au
moyen d'un bourdonnet de charpie. Nous avons dit
plus haut ce qu'il faut faire lorsque l'inflammation
devient trop aiguë ou languissante, lorsqu'elle se sup-
prime ou se déprave, lorsqu'elle devient excessive ou
séjourne dans des clapiers, lorsqu'elle se complique
d'hecticité ou de diathèse purulente (p. 144 et sui-
vantes.)
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 187
De& abcès froids ou chroniques.
Leurs causes sont des inflammations et des suppu-
rations chroniques indolentes ou peu douloureuses,
parfois latentes des parties molles ou des parties
dures. Ce sont des ramollissements de tubercules
(abcès tuberculeux) , souvent une suppuration du pé-
rioste, quelquefois des os {abcès ossijluents) , il faut
bien le dire, quoique les auteurs ne le fassent pas.
Souvent alors^ il y a en même temps maladie univer-
selle, comme dans les diathèses suppurante, scro-
fuleuse, rhumatismale, d'oii abcès rhumatismaux,
scrofuleux, etc. D'autres fois ces abcès sont la suite de
causes extérieures plus ou moins éloignées, le froid
humide, un coup, la pression continuelle du sac ou
des armes, chez de pauvres soldais trop faibles pour
le poids des armes, les fatigues extrêmes, la mauvaise
nourriture et la misère.
Caractères anatomiques, — Ces abcès, souvent uni-
ques, sont quelquefois multiples, au nombre de trois,
quatre, cinq-, sous-cutanés ou plus profonds, ils
s'observent partout, et surtout dans le tissu cellu-
laire, les ganglions lymphatiques, à la surface des
tissus fibreux et osseux. D'étendue et de saillie va-
riables, ils sont ovoïdes, bilobés, branchus, anfrac-
tueux, à clapiers multiples, comme les abcès en gé-
néral, sans rougeur à la peau, lorsqu'ils ne sont pas
enflammés d'une manière aiguë. Leur membrane
pyogénique est évidente à leur surface interne, blan-
che lorsqu'ils ne sont ni ouverts, ni enflammés, grise
ou ardoisée quand ils sont ouverts, depuis un certain
temps, rouge lorsqu'ils sont enflammés vivement.
On ne la sépare que très-difficilement du tissu cellu-
laire engorgé sous-jacent , toujours moins engorgé
et moins épais que le même tissu dans les abcès
188 CHAPITRE I.
chauds. Le pus de ces abcès est, comme il a été dit,
peu épais, séreux, comme le petit lait, et troublé
par des flocons, des grumeaux blanchâtres, jaunâtres,
formés de diverses matières encore mal connues,
mais oîi l'on trouve au microscope des globules de
pus.
Marche et symptômes. — Les abcès froids, précédés
d'une tumeur phlegmoneuse, molle, pâteuse, non
élastique, sans rougeur à la peau, sans douleur ni
chaleur locales, sont eux-mêmes, quand la tumeur
est transformée en pus fluctuant, sans douleur, sans
chaleur locales notables, ni troubles sympathiques.
La suppuration s'y fait sourdement, lentement, sans
lièvre, ni frissons, l^e ramollissement et la fluctuation
y deviennent peu à peu sensibles, et enfin évidents.
Quand ils sont volumineux, ils obéissent souvent à
la pesanteur et se déplacent de haut en bas, ou même
s'échappent par des ouvertures circonférentielles
latérales, et forment des clapiers, des prolongements
plus ou moins considérables. Enfin, tantôt ils dispa-
raissent par résorption, ce qui est fort rare; tantôt
ils persistent des années; tantôt, après des mois,
plus d'une année même, leurs parois s'enflamment
d'une manière aiguë, spontanément ou consécutive-
ment à des violences extérieures, des frottements,
un coup, elles s'ulcèrent de dedans en dehors, et le
pus s'échappe et s'écoule. Souvent alors il revêt
eri partie les caractères du pus des abcès chauds,
parce que l'inflammation aiguë qui a amené l'ulcéra-
tion de l'abcès y a mêlé une quantité variable de pus
jaune, épais et crémeux. Si l'abcès est peu profond
et peu volumineux, il peut arriver qu'après une sup-
puration peu prolongée il guérisse par l'inflammation
aiguë ou devienne fistuleux. S'il est volumineux et
compliqué de clapiers profonds surtout, la guérison
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 189
spontanée n'est pas probable; la suppuration con-
tinue, s'altère; les parois de l'abcès peuvent s'en-
flammer d'une manière plus au moins aiguë, amener
rhecticité purulente et la mort avec l'épuisement du
malade.
Diagnostic. — Lorsqu'un abcès froid est superficiel,
bien fluctuant, mou, sans rougeur, ni douleur, ni
chaleur, ou que du moins ces trois derniers phéno-
mènes s'y sont à peine montrés et y sont à peine ap-
préciables; que cet abcès a déjà été précédé de tu-
meurs phlegmoneuses pâteuses qui ont donné lieu à
des abcès froids ; qu'il a été lui-même mou et pâteux
d'abord, le diagnostic est facile. Lorsque l'abcès
est profond et qu'on manque des caractères que
je viens de rappeler, le diagnostic est impossible;
niais il devient possible avec le temps lorsque l'abcès
devient lui-même superficiel.
On distingue l'abcès froid de l'aigu par l'absence
presque absolue de tous les symptômes d'acuité,
douleur, chaleur, rougeur, fièvre, etc., et quelquefois
par la connaissance des causes diathésales. On le
distingue même de l'aigu par le secours des antécé-
dents, au moment oîi il est enflammé d'une manière
aiguë et prêt à s'ouvrir. On peut le distinguer d'un
kiste, s'il est superficiel, par sa mollesse pâteuse
antérieure ou actuelle. Dans le cas contraire, ou s'il
est profond, l'erreur peut être inévitable, à moins
qu'une ponction exploratrice ne lève la difficulté par
les qualités du pus qu'elle révèle. L'élasticité, la vi-
bratiiité, quelquefois des douleurs lancinantes peu-
vent faire distinguer des tumeurs encéphaloïdes d'un
abcès froid. Mais on peut le confondre avec un ané-
vrisme, et réciproquement. (V. Anévrisme.)
Le pronostic de l'abcès froid n'est pas grave lorsqu'il
est petit, superficiel, unique; mais il l'est d'autant
190 CHAPITRE I.,
plus que l'abcès est gros, profond et multiplié. Il ^'ag-
grave toujours lorsque rinflaramation aiguë s'emt-
pare de l'abcès, que celui-ci est volumineux, qu'ill
tient à une dia thèse et ne dépend pas d'une maladie
locale. 11 est d'ailleurs plus grave que l'abcès aigu,
parce qu'il est bien plus difficile à guérir et sujet à
se compliquer d'accidents.
Traitement des abcès froids. — 1° Combattez la cause
locale ou générale , comme la scrofule, le rhuma-
tisme général, la cacochymie, par des moyens appro-
priés; 2° hâtez, par des maturatifs ou des irritants
locaux, tels que les emplâtres de vigo, de diachilon,
de diabotanum, l'onguent de la mère, les vésica-
toires, etc., le ramollissement ou la suppuration des
tumeurs inflammatoires chroniques qui précèdent les
abcès froids; 3° lorsque les tumeurs sont ramollies,
si l'abcès est très-petit, l'incision suffit; s'il est gros,
on recommande de l'ouvrir et de l'irriter par la caus-
lication,la cautérisation, ou par un ou plusieurs sétons
à demeure ; de l'irriter ou le perturber par des in-
jections excitantes; de l'ouvrir largement par une ou
plusieurs incisions, ou étroitement par des ponctions
successives et sous-cutanées, pour le resserrer peu à
peu et le guérir définitivement par compression ou
par incision. On l'ouvre par caustication avec la po-
tasse, parce que la caustication concourt à enflam-
mer les parois de l'abcès d'une manière aiguë plus
propre à assurer le travail de la cicatrisation qu'une
inflammation chronique; et comme Tescarrhe est lon-
gue à se détacher, de huit à douze jours; comme elle
ne comprend pas toujours l'épaisseur entière de la pa-
roi de l'abcès, on conseille, en outre, de ponctionner
l'escarrhe avec le bistouri. Marc-Antoine Petit pré-
férait {Recueil des act. de la Soc. de Lyon, an. 1798) ou-
vrir l'abcès au moyen d'une aiguille rougie au feu. Il-
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 191
appliquait successivement au besoin plusieurs ven-
touses sur l'ouverture pour en tirer le pus. Bell
(Traité des ulcères, trad. franc., p. 52, par Bosquillon) a
vanté l'emploi du séton à travers l'abcès.
Les injections irritantes ou excitantes ont été va-
riées. Les uns ont employé le vin chaud, d'autres des
liquides toniques, astringents, même caustiques, de
la teinture d'iode, mêlée d'un ou de deux tiers d'eau,
à la manière de Martin (de Calcutta).
Les larges ouvertures par une ou plusieurs inci-
sions se rapprochent de la méthode la plus générale
du traitement des abcès. Elles sont destinées à éva-
cuer largement le pus, à favoriser son écoulement.
Il convient d'y associer l'introduction de la charpie
en mèche ou en bourdonnets, pour absorber le pus,
exciter la surface interne de l'abcès et favoriser le
développement de l'inflammation cicatrisante aux dé-
pens de l'inflammation suppurante. On peut même y
pratiquer simultanément ou successivement plusieurs
excisions des parois décollées pour essayer de guérir
à la fois ou successivement l'abcès par un pansement
à la charpie sèche dans les foyers, et à la bandelette
cératée appliquée sur les bords. Les ponctions suc-
cessives consistent à ponctionner la peau et les
parties molles sous-jacentes qui forment les parois
de l'abcès, dans deux points distants l'un de l'autre,
pour que les deux ouvertures n'étant pas paral-
lèles ne se correspondent pas. Pour cela il suffit
ou de faire glisser la peau dans un sens et d'en-
foncer dans l'abcès un bistouri étroit ou un trois-
quarts perpendiculairement, ou de ponctionner à la
base d'un pli fait à la peau soulevée dans un point,
puis de donner issue à une partie du pus qui en
sort facilement, d'abandonner ce qui reste pour
répéter les mêmes ponctions, en ayant le soin de
192 CHAPITRE I.
les renouveler à chaque fois avant que l'abcès n'ait
repris son volume pripaitif, et sans laisser l'air s'in-
troduire dans le foyer. Pour éviter plus sûrement
l'entrée de l'air, on peut se servir du trois-quarts plat
et de la seringue vissée de M. Guérin. On doit aussi
éviter de pratiquer les ponctions dans le même point
pour éviter, autant que possible, qu'il ne s'enflamme
et ne s'ulcère 5 car alors il faudrait y pratiquer une
large ouverture.
Tous ces moyens guérissent, mais leur valeur
absolue, et leur valeur relative aux cas oii l'on
peut les employer ne sont pas exactement déter-
minées. Il faudrait pour cela de nombreuses recher-
ches expérimentales comparatives que personne n'a
faites. Ces moyens d'ailleurs peuvent être accompa-
gnés des accidents de la suppuration exposés plus
haut (Voir page 121) et en réclamer le traite-
ment.
Des abcès circonvoîsins ou de voisinage.
Abcès développés au voisinage et par le fait du voi-
sinage, d'une partie enflammée, sans découler de cette
partie enflammée. Ces abcès ont déjà été aperçus ou
remarqués par plusieurs observateurs, entre autres
par mon maître, M. Roux (Dict. en 30 v., art. Abcès).
Mais ils sont si communs et encore si peu connus, que
je crois devoir les décrire à part, pour les signaler
plus fortement à l'attention.
Les abcès les plus rapprochés de l'organe en-
flammé sans s'y être développés, sans en décou-
ler, se montrent dans le tissu cellulaire sous-cu-
tané, à la suite d'un éiysipèle; dans le tissu sous-
muqueux, à l'occasion d'une pharyngite. Mais on
en trouve d'autres qui sont beaucoup plus éloi-
gnés, et néanmoins dus aux relations de conti-
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 193
niiité qui existent entre la partie enflammée et l'ab-
cès qu'elle a occasionné à distance. Tels sont les abcès
circonvoisins extérieurs au conduit audil if dans l'olilc
externe; les abcès des joues consécutifs à une odon-
tile, à une carie dentaire, à une gengivite; les abcès
sous-maxillaires causés par les mêmes affections ou
par une amygdalite ; les abcès extra-pleuraux déter-
minés par unepleurite; les abcès développés autour
des reins dans la néphrite et surtout la néphrite cal-
culeuse ; les abcès prostatiques causés par une cystite
calculeuse, une urétiitc-, les abcès du bassin par suite
de couches et de mélrite; les abcès circonvoisins de
l'anus préparés par des fluxions hémorroïdales; les
abcèsdes ganglions mésentériquesdanslesulcérations
intestinales; des ganglions sous-auriculaires et du
cou dans les inflammations du cuir chevelu ou de la
Duque par un vésicatoire ou un séton; les abcès des
ganglions des membres par les inflammations suppu-
rantes et ulcérantes ou non des membres, des organes
génitaux et des mamelles-, les abcès circonvoisins
des os ou des articulations malades sans venir de ces
os ni de ces jointures, et une foule d'autres qui seront
soigneusement indiqués dans la pathologie spéciale.
Pour peu que l'on réfléchisse à ces exemples, on re-
connaîtra que ces abcès sont dus à la conliguité et
parfois à la continuité de la partie primitivement en-
flammée avec celle qui s'est enflammée secondaire-
ment.
Les caractères anutomiques des abcès circonvoisins ne
présentent d'ailleurs rien de remarquable que leur
rapport de voisinage avec l'inflammation primitive
qui a causé Tinflammation dont ils sont le résultat
immédiat.
Leurs sijmpiômes et leur marche sont peu en harmonie
de proportion avec l'intensité des symptômes et la
13
19Zl CHAPITRE I.
rapidité de ia marche de la phlegmasie qui leur a
donné naissance. On observe même souvent à cet
égard des disproportions choquantes. Ainsi les abcès
circonvoisins se développent souvent «autour d'une
partie enflammée qui elle-même ne suppure pas. Tels
sont les abcès sous-cotanés de beaucoup d'érysipèles
oîi la peau ne suppure pas , beaucoup d'abcès sous-
muqueux du pharynx où la muqueuse n'est qu'en-
flammée ; beaucoup d'abcès du bassin où le tissu de
l'utérus échappe à la suppuration et n'est que modé-
rément enflammé ; beaucoup d'abcès articulaires dont
la jointure ne suppure point et guérit. Ces abcès, une
fois formés, sont souvent si indépendants de l'inflam-
mation qui les a causés qu'ils persistent lorsqu'elle
est guérie et produisent même de graves accidents
et la mort. C'est ce qui s'observe surtout dans les
abcès des ligaments larges circonvoisins d'une métrite
et qui ne paraissent même pas liés à la puerpérie ;
dans les abcès de la prostate circonvoisins d'une
urétrite^ dans des abcès extra-pleuraux et périto-
néaux circonvoisins d'une pleurite, d'une péritonite,
et qui peuvent s'ouvrir dans ia plèvr.e ou le péritoine ;
dans des abcès circonvoisins d'une arthrite qui s'ou-
vrent parfois dans la jointure malade. Nous avons
observé tout récemment, en 1850, un fait de ce
genre plus extraordinaire encore.
Observation de mort par injection d'hydrocèle. -— Un
nommé Thibault, âgé de cinquante et un ans, d'une
bonne santé, entre à l'hôpital de la Charité pour y être
guéri d'une hydrocèle. Je l'opère par l'injection alu-
mineuse; l'opération ne présente rien de particulier,
aucun accident, rien surtout qui annonce une infiltra-
tion de l'injection dans le tissu cellulaire duscrotum,pas
de tension forcée dans la tunique vaginale par l'injec-
tion et capable de causer une infiltration par regorge-
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 195
ment, pas de douleur extraordinaire, pas de sensa-
tion d'infiltration sous les doigts qui tiennent le scro-
tum et la tunique vaginale du testicule sur la canule
du trois-quarts.
Cependant, dès le lendemain , le malade soufifre
dans l'aine et le long de la crête iliaque, jusqu'aux
lombes. Le scrotum lui-même présente des symptômes
inflammatoires qui, loin de tomber les jours suivants,
comme il arrive ordinairement, s'accroissent et don-
nent lieu au septième jour à un abcès à lu racine des
bourses, dans Faine correspondante. Peu à peu, même
malgré l'ouverture de l'abcès, la rougeur de la peau se
prolonge en dehors de la crête iliaque; au quizième
jour l'engorgement rouge, pâteux, crépitant par sécré-
tion gazeuse que je trouve autour de la crête iliaque
droite et jusqu'aux lombes, m'engage à étendre les in-
cisions 5 je trouve un vaste décoli ement que j'ouvre lar-
gement. Cependant l'abcès ne s'est jamais montré au
niveau delà piqûre faite par l'injection; jamais le dé-
collement ne s'est étendu aussi bas. Malgré tous mes
soins, le malade s'affaiblit par la suppuration et finit par
succomber au trente-deuxième jour de l'opération.
L'autopsie démontra l'hydrocèie radicalement gué-
rie par l'adhésion des parois de la tunique vaginale,
et que le malade avait surtout succombé à un phleg-
mon diffus étendu de l'aine et du côté droit de la ra-
cine des bourses jusqu'aux lombes, sans descendre par
conséquent au niveau de l'ouverture de ponction faite
à la tunique vaginale. (Extrait de l'observation recueillie en
détails par mon interne d'alors, M. Cribier.Y. ThèsedeM.Vi-
lette, juillet 1851, p. 36; Paris.)
Diagnostic. — On distingue ces abcès des autres
parce qu'ils se développent au voisinage d'une partie
enflammée, ulcérée ou suppurante, ou sur le trajet
des vaisseaux lymphatiques qui en sortent, ou dans
196 CHAPITRE I.
les ganglions lymphatiques qu'ils traversent, parce
que la compression exercée sur ces abcès fermés ne
fait pas refluer évidemment le pus dans la partie qui
a été la première malade; parce que s'il y a suppura-
tion ouverte dans les deux parties, on peut s'assurer
par le calhclérisrae ou par des injections que les deux
foyers ne communiquent point. Cependant il peut ar-
river aussi que ce diagnostic soit impossible, comme
nous le prouvera la pathologie spéciale.
Le pronostic des abcès de voisinage est variable et
subordonné surtout à leur siège, à leur étendue, à
leur difl'usion, à l'intensité des symptômes et à leur
ouverture au dehors ou à l'intérieur d'organes dans
lesquels la pénétration du pus peut avoir des suites
fatales.
Leur traitement rentre dans le traitement général des
abcès, et réclame des soins et une activité propor-
tionnés et relatifs aux dangers qu'ils font courir.
Des abcès migrateurs.
Ces abcès, appelés aussi par congestion, sont produits
par l'accumulation du pus à une distance plus ou
moins éloignée de leur source. Ils sont inexactement
caractérisés, généralisés et décrits par les auteurs,
qui les présentent comme dus à la carie vertébrale,
aux tubercules ramollis des vertèbres, et qui font de
l'histoire particulière des abcès par congestion des
vertèbres, l'histoire générale des abcès migrateurs.
De pareils abcès, s'ils avaient leur siège à leur source
même, seraient idiopathiques, ossifluents, tubercu-
leux, etc.-, c'est donc leur éîoignement de la partie
primitivement malade, leur migration qui les carac-
térise essentiellement.
Causes.. — Nés, comme les autres abcès, d'inflam-
mations et de suppurations, ou de ramollissements tu-
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL, 197
berculeux aigus ou chroniques, qui peuvent avoir
leur siège dans tous les tissus, dans tous les organes
sujets à ces affections, ces abcès peuvent venir du
tissu cellulaire, du tissu fibreux suppurant, de ca-
vités séreuses et synoviales, de ganglions lymphati- '
ques en suppuration, d'os cariés, nécrosés, de vis-
cères malades, comme le poumon, le foie, la rate, etc. ,
de masses tuberculeuses ou même d'autres lésions
organiques dont la suppuration par son poids et par
les qualités ulcérantes du pus s'est étendue peu à peu
à une distance plus ou moins considérable, sans que
les vertèbres aient aucun privilège à cet égard. Et ce
ne sont pas seulement les suppurations chroniques des
abcès subaigus, froids ou indolents qui présentent
ce caractère, ce sont même des abcès chauds. J'ai vu
un abcès chaud de l'aisselle descendre jusqu'à la crête
iliaque au-dessous du grand dorsal 5 un autre du tissu
cellulaire des gouttières vertébrales qui, du haut
du dos, avait descendu jusqu'au sacrum dans la gaine
des muscles de la gouttière. Des abcès chauds du cou
vont se rassembler sous le sternum, dans le médias-
tin, et du médiaslin sur les côtés de l'appendice
xiphoïde ou entre les cartilages costaux ; des abcès de
la base du poumon et du foie migrent dans la région
lombaire; des abcès pelviens vont s'accumuler dans
la cuisse, etc.; des abcès ossifluents de caries pel-
viennes, ou venant du tissu cellulaire des environs
de l'anus, vont faire leur congestion au milieu de la
cuisse ou plus bas; des abcès urineux présentent les
mêmes caractères, dans quelques cas, et sont à la fois
urineux et migrateurs.
Ils peuvent présenter tous les caractères anatomiques
des abcès en général, des plus étendus, des plus diver-
sifiés et des plus compliqués par leur source, leur tra-
jet, leurs prolongements , leurs resserrements et
198 CHAPITRE I.
leurs dilatations, et tous les symptômes et la marche des
abcès aigus, subaigus ou froids, indépendamment
des symptômes propres à leur caractère migrateur. Sous
ce dernier rapport ils sont très-fluctuants, mobiles par
le seul changement de position du malade. Celui-ci
se lève-t-il debout? le pus s'accumule dans la partie
ou les parties plus déclives. Se couche-t-il? le pus
remonte vers sa source. La compression de bas en
haut des dilatations ou clapiers inférieurs, produit le
même effet; la toux, les grands efforts, au contraire,
repoussent le pus hors des cavités intérieures du
tronc, et augmentent la tension et le gonflement des
cavités extérieures au tronc par le reflux de ce li-
quide.
Ces abcès, lorsqu'ils sont aigus, marchent rapide-
ment et s'ouvrent promptement, comme les abcès
chauds. Lorsqu'ils sont froids, ils mettent comme les
abcès de ce genre, beaucoup de temps à s'ouvrir et
présentent alors les phénomènes des abcès froids.
Comme ces abcès, ils guérissent quelquefois sponta-
nément; mais cette heureuse terminaison n'est pas
commune. Lorsqu'ils sont ouverts, que l'air y pénètre,
que le pus s'altère, tous les accidents de la suppura-
tion, décrits plus haut (p. 121-28), peuvent survenir,
et le malade succomber, par les divers mécanismes
indiqués
Espèces. — Parmi les abcès migrateurs, il faut dis-
tinguer : 1° les superficiels ou extérieurs, par toute leur
étendue, comme ceux des gouttières vertébrales, de
l'aisselle, des membres qui viennent de la suppuration
du tissu cellulaire ou de ganglions extérieurs, et du pus
émigré au loin : 2° les extéro-intérieurs, qui, des gan-
glions ou du tissu cellulaire du cou, fusent sous le
sternum, ou du bassin dans la cuisse, et sont ainsi en
partie extérieurs et en partie intérieurs; Z^ les vis-
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 199
céro-extérieurs, qui, du poumon, du foie, etc., voyagent
plus ou moins loin aux environs vers la peau; 4" les
viscéro-intérieurs, qui émigrent d'un viscère dans un
autre et s'évacuent ou non par les voies naturelles;
5° les abcès mi^rsiteurs ossijluents, tuberculeux ou non.
Pour le moment ces cinq distinctions suffisent.
Le diagnostic caractéristique des abcès migrateurs est
fondé sur la connaissance de la maladie antérieure,
qui en est la source, sur les symptômes et sur la
terminaison de cette affection , sur l'apparition de
l'abcès migrateur à l'extérieur, sur ses caractères
communs d'abcès et sur la mobilité, le flux et le re-
flux dont il est susceptible par le seul changement de
position et par des compressions alternatives.
Le' diagnostic distinctif se tire d'abord de ce que les
tumeurs qui peuvent ressembler à un abcès migra-
teur n'ont pas sa mobilité. Tels sont tous les abcès
non migrateurs, les tumeurs œdémateuses, les kys-
tes, les anévrismes. Si elles sont au contraire mua-
bles et mobiles, comme les hernies, les varices de la
cuisse, du scrotum, on les reconnaît, en les compa-
rant avec les abcès migrateurs, à ce qu'elles ont plus
de caractère des hernies ou des varices que des abcès
migrateurs (V. hernie, varice, varicocellé)^ et qu'elles
n'ont pas les antécédents de ces abcès.
Les cinq modes d'abcès migrateurs que j'ai expo-
sés se distinguent aux caraetères spéciaux que j'ai
indiqués en les mentionnant.
Pronostic. — Très-variable à cause des différences de
siège, d'étendue, de complications, d'importance des
organes et de gravité des maladies qui en sont la
source. Mais la pathologie spéciale donnera sur ce
sujet des renseignements plus précis. Cependant, je
puis dire que plus ces abcès sont profonds, étendus,
que plus les organes d'oîi ils viennent sont impor-
200 CHAPITRE I.
tants, et leur maladie originelle grave, plus aussi le
pronostic est sérieux ou funeste. L'acuité des symp-
tômes inflammatoires dans un grand abcès est encore
une circonstance aggravante. En général, les moins
dangereux sont les abcès extérieurs, intéro-exté-
rieurs, phlegmoneux chauds ou froids, parce que,
provenant du tissu cellulaire ou de ganglions exté-
rieurs, la maladie primitive n'est pas d'une gravité
extrême, et parce que l'art peut souvent agir avec
efficacité contre ces abcès.
Traitement. — Subordonné aux causes ou aux anté-
cédents de l'abcès, et à ses caractères analomiqiieset
symptomatiques, il doit l'être encore, et surtout, à
celui des cinq modes signalés plus haut, dont l'abcès
fait partie.
Ainsi les abcès phlegmoneux extérieurs et aigus
doivent être ouverts par des incisions multiples dans
rétendue de leur trajet et dans le ou les points les
plus déclives, puis mollement comprimés pour en
tenir les parois rapprochées, après avoir passé des
sélons de l'une à l'autre ouverture. Si l'on n'ob-
tierit pas le recollement des parois, que rinflaujma-
li(m soit modérée, on peut essayer des injections
légèrement toniques et aromatiques, la bonne nour-
riiureet la campagne pour changer l'inflammation et
la rendre plus cicatrisante ou plus plastique. Ce
moyen est-il impuissant? On peut unir les incisions
qui s'y prêtent par leur alignement, puis pratiquer
des excisions simultanées ou successives sur difle-
rcnts points de l'abcès, pour essayer de cicatriser
ces points l'un après l'autre, si le malade se refuse
aux excisions simultanées.
Après ces excisions : pansement avec la bandelette
cératée sur les bords des plaies, et de la charpie fine,
douce et non cératée dans les foyers.
\
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 201
Les abcès aigus ou chroniques, chauds ou froids
qui ont migré plus ou moins loin peuvent être traités
par les ponctions sous-cufanées successives comnrie
les abcès froids. S'ils ne diminuent pas par les ponc-
tions, on peut essayer d'abord des injections excitan-
tes et des la compression, enfin des incisions multiples
et des excisions comme pour ceux qui sont aigus.
Les autres abcès migrateurs n'offrent plus rien de
bien général dans leur traitement. Je renvoie par
conséquent à la palhologie spéciale pour les soins
parliculiers qu'ils réclament.
Ilisioriquecles abcès. — Le vieillard de Cos emploie à
plusieurs reprises le mot apostème (iuo'jraTiîç), que
Ton a Iraduit plus tard, par abcès, abscessus des latins,
et qui a la même signification, séparer, écarler. Il con-
naissait déjà quelques signes de la suppuration, car il
dit : « On peut juger que la suppuration s'est éta-
blie le premier jour auquel la fièvre de suppura-
tion a commencé, ou que les premiers frissons ont
paru; lors surtout que le malade se plaint de res-
sentir un poids au lieu d'une douleur aiguë dans la
partie ouest le mal. (Trad. Gardeil, t. I, p. 44, pro-
nost. n° 4 6.) » Hi(tpocrale étudia surtout les abcès
comme pliénomène.s critiques. Quant au traitement,
il veut que l'on favorise l'égale coction de l'abcès, et
qu'on ne le laisse pas s'ouvrir spontanément. S'il n'est
pas également mûr, il est à craindre qu'il ne crève
et qu'il ne se forme un ulcère très-difficile à guérir.
(Dw Médecin, n° 8 )
Il faut arriver à Celse pour trouver une histoire
très-avancée des abcès. 11 en parle en plusieurs en-
droits, et d'abord lib. V, cap. xxvin, u° II. Après
avoir décrit le furoncle, le pliyuia, il distingue les
abcès superficiels des abcès profonds, indique très-
exactement leurs* caractères, et propose pour les
202 CHAPITRE I.
combattre divers moyens topiques, tels que répercus-
sifs, émoUients ou maturatifs, suivant le degré auquel
le mal est arrivé, sa dureté, etc. Mais c'est surtout
le chapitre qu'il consacre aux abcès dans la partie
chirurgicale de ses œuvres qui mérite d'être remar-
qué (lib. VII, cap. u). Et ici nous trouvons un fait
d'anatomie pathologique très-curieux. Je traduis :
« Il arrive quelquefois, mais rarement, que la partie
abcédée est tapissée d'une membrane que les anciens
appelaient une tunique (tunicam). » Il est bien évident
qu'il s'agit ici de la membrane pyogénique des abcès,
et non des kystes renfermant de la matière mélicé-
rique ou athéromateuse.^ que l'on a postérieurement
confondus avec les abcès sous le nom d'apostèmes.
Gelse décrit à part ces kystes, qu'il distingue très-net-
tement. Suivent de très-judicieuses considérations sur
les indications qui réclament l'incision, la manière
de la pratiquer, l'ouverture des clapiers profonds, la
résection des portions de peau amincie, etc. Ce cha-
pitre est assurément l'un des plus intéressants que
nous ait laissés l'art antique.
C'est dans le livre De timioribus prœter naturam que
Galien nous montre la formation des abcès. Quand le
pus ne trouve pas une issue libre pour s'échapper au
dehors, que l'art ne lui pratique pas une ouverture, il
ronge la peau par ses propriétés corrosives et s'écoule.
Il dissèque aussi les parties qui le recèlent, se creuse
des sinus dont les parois s'indurent et se cicatrisent
très-difficilement. Galien admet deux sortes d'abcès
ou apostèmes, les uns produits par l'inflammation,
les autres sans phlegmasie préalable et par le fait
d'une humeur acrimonieuse, qui creuse et détruit les
parties avec lesquelles elle est en contact : tels sont
l'athérome, le mélicéris et le stéatôme. {De tum. prœt.
nat., et De meth, med., 1. XIV.)
DES ABCÈS EN GÉNÉRAL. 203
Aétius (Tetr. IV, Sermo II, cap. xxxii), et surtout
Paul d'Égine (lib. IV, cap; xviiï, et lib. VI, cap. xxxiv),
donnent avec beaucoup de soin la thérapeutique des
abcès, mais sans rien ajouter à leur histoire patholo-
gique. Les Arabes, les auteurs du moyen âge, et
même ceux des siècles suivants, confondent les ab-
cès avec les apostèmes (kystes, loupes), et ne parlent
de l'abcès proprement dit qu'à propos du phlegmon
suppuré. (V. Guy de Chauliac, J. de Vigo, Paré, Fa-
brice d'Aquapendente, Pigray, Verduc, etc.) C'est
aux apostèmes seulement qu'ils appliquent la distinc-
tion de chauds ou de froids, suivant la matière chaude
(sang, bile) ou froide (pituite, atrabile, eau ou air)
dont ils les supposent formés.
Déjà cependant nous voyons certains auteurs em-
ployer ces dénominations pour les abcès, et appeler
abcès chauds ceux qui résultent de l'inflammation
phlegmoneuse 5 affection aiguë et locale, et abcès
froids, abcès par congestion, ceux qui se forment lente-
ment et qui sont produits par une matière indigeste
(Marc-Auf. Severin, de Abcess. recoud, nat., lib. ii,
cap. 6 et 17.) Mais ces distinctions prendront plus
tard une acception différente et mieux déterminée.
Quant aux écrivains plus récents, s'ils parlent des
abcès froids, c'est très-loin du phlegmon, après une
foule d'affections tout à fait différentes (anévrismes,
hydropisies, etc.), et souvent sous le nom de dépôts
par congestion. (Hévin, t. I, p. 232.)
Le méthodique Callisen distingue les abcès en vrais
ou faux, suivant qu'ils contiennent du pus ou une ma-
tière analogue au pus ; en inflammatoires ou métastati-
ques, suivant qu'ils sont déterminés par une phleg-
masie locale, ou bien, soit par une migration [niigratio)
du pus d'une partie dans une autre, soit par le dépôt
d'une matière morbifîque dans une partie quelconque.
204 CHAPITRE I.
Il a soin aussi de faire remarquer que les abcès inflam-
matoires sont tapissés d'une membrane qui s'oppose
à l'eflusion du pus dans les parties voisines et à la ré-
sorption. Enfin il distingue encore les abcès en limités
et diffus, en simples et compliqués, en bénins et malins.
(Princip. sijst. chir. hod., t. I, p. 272 et suiv. — Haffn,
17^8.) Au commencement de ce siècle, quelques au-
teurs allemands décrivent les collections purulentes
formées lentement sous le nom de tumeurs lympha-
tiques.
Léveillé indique plus précisément la distinction
des abcès en chauds et froids ou par congestion, ces
deux dernières expressions étant encore synonymes,
et il propose de n'employer le mot par congestion
que pour exprimer le transport du pus d'une partie
vers une autre. Mais il ne suit pas cette division, il
préfère étudier les abcès suivant leur siège anatomi-
que {Nouv. doct. chir.^ t. II, p. 4 74. Paris, 18 12). C'est
dans Boyer que la grande division des abcès en trois
classes se trouve nettement posée et suivie, et cette
distinction a, depuis lors, été généralement adoptée
dans les livres classiques (Delpech, elc, les articles
de dictionnaires, etc.); nous l'avons nous-mème en
partie adoptée et suivie. Nous avons seulement dé-
laissé la mauvaise expression d'abcès par congestion,
et généralisé avec beaucoup plus de soin qu'on ne le
fait l'histoire des abcès migrateurs qui le méritaient
bien.
Quant au traitement des abcès, il n'a pas fait de
progrès bien marqués depuis les anciens 5 tout au
plus irouvons-nous à noter l'introduction de quel-
ques caustiques nouveaux pour l'ouverture des col-
lections purulentes et l'application de la ponction
sous cutanée à l'opération des abcès froids ou par con-
gestion pour éviter l'introduction de l'air.
DES FISTULES. 205
Sous le rapport de la bibliographie, nous ne pou-
vons que renvoyer aux auteurs bien connus dont nous
avons parlé et aux articles de nos grands dictionnai-
res, notamment à celui de MM. Roux et Bérard dans
le Dictionnaire en 30 volumes.
DES FISTULES.
Ouvertures morbides étroites donnant passage à
des malières normales ou morbides et tendant, comme
les ulcères, à persister au lieu de se guérir.
Les causes en sont variées : parmi les fistules, 1° les
unes viennent d'une inflammation suppurante, idio-
pathique ou diathésale qui les a ouvertes et enl re-
tenues, parce que cet!e suppuration manque de
plasticité, ou d'une suppuration qui les a formées
et du passage de malières normales qui les entre-
tiennent*, 2° les autres proviennent d'une blessure
qui a ouvert les parois d'une cavité ou d'un conduit.
Parmi les premières s'observent la suppuration con-
sécutive à l'inflammation du tissu cellulaire, des gan-
glions lymphatiques, des os, etc., la suppuration
causée par un corps étranger; la su[>puration déter-
minée par des calculs formés dans l'économie, comme
les calculs salivaires, biliaires, urinaires, ou par des
rétrécissements des conduits nasal, salivaire, uiétral
qui, les uns et les autres, empêchent l'écoulement de
la salive, de la bile, de l'urine, et irritent par la dis-
tension qu'occasionne l'accumulation des malières
retenues.
Les autres fistules produites par une blessure qui a
ouvert une cavité ou un conduit naturel, sont trauma-
tiques. Leur ouverture morbide est entretenue par le
passage des matières de cette cavité ou de ce con-
duit, de l'air pour les sinus frontaux , la trachée ar-
206 CHAPITRE I.
tère, etc., delà salive, des matières intestinales, des
urines suivant la cavité ou le conduit ouvert.
Les distinctions des fistules eh général établies par
l'illustre Boyer d'après les causes de ces aflfections
ne me semblent ni assez élevées, ni assez exactes. Ses
fistules cutanées entretenues par l'amincissement de
la peau, ses fistules de l'aisselle, etc., entretenues par
la perte du tissu cellulaire, ses fistules calleuses, sont
plutôt dues à une inflammation dont le pus manque
de plasticité, probablement parce qu'il ne renferme
pas assez de lymphe plastique. En effet, lorsqu'on em-
pêche leséjourdupus en incisantces fistules, îorsqu'en
y portant de la charpie sèche qui les avive, la causti-
cation par le nitrate d'argent ou des injections exci-
tantes qui y réveillent l'inflammation cicatrisante,
lorsqu'on excise des parties amincies incapables de
verser la lymphe plastique nécessaire à la cicatrisa-
tion, cette lymphe s'y montre bientôt, avec elle des
bourgeons charnus, granuleux et enfin la guérison.
Caractères anatomiques. — Les unes s'étendent d'un
tissu quelconque cellulaire, ganglionaire, osseux, etc.,
suppurant, à la peau ou aux muquenses, et non d'une
cavité'; d'autres de la cavité sécrétoire d'un organe
sécréteur ou d'un conduit excréteur, à la peau ou aux
muqueuses et aux séreuses. Celles qui s'ouvrent à la
peau sont des fistules extérieures que la chirurgie peut
souvent guérir; cellesqui s'ouvrent sur les muqueuses,
dans les séreuses sont intérieures, et à moins qu'elles
ne s'ouvrent très-près des orifices naturels, la chirur-
gie ne peut pas plus que la médecine en obtenir la
guérison. Ces dénominations d'extérieures et inté-
rieures sont préférables aux appellations équivoques
de borgnes externes ou internes. Les fistules qui par-
tent d'un tissu malade et non d'une cavité sécrétoire
ou excrétoire, ont un cul de sac intérinal, un ou plu-
DES FISTULES. 207
sieurs orifices extérieurs, mais pas d'orifice intérieur.
Les orifices extérieurs sont rarement larges, souvent
d'une étroitesse imperceptible et assez souvent obli-
térés momentanément par du mucus ou du pus dessé-
ché. Le trajet des fistules est court ou long, quelquefois
excessivement long-, des fistules urinaires, des fistules
à l'anus s'ouvrent extérieurement au-dessous du mi-
lieu de la cuisse. Le trajet des fistules est droit ou si-
nueux, étroit ou large, étranglé et renflé dans cer-
tains points ou uniforme, compliqué ou non de cavités
accessoires, de foyers, de clapiers oii des matières peu-
vent se rassembler. La surface interne et les parois de
ces conduits morbides peuvent être souples, molles
ou indurées et calleuses dans certains points. Ces cal-
losités ont joué un grand rôle dans la pathologie des
anciens. Les fistules sont tapissées à l'intérieur pour
peu qu'elles soient anciennes, d'une membrane pyo-
gène analogue à celle des abcès, et le plus ordinaire-
ment grise ou ardoisée.
Symptômes, — Ces conduits anormaux donnent pas-
sage aux matières très- v ariées qui les entretiennent par
leur écoulement, au pus dans les fistules à suppuration
non cicatrisante, à l'air dans les fistules aériennes, aux
larmes, à la salive, à l'urine dans les fistules lacry-
males, salivaires, urinaires, aux matières intestinales
dans les fistules de ce nom. Mais la quantité des ma-
tières qui les parcourent et qui s'échappent par leur
orifice extérieur unique ou multiple, est variable et
parfois si petite qu'on ne peut reconnaître la nature
des fluides qui en sortent , ni par la couleur, ni par
l'odeur. Quelquefois aux écoulements dont je viens de
parler se joignent de la douleur et d'autres symp-
tômes locaux. Les fistules traumatiques une fois éta-
blies offrent les mêmes symptômes, parce qu'elles
sont entretenues par un fluide excrété.
208 CHAPITRE I.
Elles sont susceptibles de présenter divers acci-
dents pendant leur durée. Celles qui sont entrete-
nues par une inflammation non cicatrisante, quand
elles sont longues, larges, compliquées de clapiers,
sont sujettes à tous les accidents de la suppuration
(p. I2l); mais plusieurs sont encore sujettes h di-
yers accidents particuliers, à se rétrécir, à s'obstruer,
pour se rouvrir un peu plus tard et se jjrolonger indé-
finiment. O'iclques-unes même, comme celles de
l'anus, compliquées de clapiers et abandonnées à
elles-mêmes, peuvent causer la mcti't ou y contribuer,
comme je l'ai vu arriver. Quelquefois, au contraire,
les voyages, le changement de lieu, l'exercice en
plein air,' l'appétit qui augmente, rcmbonpoinl qui
survient, ])euvent être suivis d'une guérison spon-
tanée, ainsi que je l'ai vu dans les fistules suppuran-
tes. Ce résultat est dû probablement à l'augmenta-
tion de la plasticité du sang.
Le diagnostic est facile quand on est éclairé par les
antécédents du mal, quand l'ouverture de la fistule
est large ou très-visible, quand elle est ouverte par
des orifices en arrosoir; quand les matières qu'elle rend
sont abondantes et bien caractérisées; mais il y a des
cas où tous ces caractères sont si peu prononcés que
le diagnostic est difficile ou impossible. On peut sou-
vent s'éc'airer par le catliéléiisme, mais pas toujours^
quelquefois par des injections colorées et innocentes
qui poussées par la fistule reviennent par le conduit,
et poussées par un conduit excréteur reviennent par
la fistule.
Le pronostic est si variable que je n'en puis presque
rien dire de général. Il varie en elTet, suivant la cause
qui entrelient la fistule, l'étendue de celle-ci, ses
complications, ses accidents, les perles qu'elle en-
traîne, sa durée, etc.
DES FISTULES. 209
Le traitement des fistules exige de grandes modifica-
tions. Les fistules internes sont en général au-dessus
des ressources de l'art. Celles qui sont entretenues
par une suppuration non cicatrisante ne guérissent
qu'autant qu'on s'oppose au séjour du pus, soit
en les ouvrant largement, soit en excisant les tis-
sus altérés, amincis, indurés, soit en enlevant les
corps étrangers , soit en excitant la cicatrisation par
la cautérisation au nitrate d'argent, par des injec-
tions stimulantes, par la charpie sèche, par la bonne
nourriture, la campagne, l'exercice en plein air, ou
par un traitement antidiathésal approprié. Celles qui
sont entretenues par le passage de matières normales
retenues par des rétrécissements, des oblitérations
de conduits excréteurs, réclament impérieusement la
dilatation, la réouverture des conduits. Enfin celles
qui ont été causées par une plaie et ne sont aussi en-
tretenues que par le passage de matières particu-
lières, exigent des moyens particuliers pour empê-
cher ce passage.
Historique des fistules. — Le livre intitulé De Fis-
tulis dans les œuvres d'Hippocrate est consacré à
la fistule à l'anus et aux chutes du rectum. L'au-
teur parle à peine des fistules en général. « Les
fistules difficiles à guérir, dit-il, sont celles qui se
forment dans les parties cartilagineuses et non char-
nues ; elles ont beaucoup de profondeur et de sinuo-
sités; elles rendent sans cesse une matière ichoreuse
et présentent des carnosités à leur orifice. Les pios
faciles à guérir sont celles qui s'établissent dans les
parties molles, charnues et non nerveuses. » ( Prénot.
de COS., chap. xxvr, trad. de Daremberg, p. 154.)
« Les fistules, suivant Celse, succèdent souvent aux
abcès et aux différentes sortes d'ulcères. On appelle
fistules des ulcères profonds, étroits, calleux. On left
210 CHAPITBE I.
rencontre dans presque toutes les parties du corps ,
et elles offrent quelque chose de particulier dans cha-
cune des régions oîi on les rencontre. J'en parlerai
d'abord d'une manière générale. 11 y a plusieurs es-
pèces de fistules : les unes sont courtes , les autres
profondes; les unes marchent directement, les autres,
et c'est le plus grand nombre, transversalement. 11 en
est de simples, de doubles, de triples, c'est-à-dire
qui commencent par un orifice et se terminent en
trois ou un plus grand nombre. Ici elles sont droites,
là sinueuses, tortueuses; tantôt elles s'arrêtent dans
les chairs, tantôt elles pénètrent jusqu'aux os ou aux
cartilages ; et lorsque ces dernières parties ne se ren-
contrent pas sur leur passage elles parviennent aux
viscères intérieurs. Certaines guérissent facilement,
d'autres plus difficilement, enfin il en est d'incura-
bles (Celse, lib. V, cap. xxviii, g 12). » Celse entre
ensuite dans de longs détails sur les conditions qui
rendent les fistules fâcheuses, sur les moyens de re-
connaître, à l'aide de la sonde, quelles sont la forme,
l'étendue, la direction du trajet; quels sont les tissus
auxquels il aboutit, l'état dans lequel sont ces par-
ties, etc., etc.. La quantité de pus qui sort de l'ori-
fice, les différences que présentent ces écoulements,
suivant les attitudes, servent encore au diagnostic.
Quant au traitement, il employait surtout les escarro-
tiques dont il variait considérablement le mode d'in-
troduction, tantôt sous forme solide, tantôt sous
forme liquide ou pulvérulente, suivant le cas. Le
traitement diffère selon que la fistule est simple ,
calleuse, double ou multiple.
Celse avait connaissance de la membrane pseudo-
muqueuse qui tapisse les fistules anciennes, je cite
textuellement : « Fere vero sit, ut ea tunica, quœ
inter forame.i et integram carnem est, victa tot medica-
DES FISTULES. 211
mentis exeat, infra que «Icus puram sit. » (Loc. df.)
Quant aux opérations proprement dites, Celse dit
plus loin : « Si les fistules s'enfoncent si avant qu'il
soit impossible de pénétrer jusqu'au fond, si elles
sont flexueuses, si elles ont plusieurs culs-de-sac,
il faut plus espérer de l'opération que des remèdes.
(Lib. VII, cap. iv.) » Cette opération, c'est l'incision
et quelquefois la section des callosités; si la fistule
aboutit à un os carié, il faudra, après l'incision, gué-
rir la maladie de l'os. Que faisons-nous de plus au-
jourd'hui ! Cependant il ne connaît pas les motifs qui
justifient ses préceptes, c'est-'a-dire la nécessité de
changer l'inflammation suppurante eu cicatrisante. 11
est vrai que la chirurgie de nos jours ne le sait guère
mieux.
Galien constate aussi l'origine des fistules qui suc-
cèdent le plus souvent à des abcès (De twn. prat. nat.)
Des distinctions établies par cet auteur, il résulte que
les anciens admettaient trois sortes de surfaces sup-
purantes, et né tendant pas d'elles-mêmes à la cica-
trisation : i° V ulcère^ quand la surface est entièrement
à découvert 5 2'^ le sinus ^ quand elle est constituée
par une cavité comrauniquant à l'extérieur par un
orifice plus ou moins large, el enfin, 3° \a fistule qui
consiste dans un trajet étroit, droit ou sinueux, etc..
Nous trouvons dans Paul d'Égine on moyen de diag-
nostic propre a déterminer si la fistule est multiple;
c'est d'injecter un liquide par l'une des ouvertures
extérieures; la sortie de ce liquide par on ou plu-
sieurs points apprend le mode de division de la fis-
tule. {Lib. VI, cap. 77.)
11 est facile devoir que les modernes ont peu ajouté
aux connaissances des anciens sur les fistules en géné-
ral. Nous devons cependant une mention distinc-
tive a Pott, qui apprécie à sa juste valeur l'irapor-
212 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
tance des callosités et fait voir qu'elles sont un résul-
tat de l'inflammation ; que les irritants ne leur con-
viennent pas (QEuv. chir.^ t'. Il, de la fistule à l'anus).
Ajoutons encore quelques recherches d'anatomie pa-
thologique sur la structure de la pseudo-muqueuse
qui tapisse le trajet de la fistule (Dupuytren, Cliniq.
chirurgie. y t. I.), et nous aurons exposé les principaux
progrès qui composent l'historique des fistules con-
sidérées en général.
Des modes de l' inflammation sous le rapport des causes.
Les inflammations causées par le froid, la chaleur,
c'est-à-dire les congélations et les brûlures doivent
être renvoyées à la suite de la gangrène; les in-
flammations par causes méca^iiques , aux blessures, plaies
et contusions.
DES INFLAMMATIONS CAUSÉES PAR UN CORPS ÉTRANGER.
Causes. — Toute substance solide, liquide ou ga-
zeuse qui ne participe pas à la vie de l'individu est
un corps étranger. Ces corps sont de différentes sor-
tes : les uns sont venus du dehors et ne sont pas sus-
ceptibles de s'organiser 5 les autres faisaient partie
d'organes vivants, mais ils en ont été séparés, ils ont
cessé de vivre et sont restés au sein des tissus, tels
sont les séquestres de la nécrose. D'autres fois ce sont
des substances concrescibles, des sels normalement
contenus dans les liquides et qui se déposant, for-
ment des aggrégats dans différentes parties paren-
chymateuses ou cavitaires, tels sont les calculs biliai-
res, rénaux ou vésicaux. Ailleurs, ce sont des fluides
normaux ou anormaux réunis en collection, dans des
CAUSÉES PAR UN CORPS ÉTRANGER. 213
parties où ils ne doivent pas se rencontrer (épanche-
ments sanguins, purulents, abcès urineux, etc.).
Parmi ces fluides, le sang peut s'organiser ou être
absorbé. Les autres, comme les urines, le pus,
causent de l'inflammation suppurante, même gan-
greneuse, et sont rejetés au dehors ou causent la
mort. Les gaz venus du dehors ou produits acciden-
tellement par une sécrétion viciée, infiltrés dans la
trame aréolaire des tissus ou dans les cavités, peu-
vent être résorbés et disparaître, ou être rejetés avec
la suppuration qu'ils provoquent.
Symptômes des corps étrangers SOLIDES non mvants. -—
Nous les décrirons avec un peu plus de détails, parce
que l'action de ces corps sur l'économie est plus com-
mune que celle des autres.
L'efi'et le plus ordinaire, le plus constant des corps
étrangers solides étant de déterminer des phénomè-
nes d'inflammation, nous devons les mentionner dans
l'histoire générale de l'inflammation.
Les corps étrangers, extérieurs et solides, pénè-
trent soit parles ouvertures naturelles, soit par une
solution de continuité. Dans le premier cas, ils s'ar-
rêtent à une profondeur variable, suivant les disposi-
tions de l'organe oîi ils sont entrés. A cette catégorie
se rattachent les corps étrangers introduits dans les
paupières, dans l'oreille, dans les narines, dans les
voies respiratoires, intestinales ou génito-urinaires. Ils
irritent la muqueuse, avec laquelle ils sont en contact,
et provoquent une sécrétion plus abondante, plus sé-
reuse que le fluide normalement exhalé par celle-ci,
sécrétion qui peut devenir de plus en plus épaisse,
jaune, puriforme et même être chargée de globules
pyoiques quand l'irritation est suffisante. Lorsque la
sécrétion est abondante, souvent elle entraîne le
corps étranger au dehors et en débarrasse l'orga-
214 CHx\PITRE I. — DES INFLAMMATIONS
nisme : c'est ce qui arrive pour l'œil. D'autres fois,
c'est, en outre, par les efforts des organes et des pa-
rois des cavités splancbniques, comme dans la toux,
le vomissement, la défécation, l'expulsion des uri-
nes qu'ils sont rejetés au dehors^ d'autres fois ils
causent des inflammations adhésives entre les organes
creux et les parois de leur cavité splanchnique, puis
une suppuration progressive de dedans en dehors qui
chasse le corps étranger de l'économie et la guérison
se fait. Enfin ils peuvent causer la mort.
S'ils ont pénétré violemment, au moyen d'une solu-
tion de continuité, ils restent d'abord fixés dans les
tissus. Lorsque, dans cette position, ils sont peu ir-
ritants, comme une balle de plomb, ils déterminent
parfois une inflammation légère, enkistante, dont le
résultat est la sécrétion d'une lymphe plastique.
