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JOURNAL
DE LA
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SOCIETE DE STATISTIQUE
DE PARIS
VINGT-HUITIÈME
ANNÉE
(1887)
BERGEK-LEVRAULT ET T, LIBRAIRES-ÉDITEURS
PARIS
NANCY
RUE DES BEAUX-ARTS, 5
RUE JEAN-LAMOUR, W
MDGGCL
XXXVII
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IMPRIMBRIK BKRGK,K-I,BVRA.ULT RT C
TABLE DES MATIÈRES DU VINGT-HUITIÈME VOLUME
(Annke 1887.)
PAGES.
Numéro de janvier. — I. Procès-verbal de la séance du 15 décembre 1886 1
II. Histoire de la Dette publique en France, d'après Touvrage de M. A. Viihrer, par M. L. Foyot,
avec un diagramme hors texte 7
m. Les Établissements hospitaliers en France, par M. J. de Grisenoy 15
IV. Sur un point curieux de l'histoire du commerce des céréales, par M. Léopold Hugo . , . 22
V. Essai d'une histoire sommaire de la presse périodique, par G. L. Piccardi (Rome, 1886).
Compte rendu par A. Michaut 24
YI. Le Conseil supérieur de statistique 32
Numéro de février. — I. Procès-verbal de la séance du 19 janvier 1887 33
II. Le Problème monétaire (suite). Seconde partie : De la Baisse de la valeur de l'argent, par
M. Fournier de Flaix 43
III. Le Dénombrement de la population en France 59
IV. Bibliographie. — L'Enseignement commercial et les écoles de commerce en France et dans le
monde entier, par M. E. Minot 64
Numéro de mars. — I. Procès-verbal de la séance du 16 février 1887 65
II, Les Tables de survie, par M. E. Levasseur, de l'Institut 68
IIL Le Problème monétaire (suite). Seconde partie : De la Baisse de la valeur de l'argent, par
M. Fournier de Flaix 99
Numéro d'avril. — I. Procès-verbal de la séance du 16 mars 1887 113
II. Annexe au procès-verbal. — Situation financière de la Sociélé 123
III. Les Cartogrammes à teintes graduées, par M. E. Cheysson 128
IV. Le Progrès des caisses d'épargne en Europe et aux États-Unis, par M. de Malarce .... 134
V. Bibliographie. — 1" La Population de Francfort aux xiv* et xv« siècles, par M. A. Raffalovich. 139
2° L'Ancienne Civilisation au Mexique, par M. A. Nicaise 142
Numéro de mai. — I. Procès-verbal de la séance du 27 avril 1887 145
II. La Protection de l'enfance abandonnée, en Italie, par M. le D"" E. Raseri : traduit de l'italien
par M. P. Frette 153
III. La Rage et l'Institut Pasteur 182
Numéro de juin. — I. Procès-verbal de la séance du 18 mai 1887 185
II. Les Transports terrestres et fluviaux, par M. Ch, Limousin 187
IIL Les premiers Résultats du dénombrement de 1886 et les communes de moins de 100 habi-
tants, par M. E. Cheysson 196
IV. Les Excitants modernes, par M. le D"" Broch 208
Numéro de juillet. — I. Procès- verbal de la séance du 15 juin 1887 217
IL Annexe au procès-verbal. — Observations sur l'importance des routes nationales, par M. E.
Cheysson 220
III. L'Institut international à Rome, par M. de Foville 225
IV. Les Excitants modernes {suite), par M. le D"' 0. Broch 231
V. Les Accidents du travail (1™ partie), par M. Duhamel 239
Numéro d'août. — I. Procès-verbal de la séance du 20 juillet 1887 249
II. Le Jubilé national en Angleterre, par M. X 255
III. Les Accidents du travail {suite et fin), par M. Duhamel 258
IV. L'Enseignement commercial et les écoles de commerce en France et dans le monde entier,
par M. Eugène Minot 271
V Bibliographie. — La France dans l'Afrique du Nord, par M. L. Vignon 279
FAOKfl.
Numéro de septembre. — I. La Consommation de l'alcool en France, par M. G. Hartmann . . . 281
II. Les Dettes publiques européennes, par M. A. Neymarck 296
m. L'Organisation de la statistique de TEnipire allemand, par M. J. Becker, directeur du bureau
impérial de statistique (traduction de M. A. Liégeard) 308
Numéro d'octobre. — I. Un Statisticien fantaisiste, par M. A. de Foville 3j3
II. L'Organisation de la statistique de l'Empire allemand, par M. J. Becker, directeur du bureau
impérial de statistique (traduction de M. A. Liégeard) 317
III. Variétés. — Statistique des opérations de la Chambre de compensation des banquiers de Paris.
— Les Chemins de fer anglais en 1886. — La Production du blé sur le globe en 1886 . . 350
Numéro de novembre. — I. Procès-verbal de la séance du 19 octobre 1887 353
II. La Criminalité et sa répression, par M. Maurice Yvernès 360
III. L'Exportation comparée des produits fabriqués des principaux pays de l'Europe, par M. A. Raf-
falovich 375
IV. La Poste dans tous les pays, par M. Max Hoffmann 378
V. Bibliographie. — Recherches statistiques sur Tinfluénce du prix des céréales, sur le prix du
pain et de celui-ci sur les salaires, par M. A. Raffalovich 384
Numéro de décembre. — I. Procès-verbal de la séance du 16 novembre 1887 385
II. Le Mouvement de la population en France pendant l'année 1886, par M. Victor Turquan. . 392
III. Histoire des tarifs de l'octroi de Paris, par M. René Stourm 399
IV. Les Assurances en France, pendant l'année 1883, par M. Henry Duhamel -402
V. Les Banques en Allemagne, 1883 à 1886, par M. A. Raffalovich 407
VI. Variétés. — La Légion d'honneur. — La Poste en Angleterre, en 1886. — Les Ouvriers à
Londres. — Les Indemnités en cas d'accidents en Angleterre. — Statistique des travailleurs
tués en Prusse 410
VII. Table alphabétique des matières contenues dans le xxviii« volume (année 1887) .... 415
VHI. Travaux de la Société, communications, discussions, etc. (1886-1887) 416
JOURNAL
DE LA
SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DE PARIS
No 1. — JANVIER 1887.
I.
PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1886.
La séance est ouverte à 9 heures, sous la présidence de M. A. de Foville.
Le procès-verbal de la séance du 17 novembre est adopté.
Il est procédé à l'élection de membres nouveaux :
M. Gaston Pick, ingénieur civil, dont la candidature est soutenue par MM. Wil-
son, Rob'yns et Slhal, est nommé membre fondateur à vie.
Sont nommés membres titulaires :
Sur la présentation de MM. de Foville, Ducrocq et général de Larclause, M. Jo-
seph Lair, maire de Saint-Jean-d'Angéiy;
Sur la présentation de MM. de Foville et Paul Ghalvet, M. Etienne Ciialvet, chef
de bureau à la Direction de l'Enregistrement.
Le scrutin est ouvert pour l'élection d'un président et de plusieurs membres du
Bureau et du Conseil; il sera fermé à 10 heures.
Après le dépouillement de la correspondance et la présentation des ouvrages
offerts à la Société (1), M. le Président annonce qu'il a un vote tout spécial à de-
mander à l'assemblée, et prononce l'allocution suivante :
« L'Académie française — vous le savez — ouvre demain ses portes à notre
« très éminent collègue, à notre très aimé président de l'année dernière, M. Léon
« Say. Ce sera pour tous ses amis personnels une fête; mais il me semble que ce
« doit être une fête aussi pour tous les amis des sciences qu'il représentera au
« sein de l'illustre Compagnie.
« Sans doute l'Académie française a déjà appelé à elle des économistes (et par
a conséquent des statisticiens, car tout économiste digne de ce nom est doublé
« d'un statisticien, surtout de nos jours).
« M. Jules Simon, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et
(t) Voir à la fin du procès-verbal.
1' 8ÉUIB, 28« VOL. — N» 1.
■ _ 2 —
. poliliques, est économiste autant qu'historien, moraliste ou philosophe; et tous
. ici nous serions heureux de l'avoir pour confrère. ,•„„ j,i.n
Edmond About, auquel M. Léon Say succède, revendiquait aussi le titre d eco-
, nomiste et il a, en effet, touché d'une main alerte, sinon toujours très sure, a la
, plupart des problèmes sociaux sur lesquels portent nos enquêtes.
.Mais avec le Ois d'Horace Say, avec le pelit-fils de Jean-Bapl.sle Say ces ,
. pour i'nsTdire, la science économique tout entière qui va siéger ans le temple
Sis e 1res. 11 1 personnifie doublement, - et par droit de conque e et par dro
de n Lance, - de sorte que nous avons tous le droit de prendre notre part
d s h nneur mérités qui vont lui être rendus. C'est dans ce sens que je vous
! propose un vole de félici.ation dont l'expression pourra ê.re transmise, des demain
. matin, à notre cher ancien président. » „i«A,.ni cl le
Par un vote unanime, l'assemblée s'associe aux paroles de son piesident, et le
remercie d'avoir si bien exprimé ses propres sentiments.
La parole est donnée à M. Cl. Juglar pour la communication qu'il avait annoncée
"Ïre"r'lef;n coup d'œil sur les crises commerciales qui ont été constatées
deÏs le Commencement Su siècle, M. J.olak défini,, en peu ^e -ts, la me*od
dont il se sert depuis bientôt trente ans pour en mesurer 1 m ensile, etlournt, a
cet Lard les défi, itions nécessaires. 11 entre ensuite dans le plein de son sn,et, e
se ^i heureux de pouvoir déclarer que la crise de ^f ^''f /'--^ ^^l^^r™'^
terminée II montre, par le fait de la circulation des billets, de 1 escompte et de
en™ ssé méTalliqué Se la Banque, que les affaires sont en voie --f-te^;^; -
Prise et il trouve le contrôle de sa prédiction dans les mouvements du commerce
rSe's rix, dans le mouvement des Clearing- Houses d'Angleterre et principalement
des États-Unis, et jusque dans la stalistique des recettes '^e 'he=.^<=,
\ cette occasion, il s'étend sur l'accroissement constant des épargnes, grâce
auquCtZes populaires ont pu, sans trop d'effort, traverser des temps peu
nrLères et échapper aux malheurs qui ont frappé le commerce et 1 "iduslrie.
■'' raCmmunTcatiSS de M. Juglar, dont cette analyse ne peut donn^^^^^
idée sera imprimée in eœienso dans le Bulletin de la Société, ^our e de la s et
d aperçus noTveaux, elle s'est terminée au milieu des plus vi s applaudissements.
La discussion est ouverte sur la communication de M. l"f^'- ^, ;,
M. THiERUY-MiEG fait observer que, sans vouloir «"""^ '™ ' '"^'^"'^"^Vaud™
de M. Juglar, il croit cependant devoir y présenter un amendemen . -Ayant el^d.
leorintemos dernier, les diagrammes que M. Jacques Siegfried avait fait établir
'aSri^stt: de'M.Juglaf, il a trouvéqueles -ises financières ainsi^constaee^
ne coïncidaient pas avec les crises proprement commerciales, c est-a-dire les ciises
rplfliivps aux marchandises, dont il se souvenait.
En g néralla reprise d s marchandises n'avait lieu qu'un an, ou même deux ou
,r '"an aprt le mSment indiqué par M. Juglar, et cette reprise était loujou^ pi.-
cédée par la hausse des valeurs de Bourse. En effet, la vente des marchandises ne
devîenrac ive que lorsque la consommation se développe, et celle-ci ne se développe
eStpar des é argnes ou des bénéfices, la fortune des P-^ ;- » ^|^
mente. L'encaisse de la Banque, lorsqu'il est élevé et que le por e euil e « <1«P"™;
Lique simplement la stagnation des affaires, mais nullement 'V™'.'^tl^^ ë"!
qu'à laquelle pourra durer celte stagnation. Nous savons bien qu après la pluie Ment
— 3 —
le beau temps, après la marée basse la marée haute, après les vaches grasses les
vaches maigres; lorsqu'on gravit une montagne, il y a un moment où, arrivé au
sommet, on n'a plus qu'à descendre. Mais quel est ce sommet, quel est ce moment?
Après une mauvaise période, après une crise, il peut en survenir une plus mauvaise
encore, par des causes quelconques, tremblement de terre, choléra, guerre,
phylloxéra,, mauvaise récolte, tandis qu'au contraire une bonne récolte peut termi-
ner une crise ou prolonger une situation prospère. Or, si l'une de ces circonstances
favorables se produit au moment où la Banque a un énorme encaisse inutilisé, on
voit aussitôt des achats au comptant de bonnes valeurs qui font monter successive-
ment d'abord la rente, puis les obligations et actions des chemins de fer, et enfin
les autres valeurs plus aléatoires. Cette hausse produit, au moins en apparence, une
augmentation de la fortune publique, et chacun se trouvant plus riche, est disposé
à dépenser et à consommer davantage. Il en résulte un accroissement du commerce
et de l'activité industrielle ; mais, comme vous voyez, celle-ci n'est que la consé-
quence des bénéfices produits par la hausse des valeurs, en y ajoutant, bien entendu,
ceux qui résultent du travail lui-même ou d'autres circonstances favorables, comme
de bonnes récolles. Mais comme il faut un certain temps pour que ces résultats se
produisent, on voit que la reprise commerciale ne peut suivre que de loin le moment
indiqué par M. Juglar. Vouloir acheter des marchandises à ce moment-là dans l'idée
qu'elles hausseront, c'est s'exposer à attendre fort longtemps une hausse qui ne
peut venir que beaucoup plus tard, lorsque la consommation se sera développée
plus rapidement que la production ; ce qui n'arrivera qu'à la suite d'une période de
bénéfices suffisamment prolongée. Une hausse factice produite par la spéculation
ne peut être suivie que d'une baisse prochaine, car le consommateur n'ayant pas
encore fait des bénéfices ou des épargnes qui lui permettent de sortir de la voie des
économies, préférera s'abstenir d'acheter plutôt que de payer la hausse; et il en
résultera un ralentissement du travail et des achats qui amènera la baisse.
M. Cl. Juglar n'en disconvient pas, mais il suffît qu'il y ait commencement de
reprise pour que la spéculation en profite et étende les affaires, jusqu'au moment
où, le but étant dépassé, la réaction se produit. En fait, il a démontré que la re-
prise a lieu en ce moment et ce ne sont pas les événements extérieurs qui pourront
l'arrêter. C'est ainsi que la guerre de Crimée, faite à une époque où nos ressources
étaient moindres qu'aujourd'hui, n'a pas empêché le mouvement ascensionnel qui
a été constaté de 1852 à 1857.
11 conclut en disant que tout le talent de l'homme d'affaires est de vendre au
plus haut cours et d'acheter au plus bas.
Cette prescription semble naïve, et cependant c'est généralement tout autrement
qu'on agit, tant est grand l'effet de la peur.
M. Thierry-Mieg, tout en se ralliant à ce que vient de dire M. Juglar, maintient
que le mouvement du commerce est toujours en retard sur celui delà spéculation.
M. Juglar répond qu'en effet la spéculation est l'avant-garde, mais que le gros
de l'armée la suit presque immédiatement.
M. MoNTAux ne croit pas, pour sa part, à la fin de la crise, et ce qui semble le
prouver c'est que la moitié de Paris est à vendre, que la plupart des valeurs, sauf
la rente, sont en baisse, et que les agents de change ne font pas leurs frais. Il ne
lui semble pas que les opérations de la Banque de France soient le seul régulateur
à employer. La Banque tenant à la fois de l'établissement public et de l'établisse-
— 4 _
ment privé, la hausse ou la baisse de son escompte n'est pas un signe suffisant du
mouvement des capitaux. Il y a d'autres établissements presque aussi importants
que la Banque, comme le Comptoir d'escompte, le Crédit lyonnais, etc., etc., dont
l'étude serait aussi intéressante, sinon plus, que celle de la Banque elle-même.
Il conteste également que le mouvement de l'encaisse de la Banque puisse éclai-
rer la question, car on ne peut oublier que cet encaisse contient plus d'un milliard
de valeurs entièrement immobilisées.
Quant à la rente, sa hausse, loin d'être un indice de la reprise des affaires, offri-
rait plutôt un indice tout opposé, puisque c'est dans la rente qu'on se réfugie, quand
on n'a plus de confiance dans les autres valeurs.
M. Cl. JuGLAR reconnaît qu'il y a actuellement une crise agricole et une crise
immobilière. Mais il n'a pas eu à s'en occuper, la communication ne portant que
sur la crise commerciale proprement dite, dont la terminaison ne peut, d'ailleurs,
manquer d'avoir une influence favorable sur les autres crises.
M. Adolphe Coste fait observer que le conseil de M. Juglar (acheter quand les
prix sont bas, vendre quand les prix sont hauts) donne lieu à bien des incertitudes,
parce que l'on manque de signes certains pour discerner les époques de maximum
et de minimum des prix. Le diagramme présenté par M. Juglar lui-même, sur le
mouvement des prix moyens depuis trente ans, se retourne presque contre son
argumentation, puisque le maximum de 1882 n'atteint guère que les minimums
antérieurs; il faut donc se défier des relevés des prix moyens. Les observations
relatives à l'encaisse et au portefeuille des Banques nationales sont beaucoup plus
démonstratives. Néanmoins, M. Cosle demande si, pour des crises aussi générales,
aussi européennes que celle que nous venons de traverser, on peut se fier exacte-
ment aux indications d'un encaisse qui est composé, pour près de moitié, d'écus
d'argent très dépréciés et n'ayant cours que dans l'Union latine. A ne considérer
que l'encaisse-or, nous ne sommes point encore parvenus à un chiffre aussi consi-
dérable qu'en 1877, où il y a eu à la Banque de France 1,556 millions d'or.
N'est-ce point là un fait qui peut rendre hésitant sur les prévisions de la reprise des
affaires ?
M. Levasseur répond, sur ce point, par une comparaison. Il ne nie pas que l'or
ait une importance capitale, mais l'argent ne doit pas être non plus laissé de côté.
Il est comme une sorte de garde nationale qui, en occupant les places fortes et en
fournissant des garnisons intérieures, permet la mobilisation complète de tous les
soldats de l'armée active. L'or se trouve absolument Ubre de faire son office inter-
national par cela seul que l'argent le libère de la plupart de ses fonctions à l'inté-
rieur du pays.
M. GosTE, continuant ses observations, demande à M. Juglar s'il a remarqué dans
le cours de ses intéressantes études que les crises politiques (il ne peut être question
ici que des crises intérieures, non des guerres et des conflits internationaux) aient
eu une influence sensible sur l'évolution des mouvements commerciaux? M. Coste
inclinerait, (juant à lui, à les comparer aux agitations superficielles des vagues de la
mer qui laissent l'eau tranquille dès qu'on pénètre à une assez faible profondeur.
M. Levasseur déclare qu'il considère les crises politiques comme absolument
funestes pour toute reprise des affaires.
M. Coste n'insiste pas sur ce point, mais si les crises politiques sont, dans une
certaine mesure, perturbatrices de la loi si simple et si lumineuse présentée par
M. Juglar, à plus fuile raison les crises agricoles profondes comme celle que nous
traversons doivent-elles contrarier ses conclusions en ce qui concerne les affaires
commerciales. L'observation de M. Thierry-Mieg sur les bénélices de Bourse qui
délermineraient la reprise des achats commerciaux, est juste mais étroite ; elle est
bien plus vraie si on l'applique à l'agriculture, dont les achats forment la véritable
contre-partie du commerce. Est-il donc possible de prévoir une reprise décisive
des afiaires tant que la crise agricole n'aura pas eu son dénouement?
MM. Levasseur et Juglar reconnaissent que la crise agricole doit être prise en
très sérieuse considération. Aussi ne doit-on prévoir en France qu'une reprise des
affaires beaucoup moins complète qu'elle n'eût été sans les souffrances agricoles.
M. le Président croit que le meilleur moyen de résumer cette intéressante dis-
cussion est de citer les dernières phrases du remarquable rapport adressé, le
25 avril dernier, au Ministre du commerce et de l'industrie, par M. Teisserenc de
Bort, l'éminent président de la Commission des valeurs de douane. Sans être aussi
afïirmalif que M. Juglard, M. Teisserenc de Bort croit devoir signaler ainsi qu'il
suit les premiers symptômes d'une reprise impatiemment attendue, qui rendra aux
affaires leur entrain et aux prix leur élasticité normale :
« Devons-nous reconnaîlre ce caractère au surcroît d'activité qui se produit en
ce moment dans le travail de quelques-unes de nos industries? Je le souhaite ardem-
ment, sans oser pourtant l'affirmer. Mais alors même que cette espérance serait
déçue, j'ai du moins la consolation de constater qu'en se prolongeant, la crise aura
inspiré dans notre pays d'utiles réflexions, provoqué des résolutions viriles.
« Tout le monde a trouvé quelque chose à y apprendre.
a Elle a enseigné aux détenteurs du sol que, dans un temps où l'intérêt de l'ar-
gent diminue partout, le loyer de la terre ne peut pas, ne doit pas rester immuable ;
c Aux cultivateurs, qu'à la fin du xix'' siècle, quand la science a révolutionné
toutes les autres branches du travail et jeté sur les lois de la végétation de si vives
lumières, il n'est plus permis à l'industrie rurale de s'attarder dans ses vieilles
pratiques et de ne pas marcher avec les progrès de son temps;
« A l'industriel, qu'il n'y a plus aujourd'hui de grandes affaires d'exportation
sans une forte organisation de comptoirs à l'étranger, sans une étude approfondie
des goûts du consommateur, sans une surveillance incessante des débouchés;
« A l'ouvrier, que sa fortune est étroitement liée à la prospérité des établisse-
ments qui l'emploient, et que, s'il veut des salaires élevés, il doit les justifier par
l'activité et la perfection de son travail;
« Aux gouvernements, qu'ils ne sauraient donner trop d'attention aux questions
d'affaires et trop de développement à l'enseignement professionnel, seul capable
de former pour l'industrie agricole et manufacturière, une génération fortement
armée par la science et le sentiment du beau;
« Aux pouvoirs publics enfin, qu'on ne peut impunément accroître les charges
du contribuable et immobiliser les épargnes du pays, même pour la réalisation des
projets les plus utiles, les plus populaires, les plus impatiemment réclamés.
« Quelques semaines plus tôt, quelques semaines plus tard, la crise actuelle
prendra fin comme toutes celles qui l'ont précédée. Si dures que soient les souf-
frances qui lui ont fait cortège, elle n'aura pas coûté trop cher à notre pays si nous
savons profiter des enseignements qu'elle nous aura donnés. »
— 6 —
Il est procédé au dépouillement du scrutin ouvert au commencement de la
séance pour l'élection du président et de plusieurs autres membres du Bureau et du
Conseil.
Sur les 48 bulletins déposés dans l'urne, chacun des candidats obtient, à une
voix près, l'unanimité des suffrages.
En conséquence, M. je Président proclame élus :
MM.
Président E. Yvernès, chef de division de la statistique judiciaire.
Vice-présidents. . . André Cochut, directeur honoraire du Mont-de-Piété ;
Paul Leroy-Beaulieu (de l'Institut), administrateur de
V Économiste français.
Membres du Conseil . Th. Ducrocq, professeur à l'École de droit de Paris;
Adolphe CosTE, publiciste.
Par suite de ces nominations, le Bureau de la Société se trouve ainsi composé
pour l'année 1887 :
MM.
Président Yvernès.
Vice-présidents . . . E. Tisserand, André Cochut, Paul Leroy-Beaulieu.
Secrétaire général . . Toussaint Loua.
Trésorier-archiviste. Jules Robyns.
Membres d\i Conseil. Emile Boutin, D'" Jacques Bertillon, de Crisenoy,
0. Keller, Th. Ducrocq, Goste.
Secrétaire adjoint. . Armand Liégeard.
Font de droit partie du Conseil, les présidents sortants dont les noms suivent :
MM. Cl. Juglar, E. Levasseur (de l'Institut), D' Vacher, député; Daniel Wilson,
député; E. Cheysson, A. Cochery, Léon Say (de l'Institut), A. de Foville.
Avant de lever la séance, M. le Président fixe ainsi qu'il suit l'ordre du jour de
la réunion du 19 janvier prochain :
Les Tables de survie, par M. E. Levasseur;
Les Classifications, par les cartogrammes à teintes dégradées, par M. Cheysson.
MM. Fouqueronne et Duhamel se sont fait inscrire pour une communication sur
les sociétés coopératives de consommation.
La séance est levée à 1 1 heures un quart.
I
— 7 —
II.
HISTOIRE DE LA DETTE PUBLIQUE EN FRANCE
D'après l'ouvrage de M. A. Vûhrer.
Si nous en exceptons la fin du xviii' siècle et le commencement de la Restaura-
tion, il n'est pas d'époque où l'on ait écrit plus qu'aujourd'hui sur les finances.
Faut-il attribuer l'émulation que nous constatons, au régime de liberté dont nous
jouissons actuellement, ou ne convient-il pas plutôt d'y voir la preuve des inquié-
tudes qu'inspire la politique financière de la démocratie moderne?
Alors qu'il s'agissait de faire face aux dépenses exceptionnelles résultant des
événements de l'année terrible, il surgissait chaque jour une publication nouvelle,
proposant de nouvelles matières à soumettre à l'impôt ; aujourd'hui que la situation
de la Dette publique inspire aux bons esprits une inquiétude réelle, les efforts des
auteurs tendent à placer sous les yeux du public l'histoire de notre Dette et de nos
emprunts. 11 n'y a pas deux ans, M. Gorges, sous-directeur au ministère des
finances, faisait paraître un historique résumé des origines de la Dette publique;
l'année dernière, l'Académie des sciences morales et politiques proposait pour sujet
de concours, l'histoire de la Dette publique; cette année, c'est M. Vûhrer, ancien
fonctionnaire de l'administration des finances et publiciste distingué, qui fait paraître
un traité complet sur la matière.
Il y avait bien longtemps que l'on attendait la publication du livre de M. Vûhrer;
les travaux de l'auteur, la situation particulière qu'il avait occupée au ministère des
finances, faisaient espérer une œuvre sérieuse et complète dans laquelle tous ceux
qui s'intéressent aux origines et aux causes du développement de notre Dette pu-
blique pourraient puiser à leur tour.
On savait que M. Vûhrer avait commencé son travail bien longtemps avant les
incendies criminels des archives du ministère des finances et de la Cour des comptes,
et qu'il lui avait été permis de prendre et de garder copie de documents précieux
et inédits qui allaient enfin voir le jour pour la première fois.
Placé à la source même des documents et pouvant puiser à pleines mains dans
les pièces originales, aujourd'hui disparues à jamais, que contenaient nos archives
financières, M. Vûhrer a pu donner ainsi, non seulement l'historique le plus exact
et le plus complet qui ait jamais été publié sur la Dette publique, mais aussi mettre
à jour tous les procédés do finances employés successivement pour satisfaire, aussi
bien aux exigences des budgets de l'ancien régime et de la Révolution qu'à celles
des budgets du xix* siècle.
Les 900 millions que le Parlement vient d'ajouter au montant de la Dette con-
solidée donnent à l'ouvrage de M. Vûhrer un caractère tout d'actualité et on ne
saurait trop engager tous ceux qui s'intéressent à l'avenir de notre pays à lire avec
attention les deux volumes que vient de faire paraître la librairie Berger-Levraull elC'^
*
* *
Sous une forme à la fois nette et concise, M. Vûhrer nous fait assister d'abord à
la création des premières rentes sur l'Hôtel de Ville qui ont été l'embryon de notre
Dette publique consolidée. L'embryon a grandi et est devenu, hélas I un géant.
— 8 —
Nos 826,241,142 fr. de renies inscrites au budget de 1886 sont loin des
16,666 liv. 13 sols 4 den. de rentes créées ou plutôt imposées par François I".
Mais que d'événements représente la différence de ces deux chiffres !
En parcourant les deux volumes qui composent l'histoire de la Dette publique,
le lecteur assiste en réalité au défilé successif de tous ces événements. C'est qu'en
vérité l'histoire de notre Dette publique n'est pas autre chose que l'histoire même
de la patrie dans laquelle elle vient se refléter comme dans un miroir. Les événe-
ments heureux ou malheureux, les mœurs, les usages exercent en effet leur influence,
non seulement'sur le montant de la Dette, mais aussi sur sa contexture et sur sa
forme. C'est ainsi qu'en nous montrant les premières créations de rentes sous Fran-
çois I'"' et les accroissements successifs qu'y apportèrent ses successeurs, Henri II
et Henri III, M. Vûhrer nous fait, à son insu, assister à la fois aux guerres politiques
et religieuses de la Renaissance et aux dilapidations royales. La guerre dépense, les
mignons dissipent et comme une image, les chiffres de la Dette et sa composition nous
montrent l'accroissement des charges du peuple et les procédés usuraires employés
pour procurer les ressources nécessaires à alimenter les budgets des Valois.
Après le départ de Sully qui, pour un moment, avait remis à flot le Trésorroyal,
les finances sous Louis XllI sont dominées par la politique. Richelieu fait tout plier
sous sa main de fer, mais inhabile en matière de finances et occupé à d'autres soins,
il abandonne leur direction aux mains des traitants.
Après Richelieu, Mazarin, et après Mazarin,Colbert. Sous cette dernière adminis-
tration, les finances se relèvent et, comme sous Sully, la Dette subit d'importantes
réductions; mais bientôt l'esprit de conquête du grand Roi n'a plus de bornes et on
voit alors apparaître les expédients des Chamillard et des Desmarets qui portent le
total de la Dette à plus de 12 milliards de livres en capital.
Les dernières années du grand Roi nous montrent les souffrances du peuple, le
désespoir du paysan que l'impôt accable et les exactions qui frappent les rentiers
en attendant que le successeur de Louis XIV leur fasse tout à fait banqueroute.
Un moment cependant, en 1716, le rentier espéra. L'arrivée de Law aux affaires
avait pour un instant galvanisé les finances; le Trésor royal, depuis si longtemps à
sec, était devenu le refuge de toutes les espèces d'or et d'argent que les billets et
les actions du célèbre financier écossais avaient chassées de la circulation, ce qui
lui avait permis de faire avec régularité le service des arrérages de la Dette.
Rentes perpétuelles, rentes viagères, gages des offices, rescriptions royales, furent
un instant payées à présentation aux guichets du Trésor et à ceux de l'Hôtel de
Ville. Pendant quelques mois, la France entière ne vit plus que Law. L'impulsion
immense que le système donna aux affaires, la prospérité générale qui semblait en
résulter, avaient fait concevoir au génie aventureux de Law l'idée de convertir toute
la Dette pubfique en actions de la Compagnie des Indes.
Cette opération de conversion, colossale pour l'époque, fut ordonnée par édit
royal et aussitôt on offrit aux rentiers en échange de leurs rentes des billets de la
Banque ou des actions sur le Mississipi.
La vogue du système dura peu. Le cours des actions, qui avait été porté à un taux
ridiculement exagéré, nejtarda pas à fléchir sous l'influence des réalisations, et peu
de temps après, les rentiers qui avaient accepté bénévolement la première conver-
sion se virent contraints d'en subir une seconde qui rendit irrémédiable la ruine
qu'avait entraînée l'effondrement des cours.
— 9 —
La liquidation du système se traduisit par une nouvelle banqueroute ; il est vrai
que l'ancien régime en était déjà à ne plus les compter. Le régent mort, Louis XV
lui succède et ce n'est pas sous son règne que les rentiers seront appelés à jouir
en paix de la rémunération légitime due à leurs épargnes. La gestion du cardinal
de Fleury, si honnête et si digne au point de vue politique, débute parla suppression
ou plutôt par la confiscation des rentes au-dessous de 10 fr. ; cela gênait la comp-
tabilité, disait l'édit. Plus tard, ses successeurs vont encore plus loin, notamment
l'abbé Terray qui réduit non seulement les rentes, mais arrête tout à fait le paie-
ment de leurs arrérages.
On se demande, en lisant l'ouvrage de M. Vùhrer, comment à cette époque il
était possible au Trésor royal d'émettre de nouveaux emprunts. Et cependant, à
chaque page de l'histoire, figurent des opérations financières pour des sommes
importantes et pour la plupart desquelles l'État trouvait toujours des preneurs.
Ce n'étaient pas cependant les aveux d'impuissance qui manquaient, jamais le
pays n'avait été aussi complètement averti du mauvais étal des finances et il est cu-
rieux de voir comment, dans les édits de ce temps, le roi osait avouer en termes
précis la pénurie du Trésor et l'obligation à laquelle il était réduit de suspendre les
paiements. Il est vrai qu'en même temps qu'il faisait cet aveu le roi s'engageait de
nouveau à apporter à l'avenir plus d'ordre et de régularité dans les finances; c'était,
disait-il, la nécessité qui l'avait poussé à réduire les rentiers, mais il ne le ferait
plus, sa parole royale et l'amour qu'il portait à ses sujets en étaient les garants.
La parole royale était encore crue. D'ailleurs, en ces temps de gêne, les affaires
allaient peu, le commerce offrait lui aussi aux capitaux des garanties souvent
illusoires et comme il fallait bien que l'épargne se plaçât, elle allait encore de pré-
férence s'employer dans les rentes. Risques pour risques, il valait mieux s'exposer
à subir des réductions que s'engager dans la voie encore plus aléatoire des place-
ments commerciaux. Et puis la principale clientèle du Trésor n'était-elle pas com-
posée des titulaires d'office auxquels on imposait l'obligation de souscrire aux em-
prunts; en outre, les traitants étaient là, âpres au gain, ne perdant jamais foccasion
de s'enrichir au détriment de tous. Au mieux avec les personnages de la haute
finance, les traitants trafiquaient, spéculaient et s'enrichissaient par les avances usu-
raires qu'ils faisaient sur les emprunts. En réalité, les risques qu'ils couraient ne
pouvaient leur être très sensibles, car s'ils souscrivaient aux emprunts royaux, c'é-
tait, en général, avec l'argent du Trésor que l'affermage de l'impôt dont ils étaient
chargés, laissait entre leurs mains.
Le cadre de son ouvrage n'a malheureusement pas permis à l'auteur d'entrer
dans les considérations d'ordre politique qu'il aurait pu aisément déduire des aveux
et des promesses contenus dans la plupart des édils du règne de Louis XV, pro-
messes continuellement démenties et dont la non-exécution servira plus lard de
justification aux revendications des États généraux de 1789. C'est qu'en effet le
pouvoir royal a fini par lasser et pousser à bout la classe qui possède ; pendant
longtemps le peuple seul s'est révolté contre l'excès des charges de fimpôl, à la fin
les rentiers se joignent à lui et comme c'est dans leurs rangs que se recruteront
plus tard les membres du Tiers-État, on les verra demander dans leurs cahiers de
doléances, la mainmise absolue des Étals généraux sur les finances.
En attendant la réunion des États généraux, dont il n'est pas encore question,
Necker, qui arrive aux finances après Turgol, se trouve lui-môme, malgré le cré-
— 10 —
dit personnel dont il jouit, obligé de renoncer aux emprunts en rentes perpétuelles,
et M. Vûhrer nous montre, dans son Histoire de la Dette publique, que c'est sous
l'administration deNecker qu'eut lieu la plus importante création de rentes viagères
qui ait jamais été faite. Ne blâmons pas Necker d'avoir fait ces emprunts, les dé-
penses de la guerre d'Amérique auxquelles il eut à pourvoir sont son excuse, mais
constatons les combinaisons nouvelles qu'il emploie pour ces emprunts viagers.