Celle-ci se coagule, s'organise et forme une membrane
ou kyste qui enveloppe le corps étranger et l'isole
complètement. Les corps enkystés ne séjournent pas
toujours indéfiniment dans le lieu oii ils se sont arrê-
tés 5 il arrive parfois qu'au bout d'un temps variable,
quelquefois très-long, l'économie qui semblait habi-
tuée à leur présence, s'en irrite plus ou moins vi-
vement. Alors l'inflammation suppurative survient,
un abcès se forme , et entraîne le corps étranger
en s'ouvrant au dehors; alors la mort peut en être la
suite, mais souvent la guérison suit la suppuration.
Un jour je m'aperçus, par hasard, que je portaissur le
côtéradiairede l'articulation métacarpe phalangienne
du pouce gauche une petite induration, qui devenait
douloureuse par la pression et les frottements; je la
conservai pendant trois ou quatre ans sans en soup-
çonner la nature; enfin elle s'enflamma par des frot^
tements rudes, suppura, et il en sortit, à ma grande
surprise, un morceau de capsule de fusil, que j'avais
CAUSÉES PAR UN CORPS ÉTRANGER. 215
certainement reçu à la chasse en tirant, et sans m'en
être aperçu.
Le plus ordinairement il se fait autour du corps
étranger une inflammation suppurafive plus ou moins
abondante, et en même temps un travail d'ulcération
progressive marchant de dedans en dehors le plus
ordinairement, à l'aide duquel le corps peut chemi-
ner jusqu'à l'extérieur, et être ainsi rejeté ou éli-
miné. CeUa progression intéro-extérieure est, sui-
vant Hunter, une loi de la vie. J'ai déjà dit plus
haut, qu'à mes y€ux c'est un simple fait de méca-
nique, dû à ce que le corps étranger et la suppu-
ration éprouvent généralement plus de résistance à
se porter en dedans qu'en dehors, h ce que les tis-
sus extédeurs se laissent plus facilement distendre
et amincir que les tissus opposés appuyés les uns sur
les autres. Mais alors, dira-t-on, il n'en est pas tou-
jours ainsi? le travail de migration au lieu de se faire
vers l'extérieur se fait quelquefois vers une cavité
viscérale, le péritoine, la plèvre, et l'inflammation qui
en résulte peut amener la mort. Sans doute une ré-
sistance particulière, une aponévrose, un obstacle
qui nous échappe peut faire dévier l'ulcération pro-
gressive, comme les eaux d'une montagne arrivées
près de sa surface peuvent rentrer dans son sein par
un détour, pour en ressortir beaucoup plus loin.
Certains corps aigus qui ont été avalés percent
sans accident les organes digestifs qui se ferment,
puis voyagent au loin dans les tissus. Les aiguilles,
les épingles sont dans ce cas. Au bout d'un certain
temps ils arrivent à la peau, et sortent souvent sans
causer la moindre suppuration, en produisant seule-
ment une ulcération, une perforation qui se cicatrise
immédiatement après leur passage.
Le diagnostic est quelquefois assez difficile, surtout
216 CHAPITRE I. — DES INFLAMMATIONS
lorsqu'il n'y a pas de plaie extérieure et que le corps
étranger réside dans une cavité naturelle. Les anté-
cédents racontés par le malade peuvent mettre sur
la voie -, la douleur qui se fait sentir dans un point dé-
terminé, l'examen à l'aide du doigt, quand il y a une
ouverture extérieure, à l'aide d'une aiguille à acu-
puncture, qui décèlent la présence du corps anormal,
rendent quelquefois le diagnostic certain. Dans le cas
oîi il y a plaie extérieure, il n'est pas toujours aisé de
rencontrer le corps étranger, il faut souvent le cher-
cher fort loin du point par lequel il a pénétré, et
dans une direction qu'au premier abord il semblerait
n'avoir pu suivre. Cela est vrai surtout si le corps
étranger est une balle lancée par une arme à feu, ou
s'il s'est écoulé un certain temps depuis l'accident.
Le pronostic est très-variable si le corps s'est en-
kysté; il peut demeurer fort longtemps, toute la vie
même,, emprisonné dans l'organe où il s'est arrêté
sans manifester sa présence par aucun accident, alors
même que cet organe est très-important pour la vie.
C'est ce qui est arrivé pour des balles logées dans le
cerveau, le cœur ou le poumon. D'autres fois la pré-
sence du corps étranger dans une partie en appa-
rence peu importante peut amener des conséquences
fort graves; ainsi des noyaux, de petits cailloux in-
troduits dans l'oreille ont amené des otites fort gra-
ves, avec extension de l'inflammation et de la sup-
puration à l'oreille interne, aux os, au cerveau et à
ses membranes, et par suite la mort. Ces phénomè-
nes se montrent quelquefois même après l'issue na-
turelle ou artificielle du corps étranger, quand, par
sa présence prolongée, il avait violemment enflammé
ces parties. Les corps étrangers, irréguliers, héris-
sés de pointes ou de parties tranchantes, sont, par
cela même, plus dangereux que les autres.
CAUSÉES PAR UN CORPS ÉTRANGER. 217
Traitement. — La première idée qui se présente a
l'esprit dans le cas de corps étranger, c'est d'extraire
celui-ci. Il peut cependant j avoir des contre-indi-
cations, par exenaple, si le corps étranger bouchant
l'ouverture faite à une grosse artère ou au cœur,
son extraction devait être suivie de la mort. Par le
fait de sa position dans une partie toute remplie de
vaisseaux et de nerfs ou derrière un organe impor-
tant, les manœuvres nécessaires à l'ablation du corps
pourraient être plus dangweuses que son séjour, sur-
tout quand, par sa forme et sa nature, il ne doit pas oc-
casionner d'accidents bien graves. Quand l'extraction
peut ou doit avoir lieu, elle se fait, soit tout simple-
ment à l'aide des doigts, soit à l'aide d'injections mu-
cilagineuses ou huileuses qui facilitent son glissement
dans certains canaux, dans le conduit auriculaire par
exemple, soit enfin à l'aide de pinces, de curettes,
de gouttières, de poinçons, de tarières diversement
modifiés, suivant la configuration du corps, le lieu
qu'il occupe, le trajet qu'il faut parcourir pour l'at-
teindre, etc. Il est souvent nécessaire d'avoir re-
cours à des incisions, soit pour agrandir l'orifice
d'entrée, soit pour mettre le corps à découvert, lors-
que après un trajet assez long ou très-sinueux il est
venu se placer à peu de distance de l'enveloppe
extérieure. (Voy. plus bas, Plaies compliquées des corps
étrangers.) Pour éviter l'inflammation on emploiera les
moyens ordinaires, mais surtout les émissions san-
guines locales, les topiques émollients; c'est ici que
les réfrigérants, l'irrigation, les fomentations fraîches,
peuvent rendre de grands services.
Les corps étrangers introduits dans les voies natu-
relles peuvent réclamer des moyens plus spéciaux.
Il en sera question dans la pathologie spéciale.
21'8 CHAPITRE I. — INFLAMMATION
INFLAMMATION par CAUSE CHIMIQUE.
Causes. — Les corps solides, liquides ou gazenx,
doués de propriétés chimiques irritantes appliqués sur
les tissus vivants déterminent l'inflammation. C'est
surtout sur la peau que ces effets sont appréciables;
tantôt il y a seulement rougeur intense, tantôt sécré-
tion séreuse (vésicules, bulles), ou purulente (pustu-
les), et enfin si la substance est corrosive (acides et
alcalis concentrés),!! peut y avoir escarrification plus
ou moins profonde au point de contact. Mais cette
gangi:ène artificielle est toujours accompagnée d'une
phlegmasie locale des parties qui n'ont pas été assez
gravement, assez profondément lésées pour être es-
carrifiées.
Lésions et symptômes. — Les escarres sont sèches ou
molles suivant la rapidité de la désorganisation la na-
ture du caustique. Elles restent adhérentes d'abord aux
tissus sous-jacents, puisse détachent ultérieurement
par une inflammaîion ulcérative et snppurative; après
quoi l'inflammalion devenant cicatrisante guérit, ou
reste suppurante, et peut entraîner la mort. Lorsqu'il
s'agit des parois d'un organe creux, celui-ci peut être
perforé, à la chute de l'escarre; de là des accidents se-
condaires souvent mortels, comme il arrive quand
l'estomac est percé et que les matières qu'il contient
s'épanchent dans le péritoine qu'elles enflamment.
Le diagnostic est fondé sur la connaissance des cau-
ses des lésions, des symptômes, de la marche, mais
quand les lésions sont incomplètement connues le
diagnostic est incomplet et obscur.
Le fronostic est en rapport avec l'étendue, l'inten-
sité de l'inflammation, l'importance de l'organe lésé.
Traitement. — Les différents degrés d'inflammation
PAR CAUSE CHIMIQUE. 21^
sont surtout combattus par les moyens locaux réfri-
gérants, émollients, et au besoin par les émissions
sanguines. Mais la première chose à faire, surtout
quand il s'agit d'un caustique, c'est d'enlever l'agent
qui cause l'inflammation. A l'intéiienr, pour l'esto-
mac par exemple, il faudrait, soit neutraliser les
acides par les alcalis, et réciproquement, soit les
étendre par l'ingestion d'une grande quantité d'eau.
S'il y a perforation d'un viscère creux, pour empê-
cher Fépanchement des matières qu'il contient, il
faut un repos absolu; l'inflammation sera combat-
tue par les antiphlogistiques et les douleurs par l'o-
pium à hautes doses.
INFLAMMATIONS DIFFUSES ET DÉCLIVES.
Les phlegmasies diffuses sont celles qui sont répan-
dues les unes près des autres, comme si elles avaient
été semées dans le même lieu et résultaient de la dis-
persion d'une foule d'inflammations voisines peu éten-
dues. Elles sont liées les unes aux autres par leur voi-
sinage, quoiqu'elles se développent ordinairement
d'une manière progressive. Les inflammations dé-
clives sont celles que la déclivité influence d'une ma-
nière remarquable. Je les réunis avec les diffuses,
parce qu'elles ont des rapports très-étroits sous les
points de vue des altérations, des causes, des symp-
tômes, de la marche, des terminaisons et du traite-
ment. Tels sont les phlegmons appelés diffus, les
phlegmasies consécutives aux saignées , les pana-
ris, etc. Je n'appelle point ces inflammations du nom
de phlegmons diffus, parce qu'elles attaquent tous les
tissus mous et non pas seulement le tissu cellulaire,
comme l'indiquerait le mot phlegmon.
Causes. — Les phlegmasies diffuses se développent
220 CHAPITRE I. — INFLAMMATIOxNS
parfois spontanément en apparence, mais en réalité
sous l'influence d'une disposition morbide particu-
lière, parfois même d'une diatlièse qui se caractérise
de plus en plus clairement, par l'opiniâtreté de l'in-
flammation à s'aggraver chaque jour davantage, sans
cause appréciable, malgré le traitement le plus ra-
tionnel.
La rareté de ces affections dans les parties élevées
du corps, leur fréquence excessive dans les deux
tiers inférieurs des membres thoraciques et abdomi-
naux, d'autres faits déjà cités (Paf/io/. gfénér., p. 265),
et d'autres qui le seront au traitement, prouvent
que la déclivité est une des causes les plus ac-
tives des phlegmasies diffuses, comme nous l'avons
dit dans la Pathologie générale. S'il est une chose qui
m'étonne, c'est que cette conséquence n'ait pas en-
core frappé les esprits et qu'on n'ait pas reconnu
qu'il en résulte un mode particulier de phlegmasies
qui méritent le nom d'inflammations déclives.
Les causes particulières les plus communes sont
des souffrances, des lésions physiques, mécaniques et
même chimiques des parties inférieures des membres
aidées du concours de la 'déclivité. Néanmoins ce
concours n'est pas indispensable. En efî'et, l'on voit
parfois survenir des phlegmasies diff'uses au cou, au
dos, au ventre, spontanément, sans violence exté-
rieure, sans blessure; ou à la jambe, à la suite d'une
fracture, sans que le membre, après la fracture, ait
été soumis à la déclivité. Alors l'inflammation n'est
que diffuse. Mais, dans la grande majorité des cas,
ces inflammations naissent du concours d'une bles-
sure grave ou légère et de la déclivité. Alors elles
ne sont pas seulement diffuses , elles sont encore
déclives. Ainsi on les voit survenir aux pieds, aux
jambes à la suite de marches forcées, de la coupure
DIFFUSES ET DÉCLIVES. 221
d'un cor aux pieds qui a entamé, à peine, la surface
du derme, d'une contusion du pied et de la jambe,
d'une blessure anatomique aux doigts que l'on sup-
pose envenimée, d'une coupure aux doigts chez un
boucher, quoiqu'on ne puisse la supposer envenimée,
d'une simple piqûre d'aiguille aux doigts chez une
couturière, d'une simple saignée à la veine par la
lancette la plus propre et la plus acérée que l'on
suppose sans raison, par préjugé, malpropre ou peu
tranchante, d^ l'écorchure la plus légère, de l'arra-
chement des saillies épidermiques du bout des doigts
désignées sous le nom d'envies, en un mot des lésions
physiques les plus légères et les plus innocentes dans
les parties élevées du corps et des membres, oîi l'on
voit si rarement des phlegmasies diffuses. Mais pour
que ces causes si légères produisent des affections si
sérieuses, il faut que le blessé, trompé par l'innocuité
apparente du mal, laisse la blessure dans une situa-
tion basse ou déclive qui, de concert avec l'irritation
causée par la blessure, concourt à y appeler le sang,
à l'y fixer et à engendrer l'inflammation diffuse, que
la partie lésée soit tenue au repos ou en activité, que
le patient reste immobile, marche ou travaille.
Marche et symptômes, — Les inflammations diffuses
commencent, ainsi qu'une foule d'autres, par une
fièvre d'invasion, quand elles sont spontanées 5 par
les altérations matérielles et les symptômes locaux
du gonflement, de la rougeur, si la phlegraasie s'étend
à la peau , par de l'œdème, de la douleur, de la cha-
leur, etc. 5 mais ces phénomènes, au lieu de se cir-
conscrire et de s'arrêter en quelques jours, s'accrois-
sent progressivement. L'infiltration œdémateuse, d'abord
claire et limpide, se trouble, blanchit, s'épaissit, de-
vient puriforme, parfois légèrement poisseuse, adhé-
rente aux tissus voisins, en sorte qu'il en résulte un
222 CHAPITRE I. — INFLAMMATIONS
liquide plus ou moins fluide, et non toujours adhéreM
etteuace, comme on l'a dit.
Souvent il s'y joint, sur les membres surtout, des
lignes rougesqui suivent les lympathiques, et des en-
gorgements douloureux de leurs ganglions qui annon-
cent l'inflammation des uns et des autres par voisi-
nage. Les phlegmasies diff'uses, et surtout celles qui
sont déclives, abandonnées à elles-mêmes, finissent
toujours ainsi, par suppuration et par ulcération, et
forment trois espèces d'inflammations distinctes:
1° La cellulo-dennite ulcéreuse;
2° La cellido-dermite diffuse;
Z^ V inflammation diffuse profonde.
Mais aucune ne s'accompagne de symptômes ma-
nifestes et constants d'empoisonnement, pas même
celles qui sont produites par des blessures de dissec-
tion, en sorte que tout ce que l'on dit de leur empoi-
sonnement est faux dans beaucoup de cas.
i" La cellido-dermiie ulcéreuse est une phîegmasie
légère, peu étendue ou d'une étendue médiocre, peu
ou pas difi'use réellement, mais essentiellement pro-
duite par le concours de la déclivité et d'une lésion
physique légère 5 c'est parfois la simple égratignure
de la peau par les ongles ou une contusion. Elle se
termine par l'ulcération et la suppuration de la sur-
face, ou de l'épaisseur de la peau et du tissu cellu-
laire sous-cutané. Nous la décrirons en particulier à
l'occasion des maladies des jambes avec les ulcères
des jambes, parce qu'elle en est la cause la pluscom-
amne.
2° La celluLo - dermiie diffuse s'étend davantage.
Elle se montre dans le tronc, mais surtout dans les
deux tiers inférieurs des membres supérieurs et infé-
rieurs par le concours de la déclivité. Le gonflement
qu'elle présente d'abord, accompagné d'une infiltra-
DIFFUSES ET DÉCLIVES. 223
tion œdémateuse considérable, devient bientôt mou,
spongieux au toucher, comme de la filasse mouillée,
conserve l'impression du doigt, et passe alors à la sup-
puration. La rougeur de la peau est évidente, et pré-
sente surtout de longues traces rouges, rubanées ou
linéaires, qui suivent le trajet des vaisseaux lympha-
tiques enflammés, et aboutissent aux ganglions gonflés
où se rendent ces vaisseaux. La douleur est vive sur les
points rouges et dans les ganglions lymphatiques, lors
même qu'ils ne sont pas gonflés. Souvent à ces symptô-
mes se joignent les phénomènes et les altérations de ré-
traction décrites plus haut. Du sixième au quinzième
jour, le tissu cellulaire, déjà infiltré de lymphe plasti-
que, s'infiltre de gouttelettes miliaires de pus qui
grossissent chaque jour, qui se confondent avec les
gouttelettes voisines et forment de petits abcès. Alors
la mollesse spongieuse de la partie est plus pronon-
cée; elle est sans élasticité et ne donne pas la fluctua-
tion franche des abcès circonscrits. Alors aussi se dé-
cèlent des ulcérations intéro-estérieures sous-cuta-
nées qui amincissent graduellement la peau, et la dé-
collent ordinairement sans y produire d'escarre, de
gangrène, comme l'a dit Dupuylren. On ne voit, en
efîet, que rarement, et par exception, des escarres
gangreneuses s'y former. Nous avons démontré {Pa-
thol. génér., p. 268) que la peau vit amincie, sans se
recoller, et cela dans des étendues considérables,
pendant des mois entiers. Si elle se perforait ordi-
nairement par gangrène, et par suite de la destruc-
tion de ses vaisseaux capillaires, détruits avec le tissu
cellulaire, comme le veut Dupuytren , c'est alors
qu'elle devrait se gangrener. Or, c'est précisément
ce qui n'arrive pas, dans la grande majorité des cas
du moins. On voit, au contraire, les points oii la peau
est le plus mince s'ulcérer successivement de dedans
22k CHAPITRE I. — INFLAMMATIONS
en dehors, comme on les a senti s'amincir.^ et le pus
s'écouler au dehors en entraînant des lambeaux de
tissu cellulaire plus ou moins considérables, que l'on
compare aux bourbillons des furoncles et de Tan-
Ihrax, et que l'on dit gangrenés. Nous discuterons
cet autre fait plus bas, et nous prouverons, je crois,
que ces bourbillons ne sont pas encore de la gan-
grène.
Cependant, à ces symptômes locaux et circon voi-
sins se joignent graduellement, et proportionnelle-
ment à l'intensité des phénomènes, à l'acuité de la
marche de l'inflammation et à son étendue, la foule
des symptômes de la fièvre sympathique des inflam-
mations, décrite un peu plus haut. De plus, il y a
de la constipation, et plus souvent du dévoiement,
par suite de l'inflammation intestinale qui aggrave
l'état du malade, et annonce que l'affection s'univer-
salise après avoir été locale.
Si l'inflammation et la suppuration sont vastes et
étendues, comme il arrive souvent; si, après qu'elles
ont décollé largement la peau, on ne sait pas leur oppo-
ser un traitement convenable, la fièvre peut diminuer
sans cesser, devenir chronique, hectique même, par
sa continuité, par ses exacerbations nocturnes, quoi-
que faibles; par l'épuisement, la maigreur qu'entraî-
nent la suppuration, une diarrhée et des sueurs con-
tinuelles. Alors le malade peut tomber dans le ma-
rasme et finir par succomber. Souvent, il résiste néan-
moins; mais la peau reste indéfiniment, des mois, plus
d'un an, ulcérée, trouée, décollée des aponévroses
sous-jacentes, sans que l'on puisse parvenir à cicatri-
ser les foyers par le repos, des injections, et une
compression appropriée persévérante. Il peut encore
rester des rétractions qui gênent les mouvements.
3° Les inflammations diffuses profondes présentent des
DIFFUSES ET DÉCLIVES. 225
caractères analogues à ceux de la forme précédente.
Elles peuvent avoir lieu spontanément, par trauma-
tisme seulement, ou en même temps par blessure et
par déclivité. Leurs symptômes locaux et circonvoisins
sont plus étendus et plus profonds. En même temps
qu'ils s'étendent ordinairement à la peau et au tissu
cellulaire sous-cutané, comme dans le cas précé-
dent, ils deviennent plus profonds, des douleurs
interrausculaires se manifestent sous les aponévroses
d'enveloppe qui étranglent les parties enflammées.
Quelquefois il n'y a pas de symptômes inflammatoires
cutanés ou sous-cutanés d'abord, mais ils ne tardent
pas à se développer. 11 y a une tuméfaction séreuse
avec sécrétions organisables considérables, puis une
fièvre sympathique intense. Bientôt, ordinairement
vers le sixième jour environ, mais parfois plus tard,
la suppuration et l'ulcération du tissu cellulaire s'é-
tablissent et augmentent en même temps. La suppu-
ration commence , comme dans les phlegmons cuta-
néo-cellulaires diffus, par gouttelettes et dans une
foule de points divers; les foyers finissent par se
réunir en grande partie, à mesure qu'ils augmentent
de volume. Par suite de cette suppuration multiple
et de l'ulcération intéro-extérieure qui l'accompagne
et qui s'étend, des fragments de tissu cellulaire en-
tièrement isolés ou en grande partie séparés de toutes
les parties voisines se détachent en bourbillons spon-
gieux, mous, comme des boulettes ou des bour-
donnets d'étoupe ou de coton qui seraient imprégnés
du pus oii ils auraient été immergés 5 cependant l'ul-
cération continuant en mênie temps sa marche dé-
vorante, ronge, peu à peu la peau de dedans en
dehors, et la perfore successivement d'un plus ou
moins grand nombre d'ouvertures après l'avoir amin-
cie sans la gangrener, alors le pus s'écoule entraî-
15
22(5 CHAPITRE I. — INFLAMMATIOMS
nant avec lui les lambeaux du tissu cellulaire déta-
ché. On a coutume de dire que ces bourbillons de
tissu cellulaire sont du tissu cellulaire gangrené.
Cela se répète, surtout d'après Dnpuylren, à l'école
de Paris; c'est l'écho prolongé des paroles de ce chi-
rurgien célèbre. Je demanderai pourtant à présenter
quelques réflexions à ce sujet.
Sans doute les bourbillons du tissu cellulaire na-
geant dans le pus d'une suppuration diffuse, détachés
de toutes parts à leur circonférence, sont bien morts.
Si, cependant, Dnpuylren et ses échos ont voulu
exprimer que celte mort est une affection sem-
blable au sphaeèle d'un membre enflammé qui meurt
et se sépare ensuile par nne inflammation ulcérative
éliminatoire, il est très-probable qu ilsse sont trom-
pés. En effet, comime les ibo'urbillons du phlegmon
diffus s' écoulent d'eux-mêmes, avec la suppuration,
rien ne prouve (ju'ils ne soient pas sé()arés par une
ulcération circonférenlietle avant d'èlre morliûés, ab-
solument comme le bout d'un doigt eoui>é par aeei-
dent. Si, comme je le crois, la séparation du tissa
cellulaire en lambeaux s'est aecoujplie par ulcéra-
tion sans qu'il soit possible de prouver qu'il s'est d'a-
bord gangrené, croit-on qu'on puisse rapporter cet
accident à la gangrène? Ce ne serait pas plus raison-
nable, à mon sens, que si l'on rapportait à la gangrène
la séparalion d'une oreille par un eoup de sabre, et
sa mortification consécutive. De compte fait, la gan-
grène du tissu cellulaire, comme phénomène ordi-
naire dans les phlegrnasies et suppurations diffuses,
ne me paraît guère mieux prcHiTée pour le tissu cel-
lulaire que pour la peau. D'ailleurs ces bourbillons
mortifiés ne somt pas seulement formés par du tissu
cellulaire, ils le sont enc<>re par la Kmphe plastique,
infiltrée dans le tissu cellulaire, et par des portions
DIFFUSES ET DÉCLIVE?;. 227
fibreuses, musculaires ou autres séparées de leurs
tissus respectifs.
Les phlegmasies diffuses profondes downent lieu à
des rétractions des tissus blancs, de la peau, des
aponévroses, du tissu cellulaire, plus graves que
celles de l'espèce précédente. Souvent elles mutilent
les menabres et abolissent une partie de leurs mouve-
ments. On reconnaît ces rétractions quand la douleur
commençant à diminuer, après l'établissement delà
suppuration, on essaye de mouvoir les. parties ma-
lades, et que l'on ne peut y parvenir sans employer
beaucoup de force et causer beaucoup de douleur.
On les reconnaît bien mieux plus tard, quand il y a
gêne ou empêchement total des mouvements. Les
effets de la rétraction sont augmentés par la lymphe
coagulable infiltrée dans tous les tissus blancs du
membre qui en sont indurés.
En même temps que la peau a été dépouillée du
tissu cellulaire, ulcérée et amincie, les aponévroses,
leurs gaines musculaires ont été dénudées et les mus-
cles eux-mêmes disséqués , leur tissu charnu a été
érodé, quelquefois les os, surtout aux doigts ont été
nécrosés dans les inflammations connues sous le nom
de panaris. Les désordres anatomiques sont donc ex-
trêmes. L'observation suivante montrera un exemple
de ces altérations.
Obs. recueillie par M. Vialet, interne. Phlegmon diffus;
mort; rétractions fibreuses et cellulaires.
La nommée Euphrosine Davas, entrée à l'hôpital
de la Charité pour y être traitée d'une tumeur intra-
pelvienne , fut prise dès le lendemain d'un érysipèle
phlegmoneux à l'annulaire de la main droite. Cet
érysipèle s'étendit à l'avant-bras, et même un peu
228 CHAPITRE I. — INFLAMMATIONS
au delà du coude. Il y avait tuméfaction considéra-
ble, tension extrême étranglement des parties, et
inflexion permanente du coude. La maladie fut combattue
par les vésicatoires volants-, ensuite, on débrida à
l'aide de quelques incisions , qui suppurèrent abon-
damment; puis, nouveaux abcès, nouvelles incisions,
suppuration intarissable, décollements étendus, ul-
cération de dedans en dehors de la peau qui s'amin-
cit. Vers le 21 décembre, érysipèle à la joue droite,
qui s'étend au cuir chevelu et à la joue gauche. Au
rapport de l'interne, dont j'abrège ici l'observation,
il y a bientôt destruction de la peau , qui met à nu
l'articulation du coude, le dos de l'avant-bras et le
dos du carpe. A la longue, les aponévroses et les
gaines fibreuses des muscles sont détruites, les mus-
cles sont disséqués, leurs tendons dénudés s'exfo-
lient 5 d'ailleurs, absence de tout bourgeon charnu
réparateur, diarrhée colliquative, suppuration abon-
dante, maigreur extrême.
Le 18 janvier 1847, la malade passe dans mon ser-
vice. Aussitôt après son entrée, son membre est placé
dans l'élévation, sur un plan incliné ascendant; la
suppuration diminue sous cette influence; néan-
moins, la malade s'éteint deux jours après son pas-
sage en chirurgie.
L'autopsie du corps fut faite sous mes yeux, par
mon interne, M. Vialet, qui en rédigea ensuite les
détails. Je les abrégerai un peu. L'ouverture des trois
cavités splanchniques nous a permis de constater l'in-
tégrité des organes qu'elles renfermaient, à l'excep-
tion de l'utérus, qui formait une tumeur volumineuse
remplissant toute l'excavation du bassin, mais qui ne
nous intéresse nullement pour les faits que nous vou-
lons signaler ici.
Les désordres constatés à l'avant-bras de la ma-
DIFFUSES ET DÉCLIVES. 229
lade, pendant la vie, furent encore mieux étudiés.
Les muscles profonds étaient sains, les os n'avaient
point souffert, les articulations du coude et du poi-
gnet étaient restées intactes. On put observer sur
une large surface l'amincissement ulcéreux graduel
de la peau par sa face interne. Cette membrane vivait
depuis des semaines sans se gangrener, quoique dé-
pouillée de son tissu cellulaire sous-cutané sur une
grande longueur et sur une largeur de plusieurs cen-
timètres. Elle avait été rongée lentement par l'ulcéra-
tion, mais sans abandonner de lambeaux évidemment
gangrenés, et rongée tellement sur ses bords que ceux-
ci étaient réellement tranchants. Les muscles atrophiés
(surtout les superficiels) étaient sains, d'ailleurs,
dans leur partie charnue. Ils offraient un peu de ra-
mollissement et de pâleur sur le premier plan, là où
les aponévroses amincies, éraillées, les laissaient im-
biber par le pus. Toujours sur le plan superficiel se
voyaient les veines radiales, petites, revenues sur
elles-mêmes, presque vides de sang, mais épaissies
dans leurs parois et entourées d'un tissu cellulaire
condensé et friable. Toutes les gaines aponévrotiques
des muscles, vidées avec soin, parurent ternes et plus
épaisses qu'elles n'auraient dû l'être relativement au
corps des muscles grêles, flasques et décolorés, qu'elles
enveloppaient-, tout le tissu cellulaire interstitiel était
épaissi et friable, de moins en moins pourtant à mesure
qu'on pénétrait plus profondément 5 enfin, les tendons
présentaient un volume hors de proportion avec celui
des corps charnus. Ils étaient tendus, raidis comme
autant de cordes, et empêchaient le coude de s'ouvrir
complètement, si bien qu'il fallut pour y parvenir les
couper tous. A mesure que cette section s'opérait,
l'avant-bras reprenait graduellement sa faculté d'ex-
tension normale. Cette extension pourtant ne fut pas
230 CHAPITRE l. — INFLAMMATIONS
complètement possible tant qu'on laissa rarticulation
du dorade entourée de ses moyens d'union. La syno-
viale et le tissu cellulaire qui la double présentaient
un aspect terne, un épaississement et une résistance
à l'extension du coude tout à fait remarquables. Mais
le tissu fibreux pré-articulaire (ligament antérieur)
parut surtout hypertrophié relativement aux autres
tissus, et sembla maintenir te reste de flexion, observée^
car, une fois cette couche divisée, l'articulation s'ou-
vrit complètement.
Cotte observation montre trop clairement comment
rintlammation a amené la flexion permanente de
Tavant-bras chez cette malade par la rétraction des
tissus blancs : tissu cellulaire, gaîiies aponévrotiques
des muscles, tissu cellulaire sous-synovial, ligaments
et synoviale elle-même, pour que j'aie besoin d'y
insister. Elle éclaire davantage encore la science sur
les phlegmasies diffuses et déclives des deux tiers
inférieurs des membres, sur le véritable caractère de
leurs ulcérations cutanées, qui, encore une fois,
ne sont presque jamais gangreneuses. Si alors la
peau se perfore, c'est généralement par ulcéra-
tion, molécule à molécule, et non par escarre, par
lambeaux mortifiés qui se détachent , bien que
le tissu cellulaire se sépare et s'échappe par bour-
billons, par flocons, à travers les ulcérations de la
peau.
Cependant l'inflammation, diminuée depuis la for-
mation du pus, continue sourdement, ainsi que la
suppuration -, il survient du délire, les forces se per-
dent, les viscères digestifs déjà sympathiquement
malades, s'aftèctent davantage, comme dans la cel-
lulo-dermite difli'use, aggravent la maladie locale qu'ils
compliquent, et bientôt le dévoiement s'unissant aux
pertes causées par la suppuration le malade succombe
DIFFUSES ET DÉCLITES. 231
plus tôt, ou plus tard, dans un amafgrîssement, un
marasme plus ou moins profonds, avec fièvre hecUque
eonsomptive devenue essentieHe de sympalliique
qu'elle était primitivement.
Biagnoulc. — C'est d'abord celui de l'inflammation
compliquéed'un œdème prononcé, puis celui de la sup-
puration qm se caractérise un peu plus tôt ou un peu
plus tard par une mollesse des tissus spongieuse, sans
élasticité et non évidemment fluctuante. Ce qui fait
reeoanaître eufin ces inflammations et suppurations
déclives, c'est l'ensemble de leurs caractères. La dé-
clivité ordinaire de leur situation , les blessures dont le
concours les a si souvent déterminées, leur marche
progressivement croissante, l'existence des foyers
multiples de suppuralion qui finissent par se réunir,
l'ulcéralion de la peau de dedans en dehors, etc.
On distingue celles qui tiennent en même temps à
H*ne diathèse, à leur développement spontané, sans
blessure, ni violence mécanique et parfois à la gra-
vité de leur marche.
O'n ne confondra pas les inflammations déclives
avec un œdème des parties déclives, parce qu'alors
le gonflement n'est accompagné ni de rougeur, ni de
tension, ni de douleur, ni de chaleur, ni de fièvre.
On ne lese(mfondra pas non [)lusavee un érysipèle
ambulant qui serait venu de plus ou moin'? loin dans
les deux tiers inférieurs des membres, parce que
celui-ci ne tiendrait primitivement en aucune ma-
nière à la déclivité, et ne serait pas compliqué de
gonflement œdémateux et de sensation mollasse et
spongieuse au toucher.
Qu'arriverait-il, cependant, si le malade alors,
marchait au lieu de rester couché ? je l'ignore. Je n'en
ai jamais fait l'essai. Le mal se guérirait-il comme un
érysipèle ambulant étendu derrière le dos qui guérit,
232 CHAPITRE I. — INFLAMMATIONS
bien que le malade reste couché sur le dos et que l'é-
rysipèle occupe alors une région basse? Je l'ignore
encore, mais comme dans ce dernier cas, du dos à la
partie antérieure du tronc il y a peu de distance, on
conçoit que l'influence de la pesanteur des colonnes
sanguines ne doit pas être fort active. Néanmoins on
ne peut pas en conclure que l'érysipèle ambulant par-
venu aux jambes s'y fixerait,- que l'inflammation s'é-
tendrait au tissu cellulaire et entraînerait la suppura-
tion et l'ulcération, si le malade, en ayant la force,
marchait et se tenait debout, sept ou huit heures par
jour. Cependant cela ne manquerait pas, je crois,
d'arriver dans certains cas.
Au reste si l'érysipèle se compliquant d'inflamma-
tion diffuse sous la peau était méconnu d'abord, il fau-
drait être bien ignorant pour le méconnaître au mo-
ment de la suppuration, quand la peau déjà ulcérée
en dedans s'amincit, ou quand elle s'ouvre et vomit
avec le pus des bourbillons de tissus érodés.
Le pronostic des inflammations et suppurations dé-
clives et diffuses est grave et même très-grave lors-
qu'elles sont abandonnées à elles-mêmes. Mais la
gravité diminue d'autant plus qu'elles sont plus su-
perficielles, moins étendues, plus promptement sous-
traites à l'action de la déclivité, mieux comprises et
mieux traitées, parce qu'on peut souvent leur oppo-
ser un traitement très-efficace par l'élévation. Néan-
moins cette efficacité est fondée sur l'époque de leur
marche à laquelle on est appelé pour les combat-
tre. 11 est bien évident d'ailleurs que la cellulo-
dermite ulcéreuse en particulier n'a que peu de
gravité et ne compromet pas la vie^ que la cellulo-
dermite diffuse est déjà très-dangereuse -, mais que
toute inflammation diffuse profonde est beaucoup plus
grave encore.
DIFFUSES ET DÉCLIVES. 233
Traitement. — 1° Dans les lésions légères ou graves
qui précèdent si généralement les plilegmasies dif-
fuses dans les parties déclives, il faut prévenir le mal
par l'élévation ou l'horizontalité de la région, par
l'application d'un petit linge cératé sur la blessure
et d'un cataplasme par dessus. Ces moyens me pa-
raissent seuls indiqués en général dans les blessures
dites anatomiques. Si j'avais des raisons de croire la
blessure envenimée, j'y fer.iis des incisions et je cau-
tériserais.
2° Dans la période inflammatoire et œdémateuse
la compression est indiquée. M. Bretonneau , puis
M. Velpeau, ont successivement étudié son action
contre les inflammations de la peau et du tissu cellu-
laire sous-cutané. Lorsque l'inflammation y est d'une
intensité modérée, que la sensibilité des tissus en
soufl'repeu, la compression peut amener la résorption
de l'œdème et la résolution de la phlegmasie. Mais
pour peu que la compression soit trop forte, elle aug-
mente le mal au lieu de le diminuer. C'est donc un
moyen à surveiller afin d'être tout prêt à l'enlever
s'il irrite.
L'élévation de la partie malade, le plus haut possible,
est moins dangereuse pour la partie enflammée et
produit parfois, en quelques heures, des diminutions
de volume et des phénomènes de résolution miracu-
leux. Néanmoins on fait bien d'y associer les anti-
phlogistiques, la saignée, les ventouses scarifiées, les
sangsues et les émollients sous forme de cataplasmes,
de lotions et même de bains, quand la partie peut
être aisément tenue immergée ; des irrigations fraî-
ches ou tièdes peuvent être aussi indiquées. Les ponc-
tions multipliées proposées par Dobson sont un moyen
utile et préférable aux incisions profondes et multi-
pliées de Hutchinson, quand le mal, sans céder aux
234 CHAPITRE I. — INFLAMMATIONS , ETC.
premiers moyens, n'est pas trop iofense. Dans le cas
contraire, où il y a de la tension dans la partie,
étranglement possible par des aponévroses ou des
gaines fibreuses, des incisions profondes sont néces-
saires. Les incisions superficielles de Béelard son!
insuffisantes.
.Je n'ai pas assez de confiance dans le vésicatoÏFe
pour le vanter contre cette grave affection. A ces
moyens il faut joindre des pansements contentifs,
préservatifs et calmants par leur action.
3" Dans la période de suppuration l'élévation et les an-
tiphlogistiques, employés seuls, sont insuffisants.
Parfois l'élévation fait fuser le pus vers les parties
supérieures. Il faut au moins y joindre des ponctions
et des incisions pour évacuer le pus faeilemeKt. Elles
doivent être assez profondes pour atteindre le fond
des foyers, et surtout ouvrir les gaines fibreuses des
muscles dont l'anatomie révèle la connaissance. (V.
mon Anatomie des formes, où ces garneS sont décrites,
p. 163, 169, 180, 205, 232, 249, 263, 278, 304.) Les
pansements doivent agir comme dans la période in-
flammatoire et être en outre détersifs et cicatrisants.
(Voy. Pathol. génér., p. 6â5 et suiv.)
4° Dans la période coUiquative : traitement de la fiè-
vre hectique et dans les cas où la peau, les aponé-
vroses, etc., décollées, amincies, ne peuvent se réu-
nir aux tissus voisins : excisions-, dans les cas où l'on
ne peut conserver un membre : amputation.
Pour le traitement général, suivez les règles du
traitement de la suppuration.
Pour V historique, voyez Pathologie générale, ce qui en
a été dit, à la page 274.
CHAPITRE II
!Diniin«itiaii 9 susiiensiora des actes, ou extinc-
tion des facisttés de la vie. — Syncope, KMCtocn-
mSrSESISn'rS et MORTBEICATIOiWS OU CV.^IVCilSÈ.'VF.S*
Nous rapportons à ces affections, comme nous l'a-
Tons dit dans la Pathologie générale, l'asphyxie, dont
je ne veux point parler, la syncope, qui intéresse la
chirurgie comme la médecine, et dont je veux recti-
fier la théorie physiologico-pathologique, les engour-
dissements partiels ou généraux par commotion ou
par contusion, par froidure, et les gangrènes.
L. De la syncope.
Affaiblissement qu'on nomme une faiblesse, suspen-
sion, trouble partiel ou total de presque toutes les
fonctions et surtout suspension des sensations, de la
connaissance et des mouvements volontaires.
Symptômes. —Ils consistent dans des troubles de sen-
sations, des malaises généraux ou locaux de froid, de
douleur, de frisson avec horripilation; des étourdis-
sements, des obscurcissements de la vue, des bour-
donnements d'oreilles, des sensations d'oscillation,
de défaillance qui entraîne Taffaissement des mem-
bres et du corps qui tombe, l'affaiblissement de la
respiration, des battements du cœur et du pouls, avec
pâleur et sueur froide à la surface de la peau. Quel-
quefois il y a écoulement involontaire des /ères et des
urines, enfin ordinairement retour à la connaissance et
à la santé après quelques minutes, dans certains cas une
236 CHAPITRE II.
OU plusieurs heures, enfin très-rarement mortconsécti-
tive à ces symptômes et sans retour à la connaissance.
Véûologie de la syncope est encore obscure et in-
exactement exposée, surtout pour ce qui regarde sa
physiologie pathologique ou son mécanisme. Gullen
rapporte les causes éloignées de la syncope à celles
qui résident et agissent dans le cerveau ou dans les parties du
corps éloignées du cœur, mais qui agissent sur cet organe par
l'intervention du cerveau; les autres à celles qui existent dans
le cœur même ou dans des parties qui lui sont immédiatement
unies {Méd. prat. trad. par Bosquillon, revue par De-
lens, t. III, p. 368) , comme les gros vaisseaux. Bichat
l'explique par la suspension de l'action du cœur. C'est
le cœur qui, en s" interrompant le premier, détermine par sa
mort momentanée le défaut d'action du cerveau. {Rech. sur la
vie et la mort, part. Il, art. v.) M. Piorry en trouve la
cause dans le défaut de sang et non dans le défaut d'action du
cœur. (Mém.jp. 238.) Gullen, Bichat et M. Piorry n'é-
noncent rien d'absolument contraire à la vérité, mais
ils n'indiquent pas toutes les causes d'un phénomène
qui en a plusieurs, et ils ne montrent pas comment,
chacune agit. C'est là ce que je me propose de mon-
trer, sans prétendre dissiper toutes les obscurités de
ce sujet. Rappelons donc les principales causes de la
syncope que l'observation fait connaître, comment et
par quels mécanismes elles agissent.
Causes. — 1° Sensations vives, pénibles ou agréables,
produites par une blessure, par un chatouillement,
par la volupté, par la sensation consécutive à l'éva-
cuation brusque d'une hydropisie, par la faiblesse et la
fatigue musculaire, par une vive lumière en sortant
du séjour prolongé dans une prison obscure, par des
bruits de cloche, de scie, de grattoir sur la pierre, des
odeurs fétides, antipathiques, des excitants particu-
liers, dégoûtants, par diverses maladies intérieures,
DE LA SYNCOPE. 237
surtout dans les organes respiratoires, circulatoires
de la poitrine, qui sont la source de sensations va-
riées 5 2" émotions ou passions pénibles ou agréables
à l'annonce brusque d'une nouvelle intéressante, in-
attendue; 3° maladies du cœur et des gros vaisseaux,
hypertrophie, amincissements des parois du cœur,
resserrement de ses orifices, des gros vaisseaux voi-
sins, etc., qui gênent la circulation; 4° état de fai-^
blesse de l'économie, par suite de la constitution, de
l'âge, du sexe, d'une maladie actuelle plus ou moins
ancienne et prédisposition individuelle à la syncope;
5° hémorrhagie extérieure ou intérieure et perte et
insuffisance de sang pour la santé.
V mécanisme. — Ordinairement la syncope sur-
vient sous l'influence d'une sensation spontanée ou
provoquée par un agent physique. Or, voilà une pre-
mière cause et une cause initiale de syncope, qui la
produit le plus souvent en déterminant en outre une
émotion, une passion également pénible ou agréable.
Cette passion devient une cause secondaire en oc-
casionnant la perte de la connaissance et le trouble
de l'innervation ou de la nervation. Ces deux derniers
phénomènes deviennent immédiatement à leur tour
une troisième et une quatrième causes de la syncope
en entraînant, le premier et le second, la défaillance
musculaire et l'impuissance des mouvements; les
troubles de la vision, de l'audition, des malaises lo-
caux ou généraux, une sueur froide, l'irrégularité,
l'afiaiblissement, la suspension momentanée des mou-
vements du cœur et de la respiration, etc. Pourrait-
on, oubliant, à l'exemple de Bichat, que tous ces phé-
nomènes d'asthénie succèdent immédiatement à une
émotion, se demander si l'état des mouvements du
cœur et les troubles circulatoires ne seraient pas la
cause des étourdissements, des bourdonnements d'o-
238 CHAPITRE II,
reille, du refroidissement, de Ja pâleur géaérale, et
même de la défaillance des forces musculaires et de
i'affaissemeot des membres et du corps? Mais 4° alors
les troublées circulat^iires du cœur en produiraient,
dans les autres fonctioûs, de bien plus considérables
que les leurs-, 2° l'influence des mouvements du cœur
affaiblis, violents ou désordonnés dans les maladies,
dans les gr^inds efforts, sur l'ensemble des fonctions
dans tous les instants de la vie, est si variable que je
ne f)uis l'admettre comme causes de syucope, quoique
les palpitations puissent commencer une syncope par
le malaise qu'elles produisent; 3° tous ces phénomè-
nes d'asthénie sont tellement proportioinnés et liés à
la vivacité des passions, que je ne puis les attribuer
qu'à l'inervation et non aux mouvements du cœur;
.4° el puis comment, raisonnablement, attribuer tous
ces troubles 4e la nervation qui éclatent ainsi subite-
ment et simultanément dans toutes les fonctions sous
l'influence d'une émotion à quelques pulsations du
cœur aflaiblies ou manquées, lorsqu'on les voit inter-
rompues, affaiblies, irrégulières, intermittentes pen-
dant bien plus longtemps dans les maladies sans causer
souvent ni malaise, ni défaillanee musculaire, ai pà^
leur, ni sueur froide? 6° les troubles du eœur sont siévi-
deniment produits eux-mêmes à chaque iastaai-t par
les troubles de l'inervation, si évidemment seinsblahles
à tous ceux d'asthénie qui se développent avec eux et
les accompagnent, qu'il serait ridicule de disoulei*
plus longtemps pour prouver que tous les eflets :as-
lh('vniques de la syncope, troubles du cœur, sueur
froide, pâleur générale, défaillance musculaire, tien-
nent également au trouble de la nervation.
6° Néanmoins, les irrégularités, l'aifiaiblissement
des mouvements du eœur, leur suspension plus ou
moins prolongée, forment ceitainement une cin-
DE LA SYNCOPE. 239
quiènie cause très-ag:gravaote de la syncope; c'est
celle que Bichat a signalée comme antérieure à toutes
les autres {Rech. sur la vie et la mort, W part., art. v),
que, d'ailleurs, il n'a point analysées. Mais l'analyse
des actes élémentaires d'un phénomène complexe
n'existait pas encore en physiologie et n'existe guère
plus aujourd'hui, quoique j'aie tenté de l'y intro-
duire en 1821 {Analyse des phénom. de la vie; chez
Baillère aîné).
Celte cinquième cause des troubles de l'action du
cœur en entraîne une sixième, l'insuffisance du sang
pour le cerveau et les centres nerveux. C'est celle
qui a justement et surtout frappé M. Piorry; c'est
celle qu'il signale comme la vraie cause de la syn-
cope, et qui en est au moins la cause définitive. Son
influence est surtout démontrée par l'efficacité cu-
rât! ve du retour du sang au cerveau. Si, en effet, on
favorise ce retour en couchant le malade, et surtout
en abaissant la tête en même temps qu'on élève les
extrémités, le malade revient presque toujours im-
médiatement à lui-même et se rétablit.
2® mécanisme. — Il diffère du précédent en ce qu'il
commence, non par une sensation, mais par une
émotion pénible ou agréable et continue, comme le
précédent, |par un trouble de la nervation, par les
troubles locaux et généraux simultanés^ enfin, par
l'insuffisance du sang dans les centres nerveux. Ce
mécanisme est un peu plus simple que le précé-
dent, parce qu'il n'y a pas de trouble initial de sen-
sation.
3* mécanisme. — Il commence par une lésion des or-
ganes centraux de la circulation, qui gêne et trouble
la circulation du cœur, des gros vaisseaux, quelque-
fois par l'évacuation brusque d'une hydropisie, qui
permet au sang de se porter dans les organes aupa-
240 CHAPITRE II.
ravant comprimés par l'épaDchement. Par suite de
ce premier trouble circulatoire, il y a presque tou-
jours sensation pénible, locale et générale 5 parfois
émotion pénible de crainte ou d'effroi, puis perte de
connaissance, trouble plus profond de la nervation,
et epfin insuffisance du sang dans les centres nerveux.
Dans ce mécanisme, les phénomènes initiaux diffèrent
de ceux des deux premiers 5 mais les sensations péni-
bles sont des éléments qui ne manquent pas et qui
évidemment concourent à l'accomplissement de la
syncope.
4^ mécanisme. — Celui-ci a beaucoup d'analogie avec
le précédent. On l'observe chez certaines personnes
faibles, chloroiiques , chloro-anémiques, affaiblies
par une maladie et qui au moindre effort se trouvent
mal. Alors la syncope débute par une sensation de
faiblesse, puis par des palpitations qui s'influencent
réciproquement 5 puis surviennent en même temps la
défaillance, la perte de connaissance, l'augmentation
des troubles du cœur, et bientôt l'insuffisance du
sang dans les centres nerveux.
ô* mécanisme. — Celui-ci s'observe dans les syncopes
qui arrivent par la rupture, la blessure d'un gros
vaisseau, par une hémorrhagie enfin qui produit l'in-
suffisaoce du sang dans les centres nerveux, que
l'hémorrhagie soit extérieure ou intérieure. Quoique
ce mécanisme soit en apparence le plus simple et
fort différent des autres à son principe, les sensations
de malaise, les troubles de la nervation, l'irrégularité
et l'aflaiblissement des battements du cœur, la perte
de connaissance et les autres symptômes asthéniques
n'y manquent pas encore.
Tous les phénomènes de la syncope, ainsi qu'on a
dû le voir, sont en même temps causes et effets. Suc-
cessifs d'abord, ils concourent à la fois à s'engendrer
DE LA SYNCOPE. 2^1
les uns les autres dans l'ordre de leur précession et
à constituer bientôt la syncope par leur simu'.lanéité
définitive. Ils n'agissent d'ailleurs ni de la même
manière, ni avec la même énergie, et les causes
qu'ils forment sont différentes. Or, c'est précisément
ce que la physiologie pathologique doit distinguer et
signaler.
1° Ainsi nous venons de le voir, tantôt c'est une
sensation pénible qui ouvre la scène 5 2° souvent une
émotion suit, quelquefois elle débute, d'autres fois
elle manque; puis viennent 3° la perte de connais-
sance, et 4° les troubles asthéniques de la nerva-
tion. Dans certains cas, à" la syncope commence par
les troubles du cœur et une ou plu^eurs sensations
de malaise, d'étouffement, de faiblesse, etc., dues à
des obstacles à la circulation, d'autres fois par une
sensation de faiblesse du sujet, par un effort au-dessus
de ses forces, et toujours 6° l'insuffisance du sang dans
le cerveau et les centres nerveux paraît être le der-
nier phénomène et la dernière cause qui accomplit la
syncope et la prolonge jusqu'à ce qu'elle se dissipe
spontanément ou enlraîne la mort.
La résurrectionnelle influence du retour du sang
au cerveau, favorisée par l'horizontalité du corps ou
l'abaissement de la tête, prouve bien que l'affaiblis-
sement et la cessation des battements du cœur con-
courent encore à produire la syncope par l'insuffi-
. sance du sang qu'ils envoient au cerveau.
La suite même le prouve également. En effet,
quand, au bout d'un certain temps, la sensation,
l'émotion, le trouble de la nervation se sont dis-
sipés en partie, par la perte de connaissance et la
suspension de l'action du cerveau; quand le sang,
rapporté au cœur par l'activité continuée des vais-
seaux, l'a excité et en a réveillé les battements, le
16
242 CHAPITRE II.
cerveau, qui n'est pas mort, tendant aussi par la fa-
culté médicalrice qui l'anime, comme presque tous les
organes malades, à se rétablir, voit le flambeau de
son intelligence se rallumer sous l'influence du sang
que le cœur lui envoie avec plus d'abondance, comme
l'intelligence reposée se réveille avec la lumière et
les bruits du jour.
Ainsi, le phénomène complexe de la syncope se
compose de cinq phénomènes élémentaires au moins,
qui forment cinq causes, dont l'action successive pa-
raît nécessaire au complet accomplissement de la syn-
cope.
Espèces. Il résulte de ce que nous avons dit qu'on
doit distinguer au moins cinq modes de syncopes :
1° par sensation 'initiale; 2" par émotion initiaîcj
3° par faiblesse corporelle ou muscu'aire ; 4° par
maladie du cœur et des gros vaisseaux ; ô° par hé-
morragie.
Lorsque le diagnostic de la syncope est rendu facile
par la réunion des caractères exposés, il n'y a pas
de diagnostic dislinclif à établir. Dans les cas con-
traires, on peut avoir à la distinguer de plusieurs
maladies , de la congestion cérébrale et de l'apo-
plexie, de la léthargie et de l'asphyxie, ce que je n'ai
pas à faire ici. Je dirai seulement que l'influence
résuri ectionnelle de l'abaissement de la tête au-des-
sous du niveau des membres et du corps est un signe
à la fuis caractéristique et distinctif de la syncope.