Aux anciennes rentes viagères créées sans distinction d'âge, vont succéder des
combinaisons de mortalité semblables à celles que pratiquent aujourd'hui nos com-
pagnies d'assurances. Les tontines, imaginées par l'Italien Tonti, et appliquées en
France par Fouquet, ne trouvent plus de clients depuis que l'abbé Terray a mis la
main sur leurs fonds, les rescriptions du Trésor ne trouvent plus d'escompteurs
pour la même raison ; quant aux créations d'offices, Necker n'y songe pas un ins-
tant, les abus avaient été si criants, qu'il ne pouvait être question que de réduire le
nombre de leurs titulaires : il restait bien d'anciens emprunts ouverts, mais per-
sonne n'y venait apporter ses fonds, leur seule clientèle se composait des fournis-
seurs et des courtisans auxquels on donnait des rentes, aux premiers pour les rem-
bourser de leurs fournitures, aux seconds pour les récompenser de leurs services.
Mais il fallait à Necker de l'argent, aussi bien pour la guerre que pour combler les
déficits laissés par ses prédécesseurs. De là les emprunts viagers de la période ; de
là, les combinaisons de mortalité calculées sur une, deux, trois, sept, douze et
vingt têtes; têtes choisies par les prêteurs et sur lesquelles ils veillaient avec la
sollicitude d'une mère.
Après Necker, Joly de Fleury, puis Galonné qui provoqua la première assemblée
des notables (1787). Le déficit avoué s'élevait alors à plus de 125 millions, sans
compter 280 millions d'anticipations et d'autres charges. Brienne, le successeur de
Galonné, avoua 14-0 millions de déficit. « Si quelqu'un », disait Target, « trouvait
« une mine d'or, il faudrait l'étouffer. Nous tenons aujourd'hui le Roi dans noire
« puissance, il y passera de toute l'étendue de la filière, s»
Laissons de côté les renies créées par le cardinal Lomenie de Brienne, auquel le
Parlement refusa la « subvention territoriale d'égahté » qui pouvait sauver la
royauté si la noblesse et le clergé avaient mis moins d'obstination à la repousser
et passons à la période révolutionnaire dont la tenue des Etats, en 1789, est le
préambule. Là encore et dès le début, nous trouvons l'emprunt, mais cela vaut-il
la peine d'en parler? Bien que Louis XVI et l'Assemblée nationale eussent déclaré
que la Dette publique était placée sous la sauvegarde et l'honneur de la nation
française, l'État ne réussit pas à faire un emprunt de 30 millions. La confiance avait
tout à fait disparu, la royauté avait tant de fois violé les engagements les plus for-
mels que personne n'y croyait plus. On voulait bien prêter encore, mais on voulait
un gage matériel. D'autre part, la lutte entre la royauté et l'Assemblée nationale
n'était pas encore assez engagée pour qu'on pût croire alors à la victoire des
représentants de la nation et pour que leur assentiment fût considéré comme une
garantie et un gage suffisants ; on conçut donc l'idée de mobiliser la propriété
nationale sous la forme d'assignats. Il en fut émis pour plus de 45 milliards ! !
sans compter les 2,400 millions de mandats territoriaux qui leur succédèrent et
les bons de toute nature émis par la Gonvention et le Directoire pour payer de
temps à autre aux malheureux rentiers, réduits à la mendicité, un semestre d'ar-
rérages.
— H —
L'assignat ou la raort, telle est la devise financière de la Convention, et son uni-
que moyen de crédit. Les dons patriotiques, les emprunts forcés sur les riches ou
sur les aisés ainsi que nous le montre M. Vûhrer, n'apportent au Trésor, pendant
celte période tourmentée de notre histoire, que des ressources dérisoires, et ce n'é-
tait pas la réduction des deux tiers ordonnée par la loi du 30 septembre 1797 qui
pouvait faciliter la liquidation financière tentée par le Directoire. Cambon, le finan-
cier de la Gonvenlion, avait bien créé le Grand-Livre et unifié par confusion la
Dette publique sous une seule rubrique, celle du 5 p. 100, mais les rentiers auraient
préféré sans doute recevoir exactement les arrérages dont ils étaient depuis long-
temps privés.
L'œuvre de Cambon eut néanmoins pour résultat de donner un corps à la Dette
publique. A la place des rentes perpétuelles, temporaires ou viagères de l'ancien
régime, à la place des assignations royales et des bons de toute nature émis par
l'Assemblée législative et la Convention, les créanciers du Trésor furent mis en
possession d'un titre uniforme qui est devenu depuis ce temps la base principale de
la Dette publique.
L'idée d'unifier la Dette était excellente, mais n'est-il pas étrange de voir cette
unification proposée et votée par la Convention au moment où le discrédit des
finances était presque à son apogée. A quoi pouvait servir à cette époque de con-
fondre toutes les dettes, puisque l'on n'en payait aucune et que les malheureux
créanciers de l'État étaient, comme nous l'avons dit, réduits pour la plupart à la
mendicité? La mesure, quoi qu'on en ait dit, ne contribua en aucune façon à accroî-
tre le crédit de la Convention et, malgré l'unification opérée, le Directoire pro-
nonça la banqueroute en décidant, par la loi du 30 septembre 1797, que toutes
les rentes créées par Cambon seraient réduites des deux tiers et que le tiers restant
serait appelé, pour affirmer sa solidité, le tiers consolidé.
Il fallait l'arrivée du Consulat pour ramener la confiance, aussi vit-on dès le len-
demain du 18 brumaire le cours de la rente, qui était avilie depuis si longtemps,
monter tout à coup de 120 p. 100.
C'est au gouvernement consulaire, c'est aux mesures sages prises par le premier
Consul, que les rentiers durent de voir cesser leur long martyrologe. Le crédit de
la France n'était pas encore fondé, mais la confiance était rétablie ; la Dette publique,
à partir de ce jour, n'aura plus à connaître, ni les suspensions d'arrérages, ni les
réductions forcées. Si quelquefois la Dette diminue d'importance, c'est par l'effet
de rachats hbrement consentis par les porteurs de rentes et non plus par le fait du
prince.
Un instant cependant, les créanciers de l'État furent de nouveau menacés de
revoir les mauvais jours d'autrefois. C'était en 1814 et en 1815, au moment où il
s'agissait de payer les indemnités de guerre stipulées par le vainqueur et les dettes
laissées par l'Empire.
Le parti royaliste dans son exil n'avait rien appris, disait-on, ni rien oublié ; il se
rappela, en effet, les réductions et les confiscations de l'ancien régime et de la
Révolution, et à son tour, il eut un instant l'idée de méconnaître les dettes que
l'Empire n'avait pas encore liquidées. Il faut lire les discussions qui s'élevèrent à ce
sujet au sein des premières Assemblées de la Restauration, pour avoir un aperçu
des violences et des haines qu'avait fait naître le changement de régime.
Les finances de la France eurent alors le bonheur d'avoir à leur tôle un ministre
— 12 —
inlégre et courageux. Aux propositions qui avaient été faites de répudier partie des
dettes de l'Empire et de procéder à un tri général des créances, le baron Louis
répondit qu'il importait au crédit de la France de reconnaître toutes ses dettes,
quelle qu'en fût l'origine et il déclara ne pas vouloir garder le portefeuille des
finances s'il en était autrement.
Les sages conseils du baron Louis l'emportèrent heureusement, mais ce ne fut
pas sans peine et sans provoquer d'amères récriminations dont se ressentirent les
divers moyens de crédit employés pour faire face au déficit que laissait le premier
Empire, et aux 700 millions d'indemnité à payer aux gouvernements alliés.
M. Vûhrer nous montre, dans son Histoire de la Dette publique, tous ces procé-
dés de crédit parmi lesquels on voit paraître des annuités à court terme, semblables
à celles créées en 1758 et à celles qui, de nos jours, ont servi à doter le compte
de liquidation et partie des grands travaux publics de la troisième République.
Aux renies perpétuelles négociées, qui vinrent accroître le total de la Dette,
s'ajoutèrent les rentes remises directement aux intéressés. Le total en est de
1,576, 159, 340 fr. de capital représentés par :
1» 35,622,768 fr. de rentes (lois des 21 décembre 1814, 28 avril 1816);
2° 4-3,185,199 fr. (lois des 23 décembre 1815, 6 mai 1818).
Ces rentes étaient destinées à couvrir tant les déficits des dernières années de
l'Empire qu'à liquider les arriérés et les charges des contributions de guerre. Plus
tard, la Dette s'accroîtra encore pour payer le milliard promis aux émigrés, mais
les 2,599,310 fr. de rentes 3 p. 100 créées à cet effet (loi du 27 avril 1825)
clôtureront du moins le passé et consolideront dans les mains de leurs possesseurs
les biens nationaux qui leur avaient été vendus pendant la Révolution et dont le
parti ultraroyaliste leur contestait (jusqu'à ce moment) la propriété.
L'Histoire de la Dette publique nous montre jusqu'ici, quels que soient le régime
et la politique qui aient gouverné la France, les créations de rentes affectées pour
la presque totalité aux dépenses de la guerre; à partir de la Restauration, une
fois l'arriéré de l'Empire liquidé et l'indemnité de guerre réglée, elle nous mon-
trera à côté des dettes créées pour la guerre , des dettes créées pour les travaux
de la paix. Le développement industriel et commercial va prendre son essor, et
si la Dette s'accroît, les motifs en sont louables. Les canaux de la Restauration, les
chemins de fer créés par le gouvernement issu de la révolution de 1830 seront la
justification des augmentations que M. Vûhrer constate au grand-livre de la Dette
publique.
Il était réservé au second Empire, qui avait pris pour devise : VEmpire c'est la
paix, d'ouvrir de nouveau le Grand-Livre aux emprunts de guerre. Rien que pour
son compte, M. Vûhrer nous donne un total de 160,203,038 fr. de rentes, sans comp-
ter les dépenses de la guerre allemande dont le poids est retombé presque totalement
sur la troisième République. Nous n'avons pas à juger les actes du gouvernement
impérial, prenons note toutefois que, sous le règne de Napoléon in,la Dette publique
s'est accrue, rien que pour ce qui concerne les rentes perpétuelles, d'un capital de
prés de 7 milliards, soit 189 fr. par tête d'habitant.
Celte répartition par tête aurait peu de signification, si nous l'appliquions aux
régimes divers qui ont précédé la deuxième République et le second Empire. A ces
époques, la rente était encore concentrée dans un petit nombre de mains, mais les
consolidations des livrets des caisses d'épargne opérées en 1848, et le mode de
— 13 —
souscription publique inauguré pour les emprunts impériaux, ont eu pour résultat
de démocratiser la rente. Aujourd'hui, le titre de rente a pénétré partout, et il
n'est pas de hameau en France où il n'ait pris place dans la composition de
l'épargne.
Aux capitalistes qui, seuls, souscrivaient les emprunts, a succédé la petite épargne ;
de là, la démocratisation de la rente que l'on constate, mais que personne mal-
heureusement n'a encore essayé de chiffrer. Rien n'eût été plus curieux cependant
que d'apprendre comment se répartit le capital de 23,728,096,228 fr. qui constitue
actuellement notre Dette publique; aussi aurions-nous aimé trouver dans le travail
que nous essayons d'analyser des tableaux graphiques d'ensemble et de détail nous
donnant, année par année, l'accroissement et la diminution de la Dette, ainsi que le
montant par département du mouvement des inscriptions de rentes.
On aurait eu, à côté des motifs justifiant ou expliquant les accroissements et les
décroissements, un tableau nous donnant aussi les raisons qui modifient annuelle-
ment la répartition d'une des plus fortes parties de la richesse nationale. C'est
ainsi que l'on aurait pu voir certains départements, comme l'Aude, le Gard et l'Hé-
rault qui, au temps où florissaient leurs vignobles, tenaient la tête de la liste des
rentes, perdre leur rang au fureta mesure des progrès de l'invasion du phylloxéra.
Au point de vue statistique, le même mouvement aurait été intéressant à suivre
pour les départements agricoles ou manufacturiers. Si le département de l'Hérault
vend des rentes, il est certain qu'un autre département prend sa place, et il eût été
curieux de savoir si cette place s'est trouvée prise par un département manufactu-
rier ou agricole. Si l'on considère les plaintes que l'agriculture élève depuis quel-
ques années, nous devrions constater aujourd'hui une diminution importante dans
le stock des rentes inscrites au nom des départements agricoles.
Malheureusement, ces éléments d'étude nous manquent pour le passé; quant au
temps présent, le dépouillement des grands-livres départementaux aurait sans doute
permis de dresser une situation exacte de la richesse départementale placée en
renies sur l'Etat, mais depuis la conversion du 5 p. 100, il n'existe plus de rente
départementale proprement dite que dans le fonds de 3 p. 100.
Ce que nous pouvons faire aujourd'hui, c'est de joindre à cette étude un tableau
résumant par période la situation de la Dette publique consolidée tant en renies
(ju'cn capital, auquel nous ajoutons un graphique donnant l'ensemble de la Délie
publique viagère, amortissable et perpétuelle depuis le commencement du siècle.
L. FOYOT.
Tadleau.
u
Situation de la Dette consolidée française.
Rentes inscrites au Grand-Livre aux époques ci-après.
Rentes.
DATES.
23 sept. 1800. .
1" janv. 1815.
1" août 1830 .
24fév. 1848. .
1 <• janv. 1852.
l<r janv. 1871.
1" janv. 1886.
5 p. 100.
35,678,113
63,605,278
163,762,368
146,149,591
182,318,194
4 Vj p. 100
ancien.
1,027,696
1,026,600
895,302
37,447,732
37,433,232
4 Vj P- 100
nouveau.
805,426,874
4 p. 100.
3,125,210
26,507,375
2,371,911
446,096
446,096
3 p. 100.
31,501,934
70,003,640
53,719,120
348,328,515
363,038,351
3 p. 100
amortissable.
119,896,560
TOTAUX.
35,678,113
63,605,278
199,417,208
244,287,206
239,304,527
386,222,343
826,241,113
23 sept. 1800. .
!'=<■ janv. 1815.
1" août 1830 .
24 fév. 1848. .
ler janv. 1852.
l^r janv. 1871.
1" janv. 1886.
713,562,260
1,272,105,560
3,275,247,360
2,992,991,820
3,646,363,880
22,837,688
22,813,333
19,895,603
832,171,822
831,849,600
Capital nominal.
78,130,250
662,684,375
59,297,775
11,512,400
6,787,263,862 11,152,400
1,050,064,366
2,333,4.54,666
1,790,637,333
11,610,950,500
12,101,278,366
3,996,552,000
713,562,560
1,272,105,560
4,420,279,664
5,942,944,194
5,516,194,588
12,464,274,722
23,728,096,228
Mouvement général de la Dette par période.
PERIODES.
23 sept. 1800
1800-1815 .
1815-1830 .
1830-1848 .
1848-1852 .
1852^1871 .
1871-1886 .
Rentes. Augmentation. Diminution
35,678,113
63,605,278
199,417,208
244,287,206
239,304,527
386,222,343
826,241,113
27,927,165
135,811,930
41,869,998
146,917,816
440,018,770
4,982,679
CAPITAL NOMINAL.
Capital nominal. Augmentation. Diminution
713,562,260
1,272,105,500
4,426,279,664
5,941,914,194
5,516,194,588
12,454,274,722
23,728,096,228
558,543,500
3,154,174,104
1,515,664,530
6,938,080,134
11,273,821,506
425,749,606
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1350
1300
1250
1200
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DETTE PUBLIQUE (Intérêts de la).
Pour former ce tableau, on a additionné les éléments suivants :
/ de la dette consolidée ;
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in.
LES ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS EN FRANCE.
Observations préliminaires. — On a souvent signalé comme une des
causes du dépeuplement des campagnes, l'insuffisance des moyens d'assistance.
Dans les villes, les secours se présentent sous toutes les formes : hospices pour les
vieillards, hôpitaux pour les malades, bureaux de bienfaisance, œuvres de toute
sorte pour les secours à domicile. Ce n'est pas à dire qu'à la campagne les indigents
soient totalement abandonnés : bon nombre de communes rurales possèdent, elles
aussi, des bureaux de bienfaisance; un service de médecine gratuite fonctionne
dans la moitié des départements; les hospices des villes reçoivent les malades des
campagnes; enfin la charité privée ne reste pas inaclive, là surtout où, l'assistance
officielle n'étant pas organisée, le fardeau des misères retombe entièrement sur
elle. Mais tout cela ne suffît pas, il s'en faut de beaucoup, et si l'on y regarde de
près, on ne tarde pas à reconnaître qu'il existe çà et là d'énormes lacunes, des ré-
gions où les secours manquent totalement et qui font tache à côté d'autres assez
bien pourvues.
En premier lieu, dans -43 départements il n'existe pour les campagnes aucune
organisation de secours médicaux pour les indigents, et dans les autres le fonction-
nement du service laisse souvent à désirer.
Quant aux bureaux de bienfaisance et aux établissements hospitaliers, ils sont
très inégalement répartis sur la surface du territoire. Il existait 14,287 bureaux de
bienfaisance en 1882, et tandis qu'on en comptait, par exemple, 406 dans l'Aisne,
407 dans le Calvados, 4H dans Seine-el-Oise, 640 dans le Nord, on en trouvait
seulement 4 dans l'Allier, 32 dans la Creuse, 38 dans le Finistère, 32 dans la Haute-
Vienne, 15 dans les Pyrénées-Orientales, 6 dans la Corse.