Quant aux diverses espèces de la syncope, on les
distinguera par l'étude de leurs causes. On recon-
naîtra aussi en particulier la syncope hémorragique
aux convulsions de la face ou des membres qui l'ac-
compagnent assez fréquemment.
Le pronostic de la syncope n'est pas grave en géné-
ral, parce qu'elle est rarement mortelle, surtout
DE LA SYNCOPE. 243
dans les premières espèces ; mais il s'aggrave dans la
troisième, surtout dans la quatrième, et il se confond
avec celui de l'hémorragie dans les syncopes hé-
morragicjues.
Traitement. — Malgré une santé que l'étude, la
retraite, et par suite le défaut d'exercice troublent
souvent, je n'ai jamais pu tomber et me mettre
en état de syncope qu'une fois en ma vie. C'était
vers 1821. J'avais un panaris au pouce gauche;
je voulais essayer de le faire avorter par une saignée
poussée jusqu'à la lipothy mie , pour prévenir la néces -
site d'une incision. Quoique je connusse bien alors
l'influence de l'élévation et de l'abaissement de la tète
sur la circulation du cerveau, je ne savais pas encore
que je pouvais arrêter ce panaris par l'élévation
continue de la main. Voyant après une énorme
saignée que la syncope n'arrivait pas, et craignant
de me dépouiller de trop de sang, j'imaginai de me
lever debout pour amener la lipothymie. Je parvins
à la produire, mais elle était incomplète : j'éprou-
vais un grand malaise, des bourdonnements d'o-
reilles, je n'y voyais plus et j'avais été obligé de me
rasseoir. Comme cet état désagréable persistait, se
prolongeait, je fus pris de coliques et d'envie in-
volontaire de garde-robe. Alors je priai l'ami, M. le
docteur J. Theuîier* qui me donnait ses soins, de
me coucher sur le tapis du foyer pour faire cesser
les sensations pénibles que j'éprouvais. A peine
fus -je couché sur le dos que les bourdonnements
d'oreilles cessèrent, que je distinguai la lumière et
que le malaise se dissipa. Il n'y a généralement pas
de traitement plus efficace, si ce n'est l'abaissement
de la tète et l'élévation des parties inférieures.
Si cependant il ne réussissait pas, surtout dans les
syncopes qui n'ont pas une hémorragie pour cause
2hh CHAPITRE II.
initiale, il faudrait bien recourir aux excitants de la
ventilation, de l'air froid ; aux frictions faites avec le
vinaigre sur le front, les tempes; aux excitations
produites en faisant respirer des vapeurs vinaigrées
sur une compresse, une éponge, placée sous les
narines 5 et même pendant une seconde au plus, par
le même moyen des vapeurs ammoniacales ; aux exci-
tations du chatouillement des narines, de la plante
des pieds; enfin, à des excitations produites par
l'électricité ou même par la vésication ammoniacale
et des cautérisations superficielles. Si tout cela étant
impuissant, le corps restait froid, le cœur immobile
et silencieux, il n'y aurait plus guère à espérer, car
on ne peut pas compter sur les miracles.
Lorsque, au contraire, le malade se rétablit, ce
qui est le cas ordinaire, il doit rester couché, puis
assis jusqu'à ce que ses forces soient suffisantes pour
lui permettre de marcher sans crainte de retomber
encore en syncope, surtout quand il y est tombé par
faiblesse musculaire, par maladie du cœur ou par
hémorragie.
IL Des engourdissements morbides.
Affections caractérisées par l'engourdissement plus
ou moins considérable de plusieurs des facultés de
sentir, des facultés perceptives et afi'ectives , des
facultés de contraction, etc.
Ces affections qui se développent sous l'influence du
froid, de la contusion et de la commotion, sont plus
ou moins étendues et locales ou générales. De là plu-
sieurs espèces que nous décrirons, les unes avec la
contusion ou la commotion, les autres sous le titre
Ae froidures parmi les lésions chirurgicales.
DE LA GANGRÈNE. 2/^5
Iir. De la Gangrène et des affections gangreneuses,
La gangrène n'est pas seulement l'extinction dé-
finitive des phénonaènes de la vie, mais des facultés
vitales, dans la partie qui en est atteinte. On donne
aussi le nom de gangrène à l'ensemble des actes suc-
cessifs qui conduisent à la mortification et qui gué-
rissent la plaie consécutive. Enfin, on le donne parfois
à la disposition morbide particulière qui paraît en être
souvent la cause principale. Vescan-e est particulière-
ment la mort d'une couche plus ou moins épaisse des
parties molles; \e sphacèle, la mort de toute l'épais-
seur d'une partie, d'un membre, par exemple; la né-
crose, la mortification du tissu osseux.
Causes individuelles. — Disposition morbide gangre-
neuse, d'où gangrène diathésale ou locale, d^ oh gangrène
spontanée , diathèse gangreneuse; causes débilitantes ,
vieillesse , d'oîi gangrène sénile, affections morales
tristes, découragement des armées après une suite de
défaites ou pendant les ennuis d'un long siège ; veilles,
fatigues excessives; excès vénériens; maladies anté-
rieures prolongées, surtout quand elles ont exigé un
régime débilitant, ou qu'elles ont porté une atteinte
profonde à la constitution, en un mot, toutes les
causes qui épuisent et affaiblissent; interruption,
troubles ou seulement gêne de la circulation du sang
ré.sidant suivant les auteurs dans le cœur, dans les
artères, parfois dans les veines, dans les capillaires,
et paraissant produits par des compressions, des ré-
trécissements, des oblitérations des organes circula-
toires; quelquefois inflammations violentes, agissant
suivant quelques-uns par l'oblitération des capillaires
de la partie, d'oii gangrènes aif/Mës; affaiblissement ou
perversion de l'innervation résidant soit dans le cer-
veau, soit dans la moelle ou les nerfs qui se distribuent
2/t6 CHAPITRE II.
à une partie paralysée, dans ces derniers cas coïnci-
dant avec d'autres causes, comme la compression;
éloignement du centre circulatoire,, comme cela
existe pour les mains, et surtout les pieds; maladies
graves, surtout les fièvres typhoïdes, la variole, la
peste; enfin afi'ections scorbutiques, infiltrations sé-
reuses de l'anasarque, etc., qui peuvent être des
symptômes au lieu d'être des causes de gangrène.
Causes extérieures, actions physiques ou chimiques de la
foudre, des corps solides, liquides ou gazeux, à une
température très-élevée (^ra/we), ou très-basse {con-
gélation); actions chimiques des caustiques et escarroti-
ques; actions mécaniques, contusions, compressions
énergiques plus ou moins prolongées; constriction,
étranglement d'une partie saine ou malade ; ingesta
nuisibles, alimentation mauvaise par ses qualités ou
son insuffisance; épauchements et, infiltrations, dans
les tissus, de matières organiques irritantes, comme
les fèces, les urines; virus du charbon et de la pus-
tule maligne; venin des serpents (vipères, najas=, cro-
t;ales, etc.); intoxication par l'ergot du seigle; vicia-
tion de l'atmosphère par l'encombrement.
Ces différentes causes n'agissent pas toutes de la
même manière ; les unes sont simplement prédispo-
santes; d'autres softt efficientes. Nous insisterons sur
ces différences en parlant des formes de la gangrène
suivant les causes.
Caractères matériels. — La gangrène est unique ©a
multiple, et muitiple par accident ou par diathèse;
elle existe à rextérieur ou à l'intérieur, d'où gan-
grètte internée, externe. Elle se manifeste plus sou-
vent aux membres, et surtout à leur extrémité infé-
rieure, qu'au tronc. Les anciens, qui attribuaient à
la gangrène toutes les ecchymoses, les infiltrations
sanguines ou noirâtres et les ramollissements , ont
DE LA GANGRÈNE. 247
beaucoup parlé de gangrènes internes ou viscérales,
qui n'existaient pas. Les anatomo-pathologistes mo-
dernes ont fait justice de ces erreurs. On peut même
dire que la gangrène est plus rare qu'on ne le croit
encore aujourd'hui -, que si les poumons et l'intestin
en sont parfois affectés, la gangrène du cerveau, du
foie, des reins, du cœur, etc., est excessivement rare.
Les parties qui en sont le plus fréquemment atteintes
sont la peau, les muqueuses inléro-estérieures, le
tissu cellulaire, les muscles. Les parlies fibreuses ré-
sistent assez énergiqnement à l'envahissement d'une
gangrène progressive: mais c'est surtout le tissu ar!é-
riel qui s'y montre réfradaire. Ainsi on voit très-fré-
quemment, à la chute des escarres profondes, les ar-
tères dénudées, mais respectées, épaissies seulement
par l'inflammation éliminatoire.
La mortification peut être irès-étendue ou étroite-
ment circonscrite; limitée à la peau et au tissu sous-
jacent, former des escarres plus ou moins épaisses,
s'étendre plus ou moins profondément, ou même
sphaceler toute l'épaisseur d'un membre. La partie
frappée de mort est ou non circonscrite par une ligne
rouge inflammatoire, qui la sépare des parties vives.
La circonscription en est plus ou moins irrégulière.
La couleur est très-vaiiable, le plus souvent d'un
brun noir, quelquefois brunâtre, comme la suie, ou
violacée ; elle est dans des cas plus rares d'un jaune
pâle ou d'un gris sale, plus rarement encore tout à
fait blanche, comme dans la congélation. (V. 1"^° Mo-
nogr., p. .374, au bas.) La gangrène exhale une odeur
particulière, mi generis, et reconnaissable pour celui
qui l'a sentie avec attention. La consistance d'un tissu
gangrené est molle, flasque ou ferme et sèche, d'où
les gangrènes sèche et humide.
Structure. — Les tissus gangrenés sont d'ailleurs
248 CHAPITRE II.
d'autant plus altérés qu'ils sont gangrenés depuis
plus de temps et qu'ils sont habituellement plus
mous. Aussi, tandis que certains tissus sont promp-
tement méconnaissables, les gros vaisseaux, les gros
nerfs, les fendons se distinguent longtemps et facile-
ment. Les cartilages et les os ne sont jamais mous.
Les tissus sont parfois comme infiltrés de sang noir,
confondus en une bouillie ou une masse spongieuse,
quelquefois infiltrés de gaz fétides qui augmentent le
volume de la partie morte {gangrène emphysémateuse).
Ailleurs , condensés comme du bois, ils offrent l'aspect
des chairs momifiées, delà viande fumée, et ont
^oins de volume que d'habitude. Les vaisseaux ar-
tériels, demeurt's intacts au sein de la gangrène, sont
ordinairement oblitérés par des caillots plus ou moins
adhérents; de là l'absence assez commune d'hémor-
ragie, soit à la chule des parties gangrenées, soit
même dans les amputations pratiquées au-dessus.
Celte coagulation du sang remonte quelquefois très-
haut. Thomson a vu une partie de l'artère fémorale
remplie par du saijg coagulé, dans un sphacèle du pied
et de la jambe, et dans un cas oii la gangrène com-
mença par la cuisse, le caillot remontait dans l'ilia-
que externe jusqu'à l'union de ce vaisseau à l'aorte.
(V. S. Cooper, t. I, p. 350.) D'autres fois, il y a adhé-
sion directe et immédiate des parois artérielles ap-
pliquées l'une contre l'autre, par le gonflement des
parties voisines. Le microscope ne montre rien de
plus dans les tissus gangrenés que ce que l'œil y
découvre. Au total, l'aspect de la gangrène diffère
de celui de la putréfaction qui survient après la
mort.
Symptômes locaux. — Anéantissement de tous les
phénomènes et de toutes les propriétés delà vie;
des sensations, des mouvements, de l'absorption, de
DE LA GANGRÈNE. 249
la circulation même dans les vaisseaux oblitérés par
caillots adhérents, des sécrétions, de la calorifica-
tion et enfiû de la résistance vitale à la putréfaction;
disparution aussi des phénomènes morbides qui ont
précédé la gangrène, et apparition de phénomènes
de putréfaction, à moins que la gangrène ne soit très-
sèche. Quoique la faculté de produire de la chaleur
s'éteigne comme les autres facultés dans la gangrène,
ce fait mérite une remarque critique. La partie morte
n'est pas toujours sensiblement froide, comme on le
croirait d'après les livres. Ce fait varie; ainsi dans
une escarre mince et peu étendue, la température
peut être égale, à peu près, à celle des parties
sous-jacentes qui réchauffent. Dans tous les cas de
gangrène, la température extérieure modifie aussi
celle des parties mortes. Celle-ci peut s'abaisser ou
s'élever relativement à la chaleur animale, quand la
partie gangrenée est refroidie ou échauffée dans un lit
par des bouteilles d'eau chaude. La température de
la gangrène est donc, en partie, subordonnée à celle
des tissus et des corps ambiants, et d'autant plus que
la portion gangrenée offre plus de surface.
Symptômes fonctionnels variables suivant la nature
de l'organe lésé (dyspnée, crachats fétides pour le
poumon, vomissements pour l'intestin, immobilité
pour les organes de mouvement, etc.)
Symptômes de voisinage. — Inflammation, gonflement
œdémateux, quelquefois lésion des parties environ-
nantes par la cause qui a produit la gangrène, par la
contusion, la brûlure, etc.; ailleurs, infiltration de
sang, de sérosité, de gaz plus ou moins fétides re-
connaissables à la crépitation ou aux frottements ga-
zeux à la pression des doigts.
Symptômes généraux, nuls si la gangrène est peu
étendue, et locale, si elle occupe une partie peu
250 CHAPITRE II.
importante-, dans le cas contraire, si elle est diathé-
sale, si elle est interne et viscérale, ces symptômes
peuvent être fort graves, et ils sont tantôt inflamma-
toires aigus, avec ardeur universelle, agitation, som-
meil troublé, malaise général, fièvre plus ou moins
vive: tantôt adynamicjues avec prostration, insensibi-
lité, stupeur, subdélirium ou coma, pouls faible, petit,
fréquent, pâleur de la face, sueurs froides, visqueuses,
iypothymies, langue sèche, noirâtre, fendillée, ano-
rexie complète, quelquefois hoquet, excrétions féti-
des, noirâtres, etc. D'autres fois, au contraire, il y a
des symptômes d'excitation nerveuse et d''ataxie^ dé-
lire violent, hoquet, soubresauts des tendons, soif
vive, langue sèche, nausées, vomissements répétés,
constipation ou diarrhée, pouls dur, fréquent, cha-
leur acre, brûlante, peau sèche, urines plus ou moins
abondantes et chargées, etc. Dans certains cas, enfin,
ces symptômes sont mélangés; d'autres fois, ils se
succèdent, mais dans ce cas, c'est ordinairement la
forme adynamique qui termine la scène.
Marche. — Tantôt elle n'est pas précédée, tantôt elle
est précédée d'inflammation, d'irritation locale plus
ou moins promptement suivie de mortification, selon
que la maladie est aiguë ou chronique, et l'on peut
y distinguer quatre périodes : 1" Maladies ou symp-
tômes préliminaires ; 2° Mortification des tissus ;
3° Limitation et élimination de l'escarre; 4° Cicatri-
sation de la solution de continuité qui en résulte.
jre Période. — Symptômes morbides préliminaires. S'il y
avait inflammation préalable, ses symptômes dispa-
raissent, et les phénomènes normaux de la vie s'étei-
gnent; les parties tendues deviennent flasques; la
peau présente des taches rouges, livides, se couvre
de phlyctènes ou sowlèvements de l'épiderme par une
sérosité trouble, brunâtre, sanguinolente, l'épiderme
DE LA GANGRÈNE. 251
se détache de plus en plus du derme, les tissus s'in-
filtrent de gaz et de sérosité, ils deviennent pâteux
et ctépitants sous le doigt qui les presse 5 ces gaz
ont une fâcheuse tendance à remonter dans les par-
ties saines , en suivant le tissu cellulaire qui accom-
pagne les vaisseaux et les nerfs.
2^ Période. Quand la gangrène est déclarée, on ob-
serve les phénomènes décrits plus haut, l'extinction
successive de toutes les facultés de la vie. Suivant
M. le docteur Racle, les escarres présenteraient tou-
jours au début une teinte d'un blanc sale, grisâtre ou
jaunâtre, qui ne prendrait !a teinte livide, brune, vio-
lacée, et enfin noire qu'au bout de quelques heures.
{Gaz. Méd. de Paris, là décembre t84 9.) Ce fait bien
constaté ne serait pas sans importance pour recon-
naître la gangrène dès son début.
3^ Période. Après un temps plus ou moins long, et
qui varie de un à vingt ou vingt-cinq jours, la gan-
grène laisse apercevoir sur ses limites une lijrne
d'un rouge tranché du côté de la gangrène; cette
ligne régulière ou non, est manifestement inflamma-
toire et circonscrit très-exactement les parties frap-
pées de mort. C'est le symptôme d'une inflammation
ulcérante et suppurante, plus ou moins profonde,
suivant les dimensions du mal, qui peut comprendre
toute l'épaisseur d'un membre. Cette ligne ne tarde
pas à se creuser en forme de sillon {Absorption dis-
jonetive, Hunter), et par le fait de l'ulcération d'une
part, et par le ressort et la contraction vitale lente
des tissus d'autre part. A mesure que les tissus vi-
vants s'isolent des tissus mortifiés, il se forme à la
surface des premiers une exsudation plastique qui
s'organise en pseudo-membrane, comme dans toutes
les plaies suppurantes, et qui s'oppose à l'infiltra-
tion des gaz et des matièifes sanieuses de la gan-
252 CHAPITRE II.
grène dans les parties vives, à des hémorragies et
souvent à des épanchemenls des viscères dans les sé-
reuses voisines. Peu à peu la gangrène s'isole des tis-
sus vivants et elle se détache soit en bloc, soit par
fragments, suivant son volume et sa ténacité.
Quand la maladie est bornée aux parties molles,
la séparation, quoique plus ou moins longue et diffi-
cile, s'accomplit, dans l'immense majorité des cas, dans
l'espace de quelques semaines au plus; mais quand
les os sont atteints, la séquestration de la portion né-
crosée se fait longtemps attendre, plusieurs mois,
parfois plus d'une année -, elle occasionne une suppura-
tion débilitante, elle expose le malade à une odeur fé-
tide, et, peut-être, à la résorption de matières putri-
des dangereuses. Si la partie gangrenée est renfermée
dans un viscère, qui communique librement au de-
hors, comme les viscères digestifs, respiratoires,
génitaux et uiinaires, la masse gangrenée, après s'ê-
tre détachée, est chassée ou entraînée au dehors, et
le malade peut guérir par la cicatrisation de la solution
de continuité. Si l'élimination se fait dans une cavité
close, comme celle des séreuses, la mort est ordinaire-
ment inévitable. Cette terminaison fatale peut encore
survenir avant la séparation ou l'élimination de la par-
tie morte. Ce phénomène est d'ailleurs plus ou moins
long à s'accomplir, suivant la mollesse, la sécheresse
de la gangrène, son acuité ou sa chronicité, suivant
la ténacité des tissus 5 aussi l'élimination des tendons,
des cartilages, des os mortifiés est beaucoup plus
longue que celle des parties molles.
Au moment de la séparation, tantôt les gros vais-
seaux sont fermés par l'adhésion de leurs parois,
par des caillots obstructeurs, ou, comme nous l'avons
dit plus haut, tantôt ils s'ulcèrent sans avoir été com-
plètement oblitérés, et il en résulte des hémorra-
DE LA GANGRÈNE. « 253
gies quelquefois très-graves, et qui seraient mortelles
si l'on n'y portait remède.
4* Période. La guérison survient après un temps
plus ou moins prolongé, suivant l'étendue de la so-
lution de continuité, sa régularité; suivant la nature
des tissus mis à nu; suivant surtout qu'il y a ou qu'il
n'y a pas d'os, de jointures à découvert, qui pour-
raient entretenir une suppuration prolongée, amener
la mort par débilitation; suivant enfin que la gan-
grène ne reparaît plus et que la santé générale s'a-
méliore. La gangrène peut causer la mort à toutes les
périodes-, aussi les malades ne les parcourent pas tou-
jours toutes les quatre. Quand la gangrène se mon-
tre sur plusieurs points successivement, on peut voir
simultanément, sur un même malade et sur divers
points, les quatre périodes que nous venons de dé-
erire. La mort s'accomplit par divers mécanismes en-
core à analyser. Tantôt c'est par une disposition mor-
bide gangreneuse asthénique ; tantôt en partie par
l'intensitéet l'acuité d'une inflammation gangreneuse;
tantôt par l'abondance de la suppuration; tanîôt.
probablement, par l'altération du sang et par plu-
sieurs de ces mécanismes.
La marche de la gangrène est d'ailleurs aiguë ou
chronique, de là deux modes de gangrène aiguë ou
chronique.
La gangrène peut-elle affecter une marche pé-
riodique? Malgré les faits rapportés par les auteurs
et réunis par Hébréard {Même cit., p. 160), nous par-
tageons l'incrédulité de ce chirurgien. Et si dans un
cas observé par Marjolin {Dict. en 30 vol. t. Xill,
p. 608), une fièvre intermittente grave s'est montrée
accompagnée de gangrène à chaque accès, ce fait
rentre dans ce que nous avons dit des prétendues
inflammations périodiques. (V. plus haut, 2^ v. p. 38.
25i CHAPITRE II.
Diagnostic. — Le diagnostic est fondé sur les cau-
ses, sur les caractères anatomiques, et en particulier
sur la circonstance, alors décisive, de taches molles
et livides, ou sèches et dépourvues de sensibilité, sous
la forme desquelles la gangrène se montre d'abord.
On pourrait prendre pour une véritable morti-
fication cet état d'engourdissement de la congé-
lation dont nous parlerons plus loin ; mais dans ce
dernier, la teinte pâle, livide ou violacée n'est pas
complètement opaque et terne, comme dans la gan-
grène-, la circulation y conserve la demi-transpa-
rence et l'éclat des parties vivantes. Dans la congé-
lation, il y a transition graduée de l'engourdissement
à la sensibilité normale des parties saines; dans la
gangrène, la transition se fait brusquement, et on peut
déterminer la ligne qui sépare le mort du vif. Dans
l'engourdissement, l'épiderme reste intact, et il ne
survient pas de décomposition putride ; an contraire,
au bout d'un temps plus ou moins long, les proprié-
tés vitales reparaissent peu à peu.
Les ecchymoses d'une contusion ou d'une compres-
sion forte, ont été parfois confondues avec la gan-
grène; nous en avons vu un exemple dans le con-
cours de clinique chirurgicale où Sanson fut nommé
professeur. Ce savant et regrettable confrère nous
montra un homme qui avait été renversé sous une
hotte pesamment chargée. Il présentait à la jambe et
à la cuisse droites des taches livides circonscrites par
des lignes sinueuses, comme le sont les îles par les
eaux sur les cartes géographiques ; Lisfranc affirma que
c'étaient de simples ecchymoses...; quelques jours
après la gangrène était évidente. Au total, les ecchy-
moses sont bleuâtres ou noirâtres dès le début, et non
grises et livides; elles sont plutôt saillantes que dé-
primées, se confondant peu à peu avec les parties
DE LA GANGRÈNE. 255
voisines par une dégradation plus ou moins rapide de
nuances et conservant ordinairement de la sensibilité
dans les parties qu'elles occupent.
Les plaques diphthéritiques, développées sur les
membranes muqueuses, en ont bien souvent imposé
pour la gangrène. Mais elles sont plus molles, plus
friables que les véritables escarres des muqueuses,
se détachent plus aisément des parties sous-jacentes
qui n'ont éprouvé aucune perte de substance et ne sai-
gnent que rarement quand on pratique cette ablation.
La paralysie diffère trop du sphacèle pour qu'il
puisse y avoir doute un seul instant. Enfin les plilyc-
tènes remplies d'une sérosité citrine limpide qui se
rencontrent si souvent à la levée d'un premier appa-
reil de fracture, n'effraieront que le chirurgien inex-
périmenté qui n'aurait jamais vu les phiyctènes à li-
quide ichoreux, brunâtre et fétide de la gangrène.
Il ne suffit pas de reconnaître l'existence de la
gangrène, il faut, pour que le diagnostic soit aussi
complet que possible, reconnaître son étendue, sa pro'
fondeur. Tant que le cercle vermeil dont nous avons
parlé n'est pas formé, la mortification peut faire des
progrès; quand il se montre, il y a forte présomption
que le mal est arrêté, certitude quand le sillon se
creuse et s'ulcère. Relativement à la profondeur, je
m'en assure par une sorte de sondage. Une longue ai-
guille à acupuncture est introduite à travers l'escarre
jusqu'à ce que le malade ait la conscience de la pi-
qûre. Ce phénomène indique que la pointe est arrivée
au vif. Marquant alors le point de la tige de l'aiguille
qui affleure la surface de l'escarre, on la retire, et
la longueur dont elle était plongée donne à peu
près l'épaisseur des parties mortifiées. Quelques gout-
tes de sang viennent souvent aussi prouver, lors-
qu'on retire l'aiguille, qu'elle a pénétré jusqu'au vif.
256 CHAPITRE II.
Pronostic. — Dans les cas les plus heureux, dans
ceux où la gangrène n'entraîne pas la mort, la gan-
grène détruit les tissus, détermine des pertes de
substance plus ou moins considérables, d'où résul-
tent des cicatrices vicieuses, des déformations, quel-
quefois des mutilations. Il est un cas où la gangrène
est avantageuse, c'est quand elle frappe un anévrisme
ou un cancer; mais ici même, la guérison n'en est pas
toujours la suite, et le malade peut encore succom-
ber. La gangrène humide, emphj^sémateuse, marche
et s'étend avec beaucoup de rapidité; la gangrène de
cause diathésale est en général plus grave, plus diffi-
cile à borner que celle qui dépend d'une cause locale.
Le pronostic varie encore suivant l'importance, l'éten-
due, la profondeur des parties affectées, suivant celles
qui se trouvent mises à nu à la chute des escarres;
Enfin il varie suivant l'âge très -tendre ou très-
avancé des sujets, les conditions de force ou de fai-
blesse dans lesquelles ils se trouvent, les circonstances
extérieures d'habitation, d'alimentation auxquelles
ils sont soumis, etc.
Traitement. — Aux quatre périodes de la gangrène
répondent quatre indications principales: 1° prévenir
le mal; 2° l'arrêter; 3° combattre les symptômes in-
commodes ou pénibles qui l'accompagnent, comme la
mauvaise odeur, quelquefois des hémorragies, des
douleurs, enfin 4° favoriser la chute des escarres ou
amputer la partie et guérir la plaie dans l'un et l'autre
cas.
1° Prévenir la gangrène. — On n'y peut parvenir qu'en
évitant, autant que possible, les causes de la gan-
grène, ou en les combattant si elles ont déjà exercé
leur influence. Ainsi une phlegmasie intense sera at-
taquée par les antiphlogistiques puissants et par les
émollients-, les chagrins, le désespoir, par les encou-
DE LA GANGRÈNE. 257
ragements, l'annonce d'un avenir meilleur dans un
temps prochain, en un mot, par tous les moyens qui
peuvent relever le moral; la débilitation, par les cor-
diaux, les fortifiants, un bon régime, l'habitation dans
un lieu sain et bien aéré. Un étranglement causé par
des aponévroses sera détruit, une constriction, une
compression, un obstacle au cours des fluides seront
levés aussi complètement que possible; un corps
caustique ou brûlant sera éloigné. Dans l'ergotisme,
on donnera une nourriture saine, etc. Les Anglais
avaient autrjefois vanté à tort le quinquina à l'inté-
rieur comme un spécifique antigangréneux. Seule-
ment, comme dans le cas de Marjolin, s'il s'agissait
d'une intermittente à forme gangreneuse, le quin-
quina serait indiqué, mais à titre d'antipériodique.
L'opium convient dans les douleurs vives des gan-
grènes douloureuses, etc.
2° Arrêter la gangrène. — C'est le traitement de la se-
conde période. Combattez d'abord celles des causes
qui subsistent avec la gangrène ; s'il y a inflammation
vive, continuez les saignées générales si le sujet peut
encore les supporter, ou recourez seulenfjent aux sai-
gnées locales, aux applications topiques émollientes
(V. Inflammation). Si le sujet est dans la prostra-
tion, que la gangrène soit asihénique et diathésale,
relevez les forces à l'aide des toniques, tels que
vin de quinquina ou de gentiane, vins vieux et géné-
reux, limonade vineuse, limonades avec les acides
minéraux, eau de seltz coupée avec du vin, etc.,
bouillons et potages nourrissants, etc., topiques, sti-
mulants sur les parties voisines de la gangrène, cata-
plasmes faits avec des plantes aromatiques bouillies
dans du" gros vin, fomentation d'eau-de-vie camphrée,
application autour des membres de sachets de sable,
de cendre, chauds à r35 degrés environ; quelquefois,
17
2'58 CHAPITRE II.
scarifications et cautérisations avec le fer rouge, les
acides minéraux concentrés, les alcalis, etc., suivant
les cas, commedans l'anthrax malin, [a pustuiemaligne.
Le fer rouge, cjuand il respecte les organes importants,
détermine une excitation favorable dans certaines
gangrènes. Les anciens pratiquaient sur les parties
saines des incisions dans lesquelles ils appliquaient
des substances irritantes; celte pratique incendiaire
est abandonnée. Au total l'art a peu de puissance
dans cette période. Il n'y a d'ailleurs rien à faire
contre la gangrène produite par la foudre, le feu, les
caiisiiques, une contusion,
ù° Combattez toujours les accidents concomittents;
Texcès d'inflammafion à l'aide des réfrigérants, des
antiplilogistiques 5 faites parfois d^s débridements ,
souvent usez de simples cataplasmes. Quand il y a
des douleurs très-vives : opiacés , cataplasmes arro-
sés de laudanum, fomentations avec la décoction de
têtes de pavot, de plantes narcotiques, ou la solution
d'opium. Il faut surveiller, dil-on, l'emploi de ces
oiédicaments ; on craint qu'ils ne déterminent une
stupeur locale favorable aux progrès de la mortifica-
tion 5 mais, sauf le cas de phlegmasie très-intense, je
crois que le danger a été beaucoup exagéré.
S'il y a des hémorragies, on emploiera les stypti-
qoes, les caustiques, la compression, la ligature', sui-
vant l'abondance et la ténacité de l'écoulement, le
volume des vaisseaux ouverts. S'il s'agissait d'une
artère un peu considérable, il vaudrait mieux la lier
au dessus de la plaie que dans les parties malades où
l'opération pourrait être impossible par l'altération du
vaisseauou inutile parce qu'il nepourraitse cicatriser.
Le régime sera approprié à l'état de faiblesse ou
d'excitation du patient et à l'état des organes digestifs;
les toniques, quand ils sont indiqués et' qu'ils peuvent
DE LA GANGRÈNE, 259
être supportés, hâtent parfois le travail de cicatrisa-
lion. Nous avons dit en quoi consistent ces moyens.
A° Soigner la séparation des escarres et la cicatrisation. —
Quand les parties mortifiées se séparent difficilement,
sontinfiltrées de liquides et de gaz, que la putréfaction
s'en empare, que le mal n'est pas assez étendu pour
qu'on ampute la partie, il faut y pratiquer des inci-
sions, sans pénétrer jusqu'au vif, afin de faiire écouler la
sanie putride dont le sphacèle est gorgé, y appliquer
ensuite, soit de ia charpie imbibée de liqueur de La-
barraque, soit du liquide conservateur de Gannal (1),
soit des poudres aromatiques exhalant une odeur
agréable, soit des poudres absorbantes formées de
tannin, de charbon, de quinquina, de camphre ou
même exciser les parties mortes presque jusqu'au vif.
On fera aussi des fumigations chlorées dans i'apparle-
ment, pour détraire les mms m'es qui s'exhalent de la
gangrène et peuvent porter une atteinte profonde à la
santé du malade et de ceux qui l'entourent. Alors
on institum-a un traitement approprié à la nalure, à
l'étendue, à la situation, ^ la forme de la solution
de continuité, afin d'empêcher une cicatrice vi-
-cieuse ou difforme. La situation, le bandage, sont les
moyens employés dans ce but 5 c'est surtout après les
gangrènes des extrémités (orîeils, doigts, mains), ou
de la face et du cou, que le pansement doit être sur-
veillé avec le plus grand soin pour la cicatrisation.
Mais si un membre est en grande partie gangrené,
ne doit-on pas l'amputer plutôt que de le dépecer par
parties? C'est une question depuis longtemps débattue
entre les chirurgiens et qui mérite assurément de nous
(1) Voici sa préparation : faire dissoudre 125 grammes d'alun et au-
tant de chlorure de sodium dans un kilogramme d'eau bouillante, y
ajouter 60 grammes de nitrate de potasse, Cllrer et laisser refroidir le
mélange.
260 CHAPITRE II.
arrêter un moment. Dans quelles circonstances cette
opération si grave doit-elle être faite?... 1° Quand
les escarres sont très-étendues, que leur chute doit
mettre à découvert de si larges surfaces, que le ma-
lade ne pourrait pas subvenir aux frais de !a suppu-
ration consécutive. 2° Quand les escarres sont plus
étroitement circonscrites , mais très-profondes ou
qu'après leur départ une articulation doit être mise à
découvert, que les vaisseaux et les nerfs principaux
d'un membre ont été oblitérés ou détruits, de telle
sorte que les parties situées au-dessous soient des-
tinées à tomber aussi en gangrène.
Mais quand le membre est sphacelé , c'est-à-
dire gangrené dans toute son épaisseur, ne vau-
drait-il pas mieux attendre la chute naturelle de la
portion frappée de mort, que de la prévenir par une
opération aussi grave que l'est l'amputation d'un
membre? Laisser la séparation de l'os mort s'ac-
complir spontanément paraît bien hasardé; car si l'os
reste trop saillant, on sera forcé d'en venir enfin à
l'amputation depuis longtemps refusée — On dit, et
avec raison, qu'en opérant, on débarrasse le patient
d'une masse en putréfaction qui menace de l'infecter
et par son odeur et par les matières qu'elle livre à
l'absorption, et que d'un autre côté on fait une plaie
nette, méthodique, propre à donner une cicatrice ré-
gulière, tandis que le départ spontané des parties
mortifiées laisse un moignon difforme, conique, etc.
Mais il s'agit moins de la régularité du moignon
que de soustraire le malade à une opération très-
fréquemment mortelle, et si la séparation naturelle
paraît devoir être assez régulière, on peut la tenter,
en enlevant toutes les parties molles gangrenées, sauf
Ja couche mince qu'on est obligé de laisser sur les
parties vivantes.
DE LA GANGRÈNE. 261
Tout en tenant compte des observations dont nous
venons de donner le résumé succinct, nous pensons
qu'il faut amputer dans le cas de g^ingrène, même
peu profonde , très - étendue ou peu étendue ,
mais qui intéresse des parties très -importantes ,
une articulation , de gros vaisseaux ou de gros
troncs nerveux.
Si l'on se décide à opérer, il est encore une dou-
ble question très-vivement controversée et qui mé-
rite aussi une réponse. Quand faut-il opérer et à
quelle hauteur? La plupart des chirurgiens, mais
surtout Thomson, Richter, Boyer, etc., disent qu'il
faut attendre la limitation de la gangrène, sous peine
de voir le moignon se prendre à son tour et le mal
remonter ainsi sur le membre mutilé. Oui, répondent
les partisans delà doctrine opposée, Larrey, Dupuy-
tren, etc., oui, si vous opérez dans le cas de gan-
grène de cause interne; mais non, s'il s'agit d'une
lésion trauma tique, d'une mortification de causelocale.
En général, dans le cas de sphacèle, qu'il soit de
cause interne ou de cause externe, il faut attendre la
délimitation. Cependant si la mortification conti-
nuait à remonter du bras vers l'épaule, de la cuisse
vers la hanche, la mort devenant inévitable, il fau-
drait tenter une dernière chance et opérer, en sup-
posant toutefois que l'état des forces le permît. Si
la délimitation est tracée, que la ligne de démarca-
tion soit régulièrement circulaire, l'expectation est
plus nécessaire encore.
Pour la hauteur à laquelle on doit amputer, il
faut, disent les uns, porter le couteau dans la ligne
de démarcation qui sépare le mort du vif. Gardez-
vous-en bien, reprend Richter, les limites de la gan-
grène à l'extérieur ne sont pas celles qu'elle affecte
en dedans. Si vous faites la section au niveau des li-
262 CHAPITRE II.
mites extérieures, vous pouvez tomber au milieu de
parties profondes mortifiées, car la gangrène remonte
souvent plus loin, le long des gros troncs vasculaires
et nerveux ; et si la limite est irréguiière, vous taillez
ainsi un moignon irrégulier. Pour moi, j'ampute au-
dessus, s'il reste place pour le faire, entre le tronc et
la gangrène.
Si !a gangrène est sèche, comme elle se pourrit dif-
ficilement ou point, on peut la laisser en place, son
odeur n'incommode pas le malade. Si la délimitation
est très-irrégulière, la cicatrisation se fait parfois at-
tendre \ s'il y a une suppuration qui fatigue et épuise
le malade, ou bien, enfin, si le membre est petit (un
doigt, un orteil, la main ou le pied même), et l'am-
putation sans danger, amputez. Comme on doit at-
tendre le plus possible, excepté pour les doigts, les
orteils, ce temps d'expectative doit être employé,
nous le répétons, à relever les forces, afin que l'o-
pération soit plus facilement supportée.
Quant à l'amputation elle-même, le mode opéra-
toire est indiqué par la maladie. S'agit-il d'une gan-
grène dont la délimitation est tracée par une ligne
assez régulièrement circulaire, on pratiquera l'opé-
ration circulairement, si toutefois on n'est pas réduit
à désarticuler. Si la démarcation est irrégulière on
adoptera la méthode ovalaire ou à lambeaux, et on la
modifiera suivant la forme et la disposition des limites
de la partie mortifiée. Pour ces cas extraordinaires,
les procédés ordinaires, réglés à l'amphilhéâtre pour
les circonstances ordinaires, ne conviennent plus,
le chirurgien doit en appeler à son imagination et à
son jugement, à son génie même, s'il en a.
DE LA GANORÈNE. 263
Historique 0E la gangrène. — La médeeia^î grecque
ne donne que des traits épars de î a gangrène, il est
question, dans le Traité hippoeratique des maladies (!. i!,
n° 5), d'une afFection appelée sphacèle du cerveau;
mais il est aujourd'hui impossible de déterminer ce
que l'auteur entendait par là. Ailieurs, dans im
traité plus authentique (des Articles, n° 33), Hippo-
orale dit que dans les luxations du pied sur la Jambe,
avec issue de l'os, la gangrène peut s'emparer de ces
parties ; et un peu plus loin, il fait observer que les
chairs peuvent se gangrener dans les plaies qui ont
rendu beaucoup de sang, ou après de fortes contu-
sions, des ligatures trop serrées. Le danger est en
rapport avec le volume du membre aflecté. La chute
des chairs a lieu plus promptement que celle des os.
Ha vu un teraurmisà nu qui tomba le quatre-vingtième
jour. H conseille d'amputer les parties mortes au-
dessous dn vif, sans toucher à celui-ci. Les hémor-
ragies qui succèdent à la séparation des escarres
l'épouvantent beaucoup. Enfin, il mentionne la gan-
grène du talon et ses dangers dans les chutes sur les
pieds d'un lieu élevé.
Celse trace àé^h une esquisse de la gangrène, mais
confondant les deux termes gangrène et cancer , qui
manquent, dit-il, d'équivalents dans la langue latine
{nosiris vocabulis non es/), il regarde le premier comme
exprimant la mortification des extrémités, et le se-
cond celle des autres parties (le vrai cancer figure
sous le nom de carcinome). Du reste, il décrit très-
bien la couleur livide de la peau, les phlycîènes
noires, les phénomènes généraux, le hoquet, etc.
(1. V, c. 26, n° 31). H ne regarde pas la gangrène
comme très-difficile à guérir quand elle n'est pas en-
tièrement établie., quand elle ne fait que commencer,
que le malade est jeu^ne, que les muscles, les nerfs
264 CHAPITRE II.
ne sont point envahis, qu'il n'y a poiot de grande
articulation mise à nu, enSn, quand la partie malade
est mince et fournit peu d'aliment à la destruction.
Le mal est-il borné? ou saignera, si les forces le per-
mettent; puis on coupera jusqu'au vif, tout ce qui est
desséché et ce qui est en mauvais état dans le voi-
sinage. Lorsque la gangrène s'étend, il ne faut pas
employer de substances irritantes, mais seulement les
adoucissants. Si, malgré cela, la gangrène continue sa
marche, il faut brûler entre le mort et le vif(i6., n° 34).
Celse reconnaît que souvent la mortification est de
cause interne {conupii, vitiosique corporis est)^ et alors
il insiste sur la diététique. Si rien ne réussit, il faut,
pour sauver le malade, amputer le membre qui se
meurt.
Galien s'est surtout attaché à définir les termes;
ses distinctions ont été admises jusqu'à l'époque
moderne. Pour lui, la gangrène, c'est l'état d'une
partie qui va mourir, mais qui n'est pas encore morte;
le sphacèle, c'est la cessation complète de la vie. {Com-
ment, in libr. Hipp. De ariic. et De tumoribiis prœt. nat.) Il
regarde la gangrène comme succédant le plus ordi-
nairement à une violente inflammation; le traitement
sera donc antiphlogistique d'abord, puis antiputride
{De urie curât, ad GL, l. II, c. 9). Quand le sphacèle
est déclaré, il faut amputer ce qui est mort et brûler
les racines du mal demeurées en contact avec les
parties saines, etc. Aétius {létrab. IV, serm. ii, cap. 56)
et Paul d'Égine {lib. IV, cap. 19) se bornent à copier
Galien en l'abrégeant. Suivant Avicenne, lagangrène
survient par l'effet d'une cause qui altère profondé-
ment la structure d'une partie ou les esprits qui
l'animent, ou bien qui empêche l'abord de ceux-ci;
tels sont les poisons chauds ou froids, la constriction
d'un membre à sa racine, une fluxion de matière
DE LA. GANGRÈNE. 265
grossière qui s'oppose à l'abord des esprits, etc. Du
reste, il suit Galien pour le traitement (lib. W^fen. 3,
traci. I, cap. lô et 16). Les auteurs du moyen âge font
du mot estliiomèiie le synonyme de gangrène, en raison
de la ressemblance de signification (manger, dévo-
rer); Guy de Cliauliac le dit très-catégoriquement.
D'autres altèrent le mot gangrène et en font can-
crèiie, ad cancri simi'itudinem, comme le dit J. de Vigo
[lib. II, cap. 16). De là, sans doute, la singulière pro-
nonciation de kanyrène enseignée par les grammai-
riens, qui n'ont pas vu qu'il y avait là une corruption
de mots. Tous ces auteurs admettentavec Galien une
différence de degré avec le sphacèle. La plupart des
chirurgiens de ce temps embaumaient le membre
frappé de mort, en y faisant de profondes incisions
dans lesquelles ils mettaient de l'arsenic et du su-
blimé en poudre, recouvrant le toutde linges trempés
dans un liquide ou baume très-composé. Quant à
l'amputation, Guy de Chauliac la fait un peu au-
dessus de la partie morte 5 si le mal remonte au ni-
veau d'une jointure, il désarticule {Traités II et VI).
Ambroise Paré nous offre à remarquer, outre une
assez bonne énumération des causes, ce fait que.
dans l'amputation, il conseille d'opérer au lieu d'élec-
tion pour la jambe, et aussi. bas que possible pour le
bras {Œuvres, 1. XII, c. 20 29). Moins avancé que
Paré et même que Guy de Chauliac, Fabrice d'Aqua-
peodente coupe le membre dans le sphacèle, à un
travers de doigt au-dessous du vif; puis il applique
sur celte tranche de gangrène qui reste un fer rouge
bien épais, jusqu'à ce que le malade sente la dou-
leur; il en résulte, dit-il, une sorte de croûte ou de
bouchon qui ferme les vaisseaux ; le mal est détruit
dans ses racines et les parties vivantes sont ranimées
{Pentateuq.^ 1. I, c. 27). L'auteur du traité célèbre de
266 CHAPITRE II.
Gangrena et Sphacelo (Op. omn. Francfort, 1716, in-fol.),
Fabrice de Hildan, adopte les distinctions de Galien
et entre dans de grands détails étioiogiques, d'après
lesquels il partage les différentes sortes de gangrènes
en trois catégories, suivant qu'elles résultent r d'une
altération des qualités sensibles, de chaud, le froid, le
sec ou Thumide^ 2° d'une altération des qualités oc-
cultes : Ikserangentles gangrènes par les poisons, par
morsures d'animaux venimeux, les maladies pesti-
lentielles et malignes, etc.; 3° d'une interruption
des esprits (compression, étranglement). Du reste, il
donue une foule de formules, de topiques et autres,
pour le traitement, et insiste longuement sur l'am-
putation.
Les cas si nombreux dans lesquels la gangrène suc-
cède à des compressions circulaires «u locales, à des
étranglements, à des ligatures, à des congestions
très-considérables, donnaient trop beau jeu à la doc-
trine de l'obstruction pour qu'elle ne triomphât pas
dans l'explication des phénomènes de cette lésion :
c'est ce que nous voyons dans Boerhaave {Aph.^ de
419 à ^32); mais c'est J.-L. Petit qui a fait connaître
que l'obstruction des gros vaisseaux est la cause de
l'absence des hémorragies dans certaines gangrènes.
{Ac. des se, an. p. î73.)
Au milieu du dernier siècle, nous trouvons le traité
si longtemps classique de Quesnay (1750), dans le-
quel l'histoire de la gangrène est partagée en deux
grandes divisions, suivant qu'elle est sèche on
humide 5 cette distinction règne dans tous les
ouvrages de chirurgie de cette époque (Hévin,
Louis, etc.), et se conserve même dans celui de
Boyer. Cependant Hébréard, dans un bon mémoire
couronné en 1809 par la Société de médecine, avait
voulu démontrer que des causes semblables engen-
DE LA GANGRÈNE INTÉRIEURE. 267
dreot indifféremment la gangrène sèche ou humide.
Dans ce travail, il propose la division suivant les
causes, qu'il range sous trois chefs principaux : les
phlegmasies, les agents délétères et les interruptions
au cours de la circulation. Une quatrième section
renferme les gangrènes qui ne rentrent pas dans les
trois précédentes (gangrènes de Pott et Jeanroy, par
lésions viscérales, etc). On a vu plus haut que nous
ne pouvons accepter ces idées, puisque nous ramenons
toutes les gangrènes à deux causes générales : l^dia-
thèse gangreneuse 5 2° actions extérieures favorisées
ordinairement par la diathèse et des complications.
En 1832, M. V. François a publié un mémoire où,
étudiant les gangrènes dites spontanées, il prend
pour leurs causes des lésions vasculaires, qui sont
des symptômes de diathèse. Godin , marchant sur
ses traces, s'efforça de rétablir, pour une classe seu-
lement de gangrènes, l'ancienne division de Ques-
nay, affirmant que la gangrène est humide quar.d il y
a obstacle au cours du sang veineux, sèche quand il y
a obstacle au cours du sang artériel (4rc/j. gén, de méd,.,
1836, t. XII, p. 52). Enfin, dans ces derniers temps,
M. Racle a publié, dans la Gazette médicale (dé(;em-
bre i8i9), quelques recherches sur la mémeaffecîion.
Il s'est surtout attaché à décrire les prodromes, le
diagnostic différentiel et les caractères de la gan-
grène, suivant les différents tissus. Je ne dis rien des
efforts faits sous le broussainisme pour rattacher les
gangrènes angio-nerveusesàl'artérite, j'en reparlerai.
Des différents modes de la gangrène sous les rapports analo-
miques du siège, de la forme, de la sécheresse.
\° Gangrène intériedre. — Causes : prédisposition
gangreneuse et inflammation intérieure, action de sub-
268 CHAPITRE II.
Stances escarrotiques (alcalis et acides concentrés),
étranglement interne, etc.
Symptômes. — Lorsqu'il y a des accidents phlegma-
siques aigus, cessation subite de ceux-ci-, sentiment
trompeur de bien-être; et, dans tous les cas, pros-
tration des forces, délire tranquille ou état coma-
teux, petitessedu pouls, pâleur de la face, lipothymies,
sueurs froides, hoquet; quand la portion gangrenée
communique avec l'extérieur, que des fluides en sont
rejetés au dehors, odeur caractéristique. Symptômes
fonctionnels divers, suivant l'organe aflecté, dyspnée
dans la gangrène du poumon, selles fétides dans les
gangrènes intestinales.
Le diagnostic souvent impossible, peut être soup-
çonné par les caractères ci dessus énoncés. Pronostic
très- grave, presque toujours mortel ; cependant, pour
le poumon et l'intestin, il peut y avoir guérison par
l'élimination et le rejet à l'extérieur des parties gan-
grenées. — Traitement subordonné aux caractères in-
flammatoire, adynamique ou ataxique de la maladie.
(V. , p. 250, 272, les modes de gangrène qui offrent l'un
ou l'autre de ces caractères.) On le conçoit, on ne peut
guère que prévenir la gangrène, soit en diminuant
par les antiphlogisliques une excitation trop vive,
soit, au contraire, en relevant par les stimulants et
les toniques les forces défaillantes. On ne peut rien
faire pour l'élimination. Bans une hernie étranglée
avec gangrène de l'intestin, on peut inciser le sac et
emporter la partie mortifiée en laissant à la place un
anus contre-nature. Dans le cas d'étranglement in-
terne avec gangrène très-probable, chez un sujet
menacé d'une mort certaine, serait-il permis de ten-
ter la gastrotomie? C'est ce que nous examinerons en
son lieu.
2° Gangrènes des extrémités. — Gangrènes qui
DE LA GANGRÈNE SÈCHE. . 269
commencent |3ar les pieds, les mains, les orteils, les
doigts, et se rap|3orlent aux gangrènes artério-ner-
veuses décrites ci-dessous.
3° Gangrène irrégulière. — L'irrégularité des li-
railes de la gangrène est extérieure et visible, ou pro-
fonde et invisible. Dans ce dernier cas, !e mal envoie
des prolongements pins ou moins étendus dans l'inté-
rieur des membres et des parties saines; quelquefois
il n'existe qu'à une certaine profondeur à partir de
la surface.
Le diagnostic n'est pas toujours facile; on parvient
quelquefois à connaître l'épaisseur du mal à l'aide de
l'espèce de sondage que nous avons décrit dans le
diagnostic en général, p. 255.
Traitement. — Si la gangrène n'est irrégulière qu'à
l'extérieur, on peut se borner à attendre la sépara-
tion des escarres et à emporter seulement les par-
ties trop saillantes, de manière à égaliser la plaie
pour diminuer la difformité de la cicatrisation. Si
elle est irrégulière dans la profondeur des parties
et que l'amputation ait été décidée, il faut opérer le
plus haut possible. Si cependant on s'aperçoit que le
moignon renferme de la gangrène vers les parties
centrales, deux indications peuvent se présenter:
1° laisser aller les choses et attendre la chute des
escarres du moignon, si les parties mortes ainsi con-
servées sont peu profondes, que le mal soit parfaite-
ment et certainement limité quand on a opéré; 2° si
le mal n'est pas franchement limité, si la sonde ap-
pliquée à la plaie nous apprend que la gangrène cen-
trale remonte assez hant, il faut recommencer sur-
le-champ l'opération et ta porter, avec certitude alors,
au-dessus des limites reconnues de la gangrène.
4® De la gangrène sèche ou humide. — Cette dis-
tinction était autrefois regardée comme très-impor-
270 CHAPITRE II.
tante 5 aux yeux des anciens, les gangrènes sèches
et humides étaient de natures différentes; aussi
Quesnay divise-t-il son Traité de la gangrène en deux
sections, suivant que la mortificalion présente l'un ou
l'autre caractère. Des observateurs modernes, mais
surtout Hébréard (Mém. sut la gang., p. 4 et suiv.),
Guthrie(V.Sam.Cooper, Dict., t.l, p. 526), regardent
comme vaine cette distinction. C'est trop dire, et nous
persistons à y voir d'énormes différences pour les
âges et les parties où elles se développent, pour les
altérations matérielles qui les caractérisent, pour
leurs symptômes, leur marche et la durée de leur
élimination, etc. Cette distinction, quoique exagérée,
est bien fondée. Aussi diagnostic, pronostic et trai-
tement en reçoivent des modifications, comme on va
le voir.
Ainsi, LA GANGRÈTifE sÈGBï; èst plus rare qiïe l'humide.
Elle est plus particulièrement liée a l'oblitération des
artères (Godin , Archiv. génér. deméd., 1836, t. XII,
p. 52). Elle s'observe surtout dans un âge avancé, et
les causes s'en trouvent, à ce qu'on croit, dans l'obli-
tération des artères. Nous discuterons cette question
à l'occasion de la gangrène anério-nerveuse. M. Jobert
a publié trois cas dans lesquels une gangrène sèche
des doigts fut déterminée par une piqûre avec un
instrument imprégné de matières Répliques {Journ.
desconn. méd. pr.^ 2^ série, t. 1, p. 181).