Même situation pour les hospices (1) : l'Hérault, les Bouches-du-Rhône, l'Aisne en
ont 30; Maine-et-Loire, le Var en ont 40; Vaucluse en a 60 et le Nord, 80; tandis
que l'Aude, la Creuse, la Haute-Saône, la Haute-Vienne, n'en ont que 9; le Tarn en
a 8, les Hautes-Pyrénées, 4; la Corse et les Hautes-Alpes sont réduits à 3.
Les hôpitaux peuvent recevoir les malades des communes rurales et nous verrons
que la place ne manque pas dans la plupart d'entre eux; mais il faut payer, et les
communes ne sont pas toujours en état de le faire, ou n'y songent pas. Enfin, la
charité privée ne saurait s'exercer partout : combien de localités où, à plusieurs
lieues à la ronde, il ne se rencontre que des gens vivant au jour le jour de leur
travail. On se vient encore en aide les uns les autres, mais l'aide est si peu de chose
qu'elle ne sert qu'à prolonger de quelques mois, de quelques semaines, la misère.
Le problème de l'assistance ne saurait être complètement résolu; il est malheu-
reusement incontestable que le développement des moyens de secours développe
aussi les besoins et engendre les besogneux. Toutefois, de ce qu'on ne saurait
atteindre le bien absolu, ce n'est pas un motif pour ne pas y tendre, et pour se
(1) Les hospices sont, à proprement parler, les établissements recevant les vieillards et les incurables,
par opposition aux hôpitaux affectés aux malades; toutefois, le mot hospices est usité aussi pour désigner
d'une manière générale les établissements hospitaliers, quel qu'en soit le caractère.
— 16 —
croiser les bras sans venir en aide aux gens qui meurent de faim et de misère sous
nos yeux. 11 y a beaucoup à faire, au contraire, rien qu'en utilisant les éléments
qu'on a sous la main, et les bonnes volontés qui restent stériles faute d'emploi;
malheureusement, depuis longtemps les préoccupations politiques détournent l'at-
tention de toutes les grandes questions administratives et notamment des questions
d'assistance.
En poursuivant sur ce sujet des études commencées depuis longtemps, nous
avons été amené à rechercher les services que rendent et que pourraient rendre
aux populations rurales les hospices existant actuellement, et comment, dans quelles
conditions, on pourrait en augmenter le nombre. L'hospitalisation n'est à la vérité
qu'un élément du problème, mais il en est l'élément fondamental, non seulement
en raison des services qu'il rend directement, mais encore, ainsi qu'on en trouvera
un exemple dans la suite de celte étude, comme pouvant servir de centres à d'au-
tres services d'assistance et d'hygiène qui viendraient se grouper successivement
autour d'eux.
Considérations statistiques. — Notre premier soin a été de nous rendre
compte de la situation actuelle en compulsant les documents statistiques, lesquels
se bornent au mémoire publié en 1869 par le ministère de l'intérieur et se rappor-
tant à l'année 1864 — il s'est écoulé depuis près d'un quart de siècle — et les six
derniers états annuels de la Statistique de la France.
Ce qui frappe tout d'abord dans la situation que présentent ces documents, c'est
la grande proportion des lits inoccupés dans les établissements hospitaliers. A la
date du 31 décembre 1882, c'est-à-dire à l'époque de l'année où la rigueur de la
saison occasionne le plus grand nombre de maladies, il restait vacant plus d'un tiers
des Uts (37 p. 100), si l'on ne tient pas compte des hospices de la Seine et du Rhône
qui sont toujours pleins. 11 en résulte non seulement l'inutilisation de tous ces lits,
alors qu'assurément les malades ne manquaient pas pour les occuper, mais aussi
l'accroissement des prix de journée par suite de la répartition des frais généraux
sur un plus petit nombre de journées; et comme conséquence, l'augmenlalion delà
dépense à la charge des communes désireuses de faire soigner leurs malades dans
ces établissements.
Ce chiffre de 37 p. 100 n'est qu'une moyenne indiquant la situation dans son en-
semble ; il convient d'en considérer séparément les principaux éléments.
Dans les établissements hospitaliers, les lits ont des destinations diverses; les uns
sont affectés aux malades, d'autres aux vieillards et aux incurables, d'autres encore
aux enfants recueillis soit dans les orphelinats annexés aux hospices, soit dans les
hospices dépositaires désignés pour le service départemental des enfants assistés.
Les lits affectés aux enfants appartenant à ces deux catégories sont presque conti-
nuellement occupés et représentent des services spéciaux dont nous n'avons pas à
parler ici.
La Situation des établissements hospitaliers, publiée en 1869, ne donne pas,
comme le fait la Statistique de la France, la répartition des lits en lits d'hôpitaux ou
de malades, et Uts d'hospices ou d'incurables. Les auteurs du premier de ces docu-
ments ont jugé que dans les petits établissements les lits étaient occupés sans dis-
tinction de catégories, selon les besoins du moment, par des malades ou par des
incurables. Malgré le caractère officiel de cette publication et l'autorité qui s'y atta-
— 17 —
che, nous ne saurions accepter cette affirmation d'une manière absolue. Ce qui est
vrai, c'est que si, à un moment donné, les malades se présentent en grand nombre,
en cas d'épidémie, par exemple, on leur consacre un certain nombre de lils d'incu-
rables dont, au besoin, on évacue momentanément les occupants, et réciproque-
ment, nous avons même trouvé la trace de faits de cette nature dans les documents
statistiques, mais ils sont exceptionnels et temporaires. Dans les plus petits établis-
sements hospitaliers, les lits ont une destination parfaitement définie, et c'est cette
destination qu'il convient d'enregistrer, l'emploi des lits au 31 décembre et l'indi-
cation du nombre des journées de chaque catégorie venant ensuite faire connaître
quelle en a été dans le courant de l'année l'affectation réelle.
Nous nous occuperons d'abord des lits de vieillards et d'incurables que, pour
plus de simplicité, nous désignerons sous le nom de <? lits d'incurables ».
Lits d'incnrables. — Un mot d'abord sur le nombre des lits, comparé au chiflre
de la population. Le nombre des lits d'incurables était, au 31 décembre 1882, de
54,839, représentant par rapport à la population totale de la France une propor-
tion moyenne de 15 lits pour 10,000 habitants. Ils sont répartis entre les départe-
ments dans des proportions très différentes, variant entre 38.6 pour 10,000 habitants,
chiffre de l'a Seine, et 1 p. 10,000, chiffre de la Corse.
19 départements possèdent moins de 5 lits d'incurables pour 10,000 habitants:
23 en possèdent de 5 à 10
30 — de 10 à 15
14 — de 15 à 20
• H — de 20 et au-dessus.
Voici les chiffres par catégories :
ire CATÉeORIE.
20 lits et au-dessus.
2e CATÉGORIE
De 15 à 20 li
s.
Se CATiGOniE.
De 10 à 15 lits.
4' CATÉGORIB.
De 5 à 10 iils.
5e CAT<GORII.
Moins de 5 lit».
Calvados. . . .
Ille-et-Vilaine .
24.0
20.0
33.0
Basses-Alpes. .
Ardennes . . .
B.-duKhôiie. .
Euro-et-Loir . .
Hérault . . . .
Isère
Loire
Haute-Loire . .
Manche . . . .
Meurthe-et-MlK-.
Oise
Pas-de-Calais. .
Rhône
Seine-et-Marne.
ICO
15.0
17.0
16.0
16.0
17.0
17.0
17.0
16.4
17.4
16..5
15.8
17.0
J5.7
Aube
12.0
13.0
Aisne
Allier
Hautes-Alpes . .
Alpes-Maritimes.
Ardèche ....
Aveyron ....
Cantal
Charente ....
Chareiite-Infér. .
Côte-d'Or. . . .
Côtos-du-Nord. .
Doubs
8.3
9.0
7.3
7.5
6.0
8.3
9.0
7.0
y.o
6.3
8.2
5.3
9.5
Ain .
Ariège
Cher .
4.5
4
Finistère. . . .
Gard
Gers
ludre-et-Loire .
Loir-et-Cher . .
Loire-Inférre. .
Lot
Lozère
Meuse
Morbihan . . .
Orne
Puy-de-Dôme. .
Sarthe
Savoie
Seine-etOise. .
Tarn-et-Garon«.
Var
Vienne
10.0
13.0
13.0
11.0
10.0
12.5
11.3
11.3
13.9
10.0
10.2
12.5
10.5
13.3
12.0
14.0
13.6
12.8
4 n
Maine-et-Loire.
Marne
Mayenne. . . .
Nord
24.0
20.4
21.7
ae.o
38.6
23.0
21..5
28.0
Corrèze
Corse
3 6
1.0
2.2
Dordogne. . . .
Drôme
3.2
2.4
Seine-Infér". .
Haute-Garonne .
Jura
3.7
3.1
2.0
Haute-Marne . .
Nièvre
Basses-Pyrénées
Haut-Rhin . . .
Haute-Saône . .
Haute-Savoie . .
1.9
S 6
Gironde ....
Indre
Lot-et-Garonne .
H" «-Pyrénées . .
Pyronées-Orient.
Saôue-et-Loiro .
Deux-Sèvres . .
Tarn
Haute-Vienne. .
Vosges
8.0
5.2
7.0
6.5
5.0
7.1
7.7
9.0
6.0
8.0
4.5
4.0
3.0
3.1
4.2
Yonne
4.6
Tous les établissements hospitaliers, à l'exception d'une cinquantaine, fondés par
les communes elles-mêmes et d'un petit nombre fondés par les rois de France,
ayant été ci-éés au moyen de libéralités privées, il semblerait qu'ils devraient être
d'autant plus nombreux ijue les pays sont plus riches ; on reconnaît cependant par
— 18 —
le tableau qui précède que cette loi présente de très nombreuses exceptions. C'est
ainsi qu'on voit figurer la Haute-Garonne, la Dordogne, les Basses-Pyréi)ées, dans
la dernière catégorie, l'Ai^^ne, l'Allier, la Charente, la Charente-Inférieure, la Côle-
d'Or, TEuie, la Gironde, la Haute- Vienne, dans la quatrième, tandis que les Basses-
Alpes, les Ardennes, la Haute-Loire, apparaissent dans la seconde; la Mayenne et
Vaucluse dans la première.
Les hospices ne sont pas les seuls établissements qui reçoivent les incurables.
Ceux-ci occupent en outre la majeure partie des lits des dépôts de mendicité, éta-
blissements départementaux qui sont en même temps de véritables asiles. II en
existe dans 35 départements ; ceux de la Marne et de l'Isère sont de création toute
récente, et l'on commence à reconnaître que les asiles départementaux d'incurables
forment le complément indispensable de tout service d'assistance, les asiles com-
munaux ne recevant pas certaines catégories d'infirmes qu'on ne peut cependant
sans inconvénients laisser dans leurs familles ou errer à l'abandon.
Sur les 54-,8.'39 lils d'incurables existant en 1882, 48,837, soit 90 p. 100, étaient
occupés au 31 décembre. Il est à remarquer qu'ici répo([ue de l'année n'a pas d'in-
fluence, puisqu'il s'agit presque toujours de pensionnaires à vie. Dans 21 départe-
ments, tous les lils de celte catégorie étaient occupés et même au delà, soit
que des lits de malades aient été temporairement aflectés à des incurables, soit
plutôi que certains hospices aient compté dans cette catégorie les pensionnaires d'un
orphelinat annexe.
Par contre, plus du quart des lits étaient vacants dans 28 départements, et la
moitié dans six d'entre eux, qui sont les Basses-Alpes, l'Aube, l'Aude, la Corse, le
Loiret et Vaucluse. Dans le Morbihan, 447 lits sur 5.12, c'esl-à-dire plus des 4/5,
n'étaient i-as occupés, et en 1881 la proportion était plus considérable encore; elle
atteignait 9/10 dans ce déparlement.
Lits de malades. — Le nombre des lits de malades était, au 31 décembre
1882, de 72,025, représentant, par rapport à la population, une proportion
moyenne de 19 lits pour 10,000 habilanls, 4 de plus seulement que le nombre des
lits d'incurables. On s'éloime que celte différence ne soit pas plus considérable. Les
proportions les plus élevées se rencontrent dans Tarn-et-Garonne, 34.7 ; la Loire-
Inférieure, 35.6; la Seine, 37 ; Vaucluse, 42; le Rhône, 45.7; l'Hérault, 51.
La Seine, qui occupe le premier rang pour les lils d'incurables, ne vient ici qu'au
quatrième rang, dislançant de fort peu Tarn-et-Garonne et la Loire-Inférieure.
Les proportions les plus faibles se rencontrent dans la Vendée, 8.2 pour 10,000
habitants; dans la Corse, 6.2; la Haute-Marne, 6; la Creuse, 5.3.
6 départements seulement possèdent moins de 10 lits de malades pour 10,000
habitants :
38 en possèdent de 10 à 15
17 — de 15 à 20
26 _ — 20 et au-dessus.
Voici, comme pour les lits d'incurables, les chiffres par catégories :
Tableau.
— 19 —
X" 1.
N» -2.
N» 3.
N" i.
20 lits et au-ilessus
De 15 à 20 lit.s.
Dtf 10 k 15 lits.
Moins de 10 liis.
Aisne
23.0
Ain
17.0
Hautes-Alpes . . . .
10.0
Ardenaes
9.0
Allier
22.4
24.5
Aule
Calvados
19.0
15.0
Ardèche
Ariège
10.0
12. 6
Chor
8 6
Basses-Alpes ....
Corrèze
9.4
AIpes-.Mariiiuics. . .
25.3
Eure
17.0
Aube
11.6
Corse
6.2
Bouches-du-Rhôue. .
31. i
G.^rd
16
Aveyron
10.0
Creuse
5.3
Doubs
23.0
Gers
15.2
Cantal
13.0
Haute-Marue
6.0
Drôme
24.4
Ille-et-Vilaiue. . . .
18.0
Charente
13.0
Vendée
8.2
Eure-et-Loir ....
20.0
Isère
15.0
Charente-Inférieure .
10.3
Hérault
51.0
Loire
15.0
Côtod'Or
14.3
Indre-et-Loire. . . .
21.7
Mayenne
18.3
Côtos-du-Nord. . . .
10.0
Loir-et-Cher ....
21.0
Meuse
15.5
Dordogne
12.0
Loire-Inférieure. . .
35.6
Morbihan
18.0
Finistère
10.4
Loiret
20.6
Saône-et-Loire . . .
15.0
Haute-Garonne . . .
11.3
Maine-et-Loire . . .
21.3
Seme-i^-Oise . . . .
18.0
Gironde
14.2
Mancbe
20.3
Deux-Sèvres . . . .
16.0
ludre
13.0
M*me
21.5
Ha«ie-Vienue. . . .
18.7
Jura
13.0
Meurthe-et-Moselle ,
23.0
Yonne
15,2
Landes
11.0
Rhône
45.7
Haute-Loire . . . .
10.0
Seine
37.0
Lot
12.3
Seine Inférieure . .
28.0
Lot-et-Garonne . . .
13.0
Seiue-et-Marne . . .
23.0
Lozère
13.0
Somme
20.0
Nièvre
14.0
Tarn-et-Garonae . .
34.7
Nord
13.3
Var
23.8
42.0
Oise
Orne
11.0
12.0
Vaucluso
Vienne
20.3
Pas-de-Calais . . . .
l'uy-de-Dôme. . . ,
Basses-Pyrénées . .
Hautes-Pyrénées . .
Pyrénées-Orientale.s.
Haut-Rhin
Haute-Saône . . . .
Sarthe
Savoie
Haute-Savoie . . . .
Tarn
Vosges
14.0
13.7
l4.0
14.7
13.0
11.3
10.0
14.6
12.8
12.0
11.4
12.7
Dans la plupart des départements, les lits de malades sont de beaucoup plus
nombreux que les lits d'incurables. Le fait contraire se produit cependant dans les
16 départements suivants, et pour quelques-uns d'entre eux, les Ardennes, le Cal-
vados, la Haute-Loire, le Loiret, le Nord, l'Oise, la différence ne laisse pas que
d'être importante; on relève pour ces 16 départements les chiffres suivants :
Ardennes . . .
Aube
Calvados . . .
Il le-et- Vilaine .
Isère
Loire
Haute-Loire . .
Loiret . . . .
Maine-et-Loire,
Mayenne . . .
Nord
Oise
Pa.^-de-Calais. .
Savoie . . . .
Seine
Somme . . . .
d'incurables.
de niaUdes
496
292
317
295
1,060
670
1,220
1,127
996
884
1,017
892
541
310
1,235
760
1,278
1,115
746
631
5,004
2,137
667
439
1,298
1,137
355
341
10,961
10,375
1,183
1,104
Dans l'Aveyron, la Charente-Inférieure, le Lot, la Lozère, le Puy-de-Dôme, le
Kinislère, on ne constate qu'une très faible différence an profil des lits de malades.
Sur les 72,025 lits de cette catégorie existant en 1882, 48,874, soit les 2/3 seule-
ment, se trouvaient occupés au 31 décembre. La proportion était de moins de
— 20 —
moitié dans 27 déparlements et de moins de 1/3 dans 5. Ces 27 départements sont :
l'Allier, les Basses-Alpes, l'Ariège, le Cher, la Drôme, le Finistère, le Gard, le Gers,
lUe-el-Vilaine, la Loire-Inférieure, le Lot, Lot-et-Garonne, la Lozère, la Manche,
le Morbihan, la Nièvre, l'Oise, les Hautes-Pyrénées, les Pyrénées-Orientales, la Savoie,
la Haute-Savoie, la Somme, le Var, Vaucluse, la Vendée, la Haute- Vienne, l'Yonne.
Les vacances atteignent 67 p. 100 dans le Gers, 69 dans les Basses-Alpes, 71
dans les Hautes-Pyrénées, 73 dans le Var, 78 dans la Vienne.
Dans les 14 départements suivants, les vacances ne s'élèvent pas à 20 p. 100:
Ain, Aube, Aveyron, Calvados, Charente, Dordogne, Eure-et-Loir, Jura, Marne,
Meurthe-et-Moselle, Haute-Saône, Saône-et-Loire, Sarthe et Seine.
Les vacances ne dépassent pas 10 p. 100 dans la Sarthe, 9 p. 100 dans la Dor-
dogne et Eure-et-Loir, 6 p. 100 dans la Seine.
Lorsqu'il s'agit de lits de malades, l'époque de l'année oîi se fait le relevé a une
grande influence sur les chiffres obtenus, et le mois de décembre est, à part les
circonstances accidentelles d'épidémies, le moment où les hôpitaux sont le plus
remplis. Pour connaître le quantum véritable d'utilisation des hôpitaux, ce sont
donc les journées de malades qu'il faut compter en les comparant aux journées
fournies par le nombre des lits existants. On constate ainsi, par exemple, que la
plupart des 14 départements mentionnés plus haut comme ayant le plus grand
nombre de lits occupés au 31 décembre, ont pour l'ensemble de l'année leurs lils
médiocrement utilisés.
C'est ainsi que la proportion d'utilisation se trouve réduite :
Pour l'Ain, de 83 à 55 p. 100
— l'Aveyron 81 à 46 —
— la Charente 88 à 49 —
— la Dordogne 91 à 18 —
— Eure-et-Loir 91 à 55 —
— la Haute-Saône 85 à 29 —
— la Saône-et-Loire 88 à 58 ~
— la Sarthe 90 à 48 —
La moyenne de l'utilisation des lits pour l'ensemble de la France s'abaisse de
68 p. 100, représentant les hts occupés au 31 décembre, à 58 p. 100 représentant
le nombre des journées de malades.
La proportion des journées utilisées ne dépasse pas la moitié dans 48 déparle-
ments et n'atteint pas le tiers dans 12.
Elle dépasse les 2/3 dans 15 départements et les 4/5 dans 5.
Les proportions les plus élevées sont les suivantes :
Rhône 80 p. 100
Marne 81 —
Haute-Marne 83 —
Gironde . . . 87 —
Seine 93 —
Et les proportions les plus faibles :
Lot, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Vienne . 29 p. 100
Dordogne 28 —
Manche 27 —
Basses-Alpes 21 —
I
— 21 —
Classement des établissements suivant leur importance. — Les statistiques four-
nissent encore deux catégories de renseignements complétant utilement ceux qui
précèdent et dont nous avons en conséquence relevé les éléments. Il s'agit du
classement des établissements hospitaliers suivant leur importance, et de l'accrois-
sement du nombre des établissements pendant la période de 18 ans qui s'est écoulée
de 1864 à 1882.
Le premier de ces renseignements se rapporte à l'année 1864, dont les éléments
ont servi à établir le document publié par le ministère de l'intérieur.
Le nombre total des établissements, déduction faite de ceux que nous avons
perdus en 1871, s'élevait à cette époque à 1,371 :
45 contenant plus de 500 lits.
133
—
de 200 à 500
172
—
de 100 à 200
210
—
de 50 à 100
347
—
de 20 à [ 50
278
—
de 10 à 20
186
—
moins de 20
Le Var possédait 13 établissements sur 34 ayant moins de 10 lits, et Vaucluse
en avait 18 sur 52, soit plus du tiers. Sur les 186 établissements de cette catégorie,
un certain nombre n'avaient que 4, 3 ou 2 lits; l'un d'eux, celui de Bargemont,
dans le Var, n'avait qu'un lit; un autre, celui de Segré, dans Maine-et-Loire, n'en
avait pas du tout; il a été fondé par M. de Falloux, en 1864, dans le but d'assurer
dans la commune un service médical gratuit pour les indigents.
Accroissement du nombre des établissements de i864 à i882. — De 1,371 en
1864, le nombre des établissements s'est élevé à 1,643, en 1882, présentant un
accroissement de 272, qui se répartit de la manière suivante :
On compte en plus, dans le département du Nord, 20 établissements;
Dans la Loire, 13;
Dans Maine-et-Loire et dans la Seine-Inférieure, 10;
Dans la Seine, 9 ;
On en compte 8 dans l'Hérault, le Pas-de-Calais, le Var et Vaucluse;
7, dans l'Isère et la Mayenne;
6, dans la Dordogne, la Drôme, les Landes, le Loiret, la Sarthe, les Vosges,
Meurthe-et-Moselle;
5, dans l'Aisne, l'Ardèche, le Cher, le Lot, l'Oise ;
4, dans la Gironde, Loir-et-Cher, Lot-et-Garonne, Manche, Deux-Sèvres, Vienne;
3, dans les Alpes-Maritimes, le Cantal, Eure-et-Loir, Finistère, Gers, Ille-et-
Vilaine, Indre-et-Loire, Orne, Rhône, Vendée;
2, dans l'Allier, les Ardennes, l'Ariège, Calvados, Charente-Inférieure, Corrèze,
Côte-d'Or, Eure, Gard, Haute-Garonne, Indre, Haute-Loire, Lozère, Meuse, Nièvre,
Puy-de-Dôme, Pyrénées-Orientales, Haute-Saône, Saône-et-Loire, Haute-Savoie,
Somme;
1, dans l'Ain, les Basses-Alpes, Doubs, Jura, Seine-Inférieure, Marne, Morbihan,
Basses-Pyrénées, Seine-et-Oise, Tarn-et-Garonne.
La situation est restée la même dans les Hautes-Alpes, l'Aude, l'Avayron, les
Bouches-du-Rhône, la Charente, la Corse, la Creuse, la Ilaule-Marne, les Hautes et
les Basses-Pyrénées, le Haut-Rhin, le Rhône, Seine-et-Marne, le Tarn, la Haute-
Vienne.
On constate un établissement de moins dans les Côtes-du-Nord et dans l'Yonne.
*
* *
En terminant, nous ferons observer que ces renseignements statistiques font
ressortir deux ordres de faits : Tinoccupaiion d'un grand nombre de lits dans les
établissements hospitaliers, et l'insuffisance même du nombre de ces établissements
dans certains départements.
Il en résulte, qu'en dehors de tout autre moyen, deux problèmes s'imposent à
l'administration : une meilleure utilisation des lits existants, et la création de nou-
veaux hôpitaux.
J. DE Crisenoy.
(Extrait de la Revue d'administration, septembre 1886.)
IV.
SUR UN POINT CURIEUX DE l'hISTOIRE DU COMMERCE DES CÉRÉALES (0.
L'histoire du commerce des céréales, depuis Triptolème, pour ainsi dire, offrirait
un tableau bien intéressant à coup sûr, et que les économistes ont déjà tracé à
divers point de vue. Le point de vue fiscal, le point de vue statistique aussi, pré-
sentent aujourd'hui, pour l'Europe et la France, un intérêt d'actualité, depuis la
concurrence américaine, depuis les nouveaux projets de surtaxe douanière.
En 1846, j'ai traversé la Fiance du Nord au Sud, et j'ai été témoin d'une partie
des phénomènes commerciaux causés par la grande disette au commencement de
l'hiver 1846-1847: à Lyon (en l'absence du chemin de fer), j'ai vu partir à vide les
grands vapeurs fluviaux allant charger les blés qui abondaient déjà à Marseille,
mais ces vapeurs ne remontaient ensuite le Rhône qu'avec un tiers seulement de
leur chargement normal par suite des eaux basses, et pendant ce temps-là, la
famine régnait dans le centre : on se souvient encore de l'afl'aire de Busançais. La
France se trouvait alors, et pour bien des années encore, sous le régime de l'échelle
mobile.
On trouve un résumé statistique des importations de cette époque et des années
soit aniérieures, soit plus récentes, dans une brochure rare, rédigée autrefois par
mon regretté père Abel Hugo, en prévision de la disette de 1853-1854-1855, et
l'esprit de clairvoyance anticipée qui a dicté ce travail statistique (2) peut passer
(1) Mémoire sur la période de disette qui menace la France, par le comte Abel Hugo. (Paris,
mai 1853.)
(2) M. d'Escamps, inspecteur des beaux-arts, grand cliercheur de documents d'érudition, a retrouvé
l'exemplaire, que je puis offrir aujourd'hui à la Société. (Je dois signaler que certaines additions de la
page 22 paraissent fautives.)
— 23 —
pour un fait des plus curieux, et qui aurait sing-ulièrement favorisé les négociants
en blés, s'inspirant de ses vues quasi-prophétiques.
Ledit document a pour titre:
Mémoire sicr la période de disette qui menace la France (mai 1853).
Après quelques délais nécessaires pour l'impression et la distribution, un exem-
plaire parvint aux mains de Flourens, secrétaire de l'Académie des sciences, et on
en trouve la mention dans les comptes rendus.
Ayant ramené les farines à l'hectolitre de blé, l'auteur avait pu totaliser chaque
année tant les exportations que les importations; dans le travail statistique, Abel
Hugo avait reconnu (depuis 1816) sept périodes de 5 ou 6 ans chacune, soit bonnes,
soit mauvaises; une seule sur les sept devait être considérée comme neutre.
Ce mémoire eut du retentissement, en raison de l'annonce d'une « période de
disette de 5 ou 6 années ». Les commissaires de la préfecture de police firent une
enquête qui reconnut le caractère purement scientifique de la publication, etBineau,
alors minisire, voulut conférer avec l'auteur.
L'année 1854 survint et fut désastreuse, les importations s'élevèrent à un chiffre
alors inconnu.
Abel lîugo mourut en février 1855, et n'était plus là pour constater les déficits
de 1855-1856, et même 1857 et 1858, si j'ai bonne mémoire. Les faits avaient
donné pleinement gain de cause à la prophétie de l'auteur. A cette période se rat-
tache la création à Paris de la caisse de la boulangerie. Plus tard, fut réalisée la
supf)ression de Yéclielle mobile aux frontières françaises.
On assure que les emblavures de la grande culture variaient selon les périodes,
et amenaient un avilissement excessif de la denrée dans certains moments.
Douze ans après la rédaction du Mémoire sur la disette, j'ai moi-même publié un
tableau statistique autographié, devenu introuvable (mais mentionné à l'Académie
des sciences), consacré à la même question.
On voit dans mon tableau que la régularité des périodes, le balancement alterna-
tif des importations et des exportations, a, peu à peu, cessé de se manifester; la
suppression de l'échelle mobile y a été pour beaucoup, selon l'opinion de très
savants économistes.
En Angleterre le rappel des Corn-laws, en France la suppression de l'échelle
mobile, ont joué un rôle des plus considérables dans l'histoire du commerce des
céréales. Je suis d'âge à me souvenir du grand retentissement des discours de
Robert Peel et du rôle du parti conservateur au Parlement.
Aujourd'hui, en France, la bitte entre les producteurs et les consommateurs,
leur anttigonisme naturel (signalé entre autres par feu Laboulaye dans la préface
du livre intitulé : La Fin d'un monde), se manifeste avec acuité. Il s'agit de surtaxes
et ces questions douanières redeviennent des questions nationales.
Léopold Hugo.
— 24 —
V.
ESSAI d'une histoire SOMMAIRE DE LA PRESSE PÉRIODIQUE,
Par G. L. Piccardi. (Rome, 1886.)
Compte rendu par A. Michaut.
L'ouvrage italien de M. Piccardi, dont j'ai l'honneur de présenter le compte
rendu, a pour titre : Essai d'une histoire sommaire de la presse périodique et
vient d'être publié à Rome.
Cet ouvrage contient un avertissement de l'auteur, l'indication des sources
auxquelles il a puisé ses renseignements, une introduction avec des considérations
générales sur l'origine et le développement de la presse, enfin la liste des divers
pays dont il parle successivement et qui sont : l'Angleterre, la France, l'Allemagne,
la Belgique, la Hollande, l'Amérique, la Russie, l'Autriche-Hongrie, la Pologne, l'Es-
pagne, le Portugal, la Suisse, le Danemark, la Suède et la Norvège, la Grèce, la
Turquie, la Roumanie, la Serbie, la Chine, l'Inde, l'Océanie et, en dernier lieu,
l'Italie.
Ce qui m'a frappé à première vue en parcourant ce volume et surtout lediapitre
concernant notre pays, c'est l'absence à près complète d'informations sur les quinze
ou vingt dernières années : pour ne citer qu'un exemple, à propos d'Emile de
Girardin, il est bien question de cet éminent publiciste comme fondateur du journal
la Presse, en i836, maison ne dit pas à quel degré de prospérité il a porté le jour-
nal la France, de i877 à 1881; on ne dit pas non plus combien il a contribué au
relèvement inouï du Petit Journal qui, parti de deux millions de dettes en 1873,
représente aujourd'hui une valeur de soixante-quinze millions et, avec son tirage
quotidien de 900,000 exemplaires, dépense annuellement huit millions pour en
encaisser treize à quatorze. La France et le Petit Journal ne sont même pas men-
tionnés.
Il ne faudrait pas en conclure que le travail de M. Piccardi a été écrit avec
légèreté : il est, au contraire, des plus sérieux et résume d'une manière fort inté-
ressante les ouvrages de Gucheval-Clarigny, Macaulay et May pour l'Angleterre et
l'Amérique, et de Hatin pour la France et la Hollande; seulement ces ouvrages
remontent déjà à un certain nombre d'années, ce qui explique la lacune que j'ai
signalée.
Du reste, l'auteur lui-même ne s'est pas fait illusion, car, dans son avertissement,
il déclare avec beaucoup de tact et de franchise que son travail est sans prétention
aucune; qu'il n'est qu'une sorte de préface à la statistique de la presse périodique
italienne dont s'occupe depuis quatre ans la direction générale de statistique au
ministère de l'agriculture et du commerce; enfin, qu'il est forcément incomplet,
attendu que peu de pays ont une histoire locale de la presse d'où l'on puisse tirer
les informations nécessaires, et qu'il a dû se contenter de coordonner le peu d'élé-
ments dont il disposait, de manière à conserver une certaine proportion entre les
diverses parties du volume et à dissimuler les lacunes autant que possible.
Il y a quarante-cinq ans, Sainte-Beuve écrivait : « Une histoire des journaux est
« encore à faire et je voudrais voir quelque Académie ou quelque librairie pousser
— 25 -
« à celte œuvre deux ou trois travailleurs consciencieux et pas trop pédants, inlel-
« ligenls et pas trop légers. Il est temps que celte histoire se fasse, il est même
« déjà lard et, sous peu, cela ne se pourra plus. »
M. Piccardi estime qu'il n'est pas trop tard pour l'Italie, dont le journalisme a
des origines tout à fait récentes, et que son travail, quelles qu'en soient les erreurs
et les lacunes, ne serait pas sans utilité pour celui qui se sentirait la force d'écrire
l'histoire de la presse périodique italienne; d'autant plus que, pour l'Italie, il a pu
se livrer à des appréciations personnelles sur le développement du journahsme
pendant les seize dernières années, c'est-à-dire depuis qu'elle a Rome pour capi-
tale.
Enfin, dans son introduction, l'auteur fait observer que, si le journalisme, dans
le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot, doit être considéré comme abso-
lument moderne, et s'il faut un effort de fantaisie pour en retrouver les traces dans
l'antiquité, il répond cependant à des besoins sociaux tellement impérieux et réels
qu'il a dû avoir son équivalent chez les peuples dont la civilisation a laissé tant
d'empreintes. En effet, si l'on recherche cet équivalent chez les Romains, on y
trouve d'abord, pendant plusieurs siècles, les Annales des grands-prêtres, c'est-à-
dire les tables sur lesquelles étaient recueillis les principaux événements et que le
peuple pouvait toujours consulter; on arrive ensuite aux Acta diurna dont la pu-
blication, d'après Suétone, daterait de Jules César, et aux Acta publica qui, après
avoir été consacrés exclusivement aux comptes rendus des séances du Sénat, rela-
tèrent bientôt, à peu près comme les journaux actuels, les cérémonies funèbres, les
incendies, les exécutions capitales, les pluies de pierres, les cas extraordinaires de
longévité et de fécondité, les nominations des magistrats, les récits militaires, la
description des fêtes et des jeux publics, les rivalités des cochers du cirque, les
succès des acteurs et les faits et gestes des personnages.
Ces Acta disparaissent avec les derniers empereurs, toute trace de journalisme
se perd dans le moyen âge et ce n'est qu'au commencement du xvii* siècle, c'est-
à-dire 150 ans environ après l'invention de l'imprimerie, qu'on trouve quelque
chose qui mérite réellement ce nom.
Tous les pays de l'Europe se disputent la gloire d'avoir vu le premier journal
imprimé, mais voici l'ordre dans lequel on peut les classer à cet égard :
Belgique. . . Anvers (1605).
Allemagne . . Francfort (1612 à 1615).
Hollande. . . Amsterdam (1617 à 1619).
Angleterre . . Londres (1622).
France. . . . Paris (1631).
Itahe .... Florence (1636).
Russie. . . . Moscou (1703).
Après le journahsme pohlique, vinrent les revues périodiques, les journaux litté-
raires et scientifiques, ceux de jurisprudence, de médecine et de religion; de biblio-
^^raphie, de philosophie, de morale; les magasins, les journaux de l'industrie et de
l'économie domestique; ceux d'éducation, de guerre, de marine, de modes, de
théâtres. En somme, peu à peu, le journahsme s'étendit à toutes les manifestations
de la vie sociale et il se développa de plus en plus. Les premiers journaux se pu-
bliaient une fois par semaine; ils ne tardèrent pas à se publier deux et trois fois.