Caractères anatomiques. — ■ Les iissUs rndrtiôés sont
secs comme de !a viande fumée, du cuir desséché,
noips, bfuriS', quelquefois blancs, il n'y a ordinaire-
ment pas de phlyctène; pas d'odeur, parce qu'il n^y
a pas de tendance à la putréfaction. La marche est
essentiellement chronique; la délimiitation se fait or-
dinïiirement très-longtemps attendre, ainsi que l'éli-
miîîalioTii, souvent des mois entiers.
DE LA GANGRÈNE HUMIDE. 271
Traitement. — 11 n'y a qu'à attendre la séparation.
On peut se dispenser ici des antiseptiques et se bor-
ner à envelopper le membre avec un bandage roulé.
Voilà plus de raisons qu'il n'en faut pour séparer cette
espèce de la suivante.
Gangrène humide. — C'est assurément la plus com-
mune. Elle annonce que la pa^ptie a été surprise par
la mortification alors qu'elle était gorgée de flui-
des; de là cette assertion hasardée de Godin, que
dans ce cas il y a des obsîaeles au retour du sang
veineux, soitdans ces vaisseaux (caillotsobstructeurs),
soit au dehors (conapression par un agentquelconque) .
îl croie même avoir vu des cas dans îesq^uels la gan-
grène, étant d'abord sèehe , puis humide, on a pu
reconnaître à l'autopsie que , pendant la marche de
la maladie, il était survenu une oblitération vei-
neuse-, mais soa travail manque de sévérité.
Gamcîères anatomicjues . — C'est surtout ici que s'ob-
servent les phlyctènes, l'odeur fétide, les suintements
ichoi^eux, les infiltrations gazeuses. La partie morti-
fiée est dans certains cas transformée en une véri-
table bouillie putride, noirâtre ou grisâtre. La marche
est eui général assez rapide ; quelques personnes at-
tribuent ses pro'grès'à l'extension des gaz; fétides sui-
vant le tissU' cellulaire sousfcutané et dans le trajet
des vaisseaux.
Tmiimnent. — Ici conviennent plus particulière-
ment les poudres absorbantes, les lotions désinfec-
tantes; ici, eucore, se fait sentir la nécessité de résé-
quer les parties mortifiées, afin d'en laisser le moins
possible tenant après le malade.
Modes de gangrène sous le rapport des symptômes, des
complications et de la marche.
Sous ces divers rapports, il y a des gangrènes
272 CHAPITRE II.
compliquées d'inflamraaiion aiguë; d'autres sont
chroniques -, d'autres s'accompagnent de rétrécisse-
ments, d'oblitérations et de lésions diverses des orga-
nes circulatoires; d'autres d'adynarnie et d'ataxie, de
douleurs nerveuses, etc. Ces complications sont-elles
de simples coïncidences morbides avec la gangrène ?
sont-elles des effets, sont-elles des causes delà gan-'
grène? La science l'affirme; mais qui p(mrrait|)rouver
que les sensations morbides, les symptômesd'arlérite,
l'affaiblissement du pouls, le refroidissement qui pré-
cèdent ces gangrènes et la gangrène même, ne sont pas
les effets d'une prédisposition particulière, d'une lé-
sion de vitalité qui précède et cause ces symptômes?
La critique doute, et pour ne pas se tromper, el!e se
borne à affirmer que ces coïncidences sont des com-
plications; qu'elles auront au moins toujours ce caiac-
tère, sans nier d'ailleurs leur caractère de cause, ou
d'effet relativement aux phénomènes qui les suivent
ou qui les précèdent immédiatement.
1° Gangrène inflammatoire aiguë, — Elle est beau-
coup moins fréquente qu'on ne l'a cru et qu'on ne le
croit encore.
Causes. — Acuité ou vivacité de l'inflamma-
lion. Les micrographes, qui croient avoir produit
sous leurs yeux de véritables gangrènes indamnja-
toires, concourent à f<trlifier ces idées. Et ils affir-
ment que la gangrène est le résultat de la stase,
de l'immobilité des globules du sang dans les capil-
laires, de la déchirure de ceux-ci, de l'extra vasai ion
de ceux-là qui ne reprennent plus leur ujobililé.
J'avoue que la lecture de leurs observations et
les miennes propres ne peuvent me faire partager
entièrement leurs convictions. D'un autre tôté,
voyant à chaque instant les phlegmasies les plus in-
tenses n'être point suivies de gangrène, et cette af-
DE LA GANGRÈNE AIGUË. 273
fection survenir, au contraire, dans desinflammalions
très-modérées, même dans des cas de chronicité dont
nous allons parler, je ne puis m'empêcher de douter
de la vérité de la cause supposée. Je suppose même
à mon tour, une disposition individuelle coïncidente,
particulière, locale, quelquefois, peut-être, générale,
pour me rendre compte de ces gangrènes inflamma-
toires, aiguës. Alors tout devient clair : lorsque la
gangrène survient, c'cFt que l'inflammation aiguë,
aidée de la disposition, de la dialhèse gangreneuse
dont je viens de parler, agit avec succès. Quand la
gangrène manque, c'est que la coexistence manque
aussi.
Symptômes de l'inflammation aiguë ; du troisième
au septième ou liuilième jour de sa marche, cessa-
tion subite de tous les accidents locaux: à la douleur
succède l'engourdissement, la tuméfaction s'aflaisse,
la rougeur diminue, la partie pâlit, puis devient
livide, violacée et enfin noirâtre. 11 survient des phlyc-
tèiies, la chaleur se dissipe, la parlie se refroidit, l'é-
piderme se ride, se fléirit, !a sensibilité s'éteint, l'agi-
tation fébrile se calme et fait place, si la gangrène est
étendue, à la prostration, à l'aliaissement; le délire,
s'il en existait, se change en subdelirium ou en un état
comateux^ en un mot, les phénomènes de l'adynamie
se déclarent. Puis se montrent, si le malade ne suc-
combe pas, les phases diverses de l'élimination et de
la cicatrisation.
Traitement. — Antiphlogistiques proportionnés à la
phlegmasie pour prévenir la gangrène; saignées gé-
nérales et locales modérées pour dégorger les parties
tuméfiées-, danger, peut-être exagéré, des réfrigé-
rants et des narcotiques-, utilité, dans certains cas,
des incisions et des débridements qui agissent en le-
vant l'étranglement s'il existe, et en dégorgeant lo-
is
274 CHAPITRE II.
calement. les tissas. Si la gangrène s'empare de tout
un menabre et gagne de proehe en proche, faut-il
amputer?... Oui, dans le cas oii elleserait près d'eiï-
vahir letïonc; oui qiïand, étant bornée, elle occupe
de larges surfaces sans, même, qu'il y ait spha-
cèle.
1° Gangrène curonîqoe. — Quelques écrivains ap-
pellent ainsi celle qui s'accomplit sans être accompa-
gnée de symptômes inflammatoires aigus, surtout
celle qui est sèche et longue à tomber (S. Cooper^
p. 627). 11 faut aussi que les symptômes ataxiques du
adynamiques ne s'y montrent pas, et que sa marche
soit lente. Cette gangrène est en quelque sorte ca-
ractérisée , par l'absence des traits propres aux
autres. On la reconnaît à la lenteu=r de sa mar-
che et aux caractères généi'aux dé la gangrène. Elle
paraît due à une diathèse morbide particulière et in-
dépendante de toute phlegmasie : faire d'une inflam-
mation chronique Une cause de gangrène après en
avoir fait une de la phlegmasie aiguë me semblé
presque une inconséquence.
Comme nous avons moins de moyens eticore pour
arrêter la gangrène que poui'' la'prévenir, c'est contré
les gangrènes chroniques, et contre celles qui so-nt
adynamiques ou atasiiques, que se sont surtout exer-
cés les médecins et les chirur'giens confiants dans les
vertus de la polypharmacie. Bes purgatifs variés, des
diaphoréliques antimoniaux, les opiacés, seuls ou
combinés avec les antimoniaux, avec ripécacuanha,
comme dans la poudre de Dower^ les toniques, tels
que les liqireurs vineoses, la diète animale, le bon
vin, l'ammoniaque;, la confection aromatique, Féther,
(e quinquina, le camphre, etc., etc. (Voy. S. Cooper,
Gmrgrènh, t. If, p. 5-32', etc.) , forment une partie des dnoM-
gue& préct)fliséeis par les uùs et attaquées par les au-
DE LA GANGRÈNE AVEC DÉBILITÉ. 275
très, pour les remplacer par des drogues qui ne va-
lent pas mieux.
3« Gangrène avec débilité, — H y a des gangrènes
dont le développement coïncide avec l'épuiseraent,
avec des causes débilitantes, des maladies antérieures
de longue durée, des pertes excessives, des excès de
fatigue, des paralysies, des infiltrations séreuses, le
scorbut. Ces circonstances en sont-elles la cause,
comme on le pense? Elles sont si communes, et ces
gangrènes si rares!... en vérité je n'ose pas plus
l'assurer que le nier.
Symptômes locaux. — Dans ces phlegraasies, la rou-
geur est livide, violacée, le gonflement mou, œdéma-
teux, et souvent en même temps la douleur est fai-
ble, il y a peu de chaleur; dans le scorbut, il y a
des infiltrations sanguines ou séreuses. — Symptômes
généraux. Adynamie, délire calme, pâleur de la face,
affaissement profond, pouls petit, misérable, sueurs
froides, visqueuses, etc. Cette gangrène se développe
et marche avec rapidité; la mort peut survenir en
quelques jours, parfois en vingt-quatre heures. —
Traitemeni général de la gangrène et traitement spécial
des symptômes. Cordiaux, toniques, analeptiques à
l'intérieur; cataplasmes et lotions toniques à l'exté-
rieur; quelquefois même vésicatoire et caustique
pour activer la vitalité.
4° Gangrène des enfants. — Au mode précédent se
rattache une forme particulière de gangrène générale-
ment négligée par les chirurgiens, et qui s'observe
assez fréquemment aux joues chez les enfants, et aux
grandes lèvres de la vulve chez les petites filles. C'est
le cancer aqueux des Allemands qui nous ont fait con-
naître cette maUdie. — Causes. Cette affection se mon-
tre chez les enfants, de quelques mois à huit ou dix
ans, chétifs, étiolés, scrofuleux, affaiblis par une ma-
276 CHAPITRE IL
ladie antérieure (entérite, exanthèmes fébriles), la
mauvaise nourriture, l'habitation dans des localités
malsaines, l'encombrement dans les hôpitaux, les
salles d'asile, etc.
Symptômes. — La gangrène commence par un gon-
flement blanc, comme œdémateux, mais dur, de la
joue ou des lèvres de la vulve, accompagné, ou même
précédé surtout pour cette dernière pariie, de dou-
leurs plus ou moins vives et brûlantes. Bientôt appa-
raît une tache gangreneuse qui s'étend ou se réunit
à d'autres formées dans le voisinage, et qui envahis-
sent toute l'épaisseur des parties indurées. Toute la
joue, t(mte la vulve, avec le mont de Vénus et les té-
guments de l'aine et du périnée, peuvent être ainsi
frappés de mort. La partie gangrenée est convertie
en une masse pulpeuse, noirâtre, mêlée de flocons
graisseux imprégnés d'une sanie brunâtre. Les tissus
voisins sont infiltrés d'une sérosité jaunâtre, mais
fermes, comme lardacés, et criant sous le scalpel.
LsL marche est plus ou moins rapide; bientôt, si le
mal s'étend, les forces déclinent, il survient de la
diarrhée, et l'enfant meurt dans l'épuisement. La
forme que nous venons d'indiquer, n'étant pas précé-
dée d'inflammation, ne saurait être confondue avec
la stomatite gangreneuse, avec la diphlhérite et la
vulvite aiguë.
Traitement. — Outre le traitement général, qui est
analeptique et fortifiant, le meilleur moyen d'arrêter
les progrès de la gangrène est la cautérisation, soit
avec les caustiques liquides, soit, ce qui est préfé-
rable, avec le fer rouge. L'escarre une fois limitée, on
panse avec des plumasseaux imbibés de chlorure li-
quide de Labarraque. Nous en parlerons ailleurs.
5° Gangrènes avec obstacles a la circulation ou an-
GioPATBiQUEs. — Cc sout Ics gangrèucs spontanées de
GANGRÈNES ANGIOPATHIQUES. 177
Certains auteurs modernes, des gangrènes compiî-
<(juées de lésions des organes circulatoires.
Que ces lésions ne soient que des éléments, des
complications ou des causes de ces gangrènes, on peut
les ranger sous trois modes :
A. Gangrènes cardo-pathiques ou avec lésions du cœur. —
Quelques auteurs, tels que Senac, Lancisi, ont re-
gardé comme cause efficiente de gangrène les affec-
tions organiques dans lesquelles le cours du sang à
travers cet organe est notablement gêné-, mais Cor-
Visart (Essai sur les mal. org. ducœur, p. 174) a fait voir
-que dans les cas oii Torifice aorlique était presque
entièrement oblitéré, il n'y avait généralement pas de
gangrène, et «la seule rareté, ditLaennec, de la
gangrène spontanée des membres, comparée à la fré-
quence des maladies du cœur et des ossifications des
artères, suffit, en effet, pour ôter toute probabilité à
«ette opinion. » (De l'Ausculc, t. II, p. 491; Paris,
1826.) M. Bouillaud partage cette manière de voir,
et, comme le fait observer M. François, un obstacle
au cours du sang dans le cœur, capable de déterrci"
ner la mort partielle, produirait assurénrent aussi la
mort totale. M. Andral, qui croit à l'efficacité de cette
cause, et qui a publié quelques observations à l'appui
de son opinion, n'a réussi à prouver qu'une chose,
c'est que dans les affections organiques graves du
cœur, les congestions séreuses ou sanguines des ex-
trémités prédisposent ces parties à la gangrène. (Cli~ ^
nique mêd., t. I, p. 87 et suiv.-, Paris, 1829.) Les ma-
ladies du centre circulatoire avec obstacle au passage
du sang, soit à sa sortie, soit plus particulièrement à
son entrée, peuvent préparer la gangrène ; mais ce
n'est pas démontré, selon nous.
Symptômes et marche. — Ces gangrènes succèdent soit
à une infiltration œdémateuse des extrémités inférieu-
^7§ CHAPITRE II.
re^ ou des bourses, surtout si l'on y a pratiqué des
scarifications 5 soi): à des érysipèles livides, de nature
djputeuse, non franchement inflammatoires, qui se
montrent sur ces mêmes parties. La gangrène affecte
généralement alors la forme humide.
Le pronostic est grave surtout ,en raison de la ma-
ladie organique principale dont les gangrènes déno-
tent une période avancée. Cependant M. Andral a
rapporté l'observation d'un homme qui présentait
tous les signes d'une affection organique du cœur,
avec dyspnée, anasarque, et chez lequel une morti-
fication de toute la peau du scrotum amena une amé-
l}})ration des accidents locaux et la disparition de
l'anasarque. Cet individu iijiourut peu après d'une
hémorragie cérébrale.
Traitement. — C'est celui des maladies du cœur j
dans ces cas d'infiltrations séreuses ou sanguines,
élevez le membre modérément, abstenez-vous le plus
possible de scarifications. Si la gangrène se déclare,
insistez particulièrement sur les toniques géqérau:^
et locaux.
B. Gangrène artério-nerveuse. ■ — Causes. On a trouvé
plusieurs fois dans ces derniers temps des altérations
rapportées à l'artérite, à la suite de gan;^rèiies qui
avaient été précédées des symptômes attribués à
celte affection, savoir : douleurs dans le trajet des
artères tendues comme des cordes, engourdisser
ment, sensation de pesanteur, difficultés dans les
mouvements du membre, augmentation ou affai-
blissement dans les battements artériels, décolo-
ration de la peau ou tuméfaction violacée de cette
membrane, avec fièvre et excitation générale, ou,
au contraire, abattement, pouls faible, etc. Les lé-
sions matérielles attribuées à l'artérite étaient les
suivantes : rougeur de l'artère et de ses divisions,
DE LA GAlNGRÈrvE ARTÉRIO-NERVEUSE. 2Tf
état riJ^ueyx ou ridé de sa surface interne, adhésion
de ses parois, ou oblitération par des caillots plus
ou moins organisés, injection des vasa vasomm,, épais-
sissement avec friabilité des parois artérielles, elc.
Rien de plus commun que Tossiflcation des troncs
îirtériels chez les vieillards où cette gangrène, dite
sénile^ est la plus fréquente. Eli bien, quoique cette os-
sification soit presque constante à un certain âge, la
gangrène est une exception. D'ailleurs il n'est pas
prouvé que l'ossification des gros troncs gêne le
cours du sang, etc. A cela on répond, il est vrai,
que très-souvent on n'a trouvé dans ces cas de
gangrènes séniles d'autres lésions artérielles que l'os-
sification 5 que celle-ci peut rétrécir le tube artériel,
le priver de l'élasticité qui favorise le cours du sang^
que des lamelles osseuses, des plaques alhéroma-
teuses peuvent tomber dans le canal du vaisseau et
l'oblitérer; que la compression locale d'une arîère
SiOit par i'art, soit par une tumeur, une exostose, la
présence d'un os luxé, la ligature chirurgicale, sont
autant de causes de ia^angrène, etc. Mais le rétrécis-
sement des artères par leur ossification, l'influence de
la perte de leur élasticité, tles plaques osseuses, etc.,
détachées et capables de produire la gangrène sont
des suppo-itiuns: les faits de compression locale, de
ligature d'arlère saine, ne s'appliquent pas aux cas
qui nous occupent et ne sont pas exacts. En effet, ces
ligatures à l'avant-bras et aux jambes ne sont pres-
que jamais suivies de gangrène. Je n'en ai même ja-
mais vu à la suite de la ligature de l'artère fémorale
saine, pratiquée au-dessus ou au-dessous de la pro-
fonde. D'un autre côté, même en admettant que l'o-
blitération des artères des jambes puisse amener
l'exlinction définitive de la vieclans les orteils et dans le
pied, peut elle expliquer les douleurs, les fourraillo-
280 CHAPITRE II.
ments, les sentiments de pesanteur qui se sont ma-
nifestés plus ou moins longtemps auparavant dans le
pied, dans la jambe ? Qui ne voit que cette succession
de symptômes est dominée par la lésion de vitalité
qui l'a devancée, que ce soit une lésion de nervation
ou une diathèse, gangreneuse particulière? Concluons
donc que l'artérite, l'oblitération des artères peuvent
concourir à l'extinction définitive de la vie sans en
être la première cause. Le fait d'oblitération a même
besoin de recherches nouvelles, surtout d'injections fi-
nes qui perme! lent de bien étudier l'état des vaisseaux.
Siège. — Cette gangrène se montre plus particu-
lièrement surlesparlies isolées et éloignées du centre
circulatoire : les orteils, les pieds, les doigts, les
mains, le nez, les oreilles, le pénis.
Sympiômes. — Avant l'apparition de la gangrène,
ordinairement : fourmillements, picotements, dou-
leurs, quelquefois très-vives, augmentant pendant la
nuit ou la chaleur du lit, avec taches livides sur les
orteils, le dos des pieds, les doigts, la main, suivant
les parties où la gangrène éclatç ; température moins
élevée dans la partie qui doit être envahie, batte-
ments artériels moins énergiques; douleurs suivant
quelquefois le trajet des vaisseaux 5 quelquefois di-
minution très-considérable ou même absence com-
plète de pulsations dans l'artère principale; peau par-
semée de bandes rouges, livides, escarres gris sale,
qui se réunissent et prennent une teinte noirâtre,
puis noire; quelquefois cependant peau blanche,
progrès du mal plus ou moins rapides et gagnant de
proche en proche. Partant le plus souvent des orteils,
le mal peut envahir successivement le pied, la jambe,
la cuisse, le tronc. Dans les cas où la mortification
coïncide avec l'oblitération des artères, elle est ordi-
nairement sèche (v. plus haut), au contraire humide
DE LA GANGRÈNE AÎIÏÊRIO-NERVEUSE. 281
avec phlictènes, etc., quand il y a eu compression
circulaire du membre, peut-être quand il y a seule-
ment oblitération veineuse.
Marche très-variable, tantôt rapide, tantôt très-
lente, quelquefois s'arrêtant pendant des semaines,
des mois entiers pour reprendre ensuite, mais les
parties mortes ne reviennent jamais à la vie. Quand
les progrès sont rapides, les douleurs vives, il y a
quelquefois de la fièvre, c'est ce qui arrive dans
l'artérite. Cependant Pott n'en dit rien en parlant
de la gangrène des pieds et des orteils qu'il a dé-
crite et qu'il croyait spéciale aux gens riches, adon-
nés à la bonne chair. Parfois il y a prostration 5
la mort peut survenir, soit pendant la période de
progrès, soit après la chute des parties mortifiées,
quand la suppuration est très-abondante.
Diagnostic. — Le mode d'invasion des symptômes,
mais surtout le refroidissement du membre, empê-
cheront de confondre cette gangrène à son début,
avec le rhumatisme quand il s'accompagne de dou-
leurs vives. Mais, au total, le diagnostic est souvent
très-obscur, très-difficile et ce n'est guère que lors-
que les taches livides se manifestent que la maladie
peut être reconnue.
Pronostic toujours fort grave -, comme la maladie
procède quelquefois par attaques successives, quand
la guérison est obtenue, le mal peut reparaître. Ce-
pendant, on a vu quelquefois la vie se rétablir pleine-
ment dans des parties engourdies, insensibles, même
froides et que l'on croyait près de tomber en gangrène.
Traitement. — Il varie nécessairement suivant les
cas. S'il y a des douleurs vives, des phénomènes de
phlegmasie, saignées générales répétées (Dupuy tren),
et applications locales de sangsues sur le trajet des
artères (Delpech, Broussais et M. Roche), applica-
282 CHAPITRE II.
tions locales émoUientes (Pptt). Quand les douleurs
sont très-vives, opiacés instamment recommandés par
Pott, qui les regardait comme un spécifique dans les
cas de ce genre. Ces douleurs autorisent, d'ailleurs,
à faire croire que l'élément nerveux joue un grand
rôle dans la nature de cette gangrène. Si les sujets
sont très- âgés, très-faiî>!es, fortifiants ordinaires.
Les chirurgiens, paraissent d'accord pour proscrire
rampufaUon cjaus ces affections. Sur huit cas de ces
gangrènes, dites spontanées par quelques-uns et dans
lesquelles on pratique l'amputation : cinq moris et
trois guérisons-, sur onze cas dans lesquels on se
borne à l'expecta^tive : dix guérisons, un seul mort.
{Compendium de chirurgie^ t. I.)
Quand l'obstacle au cours du sang est dû à une
compression, locale ou circulaire, à un obstacle mé-
canique, on l'enlève si faire se peut. Dans ces cas
le refroidissement du membre sera combattu par des
applications de sachets de sable chaud, de fomenta-
tions chaudes, avec des substances plus ou moins ex-
citantes, et dont la température ne dépasse pas celle
du sang. Voilà du moins ce que l'on recommande ,
mais, sans pouvoir remplacer ces principes par de
meilleurs, je suis obligé d'avouer leur faiblesse.
Historique. — L'ossitication des arlèros dans la gan-
grène artério-nerveuse est connue depuis longtemps.
(Voy. Boerhai^veet Vanswielen, trad. franc., § 280,
t. IV.) Vous y trouverez un exemple de gangrène ar-
tério-nerveuse des extrémités expliquée par l'oblité-
ration des artères, Depuis, on a constamment marché
dans les mêmes voies jusqu'à M. François {Essai
sur les (jmgr. sppnt. Paris, 1832), Godin, etc., etc.
C. Gangrènes fkUho'paihiques. — L'oblitération des
veines esl^-elle capable par elle seulede déterminer la
gangrène? G'estau moins excessivement rare. Dans les
DE LA GANGRÈNE DES FIÈVRES GRAVES. 283
cas beaucoup plus communs oîi les artères et les veines
sont oblitérées simultanément, comme dans les cas
de cpippression circulaire, de compression pjortqint à
la fois sur l'artère principale et les troncs veineux
principaux d'un membre, c'est plus paj'ticuijèrement
la gangrène humide avec œdèiBc des parties ^oust
jaceutes au point comprimé que l'on observe. Le
traitement consiste, ici, à lever l'obstacle et à se
comporter comme daa§ les cas de gangrène humide
ordinaire.
6° Gangrène diathésale des fièvres asynamique,
ATAXiQUE, pestilentielle, ctc. — Elle survient sons
l'influence; des fièvres graves, exanthémateuses, ty-
phoïdes, typhus, peste, morve, dans les parties sur les-
quelles le malade repose, et qui sont soumises à uijjb
pression lente, telles que les régions do sîiçrupi, dg^
trochanter^, des cordes. Cette pression, seule est or-
dinairement insuffisante. Aiis?si un homme qui a une
fracture du col du fémur, et se porte bien d'ailleurs,
peut rester couché trois mois et plus, sur le dps, sans
gangrène. Au contraire, la gangrène attaque, dans
ces diathèses, des parties préalablement enflammées,
des surfaces de vésicatpires par exemple, le cou dans
les scarlatines malignes, le nez, les orteils, les paro-
tides dans certains typhus, sans être aidée parla com-
pression. Boyer a vu dans des fièvres typhoïdes trojs
cas de gangrène dii pénis, chez des sujets atteints
antérieurement de blennorragie aiguë.
Quelquefois celte gangrène semble raétaslatique
ou critique, comme on voudra, et sauve le malade, du
moins en apparence. Ce qu'il y a de certain, c'est que
ces destructions partielles ont lieu surtout pendant la
convalescence de ces fièvres, alors que la constitulion
a été violemment ébranlée et afl'aiblie par elles. Hé-
brçard en a réuni un certain uQmbre de cas as^ez eu-
28/j CHAPITRE II.
rieiix dans son Mémoire. En voici un au hasard : «Il
est rapporté, dit-il, dans ['Histoire de l'Académie des
Sciences (an 1703, p. 41), qu'une fille d'un village de
Bourgogne eut, à l'âge de sept ans, une fièvre, à la
suite de laquelle ses bras et ses mains se desséchè-
rent et tombèrent spontanément Elle apporta elle-
même à l'Académie, ses mains dans ses poches, et les
en tira avec un de ses moignons : elles étaient noires
et sèches comme les mains d'une petite momie. »
(Mém. cité, p. 64.) Dans beaucoup de cas, c'est un ac-
cident de plus qui s'ajoute à la gravité d'un autre mal ;
c'est ce qui a lieu particulièrement pour la peste.
Caractères anatomiques. — Tantôt la mortification sur-
vient rapidement au milieu d'accidents phlegmasi-
ques; ou la partie est congestionnée, et alors la gan-
grène est humide, ou bien elle se déclare lentement,
et il y a momification et dessèchement des parties
frappées de mort, comme chez la petite fille dont
nous venons de parler.
Elle se reconnaît aux caractères de la gangrène et
de la diathèsequi se manifestent.
Le pronostic est grave, tant à cause de la maladie
principale que de la gangrène elie-ménie.
Traitement. — Il faut combattre la maladie princi-
pale, et traiter la gangrène par les moyens locaux
ordinaires, suivant les indications. Seulement, on
s'efi'orcera de la prévenir en empêchant, à l'aide de
coussins remplis de balles d'avoine, que le poids du
corps ne porte sur le point qui se gangrène. Dans
la peste, on limite quelquefois le mal par la cautéri-
sation avec le fer rouge, etc.
7* Gangrènes spontanées. — Les auteurs modernes,
pensant avoir reconnu que la plupart des gangrènes di-
tes spontanées dépendentd'obstacles au cours du sang,
croient avoir diminué le nombre de celles qui se dé-
GANGRÈNES SPONTANÉES. 285
veloppent ainsi sous l'influence d'une dialhèse gan-
greneuse. Mais nous avons vu aux gangrènes artério-
nerveuses, et même dans les pages précédentes,
combien ils se font illusion. Toute gangrène qui se
développe sous l'influence d'une disposition morbide
individuelle rentre dans les gangrènes spontanées;
et par conséquent toutes les gangrènes par causes
diathésales en font partie.
Causes. — Généralement les sujets atteints de ces
gangrènes le sont en apparence au milieu de la santé,
sans présenter aucun phénomène capable de les faire
soupçonner, ni aucun symptôme capable de les ex-
pliquer. C'est vainement que l'on en chercherait
le, point de départ dans une alimentation vicieuse,
dans une inflammation extérieure ou profonde, dans
une artérite, etc. On ne trouve aucune de ces cir-
constances pour les expliquer, et alors même qu'elles
existeraient, elles ne les expliqueraient pas, ainsi que
nous croyons l'avoir démontré précédemment (p. 272,
280), Les gangrènes compliquées sont aussi sponta-
nées-, si je les ai distinguées les unes des autres par
des litres divers, c'est pour faire saillir leurs compli-
cations. Quand Boyer racontait dans ses leçons clini-
ques qu'une personne, jeune encore, attachée à
l'ambassade de Danemarck , enjambant un soir les
banquettes de l'Opéra, se fit aupied une très-légère
contusion, qui fut bientôt suivie, sans motif, d'un
sphacèle du membre inférieur qui se termina par la
mort; ne parlait-il pas d'une gangrène spontanée?
Symptômes, — Des taches, des plaques gangreneuses
se montrent à la peau, restent isolées ou se réunis-
sent, pénètrent plus ou moins profondément, gagnent
quelquefois toute l'épaisseur d'un membre ; dans
d'autres cas la gangrène est interne et éclate dans les
viscères.
286 CHAPITRE II.
Traiternent. — S'il y a delà faiblesse, de la débilita-
tion, régime tonique approprié; quant aux moyens
ehirurgicaux, ce sont ceux dont nous avons parlé.
Des modes de gcîngrènes sous te rapport des causes.
Les uns tiennent à des causes internes ou indivi-
duelles, à une disposition morbide gangreneuse par-
ticulière, générale ou locale, et nous venons de les
décrire à l'occasion des gangrènes compliquées; d'au-
tres h des causes extérieures surtout. Les premiers ont
un développement, une marche presque irrésistibles,
en soVte que l'art eétàpeu près impuissant à les com-
battre. Plusieurs des seconds ont une progression cir-
conscrite, bornée, et l'art peut triompher de quel-
ques-uns d'une manière éclatante. Les premiers sont
les gangrènes inflammatoires aiguës, les chroniques,
les gangrènes avec épuisement et faiblesse , la gan-
grène infantile, les gangrènes angiopathiques, celles
des fièvres graves, celles dites spontanées que noiis
venons de décrire.
Les seconds sont les gangrènes par ergotisme, par
empoisonnement venimeux, par vii^ulence, par eom^
pression, par contusion, par caustication, qu'il nous
reste à exposer. Si nous sommes dans la vérité, nous
aurons bien simplifié et rectifié \A pathogénie de la
gangrène.
Nous renverrons les gangrènes par venins aux
plaies enveuiméesj comme la pourriture d'hôpital aux
plaies d'armes à feu.
8" Gangrène par l'ergotisme. — Fraction d'une ma-
ladie très-complexe qui appartient par l'ensemble de
ses symptômes sensitifs, cérébraux, nerveux, convul-
sifs, gangreneux, etc., aux diathèses les plus graves
et dont il faudrait peut-être abandonner l'histoire à
DE LA GANGRÈNE PAR l'eRGOT. 287
la pathologie interne pour n'en pas donner un tableau
jncomplet en l'abrégeant.
Causes. — Nourriture de seigle ergoté. Vergot est
un produit anormal développé entre les valves florales
de certaines graminées, plus particulièrement du
seigle, et tenant la place des grains normaux qui
avortent. Il y en a quelquefois jusqu'à dix, quinze et
vingt dans un seul épi. Le grain altéré est long de
deux à trois centimètres au plus, légèrement fusi-
forme, recourbé en ergot de coq, strié longitudinale-
ment, offrant ordinairement trois saillies ou arêtes
mousses j quelquefois criblé de petits trous sembla-
bles à de la vermoulure ^ d^uo brun violacé à l'exté-
rieur, blanc grisâtre en dedans ; d'une cassure nette
et cornée. L'odeur n'est appréciable que quand l'er-
got est réuni en grande quantité 5 elle est vireuse, ap-
prochant de oeHe du moisi. Sa saveur est légèrement
acre et mordicante. Cette production se montre sur-
tout dans les années pluvieuses, dans les terrains
humides, bas, sablonneux, très-communs en Sologne,
dans l'Artois, la Picardie, la Touraine, l'Angoumois.
On s'accorde à la regarder, avec M. de Candolle,
comme un champignon développé dans l'ovaire même.
M. Bonjean, de Chambéry, qui s'est beaucoup oc-
cupé de cette substance, y a reconnu r une huile er-
golée, dans la proportion de 35 pour 100, blanche,
épaisse, un peu acre, dou^e de propriétés toxiques
qui paraissent agir particulièrement sur le système
nerveux 5 2° un extrait, daiis la proportion de 15 à 20
pour 100, rouge brun, d'une odeur de viande rôtie,
d'une saveur légèrement piquante et amère. C'est le
principe médicamenteux actif de l'ergot; car ce
poison est aussi un remède précieux contre l'inertie
die la conlractililé de l'utérus et ses hémorragies.
C'est cet ergot qui, mélangé au pain, détermine des
288 CHAPITRE II.
accidents et la mort. Le méiaûge doit être dans une
forte proportion : un quart ou même un tiers, et pro-
longé pendant une quinzaine de jours au moins pour
produire ses effets toxiques. En moindre quantité, ii
produit des accidents moins graves. Ainsi on a vu
périr dans une pauvre famille, le mari, la femme,
deux enfants, qui avaient mangé de la farine de seigle
ergoté dans une forte proportion 5 un troisième en-
fant qui en avait mangé en bouillie resta sourd, muet
et impotent des deux jambes.
L'ergotisme se montre plus particulièrement chez
les adultes, les vieillards, pins rarement chez les
femmes, à moins, comme le dit M. Courhaut, qu'elles
ne soient nourrices ou dans l'élat de grossesse, car
en huit jours elles perdent leur lait, en quinze jours
ou trois semaines elles avortent. ( Traité de l'ergot de
seigle, p. 44. Cliâlons, 1827.) L'ergot agit plus promp-
tement sur les individus cacochymes, sur les scrofu-
leus, les sujets affectés de scorbut. {Jd., ibid.) Il règne
épidémiquement dans les mauvaises années et dans
les localités où l'ergot est très-abondant dans les cé-
réales. Est-ce bien réellement l'ergot du seigle qui
agit alors? Le fait a été contesté dans les temps par
quelques auteurs, et notamment parParmenliér. Mais
les expériences de Salerne, de Read*, de Tabbé Tes-
sier, et d'une demoiselle charitable qui soignait les
malades dans une épidémie d'ergotisme; des observa-
tions et des épidémies sans nombre, en France, en
Alsace, en Lorraine, en Dauphiné, en Sologne, en
Suisse, en Allemagne, dans la Hesse, la Saxe, la
Prusse, en Suède, etc., etc., ont démontré que les
hommes et les animaux nourris avec de la farine ainsi
altérée éprouvaient les mêmes accidents; que ces
accidents sont en général proportionnés à la quantité
de l'ergot mêlé à la nourriture. Les quadrupèdes et
DE LA GANGRÈNE PAR l'eRGOT. 289
les oiseaux soumis aux expériences sont morts avec la
gangrène des extrémités, des oreill"fes, de la queue,
du bec ; avec des taches gangreneuses dans les vis-
cères, le foie, les intestins, etc. Enfin les recher-
ches de Barbier d'Amiens, de M. Payan d'Aix, ont
démontré que l'ergot du seigle exerçait sur la moelle
épinière une action analogue à celle de la strich-
nine.
Caractères matériels et symptômes. — Quoiqu'on n'ait
fait que deux modes de l'ergotisme, le convulsif et le
gangreneux, cette maladie affecte des formes plus va-
riées^ car les lésions anatomiques et phénoménales
se montrent dans tous les organes, ainsi qu'on va le
voir, par leur énuniéralion, et se combinent de bien
des manières chez les différents malades.
Lésions de sensations. — T)o\x\env^ de tète, douleurs
dans les extrémités qui gagnent le tronc et sont
violentes, brûlantes, ou comparées par certains ma-
lades à des sensations d'arrachement des membres;
engourdissement, fourmillements aux pieds, aux
mains, qui s'étendent progressivement ; peau rouge,
tendue ou ridée au point de cacher les veines sous-
jacenles; éblouissemenls, obscurcissements des yeux,
cécité même 5 bourdonnements d'oreilles, surdité 5
lésions de C intelligence, vertiges, sorte d'ivresse, hé-
bétude, stupidité, manie, mélancolie, coma, som-
meil troublé ou non, léthargie; lésion de l'innervation
musculaire, contractions convulsives, spasmodiques,
tétaniques d'opisthotonos, et mort par attaque d'as-
phyxie convulsive épilepliforme avec écume à la
bouche, ou faiblesse, paralysie des membres; voix
quelquefois affaiblie, éteinte; lésions de la digestion,
nausées, quelquefois faim canine, cardialgie violente,
gonflement delà langue, intumescence du ventre, par-
fois dévoiement; lésions de la respiration, dyspnée et
19
290 CHAPITRE II.
épanchernenls sanguins dans la poitrine ; lésions delacir-
cidation, pouls paiiois aflaibli, sang altéré dans sa cou-
leur, sa consistance; de sécrétion, snenvs, abondantes
dans les douleurs, enflure de la face, des membres,
suintements des yeux , des oreilles, etc. 5 lésions de
nutrition, amaigrissement 5 delà chaleur animale, refroi-
dissement des membres jusqu'à la raideur; lésions
génératrices, souffrances aux époques menstruelles
cédant à l'écoulement des règles; lésions inflamma-
toires viscérales gangreneuses, avec épanchements,
bubons au cou; lésions gangreneuses commençant
ordinairement aux orteils, aux pieds, aux doigts, aux
mains, gagnant peu à peu le reste des membres et le
tronc en produisant presque constamment une gan-
grène sèche, momifiante, quelquefoisavecphlyctènes,
qui met un terme aux douleurs ardentes précédem-
ment indiquées, et se détache après un tempaplus ou
moins lorig, mais toujours long. Séparation des par-
ties mortes avec souffrances affreuses, d'autres fois
sans douieurs et facilement, comme il arrive aux ma-
lades qui amènent les phalanges de leurs doigts en
retirant leurs gants ou leurs bas; dans certains cas,
chute des chairs, séparées spontanément des os qui
restent; dans d'autres, séparation spontanée des
membres dans leurs jointures, même les plus consi-
dérables, comme celles du coude-pied et du poignet,
du genou et du coude, de l'épaule et de la cuisse.
Ordinairement, détachement des parties morîes sans
hémorragie ; souvent mort à cette époque ou aupa-
ravant , parfois guérison avec mutilation plus ou
moins considérable, perle d'un ou de plusieurs mem-
bres, de quelques facultés sensitives ou intellectuelles
et motrices.
Marche. — Ordinairement lente, durée de vingt
jours à plusieurs mois; début ordinaire par les
DE LA GANGRÈNE PAR L ERGOT. 2M
douleurs, les troubles des sens, del'mteHigence, tes^
convulsions, quelquefois accès périodiques de dou-
leurs, de convulsions tous les trois ou quatre jours,
avec liberté d'aller et de venir.
Au moment de la mort, les malades ont ordinaire-
ment le teint jaune, le ventre gros et dur, des coli-
ques, de la diarrhée, depuis un temps plus ou moins
long, le pouls est petit, imperceptible, etc.
Suivant Mi Gourhaut (p. i2), l'action styptique du
seigle ergoté resserre les vaisseaux artériels. Dans
les cas qu'il a observés, les' troncs artériels étaient
réduits au seul rapprochement de leurs tuniques,
dont la couleur était brune, et l'introduction d'un
stylet très-mince ne pouvait avoir lieu dans leur ca-
vité. — L'action délétère de l'ergot porte, suivant
lui, plutôt sur les parties profondes et sur les os que
sur les muscles et sur les téguments-, il a observé
que ces derniers débordaient de beaucoup le moi-
gnon > après la chute des parties sphacélées et que les
os étaient toujours nécrosés plus haut que le sphacèle
des parties charnues. — Il a constaté aussi directe-
ment que les cordons nerveux conservent leur struc-
ture et leur sensibilité, même au sein des parties
mortifiées.
Ces lésions des artères, les douleurs vives ressen-
ties dans leur trajet, l'absence de battements dans les
gros troncs pendant la marche de la gangrène, les
phénomènes de celle-ci qui ont tant d'analogie avec
ceux qui résultent de l'artérite, ont fait croire à
quelques personnes que le sphacèle était précédé
d'une véritable artérite par intoxication ergotée. Nous
avons déjà pesé ces opinions.
Modes. — Yaiiables suivant la prédorainence et les
combinaisons des douleurs, des troubles des sens, de
l'intelligence, de la musculation, des inflammations
292 CHAPITRE II.
gangreneuses intérieures et delà gangrène des mem-
bres.
Diagnostic. — Il est fondé sur l'ensemble des eom-
mémoralifs et des symptômes. Cependant s'il s'offrait
un cas isolé, le diagnostic pourrait être difficile.
Pronostic. — Très-grave en général. Néanmoins il
varie suivant la quantité de l'ergot ingéré, suivant la
durée du temps pendant lequel les malades en ont
pris 5 suivant l'intensilé des accidents; suivant la pé-
riode à laquelle la maladie est arrivée ; suivant l'âge
et l'état de force ou de faiblesse des malades.
Traitement. — Prophylaxie. — Bonne nourriture, con-
ditions hygiéniques meilleures. îl serait bien à dé-
sirer que l'on eût, ici, un antidote, mais on n'en con-
naît point. Voyons ce que l'on a fait. On a combattu
les douleurs très-aiguës, les vertiges, la réaction
fébrile par la saignée; les symptômes d'embarras gas-
triques, rares d'ailleurs, par les vomitifs et les pur-
gatifs ; les spasmes, les convulsions, parle camphre,
les antispamodiques. les opiacés; la forme gangre-
neuse, par les excitants et les Ioniques intérieurs et
extérieurs (thériaque, quinquina). On a aussi em-
ployé les sudorifiques, les vésicatoires; M. Courhaut
a vanté l'ammoniaque, en potion et en topique, etc.
Voici le traitement que je conseillerais : quand l'em-
poisonnemenl est léger, et à son début, secours de
l'hygiène, mais surtout nourriture saine et fortifiante.
S'il y a des vertiges, du coma, des accidents spasrao-
diques, de la fièvre, que le pouls ait de la force, que
la constitution du malade soit bonne, l'âge pac trop
avancé, saignées modérées, générales ou locales, à la
base du crâne, le long du lâchis. Dans les cas où la
faiblesse du malade s'oppose aux émissions sanguines,
appliquer des vésicatoires dans les mêmes points. Si
les douleurs des membres sont très-violentes, vésica-
DE LA GANGRÈNE PAR l'eRGOT. 293
loires loco dolenti et opiacés à l'intérieur. Si l'affai-
blissement est extrême, s'il y a troubles très-graves
ou abolition des sens, vésicatoires derrière les oreilles,
surtout si le pouls est faible et la lièvre nulle. Dans
le cas de tétanos, opium à l'intérieur porté rapi-
dement à un demi-gramme, un gramme, deux gram-
mes et plus encore. Sauf le cas, d'ailleurs très-rare,
de réaction inflammatoire, cordiaux et stimulants à
l'intérieur et à l'extérieur. La gangrène externe se
traite comme les autres gangrènes, suivant qu'elle
est sèche ou humide, et elle est ici presque tou-
jours sèche. L'amputation n'est, ici, réclamée que
quand le sphacèle est bien limité, et. encore, dans
beaucoup de cas, doil-on attendre la chute des mem-
bres. Enfin, si les accidents offraient une intermit-
tence régulière, on les combattrait par le sulfate de
quinine.
Historique de C ergotisme gangreneux. — Réad ( Traité
du seiij/e ergoté, 2^ édil., Metz, 1774) s'est efforcé de
rapporter à des épidémies d'ergotisme une foule d'é-
pidémies relatées par les historiens anciens et du
moyen âge, et dans lesquelles il paraît y avoir eu des
phénomènes de gangrène : il va même jusqu'à y com-
prendre la fameuse peste ou plutôt le typhus d'A-
thènes décrit par Thucydide. Quant aux épidémies
du moyen âge, plusieurs paraissent en effet se rappor-
ter à l'action du seigle ergolé. Néanmoins ce n'est que
vers la fin du seizième siècle ( toOG et 1597 ) que la
cause de ce sphacèle des membres fut reconnue par
les médecins de Hambourg, lors d'une épidémie de
gangrène sèche qui avait désolé la Hesse. Thuillier
rapporta à la même cause des phénomènes analogues
observés en France (1630). Les observations de
Perrault (1672), de Bourdelier (1674) ; le rapport de
Dodart à l'Académie des sciences {Mém. de l'Acad. des
$^1l CHAPITRE II.
sciences, 1676, t. X, p. 562.), les remarques de Noël
à Orléans (1694), et divers travaux et rapports aca-
démiques publiés en France et à l'étranger avant cette
époque, etpendantlapremièremoitiédtiXVIIPsiècle,
fixèreut la science sur ce point. Parmi les travaux plus
récents^ nous iciiterons ceux de Salernje {Mém. sur les
maLadies que muse le seigle ergoté, Mém. des sav. étran-
gers,, t. II), de Réad {Traité du seigle ergoté, Strasbourg,
1771, et Metz, 1774), d«e l'abbé Tessier (divers
mémoires dans ceux de la Soc. roy. de méd., 1776,
i777, J778), Bordot (thèse, 1818), Goiirhaut (De
l'ergot, Chàlons, 1827). Enfin, nous renverrions à Oza-
nam {Eist. des épid., t. IV^p. 201-233), pour les épi-
démies dues à l'ergot, à partir du XVI^ siècle.
9° Gan^Grènës par virulence [Maladies charbonneuses,
charbon, pustule maUgue), — Maladies locales au début
quand elles sont contagieuses, mais bientôt et tou-
jours diatlsésal^s un peu plus tard, souvent diathésa-
les dès ie principe, caractérisées par une ou plusieurs
tumeurs gangreneuses, comparées au charbon par leur
couleur rouge et noire successivement; développées
par des causes intérieures, ou par un contact virulent,
soit «Tec des animaux atteints du charbon, soit avec
l^urs dépouilles et les choses qui en proviennent. Cette
circonstance nous oblige d'éUidier un peu celte ma-
ladie des animaux puisqu'elle devient cause d'affec-
tli9f)s analogues ©hez l'homme.
Causes du charbon des animaux. — Certaines spécia-
Mités animales, animaux domestiques, mammifères et
oiseaux, mais surtout, espèces ©vane et bovine; de
plus, diathèse ou disposition morbide gangreneuse
produite par les fatigues excessives, les eourses for-
cées, surtout par un soleil brûlant, boisson d'eau
bourbeuse, croupissante, putride, mauvaise nourri-
ture, fourrages vases et rendus putrides par les in-
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 295
sectes morts dans les herbes nuirécageuses, atmos-
phère également putride^ matières provenant des tu-
meurs charbonneuses, de l'intérieur de la gorge, des
intestins, du sang, et même de la peau des animaux
atteints de la même maladie; endémicité en Langue-
doc, en Bourgogne 5 épidtmicilé.
Caractères. — Tumeur unique ou multiple, d'a-
bord inflammatoire.^ plus ou moins livide et doulou-
reuse, puis noire et gangreneuse, ayant son siège à
la peau et dans le tissu cellulaire sous-cutané, ou dans
les viscères, avec symptômes généraux d'adynamie,
puis ordinairement mort rapide, quelquefois élimina-
tion de la tumeur et guérison par suppuration plus ou
moins longue.
Modes. — Il y en a trois, suivant Chabert, qui les a
bien décrits, l*' La fièvre charbonneuse, qui ne se révèle
souvent, à ce qu'il paraît, que quelques heures avant
la mort, par des symptômes d'adynamie, d'alaxie,
mais qui montre à l'autopsie des tumeurs charbon-
neuses, des ecchymoses et des épanchements san-
guins viscéraux. Cette maladie est un des exemples
les plus frappants de la diathèse gangreneuse et du
caractère symptomaîique et non causal des altérations ma-
térielles desdialhèses. On ne saurait trop le rappeler
aux ultra-matérialistes qui voient toujours la cause de
la maladie dans les lésions anatomiques. (V. t. I, p.
80.) Ce mode est donc une gangrène au moins aussi
évidemment diathésale que celles que nous avons
rapportées précédemment à ce premier ordre de
causes.
2o Le second mode de Chabert est le charbon symp-
tomatique qui commence par une fièvre essentielle de
douze à quarante heiires, après laquelle apparaissent
une ou plusieurs tumeurs charbonneuses avec rémis-
sion des symptômes généraux. Alors, aggravation de
296 CHAPITRE II.
ces symptômes et mort. A l'autopsie , on trouve
des lésioDS gangreneuses cutanées, sous-cutanées et
viscérales, livides et noires, analogues à celles du
premier mode dont celui-ci ne difl'ère guère que par
une moindre rapidité.
3° Le troisième mode, enfin, est le charbon essentiel
ou idiopathique de Chabert, qui débute par une tumeur
unique ou multiple à la peau et sous la peau. Les
symptômes généraux apparaissent quand la tumeur a
pris un certain volume, puisTinflammalion locale et la
fréquence du pouls sont remplacées par la gangrène,
par l'adynaraie, et l'animal meurt avec ou sans con-
vulsions. Ce hdode n'est pas plus idiopathique que les
autres, lorsqu'il se développe spontanément, sans
contact virulent avec la région du corps où il se mon-
tre, il n'en a que l'apparence et est encore réelle-
ment diathésal. Le charbon n'est réellement idiopa-
thique et local que lorsque la tumeur charbonneuse se
manifeste dans un point contagioné par des matières
provenant d'un animal affecté ou mort du charbon.
Il y a deux espèces d'affections charbonneuses chez
l'homme : le charbon et la pustule maligne.
Charbon ou anthrax malin, chez l'homme.
C'est une inflammation gangreneuse, ordinairement
diathésale dès le principe, quelquefois h)cale.
Causes. — Ordinairement diathèse gangreneuse, com-
mune en Languedoc, en Bourgogne, par les grandes
chaleurs; travail forcé à un soleil ardent, parfois
peste, misère, mauvaise nourrituie, boissons d'eaux
saumâtres, vaseuses, infectées de plantes, d'animaux
en putréfaction, de gaz putrides. Ordinairement spo-
radjque, le charbon peut régner épidémiquement,
comme à Montpellier, en 1724 (époque rapprochée
de la fameuse peste de Marseille en 1720). Souvent
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 297
contact avec le virus charbonneux des animaux
par l'intermédiaire de leur sang, de leurs excré-
ments, de leurs humeurs, de leurs tissus. Inges-
tion parfois nuisible, dans l'estomac, des viandes qui
en proviennent, et enfin action sur les voies respi-
ratoires des émanations du même virus charbonneux.
Quelques exemples abrégés serviront d'exemples et
donneront de la probabilité à ces assertions, sans les
rendre toutes parfaitement certaines pour un critique
sévère. La célèbre observation de Duhamel, que la
plupart des auteurs citent à propos de la pustule
maligne, paraît être un exemple de charbon trans-
mis par le contact. « Un bœuf surmené, dit il, fut tué
dans une auberge de Pithiviers, par un garçon bou-
cher qui eut l'imprudence de tenir dans sa bouche,
pendant un instant, le couteau qui lui avait servi à
faire son opération. Quelques heures après il fut atta-
qué d'un épaississementde la langue, d'un serrement
de la poitrine, avec difficulté de respirer; il parut
des pustules noirâtres sur tout son corps, et il mourut
le quatrième jour d'une gangrène générale. L'auber-
giste ayant eu la paume de la main piquée par un os
du même bœuf, il s'éleva dans cet endroit une tu-
meur livide; le bras tomba en sphacèle, et la mort
survint au bout de sept jours. Sa femme ayant reçu
quelques gouttes du sang de l'animal sur le dos de la
main, cette main enfla, il y vint une tumeur dont la
guérison ne fut pas obtenue sans peine. La servante
passa sous la fressure du même bœuf, qu'on venait
de suspendre ; elle reçut quelques gouttes de sang
sur la joue, et il lui vint une grande inflammation
qui se termina par une tumeur noire : elle a guéri,
mais elle est restée défigurée, etc.