Le premier journal quotidien parut à Londres le 11 mars 1702 et à Paris le
— 26 ~
1" janvier 1777. C'est aussi l'Angleterre qui a imaginé le système des annonces et
qui a vu le premier journal du soir : quant au système de l'abonnement, on ne
peut en préciser l'origine; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il existait en France au
commencement du xvm* siècle.
* *
J'arrive maintenant à l'historique de la presse dans chaque pays : je n'en ferai
qu'un exposé très rapide, en suivant l'ordre adopté par l'auteur, et je ne m'éten-
drai un peu plus longuement que sur l'Italie, où il se trouvait sur son véritable
terrain, de sorte que, comme il le dit lui-même, il a pu donner, pour sa patrie,
des informations et des appréciations plus complètes.
Angleterre. — C'est le 23 mars 1622 que paraît le premier numéro d'une
feuille périodique « Nouvelles hebdomadaires d'Allemagne, d'Italie, de Bohême,
€ de Hongrie, etc. », par Nicolas Bourne et Thomas Archer.
Le proiectoral de Cromwell marque un certain progrès du journalisme et c'est
alors que pr^^nd naissance le système des annonces, mais la restauration des Stuarts
arrête ce premier essor et l'on interdit jusqu'à la pubhcation des comptes rendus
parlementaires.
Bientôt cependant, la révolution de 1688 met le Gouvernement sous le contrôle
de la presse qui, en 1693, a une existemie légale.
Le règne de la princesse Anne marque encore une période favorable : Londres
possède alors 18 feuilles politi(|ues, parmi lespielles on distingue VOhservator, le
Postman, le Posthoy, VAthenian Mercury, le Flyng Post et YEnglish Post.
Le 11 mars 1702 paraît le Daily Courant, le premier journal (juotidien en Eu-
rope, et, en quelques années, la presse acquiert une telle influence, qu'elle est en
butte aux persécutions du Parlement : celui-ci vote l'impôt du timbre, l'impôt sur
les annonces et l'impôt sur le papier qui tuent la plupart des journaux.
De nouveaux efforts font surgir, entre autres, le Public Ledger en 1758, le Mor-
ning Chronicle en 1769, le Morning Post en 1772, le Morning Herald en 1780 et
le Times en janvier 1788. Les comptes rendus des débats parlementaires recom-
mencent à être publiés.
De 1815 à 1825, nouvelle période de prospérité.
En juin 1855, après la suppression du droit de timbre et de l'impôt sur les annon-
ces, paraît le Daily Telegraph et l'élan est véritablement donné.
Le Royaume-Uni qui, en 1850, ne comptait que 625 journaux divers, non com-
pris les Revues et Magasins, en compte 2,172 en 1882, savoir : 554 à Londres,
1,177 dans les comtés d'Angleterre, 71 dans le pays de Galles, 186 en Ecosse,
164 en Irlande et 20 dans les petites îles.
De ces 2,172 journaux, 5 existaient avant l'année 1700; 74 datent de 1700 à
1799, 29 de 1800 à 1810, 27 de 1811 à 1820, 46 de 1821 à 1830, 98 de 1831 à
1840, 122 de 1841 à 1850, 428 de 1851 à 1860, 421 de 1861 à 1870, 657 de 1871
à 1880 et 265 de 1881 à 1882.
France. — Le premier journal est la Gazette de France, fondée le 30 mai 1631,
par Renaudot, qui obtient un monopole.
Pendant la Fronde, ce monopole n'est plus respecté, mais dans les milliers d'é-
crits de cette époque, dits Mazarinades, on ne trouve aucun journal digne de ce
nom, si ce n'est la Muse historique, spécimen de ce qu'on a appelé la petite presse.
I
— 27 —
En 1665 paraît le Journal des Savants, le premier journal littéraire créé en Eu-
rope, puis, en 1672, le Mercure galant.
La Gazette de France étant rentrée dans son monopole, il n'y a guère à signaler,
jusqu'en 1789, (jue l'importation de nombreux journaux étrangers, écrits en fran-
çais dans des villes voisines de la fionlière.
L'ouverture des Éiats généraux est comme un signal d'entrée en campagne : de
mai 1789 à mai 1793, on ne compte pas moins de mille journaux ou écriis ayant
la forme de journaux.
Le 18 fructidor (4 septembre 1797), le Directoire porte une grave atteinte à la
presse, que le Gunsulat trouve à l'agonie et à laquelle il donne le dernier coup.
Un décret du 17 janvier 1800 réduit à 13 les feuilles politiques et toute création
nouvelle est interdite.
Le Journal des Débats, qui avait été fondé par Baudouin en 1789 et acheté dix
ans après par les frères Berlin, est confisqué en 1811; le nombre des journaux
politiques est réduit à quatre : le Moniteur, le Journal de l'Empire, la Gazette de
France et le Journal de Paris.
Il y avait alors deux journaux littéraires, le Mercure de France et la Décade, aux-
quels s'ajoutent deux journaux d'annonces, les Petites Affiches et le Journal de la
Librairie.
Le 1"" avril 1814, l'Empire tombe et le Journal des Débats est restitué à ses pro-
priétaires.
Sous la première Restauration, paraissent 23 journaux nouveaux, mais dont
l'existence est assez éphémère.
Pendant les Cent-Jours, naissent VAristarque, VIndépendant ou Constitîitionnel,
et le Patriote de il 89.
Malgré toutes sortes d'entraves, les premières années de la Restauration consti-
tuent la période la plus brillante de la presse française : tous les hommes remar-
quables de cette époque ont été journalistes.
En 1819, la presse obtient une place légale dans les institutions du pays, mais
elle n'en passe pas moins par toutes sortes de vicissitudes jusqu'à la Révolution de
1830.
En 1835, le Gouvernement propose les lois dites de Septembre.
Le 1" juillet 1836, Emile de Girardin fait paraître le journal la Presse, à moitié
prix des autres journaux, et, grâce aux annonces, le problème de la presse à bon
marché se trouve résolu.
La Révolution de 1848 affranchit de nouveau la presse et engendre une foule
de journaux à l'instar de ceux de 1789.
Arrive le second Empire, et le décret du 7 février 1852 suspend la liberté de la
presse, de sorte qu'il ne se fonde presque plus de grands journaux politiques;
mentionnons seulement le Figaro, créé le 2 avril 1854.
Comme je l'ai déjà fait observer, à partir de la révolution du 4 septembre 1870,
il y a une lacune dans l'ouvrage de M. Piccardi.
Il donne toutefois les indications suivantes :
En 1881, il y avait en France 3,272 journaux et revues périodiques, dont 1,929
en province et 1,343 à Paris;
En 1882, il y en avait 3,716, dont 1,505 à Paris et 2,211 en province;
Enfin, au 31 décembre 1885, on en comptait 4,359, dont 1,540 à Paris et 2,819
dans les départements. Ces 2,819 comprenaient 962 journaux républicains, 509
monarchistes et 1,348 divers. L'auteur en présente la classification par département,
de même qu'il décompose les 1,540 journaux de Paris d'après la nature de leur
publication.
Allemagne. — Dès le milieu du xv" siècle, on trouve en Allemagne, comme
ailleurs, de petites feuilles qui circulent sous le titre général de Zeitung, mais ce
n'est qu'en 1615 que paraît, à Francfort, la première véritable gazette, appelée la
Frankfurter OherpostamtszeHung .
Vers le milieu du xvii" siècle, chaque ville un peu importante a son journal
spécial.
Les progrès de la presse allemande sont surtout sensibles en 1813, après l'occu-
pation française, puis en 1830, en 1848 et dans les quinze ou vingt dernières
années.
On comptait 1,551 journaux politiques en 1849, et 5,041 journaux ou revues
périodiques le 8 juillet 1883.
Belgique. — Le premier journal est publié à Anvers en 1605 sous le titre de
f^iewe Tijdinghe.
Sous les dominations espagnole et autrichienne, on fonde un certain nombre de
journaux locaux, mais la domination française est funeste à la presse belge, en ce
sens que les nouveaux départements sont inondés de journaux français.
De 1815 à 1830, pendant la réunion de la Belgique à la Hollande, le journalisme
prend un certain développement qui ne fait que s'accentuer lors de la formation du
royaume de Belgique : au lieu de 34 publications en 1830, on en compte 202 en
1848, 244 en 1860; enfin, en 1884, il y a 801 journaux, dont 392 poUtiques,
21 financiers, 66 agricoles ou commerciaux, et 322 divers.
IJoLLANDE. — L'auteur nous dit que le premier journal parut à Amsterdam le
13 mars 1623, date qui ne coïncide pas tout à fait avec celles de 1617-1619 indi-
quées par lui dans son introduction. Ce qui est certain, c'est que, dés l'origine, les
journaux hollandais occupèrent la première place, surtout à cause de la liberté illi-
mitée de la presse sous le gouvernement de la Bépublique.
A la fin de 1867, on comptait plus de 200 journaux.
Amérique. — Il s'agit principalement des États-Unis, la presse des autres pays
de l'Amérique n'offrant qu'un intérêt secondaire.
Les États-Unis sont le seul pays au monde où la presse a trouvé sa place dans les
mœurs nationales sans avoir à soutenir de pénibles luttes.
Le premier journal américain paraît à Boston le 24 avril 1704 et reste seul pen-
dant seize ans, mais il y en avait déjà 15 en 1740, 27 en 1771, 37 en 1775.
La lutte pour l'indépendance marque une magnifique période et nous trouvons
200 journaux en 1800, 358 en 1810, 812 en 1828, 1,555 en 1839, 2,875 en 1850,
4,051 en 1860, 5,871 en 1870, 11,314 le l^-" juin 1880.
L'ouvrage de M. Piccardi présente quelques tableaux intéressants sur la périodi
cité, la nature de la publication et le tirage des journaux américains.
Russie. — C'est sous Pierre le Grand, en 1703, lors de la guerre avec la Suède,
que paraît le premier journal russe.
— 29 —
Le développement de la presse, et surtout de la presse politique, n'a pas été aussi
rapide qu'ailleurs, le Gouvernement ne permettant de publier que ce qu'il juge utile
ou, du moins, sans inconvénients.
En 1882, le nombre des journaux, correspondances télégraphiques et feuilles
d'annonces s'élevait à 770.
AuTRiciiE-IIoNGRiE. — Le premier journal paraît en Hongrie en 4721 et est
rédigé en latin.
C'est surtout à partir de la transformation politique de 1861 que la presse fait de
remarquables progrès et, au 1"" janvier 1883, on compte 2,139 publications pério-
diques, dont 1,493 en Autriche et 646 en Hongrie.
L'auteur donne quelques tableaux relatifs à la périodicité, au contenu et à la
langue des journaux.
Pologne. — Le nombre des feuilles périodiques, dans les diverses provinces de
l'ancien royaume de Pologne, s'élevait à 40 en 1830, 15 seulement en 1840, 20 en
1846, 70 en 1863 pour descendre à 59 en 1868 : la période la plus favorable est
comprise, par conséquent, entre 1846 et l'insurrection de 1863, qui porta un coup
terrible à la presse politique.
Espagne. — Le premier journal date de 1626. En 1834, l'Espagne avait 95 jour-
naux. Madrid en avait 18 en 1834, 32 en 1841, 53 en 1848 et 65 en 1850.
Barcelone en avait 48 en 1844 et 35 en 1848.
Portugal. — Sans aucune importance jusqu'en 1820, le journalisme portugais
eut, en 1823, une période de vitalité, qui fut toutefois de courte durée; un nouvel
horizon ne s'ouvrit à la presse politique qu'en 1834 et il y avait 200 journaux
en 1868.
Suisse. — La Suisse est, de tous les pays de l'Europe, celui qui, proportionnelle-
ment à la population, possède le plus grand nombre de journaux ; il y en avait 409
au commencement de 1873 et 561 en 1883: pour ces derniers, l'auteur donne le
détail par canton et par nature de publication.
Danemark. — Le premier journal paraît en 1663, mais l'activité de la presse
danoise ne se manifeste qu'à partir de 1830 et, surtout, de 1834 : on comptait
201 journaux vers la fin de 1868 et 327 en 1883.
Suède et Norvège. — La presse périodique ne fait son apparition en Suède
que vers le milieu du xvii* siècle et, en Norvège, vers le milieu du xviii^ siècle.
On comptait 21 journaux en 1801, 35 en 1809, 100 en 1833, 120 en 1843, 138
en 1853, 165 en 1860, 216 en 1871, 300 en 1873 et 348 en 1883.
Grèce. — La presse grecque ne date que de 1811 et ne s'affirme réellement
qu'avec la guerre de l'indépendance: il y avait une vingtaine de journaux en 1844,
81 en 1851 et 77 seulement en 1860.
Turquie. — Le premier journal paraît en 1795. L'auteur ne donne aucun chiffre
d'ensemble; il dit seulement qu'après Constanlinople, c'est Smyrne qui compte le
plus de journaux, savoir : 5 en 1854 et 7 en 1864.
Roumanie. — Bucharesl vit le premier journal en 1828. En 1868, on comptait
33 journaux dans les Principautés danubiennes.
— 30 —
Serbie. — Milosch Popovic fut le vrai fondateur de la presse quotidienne poli-
tique en 1841, à la fin de 1867 ; on comptait en Serbie 27 journaux, dont 14 poli-
tiques.
Chine. — Il semble que, pour le journalisme comme pour le reste, les Chinois
aient devancé l'Europe de plusieurs siècles, en ce sens qu'ils possèdent, dit-on,
depuis un millier d'années, un journal qui s'imprime sur une grande feuille de
soie; mais ils n'ont apporté aucun perfectionnement à leur idée primitive, et ce
n'est que dans les possessions anglaises que la presse a pris un certain développe-
ment.
Inde. — En 1846, on publiait à Calcutta 17 journaux en langue angolaise, dont
le premier fondé en 1784; Bombay en possédait 10.
En 1850, il y avait 26 journaux indigènes; en 1854, l'Hindoustan proprement
dit avait 55 à 60 journaux et, en 1867, on en comptait, dans toute l'Inde anglaise,
120 à 130 écrits dans les langues indigènes.
OcÉANiE. — Le journalisme a fait en Océanie des progrès très rapides : dès
1844, il y avait plus de 30 j(»innaux dans les diverses colonies d'Australie.
En 1851, il existait à Adélaïde 13 journaux, dont 2 en allemand et 11 en anglais.
Dans la colonie de Victoria, fondée en 1853', il a été créé un grand nombre de
journaux, rédi^jés surtout en allemand.
Dans la Nouvelle-Zélande, il y en avait 6 en 1851 ; actuellement, chaque centre
important a son journal.
L'archipel polynésien possédait aussi 6 journaux en 1867.
Italie. — Bien longtemps avant la publication de véritables journaux, on trouve
en Italie des feuilles de nouvelles manuscrites, à la confection desquelles contri-
buaient les délégués à l'étranger des divers princes ou républiques, les prélats, les
courtisans, les maîtres de poste et les courriers. D'après une tradition, plutôt
affirmée que prouvée, elles commencèrent à Venise, vers 1563, par suite de la
nécessité d'avoir des informations aussi fréquentes que possible sur les mouve-
ments des Turcs, devenus alors très menaçants.
Ces feuilles de nouvelles portaient le nom de gazettes et il est certain que, si les
premières furent écrites à Venise, il y en eut à Rome presque à la même époque.
L'exemple de Venise et de Rome ne tarda pas à être suivi par les autres cités,
notamment par Gênes et Milan.
Tandis que les gazettes de Gênes et de Venise publiaient spécialement les nou-
velles commerciales arrivées par mer, celles de France, d'Allemagne et d'Orient,
et les- entreprises des corsaires africains, les gazettes milanaises recueillaient sur-
tout les faits relatifs à la cour d'Espagne, à l'Italie, à la Suisse et à la Flandre. Quant
aux gazettes romaines, plus répandues que les autres, elles donnaient les rensei-
gnements qui, de toutes les parties du monde, afQuaient au centre de la chrétienté;
elles se distinguaient par la vivacité du style et s'étendaient aux faits privés plus
que ne sauraient le faire les journaux modernes; mariages et fêtes publiques, nou-
veaux édifices, ventes et locations, triomphes au jeu, villégiature, réceptions,
départs et arrivées, morts et exécutions, comédies et œuvres musicales, rien ne
leur échappait.
— 31 —
Ce n'est toutefois qu'en 1636 qu'est imprimée la première gazette, par Massi et
Landi, de Florence, mais sans aucun litie; on ne commence qu'en 1648 à mettre
un litre aux journaux. Ceux-ci ne servant, à vrai dire, qu'aux gouvernements et ne
pouvant ainsi donner satisfaction à la curiosité publiijue, les feuilles de nouvelles
manuscrites, plus ou moins secrètes et plus ou moins libres, restent en usage jus-
qu'aux dernières années du xviii' siècle ou jusqu'à la Révolution française.
Sans les rigueurs de Napoléon, suivies des rigueurs de l'Autriche à partir de
1816, la preSse politique italienne aurait vu s'ouvrir des horizons nouveaux, mais
il ne fallut pas moins que l'ouragan de 1848 pour renverser toutes les barrières et,
jusqu'aux grands mouvements nationaux de 1859, l'histoire du journalisme italien
se confond avec celle du journahsme piéraontais.
La réunion de tous les peuples de la Péninsule a pour conséquence, avec la
liberté de la presse, la création d'un très grand nombre de journaux. En 1864, les
feuilles les plus importantes n'hésitent pas à se transférer de Turin à Florence, la
nouvelle capitale, et cette ville devient le centre du journalisme italien, sur lequel
l'occupation de Rome, le 20 septembre 1870, n'a pas d'influence immédiate.