Chaussier a réuni plusieurs exemples de charbon
contracté par inoculation (ouv. cit., p. 172 et suiv.),
S-OiS CHAPITRE II.
mais ces faits sont si prouvés, qu'il n'y apa« de doute
à leur égard. Il n'en est pas de même pour l'in-
fluence contagieuse des chairs d'anioiaux morts du
€harbon ef ingérées dans l'estomac. Un homme vigou-
reux , disent Enaux et Chaussier (p. 176), ne crai-
gnit pas de faire usage de la viande d'une vache
morte d'un charbon malin, et bientôt il périt avec tous
les symptômes qui annoncent une violente inflamma-
tion de resloniac. Dans d'autres cas ou les personnes
qui avaient dépecé des bœufs ou des vaches char-
bonneux ou surmenés furent atteintes de l'anthrax
malin, celles qui en mangèrent n'éprouvèr«nt riefl, et
à cet égard, Gilbert rapporte que la chair d'ua bœuf
mort de maladie gangreneuse qui, mangée crue, avait
donné la mort à un chien, fut mangée impunément
par un autre chien, lorsqu'elle fut ciike (V. Hé-
bréard, mém. cité, p. 96). Ces faits différents iaissent
donc la science dans l'incertitude, mais il résulte
d'une n( te que le savant directeur de l'école d'Alfort,
M' Renault, l'ient de présenter à l'Institut (17 no-
vembre (861) que «des chiens, des porcs et des
poules (animaux carnivores et omnivores), en assez
grand nombre, ont mangé ou bu à Vétat cru des chairs,
du sang pris sur des animaux qui venaient de suc-
comber à des maladies charbonneuses, chairs et sang
dont la virulence avait été préalablement constatée
.par l'inoculation ^ qn'aucun de ces animaux qu'on a sair-
veillés ensuite, pendant longtemps, n'en a éprouvé
la plus légère ineoaimodité ^ que, sur six herbivores
(moutons ou chèvres) qui ont été souoiis à des expé-
riences semblables^ trois ont contracté le charbon 5
que deux ont éprouvé des atteintes graves, bien que
momentanées, dans leur santé; qu'un seul a paru n'en
Tien éprouver; que Barthélémy aîné avait déjà éons-
talé à Aifort, que le cheval succombait au charbon
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 299
après avoir avalé des liquides charbonneux que le
chieii peut boire impun-ément (p. 9); que la matière
virulente du sang de rate, que peuvent manger sans
inconvénients le chien^ le porc et la poule, donne
souvent lieu à des accidents charbonneux quand elle
est avalée par des herbivores, tels que le mouton, la
-chèvre et le cheval 5 que les porcis et les poules n'é-
prouvent, ni dans leur santé, ni dans la qualité
des produits qu'ils fournissent à l'alimentation de
l'homme, aucune altération par suite de leur nourri-
ture avec des matières provenant d'animaux morts de
la morve ou du farci n, du charbon ou de la rage, et
que l'homme peut se nourrir sans danger de la chair
et des produits de ces animaux ainsi alimentés ; que
la ads&on des viandes et Vébullitioii des liquides pro-
venant d'animaux affectés de maladies contagieuses,
■ont pour effet d'miéantir \es pnopriélés viruieîîtes de
ces liquides et de ces viandes, à tel point que, non-
seulement les matières morveuses peuvent alors être
avalées impunément par le cheval, les matières char-
bonneuses par le cheval, le mouton et la chèvre, les
débris des gallinacés morts del'épizootie contagieuse
par les poules ; mais encore que toutes ces matières
qui sont si actives, quand elles sont inoculées à l'état
frais, lestent complètement inertes, sur quelque ani-
cnal que ce soit, même après leur inoculation, quand
•eUes ont mbi L'action de La cuisson et de l'ébullifion.
Relativement à l'influence des émanations charbon-
neuses, on lit dans Chaussier qu'un chamoiseur ayant
acheté plusieurs peaux de bœufe morts depuis quel-
que temps d'une maladie charbonneuse, s'occupa à
les battre, à les ranger dans son atelier-, peu de jours
après il fut attaqué d'une fièvre très-grave qui se
termina par une éruption de taches gangreneuses en
différentes parties du corps, et notamment aux par-
300 CHAPITRE II.
lies génitales. Un chirurgien, M. de Chaignebrun,
ayant examiné les matières fécales excessivement
fétides d'un malade atteint d'une fièvre gangreneuse^
éprouva dès l'instant du malaise, un mouvement
spasmodique , et le lendemain il fut attaqué d'un
charbon à la cuisse {Ouv. cit., p. 176).
Caractères anatomiques , symptômes et marche. — On
peut les partager en quatre périodes. Aii début,
malaise, faiblesse, tristesse, sentiments de frayeur
sans motif apparent, nausées, sensations pénibles à
répigastre, cardialgie, syncopes, puis symptômes lo-
caux. '*
V^ période. — Vésication sur une tumeur rouge. Cha-
leur vive, brûlante, douleurs lancinantes dans un
point de l'enveloppe tégumentaire, apparition en ce
point d'une tumeur très-dure, peu saillante, exacte-
ment circonscrite, très-douloureuse, d'un rouge vif
à la circonférence, livide, violacée, ardoisée au cen-
tre, avec une ou plusieurs vésicules, remplies d'un
liquide brun ou noir. Rupture des vésicules, prurit
intolérable sur les parties voisines, soif ardente ,
fièvre intense, pouls fréquent, petit, peau sèche et
aride.
2" période. — Escarre centrale. Dans le point dénudé,
escarre noire, sèche ou molle, concave dans le pre-
mier cas par suite de rétraction cellulaire, bombée
dans le second, entourée d'un cercle inflammatoire
rouge lisse, tendu, rénitent, comme emphysémateux,
d'oîi partent quelquefois des rayons violacés, brunâ-
tres, divergeant vers les parties saines. En même
temps gangrène du tissu cellulaire sous-cutané, s'a-
vançant sous la peau encore saine en apparence.
3' période. — Progrès et mort. Le mal continue
ses progrès, lâs parties tuméfiées deviennent molles,
violacées, se couvrent de phlyclènes et tombent en
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 301
gangrène. Celle-ci gagne profondément, atteint les
tissus sous-aponévrotiques et peut même s'étendre
jusqu'aux os. Elle comprend quelquefois des artères
d'un certain calibre, qui à la chute des escarres don-
nent lieu à des hémorragies très -considérables.
Cependant, accidents généraux d'adynamie, d'ataxie
avec langue sèche, noire, fendillée, ardeur intérieure,
rétraction du ventre, selles fétides, respiration sus-
pirieuse, hoquet, convulsions, coma ou délire, puis
mort du malade, avec gangrène cutanée ou sous-cu-
tanée plus ou moins étendue, avec lésions analogues
et noires dans les viscères, l'estomac, les intestins,
le foie, les poumons, etc., avec fluidité et altération
du sang 5 enfin putréfaction rapide.
• 4^ période. — Guérison. Dans des cas plus heureux,
mais bien rares, l'escarre se limite, l'adynamie cède
la place à une fièvre inflammatoire et la sépara-
tion se fait comme à l'ordinaire. C'est ce qui arrive
surtout quand la plaie gangreneuse est peu éten-
due, le malade vigoureux, la guérison s'obtient dans
un espace de temps plus ou moins court. Quand elle
est très-vaste, au contraire, le sujet chélif, débilité,
etc., la mort peut survenir par épuisement.
Durée. — Ordinairement très-courte-, mort en dix,
quinze, trente heures. « Un homme âgé de près de
cinquante ans, demande à être admis à Thôpital, et me
montre au cou une petite tumeur brune, dure, qui
selon le malade était très-chaude et très-douloureuse.
11 était uneheureaprèsmidiquandje reçus ce malade.
La deuxième visite du chirurgien en chef devant avoir
lieu à trois heures, je n'allai pas dans la salle oîi avait
été couché le malade pour procéder aupansemenl; je
crus pouvoir attendre l'arrivée de M. Mouland. Mais
quelle fut ma surprise quand, a la visite de ce chirur-
gien, je vis le cou de cet individu si énormément
302 CHAPITRE II.
tuméfié qu'il se confondait avec la face et la poitrine.
De grandes phlyctènes s'étaient élevées;: au-dessous
étaient des taehes noires, autour un endurcissement
marqué , aux environs une mollesse remarquable
des tissus. C'était en dehors de la zone d'un rouge
vif et luisant; la peau avait une couleur cadavérique
qui d'ailleurs était répandue partout. Le hoquet, la
suffocation , le coma, l'extrême petitesse du pouls
annonçaient »la mort, qui eut lieu à six heures
C'était un malheureux qui paraissait singulièrement
épuisé par la misère; la cautérisation profonde avec
l'acide nitrique et tous les toniques possibles n'ont
en rien entravé la marche de cette tumeur » (Vidal
de Cassis, Traité de path. exL, t. I, p. 19U).
Diagnostic. — Il se tire des circonstances commé-^
moratives et surtout de la marche des accidents. Ob
ne peut avoir des doutes sur sa nature qu'en l'ab-
sence de tout renseignement sur les antécédents et de
tout caractère de gangrène et d'asihénie ; mais aussi-
tôt qu'après 4«^s douleurs brûlantes très-vives, se
montrent des vésicules et des pustules qui noircissent
en se déchirant, que le noyau central se charbonne
et noircit, que les douleurs entraînent des syncopes
et les accidents généraux exposés, il n'y a plus de
doute à conserver et il faut agir avee énergie.
Pronostic. — 11 est d'autant plus grave que les points
gangreneux sont plus multipliés; que le mal siège sur
la face ou le cou, qu'il attaque des vieillards ou des
sujets débilités; qu'il est parvenu à un degré plus
avancé; qu'il est symptômatique d'une diathèse gan-
greneuse générale ou pestilentielle. Survenant à la
fin de ces maladies, on Ta regardé quelquefois comme
critique, mais c'est le plus ordinairement une com-
plication fâcheuse. Si les symptômes viennent à
disparaître brusquement, il y a, dit-on, danger demé-
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 303
tastase, il faudrait des faits antlientiques pour prou-
ver cette assertion. Il est difficile d'admettre qu'une
gangrène puisse disparaître ainsi. Tout au plus peut-
on admettre qu'un cbarbon intérieur puisse révulser
le mal extérieur de manière à en amoindrir les symp-
tômes locaux. C'est, eu définitive, une affection très-
souvent mortelle.
Traitement préservatif. — Enfouir profondément les
corps des animaux morts du charbon, ou mieux en-
core les brûler ainsi que les fumiers et tout ce qui les
a touché ou a reçu leurs matières. Se graisser les
mains et se ganter pour donner des soins à ceux qui
vivent et qu'on peut espérer sauver.
Traitement curaîif local. — An début, s'il y a des phéno-
mènes d'embarras gastriques, on donnera un vomitif,
comme le voulait Fournier. S il y a une réacticm in-
flammatoire très-violente, que le sujet soit jeune,
vigoureux, on pourra pratiquer une saignée, ou ap-
pliquer des sangsues, mais avec modéra lion, et sans
les réitérer; l'adynamie qui succède plus ou moins*
promptement aux phénomènes phlegmasiques doit
rendre très-réservé à cet égard. Si, coffirue dans la
grande majorité des cas, il y a de la prostration, on
d<mnera des limonades minérales ou vineuses, lé
quinquina en potion, en décoction, seul ou associé
au camphre, l'acétate d'ammoniaque et autres toni-
ques excitants. Dans le cas de charbon avec coma, on
appliquera des vésicatoires aux cuisses.
Traitement clnrunjicul. — Incision circulaire d'abord,
puis incisions croisées, plus ou moins rapprochées, sui-
vant la profondeur du mal, et, autant que possible,
presque au vif, puis cautérisations avec le fer rouge
jjisqu'au vif, en refroidissant la région avec des
éponges imbibées d'eau froide, si la chaleur des
cautères peut atteindre des viscères sous-jacents.
304 CHAPITRE II.
Au besoin, et par surcroît de précaution, cautérisatioa
continuée avec des mèches de charpie imprégnées
de caustiques liquides. Que l'escarre soit mince ou
épaisse, il faut la fendre crncialement ou la cerner et
porter le cautère dans le vif, à moins qu'on ne soit
exposé à léser une partie importante, une grosse ar-
tère, auquel cas on modifie le procédé, puis on ap-
plique des cataplasmes émoUients pour calmer l'irri-
tation des parties.
Boyer ne veut pas que l'on fende l'escarre pour
cautériser, mais seulement pour favoriser l'écoule-
ment de l'ichor fétide. Il ne veut pas que l'on sca-
rifie ni que l'on incise jusqu'aux parties vivantes, de
peur d'une hémorragie qu'on ne pourrait arrêter.
A cela nous répondrons : A quoi servirait une cautéri-
sation faite sur des parties déjà mortifiées?
On pratiquait autrefois l'extirpation entière des
tumeurs charbonneuses et l'on cautérisait le fond de
la plaie. C'était une opération horriblement doulou -
t-euse et inutile, car le mal n'est pas circonscrit dans
la tumeur, puisque, le plus souvent, l'anthrax malin
est de cause interne.
L'escarre s'étant limitée et les phénomènes géné-
raux s'étant amendés, on favorisera la chute de l'es-
carre, comme il a été dit. Quant à la putridité des par-
ties déjà gangrenées, lotionez-les avec des chlorures,
ou résequez-les et pansez-les avec beaucoup de soin,
et suivant leur siège, pour empêcher les difformités.
Pustule maligne.
C'est une inflammation vésiculeuse et grangréneuse
de la peau, accompagnée d'accidents généraux gra-
ves-, ordinairement locale d'abord, toujours diathé-
sale ensuite.
Véiiologk de cette affection exige beaucoup de dou-
DE LA GANGBÈNE CHARBONNEUSE. 305
tes et de critiqaes; aussi déclarons-nous d'avance
que l'on ne peut admettre qu'avec circonspection les
faits qui semblent les mieux avérés quand ils ne sont
point parfaitement prouvés.
Causes. — Dans l'immense majorité des cas, action
par contact sur la peau ou inoculation par une plaie
du sang, des mucosités digestives et peut-être de
toute humeur provenant d'animaux fatigués , sur-
menés, atteints ou non d'affections charbonneuses.
Ces animaux appartiennent le plus souvent à l'espèce
bovine ou ovine 5 quelquefois ce sont des solipèdes,
plus rarement d'autres espèces. Cependant Chaussier
cite l'observation d'une personne atteinte de pustule
maligne pour avoir préparé un lièvre, sans doute fati-
gué à la chasse (Enaux et Chaussier, de la Pust. mal.^
p. m). Thomassin, l'un des premiers qui aient exac-
tement décrit cette maladie, l'a vue chez un individu
qui avait dépouillé un loup, trouvé mort sur le bord
d'un ruisseau {Dissert, sur la pust. mal.^ p. 28). Une
jeune fille l'aurait gagnée à la main, après avoir frotté,
dit-on, un chat galeux. {Bullet. de Thérap.)
Cette maladie est comme endémique, et souvent
même épidémique dans les lieux bas et marécageux
où l'on élève des bestiaux, la Bourgogne, la Franche-
Comté, le Lyonnais et le Languedoc-, le Nord y pa-
raît moins exposé. Elle est commune à la suite des
grandes chaleurs, dans les régions oii les fourrages
souvent inondés, infectés d'insectes en putréfaction,
causent aux animaux qui s'en nourrissent des affec-
tions typhiques et gangreneuses. M. Bourgeois, d'É-
tampes, ajoute que la pustule maligne est surtout
commune dans les plaines, à la suite des étés chauds
et secs, alors que les bestiaux paissent une herbe
brûlée par le soleil. C'est alors, dit-il, que les épizoo-
ties. charbonneuses sont très-communes , du moins
20
306 CHAPITRE II.
dans la Beauce {Archiv. génér.de méd,.^ 4' série, t. I,
p. 341).
Professions favorables au développement de la pustule ina-
ligne. — Professions de pâtre, de laboureur, de vété-
rinaire, de maréchal, de boucher, qui soignent ou
dépouillent les animaux malades: puis de ceux qui
touchent à leurs débris : mégissiers, tanneurs, laveurs
et peigneurs: de laine, matelassiers, etc.
Bayle raconte qu'ua chirurgien s' étant blessé à la
main avec une lancette qui avait servi à ouvrir un
animal mort du charbon, fut pris de pustule maligne
(^Dissertât, inaug.^ an X). M. Bourgeois en a observé
une produite par une écharde détachée d'une pièce
de bois provenant d'une bergerie {Mém. cit.^ p. 343),
On en a vu chez des hommes qui avaient introduit
la maîa dans le gosier ou dains le rectum de vaches
ou de bœufs malades (Eaaux et Chaussier, Mém. cit.^
p. 172) ; d'autres fois c'est un simple contact avec les
dépouilles d'animaux morts depuis longtemps. Ainsi on
assure qu'en Bourgogne, les paysans* sont pris quel-
quefois de pustule maligne au dos du pied, pour avoir
porté en brides sur leurs sabots, des morceaux de
peajjx de mouton d'une origine suspecte. C'est ainsi
que les matelassiers la gagnent en cardant des laines.
M. Bourgeois a vu en 1830, à l'hôpital Saint-Antoine,
un jeuae tapissier qui vint se faire soigner d'une pus-
tule maligne a la jambe; cet ouvrier était employé,
depuis quelque temps, à extraire le crin contenu dans
de vieux fauteuils. 11 paraît que le virus peut, quoi
qu'on en ait dit, être porté sur l'homme par des in-
sectes qui se sont reposés sur des animaux charbou'-
neux. Thomas&in prétend avoir observé une pustule
maligne chez une jeuoe fetome qui avait été piquée
par une abeille 5 M. Begnier, chez un charpentier de
Couiommiers qui , lui aussi , avait été pique par un
DE LA. GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 307
insecte. M. Bourgeois a observé la transmission du
mal par un ricin ou taon, qui sorlait de la toison
d'ane brebis. D'autres fois, c'est le contact avec des
ouvriers qui travaillent les peaux, les lainages, etc.,
bien qne ceux-ci n'aient absolument rien. C'est ainsi
qu'un garçon tailleur la contracta auprès d'une jeune
ouvrière en laine parfaitement bien portante qu'il
allait épouser; qu'une petite fille de neuf ans en fut
atteinte au visage pour avoir embrassé son oncle, qui
était mégissier (Bourgeois, Mém. cit.^ p. 178 et 183 .
On a révoqué en doute la transmission de la mala-
die de l'homme à l'hooime (M. Rayer, etc.); mais à
cette assertion on oppose les observations d'une
femme qui la contracta en couchant avec son mari
malade; d'une femme pansant son mari atteint de
pustule maligne, qui vit la même maladie se déve-
lopper à sa joue pour s'être touchée le visage avec
les doigts empreints de l'ichor des vésicules pharbon-
neuses (Thomassin).
Les viandes provenant d'animaux morts du char-
bon peuvent- elles donner la pustule maligne aux
personnes qui en ont mangé? Il n'y en a pas
d'exemples.
Une questiou encore litigieuse, c'est de savoir si
la pustule maligne peut naître spontanément chez
l'homme. Bayle, dans sa dissertation déjà citée,, a
réuni une suite d'observations qui sembleraient le
prouver : presque tous les malades étaient bien assurés,
dit-il, de n'avoir touché les restes d'aucun animal
mort du charbon. A cette assertion on a opposé quel-
ques objections qui ne sont pas sans valeur : ainsi
Boyer a remarqué : 1° que le charbon règne très-
souvent dans les contrées oii observait Bayle, et que
précisément dans le même temps, il y avait une épi-
zootie dans le voisinage; 2° que, d'après son aveu,
308 CHAPITRE II.
tous les malades n'étaient pas certains de n'avoir pas
touché à des débris suspects j 3° enfin que chez tous
les malades la pustule maligne atteignit des parties
du corps habituellement découvertes où peut se dé-
poser le virus, et où i! se dépose en effet dans les cas
de transmission bien constatée. Suivant M. Rayer, le
docteur Davy Lachevrie aurait recueilli des faits ana-
logues à ceux de Bayle (Dissertât. Paris, 1807). On a
encore rapporté quelques fails isolés dans lesquels le
mode de transmission n'a pu être trouvé. En résumé,
dans beaucoup de cas, on ne peut remonter à l'ori-
gine d'un contact générateur certain, parce que le
malade en parle par préjugé ; le développement
spontané est un fait encore douteux, quoique extrê-
mement probable, et sur lequel il est impossible de
se prononcer. Les doutes doivent même augmenter
depuis les faits de contagion médiate rapportés (voir
p. 307) par M. Bourgeois.
Symptômes et marche. — La pustule maligne débute,
en général, sans prodromes, trois, cinq, dix, quinze
jours et même plus, après le contact virulent. On
l'observe surtout à la peau, là où cette membrane est
fine et délicate, aux joues, aux paupières. Peut-être
le virus y est-il porté par la main, qui, plus dure,
surtout chez les ouvriers tanneurs, corroyeurs, etc.,
résiste davantage. On la voit très-rarement sur les
muqueuses, si même on l'y voit. Dans le cas, cité par
Thomassin, du boucher qui avait mis son couteau en-
tre ses dents, et dont la langue fut prise d'une affec-
tion gangreneuse, il s'agissait probablement d'un vé-
ritable charbon. Il n'y a ordinairement qu'une seule
pustule centrale sur la tumeur ^ quelquefois, cepen-
dant, il y en a plusieurs réunies.
On dislingue, depuis Enaux et Chaussier, quatre
périodes dans la pustule njaligne :
DE LA GANGRÈNE CHARBONNKUSE. 309
\" période, Vésiculaire. — D'abord tache rougeâtre
très-petite, semblable à une piqûre de puce (d'où
son nom de puce maligne usité en Bourgogne), accom-
gnée d'une démangeaison légère, puis de picotements
vifs et passagers 5 bientôt apparition dans ce point
d'une ou plusieurs vésicules miliaires (et non d'une
pustule) qui brunit promptement, puis prurit très-
incommode qui porte le malade à se gratter, d'où
rupture de. la vésicule, écoulement de la sérosité
et cessation de la démangeaison pendant quelques
heures : durée de vingt-quatre heures.
2^ période. Lenticulaire etaérolaire. — Sous la vésicule
vidée se forme un noyau d'engorgement gangreneux,
de la grosseur d'une lentille, régulier ou irrégulier,
à surface chagrinée et d'une couleur livide. En même
temps, cuisson très-vive; à l'entour, engorgement
circulaire où la peau lisse, tendue, livide, est cou-
verte de vésicules remplies de sérosité acre, rousse
dans ces vésicules qui ne tardent pas à se réunir :
c'est Varéole védculaire de Ghaussier. Pendant ce
temps, le tubercule central brunit et forme une
escarre : durée de quelques heures.
3^ période. Progressive en surface et en profondeur.
Noyau gangreneux qui se déprime par la rétraction
des tissus enflammés 5 aérole qui l'entoure et se gon-
fle; tuméfaction de voisinage, qui n'est ni inflam-
matoire ni œdémateuse, mais rénitente et comme em-
phytémateuse, et crépitante sous les doigts, parfois
dure comme du bois, par suite de l'induration et de
la rétraction des tissus blancs, avec peau tendue, lui-
sante, couverte de vésicules d'un rouge plus ou moins
vif, ou d'un blanc bleuâtre, demi-transparent ou
terne. Extension de ces symptômes à une distance
quelquefois considérable, à toute la tête, au cou et à
la poitrine, si le mal siège à la face; à tout le bras
310 CHAPITRE II.
jusqu'à l'épaule, s'il esta la main, etc.; quelquefois
traînées rosées dans le trajet des vaisseaux lym-
phatiques; sentiment de stupeur, d'engourdisse-
mient, de pesanteur après la douleur ■ chaleur acre,
sensible au niveau de l'escarre. Ordinairement ap-
parition de quelques symptômes généraux : sensation
d'allourdissement, anorexie, langue blanche, mu-
queuse, pouls plein, mou, peu fréquent : cette pé-
riode dure quelques heures ou quelques jours.
4^ période, Dinthésnle. — Progrès de la gangrène
à la peau et dans le tissu cellulaire, aufour de
l'escarre centrale; alors rénitence avec crépita-
tion, sans que, néanmoins, la mortification pénètre
jusqu'aux muscles. Les choses arrivées à ce point,
deux ordres de phénomènes peuvent se manifester :
1° des symptômes graves d'adynamie ou d'ataxie,
déjà décrits plus haut (p. 250), se déclarent, et le ma-
lade succombe, plus ou moins rapidement, dans un
affaissement profond, conservant soninteliigence jus-
qu'au dernier moment (Bourgeois), ou dans un état
comateux; 2° le gonflement, la tension cessent d*
faire des progrès, diminuent même bientôt ; l'escarre
se borne et se cerne d'un cercle rouge vermeil , un
sillon se creuse à l'entour, le pouls se soutient ou
racme se relève, et tantôt l'escarre se détache et
tombe presque sans suppuration, dans l'espace de
deux ou trois semaines, puis la guérison survient; tan-
tôt une réaction inflammatoire vive apparaît, et une
suppurati(m plus ou moins abondante soulève et dé-
tache la partie mortifiée. Alors la cicatrisation se fait
attendre d'autant plus longtemps que la réaction in-
flammatoire est moins vive, et que la solution de con-
tinuité est plus considérable. La cicatrice reste ordi-
nairement rouge pendant plusieurs années, entraînant
avec elle des difformités variables, suivant le siège et
DE LA GANGRÈNE CHAr.BONNEUSE. 311
l'étendue du naal. 11 reste aussi quelquefois, après la
guérison, un empâtement oedémateux qwi persiste
pendant plusieurs semaines.
Durée. — Elle est très- variable; quelquefois îa ma-
ladie atteint son maximum en dix-huit ou vingt-qua-
tre heures. Ailleurs, les périodes se confondent ou se
succèdent si rapidement qu'il est impossible de les
distinguer nettement. Aussi quelques auteurs, no-
tamment MM. Bourgeois et Huzard, n'admettent-ils
que deux périodes : l'une, pendant laquelle raffection
est toute Locale, et qui comprend environ les trois pre-
mières périodes de Chaussier; l'autre, qui annonce
une infection générale et commence vers la fin de la
troisième période. Quant à la durée totale, elle est, en
généra! , moins rapide qu'on ne le croit générale-
ment; elle est ordinairement de cinq à six ou huit
jours : on l'a vue même durer quinze jours.
Convenablement traitée dès les premiers moments,
tantôt on arrête ses progrès sur-le-champ; tantôt le
mal continue de croître jusque vers le huitième ou
neuvième jour. Alors les accidents s'arrêtent, l'es-
carre se cerne, puis le gonflement diminue et le ma-
lade guérit; mais dans ces cas, on n'observe pas les
phénomènes généraux d'adynamie ou d'ataxie.
Variétés. — La pustule maligne ne se présente pas
non plus toujours exactement telle que nous l'avons
décrite; ainsi, dans l'épidémie observée par Bayle,
la maladie était souvent précédée d'accidents géné-
raux tels que sentiment de faiblesse, de défaillance ,
ou au contraire d'exaltation. 11 y avait dès le début
gonflement plus ou moins considérable , le cercle
aréolaire manquait souvent, la gangrène s'étendait
quelquefois assez loin et assez profondément.
Sousle nom d' œdème charbonneux des paupières, M. Bour-
geois a décrit une forme de pustule maligne obser-
312 CHAPITRE II.
vée plusieurs fois par lui : elle consiste dans un
gonflement pâle d'abord, mou, demi-transparent et
rarement rosé des paupières ; il n'y a pas de douleur, à
perne une légère démangeaison ; au bout de deux ou
trois jours des vésicules se développent, puis des es-
carres et enûn tout l'appareil symptomatique , tant
interne qu'externe, de la pustule maligne la mieux ca-
ractérisée. Ce mode de début pouvant induire en
erreur un praticien inexpérimenté, nous avons cru
devoir le signaler.
La maladie ofl're aussi, d'après son siège, des diffé-
rences qui méritent d'être signalées : au crâne,
assez rare, accidents cérébraux possibles, quel-
quefois mortels (Bourgeois, obs. I, p. 174) 5 à la /ace,
très-fréquente, tuméfaction énorme qui gagne le cou,
la poitrine et peut même descendre plus bas; visage
boursoufflé, hideux, paupières gonflées, nez effacé,
suintement par les narines d'un ichor plus ou moins
abondant 5 lèvres épaissies, avancées et relevées en
forme de groin -, bouche entr'ouverte qui laisse écou-
ler une salive visqueuse et fétide; au cou, la tumé-
faction peut devenir telle qu'elle gène considérable-
ment la respiration et la déglutition; aux membres.
traînées lymphatiques qui aboutissent souvent aux
ganglions engorgés et douloureux de leur base.
Les cicatrices consécutives à la chute des es-
carres déterminent souvent de grandes difformités;
à la paupière inférieure, il survient un renversement
parfois très considérable, le nez peut être détruit
en partie, etc.
Indépendamment des caractères anatomiques indi-
qués à l'article de la marche, il en est quelques-uns
des plus profonds que j'ai laissés en arrière. Ainsi,
au niveau de la pustule maligne on trouve la peau et
les couches les plus superficielles du tissu cellulaire
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 315
gangrenées; aux alentours la peau et le tissu cellu-
laire sont parfois iinlurés, coriaces, rétractés; ce der-
nier peut être infiltré de sang noir et parfois surtout
Ters les limites de rengorgeaient, de sérosité jau-
nâtre gela uniforme; quelquefois collections puru-
lentes dans le voisinage. Dans un cas de pustule
maligne de la lèvre inférieure, pus dans les veines de
la face et petits abcès dans les poumons (Litlré, Rev.
méd., 1M30, t. I, p. 481); d'autres fois engouement
dans ces derniers (Rayer, Mal. de la peau, t. II, p. 38);
dans l'estomac plaques gangreneuses, noires au cen-
tre, jaunâtres à leur circonférence, avec la grandeur
d'une pièce de six francs, et une auréole jaune de lar-
geur variable, où la membrane muqueuse était plus
ferme que sur les points noirs (Id., Ibid., p. 39);
d'autres fois, ecchymoses dans l'estomac et l'intestin
grêle, infiltrations sanguines dans les feuillets du
mésentère (Stansky, Ballet, de la Soc. anal,, 1837, p.
324). Une autre fois, intestin grêle infiltré de sang
dans son extrémité inférieure, et présentarit dans le
point correspondant un grand nombre de petites lu-
meurs noirâtres, confluentes; petite phlyclène dans
l'estomac qui, ouverte, laisse à nu une plaque cir-
conscrite par un cercle inflammatoire; mésentère
contenant de véritables caillots, 'poumons gorgés de
sang {Archiv. gén. de méd., 4« série, t. VIIl, p. ô02).
Tous les auteurs ont conslaté qu'après la mort le
sang est noir, fluide, poisseux, et que les cadavres se
putréfient avec une grande rapidité.
Diagnostic. — 11 se déduit directement des carac-
tères exposés ci-dessus et des commémoratifs (pro-
fession, relations directes ou indirectes avec des ani-
maux malades ou leurs dépouilles). On ne doit jamais
oublier d'ailleurs le caractère pathognomonique de la
pustule maligne, l'existence d'une ou de quelques
Mil CHAPITRE II.
vésicules centrales sur un noyau induré , gangre-
neux, entouré d'un cercle vésiculeux et au deîk d'un
engorgement dur s'étendant plus ou moins loin.
Certaines piqûres d'insectes pourraient simuler la
pustule maligne; mais alors la vésicule est sur le som-
met d'un petit cône dur et non entourée de l'aréole
vésiculeuse, les démangeaisons sont moins viv«s,
moins opiniâtres, etc.; mais si !e sujet habite une ré-
gion où règne une épizootie charbonneuse, une sim-
ple piqûre d'insecte doit être surveillée, puisqu'elle
peut inoculer le venin gangreneux. Le diagnostic
distinctif de l'anthrax peut être difficile. En général
la pustule est l'effet de la contagion charbonneuse,
le charbon celui d'une diathèse; la première est d'a-
bord locale, le second le plus souvent diathésal, uni-
versel ; la première se montre à la surface de la peau
découverte, le second est plus ou moins profond 5 la
première a une auréole vésiculeuse circulaire à la
vésicule centrale, le charbon a des vésicules sans
auréole, ni cercle vésiculaire; tous deux ont une tu-
meur pour base, mais bien plus dure pour la pustule,
mieux circonscrite, noire au centre et d'un rouge vif
à l'entour pour le charbon.
Pronostic. — Il diffère suivant plusieurs circonstances,
le siège, par exemple; aussi il y a danger plus grand
quand le mal est situé près de gros vaisseaux ou de
nerfs importants, a cause des difficultés de la cauté-
risation. On a vu les nerfs du bras mis à nu à la chute
des escarres, amener un tétanos mortel. (Régnier.)
Le danger est plus grand si la pustule est multiple,
si elle est parvenue à la période d'infection générale;
si elle affecte un enfant, un individu faible, débilité,
une femme, mais surtout une femme enceinte qui est
alors exposée à l'avortemenl.
Traitement. — Préservatif. Dans les temps d'épizootie
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 315
charbonneuse, brûler les fumiers, détruire le corps et
les dépouilles des animau:s morts de «aaladie, de ma-
DÎère à ce que personne ne puisse chercher à les
employer, soit à l'alimentation, soit à tout autre
usage. Les individus qui soignent les bestiaux, qui les
abattent, etc., auront soin de se graisser les mains
ou mieux de les envelopper ou de se ganter soigneu-
sement, surtout s'ils ont des écorchures aux doigts.
Dans les pansements, ils éviteront de toucher aux
linges salis et aux matières provenant de la suppura-
tion. On se lavera soigneusement les mains ou les
parties qui auraient été en contact avec des prove-
nances suspectes, au moyen de vinaigre, de l'eau de
savon, mais par dessus tout de chlore, de l'eau
chlorurée de Labarraque ou de l'eau dejayelle.
Traitement de la pustule maligne. — Tous les auteurs
sont aujourd'hui d'accord pour proscrire la méthode
antiphlogistique vantée par les médecins physiolo-
gistes -, elle oe suffit pas à arrêter les progrès du
mal, et elle augmente la tendance à la prostration
qui caractérise toutes les affections charbonneuses. La
première chose à faire, c'est donc de cautériser dans
le but de s'opposer aux progrès de la gangrène et à
l'absorption de la matière virulente. On ne diffère
que pour le choix du caustique et le mode d'applica-
tion. En général, on emploie le fer rouge ; les uns le
veulent rougi à blanc 5 d'autres, au contraire, au rouge
brun, afin qu'il étende son action plus profondément
et amène une inflammation plus franche et une réac-
tion éliminatoire plu,s active 5 d'autres préfèrent les
caustiques liquides : le nitrate de mercure, le muriate
d'antimoine j d'autres, enfin, la pâte de Vienne, la
potasse à la chaux, etc., etc. Le mode d'emploi dif-
fère suivant la période.
Si l'on est appelé pendant la première ou la seconde
ol6 CHAPITRE II.
période, on incisera en croix sur la vésicule et le
petit noyau gangreneux sur lequel elle est assise, et
l'on y portera, soit le fer rouge que nous préférons,
soit un petit bourdonnet de charpie imprégné d'une
liqueur caustique, soit enfin une petite plaque mince
de pâte, ou un fragment de potasse que l'on maintient
avec un morceau de sparadrap, de diachylon. 11 faut
que l'escarre artificielle dépasse les limites du tuber-
cule primitif et couvre l'aréole vésiculeuse. Quelques
personnes conseillent de recommencer le lendemain
la cautérisation, si la tuméfaction fait des progrès 5 on
fend crucialement l'escarre, on l'enlève et on cau-
térise. Ce parti est assurément le plus prudent ;
il ne faudrait cependant pas continuer ainsi. Rap-
pelons-nous que M. Bourgeois a vu le gonflement
continuer jusqu'au huitième et neuvième jour pour
décroître ensuite. C'est là au reste une question d'ex-
périence ; mais que les jeunes praticiens sachent bien
qu'en pareil cas il vaut mieux aller au-delà que de
rester en-deçà. A part le cas où la pustule est située
très-près de parties qu'il importe de ménager, on
doit cautériser très-hardiment. Après la cautérisation,
pansez avec un plumasseau de charpie enduit d'un
digestif, tel que le styrax, ou bien imbibé d'une solu-
tion de sureau animée par l'alcool camphré ou du
chlorure de sodium.
A la troisième période, c'est le même traitement,
mais plus énergiquement appliqué encore ; l'es-
carre sèche et cornée qui existe à cette époque
sera fendue crucialement, Içs lambeaux empor-
tés et la place cautérisée profondément avec le
fer rouge, après avoir eu soin de bien éponger
le sang, afin que le cautère ne soit pas éteint
avant d'avoir produit son efifet. Au besoin, d'ailleurs,
on revient à plusieurs reprises à la même cauté-
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 317
risation , afin d'être parfaitement sûr de détruire
le mal.
M. Denouvilliers a rapporté dans le Compendium de
chirurgie l'histoire très-intéressante et très-instruc-
tive d'un berger. Il avait été atteint d'une pustule ma-
ligne à la partie supérieure de la poitrine et inférieure
du cou , parvenue à sa quatrième période , et fut
amené mourant à la Pitié. M. Denouvilliers, en déses-
poir de cause, cerna l'escarre, qui était grande comme
la paume de la main, d'une incision circulaire d'un
peu moins d'un centimètre de profondeur, trois inci-
sions verticales d'un décimètre de longueur et de
deux à trois de profondeur, furent pratiquées à la
partie antérieure du thorax. Ces plaies furent ample-
ment brûlées par le fer rouge que l'on promena aussi
sur la peau du cou et de la poitrine, de manière à
produire une brûlure de second et peut-être du troi-
sième degré. Quinze à vingt cautères furent portés
sur ce malheureux... A peine une heure s'était-elle
écoulée que le pouls s'était relevé, la chaleur se ré-
pandait par tout le corps; l'agitation nerveuse, le
hoquet, les sueurs froides avaient disparu ; une sup-
puration abondante s'établit, et au bout de deux mois
le malade était guéri. C'est là un beau fait de chirur-
gie qui doit servir d'exemple aux praticiens timorés.
On conseille dans cette période, après la cautéri-
sation, des applications toniques et excitantes de com-
presses trempées dans l'eau de sureau avec addition
d'alcool campbré, ou dans le vin aromatique, dans la
décoction de quinquina, etc.; en même temps on donne
à l'intérieur les excitants dont nous avons si souvent
parlé. Quelques personnes ont vanté les vomitifs et les
piirgalits. Ces médications peuvent être utiles pour
répondre, dans un cas donné, à des indications
particulières, mais non comme traitement général.
3-1:8 CHAPITRE II.
Si, lorsque l'on est appelé auprès du malade, l'es-
carre s'était déjà limitée d'elle-même, que le gonfle-
m,ent fût arrêté, il n'y aurait pas à recourir à la
cautérisation, mais seulement à favoriser le travail
de séparation de l'escarre par les moyens déjà indi-
qués. Quand le mal â son siège sur un point où la
cicatrice peut être suivie de difformité , il faut
surveiller attentivement le travail de consolidation,
comme dans les cas de brûlure s'opposer le plus
possible aux désordres qui ea peuvent être la consé-
quence.
Historique des affections charbonneuses. — Du temps de
Virgile, qui est né soixante-dix ans avant Jésus-
Christ, les anciens connaissaient déjà la terrible puis-
sance de propagation des maladies charbonneuses
par les restes et les dépouilles des animaux char-
bonneux. La description que Virgile a donnée d'une
épidémie de ce genre qui ravagea de son temps la
haute Italie le démontre suffisamment. « L'épidémie
frappe des troupeaux entiers et entasse dans les éta-
bles des cadavres qui s'y pourrissent, jusqu'à ce qu'on
apprenne à les ensevelir et a les cacher sous terre,
dans des fosses. Personne ne peut faire usage de leurs
peaux, ni en purifier les entrailles par le lavage des
eaux ou par la flamme, ni en tondre les toisons in-
fectées. Malheur à celui qui tenterait de s'en servir !
de brûlantes papules, une sueur immonde couvri-
raient ses membres de puanteur, et un feu brûlant
dévorerait les parties frappées par la contagion.. »
Pline a aussi parié de cette affection (1. XXVI).
Sous le nom de charbon {carbunadus) ^ Gelse décrit
une affection gangreneuse dont il donne les carac-
tères. C'est une rougeur sur laquelle se montrent des
pustules, peu saillantes, le plus souvent noires, quel-
quefois livides ou pâles, renfermant de la sanie^ au-
DE LA GANGRÈNE CHARBONNEUSE. 319
dessous, la peau est noire, sèche , plus dure qu'à
l'état normal 5 à l'entour est une sorte de croûte en-
vironnée d'un cercle infliammatoire 5 dans ee point la
peau est adhérente aux parties sous-jacentes; il va
de la somnolence, quelquefois du frisson, de la fièvre.
Ce mal s'étend en profondeur, comme par des raci-
nes, tantôt rapidement, tantôt lentement; il se forme
à' l'entaur de petites pustules : si le mai envahit la
goj^ge, il; déîermine une prompte suiiocation. Le
traitement consiste dans une ^cautérisation qui doit
être pratiquée jusqu'à ce que le malade sente la dou-
leur; l'esearre entraîne dians sa chute toutes les par-
ties viciées, et il reste une plaie de bonne nature,
que Ton panse à l'ordùnaire (lib. V, cap, sxviu).
Galien ueconnait deux sortes d'anthrax, suivant la
nature du sang altéré qui les constitue ; le second
formé de sang noir, féculent, effervescent et mêlé
d« sanie, est le plus grave {De arte curât, ad. gl. \. il,
c. 1).. La description qu'il en donne ailleurs (1/ef/ï.
med: 1. XIV, c. 10) est analogue à celle de Celse ; il
est toujours question d'éruption pustuleuse, reposant
sur une escarre, entourée d'un cercle inflammatoire,
et envahissant de proche en piioche; il j a toujours
de la fièvre. Son traitement .est moins raiionnel que
celui de Celse ; il conseille la saignée jusqu'à syn-
coipe, des scarifications, des résolutifs ou des suppu-
ratifs.
Les auteurs sufeséqaiieDts Quh copié plus ou moins
exactement ces descriptions : c'est la braise (pruna),
le feu persique des traducteurs arabistes, le charbon-
ele des auteurs du moyen âge qui constatent son
existence dans la peste. Du reste, nous ne cherche-
rons pas à débrouiller le chaos des affections diver-
ses désignées à cette époque sous les noms de feu
persique , feu sacré , feu saint Antoine , estliiomène ,
320 CHAPITRE II.
anthrax, et qui semblent se rapporter tantôt à des
affeclions charbonneuses, plulôt ici à la pustule ma-
ligne, plutôt ailleurs au charbon proprement dit,
tantôt à des épidémies d'érysipèles ou d'ergotisme
gangreneux.
Parmi les travaux les meilleurs sur le charbon, nous
mentionnerons d'abord le travail de Foiirnier {Obs. et
exp. sur le charbon malin, etc., Dijon, 1769), les remar-
ques de Duhamel et de Morand , et le travail de Cha-
bert qui date de 1792. Les expériences de Leuret,
communiquées à l'Athénée de Paris (1826, in-S") et
dans lesquelles il fit voir que les altérations graves
du sang pouvaient communiquer d'un animal à un
autre les accidents du charbon.
La pustule maligne n'a été réellement décrite et re-
connue qu'à partir du milieu du deriiier siècle. Déjà,
en 1752, Muret, de Dijon, avait présenté à l'Acadé-
mie de cette ville un travail sur ce sujet (Thomassin,
Dissertât, sur le charb, malin de la Bourg., 2^ édit., ré-
ponse à M. Chambon, p. 15). Fcmrnier, dans ses in-
téressantes recherches sur le charbon malin (1769),
avait parlé de la pustule maligne qu'il différenciait
déjà du charbon proprement dit. Mais ce n'est réelle-
ment qu'à partir du concours institué sur ce sujet par
l'Académie de Dijon que la question se trouve ujise
dans son véritable jour. Le prix fui décerné en 1780
et partagé entre Chambon et Thomassin. Chambon
le fils, dans l'édition qu'il donna du mémoire de son
père, attaqua avec beaucoup d'âpreté et souvent très-
injustement celui de Thomassin, qui ré|»liqua à peu
près sur le même ton dans la seconde édition de son
livre (Baie, 1782). La querelle portait sur l'iden-
tité entre le charbon et la pustule maligne, soute-
nue par Chambon et niée par Thomassin, et sur
les indications thérapeutiques, le premier rejetant
DE LA GANGRÈNE PAR COMPRESSION, 321
les antiphlogistiques que le second admettait dans
certains cas. La question en était là, quand Enaux et
Chaussier firent paraître leur fameux précis dont la
partie symptomatologique a été copiée depuis, par
la plupart des auteurs {Méthode de traiter^ etc., suivie
d'un Précis sur lapust. mal., Dijon, 1785, in-12). A da-
ter de cet ouvrage, la pustule et le charbon furent dé-
finitivement séparés. Une vingtaine d'années après,
Bayle, dans sa Dissertation inaugurale (1802), rapporta
les détails d'une épidémie observée par lui dans les
Basses- Alpes, et crut avoir constaté le développement
spontané de cette affection. Depuis cette époque, les
principales recherches que nous puissions citer sont
celles de M. Régnier (De la pust. mal., 1829), qui sou-
tient l'efficacité du traitement antiphlogistique , et
de M. Bourgeois, dont nous avons mentionné plus
haut les idées. (Archiv., mém. cité).
10° Gangrène par compression. — Cet acte méca-
nique n'est pas une cause simple, et il produit divers
effets morbides qu'il ne faut pas confondre; ce sont :
l'ulcération inflammatoire, qui n'est pas de la gan-
grène, quoiqu'on les confonde souvent ensemble ; l'ul-
cération gangreneuse, et enfin la gangrène plus ou
moins profonde. L'ulcération gangreneuse de la peau
et des parties sous-jacentes, par exemple, à la région
du sacrum, du grand trochanter, de l'épine de l'omo-
plate, etc., par la pression sur ces régions dans le
coucher prolongé, s'observe dans les fièvres graves
ou le traitement d'une fracture chez un vieillard,
chez un paraplégique, un homme d'une constitution
altérée, qui est forcé de coucher sur le dos pendant
trois semaines ou un mois. Dans ces cas, la compres-
sion a concouru seulement à produire la gangrène,
car les fièvres graves suffisent pour l'amener sur des
21
322 CHAPITRE II.
vésicatoires qui lie sont soumis à aucune compression.
L'état général ou diathésal de la santé y a concouru
également, puisqu'un homme, bien portant d'ail-
leurs, dans l'âge de la virilité, reste couché, pour
une fracture du col, des mois entiers, sans gangrène,
ni ulcération. Gela tient-il à ce que le sang a été chassé
des capillaires de la peau et des tissus sous-cuta-
nés qui ont été privés de sang et oblitères? Alors,
comment y a-t-il à la fois inflammation par afflux et
gangrène par défaut de sang? Pourquoi n'y a-t-il pas
toujours, comme dans le cas de compression doulou-
reuse par un bandage (voir t. I, p. 410), gangrène sèche
ressemblant à de la viande fumée? Comme, dans ce
cas, il y a eu concours d'irritation locale et d'obstacle
à la circulation capillaire, peut-on dire comment ces
deux causes opposées ont produit le même mal? Les
partisans des gangrènes par défaut de sang ne s'em-
barrassent pas de ces difficultés. Visionnaires ! qui
prennent les ténèbres pour la lumière.
Symptômes. — Sous l'influence de la compression, la
peau s'enflamme, se couvre de phlyctènes plus ou
moins nombreuses et étendues, elle s'ulcère; des es-
carres livides, molles on sèches, plus ou moins pro-
fondes, se produisent. Si un membre est exactement
embrassé dans toute son étendue par un appareil
trop serré, il peut être sphacelé tout entier. Il peut
en résulter, dan^ les cas où la gangrène est moins
étendue, des décollements considérables, des sup-
purations fétides qui épuisent les maladies , dénu-
dent les os, amènent des caries et dans le cas oii la des-
truction occupe le sacrum, une méningite rachidienne
mortelle. Dans d'autres cas, chez des sujets très-âgés
ou très -affaiblis, la suppuration et les douleurs peu-
vent amener également une issue fatale.
DE LA GANGRÈNE PAR CONTUSION. 3'Sâ
Le pronostic est en rapport avec l'étendue et le
siège de la mortification, mais surtout avec l'état du
malade^ son âge, etc.
Traitement. — Les moyens de traitement consistent
surtout à prévenir la gangrène, en levant, aussitôt
que l'on en est averti par la douleur que ressent l©
malade, le bandage ou l'appareil trop serré 5 en s'o^-^
posant aux effets du décubitus sur les parties sail-
lantes et amaigries du corps, au moyen de coussins
de balles d'avoine, de coussins remplis d'air qui
répartissent la pression sur de larges surfaces; à l'aide
surtout de lits et d'appareils mécaniques qui permet-
tent de soulever le malade, de lui faire changer dé
position, et s'opposent à toute pression trop cir-
conscrite. Si le malade laisse aller sous lui ses urines
et ses excréments, on l'entretiendra dans la plus
grande propreté; ici encore on pourra garantir les
parties menacées ou déjà atteintes avec des morceaux
de sparadrap, s'ils n'irritent pas, etc.. Si la gan-
grène est survenue, on tâchera d'arrêter ses progrès
à l'aide des moyens mentionnés, et de plus on la trai-
tera suivant l'état dès tissas. Les lotions toniques et
fortifiantes sont indiquées chez les sujets âgés ou
très-débilités, ce qui est la condition la plus ordi-
naire où ces gangrènes se développent.
11° Gangrène par coNTtsroN. — Tantôt une contu-
sion violente altère les tissus et les frappe de moï't;
c'est ce qui arrive aâseï souvent dans les plaies par
armes à feu; tantôt la contusion affaiblit, stupéfie
seulement les propriétés vitales , et prédispose à la
gangrène, surtout s'il se fait un épanchement ou
une infiltration considérable de sang, ce qui arrive
alors, avec ou sans inflammation.
Symptômes. — Les caractères anatomiques de ces lé-
sions seront décrits à l'occasion des plaies contuses;
324 CHAPITRE II.
quant à la gangrène, s'il y a eu broiement, elle sur-
vient d'emblée. La partie reste molle, infiltrée, elle
brunit, noircit, la putréfaction s'en empare, etc.;
dans d'autres cas, ou bien la partie frappée de stu-
peur devient livide , se refroidit et tombe plus ou
moins promptement en gangrène, ou bien une phleg-
masie violente s'y développe et la mortification ne
tarde pas à s'en emparer, surtout s'il s'y joint de
l'étranglement par quelque aponévrose.
Traitement. — Dans le cas d'attrition, de stupeur lo-
cale, réchaufi'ez la partie et attendez le retour de la
vitalité, puis modérez le mouvement inflammatoire
par les antiphlogistiques généraux et locaux. Sui-
vant les cas, réfrigérants administrés avec prudence,
tièdes ou frais, et si la gangrène survient, compor-
tez-vous d'après les indications générales. Quand un
membre est fracturé comminutivement, que les tis-
sus en sont en partie broyés, amputation immédiate.
12° Gangrènes par caustication.^ — Causes. Certains
acides minéraux concentrés (acides sulfurique, nitri-
que, chlorhydrique, etc.); certains alcalis (soude,
potasse, chaux, ammoniaque, etc.); certains com-
posés métalliques salins ou non, tels que les chlorures
d'antimoine, de zinc, le nitrate d'argent, etc., appli-
qués sur nos tissus, déterminent d'abord une irrita-
tion très-vive, puis les frappent de mort en se combi-
nant avec eux et les désorganisant.
Symptômes. — Douleur ordinairement très-vive et
d'autant plus promptement remplacée par l'insensi-
bilité que la substance caustique est plus énergique.
L'étendue de l'escarre est ordinairement en rapport
avec l'état solide, mou ou liquide de la substance
caustique, d'autant plus étalée que cette dernière est
plus fluide. Quant à sa couleur et à sa consistance, en
voici un tableau assez exact dressé par Virey. — L'a-
DE LA GANGRÈNE PAR CADSTICATION. 525
cide nitrique ipTodaii une escarre jaune peu consistante-,
le nitrate d'argent, une escarre brune sur la peau,
blanche sur les plaies, peu épaisse; la potasse causti-
que, une escarre noire, demi-coriace, assez épaisse;
le nitrate acide de mercure, une escarre rouge sanguin
sur l'épiderme, d'un gris pâle sur les chairs, demi-
coriace, d'épaisseur moyenne 5 Yacide sulfurique, une
escarre gris de fer, demi-coriace; Vacide chbrhydri-
que, une escarre blanche, dure, d'épaisseur moyenne;
Yacide nitro-muriatique (eau régale), une escarre jau-
nâtre, demi-coriace, d'épaisseur moyenne; le chlorure
de zinc, une escarre blanche, très-dure, épaisse; Y ar-
senic blanc, une escarre livide, dure, épaisse; le sul-
fate de cuivre, une escarre brune, très-dure, épaisse; le
chlorure d'antimoine, une escarre blanche, molle,
épaisse {Joum. des conn. méd. prat.y t. II, p. 317). — Le
départ de la portion mortifiée s'accompagne ordinai-
rement d'une inflammation assez vive que l'on utilise
comme moyen perturbateur dans les maladies, et il
s'accomplit dans l'espace de huit à dix, quinze à vingt
jours.
Diagnostic. — Il est fondé surtout sur les commé-
moratifs et l'aspect de l'escarre. Le pronostic dépend
de l'étendue de l'escarre, mais surtout de l'organe
affecté; sans gravité à la peau, cette gangrène est
mortelle dans l'estomac.
Traitement. — Enlevez la substance caustique au plus
tôt, si faire se peut ; appliquez immédiatement, pour
prévenir l'inflammation, des réfrigérants, des astrin-
gents, des substances neutralisantes, alcalines si c'est
un acide, acides si c'est un alcali. S'il y a des phlyc-
tènes, des escarres superficielles, traitement de la
brûlure; si l'escarre est profonde, étendue, traite-
ment ordinaire de la gangrène. (Voy. d'ailleurs la
Gangrène par brûlure.)
GHAPITilE m
Ces maladies sont produites par un vice, par une
lésion de nutrition. La nutrition, pour les auteurs,
en gjénéral , est la fonction complexe à laquelle on
rapporte les phénomènes m-oléculaires : r des mou-
vements de composition et de décompositiiOii nutri-
tifs que l'on suppose se passer incessamment dans les
tissus vivants; 2° quelques dégénérations mal con-
nues, comme les fibreuses, cartilagineuses, osseuses,
pierreuses, etc. ; 3" l'accroissement et l'atrophie suc-
cessifs que l'on observe à certains âges, dans cer-
tains tissus et certains organes; 4° les hypertrophies
mi les atrophies morbides; 5" e'n fin, les formations
morbides. Les mouvements de composition et de
décomposition nutritifs, les hypertrophies et les atro-
phies- des âges sont du ressort de la physiologie, et
BOUS n'avons pas à nous en occuper icij les dégéné-
rations, les hypertrophies, les atrophies et les for-
mations nîorbides sont du ressort de la pathologie, et
nous devons les étudier.
Causes. — Souvent l^hérédité, parfois unediathèse,
comme la tuberculeuse, quelquefois une prédisposi-
tkm locale, une violence extérieure , enfin souvent
cause ignorée.
Nous ferons remarquer encore, car on ne sau-
rait trop le répéter, puisque l'on continue toujours
à dire qu'il n'y a pas d'effet sans cause et que les
phénomènes morbides sont toujours le résultat d'une
lésion matérielle, que cette admirable maxime est
MALADIES ORGANIQUES. 327
ici en opposition directe avec les faits et en flagrante
inconséquence avec la vérité et la raison 5 car les
lésions matérielles sont des phénomènes morbides,
et presque toutes sont les effets de la lésion des
phénomènes de la vie. En effet, à l'exception de
la plupart des lésions dites chirurgicales, qui sont
produites par des forces étrangères à l'individu,
ou par des causes individuelles qui agissent mé-
caniquement , comme l'action musculaire , dans la
production d'une hernie, d'une luxation, d'une frac-
ture, d'une rupture, toutes les autres viennent d'une
altération de la nutrition , de l'accroissement ou de
la fonction de formation, fonction qu'il faut bien dis-
tinguer des autres, quoique les physiologistes ne
l'aient pas fait encore. {Yo\r ma. PhysioL méd.^ t. I,
p. 218-19, 347. Paris, 1832.)
Caractères anatQmiques. — Les maladies organiques
sont souvent uniques ou multiples sous la même es-
pèce. Elles se montrent dans tous les tissus , quoique
plus souvent dans les parties molles que dans les
parties dures. L'étendue qu'elles acquièrent est trè&-
variée, et leur forme ne l'est pas moins. Sous cerap^
port, les unes semblent amorphes ou sans forme spé-
ciale, comme le tubercule infiltré dans les mailles des
tissus, dont il prend en partie la forme; les autres
ont des formes déterminées, sphériques , ovalaires,
comme le lipome, massives ou cavitaires, indivises
ou divisées, ramifiées, etc. Leur organisation offre
des différences assez tranchées pour qu'on ait été
obligé de les diviser en ordres, en genres, en espèces
et en variétés déjà énumérés (t. I, p. 111). Ainsi,
celles dans lesquelles le tissu d'un organe est trans-
formé en un autre, un muscle, une artère, etc., en
os, du tissu cellulaire en tissu fibreux, sont des dé-
générations; celles oîile tissu n'est point transformé,
328 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES
mais accru seulement, sont des hypertrophies; là où
il est, au contraire, amoindri, il y a atrophie; mais
ces hypertrophies et atrophies présentent d'ailleurs
des modifications dans les divers tissus, suivant
qu'elles affectent tous les éléments d'un organe, plu-
sieurs ou un seul. Les lésions organiques formées
de tissus différents de ceux que l'on doit trouver nor-
malement dans une partie , en un mot de tissus
étrangers a une partie , sont des formations mor-
bides; elles diffèrent des formations de l'hypertro-
phie en ce qu'elles n'augmentent pas le tissu normal,
et parfois même l'atrophient. Mais qu'elles viennent
d'une dégénération de la nutrition ou d'une lésion
des fonctions de formation et d'accroissement, ce
qui n'est pas toujours aisé à distinguer, elles peuvent
donner lieu aux mêmes phénomènes.
Symptômes et marche des maladies organiques. — Leur
naissance et leur enfance sont toujours mystérieuses,
à moins que la maladie ne commence à la surface
de la peau; encore, souvent on ne les y remarque
que lorsqu'elles ont acquis déjà une certaine étendue.
C'est assez dire qu'en général elles ne présentent
d'abord aucun phénomène local qui puisse les faire re-
connaître. Mais à mesure qu'elles prennent du déve-
loppement, l'âge de lenr innocence se passe, et il ar-
rive un moment oii des phénomènes pénibles inspi-
rant de justes inquiétudes, provoquent des recherches
qui révèlent leur existence, et cela d'autant plus
prompteraent qu'elles sont moins profondément ca-
chées et plus accessibles au toucher et à l'œil.
Les troubles qu'elles causent viennent d'elles-
mêmes, plus souvent des parties voisines, qu'elles
gênent, compriment, distendent, dont elles embar-
rassent ou empêchent les fonctions. Alors elles sont
dans leur période maligne, dans leur période de
DE LA NUTRITION (dÉGÉNÉRATIONS). 329
gravité, et si on les abandonne à elles-mêmes, elles
peuvent causer plus ou moins promptement des
douleurs plus ou moins vives, des accidents d'inflam-
mation, de suppuration, d'ulcération, de g^angrène ,
de fièvre , d'amaigrissement , de consomption et la
mort.
Les maladies organiques, impossibles à recon-
naître dès leur naissance, se révèlent quelquefois
plus tôt par les troubles fonctionnels qu'elles cau-
sent dans le cerveau, les poumons, que parla saillie
que des maladies organiques très-superficielles font
sentir au toucher-, et quelque profondément qu'elles
soient, leur diagnostic peut devenir très-facile par
les dérangements fonctionnels qu'elles déterminent.
Leur diagnostic peut d'ailleurs être éclairé par les
nombreux moyens d'investigation que nous possédons
aujourd'hui, et surtout par le toucher, le palper, la
percussion , l'auscultation , les ponctions explora-
trices, le sondage, etc.
Le pronostic en est trop varié pour en rien dire de
général.
Le traitement médicamenteux est, en général, im -
puissant. Le traitement chirurgical a plus d'effica-
cité; mais il faut qu'il puisse s'appliquer à la nature,
à la situation, à l'étendue de la lésion; il faut, enfin,
qu'il puisse détruire ou enlever la maladie par ex-
traction, extirpation, amputation, cautérisation, etc.,
sans tuer le malade ou l'exposer à plus de mal que
de bien.
MALADIES ORGANIQUES DE LA NUTRITION (DÉGÉNÉRATIONS).
Ces afifections, qui paraissent résulter de la dégé-
nération, de l'altération de la nutrition, ne sont pas
tellement claires dans leur pathogénie qu'elles ne
330 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES
permettent aucun doute à cet égard. Quoi qu'il ea
soit, nous le répétons, nous regardons comme telles
les altérations des tissus blancs , rétractés et indurés
ou ramollis 5 les transformations d'un tissu en un au-
tre, du tissu cellulaire devenu fibreux-, du musculaire
devenu graisseux, celluleux; de divers tissus deve-
nus cartilagineux, osseux, pierreux, etc. Ces mala-
dies sont, en général, moins pénibles et moins graves
par leurs symptômes et leur marche que les organi-
ques en général. Souvent même elles prennent peu
de développement, -restent bientôt stationnaires et
sont médiocrement gênantes. Il y a même des al-
térations matérielles de ce genre qui , n'étant ni pé-
nibles, ni dangereuses, ne sont pas des maladies,
mais de simples anomalies.
MALADIES ORGANIQUES DE l'aCCROISSEMENT.
Nous savons déjà qu'elles consistent, les unes dans
l'hypertrophie, les autres dans l'atrophie d'un tissu,
d'un organe, d'une partie ou de la totalité du corps.
Mais comme elles présentent peu de caractères com-
muns ou généraux, comme il y en a fort peu de com-
munes à toutes les parties du corps, comme enfin il
y en a peu qui soient du ressort de la chirurgie,
nous n'en aurons que quelques-unes à décrire ou à
mentionner. J'y rapporterais les tumeurs sanguines
(anévrismes, varices, tumeurs érectiles sous le nom
commun de vaso-morbies) ^ si elles ne comprenaient
aussi des lésions de formation et de simples dilata-
tions. Je n'en parlerai donc que plus bas, à cause de
la complexité de leur nature.
Des hypertrophies. — Elles sont caractérisées par
un excès de développement local ou général à tout le
corps, sans autre altération, sans dérangement dans la
DE L ACCROISSEMENT. 331
disposition, dans les lois des éléments normaux, et
surtout sansaddition d'éléments anormaux. A l'hyper-
trophie générale doivent être rapportés le géantisme,
la polysarcie, etc., qui ne sont pas de notre objet;
à l'hypertrophie locale le lipome, qui est de notre
ressort.
Des atropbies. — Affections opposées aux précé-
dentes, dont il sera surtout parlé dans la pathologie
particulière, et qui sont aussi locales ou générales.
DU LIPOME.
Tumeur par hypertrophie du tissu graisseux.
Causes obscures et peu connues ; prédisposition lo-
cale, quelquefois diathésale, parfois hérédité; peut-
être le sexe fémJBio.
Ëtaî anatomique. -^ Nombre, Le lipome est le plus
souvent solitaire, quelquefois multiple. Plusieurs fois,
j'en ai vu deux ou trois sur le même sujet. Marjolin a
observé à la Salpêtrière, une femme qui en portait
plus de cent , doqt les plus gros avaient le volume
d'uue noix, M. Vidal parle d'un vieillard dont Se corps
était couvert de lipomes de toutes grosseurs, depuis
celle d'une pustule de variole jusqu'à celle d'une tête
de foetus à terme (Traité de Path. ext.^ t. I, p. 258).
Alihert a figuré dans sa Nosologie naturelle un cas de ce
genre, — Siège, suriout là où il y a du tissu cellulaire
adipeux en abondance; au dos, aux épaules, aux bras,
aux lombes, à l'entour des mamelles, au cou, dans
l'épaisseur des parois de l'abdomen. Pelletan en a
rencontré deux exemples entre le vagin et le rectum
[Cliniq. chir,, t. I, p. 203, 206). Jamais, dit-on, à la
paume des mains, ni à la plante des pieds ; cependant
le même Pelletan a vu un lipome occupant la face in-
terne du pouce et de la main gauche, s'étendant vers
332 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
la paume de la main, en couvrant les muscles de l'émi-
nence Ihénar, jusqu'aux métacarpiens (/6., p. 210)-,
très-rare aussi à la tête. M. Chassaignac a pourtant
présenté à la Société anatomique une tumeur grais-
seuse qui s'était développée entre le péricrâne et les
muscles épicraniens(JBM//. soc.anat., an. 1836, p. 139).
— Volume très-variable, depuis celui d'un pois jus-
qu'à celui de la tête d'un adulte et au delà. En voici
quelques exemples. M. Abernethy rapporte que
M. Cline a enlevé un lipome qui pesait 1 4 à 15 livres.
A. Cooper en a enlevé un de 14 livres, et un au-
tre de 37 livres, indépendamment du sang qui s'y
trouvait compris (S. Cooper, Dict., t. II, p. 533).
Pellelan en a emporté un de 22 livres {Cliniq., t. I,
p. 214). Un jeune homme de dix-huit ans, pesant
169 livres, quoique maigre et d'une médiocre stature,
portait entre les deux épaules deux tumeurs lon-
gues de 8 pouces et larges de 3 ; une troisième,
moins volumineuse , sous l'aisselle droite ; une
quatrième de là pouces de long sur 6 de large,
à l'angle inférieur du scapulum; une cinquième, un
peu plus bas, qui avait 6 pouces de long et 5 de
large 5 une sixième, à la hanche droite, plus grosse
que la tête d'un homme 5 une septième, plus petite,
au-dessous du grand trochanter; enfin, une huitième,
très-volumineuse, qui s'élevait à l'hypochondre gau-
che, et faisait une saillie grosse comme le mollet;
elle était longue de 3 pieds, et sa base avait 3 pieds
de circonférence, elle pesait 46 livres {Dict.y S. Coo-
per, article cité). Chez un jeune homme, opéré par
M. Gensoul (de Lyon), et qui en présentait un grand
nombre, l'une des tumeurs, reposant sur le bas des
lombes et sur le sacrum, s'étendait en forme de sac
jusqu'au jarret, de sorte que le malade était renversé'
en arrière par cet appendice (Pautrier, Thèse, 183i).
DU LIPOME. 333
J'en ai enlevé avec succès une entre les deux
épaules, deux fois grosse comme la tète, une de la
cuisse qui était plus grosse encore, et dont la copie
en cire est déposée au musée anatorao-pathologique
de la Faculté de Paris, ainsi que celle d'une autre
beaucoup plus grosse opérée par M. Velpeau.
Forme ordinairement arrondie, à base large, à som-
met obtus, demi-sphérique ou ovoïde, quelquefois
cyiindroïde (Pelletan, 1. c, p. 203, 206); surface
unie, mais le plus souvent inégale, bosselée, et comme
lobulée; rarement le lipome est pédicule. J'en ai ce-
pendant enlevé un de ce genre en 1850 {Bull, de la
Soc, anat. 1850, t. VI, p. 88).
Propriétés sensibles, consistance mollasse avec un peu
d'élasticité, pas de changement de couleur à la peau 5
pesanteur spécifique peu considérable, à cause de la
prédominance du tissu graisseux.
Structure graisseuse. La tumeur est formée d'une
trame celluleuse lâche, à grandes mailles, renfermant
les vésicules graisseuses 5 cette trame enveloppe !a
tumeur sans constituer up véritable kyste 5 elle est
lâchement unie par des tractus celluleux aux parties
voisines. Les vésicules graisseuses ont le même vo-
lume et le même aspect qu'à l'état normal; c'est ce
qui a fait dire que le lipome n'était qu'une obésité par-
tielle. On a plusieurs fois trouvé des concrétions osseu-
ses au centre. (V. Bull. Soc. anat., ann. 1841, p. 10, et
ann. 1 848, p. 1 ô.) D'autres fois, des vacuoles, des ca-
vités renferment une matière séreuse plus ou moins
épaisse. La consistance du lipome est parfois augmen-
tée partiellement par la transformation de la trame cel-
luleuse en tissu fibreux. J'en ai enlevé un sur le front;
il avait une cavité centrale qui présentait de petites
tumeurs fibreuses pédiculées saillantes à rintérieur,
etc. Ordinairement les vaisseaux du lipome sont fins.
334 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
Cependant ceux qui sont très-gros peuvent être cou-
Terts d'un réseau veineux variqueux très-cansidé-
rable, comme celui de M. VeJpeau cité plus haut.
Syvipiômes. — Presque toujours indolent, le lipome
ne gêne qiie par son poids; néanmoins il peut être
douloureux (Morgagni, Le«r€ 50, n° î'è).
Symptômes de voisitiagë^-^^ Troubles fonctionnels dé-
terminés par le volume de la tumeur, variantes sui-
vant la région qu'elle afiPecte.
Marche. — Invasion le plus souvent inaperçue.
L'affection n'est reconnue que quand elle a déjà ac-
quis un certain volume. L'accroissement est très*-
lent, quelquefois coupé de périodes stationnaires ;
les progrès définitifs peuvent être poussés très4oin :
nous en avons cité des exemples. D'autres fois, la
tumeur s'arrête à des dimensions médiocres, et per-
siste dans cet état. D'autres fois, elle s'enflamme, ir-
rite et enflamme la peau, qui rougit et s'ulcère. Ces
accidents sont le plus souvent déterminés par deîs
violences extérieures, chocs, pressions, froissements
répétés. — Influences. Quand le malade dont Littré a
parlé faisait un excès alcoolique, sa tumeur se goâ^
fiait pendant plusieurs jours {Ilist. Acad, r. des Se,
pour 1709), etc.
Il est bien avéré aujourd'hui qu-e le lipome ne peut
pas dégénérer en cancer, en ce sens qu'il ne se trans-
forme pas en un tissu de nature cancéreuse; mais on
reconnaît qu'il pourrait être envahi et remplacé pa>r
celui-ci, bien que cette vue théorique n'ait pas ea^
core été confirmée par des faits authentiques. Ce
qui a surtout fait croire à la dégénérescence du li-
pome, c'est que le stéatome , que l'on regardait
comme son second degré, a été souvent confondu
avec des encéphaloïdes, et que, d'un autre côté, l'é-
lément graisseux se trouve parfois mêlé en quantité
DU LIPOME. 335
assez considérable dans des tumeurs véritablement
cancéreuses.
Diagnostic^ — Le lipome a pour caractères diagnos-
tics, sa forme, sa situation, sa mollesse comme fluc-
tuante, sa mobilité, son insensibilité.
Le lipome pourrait être confondu avec des abcès
froids, des tumeurs encéphaloïdes en voie de ramol-
lissement, des tumeurs fongueuses sanguines sous-
cutanées; des kystes, etc.. Les abcès froids présen-
tent rarement des bosselures, ils ont été pâteux avant
de se ramollir et de devenir fluctuants-, d'ailleurs une
ponction exploratrice n'empêche pas d'imprimer un
mouvement de circonduction au trois-quarts plongé
dans la tumeur, et peut fournir du pus. Une tumeur
encéphaloïde présente une forme moins régulière-
ment arrondie; il y a bien de la fluctuation, mais avec
rénitence élastique, avec vibratilité à la percussion,
avec douleurs lancinantes -, enfin une aiguille enfoncée
dans la masse cérébriforme pourra encore s'y mou-
voir un peu latéralement ^ dans un lipome elle ne le
pourrait pas. Dans les tumeurs fongueuses sanguines,
il y a ordinairement vascularisation et coloration
rouge ou bleuâtre de la peau à l'endroit de la tumeur,
afiaissement facile de celle -ci par la compression,
et, au contraire, gonflement quand on comprime
au-dessus ou au-dessous, suivant qu'elle est veineuse
ou artérielle. Une ponction donnerait lieu à une effu-
sion de sang. Les kystes sont, en général, plus sphé-
riques, plus lisses à leur surface , plus fermes, la fluc-
tuation est plus élastique, la ponction exploratrice
donne issue au liquide que contient le kyste. Ce-
pendant il y a des cas de diagnostic obscurs ou impos-
sibles, par suite de l'obscurité ou du manque de cer-
tains caractères.
Pronostic peu grave. Les lipomes incommodent sur-
336 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
tout par leur volume et la gêne qu'ils peuvent appor-
ter dans les fonctions des organes voisins ; il faut alors
les opérer, et alors il en résulte les dangers inhérents
à toute ablation sans section osseuse. S'ils sont très-
volumineux et couverts de veines variqueuses, le
danger peut être très-grand. Il y a encore danger
quand la tumeur a son siège dans une région remplie
de vaisseaux et de nerfs importants, le cou, par exem-
ple, comme dans le cas de Pelletan.
Traitement. — Si la tumeur est petitCj stationnaire, ce
qui est rare, occupant une région où elle n'incom-
moae pas, on peut la négliger^ dans le cas contraire,
il faut recourir à l'ablation, car les médications topi-
ques dites résolutives ou fondantes sont sans action ;
la cautérisation serait absurde, la ligature mauvaise.
Les moyens rationnels d'ablation sont l'extirpation,
l'amputation, l'excision. -
Extirpation. — Si la tumeur est peu volumineuse, la
peau saine comme d'habitude, et modérément dis-
tendue, on pratique sur la tumeur une incision
en long, en T, en croix ou en V, suivant les
dimensions, la forme, le siège dé celle-ci, et on dis-
sèque les lambeaux. La surface extérieure de la tu-
meur étant mise à découvert, on la détache des par-
ties sous-jacentes par simple énucléation avec le doigt,
le manche d'un scapel, une spatule, etc. Si l'on ren-
contre une sorte de pédicule, constitué par des vais-
seaux plus ou moins volumineux pénétrant dans la
tumeur, on peut soit les couper pour les lier ensuite,
soit lier ce pédicule et couper au-dessous du fil ,
comme l'ont fait plusieurs chirurgiens.
Dans la plupart des cas, les vaisseaux ne méritent
pas la ligature. M. Gensoul a proposé un procédé
très-expéditif, mais qui ne convient que lorsque le
lipome repose sur une partie dépourvue de vaisseaux
DU LIPOME. 337
et de nerfs importants, et à la surface de laquelle on
peut glisser la lame d'un couteau. 11 passe sous la tu-
meur en perçant la peau d'outre en outre, un grand
couteau étroit à un seul tranchant-, tournant ensuite
le tranchant vers lui, il fend la masse graisseuse d'un
seul coup, de dedans en dehors; puis, renversant les
deux moitiés de chaque côté, il les arrache avec la
main (Pautrier, Thèse citée). Pour plus de rapidité
encore, plongez le couteau sous la tumeur, le
tranchant tourné vers le sommet, et fendez la
d'un trait de la base au sommet. Après l'extirpa-
tion, on réapplique les lambeaux, qui, d'abord trop
grands , ne tardent pas à revenir sur eux-mêmes
et à recouvrir exactement la surface de la plaie; on
réunit avec des bandelettes agglutinatives ou des
points de suture, et on recouvre le tout de charpie
mollette maintenue par un bandage. La guérison a
ordinairement lieu par première intention.
Si la partie profonde de la tumeur se trouvait unie
intimement à de gros vaisseaux ou bien à de gros
cordons nerveux, il vaudrait mieux laisser ces por-
tions adhérentes que de s'exposer aléser les organes.
Amputation. — Si la masse graisseuse est très-volu-
mineuse, que la peau soit très-amincie ou adhérente
à son sommet, on renfermera dans une double inci-
sion demi-elliptique la portion altérée de tégument
et on l'emportera avec la tumeur. On peut encore
l'amputer à lambeaux lorsque la tumeur est pédicu-
lée et réunir par une suture enchevillée. La guérison
se fait alors très-promptement , comme je l'ai vu
arriver à une malade à qui j'emportai un lipome de
la grosseur du poing et dont le pédicule avait trois ou
quatre centimètres de diamètre. Si le pédicule était
d'un centimètre de diamètre on pourrait se borner à
l'exciser d'un coup de bistouri ou de ciseaux.
22
338 CHAPITRE I. — MALADIES ORGANIQUES.
Je ne puis rien dire du hachis sous-cutané, que
M. Bonnet, de Lyon, a essayé de pratiquer dans le
lipome, en le divisant en tout sens sous la peau avec
un ténotome. Je ne l'ai jamais essayé. {BuUet. thé-
rap., t. 35, p. 61.)
Le fait suivant donnera des exemples de plusieurs
des assertions émises dans cet article.
Observation de lipome de la fesse recueillie par M. Broca.
— Louise Voillot, âgée de cinquante et un ans, bro-
cheuse, est entrée le 13 août 1849 à la Charité, dans
le service de M. Gerdy. Elle jouit d'une assez faible
santé et a cessé d'avoir ses règles il y a quatre ans.
Il y a vingt ans elle commença à sentir, en arrière du
pli de la fesse gauche, une petite tumeur qui la gê-
nait, mais qui n'était point douloureuse. Elle exer^
çait déjà depuis longtemps la profession de bro-
cheuse, ce qui la contraignait à être assise au moins
douze heures par jour. Cette tumeur, à cette époque,
était peu volumineuse, efiiiçait le pli de la fesse, mais
ne faisait pas de saillie à l'extérieur. Pendant plu-
sieurs années cette tumeur resta stationnaire, ou du
moins ne s'accrut que fort lentement. H y a dix ans,
elle était encore profonde, régulière, ne faisant sous
le pli de la fesse qu'une saillie fort légère, eu égard à
l'étendue de sa base. Depuis cette époque la tumeur
s'est accrue d'une manière très-irrégulière. Elle s'est
étranglée et partagée en deux tumeurs : l'une inté-
rieure, l'autre extérieure et pendante du volume du
poing.
Aujourd'hui la tumeur est tr^s-molle, presque fluc-
tuante dans sa partie extérieure, mais il est aisé de
voir que cette fluctuation n'est qu'apparente; elle
n'est pas douloureuse, même à la pression, et n'est
réellement gênante que par son volume.
Il y a quinze jours, une vieille femme, qui fond les
DU LIPOME. 339
ItimeuTS, lui fit faire des onctions avec de l'essence
de thérébenline, La peau rougit, s'enflamma, s'ul-
céra. Malgré tous les soins, cette ulcération n'ayant
pu guérir, et la malade ne pouvant ni s'asseoir, ni
se coucher sur sa tumeur, elle a pris le parti de s'en
faire enfin débarrasser.
Le 20 août, M. Gerdy en pratique l'ablation en
faisant deux lambeaux demi -circulaires unis à
leur base. La peau qui recouvre la base àe la tu-
meur est conservée. Une dissection des plus faciles
permet d'extraire la partie profonde de la tumeur.
L'aponévrose sous-cutanée est à nu dans le fond de
la plaie, et on aperçoit le relief que forme, sous cette
aponévrose, le bord inférieur du- grand fessier; il
reste une plaie linéaire qui a huit à dix centimètres
de long. Elle est réunie par une suture enchevillée
et guérit en quelques jours, par cicatrisation immé-
diate.
Examen de la tumeur. — La base est un lipome
ordinaire, large de dix centimètres, circulaire, for^
mant comme un gâteau aplati. Au niveau de l'étran>
glement en bissac, on voit une espèce d'anneau fi>
breux constitué par le derme ou plutôt par ses fibres
profondes. Il est évident que la tumeur a éraillé les
couches profondes de la peau et a dilaté au^ delà
de cette éraiilure le reste de soa épaisseur. La
peau qui recouvre la portion herniée de la tumeuï! est
amincie ; en approchant do: sommet, elle devient de
plus en plus adhérente. Là le tissu du lipome est plus
dense et en même temps plus friable. Des vaisseaux
nombreux parcourent ce tissu, qui est évidemment le
siéged'uneinflammation chronique. Ausommetlapeau
est rouge ou plutôt violacée, sans épiderme mais non
ulcérée; c'est comme la surface suppurante d'un vé-
sicatoire 5 il n'y a d'ulcération véritable que dans
340 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
une étendue de un centimètre, tout au sommet. Là,
la peau est détruite, le fond de l'ulcère répond à Ja
substance altérée du lipome. Il y avait gêne à la cir-
culation en retour, par suite de l'étranglement.
Du STÉATÔME. — Le stéatôme est une affection mal
connue, mal caractérisée , parce qu'elle est rare,
parce que Ton a confondu sous ce nom différentes
productions dont plusieurs se rapprochent des di-
verses dégénérations ou formations morbides fibreu-
ses , indurées , squirrheuses , encéphaloïdes , etc.
Cette conclusion ressort de la description qu'en a
donnée Boyer {MaLchir., t. II, p. 407, 408, 410, etc.),
et surtout de cette circonstance sur lacjuelle il in-
siste, que le stéatôme dégénère souvent en cancer.
Telle est la raison pour laquelle plusieurs auteurs
contemporains veulent rayer de la science le mot
stéatôme. Quoi qu'il en soit, il existe réellement des
tumeurs graisseuses qui offrent dans certains points
une substance plus dense, plus blanche que le reste.
Nous avons trouvé et cité plus haut des exem-
ples de ces lipomes complexes. M. Lebert en cite
également des cas qui seront relatés plus bas. Enfin,
il y a des tumeurs fibro-cellulaires, qui diffèrent du
lipome comme des cancers. Nous assurons même que
l'anatomie pathologique aura encore d'autres distinc-
tions à établir ici, et surtout à mieux différencier
qu'elle ne l'a fait jusqu'à ce jour.
Caractères anatomiques. — Siège surtout à l'extérieur,
volume variable, pouvant devenir très-gros ; forme
arrondie à surface plus ou moins bosselée, à base
large. — Propriétés sensibles. Consis,is^nce plus grande
que celle du lipome , résistance molle et pâteuse
comme du suif ; poids plus considérable que celui
du lipome. — Structure. 1° Enveloppe celluleuse, mais
non membraneuse, envoyant des prolongements di-
DU LIPOME. 341
Tersement entrecroisés dans la tumeur , et peu
adhérents aux parties voisines. 2° Matière contenue.
C'est une substance graisseuse plus blanche, plus
compacte que celle du lipome; la graisse ne pré-
sente pas ses vésicules normales, elle existe en masse
concrète. Aussi l'apparence générale en est-elle ho-
mogène et comme lardacéej de là les erreurs de
diagnostic que nous signalions en commençant. J'en
ai rencontré quelques exemples dont un a été pré-
senté k la Société anatomique par M. Goffin, mon
interne. Il s'agissait d'une femme de soixante-cinq ans
qui le portait depuis plus de dix-huit mois. En voici
l'extrait inséré dans les bulletins de cette société :
« Cette tumeur était située en partie sous le deltoïde
du côté gauche, l'autre partie semblait faire hernie
entre les fibres du grand pectoral et du deltoïde. La
peau n'était pas altérée. Elle était seulement sillon-
née par quelques veines. L'état de la malade était
excellent, rien ne permettait de soupçonner une ca-
chexie cancéreuse. On fit une ponction à la tumeur,
et il ne sortit rien par la canule du trois-quarts. Alors,
sans préciser la nature de cette tumeur , M. Gerdy
en fit l'ablation. On trouva un lipome bilobé d'une
consistance assez considérable, ce qui rendait le dia-
gnostic difficile. A la coupe , il offre une coloration
beaucoup plus blanche que celle d'un autre lipome, que
M. Coffin met sous les yeux de la Société. Les cellules
qui constituent cette tumeur contiennent une matière
grasse, beaucoup plus consistante que la plupart des tu-
meurs de cette espèce. » {Bullet. de la Soc. anat.,
t. XXIII, p. 127.) M. Lebert, qui admet aussi l'exis-
tence du stéatôme, a constaté à l'aide du microscope
que la matière graisseuse y existe à l'état de gra-
nules.
Les symptômes, la marche sont, à part quelques
342 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
différences signalées plus haut, les mêmes que pour
le lipome; il réclame le même traitement.
Dd cboléstéatome. — M. Lebert décrit sous ce fiom
une sorte de tumeur graisseuse déjà signalée par
MuUer et M. Gruveilhier {Anat. paih., 1. II, tab. 4), et
dans laquelle domine la choléstérine. Les caractères
extérieurs de la tumeur sont les mêmes que dans les
formes précédentes 5 elle s'en distingue par son as-
pect feuilleté et nacré; le microscope y fait recon-
naître des cristaux de choléstérine en grand nombre,
quelquefois imbriqués. C'est encore là une simple
variété anatomique.
Historique du lipome. — On sait quelle confusion a
régné longtemps dans l'histoire des tumeurs, que les
recherches anatomo - pathologiques modernes ont
seulement commencé de débrouiller. Les anciens
appelaient stéatôme une tumeur enkystée renfer-
mant une matière suifeuse (V. Y Historique des Kystes).
Plus tard ce nom et ceux de natta (Ingrassias, de
tmn. prcet. nat.)^ de sarcome furent donnés aux amas de
matière graisseuse revêtus ou non d'une enveloppe
ou kyste. Littre, le premier (/Jisf. dcTAcad. R. des se,
ann. 1709), proposa de séparer des tumeurs suifeuses
ou stéatômes, celles qui sont formées de la graisse
molle ou d'apparence normale et auxquelles il donna
le nom de lipomes. Cette expression, généralement
admise aujourd'hui, n'a cependant pas obtenu l'ap-
probation de tous les auteurs du siècle dernier. Mor-
gagni s'attacha à démontrer, à l'aide de faits emprun-
tés aux différents auteurs ou recueillis par lui, que
ces productions doivent être regardées commede véri-
tables hypertrophies du tissu adipeux. {Lettre ôO,
nos 22-25.)
FORMATIONS MORBIDES. 343
FORMATIONS MORBIDES OU MORBIFOSMATIOISS.
Productions accideatelles des auteurs modernes.
MALFORMATIONS OU MONSTRUOSITÉS.
Je veux parler sous ce Kom des lésions de dé-
veloppement conhues sous les noms d'anomalies, de
monstruosités, de déviations organiques. Je n'en veux
dire que peu de mots parce qu'elles sont presque
toutes incurables, inopérables, et qu'il serait peut-
être déplacé de traiter dans un ouvrage de chi-
rurgie pratique d'une question d'anatomie et de
physiologie pathologique générale qui ne conduit k
aucune application chirurgicale générale. Nous ren-
voyons par conséquent à la pathologie spéciale pour
ce que nous avons à en dire.
Les malformations sont produites par des lésions
de facultés et de fonctions, encore imparfaitement
connues, malgré les travaux de beaucoup d'hommes
célèbres du siècle dernier et de celui-ci.
Je dirai seulement, parce que aujourd'hui on ne me
paraît pas bien connaître Texistence de ces faits, que
lesgermes renferment les principes de propriétés ou de
facultés futures avant même de posséder les organes
qui jouiront plus tard de ces facultés : que dès lors
ces principes, qui sont eux-mêmes des facultés, jouent
nécessairement un grand rôiedansla production d'une
foule de monstruosités, particulièrement dans celles
qui viennent héréditairement du côté maternel, et que
les faits de cette nature prouvent évidemment un vice
des germes antérieur à la fécondation et à l'évolution
embriogénaire. Je renvoie d'ailleurs aux auteurs qui
se sont le plus occupés de cette question difficile
et mystérieuse. (Winslow 5 Remarq. sur les monstr..
344 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
Acad.des Se, 1733-34-40-42; Lemerj^Surlesmonstr.,
ibid., 1739, p. 260 et p. 305 -, Haller, De monslris, Got-
ting., 1751-, Regoault, les Écarts de La nature, etc.,
Paris, 1808. in-fol.-, J.-F. Meckel, Tab. anat., Leip-
sick, 1817-26, etDescript. monstrorum^ ibid.. 1826, in-4''5
E. Geoffroy Saint-Hilaire, Philos, anat., Paris, 1823 5
Annal, des se. nat.^ 1825-, Mém. du Muséum, 1826;
Journ. compl. du Dict. des se. méd., t. XXI®, XXXI V^,
etc. Voyez surtout Is. Geoffroy Saint-Hilaire, Térato-
logie, 1832-7; Serre, dans Mém. de CAcad. des se,
t. XI, etc.)
KYSTES, LOUPES.
Poches OU capsules de formation morbide, ouvertes
comme les kystes folliculaires ou closes, dilatées et
souvent distendues par la matière qu'elles contien-
nent. On en rapproche des poches naturelles, comme
les bourses muqueuses remplies de liquide, parce
qu'elles présentent des caractères analogues et se
guérissent par des moyens analogues.
Causes individuelle, locale ou diathésale , en sorte
que la maladie se développe sans cause extérieure,
spontanément, dans un point ou sur plusieurs points
différents et est solitaire ou multiple. Quelquefois
encore hérédité. A. Cooper l'a fréquemment constaté
(S. Cooper, Dict., t. II, 537). M, Lebert a vu une mère
et son fils porter chacun six loupes à la tête {Physiol.
■pathol.^ t. II, 55). Dans quelques cas, violence exté-
rieure répétée, comme une pression, des frottements,
4es coups, etc.
Caractères anatomiques. — Les kystes sont uniques ou
multiples, et dans ce dernier cas il sont diathésaux.
A. Cooper en a vu soixante (S. Cooper, Dict., t. II,
p. 537). Il s'en développe à peu près partout, quoi-
qu'ils n'offrent point partout les mêmes caractères.
r
KYSTES, LOUPES. 3/l5
Mais tandis que les uns se développent dans des ca-
vités naturelles, les follicules cutanés, les bourses
muqueuses, les autres se montrent dans des poches
de formation accidentelle et morbide. Aussi faut-il
distinguer, pour ces raisons, les kystes folliculaires
cutanés et sous -cutanés, d'avec les kystes intermus-
culaires et viscéraux, les kystes splanchniques et intra-
osseux que la chirurgie peut parfois atteindre d'avec
les kystes intra-craniens qui sont presque toujours
hors de sa portée. Leur étendue varie depuis celle
d'un grain de froment jusqu'à celle d'un œuf, de
la tête ou davantage , et leur poids d'un gramme
à un, dix, vingt kilogr. Ils sont en général sphéroï-
daux, ovoïdes; mais leur forme et leur développe-
ment étant soumis à la résistance qu'ils éprouvent
à s'accroître, ils sont parfois bilobés, branchus, bosse-
lés, étranglés. Les uns, d'ailleurs, sont ouverts sur la
peau comme les kystes folliculaires, les autres clos, et
ce sont les plus nombreux. Leur cavité est unique ou
multiple, et les kystes uni ou multiloculaires. Ils
offrent plus ou moins de consistance et de résistance,
suivant leur structure.
Leur organisation est variée ; tous sont formés
d'une enveloppe et d'une matière intérieure. La
tunique d'enveloppe est composée d'un tissu fi-
bro-cellulaire plus ou moins épais, dense et résis-
tant, parfois même fibreux, épais, induré comme du
cartilage ou véritablement osseux, au moins par par-
tie. La matière enkystée est tantôt pâteuse, molle
comme de la bouillie, de là le nom à^athérôme, ou
comme du miel, d'où le nom de melicéris; d'autres
fois elle se compose de cellules épithélialesmêlées à de
la graisse, à des cristaux de choléstérine, de là le nom
de kystes épitliéliaux; d'autres fois encore elle est
fluide comme de la sérosité pure et transparente,
3A6 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
d'où le nom de kystes séreux; on trouble et filante
comme du mucus altéré , d'où le nom de kystes glai-
reux; d'autres fois le fluide enkysté est épais comme
de la sérosité mêlée de sang, de choléstérine , de
matières étrangères; d'autres fois on y trouve des
poils, des os, des dents, comme dans les kystes de
l'ovaire où ils parixissent être en général, du moins,
des débris de formations embryonnaires avortées;
d'autres 'fois , enfin , ils contiennent des hydatides,
d'où le nom de kystes hydatiques.
Les vaisseaux des kystes sont en général fins et peu
développés, mais les kystespeuventavoisiner des vais-
seaux considérables qui, sans leur appartenir, méri-
tent qu'on s'en souvienne dans les opérations que
l'on se décide à pratiquer pour en débarrasser les
malades.
Analyse chimique. — La diversité des matières con -
ténues dans les tumeurs enkystées ne permet pas de
donner d'une manière générale leur composition.
Cependant, voici ce qu'en dit M. Lhéritier, dans son
Traité de chimie pathologique : a Nous en avons trouvé
qui se composaient principalement d'albumine; d'au-
tres contenaient de la graisse, de la fibrine ; quel-
ques-uns étaient constitués par de l'osmazome et de
la gélatine. M. Laugier s'est assuré que la substance
osseuse accidentelle contenue dans un kyste était
composée de phosphate calcaire, de carbonate de
chaux et de gélatine. Parmi les matières salines qui
font partie de ces kystes, j'ai surtout remarqué le
chlorure de sodium, le phosphate et le carbonate de
chaux. » (P. 688.)
Symptômes et marche. — L'origine des kystes ou leur
génération n'est pas la même pour tous. Tous ont une
enfance obscure; il n'y a qu* ceux qui naissent sur
les parties nues et découvertes qu'on aperçoive de
KYSTES, LOUPES. 3Zl7
bonne heure. ïls ne souffrent par eux-mêmes que
lorsqu'ils ont acquis un certain volume, que leur
tunique très-distendue s'irrite et s'enflamme, ou
que lorsqu'ils sont fréquemment irrités par des bre-
telles, des ceintures, par la pression du chapeau, des
coups de peignes, des chocs et des frottements acci-
dentels, et ces symptômes sont locaux. Arrivés à un
certain développement, les kystes gênent par leur
volume les parties voisines et en troublent les fonc-
tions. Parfois ils s'épaississent, s'indurent en tissu
fibreux, osseux. Alors aussi leur volume, leur dis-
tension, quelquefois l'amincissement de leurs parois,
quelquefois une inflammation ulcérative, quelquefois
leurs progrès ou une violence accidentelle amènent
leur rupture, à l'extérieur ou à l'intérieur du corps.
Dans le premier cas, écoulement partiel ou total de la
matière molle ou fluide qu'ils renferment, inflamma-
tion intérieure du kyste, adhé&ion sans ou avec in-
flammation, et, enfin, guérison par le retrait du sac
et par l'adhésion de sa surface interne avec elle-
même. D'autres fois le kyste rompu à l'extérieur
reste fongueux et fistuleux pendant un temps indé-
fini, sans gêner, si ce n'est par la malpropreté que
cause sa suppuration incessante. D'autres fois en-
core, rompu dans une cavité muqueuse, les matières
qui en sortent s'écoulent au dehors sans accident et
le kyste peut guérir, comme les kystes ouverts à
l'extérieur, ou, au contraire, il peut s'enflammer par
la rétrogradation des matières de la cavité de la mu-
queuse dans la cavité du kyste. Alors il peut en ré-
sulter des accidents graves, et même la mort si le
kyste est grand et les matières qui y pénètrent irri-
tantes, comme la bile, les fèces ^ les urines. D'autres
fois aussi, le kyste rompu dans une cavité séreuse
l'enflamme ou ne l'enflamme pas, et il y a mort
3/l8 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES..
OU guérison. D'autres fois, enfin, le kyste ouvert
dans le tissu cellulaire, les matières enkystées y dé-
terminent de la suppuration, un abcès qui les rejette
au dehors, ou bien la matière épanchée est résorbée,
et le kyste guérit par adhésion interne ou se repro-
duit après la cicatrisation de sa rupture.
Le diagnostic des kystes est en général assez facile
quand ils sont superficiels. Cependant il peut l'être
encore pour des kystes très-profonds, comme ceux
de l'ovaire. Il l'est d'autant moins qu'ils sont moins
accessibles à la vue et au toucher. Enfin, il peut être
tout à fait impossible, surtout pour les distinguer les
uns des autres, des abcès froids, des lipomes et des
encéphaloïdes. Onprésumel'existencedeskystesmul-
tiloculaires à leurs bosselures, à leur siège dans l'o-
vaire, à leur grand volume ; on les reconnaît sûrement,
à ce qu'une ponction exploratrice n'en vide qu'uue par-
tie. Les athérômes se distinguent souvent à leur mol-
lesse et presque toujours à une ponction exploratrice
qui ramène de la matière dans la canule; les lipomes,
à ce que la canule exploratrice ne peut s'y mouvoir
librement de côté; l'abcès froid au pus qui sort par
la canule du trois-quarts, si elle n'est pas trop fine ou
bouchée; l'encéphaloïde, à la matière dont la canule
se remplit quand, sans la retirer entièrement, le
trois-quarts oté, on la plonge à plusieurs fois dans la
tumeur, etc.
Le pronostic en est aussi très-variable. Il est en
effet d'autant plus grave qu'ils sont plus profonds,
plus étendus, qu'ils avoisinent des organes plus im-
portants et se prêtent moins aux opérations propres
à les guérir. Ceux du cerveau peuvent causer la
mort.
Traitement. — Les drogues sont en général impuis-
santes à en procurer la guérison 5 mais plusieurs
KYSTES, LOUPES. 3/t9
opérations peuvent l'amener par l'ioflammation
adhésive et la suppuration. Par l'inflammation adhé-
sive, ce sont : la rupture, la ponction, l'injection et
l'ablation; parla suppuration, ce sont : le selon, l'in-
cision, l'excision et encore l'ablation.
La rupture ou C écrasement consiste à rompre le kyste
par la pression avec les pouces, ou par le choc pra-
tiqué sur le kyste avec un marteau et au moyen d'une
pièce de 5 francs ou d'une palette intermédiaire à la
peau et au marteau. On emploie ce moyen contre
de petits kystes, comme les ganglions du poignet.
Le kyste rompu , on favorise l'infiltration de son
liquide dans les parties voisines par des frictions,
puis on le comprime au moyen de compresses réso-
lutives imbibées d'eau-de-vie camphrée et d'un ban-
dage approprié pour en obtenir la résorption.
La ponction est une petite opération qui se prati-
que avec un trois-quarts que l'on plonge dans les
kystes remplis de liquide et dont on retire aussitôt
la tige seule pour laisser le fluide s'écouler par la
canule. Après, la canule est retirée à son tour, et un
morceau de sparadrap, ou même deux, le premier
plus petit, le second plus grand, sont appliqués, le
grand sur le petit, par dessus la piqûre pour favo-
riser la cicatrisation. Ces emplâtres sont incisés per-
pendiculairement sur leurs bords pour qu'ils se col-
lent et se moulent mieux sur la région oii on les
applique. L'irritation causée par cette piqûre s'étend
quelquefois à la partie morbide et suffit pour amener
l'adhésion des difî'érents points de sa surface interne
les uns avec les autres. Mais ce résultat est si rare
qu'on n'y doit jamais compter pour obtenir la gué-
rison. Aussi n^ regarde-t-on la ponction que comme
une opération palliative et ne l'emploie-t-on que
chez les malades qui n'en veulent pas d'autre, ou
350 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
pour remédier à des accidents urgents, comme celui
de la suffocation causée par un kyste du cou qui me-
nace de suffoquer le malade par la compression des
voies aériennes. Je n'ai pas décrit ici, en détail, cette
opération, parce qu'elle n'y convient pas, mais je
vais le faire à l'occasion de l'injection oii elle est in-
dispensable.
L'injection^ comme on le prévoit, dès lors, est une
opération complexe dont la ponction devient un
élément et le premier acte. Elle se pratique avec le
trois-quarts et un liquide irritant. Le trois-quarts doit
avoir une tige plus petite pour les petits kystes que
pour les grands. L'injection est une solution aqueuse
saturée d'alun, de vin chaud ou froid, ou une tein-
ture d'iode froide employée à la manière de' Martin
de Calcutta {Gaz. méd., I&.3^, p. 561), étendue de
trois fois son poids d'eau, etc.; cette dernière a
été très-expérimentée, en France, contre les kys-
tes, depuis les éloges que M. Velpeau lui a donnés.
Pour pratiquer l'opération, le chirurgien presse ou
fait presser le kyste à sa circonférence. 11 tend et fixe
ainsi fermemont ses parois pour qu'elles résistent
et ne fuient pas devant le trois-quarts. Alors il
prend cet instrument à pleine main, l'indicateur
allongé sur la canule, plus ou moins près de la
pointe de la tige, il en découvre une longueur suf-
fisante pour traverser l'épaisseur présumée du
kyste, des parties qui le recouvrent, et pénér-
trer profondément dans sa cavité. Il plonge brus-
quement l'instrument jusqu'au doigt fixé sur la
canule pour arrêter ce premier mouvement et ne
pas percer le kyste du eôtié opposé; puis, saisis-
sant le pavillon de la canule du trois-quarts avec le
pouce et l'indicateur de la main gauche, il enfonce
doucement: la canule plus avaot dans le kyste, tandis
KYSTES, LOUPES. 35 t
qu'il retire le Irois-quarts en Ini imprimant d'abord
un mouvement de rotation sur sonaxe; alors le fluide
du kyste s'éeQuie, la poche revient sur elle-même,
et si elle est considérable, elle peut, par sa rétrac-
tion, abandonner ia canule et son liquide s'inJâltrer
dans le tissu, cellulaire et l'enflammer, Potir prévenir
cet accident, il faut enfoncer la caunle de plus en
plus profondément jusqu'à l'entière évacuation du
liquide et la serrer en tre le pouce et l'index à l'en-,
droit où elle traverse la tunique vaginale.
Ces détails minutieux pourront paraître puérils; ils
ne le sont pas, et c'est pour les dédaigner, en général,
que la théorie est insuffisante dans la pratique. Un
tiois-quarls enfoncé brusquement à une; trop grande
profondeur peut piquer le kyste de dedans en dehors,
et lorsqu'on pratique ensuife l'injection permettre l'in-
filtration de la matière injectée dans le tissu cellu-
laire, où elle cause de la suppuration, de la gan-
grène et n'amène pas toujours la guérison.
Le liquide évacué, la ponction est achevée, et l'on
procède à Vinjection proprement dite, au moyen d'une
seringue chargée du liquide à injecter. S'il est chaud,
il ne doit jamais dépasser une température suppor-
table: à l'immersion des doigts. Tandis que le chirur-
gien maintient et assujettit la canule dans le kyste
avec les doigts de la main gauche, dont les derniers
sont appuyés sur les parties voisines, il introduit lui-
même dans la.canule, avec la maiu droite, l'extrémité
de la seringue présentée par un aide intelligent. La
canule et la seringue engagées et fixées fermement
l'une dans l'autre par le concours des deux mains du
chirurgien, l'aide pousse cioMcemenï l'injection dans le
kyste jusqu'à ce qu'il soit modérément distendu;, douce-
ment, parce que s'il agissait violemment, il pourrait
rompre la poche et amènerait une infiltration parfois
352 CHAPITRE III. MALADIES ORGANIQUES.
dangereuse par l'inflammation, la suppuration ou la
gangrène consécutives; modérément distendu, parce
qu'une distension immodérée pourrait causer, outre
la rupture du kyste, un reflux de l'injection autour de
la canule par l'ouverture de la ponction, son infiltra-
tion, et des accidents semblables à ceux de la rupture.
L'opération achevée sans accident, on retire douce-
ment la seringue en lui imprimant un petit mouvement
de rotation sur son axe pour la dégager sans secousse,
et ne pas s'exposer à arracher la canule. On procède
à une seconde ou même une troisième injection, si
on le juge nécessaire, pour assurer le succès de l'o-
pération, et on la termine en retirant doucement en-
core la canule, afin que le liquide de l'injection ait le
temps de s'écouler entièrement. On aide, d'ailleurs,
à ces résultats, en poussant ce liquide par des pres-
sions ménagées vers la canule, à laquelle on peut
imprimer des mouvements sur son axe quand elle est
étroitement serrée et retenue par la peau; puis on
applique sur l'ouverture de la ponction les emplâtres
indiqués plus haut, ou rien, et un pansement légère-
ment compressif ou suspensif.
Si, par accident, il s'est fait une infiltration, on a dû
arrêter l'injection aussitôt qu'on a senti sous les doigts
le frémissement qui l'annonce ou qu'on l'a reconnue.
Alors il faut pratiquer une incision sur le point infil-
tré pour en permettre le dégorgement, et le couvrir
d'un pansement cératé et légèrement compressif.
Après cette opération, le kyste s'enflamme plus ou
moins vivement, se remplit de nouveau 5 mais ce li-
quide, soit par suite de l'inflammation du kyste, soit
par suite de sa nature fibrineuse, se résorbe en un
temps plus ou moins long, de six à vingt ou quarante
jours, et la guérison se fait par l'adhésion des parois
du kyste, et peut-être sans cette circonstance. On
KYSTES, LOUPES. 353
voit, en effet, des hydrocèles, qui sont des kystes sé-
reux, se reproduire après une disparition de plus
d'un an. Il faut donc qu'elles aient été guéries sans
adhésion ou sans adhérence complète.
L'injection que nous venons de décrire est une
opération dont on ne connaît pas précisément la va-
leur relativement aux autres opérations-, on sait seu-
lement qu'elle ne réussit pas toujours, et qu'elle ne
convient que dans les kystes membraneux, séreux,
à parois minces et rétractiles, d'un volume au moins
égal à celui d'un œuf de pigeon, parce qu'on serait
exposé à transpercer le kyste par la ponction, s'il
était plus petit, et à pousser l'injection dans les tissus
voisins- L'injection ne convient pas non plus dans les
kystes multiloculaires, dans les kystes fibreux, épais
et surtout osseux, parce que l'injection peut laisser
des loges intactes sans y pénétrer, et que, dans les
autres kystes, les parois ne peuvent se rapprocher
assez librement pour s'unir. Comme l'hydrocèle est
un véritable kyste, et ordinairement plus gros qu'une
foule de kystes séreux, je prendrai, surtout dans mes
observations d'hydrocèle, des exemples qui, tout en
confirmant ce que j'ai avancé, offriront en outre
quelque autre intérêt particulier,
Obs. I, recueillie par un de mes internes. — Hydrocèle,
injection d'alun; guérison en dix- sept jours, aidée d^une
application de sangsues.