Du reste, les chiffres suivants marquent les progrès de la presse en Italie : 185
journaux en 1836, 220 en 1845, 311 en 1856, 450 en 1864, 723 en 1870, 765 en
1871, 1,127 en 1873, 1,454 en 1880, pour descendre à 1,378 en 1882, 1,298 en
1883, et remonter à 1,459 le 31 décembre 1885.
Il est probable que les diminutions de 1882 et de 1883 sont plus apparentes que
réelles et viennent simplement de ce qu'on a été plus rigoureux dans les dernières
statistiques.
L'auteur présente encore cinq tableaux relatifs au nombre des journaux, par
rapport à la population, dans les diverses parties de l'Iialie, à leur date de fonda-
lion, à leur périodicité, à la nature de leur publication et à leur prix de vente.
Dans les 1,459 publications existant au 31 décembre 1885, il y avait 161 jour-
naux illustrés.
Je terminerai par la traduction littérale d'un passage qui me paraît bien en situa-
tion pour les trente dernières années :
« Le journalisme italien, écrit M. Piccardi, est, comme tel, d'origine trop récente
(' pour avoir pu donner les fruits de la maturité. On peut dire qu'il est encore dans
< son enfance, et le fait de n'avoir pas trouvé sur son chemin les obstacles de la
<■ censure, au lieu de lui être venu en aide, a peut-être contribué à retarder son
« développement. En outre, le journalisme italien a eu la malchance de naître trop
c( grand seigneur. Avaut que la nation eût revendiqué son unité, toutes les fois
<' qu'un groupe de patriotes croyait un journal nécessaire pour la propagande des
« idées libérales, il le fondait d'emblée, sans se préoccuper nullement des sacri-
« fîces pécuniaires que, presque toujours, entraînait l'entreprise. Par suite de cette
« origine, le journalisme italien devait éf»rouver, comme il éprouve effectivement,
(( une certaine répugnance instinctive à demander aux annonces ses moyens d'exis-
« tence. Il est incontestable ipie, tout en se trouvant dans des conditions peu ré-
« jouissantes, le jouinalisine italien n'a pas son jiareil en Europe pour la désmvol-
ture seigneuriale et le désintéressement avec lesquels il dissipe les centaines de
i< mille francs en réclames gratuites, sans prétendre même à des remerciements.
« Et cependant, comme le journalisme anglais a tiré des annonces sa plus giande
« force, et le journalisme américain son enviable fortune, il est probable que c'est
« aussi dans les annonces que le journalisme italien trouvera son avenir. En Italie,
« a-t-on l'habitude de dire, les annonces ne se paient pas, parce qu'on ne les lit pas
« et qu'on n'y croit pas. Mais l'assertion n'est vraie qu'en partie. Du moment où il
« est si facile de les avoir pour rien, il est bien naturel qu'elles ne soient payées
€ que par ceux qui veulent payer quand même. t>
*
* *
Tel est le résumé, un peu trop écourté peut-être, de l'intéressant ouvrage de
M. Piccardi.
A. MiCHAUT.
VI.
LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE STATISTIQUE.
Le Conseil supérieur de statistique a tenu la première séance de la seconde
session, le mercredi 29 décembre dernier, sous la présidence de M. Jules Roche,
député, et en présence de M. Lockroy, ministre du commerce et de l'industrie. La
séance a été consacrée, presque tout entière, à la discussion du rapport présenté
par M. de Foviile sur un projet de recensement de la propriété bâtie.
Ce travail remarquable est dû à l'initiative de l'honorable M. Boulin, directeur
général des contributions directes. Déjà l'administration des contributions directes
a procédé, il y a quelques années, à une nouvelle évaluation de la propriété non
bâtie et les statisticiens y ont trouvé de précieuses informations complétées depuis,
en ce qui concerne la division du sol français, par l'intéressante enquête de 1884.
L'évaluation de la propriété bâtie sera le couronnement de ces deux enquêtes et
rendra un nouveau service à la science dont M. Boutin comprend si bien les intérêts.
Dans sa prochaine séance, le Conseil aura à s'occuper d'un projet présenté par
M. Gheysson sur le recensement spécial des professions.
Le Gérant, 0. Berger-Levrault.
JOURNAL
DE LA.
SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DE PAIUS
NO 2, — FÉVRIER 1887.
PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 49 JANVIER 1887.
La séance est ouverte à 9 heures, sous la présidence de M. de Foville, qui pro-
nonce l'allocution suivante :
Discours de M. de Foville.
« Messieurs,
« Avant de céder à mon éminent successeur le siège auquel l'ont appelé nos
suffrages unanimes, je vous demande la permission de faire une fois encore, à cette
place, une présentation d'ouvrage... C'est peut-être contraire aux prescriptions de
notre ordre du jour, mais vous excuserez celle petile contravention quand vous
en connaîtrez le motif.
« Il s'agit, en effet, d'un livre dont je vous dois l'hommage plus encore comme
président que comme confrère. C'est une sta(isli(|ue de la France : la France éco-
nomique, statistique raisonnée et comparative, et je puis dire que vous avez tous,
sans le savoir, collaboré à ce volume destiné, dans ma pensée, à vulgariser les tra-
vaux que je viens d'avoir l'honneur de diriger pendant un an et à propager au
dehors les vérités que nous nous efforçons de dégager ici.
<i Votre président. Messieurs, quel qu'il soit, se trouve bien placé pourvoir quelles
sont, à l'heure présente, les ressources et les besoins de la slalisli(jue française.
Ses ressources sont devenues considérables : la science et l'administration rivalisent
de zèle, maintenant, pour répondre à toutes les questions qui se posent autour
d'elles. Mais le public se perd un peu au milieu de tous ces annuaires, de tous ces
bulletins, de tous ces recueils spéciaux, de toutes ces savantes monographies qui
se disputent ses préférences. Que de fois l'on m'a demandé où l'on pourrait trouver
un résumé simple, clair, méthodique, facile à lire et facile à comprendre, de tous
irc SBKIB. 28"^^ VOIi. — H" 2. g
— 34 —
les trésors qui viennent successivement s'entasser sur cette table. Las de répondre
que ce résumé n'existait pas, j'ai eu l'idée de m'essayer à ce travail d'intérêt géné-
ral, et j'ai été encouragé d'abord, puis efficacement secondé, dans celte tenlative,
par un de nos collègues, qui a déjà donné bien des preuves de son dévouement à
l'instruction publique. L'éditeur étant, comme l'auteur, membre de la Société de
statistique, ce livre vous appartient deux fois plutôt qu'une.
« Il paraîtra dans quelques jours, tout au plus dans quelques semaines ; les der-
nières feuilles et les dernières figures — car l'ouvrage est illustré — sont actuelle-
ment sous presse. Vous voyez que l'enfant n'a pas encore fait sa toilette. Je vous
l'apporterai, le mois prochain, mieux habillé, beaucoup mieux habillé. Mais j'ai dé-
siré clore ma présidence en vous l'offrant tel quel, à la fois comme un souvenir et
comme un remerciement.
« Et maintenant. Messieurs, il ne me reste — en m'excusant de cette présentation
à la fois tardive et prématurée, — il ne me reste qu'à prier mon cher successeur
de venir me remplacer dans le fauteuil que je suis fier d'avoir occupé avant lui.
« Le sceptre que je lui remets est léger à porter, grâce à votre constante bien-
veillance. La Société, d'ailleurs, est en pleine prospérité. Celte année 1886, année
de crise pour tant d'autres, a encore été pour nous une année heureuse, labo-
rieuse, féconde. Il en sera certainement de même de l'année qui commence et votre
nouveau président saura, mieux que moi, contribuer à ce résultat. M. Yvernès est
un maître dans la science que nous cultivons tous. Ses statistiques judiciaires sont
le modèle du genre et nous ne pouvions souhaiter pour nos travaux de meilleure
direction que la sienne.
« Tout récemment notre Secrétaire général, — dont je regrette vivement l'absence
causée par un accident douloureux, — faisait graver, sur le volume consacré à notre
25" anniversaire, une ruche, une ruche d'abeilles, symbole de travail et d'union.
C'était un heureux choix. Aujourd'hui, Messieurs, s'il fallait, pour le 28® volume
du Journal de la Société, chercher un autre emblème, un autre frontispice, je vous
proposerais celui-ci : La Justice prêtant ses balances à la Statistique. {Applaudis-
sements prolongés.)
« J'invite M. Yvernès à venir prendre possession du fauteuil présidentiel. »
M. Yvernès remplace M. de Foville au fauteuil de la présidence et prononce le
discours ci-après :
Discours de M. Yvernès.
« Messieurs,
« Je remercie mon collègue et ami M. de Foville des paroles obligeantes qu'il
vient de prononcer ; il a eu, sans doute, la pensée qu'elles atténueraient l'émotion
dont je suis pénétré en le remplaçant au fauteuil; je crains qu'il n'ait pas réussi,
car je me sens vraiment troublé de me voir à cette place où m'ont précédé tant
d'illustrations. Il est certain que si en m'y appelant, vous avez voulu consacrer, par
vos suffrages, le caractère scientifique de la statistique judiciaire; pour moi. Mes-
sieurs, mes quarante années de travail et d'eftorts ne pouvaient recevoir de plus
précieuse récompense et je vous en exprime ma vive et profonde gratitude. {Ap-
plaudissements.)
<L Puisque c'est la première fois que la statistique judiciaire est représentée dans
— 35 —
voire bureau, vous m'autoriserez bien à vous en dire quelques mo(s; je ne ferai,
du reste, qu'esquisser les grandes lignes de mon sujet.
(( C'est M. Guerry-Ghampneuf, avocat du barreau de Poitiers, chargé, par M. de
Peyronnet, de la direction des affaires criminelles et des grâces au ministère de
la justice, qui eut le premier l'idée de livrer à la publicité une statistique crimi-
nelle, un budget moral, comme il l'appelait; c'est lui qui en conçut le plan et rédi-
gea les premiers comptes : de 1825 à 1830. Peu de temps après la Révolution do
Juillet, l'œuvre passa dans les mains de M. Arondeau, que M. Guerry-Ghampneuf,
son compatriote et parent, avait, dès le début, associé à ses travaux. En 18-^0, la
statistique civile fut réunie à la statistique criminelle et M. Arondeau resta à la tête
du service jusqu'en 1865, époque de sa retraite. Il aimait la statistique avec passion
et possédait une grande intelligence fortifiée par de sérieuses études mathématiques
et juridiques ; les nombreux développements qu'il a introduits dans les deux statis-
tiques en témoignent hautement. Le successeur de MM. Guerry-Ghampneuf et
Arondeau peut affirmer, sans crainte d'être contredit, que si la statistique judiciaire
de France est considérée, en Europe, comme un modèle à imiter, c'est à ces sa-
vants qu'il convient d'en attribuer le mérite. Il aurait manqué à son devoir, si, en
celte circonstance, il n'avait salué avec respect la mémoire de deux hommes qui
ont rendu tant de services à la science. {Applaudissements.)
« Tel est l'historique de notre publication ; voyons maintenant son but et son
utilité.
« Le génie de Laplace lui a inspiré cette belle formule, digne d'être méditée :
« Appliquons aux sciences politiques et morales la méthode fondée sur l'observa-
tion et sur le calcul, méthode qui nous a si bien servi dans les sciences naturelles. »
La statistique judiciaire a certainement mis en pratique le conseil donné par le célè-
bre savant; la statistique criminelle surtout, qui marque le niveau de la moralité
publique et, par cela même, touche aux plus grands intérêts de la société. Par ses
indications sur le sexe, l'âge, l'état civil, le degré d'instruction, l'origine, le domicile
et la profession des délinquants, elle permet de rechercher l'influence que ces di-
verses circonstances peuvent exercer sur la criminalité et, en donnant la mesure de
la répression, elle montre si les lois sont en rapport avec les mœurs.
« En effet, les lois pénales doivent avoir essentiellement pour objet de propor-
tionner les peines aux déUtsetde rendre ceux-ci moins fréquents par l'exemplarité
de la répression. Trop douces, elles encouragent à la faute; trop sévères, elles ris-
quent d'assurer l'impunité. « Ce n'est pas, a dit Beccaria, par la rigueur des sup-
« pHces qu'on prévient le plus souvent les crimes ; c'est par la certitude de la puni-
« lion ». Or, pour vérifier si cette proportionnalité existe, il n'est pas de meilleur
guide que la statistique; c'est elle qui signale au législateur les améliorations que
peuvent recevoir nos lois, en leur offrant la base solide de l'expérience; elle est la
science des faits et vous vous rappelez cette parole de Montesquieu : « les faits sont
« les meilleurs raisonnements; car un fait est le raisonnement, plus la preuve. »
(( Les tableaux relatifs aux récidives font connaître si notre système répressif et
pénitentiaire tend à réaliser l'idéal des criminalistes qui voudraient assurer l'intimi-
dation avant le crime et, après la condamnation, l'amendement du coupable. Mal-
heureusement la progression constante des rechutes établit qu'il n'en est pas ainsi
et les avertissements réitérés de la statistique ont conduit le législateur à chercher
les moyens d'enrayer le développement de celle plaie sociale. Les a-l-il trouvés et
— 36 —
en a-l-il assuré le fonctionnement par la loi du 27 mai 1885, qui éloigne de la mé-
tropole, pour les envoyer aux colonies, certaines catégories de malfaiteurs? La
statistique nous le dira plus tard et nous apprendra si la nouvelle terre pénale,
aura été, suivant l'expression de Lamartine, la terre de réhabilitation.
(( La statistique criminelle étend, et avec raison, ses recherches jusqu'aux con-
traventions de simple police, car ces infractions, malgré leur peu de gravité,
portent atteinte aux mesures d'ordre qui font la sûreté de nos villes et de nos cam-
pagnes.
« Elle s'occupe également des morts accidentelles et des suicides et par là se
rattache intimement à la statistique plus générale du mouvement de la populalion.
« Au point de vue de l'administration proprement dite de la justice, la statistique
donne au pouvoir central les moyens de suivre, à travers toutes leurs phases, les
instructions criminelles et de provoquer l'accélération des procédures, afin d'éviter
la prolongation des détentions préventives. Le sort des poursuites dépend, en effet,
bien souvent de la durée des informations. C'est en matière criminelle surtout que
la justice doit être prompte; autrement, le sentiment de réprobation provoqué par
le crime va, chaque jour, s'affaiblissant, les preuves disparaissent et le coupable,
loin d'encourir la condamnation qu'il méritait, obtient quelquefois un acquittement
regrettable. Qu'il me soit permis de dire qu'il résulte de l'examen de cette partie
de la statistique criminelle que la magistrature française sait concilier les droits de
1 humanité avec les nécessités de la répression.
« J'arrive à la statistique civile et commerciale. En dehors des données qui four-
nissent les moyens d'apprécier les travaux et les occupations des cours et tribu-
naux, elle offre des aperçus extrêmement précieux.
« Dans l'ordre des idées morales, par exemple, on sent quelle est l'importance
des chiffres qui représentent le nombre des divorces, des séparations de corps et
même des séparations de biens, des interdictions, des désaveux de paternité, etc.
Quant aux indications relatives aux procès concernant la propriété et ses diverses
modifications, elles donnent les renseignements les plus utiles à l'économiste et
au publiciste qui, dans l'intérêt de la science, peuvent tirer un grand parti de la
relation de ces tableaux avec le mouvement commercial, agricole et industriel,
dont la décroissance ou le progrès sont marqués, chaque année, par des statisti-
ques publiées sous les auspices des autres départements ministériels.
« Par la comparaison du nombre des procès avec l'étendue superficielle, le chif-
fre de la population et le montant de l'impôt foncier, l'économiste peut, sans né-
gliger de tenir compte de l'esprit et des mœurs des habitants, vérifier si la division
des propriétés multiplie les froissements d'intérêts; il peut rechercher s'il existe
une corrélation entre la contribution payée par les propriétaires fonciers et la quan-
tité des contestations nées à l'occasion des prêts hypothécaires, des servitudes, des
baux à ferme, etc. L'état plus ou moins prospère de la propriété immobilière est
caractérisé par les chiffres afférents aux ventes judiciaires, comme celui du com-
merce et de l'industrie l'est par les tableaux s'appliquant aux faillites.
« La distribution des affaires civiles, d'après les dispositions nouvelles des lois
auxquelles elles se rapportent et le sens dans lequel la solution est intervenue, sug-
gère des observations d'une valeur incontestable. Comme la statistique criminelle,
enfin, la statistique civile éclaire le sentiment général qui demande des réformes et
dirige le législateur dont l'œuvre acquiert plus de sûreté et de crédit.
I
— 37 -
« Ne voulant pas abuser de voire patience, je ne vous ai parlé que des parties
essentielles de la statistique judiciaire, laissant de côté bien des points qui ne man-
quent pas d'importance; mais je crois en avoir assez dit pour bien en faire ressor-
tir l'intérêt scientifique et l'utilité pratique.
« Cependant, malgré les nombreux renseignements qu'elle contient, cette statis-
tique est encore insuffisante pour les besoins de la science; il y manque des données
juridiques ou morales qui pourraient servir à élucider plus d'un problème. Il est
particulièrement fâcheux de ne pas trouver, dans la statistique civile, l'importance
des litiges et dans la statistique criminelle les causes des infractions.
c Je sais que l'intérêt pécuniaire engagé dans un procès civil ne peut servir de
criteriumh la gravité des questions de droit ni à l'étendue delà science juridique que
ce procès exige en la personne du juge ; aussi n'est-ce pas à ce point de vue que je
me place. Si je regrette l'absence de ce renseignement, c'est parce que le Parlement
va bientôt s'occuper d'un projet de loi qui a pour but de réaliser la vieille maxime :
A peu de chose, peu de plaid, et qu'on ne peut pas actuellement déterminer le
nombre exact des affaires que l'élévation du taux de la compétence des juges de
paix distraira de la juridiction qui en connaît aujourd'hui.