Marchai, âgé de trente-quatre ans, s'est donné, il
y a dix-huit mois, un coup assez violent dans les
bourses. Il lui a paru que, depuis ce temps-là, son
testicule droit avait beaucoup gonflé j il n'avait,
d'ailleurs, ressenti de douleur qu'au moment de l'ac-
cident, et n'avait pas été obligé de cesser son travail.
23
35k CHAPITRE III. MALADIES ORGANIQUES."
Peu après, la tumeur est devenue de plus en plus
grosse; il est entré à l'hôpital le 17 novembre. La
tumeur occupe le côté droit du scrotum; elle est
souple, rénitente, fluctuante, transparente; etc. En
arrière et en bas, on y sent le testicule, dont on dis-
tingue d'ailleurs la place à l'aide de la lumière. Le
20 novembre, M. Gerdy fait une ponction qui donne
issue à une sérosité d'un jaune citrin, parfaitement
transparente ; il en sort à peu près 1 ôO grammes. On
fait une injection aqueuse saturée d'alun ; le malade
en ressent à peine de la douleur, et une heure après
l'opération, il est parfaitement calme. Le lendemain,
le scrotum est un peu rouge, la tumeur a repris son
volume primitif; au bout de quatre jours, la diminu-
tion commence à s'opérer, mais cependant marche
assez lentement. Le 28 novembre, M. Gerdy fait ap-
pliquer vingt sangsues sur le scrotum du côté opéré. A
partir du 30 novembre, la diminution marche rapi-
dement, et le 7 décembre, après dix-sept jours, le
malade sort sur sa demande. Le testicule du côté ma-
lade est à peu près de la même grosseur que celui du
côté sain.
Obs. II, recueillie par un interne. — Hydrocèle du tes-
ticule guérie en onze jours par une injection d'alun; hydrocèle
enkysté du cordon, guérie en vingt- sept jours par la tein-
ture d'iode.
Curio, doreur sur bois, âgé de quarante-trois ans,
qui, à son dire, n'a jamais eu ni chaudepisses, ni or-
chite, ni chancres, ni coup sur les bourses, s'aper-
çoit, depuis un an à peu près, que le testicule du
côté gauche est un peu plus volumineux que l'autre ;
du reste, il n'y ressent p^xint de douleur : il n'y a ni
rougeur, ni chaleur. Cette petite lésion ne le gênant
même pas, Curio continua à travailler sans y faire
KYSTES, LOUPES. 355
attention. Seulement, au bout de quelqne temps, il
s'aperçoit que son testicule a encore augmenté; il se
décide à venir à l'hôpital. Le 23 août, il est admis à
la Charité. État actuel : au côté gauche du scrotum,
on trouve une tumeur pyriforme à base inférieure, à
sommet supérieur, sans changement de couleur k la
peau, qui cependant paraît amincie, plus pâle que
celle du côté opposé ; cette tumeur ne rentre pas dans
le ventre par la pression, n'augmente pas par la toux,
la marche, la station debout; elle est indolente à la
pression, légèrement rénitente. On y constate une
fluctuation manifeste, et à l'aide de la lumière, une
transparence parfaite, si ce n'est en arrière et en
bas, où l'on trouve un point opaque douloureux par
une pression assez vive.
La longueur de la tumeur est de 18 centimètres,
depuis l'anneau inguinal jusqu'à la base. En isolant
les deux testicules, on trouve une circonférence de
13 centimètres. Etat général, très-bon. Le 21 août,
M. Gerdy pratique l'opération; ponction, sortie d'un
liquide jaune citrin : une injection est faite avec une solu-
tion saturée d'alun. Une légère douleur est ressentie
dans ce moment par le malade ; quelques douleurs
persistent pendant la journée, mais la nuit est
bonne ; les bourses sont soutenues par un coussin.
Tel est le traitement pendant trois jours : la tumeur
n'a pas diminué-, mais depuis cette époque, la dimi-
nution est rapide, et le côté des bourses tend de plus
en plus k revenir à l'état normal.
En même temps que cette hydrocèle, Gurio por-
tait, à droite, une tumeur grosse comme une grosse
noix. Cette tumeur, située au-dessus du testicule,
plus saillante en dehors, k grand diamètre vertical,
est rénitente, fluctuante, transparente. M. Gosselin,
qui remplace momentanément M. Gerdy, après l'a-
356 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
voir examinée avec attention, diagnostique une hydro-
cèle enkystée du cordon et se décide à l'injecter. Le 8 sep-
tembre, l'opération est faite. A cette époque, le gon-
flement du testicule gauche a complètement disparu
(après onze jours) 5 le malade est parfaitement guéri.
La tumeur enkystée donne issue à un liquide tout à
fait analogue à celui du côté opposé. M. Gosselin in-
jecte une solution d'iode. Douleur assez vive 5 quel-
ques douleurs dans la journée; la nuit (compresses d'eau
blanche)'^ gonflement assez considérable le lende-
main et les jours suivants. Au reste, pas de douleur-,
l'état stationnaire persiste jusqu'au 15 septembre. A
partir de ce moment, diminution de volume très-
lente; enfin, le 25 septembre, le malade sort, mais
le gonflement n'a pas complètement disparu. Huit
jours après, Curio revient à la consultation; guérison
complète après vingt-sept jours.
Obs. III, recueillie par un interne. — Hydrocèle remon-
tant jusque dans le canal inguinal; injection saturée d'alun.
Budelot (Frédéric), âgé de vingt-deux ans, cam-
breur, entre à la Charité le 23 février 1841. 11 porte
dans le côté droit du scrotum une tumeur pyriforme,
indolente, à surface régulière, dont il a aperçu l'ori-
gine il y a six ans, et qui s'est développée peu à peu
-sans douleurs. Cette tumeur présente tous les carac-
tères d'un hydrocèle inguinal; mais, en outre, elle
en présente quelques-uns qui lui donnent de la res-
semblance avec une hernie ; ces caractères anormaux
sont les suivants : 1° la tumeur se prolonge dans l'an-
neau inguinal et jusque dans le ventre, et soulève la
paroi antérieure de ce canal, qui fait une saillie très-
prononcée; 2° lorsque le malade se lève ou tousse,
la tumeur grossit instantanément. Gela tient à ce que
le liquide contenu dans le canal inguinal en est chassé
KYSTES, LOUPES. 357
lors des contractions des muscles abdominaux. L'o-
pération du reste, justifie ce diagnostic. La ponction
de la tumeur fait sortir un liquide jaune citrin, trans-
parent, et la tumeur disparaît entièrement. Ce
liquide est remplacé par une solution saturée
d'alun, qu'on injecte à froid, selon la manière ordi-
naire: l'injection est répétée une seconde fois, et le
malade est mis au régime des opérés.
Le lendemain, la tumeur avait en partie reparu
comme d'ordinaire après cette opération 5 les jours
suivants, elle grossit jusqu'à reprendre son volume
primitif dans le scrotum, mais pas dans le canal in-
guinal, et maintenant (huit jours après l'opération),
elle commence à diminuer et à se résoudre. Le ma-
lade, après avoir gardé pendant quelque temps sur le
testicule engorgé un emplâtre de Vigo, sort de l'hô-
pital un mois et demi après y être entré. Cette ob-
servation, tronquée par l'interne qui l'a rédigée sans
la signer, montre qu'après la résorption du liquide,
l'engorgement du testicule a été combattu.
Obs. IV, recueillie par un de mes internes. — Hydro-
cèle. Injection avec L'alun, — Injiltratioyi sous-cutanée;
incision et guérison.
Le nommé Hatre, âgé de quarante-neuf ans, cuist-.
nier, reçut, il y a six mois, un coup sur le scrotun»
qui lui causa une douleur des plus vives. Quelque
temps après une tumeur apparut yers le testicule
droit et continua à grossir jusqu'à présent (l'interne
n'a pas indiqué la date) ; du reste, il n'y a jamais ea
de douleur, ni de rougeur et fort peu de gène.
État actuel. — Le côté droit des bourses est rempli
par une tumeur pyriforme, au moins aussi grosse que
le poing. Séparée en haut de l'anneau inguinal, elle
est lisse, tendue, non douloureuse, fluctuante, trans-
358 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
parente. Le lendemain, une ponction fut pratiquée;
un liquide jaune citrin s'écoula, la tumeur s'affaissa,
et une injection avec une solution saturée d'alun fut
immédiatement pratiquée, en deux fois. La première
partie distendit bien la tunique vaginale, au point de
lui rendre les trois quarts du volume de l'hydrocèle,
mais la seconde partie passa dans le tissu cellulaire
du scrotum et du périnée. Cet accident résulta de
ce que la canule portait à son extrémité interne une
fente de quatre à cinq lignes de longueur qu'on n'a-
vait pas remarquée, et de ce qu'une partie de cette
fente avait quitté la tunique vaginale. Aussitôt la
canule fut enlevée, une Large incision fut faite sur le
lieu de l'infiltration et le malade fut pansé simple-
ment.
Aucun accident ne survint, aucune fièvre; conser-
vation de l'appétit, de la gaîté; le liquide infiltré
paraît s'être écoulé en grande partie par l'incision.
La tunique vaginale est dure et remplie, comme cela
arrive ordinairement après les opérations d'hydro-
cèle par injection; le scrotum est un peu rouge.
Cependant quatre ou cinq jours après l'opération
on vit au fond de la plaie le tissu cellulaire gan-
grené; il se forma deux abcès sous-cutanés sur les
côtés de l'anus, mais il n'y eut aucune réaction fé-
brile.
Le 2b janvier. Une double incision réunit la pre-
mière avec les foyers des petits abcès situés sur les
côtés de l'anus, de manière que le foyer de la gan-
grène étant largement ouvert, les lambeaux de tissu
cellulaire mortifié se détachent facilement. (Panse-
ment simple avec charpie, cérat, cataplasmes.) La
plaie se déterge , bourgeonne, se rétrécit, se cica-
trise peu à peu, et aujourd'hui, 5 mars, tout est pres-
que complètement guéri.
KYSTES, LOUPES. 359'
Oiîs. VI, recueillie par M. Nicas, interne. — Hygroma
prérotulien. — Guérison par injection d'eau alumînée.
Jean Picouli, fumiste, âgé de dix-huit ans, est en-
tré, salle Saint-Jean, n» 27, le Se janvier 1852. 11 se
plaint du genou droit et ne peut marcher. Il dit jouir
d'une bonne santé habituelle. Il y a six mois, que por-
tant un fardeau, il tomba sur un trottoir, qu'il heurta de son
g-eîïOM. Cette chute causa une légère contusion articu-
laire et un peu de gonflement de la région, qui ne
l'empêcha pas de travailler. Cependant, depuis le
24 février, la face antérieure du genou s'est tumé-
fiée, les mouvements sont douloureux et empêchent
la marche. Un repos de cinq jours n'a pas empêché
la tuméfaction d'augmenter ; et quand le malade entre
à l'hôpital on constate les symptômes suivants :
Le genou droit est plus gros que le genou gauche;
la peau est plus chaude et plus rouge ; le tissu cel-
lulaire sous-cutané est un peu empâté, sans qu'il y
ait de déformation latérale de la région. Mais en
avant de la rotule existe une tumeur fluctuante, du
volume d'une orange, qui suit les mouvements de la
rotule; les mouvements du genou, un peu doulou-
reux, ne sont point gênés. Il n'y a point de réaction
générale. Repos, au lit (topiques émoUients). L'engor-
gement des parties celluleuses du genou disparaît,
mais la tumeur prérotulienne persiste.
Aloi'S, le 4 mars, M. Gerdy ponctionne la tumeur avec
un trois-quarts à hydrocèle. Il retire environ une
demi-palette d'une sérosité sanguinolente très-fluide.
Après, il pousse dans la poche jusqu'à sa complète
dilatation, deux injections d'eau froide, saturée
d'alun, qui ne causent pas de douleur. Une artériole
ouverte donne un peu de sang ; et on fait la compres-
sion de la jambe et du genou les 5 et 6 mars. — Le
360 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
6 mars, le kyste se tuméfie jusqu'à égaler son vo-
lume primitif et causer une inflammation locale de
la face antérieure du genou, qui détermine pendant
deux jours un léger mouvement fébrile. (Topiques
émollients ; repos au lit; deux portions.)
Cet état persiste, en diminuant d'intensité jusqu'au
15 mars. Alors la tuméfaction du kyste disparaît pres-
que entièrement, de telle sorte que, le 20 mars, il n'y
a plus au devant de la face antérieure de la rotule
qu'un peu d'empâtement des tissus sous-cutanés.
Aussi regarde-t-on la guérison comme terminée et se
borne-t-on à conseiller le repos pour l'assurer. Le
malade sort quelques jours après.
L'ablation ou l'extraction du kyste est plus sûre
que l'injection, elle est infaillible pour le détruire;
mais elle est plus douloureuse, et si dangereuse
pour les grands kystes ou ceux qui avoisinent des or-
ganes importants qu'on ne peut y recourir. Elle con-
siste à pratiquer avec un bistouri convexe une incision
droite, cruciale ou en T, sur la surface de la tumeur
si la peau est saine et épaisse; une incision ovalaire
si la peau est très-amincie ou ulcérée, afin d'embras-
ser la partie altérée pour l'emporter avec le kyste,
puis à détacher la tumeur par décollement avec les
doigts, une spatule, ou à la disséquer avec un bis-
touri convexe peu aigu dont on tourne le dos du côté des
parties que l'on doit le plus soigneusement respecter . Je donne
cet important précepte pour toutes les dissections
destinées à isoler, à séparer des parties l'une de l'au-
tre. Pendant l'opération, on fait renverser, tirer suc-
cessivement la tumeur dans tous les sens pour tendre
les tissus à déchirer, à décoller, à couper. On opère
doucement, avec précaution, couche par couche,
jusqu'à ce qu'on ait séparé toute la tumeur. On peut
même en laisser des fragments, une portion, si leur
KYSTES, LOUPES. 361
ablation expose à blesser des parties voisines qu'il
faut absolument respecter. L'opération faite , on lie
les artères blessées, s'il y a lieu, on conserve un des
chefs de la ligature qu'on rassemble, autant que pos-
sible, avec les autres, sur un des points de la circon-
férence de la plaie, au moyen d'un petit morceau de
sparadrap 5 enfin on réunit la plaie par première in-
tention (Voy. plaies)^ et l'on applique un bandage
contentif.
Le séton consiste à passer une mèche (séton-mèche)
de fil à travers le kyste, ou une bandelette (séton-
bande) à bords effilés, ou mieux seulement un fil
(séton-fil) dont on noue ensuite au dehors les deux
extrémités opposées l'une avec l'autre. On les passe
au moyen d'une longue aiguille pointue et tranchante
aune extrémité, et qui présente une ouverture à
l'extrémité opposée armée du séton. Le séton-bande
et le séton-mèche irritent très- violemment les kystes
par leur présence : en vingt-quatre heures, ils en
font une tumeur rouge, chaude, à l'extérieur, tendue
et douloureuse, avec fièvre inflammatoire sympa-
thique plus ou moins prononcée, qui est prompte-
ment suivie de suppuration, et qu'il faut souvent
ouvrir comme un abcès chaud. Si les accidents sont
plus modérés, ou si on les modère en n'employant
qu'un séton-fil qu'on ne laisse que vingt-quatre
heures, dont on diminue ensuite l'action irritante
par un cataplasme, le kyste se remplit d'abord
d'un nouveau fluide qui tantôt se résorbe peu à peu,
en huit, quinze jours ou trois semaines, ou bien il
suppure, et enfin se ferme complètement par adhé-
sion intérieure, et le malade guérit. Il peut aussi ne
se fermer qu'en partie et le mal reparaître. Le selon
ainsi atténué donne des résultats avantageux, même
pour des kystes d'hydrocèle plus gros que le poing.
362 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
Je l'emploie cependant plus particulièrement daos
l'hydrocèle enkystée du cordon, lorsque l'injection y
est impraticable à cause de la petitesse du kyste.
Telle est néanmoins l'énergie de ce procédé du sé-
ton, que, réduit à un simple fil laissé k demeure pen-
dant vingt-quatre heures dans le kyste, il suffit pour
causer des accidents inflammatoires trop considéra-
bles. Aussi faut-il parfois retirer le fil au bout de
quinze ou dix-huit heures. Que l'on juge ce qui pour-
rait arriver si l'on employait le séton-mèche ou le
séton-bande! Je citerai quelques exemples très-
abrégés de l'emploi du séton dans les kystes d'hy-
drocèle.
Obs. V, recueillie par l'interne. — Hydwcèle enkystée
du cordon guérie par le séton.
Rozet (Joseph), âgé de dix-huit ans, ressentit, vers
le 25 avril, une douleur assez vive dans la bourse du
côté droit. On trouve sur le trajetdu cordon spermati-
que de ce côté une tumeur molle, fluctuante, sans
changement de couleur à la peau, faisant peu soufi"rir
le malade, même quand on la comprimait 5 elle est
transparente. Sion comprimela tumeur, il est impossi-
ble de faire disparaître le liquide, de le faire entrer soit
dans la cavité péritoniale, soit dans les bourses ; la tu-
meur est donc complètement isolée. Comme elle pré-
sente un volume assez peu considérable pour que l'on
y puisse introduire un trocart sans crainte de blesser
les parties constituantes du cordon, M. Gerdy passe,
le 4 mai^ un fil ciré à travers la tumeur. Le lendemain, 5,
douleur très-vive dans le scrotum, la tumeur a augmenté con-
sidérablement de volume, la peau est devenue rouge^ tendue,
le malade y ressent des douleurs lancinantes. On relire le
fil après vingt-quatre heures d'application. Repos au
lit; on maintient les bourses suspendues; tisane de
KYSTES, LOUPES. 363
gomme et diète. Le 6, douleur augmentée dans la
partie malade , fièvre intense , pouls plus fré-
quent que la veille (vingt sangsues sur les bourses,
un bain). Le soir, le malade est soulagé, aussi n'ap-
plique-t-on pas de cataplasme; les piqûres des fils ne
donnent passage qu'à un peu de sérosité purulente.
Le 7, le malade est mieux; il a reposé la nuit, les
accidents généraux ont diminué d'intensité, la tu-
meur est toujours dure, fluctuante, rouge violette à
sa surface; elle est toujours assez douloureuse à la
pression; (cataplasmes). Le 8, même état que la veille
(seconde application de quinze sangsues, cataplasmes).
Le9, mieux sensible, maisencoredes accidents géné-
raux. Le 12, le malade est mieux; les piqûres du
fil donnent passage à du pus bien lié que l'on fait fa-
tilement sortir. Le malade marche verslaguérison, et
il sort le 6 juin, complètement guéri, après trente-
quatre jours.
Obs. vu, recueillie par mon interne. ■ — Eydrocèle,
opérée par Le séton el guérie après trente-deux jours, et des
accidents de suppuration.
Philippe François, âgé de quarante-sept ans, ter-
rassier, entre à l'hôpital, le 2 mars, pour y être
traité d'une hydrocèle volumineuse du côté droit. Il
porte cette hydrocèle depuis plusieurs années; ce
n'est que depuis quelque temps seulement qu'elle
est assez volumineuse pour le gêner. Il est opéré
avec succès par la ponction et l'injection de teinture d'iode.
Quelques jours après sa guérison, le 15 avril, ce
malade se plaignit d'une douleur assez vive dans
la région du testicule gauche , avec gonflement sans
changement de couleur à la peau; la tumeur était
peu volumineuse, molle, fluctuante, transparente.
On emploie sans aucun succès les résolutifs sur la
364 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
tumeur; elle ne change ni de volume, ni de couleur.
Enfin, le 2 mai, on se décide à faire une opération,
et on passe dans la tumeur un fil simple^ ciré. Le
3 mai, le fil n'a produit qu'un peu d'inflammation à
la peau sur les points où il a traversé le scrotum. Le
lendemain, 4 mai, on retire le fil , l'inflammation de
la poche étant très-intense ; le malade a de la fièvre,
il n'a pas dormi la nuit et éprouve une douleur très-
vive dans la tumeur, qui est rouge, gonflée. Le 5,
pas d'amélioration ; on fait appliquer vingt sangsues
sur la tumeur 5 les symptômes généraux sont aussi
intenses que la veille. Le 6, pas de soulagement,
cataplasmes, bains. Le 7, pas d'amélioration sensible,
deuxième application de sangsues, purgatif avec une
bouteille d'eau de sedlitz. Le 10, la tumeur est tou-
jours très-volumineuse 5 elle est fluctuante. On fait*
sur la partie supérieure du scrotum une incision de
3 centimètres de longueur environ 5 cette incision
donne issue à une grande quantité de pus. Le malade
est immédiatement soulagé. Son état continue à
s'améliorer. Il sort guéri le 5 juin, après trente-deux
jours de traitement.
Obs. VIll, recueillie par mon interne. — Hydrocèle
lentement enflammée par le séton, puis guérie.
Rothmeister, cocher, âgé de soixante-quatre ans,
portait depuis vingt ans une hydrocèle du côté gauche.
La tumeur se forma d'abord autour du testicule, il y
a neuf ans; elle s'étendit ensuite en hauteur. Depuis
ce temps, elle est restée dans le même état; seule-
ment, elle grossissait quand le malade se fatiguait, et di-
minuait quand il se reposait, et surtout quand il suait.
A son entrée à la Charité, le 17 octobre, l'hydrocèle
se présente sous la forme d'une tumeur double, dont
la portion inférieure occupe le fond du scrotum,
KYSTES, LOUPES. 365
tandis que la supérieure remonte jusque dans l'aine;
ces deux portions sont séparées par une bride trans-
versale 5 la fluctuation est évidente dans chacune
d'entre elles, et de l'une dans l'autre 5 elles sont
translucides dans leurs parties antérieures et ex-
ternes; leur pesanteur est peu considérable. Après
une ponction seulement, qui avait été faite par un
autre chirurgien, le 5 novembre, le liquide commen-
çait à se reproduire, mais lentement. M. Gerdy, ju-
geant qu'il n'était pas en assez grande quantité pour
qu'on pût faire une ponction sans crainte de blesser
le testicule, traversa la tumeur, depuis le fond jus-
qu'à la partie supérieure, avec une aiguille qui por-
tait un fil ciré simple 5 le fil fut noué et laissé dans le
scrotum. Pendant les premiers jours, chose rare! le
fil n'amena aucun changement; mais le 10 novembre,
il commença à se développer de la douleur. Le 12,
la douleur était très-forte-, la partie était rouge,
dure, tendue, presque aussi grosse que le poing. On
retira le fil et on appliqua un cataplasme. Le 13, les
symptômes n'étaient point diminués; il sortait du pus
par les deux ouvertures ; on appliqua quinze sangsues
et l'on soutint les bourses. Le 14, la douleur était
beaucoup plus faible. A partir de ce moment on se
contenta d'employer des cataplasmes. Bientôt il ne
coula plus de pus par la piqûre supérieure; mais l'in-
férieure en donna jusque vers le commencement de
décembre. Le 2 décembre, on fit encore une appli-
cation de quinze sangsues. Le 12, la tumeur était ré-
duite au double du volume du testicule sain ; la réso-
lution était en bonne voie. Le malade sortit et ne
reparut plus.
L'incision est la méthode la plus généralement em-
ployée contre les kystes, et elle les guérit par le
même mécanisme, et aussi sûrement qu'un abcès,
366 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
lorsque leurs dimensions ne sont pas trop considé-
rables, leurs parois trop fermes et leur cavité com-
pliquée d^embranchements ou de clapiers qu'elle ne
peut que difficilement atteindre. Elle se pratique,
comme celle d'un abcès, d'après les mêmes règles
(v. p. 1 85 et suiv.), avec le bistouri droit, quelquefois
aidé de la sonde à cul-de-sac -, comme dans les abcès, il
faut préférer, pour le glisser dans la sonde, un bistouri
à dos rond. Il faut l'y pousser doucement et non brus-
quement, sous UD angle assez aigu pour que la pointe
glisse facilement dans la sonde, mais pas assez aigu
pour que la pointe du bistouri, si elle s'unit avec le dos
de la lame par une convexité, s'élève joéèt dessus les bords de
la sonde et en abandonne la gouttière. Si un pareil acci-
dent arrivait, il pourrait entraîner la lésion d'un
vaisseau ou d'un autre organe très-important, et
même la mort. Si le kyste ouvert permet d'y décou-
vrir des clapiers, des embranchements qui doivent
déverser difficilement plus tard, dans le foyer prin-
cipal du kyste, la suppuration qu'on y va déterminer,
il faut y pratiquer des contre-ouvertures. Enfin, on
doit remplir naollementle kyste, et même ses clapiers,
de boulettes, de mèches, ou mieux de bourdonnets
de charpie attachés par un fil, si l'on doit en engager
dans quelque clapier non ouvert au dehors. Quand
l'incision et les pansements consécutifs seront bien faits,
la cicatrisation marchera du fond vers les bords de
l'ouverture, et l'on guérira les kystes séreux aussi
sûrement qu'un abcès, parce que la charpie y pro-
duira les mêmes phénomènes que ceux qui se passent
dans l'abcès, une inflammation suppurante et cica-
trisante. Le pansement s'achève avec du linge cé-
raté, des compresses, un^bandage contentif, et quel-
quefois la caustication! avec kf nitrate d'argent.
L'excision ne diffère de rincisioB' qu'en ce qu^eMe
KYSTES, LOUPES. ' 367
emporte une portion de la peau ou une portion de la
peau et du kyste. La portion excisée est ordinaire-
ment ovalaire. On panse aussi de la même manière
qu'à la suite de l'incision d'un abcès, afin que la cica-
trice se fasse aussi du fond vers l'ouverture, et non de
l'ouverture vers îe fond , de peur que la maladie ne se
reproduise. Cette opération est indiquée surtout dans
les kystes fibreux et épais dont les parois ne peuvent
se rapprocher que difficilement.
Obs. IX , recueillie par mon interne. — Eijdrocèle
opérée successivement far injection, par incision, par ex-
cision, et enfin guérie.
Au n° 4 de la salie Saint- Jean, est couché un com-
missionnaire âgé de soixante-huit ans et affecté d'une
hydrocèle du côté gauche. Cet homme a toujours été
bien portant dans sa jeunesse, et en fait de maladie
vénérienne , il a eu deux bubons vers l'âge de vingt
ans. Après la terminaison de ses bubons, il s'aperçut
que son testicule gauche était plus volumineux que
le droit; néanmoins il y fit peu attention, et comme
il n'en souffrait point, il n'en continua pas moins les
rudes travaux de sa profession, et arriva ainsi jus-
qu'au 7 octobre 1842, jour où il entra dans les
salles de chirurgie de M. Gerdy, pour y être traité.
Il fut examiné attentivement, et l'on reconnut une
hydrocèle du côté gauche. La tumeur avait le volume
du poing. Dans les premiers jours de novembre, M. Gerdy
fit une ponction dans la tumeur, et il en sortit un verre
à peu près d'un liquide brunâtre 5 puis llnjection fut
pratiquée. Dans les jours qui suivirent l'injection, on
observa que la tunique vaginale avait subi un com-
mencement de dégénérescence et qu'elle était passée
à l'état fibreux. Cet état se prononçant de plus en
plus, trois semaines après l'injection, M. Gerdy fendit
368 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
la tumeur de haut en bas, en incisant toute la hauteur
du scrotum. Puis la plaie fut remplie avec de la
charpie, afin de favoriser le développement de bour-
geons charnus. Cicatrisation lente. Les bourgeons
s'élèvent avec peine, et les parois de la tunique n'ont
aucune tendance à se rapprocher. Comme le pus
séjournait vers la partie inférieure de la plaie, dans
une espèce de cul-de-sac, on pratiqua là une contre-
ouverture et on y passa une mèche. Cela eut lieu dans
les premiers jours de décembre. Cicatrisation toujours
lente; malgré la cautérisation répétée au nitrate d'ar-
gent., les parois fibreuses delà tunique vaginale n'ayant
aucune tendance à se rapprocher, M. Gerdy se décide
à exciser le plus possible de cette tunique vaginale
dégénérée. L'excision'fut pratiquée, non sans quelque
difficulté", car il était facile de léser le testicule,
qu'on ne reconnaissait plus depuis qu'il était ense-
veli dans la tunique vaginale, énormément épaissie.
Deux ligatures furent pratiquées et la plaie remplie
de charpie. Alors, quelques jours après, tendance
au développement de bourgeons charnus. On aper-
çoit çà et là quelques plaques blanchâtres, fibreuses,
probablement frappées de mort et qui ne tarderont
pas à être éliminées. Les bourgeons charnus de-
viennent plus nombreux et plus saillants; enfin, la
cicatrisation complète finit par s'accomplir, mais ce
ne fut pas sans peine. L'interne, par négligence, n'en a
pas marqué la date.
L'ablation avec suppuration se pratique comme l'abla-
tion avec réunion immédiate, et n'en diffère que par
le pansement suppuFatif, que l'on fait avec des bou-
lettes, des bourdonnets ou des mèches de charpie,
introduits à chaque pansement dans le fond de la plaie
pour la cicatriser du fond vers les bords.
Des divers modes des kystes. — De l'histoire générale des
KYSTES, LOUPES. 369
kystes, toute imparfaite qu'elle est, il résulte qu'il y
en a beaucoup de modes, qu'il faut absolument distin-
guer les uns des autres, par suite des conséquences
phénoménales ou pratiques importantes qui en sont
la suite. Ainsi les kystes uniques ou multiples , petits
ou étendus, à cavité unique ou simple, ou à cavité
complexe et multiloculaire, à ouverture extérieure ou
sans ouverture, à parois membraneuses et minces,
ou à parois fibreuses épaisses ou osseuses; les kystes
liquides, séreux, glaireux, transparents, troubles, ou
les kystes mous, épithéliaux, athéromateux, mélicé-
ritiques ; les kystes à matières intérieures fibreuses
osseuses, pierreuses, etc.; enfin, les kystes hydati-
ques méritent tous d'être distingués par les consé-
quences pathologiques et pratiques qui en découlent.
Pour abréger, cependant, je ne décrirai, d'une ma-
nière spéciale, que les kystes épithéliaux, les kystes
hydatiques, et me bornerai à dire quelques mots des
autres.
On conçoit que les kystes multiples sont d'autant
plus gênants qu'ils sont plus nombreux, et qu'ils exi-
gent tous chacun une opération qui multiplie le trai-
tement par le nombre même des kystes, et le rend,
par conséquent, plus complexe. On conçoit aussi
que si l'opération est capable d'occasionner des acci-
dents, le malade y est d'autant plus exposé. Dès lors,
il peut arriver que le péril devienne assez grand
pour contre-indiquer l'opération.
Les grands kystes causent d'autant plus de gêne
et de souffrances qu'ils sont plus gros; leur diagnostic
est ordinairement plus facile, leur pronostic plus
grave, leur traitement plus difficile, et les opéra-
tions nécessaires plus périlleuses.
Tandis que les ^ kystes uniloculaires sont ordinaire-
ment plus uniformes à leur surface extérieure, plus
370 CHAPITRE III. -^ MALADIES ORGANIQUES.
homogèïiés au touchet- que les kystes multiloculaires,
tandis qu'on peutles guérir par injeclion, par lesélon-
M, quand ils sont fluides, membraneux, il n'en est
plus d€ ïnêmê quand ils sont multiloculaires. t,*incision,
rèxeision, la cansticàtion intérieure ensuite, enfin
l^àblalion , peuvent être nécessaires.
'^^ les kystes ouverts, comme les kystes folliculaires
êlâtanés ou muqùeux, peuvent être évacués et guérir
spontanément, comme on va le voir à l'occasion des
kystes épilhéliaux, tandis qiié leâ kystes clos se trai-
tent 'par les moyens 'cbmmùnis à tous les kystes.
Les membraneux et minces sont ceux qui pré-
sentent le mietix les caractères des kystes. Leur
élasticité, leur vibrtitilité, leur fluctuation, leur trans-
parence, quand ils sont transparents, sous-cutanés
et assez saillants à la surface dû corps pour être
placés entre l'œil et une lumière artificielle, en reh-
tlètit iiB diagnostic plus facile, et on s'aide aisément ici,
et avec succès, de la ponction exploratrice. Toutes les
iiïëtbbdès de tràitérnént peuvent y être appliquées,
avec avantage, suivant lès cas. Les kystes à parois
fibreuses, épaisses ou osseuses, offrent non-seule-
ïtèrit plus d'obseuritë dans la transparence, d'élas-
tiéité daûs la fluctuation , mais on ne peut plus les
traiter par l'injection, le séton, l'incision ; l'excision,
ràblation seules conviennent, encore faut-il que le
)LfUte ^êné bëaucduj); car ces kystes, surtout les
osseux, ont un accroissement plus limité que celui
des kystes membraneux.
îl,es kystes liquides présentent généralement de la
fluctuation, de l'élasticité, de la vibratilité par la per-
cussion de la transparence, quand ils sont d'ailleurs
dans des circonstances convenables. On les traite par
toutes les méthodes, et si l'une ne convient pas à l'un
de ces kystes, elle convient à l'autre.
KYSTES ÉPITHÉLIAUX. 371
Les kystes mous sont ordinairement pâteux, parfois
impressibtes par les doigts, par les corps solides, de
sorte qu'ils conservent un certain temps, pendant
quelques minutes, l'impression faite à leur surface.
La ponction, l'injection et le séton ne leur convien-
nent guère, mais l'incision et la caustication inté^
rieure, l'excision ou l'ablation les guérissent très-
bien.
Les kystes pileux et osseux que l'on rapporte généra-
lement à des produits de génération avortée, ne de-
vront nous occuper qu'à l'occasion des kystes de
l'ovaire.
Des kystes épîthéliaux {tannes).
Ce sont des tumeurs formées par une accumulation
de matière épithéliale et de la graisse.
Êtatanatomique.- — Ces kystes sont le plus ordinaire-
ment formés par les follicules du nez, du front, du
crâne, de l'aisselle, de l'aine, du sternum, dis-
tendus par leur matière sébacée. (V. Lamotte, Chir.y
t. I, p. 346, 352.) M. Rayer en a rencontré un gros
comme un œuf de poule sur le pénil d'une vieille
femme. M. Huguier en a décrit récemment à l'ori-
fice du vagin, dans les follicule muquenx de l'utérus, et
dans les follicules clos, dits œafs de Nabolh. {V. Hu-
guier, Mém. de la Soc. de chir. de Paris, t. ï; Robin,
dans Thèse de la Fac. de Paris, 6 janvier 1852, par
D. Luna.) Leur volume varie d'un grain de millet oude
chènevis à celui du poing et même au delà. La forme
en est arrondie, avec ou sans orifice apparent; de là
deux modes difiërents : des kystes épithéliaûx ou-
verts, des kystes épithéliaûx fermés- L'orifice des
premiers est parfois agrandi. Ainsi j'ai trouvé sous
l'aisselle un kyste folliculaire cutané de la grosseur
d'un marron, dont l'ouverture pouvait recevoir le
372 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
bout de l'indicateur. La matière intérieure ressem-
blait à de la cire d'un brun jaunâtre. Les kystes épi-
théliaux fermés , tels que les athérômes, si communs
au crâne, les mélicéris, sont tous, pour beaucoup
d'anatomistes ou de chirurgiens, des follicules cuta-
nés, éloignés delà peau, et dont le canal tiraillé s'est
oblitéré tandis que le follicule s'éloignait. J'avoue
que mes dissections ne m'autorisent pas à confirmer
cette pathogénie des kystes clos.
Structure : 1° enveloppe ou tuniquB membraneuse
fournie par un follicule, très-reconnaissable quand il
est encore ouvert, et surtout quand l'orifice est ampli-
fié. Sesparois sont plus ou moins épaissies, quelquefois
doublées d'une lame celluleuse dense, parfois assez
richement vascularisée ; 2° intérieurement, matière
suifeuse, blanchâtre ou brunâtre, surtout au ni-
veau de Torifice, où elle forme quelquefois un bou-
chon noir ou d'un jaune bistre à l'intérieur. Ces cas
sont les seuls oii la tumeur est évidemment formée
par un follicule distendu. M. Delille (de Montpellier)
a cru voir, à l'aide du microscope, que la matière
des tannes était formée d'une aggrégation de poils
mous et faciles à déchirer, au milieu de l'humeur sé-
bacée {BuU. Acad. de Méd., t. X, p. Il); et d'un autre
côté, M. Simon (de Berlin) assure avoir reconnu un
animalcule qui habite dans le follicule, et dont la pré-
sence peut déterminer l'accumulation de la substance
sécrétée par le crypte (Vogel, Anat. path., p. 404).
M. Gruby est persuadé de l'existence de cet insecte,
et de son influence sur le développement de l'acné (m-
ms) etdestannes(JLcarf. f/esSc, mars 1845). Les micro-
graphes modernes ont démontré, et nous avons vu
nous-même que les kystes épithéliaux contiennent
des cellules épithéliales mêlées à de la graisse et des
cristaux de choléstérine. Dans les kystes épithéliaux
KYSTES EPITHELIAUX. 373
muqueus, dans ceux de l'utérus en particulier, on
trouve aussi des cellules épithéliales et du mucus.
Je crains bien que ces utricules épithéliales des kystes
épithéliaux fermés aient concouru à faire admettre
que les kystes sont tous d'anciens follicules, qui
se sont fermés en s'éloignant de leur berceau; mais
comme on trouve des cellules épithéliales sur les
surfaces les plus profondes des séreuses, des vis-
cères et des vaisseaux, pourquoi ne pourrait-on
pas en trouver dans les kystes indépendants de la
peau?
Symptômes. — Ceux de tous les kystes.
Marche. — Parvenue à un gros volume, la tumeur
qui, du reste, s'accroît toujours lentement, embar-
rasse et gêne les fonctions des parties oii elle siège,
et qu'elle déforme par son volume. « J'ai vu plusieurs
fois, dit M. Rayer, de semblables tumeurs devenir le
siège d'une inflammation chronique ; le pus s'accu-
mulait dans la cavité du follicule, dont l'orifice si-
mulait une fistule. » (Ouvr, cit., t. II, p. 718.) Le kyste
peut, d'ailleurs, rester stationnaire, ce qui est rare,
ou s'accroître , ses parois s'amincir, s'enflammer,
s'ulcérer, suppurer, se vider, enfin il peut rester
fistuleux ou se cicatriser plus ou moins vite.
Diagnostic. — Ces kystes sont caractérisés par leur
situation dans des parties où les follicules sont abon-
dants, par leur siège superficiel, mais surtout par
l'orifice conservé du follicule. Quand cet orifice man-
que, le diagnostic est alors plus difficile-, la tumeur
peut être confondue avec d'autres kystes. Et, comme
l'a fait observer Portai dans son Anatomie médicale
(t. ÏV, p. 361), dans certaines régions, à l'anus, aux
parties génitales, chez les femmes particulièrement,
on peut les prendre pour des fies, des condylomes et
autres tumeurs de mauvaise nature. L'incision d'une
olU CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
de ces tumeurs et la sortie de la matière caractéris-
tique qu'elles renferment diminuera les chances d'er^
jreur; mais l'inspection microscopique peut seule
montrer la matière épithéliale.Le pronostic, peu grave
par le fait de la tumeur, Test parfois davantage par
l'opération qu'elle nécessite.
Traitement.— U est différent pour les kystes, suivant
qu'ils sont ouverts ou fermés : pour les premiers, il
est palliatif ou curatif. Le pa/Zia/i/" consiste à chasser 1^
matière enkystée par la pression, après avoir dilaté
l'ouverture du kyste, à le vider avec une curette, à
le nettoyer par une injection savonneuse. Pour le
fifiiratifi on ajoute à ces premiers moyens une injection
£austique et la compression , on bien on incise le
kyste et on le détruit par un caustique en couche
mioce^ que l'on fixe sur la surface interne, au moyen
d'un Êiiiplâtie. On peut aussi l'extirper, l'extraire
comme les kystes en général, ou l'enlever par ampu-
tation (V. précédemment, p. 360).
Historique des kystes. — C'est évidemment à l'école
d'Alexandrie que l'on doit les notions déjà assez
avancées que renferme l'ouvrage de Celse sur les
Jtystes, car les ouvrages hippocratiques ne mention-
nent guère, en fait de tumeurs, que les différentes
formes d'abcès et la grenouillette, donnée comme
abcès sub-lingual. Tout en décrivant les kystes à
l'occasion des maladies de la tête, Celse reconnaît
qu'ils peuvent se développer dans toutes les parties
du corps, mais surtout au crâne, aux aisselles et sur
les côtés. Ces tumeurs sont les ganglions (ydyylia),
les athérômes (ocôspcofxaTdt), et les mélicéris {^ekixri-
p{^(xç)^ auxquelles il juge à propos d'ajouter les stéa-
tômes {çQî<xT(x>[ioLT(x). Ces tumeurs ont pour caractère
commun d'être peu dangereuses et d'exiger le même
traitement: toutes commencent par être d'un volume
KYSTES ÉPITHÉLIÂUX, 375
imperceptible ; toutes s'acerGissent avee lenteur et
sont revêtues d'une tunique propce. Les unes sont
dures et rénitentes; les autres molles et cédant à la
pression : elles sont ordinairement indolentes. La
matière contenue peut bien être soupçonnée; mais
on û§ peut réellement la reconnaître qu'en vidant la
tumeur. Cependant celles qui sont rénitentes ren-
ferment plutôt des matières pierreuses ou des agglo-
mérations de poils entrelacés. Celles qui sont molles
contiennent une substance analogue à du nai&l, à de
la bouillie, à des raclures de cartilage, etc. Le traite-
ment consiste dans l'ablation, avec la précaution de
ne pas léser la membrane que l'on détache au moyen
du manche du scalpel. S'il y a des adhéreoces avec les
parties profondes, on laissera tout ce qui ne peut se
détacher; le reste sera emporté. Si l'ablation a été
totale, ou réunira par première inteati#ai; si la tu*-
nique est restée en totalité ou en partie, on la fera sup-
purer. (Lib. YII, cap. vi.) Telle est, k plupart du
temps, la pratique que nous suivons encore aujour-
d'hui. Galien ne traite de ces tumeurs qu'en passant,,
et, en quelque sorte^ seulement pour les définir. Après
avoir parlé des abcès, c'est-à-dire des épanchemeats
qui écartent les tissus, il indique le mélicéris, l'athé-
rôme et le stéatôme, dont quelques auteurs font, dit-
il, un genre à part, distinct des abcès, et qui sontre-
Têtus d'un§ enveloppe particuJière. (De Tum^ pr^t.
nat.\
Les auteurs qui viennent ensuite ne nous ofiErent
rien d'important à recueillir sur tes tumeurs dont il
s'agit; ils s'occupefti ^ les différencier des abeès et
des autres apostèraes, et à part la cautérisation et des
tentatives de résolution avec les fondants ou la com-
pression (V. Guy de Ghauliac, liv. II, doctr. i, cha-
pitre 4), ils ne donnent sur le traitement rien de
376 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
mieux que ce que nous avons vu dans Celse. Quant à
la palhogénie, c'est toujours une altération humorale
rapportée au phlegme, qui est le principe du mal.
Les découvertes anatomiques des XVP et X Vile siè-
cles, mais surtout celle du système lymphatique, vont
créer de nouvelles doctrines. Ainsi, sans nous occu-
per d'une vaine recherche de priorité, qui, d'ail-
leurs, ne serait pas justifiée par le mérite de l'idée,
nous lisons dans Dionis, qui résume très-bien les opi-
nions de son époque : « Il y en a qui prétendent que
le kyste, qui renferme ces différentes matières (miel,
suif, bouillie, etc.), est formé par la dilatation de
quelque vaisseau lymphatique, oîi la lymphe, se coa-
gulant, se change en plusieurs sortes de matières,
selon son différent mélange avec d'autres liqueurs ;
mais il y a plus d'apparence que le principe de ces tu-
meurs est une petite glande, parce que l'action des
glandes étant de filtrer sans cesse quelque humeur,
s'il se trouve quelque obstacle au vaisseau excrétoire,
alors l'humeur est obligée de demeurer dans la
glande, et, en la gonflant, de contraindre la mem-
brane de la glande de s'étendre, ce qui forme le
kyste dont nous venons de parler. L'expérience, con-
tinue-t-il, confirme cette opinion ; car si l'on fait une
incision à une de ces tumeurs, et qu'après en avoir
vidé la matière on ne consume pas la membrane qui
la contenait, il s'y filtre une nouvelle humeur, qui,
avec letemps, fait une nouvelle tumeur. «(Cours rf'opé-
mt., t. II, p. 830.)
L'hypothèse de la dilatation d'un vaisseau lympha-
tique règne pendant tout le dernier siècle, et nous
la trouvons encore dans Hévin (1784). Déjà cepen-
dant Louis avait émis une opinion plus rapprochée
de la vérité. Pour lui, une accumulation contre na-
ture d'un liquide quelconque dans une cellule du
KYbTKS ÉPITHÉLIAUX. 377
tissu cellulaire distend celle-ci, refoule les cellules
voisines qui s'oblitèrent et s'accolent à la cellule di-
latée, dont elles épaisissent ainsi les parois. Le kyste
est donc formé de la substance préexistante de la
partie. (Louis, Dict. de chir.^ t. I, art. enkysté.)
Callisen dit, dans son style laconique, que les kystes
peuvent avoir leur siège dans uuq des glandes conglo-
bées, surtout dans celles qui sont situées sous la
peau ; très-souvent dans un cellule dilatée du tissu
adipeux, dans un crypte mucipare; quelquefois dans
un vaisseau sanguin, dans un conduit excrétoire di-
laté en forme de capsule. (Princ syst. chir.^ t. II, p. 76.
1790.) Nous trouvons là le germe des principales
théories modernes que nous allons examiner.
Suivant Bichat, les kystes ne se forment pas par
l'accumulation préalable d'une certaine quantité de
fluide qui refoule le tissu cellulaire ambiant pour
s'en faire une enveloppe, comme le veut Louis 5 cela
supposerait que la matière exhalée préexiste à l'or-
gane exhalant; tout au contraire, c'est le kyste
qui, de même que les autres membranes séreuses, se
forme de toutes pièces dans le tissu cellulaire, et
quand il est constitué à l'état de poche fermée de
toutes parts, l'exhalation commence à s'y opérer.
(Anat. gén. du tiss. celL.^ art. V.) Cette formation d'un
kyste d'une manière toute spontanée n'est pas ad-
mise , et il ntf paraît nullement étrange de supposer
qu'une irritation locale du tissu cellulaire détermine
la sécrétion d'une certaine quantité de fluide qui se
revêt ensuite d'un sac aux dépens du tissu cellulaire
environnant et probablement aux dépens de fluides
organisables, comme il arrive autour d'une balle.
M. Gruveilhier établit deux ordres de kystes : les
uns consécutifs formés autour des corps étrangers
solides (calculs, balles, etc.), ou liquides (sang); les
378 CHAPITRE lU. — MALADIES^ QB.GANIQUES.
autres spautanés, ou préexistants à la matière qu'ils
contiennent : ce soft^ ies kyste,& séreux, synoviaux^
méUçérique§, athéramateux, etc. \ de ces derniers,
les uns se développent conjme l'indique Bichat ; d'au-
tres, plus nombreux peut-être qu'on ne le pense,
résultent du développement des follicules cutanés ;
d'autres enôn lui ont paru tenir à l'accroissement
de vésicules déjà existantes; tels sont un grand nom-
bre de kystes, des ovaires. (Essai ^i^L'e^ÇiL patk.^ t. l,
p. 202-256. Paris, 1816.) Astley Gooper (V. Sam,
Cooper, Dict., t. II, p. 537) a beaucoup insisté sur
cette opinion que les kystes méliçériques, etc., sont
dus à l'accumulation de matière sébacée dans les fol-
licules normau:^ dilatés, épaissis^ opinion qui a été
sui;tQut vulgarisée chez nous par Béclard [Addit. à
i'ano^^ gén. de Bichat, p. 245), puis dans ces derniers
temps par MM. Bérard jeune et DcBonvilliers, dans
le Compendium de chirurgie. Ils décrivent trois modes de
kystes : 1° des kystfis muqueim on d^rmoïd^es, intérieure-
ment tapissés d'une membrane analogue aux mu-
queuses, renfermant une matière demi-liquide et
provenant de l'accroissement d'un follicule cutané
d&nt l'orifice s'ei^t oblitéré j 2° à^^ kystes séreux^ ta-
pissés intérieuremejat par une séreuse; 3° des kystes
kydatiques. Cette division et ces distinctions ont été
admises par M.. Lebert,^ dans sa Physiologie fathoior
gique.
Est-il donc vrai,, comme le veulent les auteurs
cités plus haut, que les follicules cutanés puisseut.
former les tumeurs méliçériques et athéromateuses?
Nous l'avons déjà dit : noUiS ne le pensons pas, et
voici nos raisons : 1," dès les; premiers temps où l'on
pèijit reconnaître ces kystes et quand ^liS sont aussi
petits que possible, par exemple, les kystes sous-
ci»>^H,4s du crâne, qui sont si communs, ne présen-
KYSTES ÉPITHÉLIAIIX. 379.
tent aucune trace d'ouverture à la peau qui conduise
dans leur intérieur et qui puisse en laisser rien sortir
par une pression circonférentielle portée jusqu'à la
douleur; 2° quand ils sont petits, leurs, paroisfibreuses
soiit épaisses, semblables à du cartilage et nullement
à^ celles des kystes folliculaires ouverts, en sorte
qu'ils en diffèrent d'autant plus que le kyste est moips
altéré par sa dilatation , çç qui ne laisse pas que
(l'être très-sittgulier 5 3° Qn ne les trouve pas là oii les
follicule? sont très-^ visibles par ^eur développement ;
aux ailes du nez, par exemple, ils y sont au con-
traire infiniment plus, rares;, 4° quelque effort que
j'aie fait pou? trouver la trace de Vouverture de ces
follicules dont le canal se serait oblitéré par l'éloi-
goeiflent du follicule de la peau, je n'ai janjais pu ;
parvenir, ou loin de la trouvçr rétrécie, je l'ai trou-
vée agrandie 5 5° enfin, comment les follicules di
cuir chevelu pourraient^ils donc s'éloigner de la pea
du côté du çraae qui leur oppose tant de résistanc?
Qui a donçi pu donner une nouvelle recrudescenie
à la doctrine que nous combattons? c'est qu'on a
trouvé de la matière épithéliale dans les kyses
fermés. Mais je l'ai déjà dit, on en trouve sur toues
Içs surfaces membraneuses internes ; et je crains len
que toute cette pathogénie follieulaire ne soit qu'ne
fable. Indépendamment de ces travaux théoriqes,
des travaux pratiques ont été faits dans ces dernires
années sur le traiternept des kystes. M, Martir(de
Calcutta) , ayant employé la teinture d'iod» en,
injection, contre rhydrp,çèle , M. Velpeau ^a3m-
plpyée au traitement d'une foule d'autres kyste, et
j'ai naoi-mème étudié depuis quinze ans l'inllcnce
de beaucoup d'injections différentes dans l'hydrcèle
et d'autres kystes séreux, (V. Awliiv. de méd^ 338,
t. I, p. 157.)
380 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
Des kystes hydaliques.
Ces kystes sont caractérisés par les hydatides qu'ils
renferment avec une certaine quantité de liquide dans
leur sein, et les hydatides le sont elles-mêmes par
leur forme vésiculaire membraneuse, de manière que
ce sont, en quelque sorte, des kystes vivants em-
boîtés dans un autre kyste , sans y adhérer ; mais on
trouve quelques hydatides sans kyste, demeurant au
sein des tissus comme le polycéphale cérébral {Dict. des
se. méd., t. XXII, p. 168).
Ces kystes varient de nombre, de siège, de vo-
^me, de forme, de structure, comme les autres. Ils
enferment un liquide également variable, tantôt
Itnpide comme de l'eau pure, tantôt trouble, tantôt
tès-fluide, tantôt plus épais, tantôt même purulent,
e une ou plusieurs hydatides qui y flottent plus ou
m>ins librement, ou sont même, comme les echino-
cques, suivant M. Livois, enfermés encore dans une
vesie mère ou amniotique propre à ce genre.
iCs hydatides sont des vessies membraneuses, re-
plies, serrées ou chiflbnnées, quand elles sont vides,
diltées comme des ballons enflés , lorsqu'elles sont
reiplies de liquide ou d'autres hydatides. Lors-
qu'jne hydatide est seule dans son kyste et qu'elle
est Unflée , elle peut tapisser le kyste où elle est
empisonnée, et devient le tronc commun des fu-
ture! générations qui se développeront, à ce qu'on
croiipar bourgeons, par gemmes, dans ses parois,
pourle détacher un jour, et tomber dans la vessie de
rhydtide mère, quand elles seront parvenues à leur
matulté de naissance. Lorsque les hydatides sont
multiies dans le même kyste, on en trouve un plus ou
moin^raad nombre de volumes inégaux. Les unes
se ma^t^^nt à l'état de granulations groupées sur
KYSTES HYDATIQUES. 381
un ou plusieurs points de la surface interne de la
vessie de l'hydatide mère, où elles adhèrent ensem-
ble au moyen d'une sorte de mucus (Livois, thèse de
1843, n° 185); d'autres, dans un état de développe-
ment plus avancé, flottent librement dans la vessie
mère, et portent elles-mêmes dans leur sein des
hydatides plus petites. On constate alors, suivant
Laennec, l'emboîtement de plusieurs générations les
unes dans les autres 5 les parois de la vessie de l'hyda-
tide sont incolores , transparentes ou opalines ; leur
substance est friable , et néanmoins élastique , en
sorte que si elles tombent sur un plan elles rebon-
dissent, que si on y fait une ponction, elles chassent
leur liquide en jet rapide et continu.
Les symptômes des kystes hydatiques n'offrent rien
de bien particulier : une tumeur fluctuante, qui fré-
mit et vibre quand elle est tendue et qu'on la per-
cute; qui s'enflamme parfois, puis s'ulcère, suppure
et rejette, avec un liquide plus ou moins trouble et
altéré, des membranes chiffonnées comme les pétales
d'une fleur repliées dans le bouton qui leur sert de
berceau-, qui, continuant à suppurer, cause quel-
quefois, lorsque le kyste est grand ou a son siège
dans les viscères, la fièvre hectique et la mort; qui,
d'autres fois, est suivie de guérison, sont des phéno-
mènes que l'on observe dans tous les kystes. Le seul
fait signalé par M. Piorry pourrait leur être parti-
culier, si ce n'était une simple vibration.
Causes et marche de l'hydatigénie. — Développée chez
les animaux comme chez l'homme, par des causes
immédiates inconnues, la génération des hydatides
est encore plus mystérieuse chez l'homme que dans
certaines espèces animales. On sait, en effet, que
l'habitation humide des caves et l'herbe mouillée pro-
duisent, chez le lapin , des hydatides cyslicerques ;
âSâ CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
les saisons pliiTieuses et les pâturages humides, chez
les moutoDS et les bœufs, des acéphalocystes du foie
et des poumons. Chez l'hoinme, on ne connaît au-
cune des circonstances qui président à leur déve-
loppement. Leur kyste cfoît avec elle, et quand
il a acquis un certain volume, il s'enflamme sponta-
nément, ou par une violence mécanique, ou bien il
se rompt et se déchire par un coup, et rejette son
produit au dehors ou au dedans; après, le haalade
meurt ou guérit, comme nous l'avons expliqué.
Des divers modes ou genres dliydatides. — On en
distingue cinq d'après la conformation et l'orga-
nisation : 1° V acéphalocyste vésicule libre dans son
kyste, sans tête ni corps, paraissant se reproduire
par gemmes ou granulations d'abord adhérentes, de
la grosseur alors d'un grain de mil ou de chènevis,
et pouvant acquérir le volume de la tête du fœtuè,
d'une teinte laiteuse, à parois sans fibres et homo-
gènes. C'est l'animal le plus simple que l'on puisse
concevoir. Suivant M. Livois, ce geni'e, créé paf
Laennec en 1804 [Mém. de la Fac. de méd. de Paris,
p. 81, i812),n'existerait pas ou ne serait autre que le
suivant.
2° Véchinocoque, qui est pluis eompliqné, a uii corps
lisse, oblong ou ovale, une tête avec un rostre, une
couronne de crochets en deui rangées, quatre su-
çoirs, une vésicule tentrale oii caudale, qui est elle-
même, ainsi que tout l'animal, Renfermée dans une
vessie-mère indépendante du kyste qui renferme tout :
échinocoqueetvessie-ttière. (V. Livois, Thèse-de Paris,
1843, ïio 185, p. 46.)
3° Le ditrachyceros , de Sultzer, a le corps ovale,
comprimé, enveloppé d'une tunique lâche, la tête
surmontée de deux appendices munis de soies rudes.
40 Le polycéphale offre un corps allongé, cylindrique,
KYSTES HYDATIQUES. 383
ridé, terminé par une vessie commune à plusieurs
individus; quatre suçoirs à la tête, deux couronnes
de crochets.
5° Lé cysticerqiie à corps presque cylindrique où lé-
gèrement déprimé, ridé, terminé par une vésicule
caudale, à tête munie à sa base de quatre papilles ou
suçoirs.
A l'exception du polycéphale, tous ont été trouvés
chez l'homme.
tèé/zaginosîfc dès kystes hydatiquesestfacile quand ils
foiltsaillie à l'extérieur, lorsque surtout étant déjà ou-
verts, ils laissent écouler des pellicules, des vésicules
hydatiques plissées Sur elles-mêmes ou chiffonnées;
mais lorsqû'ilssont si profonds que la palpationn'y fait
reconnaître qu'une tumeur fluctuante élastique, on
ne peut y reconnaître que les caractères des kystes
ou des abcès. Enfin lorsque le kyste hydatiqué est
très-profond et qu'on n'y trouve pas même par le
toucher les cai-actères des kystes, le diagnostic du
kyste est impossible ; mais alors une ponction explo-
ratrice peut le rendre facile et certain éh donnant
issue par un trois-qtiarts tin peu volumineux à des
vésicules hydatiques.
Le pronostic des kystes hydatiques est plus sérieuX
qtié celui des kystes en général, parce qu'ils sont
souvent multiples, parce qu'ils se développent plus
souvent dans les viscères importants que dans les
organes de peu d'importance, comme les muscles ;
parce qu'enfin là thét-apeutique n'a qu'une puissance
bornée contre ces affections, et que la diathèse qui
les a produites en reproduit souvent d'autres.
Le traitement des kystes hydatiques est celui des
autres kystes. Par conséquent on ne peut guère comp^
ter sur les drogues pour en débarrasser l'économie.
Mais l'habitation la plus fréquente des hydatides
384 CHAPITRE m. — MALADIES ORGANIQUES.
dans les viscères , dans les organes profonds et im-
portants, paralyse souvent la chirurgie. Cependant,
lorsqu'un kyste profond du foie, de l'ovaire, est de-
venu adhérent aux parois d'une cavité splanchnique,
on peut ponctionner, inciser ce kyste, au centre de ses
adhérences avec un trois-quarts ou un bistouri, sans
craindre qu'il ne se vide dans la séreuse, ne l'en-
flamme et amène la mort. Le trois - quarts doit
être gros pour que les hydatides puissent s'écouler
par sa canule. Si l'on n'a pas de raisons de croire à
l'existence de ces adhérences, on peut les déter-
miner artificiellement. Pour y parvenir, il faut pra-
tiquer les cautérisations adhésives de M. Récamier
ou les pansements de M. Bégin. (V. t. 2, p. i8o.)
Les fragments de potasse caustique du premier appli-
qués sur la peau , on détache le lendemain les es-
carres pour faire au dessous une seconde application,
enlever la seconde escarre comme la première, puis
en faire une troisième si c'est indispensable. Les frag-
ments de caustique doivent être séparés les uns des
autres d'un centimètre et faire un cercle de trois
centimètres de diamètre environ. Ils ne doivent ja-
mais être déposés sur la séreuse elle-même, mais sur
des parties molles d'une épaisseur de huit millimètres
au moins, et alors encore, les fragments de caustique
ne doivent pas avoir plus de deux millimètres de dia-
mètre. Les adhérences étant établies par ces causti-
cations ou par le pansement suppuratif de M. Bégin
dans une incision portée à trois ou quatre millimètres
de la séreuse, on peut plonger le bistouri dans le
centre du cercle et y pratiquer une division en
croix sans dépasser les limites de l'escarre ni les ad-
hérences, de peur de s'exposer à ouvrir la séreuse et à
y déterminer un épanchement, et par suite une inflam-
mation mortelle. Alors les hydatides pourront s'é-
KYSTES HYDATIQUES. 385
couler librement ou être arrachées avec des pinces,
le kyste sera cicatrisé à la longue par suppuration, en
le pensant comme un abcès au moyen de mèches, d'in-
jections appropriées et de cautérisations intérieures
légères par le nitrate d'argent.
Les kystes intermusculaires, peu profonds, pour-
ront être traités avec moins de précaution, mais di-
rectement par incision ou par amputation, et guéris
ensuite par réunion immédiate ou par suppuration.
Dans un cas fort curieux dont j'ai malheureusement
perdu l'observation détaillée, j'ai même été obligé
de pratiquer une amputation de la mamelle, en deux
temps, à deux époques diJSférentes.
Obs. X. — M. et Madame ***, de Bar-sur-Seine,
m'apportèrent, vers 1845, leur enfant âgé de deux à
trois ans. Il avait la mamelle gauche aussi dévelop-
pée qu'une nourrice qui l'aurait eue très-forte. D'ail-
leurs, la tumeur s'étendait du sternum sous l'aisselle
gauche, et remontait jusqu'à la clavicule. La tumeur,
un peu bosselée, d'une consistance molle et élasti-
que, avait déjà été attaquée inutilement par des inci-
sions et des caustiques L'enfant présentait une autre
tumeur du côté opposé qui paraissait analogue, mais
était peu volumineuse. L'enfant n'était pas fort, et k
cela près, sa santé était assez bonne. L'accroissement
rapide de la première tumeur me parut en exiger
l'amputation-, mais vu le peu de forces de l'enfant, je
n'osai pas l'enlever tout entière, et je proposai aux
parents d'en emporter la moitié en une première fois
et le reste en une seconde, si, comme je le pensais,
la première opération ne suffisait pas pour amener
l'affaissement et le retrait des kystes que je soupçon-
nais composer la tumeur.
J'embrassai le tiers inférieur du sein, le mamelon
y compris, dans deux incisions demi-elliptiques,
25
386 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
puis je disséquai la moitié inférieure de !a tumeUï"
et l'eniportai; j'incisai en outre les kystes sous la
peau, au-dessus de l'excavation que j'avais creu-
sée, afin d'étendre la suppuralion au delà, et
d'amener le retrait et l'atrophie du reste de la tu-
meur par la cicatrisation. L'âge et le peu de forces
de l'enfant m'empêchèrent d'aller plus loin; je
craignais qu'il ne mourût dans mes mains. Je liai Un
petit nombre de vaisseaux, je pansai la pîaie avec de
la charpie douce, molle, en plumasseaux cératés pot-
tés ju&qu'au fond de la plaie, et je fis un bandage lé-
gèrement contentif. Au bout d'un mois, la guérison
de la plaie se trouvant avancée, et le reste de la lu-
meur très-réduiî par la cicatrisation, je proposai aux
parents d'assurer le succès du traitement par l'abla-
tion de ce reste, qui dépassait encore ie volume 'du
poing. Cette seconde opération , pratiquée six se-
maines environ après la première, ameîia une gué-
rison compiète. La guérison de la tumeur du sein ne
s'est pas démentie depuis Ï845. H y a six mois quie
j'ai revu l'enfant; il a aujourd'hui environ dix ans et
se porte bien. L'aulre tumeur est restée stationnaire
et s'est même affaissée.
La tumeur enlevée était un amas de kystes dont
plusieurs, sinon tons, communiquaient les uns avec
les autres. Ces kystes étaient membraneux, «t
liés entre eux par un tissu cellulo fibreux assez ré-
sistant. Au moment de l'incision, il s'écoula beaucoup
de sérosité limpide et seulement quelques vésicules
membraneuses, molles, d'un blanc jaunâtre et opa-
lin, qui étaient libres dans le kyste, et que je ne re-
trouvai plus dans les débris de l'opération quand je
les cherchai pour les examiner avec soin.
Historique des hydatides. — Si l'on en croyait l'illustre
Morgagni {Epist. xxxviii, r°» 36 et 4 5), et divers hel-
TUMEURS SARCOMATEUSES. 387
roinlologistes, Ârefée et Galien auraient connu l'ani-
raatité des hydatides. Cette doctrine ne paraît pas
remonter plus haut que Hartmann [Épkém* nat. cur.,
aii, IV, déc. 2, obs. 73, 1686) et Tyson {Phil. tram.,
n° 103, an 1691). Plus tard, Linnœus, Palîas, Muller,
Goëse, Block, Zeder, Rudolphi, Bosc, Sultzer prosec-
teurdeStrasbourg, Laennec, Cruveilhier,Livois, Thèse
de Paris, 1843, t. X, s'en occupèrent d'une manière
particulière, et ie dernier supprima le genre acéphalo-
cysle de Laennec, comme une erreur, et la vésicule
acéphaîocystique ne devint plus qu'une matrice com-
mune aux échinocoques. Je puis du moins affirmer
ce dernier fait comme certain, car je l'ai vérifié de
mes yeux. Reste à savoir s'il y a des vésicules
acéphalocytes qui existent sans échinocoques. M. Li-
vois, qui a examiné plus de huit cents hydatides de ce
genre, assure n'en avoir jamais rencontré sans échine-
coque. Au reste, ce sujet réclame encore des recher-
ches, ( Voy. , d'ailleurs, Lebert, Phys. path., p. 498.)
TUMEURS SARCOMATEUSES (fIBRO-PLASTIQUES
DES MfCROGRAPHES).
On range sous le nom assez vague de tumeurs
sarcomateuses un certain nombre de productions
accidentelles, dont les caractères mal accusés les ont
fait souvent confondre avec les corps fibreux, mais
surtout avec les cancers. Les micrographes, et M. Le-
bert le premier, ont cru trouver un lien commun
entre ces dififérentes sortes de formations et le glo-
bule fibro-plastique, dont l'existence leur a fourni la
dénomination de tumeurs fibro-plastiques. C'est là
une variété anatomique qui exige de nouvelles re-
cherches et qui ne doit être acceptée aujourd'hui
que sous toutes réserves, et pour ne pas laisser en
dehors de la science des lésions qui ne se rattachent
388 CHAPITRE III. — MALADIES OaGANIQDES.
pas précisément à celles que nous venons de décrire.
Causes. — Très-obscures ou plutôt inconnues.
Camcïè7*e.sawafomi^Mes.— Tumeurs ordinairement uni-
ques; très-exceptionnellement multiples, se formant
surtout dans les tissus cellulaire, fibreux, osseux (os-
téosaicômes). On les a particulièrement observées au
sein , sur la dure-mère (fongus de la dure-mère),
à la mâchoire inférieure et supérieure, à la conjonc-
tive, aux membres. Ces tumeurs entrent souvent
dans la composition des polypes. — Volume très-
variable, de celui d'une noisette k celui d'une tête
d'adulte; le plus souvent comme une noix ou un
œuf. — Forme arrondie, sphérique ou ovoïde, allon-
gée, déprimée, étranglée par places, etc., souvent
bosselée, mamelonnée, lobulée. — Propriétés sen-
sibles. — Mollesse ou résistance, parfois élastique.
Mobilité sous la peau, quelquefois adhérence aux
parties profondes , surtout quand le mal prend
naissance d'un os ou d'une membrane fibreuse. —
Structure. Très-souvent composée 1° d'une enveloppe
celluleuse, mince, vasculaire, adhérente à la surface
de la tumeur, lâchement unie aux parties voisines;
2° toujours de matière fibro-plastique qui s'offre à la
coupe sous divers aspects : quelquefois de la consis-
tance de la chair musculaire ou du tissu pulmonaire
hépatisé; ici d'apparence homogène, là grenue,
lobulée; quelquefois fibreuse par place, de colora-
tion jaunâtre, rougeâtre , uniforme ou diversement
répartie dans la tumeur. Quelquefois vacuoles
plus ou moins grandes et anfractueuses renfer-
mant un liquide séreux de consistance variable, san-
guinolent. De la graisse peut s'y trouver infiltrée. —
Vascularité assez marquée , considérable dans cer-
tains cas, et même parfois, petits épancheraents san-
guins.
TUMEURS SARCOMATEUSES. 389
M. Lebert range parmi les tumeurs fibro -plasti-
ques une tumeur molle, mais résistante, élastique,
formée de lobules d'un millimètre à un ou plusieurs
centimètres de largeur 5 de couleur jaune rosée; d'un
aspect papilliforme. Plusieurs de ces lobules peuvent
être entourés d'un tissu aréolaire plus ou moins
dense. On n'y voit pas de graisse et l'on en fait sortir
par la pression un liquide transparent, jaunâtre, dif-
férent du suc cancéreux lactescent.
Caractères miscroscopiques. — On j trouve en abon-
dance le globule fibro-plastique caractérisé par une
membrane d'enveloppe très-pâle de 0'^™,015 d'épais-
seur, et un noyau à contours très- marqués , très-
noir sous le microscope de O"""^, 0075 à 0'^™,01 de dia-
mètre. Ces globules sont sphériques ou ovoïdes, plus
réguliers et moins gros que les globules d'encépha-
loïde. On n'y voit point de graisse. Les globules
fibro-plastiques allongés constituent les corps fusi-
formes. — On trouve enfin des fibres élémentaires.
Souvent de grandes cellules-mères de 1/20 à 1/12 de
millimètre renferment des noyaux et des globules
fibro-plastiques, quelquefois au nombre de plus de
douze.
Symptômes locaux. — Ceux d'une tumeur accessible
aux yeux ou au toucher avec sensibilité variable à la
pression, picottements, élancements plus ou moins
rapprochés, parfois douleurs lancinantes. — Symptômes
généraux souvent nuls et santé générale bonne, mal-
gré les douleurs, l'insomnie, etc. Cependant d'autres
fois, amaigrissement, troubles, dans les digestions,
diarrhée. — Symptômes de voisinage. Trouble des fonc-
tions des organes comprimés par la tumeur; dans le
cerveau, accidents de compression et d'irritation.
Aux membres, obstacles à la marche, etc.
Marche. — Ordinairement très-lente , quelquefois
390 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES
alternatives d^augmentation et de diminntion, soit
naturellement, soit par le fait de l'art. Ces tumeurs
peuvent s'enflammer, suppurer, s'ulcérer. Opéréf^s,
elles récidivent assez souvent quand on en a laissé
quelques portions. Ces récidives sont fréquemment
très-rapides. Une jeune fille portait k îa mâchoire
supérieure, au niveau des dents incisives, une tu-
meur qui, en moins d'un an, avait acquis le volume
d'une noix. Cette tumeur fut enlevée, mais incom-
plètement, car au bout de huit jours elle commença
à reparaître ; une seconde opération fut faite deux
mois après. La tumeur fut enlevée de nouveau, et le
point présumé de son insertion cautérisé avec le fer
ronge; nouvelle récidive et application de la pâte de
Vienne sans plus de succès. La malade entre alors dans
le service d'A. Bérard, qui emporta Fos maxillaire
d'où elle prenait naissance; la guérison s'est main-
tenue. (Lebert, ouv. cit.^ p. 14 5 et Dict. de méd.^ en
30 vol., t. XXVIH, p. 365.)
Diagnostic. — Souvent obscur, parfois impossible. La
résistance modérément élastique de ces tumeurs, leur
mobilité, l'absence des accidents de la cachexie, et en
cas de récidive, l'absence de tumeurs secondaires,
d'engorgements ganglionnaires voisins, lesdislinguent
des cancers avancés.
Pronostic. — Grave à cause des récidives; danger
de l'opération, surtout quand la tumeur est étendue
et occupe une partie importante, une articulation.
Accidents mortels quand elle réside dans la cavité du
crâne.
Traitement. — Antiphlogistiques, résolutifs, mais
surtout compression qui peut déterminer l'atrophie
de ces tumeurs ou du moins amener une diminution
de volume qui facilite l'opération. Il faut donc d'abord
essayer ces moyens. Mais il faut presque toujours en
DES CORPS FIBREUX. 391
venir à l'ablation, en suivant les règles propres à Fex-
tirpalion des tumeurs (v, p. 336, 360), en s'attachant"
à emporter tout ce qui est altéré. Quand le mal siège
à une Jointure, il faut amputer le membre au-dessus.
DES CORPS FIBREUX.
Ce sont des tumeurs formées de tissu iîbreux
blanchâtre, disposé en faisceaux, entrelacés de mille
manières ou enroulés en pelotons.
Causes. — Comme les autres productions acciden-
telles, les corps fibreux peuvent venir de cause lo-
cale, alors ils sont uniques; ou de cause dialhésale,
3t alors ils sont multiples, soit dans le même or-
fane, soit dans loule l'économie.
État analogique de ces tumeurs. — Nombre. Assez sou-
^nt multiples, surtout dans l'utérus. Situation : pres-
fue parlout, mais particulièrement dans les organes
à structure fibreuse ou fihrilleuse, comme le tissu
cllulaire, dans l'utérus, dans le sein, dans le tissu
cllulaire sous cutané, dans les fosses nasales, dans
larégion sous-occipitopharyngienne , dans l'orbite,
d^s le petit bassin à l'enlour des organes génito-
urjaires. M. Gosselin en a vu dans presque tous les
orjiues d'une ft^mme de trente-deux ans, morte des
sui's d'une amputation du sein [ïiuUet. soc. anat.^
an. 8i7, p. 232). Elles s(;nt isolées dans ie paren-
cliye des organes {corps fibreux libres^^ ou bien f>ren-
nenleur point de départ d'une membrane fibreuse ;
le ptioste, p^r exemple {corps fibreux implantés). — Vo-
lume ès-variable, d'un grain de chènevis à celui de la
tête lin adulte et au delà; le plus souvent comme
un œ»ou comme le poing. On en a vu du poids de 10,
1^, 2 et même 31 livres (Dupuytren dans Cru-
vei Ihit, £5saîs rf'anar path.^ t. I, p. 386; Paris 1816).
392 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
Forme arrondie, ovoïde ou sphéroïdale, quelquefois
pyriforme, allongée; parfois forme irrégulière, bos-
selée, comme lobulée, et composée alors réellement
de petites tumeurs réunies. Les corps fibreux im-
plantés sont sessiles ou pédicules.
Propriétés sensibles. — Consistance variable, plus ou
moins élastique-, ailleurs, dureté du cartilage, de la
pierre. Mobilité quand ces corps sont dans un tissu
lâche, comme le tissu cellulaire, et non implantés.
Structure. — Les corps fibreux sont entourés d'une
enveloppe celluleuse mince qui les isole des parties
voisines, sans faire kyste. Quelquefois, cependant, 1j
production fibreuse est comme diffuse, ses limitei
sont mal définies. Cela se voit surtout dans les mus-
cles, dans les ligaments péri-articulaires; à la coup(,
ils sont d'un blanc-jaunâtre, lactescent ou nacri;
quelquefois rouges par place, ce qui est dû à une vs-
cularisation plus grande de ce point, ou à une imS-
bition de la matière colorante du sang 5 d'autres fos,
taches jaunes réticulées par infiltration de matièes
graisseuses. Le tissu fibreux est diversement distrilié
dans la tumeur, ici en feutrage inextricable (Roux^ là
en faisceaux réguliers qui s'envoient de l'un à l'atre
des prolongements interceptant des mailles allonges;
ailleurs, en couches concentriques enroulées et elo-
tonnées. Il peut y avoir dans une même tumeuiplu-
sieurs pelotons formant de véritables lobules disticts;
enfin, l'aspect peut être homogène etsemblable celui
de certaines tumeurs squirrho-encéphaloïdes. Jn li-
quide visqueux, jaunâtre, transparent, est souvnt in-
filtré dans les fibres, ou déposé dans des vacuoJS, des
celluies plus ou moins considérables qui formet, dans
la niasse totale, comme de petits kystes syjviaux.
On y trouve aussi , dans certains cas , un^uatière
plus ou moins épaisse, et semblable à du sa, altéréj
DES CORPS FIBREUX. 393
OU bien des plaques fibro cartilagineuses , des noyaux
osseux uniques ou multiples, arrondis plus ou moins
lisses et mamelonnés, ou disposés en aiguilles, en
lames, en plaques.
Les vaisseaux sont peu nombreux ; ce sont surtout
des veines; M. Cruveilhier n'y a jamais vu d'artères
(Acad. de méd.^ 9 janv. 1844); on les rencontre sur-
tout à la surface. Si la tumeur s'enflamme, alors elle
se vascularise, et offre des places plus ou moins
étendues, rosées, sablées de sang, etc.
Caractères microscopiques. — 1° une trame fibreuse;
2° dans le liquide visqueux interposé , petits glo-
bules, corps fusiformes , fibro-pîastiques; 3° sub-
stance intermédiaire hyaline, quelquefois finement
ponctuée, unissant ces divers éléments; 4° par-
fois assez larges feuillets irréguliers, contenant des
granules; 5° exceptionnellement, éléments graisseux.
Dans les parties liquides, quelquefois, paillettes de
cholestériue.
Symptômes locaux. — Ceux d'une tumeur accessible
aux yeux, au toucher, à la sonde, etc., appréciables
de bonne heure, si la tumeur est superficielle; plus
tard, si elle est profonde. Ordinairement indolence,
parfois élancements; disons, en passant, que ces pro-
ductions ont été quelquefois confondues avec une
autre altération, le névrôme. — Symptômes généraux^
nuls d'abord. — Symptômes de voisinage. Irritation plus
ou moins vive des parties voisines; développement des
vaisseaux à l'entour de la tumeur, surtout dans l'uté-
rus, d'où hémorragies, quelquefois fort graves;
troubles dans les organes limitrophes; de la vue,
dans les corps fibreux des paupières ou de l'orbite,
de la déglutition dans ceux du pharynx, de la res-
piration dans ceux des fosses nasales, etc.
Marche en général assez lente, souvent état sta-
30Z| CHAPITRE III. MALADIES ORGANIQUES.
tionnaire très-longtemps prolongé; quelquefois sorte
de rétrogradation, d'atrophie. Formés près de la sur-
face d'un organe, ou sous une muqueuse, ils s'enve-
loppent, en grossissant, des couches les plus superfi-
cielles de l'organe ou de la membrane qui, lorsque
la tumeur est parvenue à un certain volume , l'en-
tourent complètement et lui font une sorte de pédi-
cule. Si la membrane d'enveloppe renferme des
follicules, la tumeur peut offrir diverses cavités
formées par ces follicules agrandis.
Les corps fibreux peuvent s'enflammer, suppurer,
s'ulcérer. M.Lebert en(:itedesesemples(oz{i'.«f.,t.II,
p. 174). La dégénérescence cancéreuse en est dou-
teuse. Il peut très-bien s'y déposer de la matière cancé-
reuse, qui finit par se substituer à la masse fibreuse,
de même que cela peut arriver pour tous les organes,
pour toutes les productions accidentelles, mais ce fait
même est excessivement rare. Si l'on a cru à la dégé-
nérescence de ces tumeurs, c'est que l'on a pris pour
elles des squirrhes qui, souvent, leur ressemblent
beaucoup, pour les caractères anatomiques(Lebert).
On a dit que les corps fibreux étaient, d'abord,
mous, sarcomateux, et qu'ils revêtaient ensuite la
structure qui leur est propre. C'est une erreur; dès
les premiers temps de leur formation, quand ils ne
sont pas plus gros qu'une tête d'épingle, ils sont déjà
tels que nous les avons décrits; on les trouve sou-
vent dans un même organe à différents degrés de dé-
veloppement, mais toujours semblables, quant à la
contexture; plus tard, comme nous l'avons dit, il s'y
forme fréquemment des noyaux fibro-cartilagineux
et osseux, ou plutôt calcaires.
Influences extérieures. — Elles sont peu marquées;
cependant des pressions violeules ou répétées peu-
vent amener rinflammalion de la tumeur, ou même
DES COUPS FIBREUX. 395
sa gangrène : c'est ce qu'a vu M. Amussat sor on
corps fibreux de l'utérus qui avait été soumis plu-
sieurs fois à de fortes pressions avec un forceps, dans
des tentatives d'extraction.
Diagnostic. — Les corps fibreux sont souvent con-
fondus avec les squirrhes 5 ils s'en distinguent par
leur dureté, ordinairement pius grande, leur mobi-
lité, alors même qu'ils sont parvenus à un volume
considérable, par l'absence presque constante de
douleurs lancinantes, par leur réunion en plus ou
moins grand nonsbre dans un même organe, enfin
par le défaut de récidive locale après l'ablation.
Pronostic. — Ils sont peu dangereux par eux-
mêmes 5 mais ils causent de grandes incommodités
par leur volume, par les symptômes de voisinage
qu'ils occasionnent , et enfin par l'opération qu'ils
exigent quelquefois.
Traitement. — Les résolutifs, les fondants, n'ont au-
cune prise sur les corps fibreux-, lorsqu'ils sont sta-
tionnaires, ne gênent pas et ne sont pas une source
d'accidents et de troubles fonctionnels graves, on
peut les négliger : autrement il faut opérer et les
détruire , soit par la ligature, soit par rarrachement,
soit par l'excision, soit par l'extirpation, suivant les
circonstances. (Voyez ci- après les articles c\ts polypes
fibreux en général, dans ce volume, et plus loin dans
la pathologie spéciale les polypes fibreux des fosses
nasales, du pharynx et de l'utérus. Tous ces polypes
sont en effet des tumeurs ou des corps fibreux aux-
quels s'appliquent les considérations abrégées dans
lesquelles nous venons d'entrer et que nous sommes
forcés d'abréger à cause des matières importantes
que nous avons encore à faire entrer dans celte mo-
nographie.)
Historique, — Les médecins grecs, et depuis eux^
396 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
tous les médecins jusqu'à nous , n'ont guère parlé
des corps fibreux qu'à l'occasion des polypes de
même nom. C'est donc là qu'il faut chercher l'his-
toire des travaux faits sur les tumeurs fibreuses. Eh
bien, le livre li des maladies (iîijo/j., trad. de Gar-
deil, t. 3, p. 215,216) signale déjà des polypes durs.
Or, sous ce titre, les auteurs anciens désignent tou-
jours des polypes fibreux ou squirrheux. L'espèce
dure de Gelse n'est rien autre chose {Celse, trad. de
Nin. 1. 6, t. 2, p. 1595 '• "^5 ch. 10). Il faut en dire
autant des polypes durs d'Aétius {Tetr. 2, serm. 2,
c. 92, p. 354), de Paul d'Égine {Cliir., chap. 20, p.
1 17-18, trad. de Daleschamps), d'A. Paré, qui men-
tionne deux espèces de polypes durs, comme le livre
Hippocratique cité plus haut (ÛEuv. 1. 8, ch. 2,
p. 289), et compare un polype fibreux de l'utérus à
de la tétine de vache (I. 24, ch. 41), des observations
de Môles, de Fabrice de Hildan (Obs. 52, 54, cent. 2).
Tous les traités de chirurgie classique distinguent au
moins deux genres ou deux espèces de polypes : des
mous et des durs, et parmi ces derniers très-fré-
quemment des polypes durs chancreux, cancéreux
d'une mauvaise nature. Eh bien, les polypes durs
non cancéreux sont des corps fibreux; mais ce n'est
que depuis ce siècle qu'on a bien connu ces der-
niers. Bichat dans son Cours d'Anaîomie pathologique,
M. Roux dans ses Mélanges de Chirurgie, Bayle dans le
Dictionnaire des sciences médicales^ article corps fibreux de
la matrice, Dupuytren dans ses Leçons cliniques, M. Cru-
Tcilhier dans son Anaiomie pathologique^ madame Boi-
Tin et Dugès dans leur ouvrage sur les Maladies de
l'utérus, M. Malgaigne dans sa Thèse sur les polypes uté-
rins, les micrographes enfin , ont tous contribué à
éclairer l'histoire des corps fibreux et de leur trai-^
tement.
MÉLANOSE OU CANCER. 397
Jusqu'ici nous avons parlé de formations morbides
générales , homéomorphes , c'est-à-dire analogues par
leur structure aux tissus sains et normaux ; nous avons
maintenant à nous occuper de formations morbides
hétéromorphes, différentes des tissus normaux.
MÉLANOSE.
La mélanose n'est autre chose qu'une formation
accidentelle de matière colorante ou pigment noir.
Quelquefois unique, elle envahit d'autres fois plu-
sieurs organes et est alors le résultat d'une véritable
diathèse. Cette matière se rencontre dans les pou-
mons, dans des portions de membranes muqueuses à
l'élat normal d'ailleurs ; on la trouve aussi dans les tis-
sus chroniquement enflammés, dans le tissu cellulaire
sous-muqueux ou sous-cutané, dans l'épaisseur de la
peau, dans les glandes, surtout dans le foie, quelque-
fois dans les os. Souvent elle existe isolément de toute
maladie organique 5 d'autres fois, au contraire, elle
est associée dans les organes ou dans les tissus à d'au-
tres lésions organiques, le cancer, par exemple,
qu'elle complique 5 nous eu reparlerons à l'occasion
de ces affections. Elle se montre sous quatre formes
différentes : 1° en masses plus ou moins volumineuses,
mamelonnées, molles ou dures, couleur de suie ou
tout à fait noires, offrant à la section l'aspect de la
truffe, sans apparence d'organisation, entourées ou
non d'une membrane ou kyste j 2° infiUrée dans le sein
des organes et déposée dans les aréoles des parenchy-
mes; 3° étalée en couches molles, pulpeuses ou solides,
d'épaisseur variable à la surface des membranes;
4° enfin à l'état liquide, soit enfermée dans des kys-
tes ou au milieu de tissus accidentels, soit dans les
cavités naturelles du corps, le péritoine, l'estomac,
26
398 CHAPITRE m. r— MALADIES ORGANIQUES.
pure ou mélangée aux liquides normaux de ces ca-
vités. Examinée au microscope, la méîanose paraît
composée de granules noirs, opaques, agglomérés ou
renfermés dans des globules particuliers, spliériques
et assez volumineux (deO'^'^Ol à 0'»'^02). Plusieurs
chimistes ont analysé la matière mélanée et sont ar-
rivés, à quelques variantes près, à des résultats sem-
blables. Tous y ont trouvé de l'albumine, de la fibrine,
une matière colorante noire, des sels et du fer à
l'état de sel ou d'oxyde. Barruel, à qui l'on doit une
excellente analyse de la méîanose, a particulièrement
insisté sur l'analogie de la matière colorante noire de
cette production avec celle du sang, opinion qui pa-
raît généralement adoptée par les anatomo-patholO'-
gistes,
La méîanose ne donne souvent lieu à aucun symptôme
spécial-, cependant, quand elle existe en masses dis-
séminées, il n'est pas rare de voir les tumeurs, for^
mées par celles-ci, se ramollir, s'ouvrir à l'extérieur,
soit spontanément et par le fait d'un travail patholo-
gique intérieur, soit par suite d'un frottement, d'une
contusion. Il en résulte une ulcération qui répand une
liqueur noirâtre renfermant les éléments de la mêla.-
nose. Ces ulcérations peuvent produire un affaiblis-
sement, un dépérissement qui se terminent par la
mort. D'autres fois les tumeurs restent stationnaires
sans s'ouvrir, et le malade, succombant à une autre
affection, l'autopsie fait reconnaître la nature mé-
lanique des lésions qu'il portait. La présence de la
méîanose dans les viscères peut amener des troubles
divers dans les fonctions de ceux-ci; ainsi, dans les
poumons, elle causera de la dyspnée, etc.
Quand la méîanose forme des tumeurs gênantes et
véritablement morbides, la chirurgie peut les enle-
ver, si lenr situation le permet.
DU CANCER. 399
DU CANCER.
Cette expression n'a jamais eu beaucoup de pré-
cision ; la plupart des auteurs modernes donnaient
QB nom, depuis Laennec, aux deux formations, sans
analogues dans l'état sain, que l'on nomme le squirrhe
et l'encéphaloïde. Pour noîis, d'un côté, la grande
différence de structure de ces deux productions ne
nous paraissait pas permettre cette confusion; d'un
autre, leur terminaison analogue nous semblait au-
toriser leur rapprochement; tout pesé, nous regar-
dions la doctrine de Laennec comme arbitraire, et
ne pouvions l'accepter. Entrant alors, à l'exemple
des anciens et de M. Andral, dans une voie plus
large, nous désignions, par le mot cancer, 1° la dégé-
nération secondaire d'une lésion première, le ramol-
lissement, la suppuration, l'ulcération des formations
îardacées, squirrheuses, encéphaloïdes, fongueuses,
colloïdes, et de quelques autres variétés qui n'ont
pas reçu de nom particulier, et qui ressemblent à
la châtaigne, au fromage, etc., sans rentrer précisé-
ment dans le squirrhe, ni rencéphaloïde, 2° les lésions
qui présentent en outre des douleurs lancinantes,
compressives , l'engorgement et la dégénération des
ganglions lymphatiques voisins, une tendance irré-
sistible à s'accroître et à se reproduire. Nous re-
connaissions ainsi deux périodes bien distinctes,
bien tranchées, dans l'évolution de ces produits mor-
bides : une première, de bénignité et d'innocence,
pendant laquelle les tumeurs ci-dessus mentionnées
portaient le nom d'encéphaloïde, de squirrhe, de
fongus, de colloïde, etc., qu'elles empruntent à leur
texture, à leur aspect; la seconde, de malignité, alors
que surviennent les phénomènes de douleurs, d'in-
^00 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
flammation , de ramollissement, d'ulcération, etc.,
dont nous venons de parler, et dont l'ensemble cons-
tituait le cancer.
Mais les recherches des micrographes semblent,
depuis une dizaine d'années, fortifier les idées de
l'illustre Laennec et confirmer l'identité microsco-
pique de l'encéphaloïde, du squirrhe si différents
aux yeux. Si les résultats de ces recherches se con-
firmaient, les productions cancéreuses renfermeraient
dans leur structure un élément particulier et cons-
tant, le globule ou l'utricule et ses noyaux cancéreux,
et elles auraient toutes une tendance fatale à envahir
les tissus voisins, à se multiplier, à se ramollir, et
enfin "a causer la diathèse et la cachexie dite cancé-
reuse. Dans le doute sur la valeur de cette théorie
nouvelle, nous l'exposerons sans en prendre la res-
ponsabilité, parce que nous ne l'avons point assez vé-
rifiée pour la juger définitivement.
C'est surtout aux travaux de MM. Lebert (P%s.
paihot., t. Il, p. 241, etc.) et Broca {Anat. pailioL du
Cancer, mém. del'Ac, nat. deméd., t. XVI, p. 458, etc.),
que la science moderne doit ses connaissances nou-
velles sur la structure microscopique du cancer.
Aussi nous les mettrons souvent à contribution.
Êtiologie. — Causes individuelles. — Diathèse cancé-
reuse, prédisposition locale. — Age. Le cancer s'observe
surtout dans l'âge mur et la vieillesse; ainsi, sur
2,781 cas mentionnés par M. Leroy (d'Étiolles), il y
en avait 1,227 au-dessus de quarante ans, et 1,061
au-dessus de soixante {Recueil de lettres, etc., p. 154).
On ne le trouve que par exception chez les en-
fants, et c'est ordinairement alors sous la forme
encéphaloïde ; le cancer de l'œil est même commun
avant douze ans (Desault, Wardrop). — Sexe. On a
dit que les femmes y étaient plus exposées que les
DU CANCER. ZjOl
hommes, parce que l'on voit beaucoup de cancers
du sein ou de l'utérus, vers l'époque critique; mais,
a-t-on objecté , il est assez commun aussi chez
l'homme, au testicule, à l'estomac, aux lèvres. Je
répondrai, d'abord, que le cancer du testicule n'est
pas très-commun; si celui de l'estomac est plus
fréquent chez l'homme (26 sur 30, Barras), il ne l'est
pas beaucoup; et quant au cancer des lèvres, il
paraît, d'après les micrographes, que ce n'est pas là,
le plus souvent un cancer véritable, mais une tumeur
épithéliale cancroïde (voy. plus bas). En résumé, les
femmes en seraient donc plus fréquemment atteintes
que les hommes. Ajoutons que, d'après un relevé fait
par M. Tanchon, sur 9,118 individus morts d'affec-
tions cancéreuses de 1830 à 1840, il y avait 2,Ï6I
hommes, et 6,967 femmes (Recherches sur le traite-
ment, etc., p. 356, an. 1844). Avouons pourtant que
toutes ces statistiques ne sont pas des vérités irré-
fragables. — Hérédité^ d'où cancer héréditaire. Elle est
pour nous incontestable, malgré les assertions con-
traires. Suivant M. Leroy (d'Étiolles), elle entrerait
dansl'étiologie pour un dixième seulement (loc. cit.).
— C'est là une assertion difficile à démontrer d'une
manière parfaitement certaine et positive.
Influence des fonctions. Les émotions morales tristes
paraissent prédisposer aux cancers viscéraux; les
excès de génération chez les femmes ont été regar-
dés comme donnant lieu au cancer utérin. M. Pa-
rent Duchâtelet [Recherches sur la prostitut.) a fait
voir que cette cause avait été beaucoup exagérée.
On sait que des femmes vivant dans la continence
sont souvent atteintes de cancers utérins. Et, quant
à la cessation normale du flux menstruel, elle prouve
seulement l'influence de cette révolution de la vie
sur l'origine et la production du cancer.
/t02 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
La doctrine physiologique, exhumant une ancienne
opinion , avait établi que les dégénéralions et lé
cancer reconnaissaient invariablement pour origine
une phlegmasie aiguë ou chronique. Mais, en réa^
lité, la rareté des cas dans lesquels une tumeur can-
céreuse se développe dans une partie qui a été le
siège d'une inflammation, en regard surtout de la
fréquence des inflammations, le grand nombre des
cas oii le cancer s'est manifesté sans phlegmasie
préalable, ne permettent pas de regarder cette cir-
constance comme la cause vraie du cancer. D'une
autre part, l'influence causale des violences exté-
rieures sur les cancers du sein et du testicule, prou-
vent que les inflammations traumatiques y concou-
rent.
Causes extérieures. On croyait autrefois à la conta-
gion du cancer. Les expériences de Dupuytren qui
a fait avaler impunément de la matière cancéreuse
à des chiens -, les inoculations avec la lancette, par Ali-
bert et ses élèves sur eux-mêmes {Monog. des dermat.^
p. 452), ont démontré la fausseté de cette opinion.
On a donné, comme causes du cancer, les coups,
les contusions, les frottements rudes. On voit en
effet quelquefois des tumeurs anormales succéder à
une violence extérieure; mais, quand on songe à la
fréquence de celles-ci et à la rareté de celui-là
il n'est guère permis d'admettre cette étiologie.
Ainsi, Chardel cite gravement un chapelier qui,
appuyant continuellement la région épigastrique con-
tre une planche, fut pris de cancer de l'estomac; or
cette attitude et cette pression sont très-communes
dans une foule de professions, sans qu'il en résulte
rien de pareil; donc, les causes extérieures ont
besoin du secours d'une prédisposition locale au
cancer; mais, à coup sur, une violence peut hâter
DU CANCER. 403
les progrès du ma!, soit en augmentant l'inflammation
locale, comme tous les irritants appliqués aux can-
cers, ce qui concourt à prouver encore l'influence
de l'inflammation sur l'origine du cancer.
Climats. On a dit que la fréquence du cancer allait
en augmentant à mesure que l'on se rapproche du
Midi, et en diminuant à mesure que l'on s'avance
vers le Nord ;c'est là une assertion qui a besoin d'être
démontrée, car les voyageurs, mais surtout les mé-
decins qui ont pratiqué dans lés régions tropicales,
affirment que la maladie dont nous parlons y est
très-rare (Voir Tanchou, ouv. cit.^ p. 263).
Caractères anatomiques du cancer. —Siège. — -- On le ren-
contre primitivement, surtout dans la glande mam-
maire, dans l'utérus, le testicule, les parois de l'es-
tomac, du gros intestin, dans l'œil, etc. Le foie, le
poumon, le mésentère en sont le plus ordinairement
atteints consécutivement. On a beaucoup discuté sur
la question de savoir quel était le tissu élémentaire
qui servait de point de départ aux formations cancé-
reuses; mais aujourd'hui nous douions de la fréquence
de ces transformations, d'un tissu normal en un tissu
anormal. On prétend aussi que la matière cancéreuse se
forme dans un liquide plastique, que l'on nomme blas-
tème, et qui est sécrété dans la partie où se développe
le cancer: c'est «ne fable, personne n'a jamais surpris la
nature en flagrant délitd'élaboration de cette matière.
On ne la reconnaît que quand elle est déjà formée et
appréciable aux sens, c'est-à-dire constituant déjà
une masse du volume au moins d'une tête d'épingle,
et encore, dans ces cas, il faut que ce soit un cancer ré-
cidivant : le cancer primitif ne peut être soupçonné et
le consécutif reconnu que quand ils ont déjà plus de vo-
lume.— Nombre: la tumeur est ordinairement unique à
son début; plus tard, il s'en forme de nouvelles, soit
404 CHAPITRE m. — MALADIES ORGANIQUES.
dans le voisinage, soit dans des régions plus ou moins
éloignées, et quelquefois en nombre très-considéra-
ble, surtout dans les viscères intérieurs (le foie, le
poumon). — Volume: très-variable, surtout suivant la
variété de cancer qui se présente ; plus petit dans la
forme dite squirrheuse que dans la forme encépha-
loïde. Au total, il varie depuis la dimension d'une
tête d'épingle jusqu'à celle de la tête d'un adulte, et
même du corps. — Forme : les tumeurs cancéreuses sont
le plus souvent bosselées, lobulées, irrégulièrement
arrondies, quelquefois aplaties, suivant la structure
et la configuration de la partie oîi on les rencontre.
— Consistance : elle est aussi très- variable ; quelque-
fois d'une dureté éburnée ou d'une mollesse qui simule
tous les degrés de fluctuation d'un abcès. La consis-
tance dépend, suivant les micrographes, de la prédo-
minance de l'un ou de l'autre des éléments qui con-
stituent les productions cancéreuses, et de la résultent
des cancers durs' ou mous. — Structure anatomique. On
reconnaît à l'œil nuque le cancer est formé d'une trame
cellulo-fibreuse renfermant dans ses aréoles une ma-
tière liquide, visqueuse que l'on a appelée suc cancé-
reux. — Cette trame, blanchâtre, est plus ou moins
dense, plus ou moins abondante, fasciculée, réticulée,
feutrée de différentes manières, laissant dans ses in-
tervalles des vacuoles plus ou moins larges. Le cancer
semble envoyer parfois des prolongements réticulés
comme les mailles d'un filet, dans les tissus voisins
et entre les artères, les veines, etc. Ces réseaux sont
formés par du tissu cellulaire induré, dégénéré,
rétracté, et ils ne s'observent que dans les cancers
durs. Ce ne sont pas de nouvelles formations pro-
prement dites. Le suc cancéreux est jaunâtre ou
lactescent, plus ou moins mou et diffluent, quelque-
fois très-dense, ailleurs semblable à une émulsion,
DU CANCER. Zl05
ailleurs encore à de la gelée ; c'est dans ce suc qu'est
déposé l'élément cancéreux. Enfin, il y a encore des
vaisseaux, ici très-développés, là presque nuls, sui-
yant la forme de cancer à laquelle on a affaire. C'est
d'ailleurs ce que nous allons examiner.
A Vinspection microscopique^ suivant les micrographes,
Je cancer est formé de globules, de noyaux et de gra-
nules cancéreux ou globulins (Lebert, Phys. path.,
t. II, 254; Broca, Mém. del'Ac, t. XVI, p. 476), qui
sont ses éléments spéciaux, puis de globules granuleux,
de tissu fibreux, de matières grasses, decholestérine,
de la matière colorante noire ou mélanose, de di-
verses concrétions, et, enfin, de vaisseaux et de
nerfs. (Lebert, ouv. cit.^ t. II, p. 254, 268; Broca.) —
Le globule cancéreux est constitué par une enveloppe
renfermant un ou plusieurs noyaux qui contiennent
eux-mêmes des nucléoles (Jig. 12). L'enveloppe a de
0,i°"^01 5 à 0,«im03 ; en moyenne 0,iû'"02 5 sa forme est
arrondie irrégulièrement, ovoïde, quelquefois fusi-
forme, et même à plusieurs pointes; elle est en gé-
néral plus aplatie que le noyau; pâle et parfaitement
transparente, ou bien ponctuée, granuleuse, ressem-
blant aux grands globules granuleux de l'inflamma-
tion. On trouve quelquefois des globules réguliers
ou irréguliers renfermant jusqu'à cinq ou six noyaux,
et au delà ; ces cellules-mères peuvent offrir 0,'^'"05
de diamètre. Ailleurs ce sont des cellules à parois
concentriques, le noyau est renfermé dans la cellule
centrale. Ailleurs, enfin, on voit de larges expansions
membraniformes renfermant des noyaux en grand
nombre et une matière granuleuse. Tant de variétés
ne donnent guère d'unité, à mon sens, à l'élément
spécial du cancer, et ses analogies avec le globule
fibro-plastique l'en dislingue souvent assez mal.
Les noyaux ont de 0,™'"0075 à 0,™'"02, les plus pe-
406 CHAPITRE III. — MALADIES ORGANIQUES.
tits dans !e squirrhe, les plus gros dans l'encépha-
loïde. Ces noyaux sont quelquefois très-pâles, d'au-
tres fois leurs contours sont très-nettement accusés \
ils sont souvent mêlés à de la matière grasse, qui les
infiltre quelquefois d'une manière homogène. (Le-
bert.) Les noyaux sont contenus dans des cellules, ou
libres |et sans cellules (fig. 13).. Les noyaux libres,
sans enveloppe, constituent quelquefois l'élément
prédominant des formations cancéreuses, surtout
quand celles-ci sont récentes et se sont formées rapi-
dement. (Broca.) — Les nucléoles ont de 0,°'"002o à
Q ininQQ33 jjg diamètre, et très-exceptionnellement
0,'°™0]. Leur caractère particulier est d'avoir leurs
contours très-nettement accusés, tandis que l'inté-
rieur- est terne et homogène. Ce sont, dit M. Lebert,
des noyaux incomplètement développés. On voit à
un très-fort grossissement qu'ils renferment des nu-
cléoles secondaires. Les granules ou globulins peu-
vent être libres comme les noyaux (ûg. 13).
Les produits suivants ne sont en quelque sorte
qu'accessoires, ils ne sont pas constants. Nous les
rangeons suivant leur degré de fréquence.
Le tissu fibreux varie suivant l'espèce de cancer. Il est
très-marqué et affecte différentes dispositions. Fasci-^
culé, feutré dans le squirrhe, il est pâle et rare dans
l'encéphaloïde. Il présente des ulricules fibro-plasti-
quesfusiformesbien distinctes de celles du cancer.—
La (/razsse provient assez souvent du blasîème cancé-
reux; elle est sous forme de granules, de vésicules, de
gouttelettes huileuses : la matière grasse infiltrée dans
une certaine étendue donne au tissu cancéreux une
apparence tuberculeuse. — Les grands g lokdes granuleux,
analogues a ceux de l'inflammation, sont tantôt dissé-
minés dans toute la masse cancéreuse, tantôt ils con^
stituent des fissures réticulées. — La matière colorante
DU CANCER, Zj07
noire (mélanose), est le pigment clout nous avons parlé
pins haut, et qui est granuleux ou gîobuleux,— La ma-
tière gélatiniforme (colloïde)^ est une matière amorphe,
jaunâtre, transparente, tout à fait semblable à de la
gelée qui est contenue dans des mailles celluleuses
très-déliées. — Les cristaux de choLestérine sont très-
fréquents^ il y a aussi d'autres cristaux prismatiques,
en aiguilles, etc. — Les concrétions minérales, amorphes
ou ossiformes, sont quelquefois des iameiles osseuses
ou de simples dépôts crétacés.
Les vaisseaux des tumeurs cancéreuses sont anciens
ou nouveaux. (Broca, ib.^ p. ô8ô, etc.) Cet observa-
teur a trouvé des yaisseaux dans toutes les tumeurs
cancéreuses qu'il a examinées, même les plus dures,
au moins dans les couches superficielles. Mais en thèse
générale, plus une tumeur cancéreuse est molle au
moment de son apparition, plus elle est vascuîaire ;
il faut en excepter cependant le cancer colloïde; il
s'agit seulement des masses dans lesquelles l'élément
cancéreux propre est très-abondant. La plupart de
ces vaisseaux sont de formation nouvelle; aussi leur
paroi est-elle formée d'une membrane simple, mince,
hyaline, homogène. Ils sont donc, par leur structure,
et quel que soit leur volume, de véritables capillaires.
Ils ont jusqu'à I millimètre de diamètre et reçoivent
également les injections poussées par les artères et
par les veines 5 leurs anastomoses sont rares, obliques
et à mailles très-larges. A côté de ces vaisseaux de
formation nouvelle, ii en est d'autres plus gros, moins
nombreux, qu'il est facile de reconnaître pour ceux
de l'organe envahi, mais augmentés de volume. Le
cancer contient-il égalemen