« En ce qui concerne la seconde lacune, j'avoue qu'il sera peut-être difficile de la
combler. Mais les obstacles qui peuvent surgir sont-ils insurmontables ? Je ne le
crois pas et, comme le faisait remarquer récemment un magistrat distingué(l) : « Le
« crime ne doit pas être considéré seulement comme l'expression d'une intention
« coupable; mais il est, en même temps, le résultat d'influences externes ou in-
« ternes dont l'intensité se prêle au calcul. » N'est-il pas regrettable de ne pas pou-
voir, en l'état actuel, préciser la mesure dans laquelle l'alcoolisme agit rur la cri-
minalité? Il y aurait cependant un grand intérêt social à la connaître.
« Cette nécessité, pour la statistique criminelle, de signaler les passions, les en-
traînements qui engendrent le crime se fait d'autant plus sentir que des sciences,
nées d'hier, comme la sociologie et l'anthropologie criminelles, ne peuvent trouver
la confirmation ou la réfutation de leurs théories que dans la statistique. Si l'on
pouvait obtenir une classification rationnelle des causes des crimes, non pas seule-
ment des causes déterminantes, mais des causes occasionnelles, prédisposantes,
excitantes, on verrait qui a raison de l'aliéniste qui va presque jusqu'à nier la liberté
et la responsabilité morales ou de celui qui, comme Esquirol, affirme qu'un homme
ne peut être irrésistiblement entraîné à un acte qui répugne à sa conscience.
« L'heure n'est pas propice à l'extension de la statistique judiciaire ; mais les
développements dont je viens d'indiquer l'intérêt s'imposent à l'étude de ceux qui
seront appelés, dans l'avenir, à continuer une œuvre que l'Académie des Sciences
a couronnée deux fois et qui jouit dans le monde savant d'une légitime considéra-
tion.
« Je ne dois pas réclamer plus longtemps votre attention qui sera, tout à l'heure,
sollicitée par d'importantes communications et je reviens, en terminant, à la mis-
sion que vous avez bien voulu me confier. Je ne me dissimule pas ses difficultés.
Pour les vaincre, je suis assuré du concours de notre secrétaire général, dont nous
regrettons si vivement l'absence et de notre trésoriei"; je prendrai pour modèles
(l) M. Le Gall, substitut du procureur général près la Cour d'appel de Lyon. — Discours sur le droit
de punir d'après la science positive, prononcé à l'audience solennelle de rentrée du 16 octobre 18SJ.
mes éminents prédécesseurs, j'aurai pour guide votre conseil de direction et pour
soutien, du moins je l'espère, votre bienveillante indulgence. En un mot, Mes-
sieurs, vous pouvez compter, de ma part, sur un dévouement égal à ma reconnais-
sance. » (Vifs applaudissements,)
La séance est reprise sous la présidence de M. Yvernès.
Le procès-verbal de la séance du 15 décembre 1886 est adopté.
M. le Président invite la Société à procéder à l'élection de membres nouveaux.
Sont nommés :
Membre fondateur :
Sur la présentation de MM. Yvernès et Robyns :
M. le D"" Bouteille, licencié en droit, directeur-médecin de l'asile d'aliénés de la
Haute-Garonne à Toulouse.
Membres titulaires :
Sur la présentation de MM, Emile et Maurice Yvernès et de M. Robyns :
M. Raoul de la Guette, rédacteur au service la Statistique du ministère de la
justice;
M. Georges Rufin, commis attaché au même service ;
Sur la présentation de MM. Flechey et Turquan:
M. MiQUEL, rédacteur à la Statistique générale de France.
M. le Président énumère les ouvrages parvenus à la Société depuis la précédente
séance (1).
Il donne ensuite lecture d'une lettre de M. Inama Sterneeg, relative au sixième
congrès international d'hygiène et de démographie, qui se tiendra à Vienne au mois
de septembre 1887.
M. le Président fiiit part d'une lettre adressée à M. de Foville, par M. Léon Say,
en réponse au vote de félicitalion qui lui a été transmis par la Société, pendant la
dernière séance, à l'occasion de sa réception à l'Académie française.
M. GiMEL demande à l'assemblée de vouloir bien l'autoriser, avant de passer à son
ordre du jour, à lui soumettre quelques observations qui lui ont été suggérées par
les études auxquelles il se livre. Sur l'invitation de M. le Président, il donne lecture
des deux communications suivantes :
« Messieurs,
ft Le relevé des cotes de la propriété territoriale d'après les contenances, dressé
en 1884, a été publié dans le Bulletin des contributions directes et dans le Bulletin
de statistique du ministère des finances. Mais ces recueils ne s'adressent qu'à un
public restreint, et j'ai eu occasion, l'été dernier pendant ma villégiature en Niver-
nais, de constater combien cet important travail est peu connu. Causant avec un
notaire de campagne de la division de la propriété et des ressources que l'on com-
mence à poi^séder pour s'éclairer à ce sujet, j'ai vu que mon interlocuteur, homme
éclairé cependant et au courant des publications qui intéressent sa compagnie, ne
soupçonnait par l'existence du relevé en question, relevé dont il a compris toutes
les utilités quand je lui ai eu expliqué que l'on y trouve le tableau par département,
des cotes de propriété de toutes les catégories depuis moins de 10 ares jusqu'à 100
hectares et au delà. Il a vivement regretté qu'un pareil document restât ignoré.
(l) Voir à la fin du procès-verbal.
— 39 —
Après l'avoir regretté avec lui, je me suis demandé s'il n'y aurait pas un moyen de
combler celte regrettable lacune. — Le moyen, Messieurs, n'est peut-être pas bien
difficile à trouver.
« Il n'y a plus guère de déparlement aujourd'hui (y en a-t-il un seul en France?)
qui ne publie son Annuaire administratif, lequel, presque toujours, forme un vo-
lume in-octavo. Un tableau par commune demande, pour le département moyen,
400 à 450 lignes, soit une dizaine de pages. Quel préfet n'accueillera pas avec em-
pressement l'idée de mettre ce précieux document à la portée de tous! Quel éditeur
ne sera pas heureux de trouver un peu de copie, — copie d'aussi bonne qualité, —
à mettre dans sa publication administrative ! Il suffit, pour cela, d'un mot du ministre
aux préfets.
« M. Boulin, directeur général des contributions directes, à qui j'ai fait part ré-
cemment de cette idée, m'a autorisé à vous annoncer, en son absence, qu'il la goû-
tait pleinement et que, si la Société en exprimait le désir, il prêterait son concours
à sa réalisation.
€ J'ai donc l'honneur de vous proposer, Messieurs, d'émettre le vœu que M. Bou-
lin veuille bien prier le Ministre d'inviter les préfets à faire insérer dans le plus pro-
chain Annuaire, ou dans tout autre recueil administratif, le relevé par commune,
canton, arrondissement, des cotes de contenance de 1884, dont la Dircclion des
contributions directes communiquera la minute.
« Il y a là, si je ne m'abuse, l'occasion pour notre Société de rendre un véritable
service au pubhc, service dont elle trouvera la récompense dans la possibilité de
consulter le déldiil par commune, d'un travail qui ne lui a été offert jusqu'ici que
par département.
a. En laissant à chaque éditeur le choix du cadre à employer pour cette publication
qui devra être adaptée au format usité dans le déparlement pour l'Annuaire, notre
Société se bornerait à indiquer celui qui lui semble le plus avantageux (1). »
La proposition de M. Gimel ayant élé adoptée par la Société, M. le Président fait
connaître qu'il écrira, au nom de celle-ci, à M. le Directeur général des contribu-
tions directes, pour lui transmettre un vœu relatifà la publication dans les annuaires
administratifs, du relevé par commune, canton et arrondissement, des cotes de la
contenance de 1884.
« Messieurs, reprend M. Gimel, puisque j'ai la parole, je vous demande la per-
mission d'ajouter quelques mots.
« Je ne sais si toutes les personnes qui se livrent à des recherches statistiques sur
la fin du xviii* siècle et le commencement du xix* ont éprouvé le même embarras
que moi; mais je dois déclarer qu'il m'a été jusqu'ici impossible de rassembler, sur
la division de la propriété foncière, des données numériques de quelque précision
pour établir la transition de l'ancien ordre de choses au nouveau. Le problème,
cependant, est d'un grand intérêt.
« L'auteur du rapport placé en tête de l'enquête décennale agricole de 1862,
(1) Par exemple celui-ci :
Hauteur de rin-octavo. . ?5 centimètres.
Largeur 16 — éployé, 32 ; replié, 48.
Après une colonne de 2 à 3 centimètres pour le nom de la commune, on en aura -iô, soit 22 colonnes
d'un centimètre chaque pour les nombres, et 26 pour les contenances en hectares seulement.
— 40 —
après avoir rappelé les mesures édictées par la Convention, en l'an II, en l'an III,
etc., pour réunir des informations statistiques, ajoutait (p. 19): « Quel a été le sort
« des documents transmis en exécution de ces ordres? Et d'abord, ont-ils été trans-
€ mis, au moins pour toutes les parties du pays? Il y a lieu d'en douter aux plaintes
« continuelles du Gouvernement sur la lenteur dont leur envoi est l'objet. Dans
« tous les cas, il serait de la plus grande utilité, s'ils se trouvent aux archives de
« l'Empire, que l'administration de cet établissement les livrât à la publicité. »
« On lit de plus dans le Mémorial portatif de Laubépin (2" édition, 1829, 2 vo-
lumes in-12, p. 623) à l'article Statistique :
« Comme des motifs d'économie s'opposaient à la publication des mémoires sta-
(( tistiques des préfets, dans la forme adoptée pendant quelque temps sous le gou-
« vernement de Napoléon, le duc Decazes crut ne pouvoir rien faire de plus avanta-
« geux, pour le public, que d'ordonner le dépôt à la bibliothèque de l'Institut des
« documents de cette nature qui se trouvaient dans les Archives du ministère de
« l'intérieur. t>
« Guidé par ces indications, j'ai fait une démarche officieuse à la bibliothèque de
l'Institut pour laquelle j'avais la recommandation d'un ami; mais celte démarche,
malgré l'extrême obligeance et la parfaite courtoisie des bibliothécaires, est restée
infructueuse. On aurait peut-être, m'ont-ils dit, plus de chances de succès aux
Archives nationales.
«Je n'ai pas poussé plus loin ces démarches individuelles, n'étant pas, aux
Archives nationales, sur un terrain bien connu et me proposant de vous en référer.
« N'estimez-vous pas, Messieurs, qu'il y aurait là quelque chose à faire; qu'une
démarche entreprise sous les auspices de notre Société pourrait faire découvrir les
documents dont ont parlé Laubépin et le rapporteur de l'enquête décennale de
1862, dont nous pourrions être les premiers à profiter? »
A cette occasion, M. Flechey fait remarquer qu'en ce qui concerne les recherches
demandées par M. Gimel aux Archives nationales et à l'Institut, il y a lieu de craindre
que l'on ne trouve aucun document pour la période de 1789-1810, si l'on en juge
d'après ce qui s'est passé pour le service des subsistances. Ce service avait besoin
de renseignements remontant à cette époque, notamment pour les mercuriales du
blé, et il n'en a trouvé qu'un certain nombre à l'Institut de France, pour la période
1756-1791.
Quant aux récoltes, il est certain que, depuis Golbert jusqu'au Consulat, des états
ont été réclamés à plusieurs reprises par l'administration centrale qui a dû certai-
nement recevoir un grand nombre de réponses. Comme on n'en trouve trace nulle
part, il est permis de supposer que ces documents ont été détruits après utilisation
préalable par le Gouvernement, qui en avait longtemps confié l'élaboration à un
service dit des clercs du secret.
En ce qui concerne les mémoires envoyés par les préfets au Ministre de l'inté-
rieur en l'an Vlli, on n'en connaît guère qu'une quinzaine qui se trouvent à la
Bibliothèque nationale et qui renferment, en effet, des détails intéressants sur la
situation et le mouvement de la propriété en France.
Toutefois, vu l'intérêt qui s'attache à la demande de M. Gimel, M. Flechey pense
qu'il y a lieu d'effectuer les recherches dont il s'agit.
Conformément au désir exprimé par M. Gimel et ensuite par M. Flechey, M le
— 41 —
Président, après avoir consullé la Société, fait connaître qu'il écrira au directeur des
Archives nationales pour savoir quelle suite on pourrait donner à cette demande
de renseignement.
M. Levasseur ajoute quelques renseignements complémentaires au sujet des
rapports rédigés par les préfets sous le Consulat et transmis au département de
l'Intérieur. Ces rapports avaient été demandés aux préfets par Chaplal. Les premières
réponses ayant laissé à désirer, Peuchet fut chargé par le ministre de rédiger un
plan général pour toute la France ; presque tous les préfets envoyèrent alors des
mémoires dont un grand nombre présentent un intérêt considérable et dont plu-
sieurs furent imprimés. Ces mémoires paraissent quelque peu pessimistes; le Con-
sulat, qui avait alors en vue la réorganisation de l'administration, ne pouvait pas
savoir mauvais gré à ses fonctionnaires à exagérer le mal en parlant des transfor-
mations que la France avait subies depuis dix ans.
M. Chervin se joint à M. Gimel pour demander qu'on s'occupe plus activement de
la statistique historique. Ne serait-il pas possible de publier les mémoires des inten-
dants généraux? On n'a publié jusqu'ici que le premier volume concernant la géné-
ralité de Paris; le deuxième est impatiemment attendu. Le moment n'est-il pas bien
choisi pour faire ces recherches et obtenir les subsides qu'elles nécessitent? L'ex-
position internationale de 1889 n'a-t-elle pas mis à l'ordre du jour les comparaisons
à établir entre l'état de la France en 1789 et en 1889?
M. Levasseur répond que la. publication des mémoires des intendants généraux
a été confiée, il y a plusieurs années, à M. de Boislisle, aujourd'hui membre de l'Ins-
titut, dont la haute compétence dans ces matières est bien connue du monde savant.
M. de Boislisle a commencé avec raison par la généralité de Paris. Il n'est pas pos-
sible de déterminer le temps nécessaire pour mener à bien un travail qui nécessite
de longues recherches ; il faudra un temps considérable pour recueillir les mé-
moires des intendants qui sont au nombre de 32. Il existe un certain nombre de
copies de ces mémoires dans les archives et dans les bibliothèques. Au commen-
cement du xviii" siècle, le comte de Boulainvilliers en a fait un résumé qui a paru
après sa mort sous le litre d'État de la France; ce résumé a été publié en 1721.
Le comité des travaux historiques a examiné le projet de comparaison de la
France en 1789 et en 1889 dont parle M. Chervin. Mais il s'est borné à demander
non un travail critique et général, mais une série de travaux particuliers, formés
de pièces ou d'analyses de pièces authentiques, et présentant, pour une intendance,
un pays ou une région de moindre étendue, l'état des personnes, des biens et de
l'administration en 1789. C'est une sorte d'inventaire. Le comité a préparé un plan
pour guider les savants qui se livreraient à ce genre de recherches. Ce plan n'est
pas impératif; il n'est qu'indicatif de l'ordre des principales matières. L'auteur res-
tera toujours libre de disposer et de limiter ou d'étendre son sujet comme il l'en-
tendra sous le contrôle du comité qui proposera au ministre, quand il y aura lieu,
l'impression du travail dans la collection des Documents inédits sur l'histoire de
France. M. Levasseur se fait un plaisir de donner ces renseignements à la Société et
souhaite que plusieurs de ses membres puissent devenir, pour l'accomplissement de
cette œuvre, des collaborateurs du ministère de l'instruction publique.
M. Gimel ajoute :
Mes propositions étant adoptées, il serait, sans doute, hors de propos d'insister
— 42 —
pour en justifier les motifs. Qu'il me soit seulement permis de répondre un mol à
MM. Flechey et Levasseur.
M. Flechey ne porte qu'à une quinzaine le nombre des mémoires envoyés par les
préfets au ministre de l'intérieur, à l'époque du Consulat; me pardonnera-t-il de lui
rappeler que le nombre en est bien plus grand? On trouve à la Bibliothèque natio-
nale, département des imprimés : les 34 de l'an VIT! ou IX (dont 6 concernent des
départements réunis), les 7 de l'an X, les 20 de l'an XI, les 52 de l'an XIII, ce qui
ne forme pas toutefois un total de 113; presque toujours les mêmes départements
reparaissent ; un tiers à peu près n'eut pas de statistique, — mais ce sont des œuvres
fort inégales, toujours incomplètes, trop souvent absolument insuffisantes.
Trois mémoires furent des œuvres remarquables, parues en 1808 : l'Ain, par
Bossi; la Haute-Vienne, par Tessier Olivier; le Mont-Blanc, par Verneilh; ils for-
ment de beaux in-folio, d'une impression magistrale; mais ce fut, j'imagine, cette
publication qui, jugée trop coûteuse, fut suspendue; suspension qui devint l'origine
de la détermination prise par le duc Decazes et dont parle Laubépin.
Quant au très important ouvrage publié, en 1819, par le comte Ghaptal, sur Yln-
dustrie française et qui est l'œuvre d'un homme d'État plutôt que d'un statisticien ,
il contient sur la division de la propriété cette phrase : « Les événements survenus
« depuis trente ans ont doublé le nombre des propriétaires, d
Cela peut être exact, mais, assurément, cela n'est pas assez.
L'ordre du jour appelle la communication de M. Levasseur sur les tables de sur-
vie. Cette communication, qui soulève et résout des problèmes i'ntéressants à la fois
au point de vue de la pratique et de la spéculation, sera imprimée in extenso au Bul-
letin de la Société.
L'ordre du jour de la prochaine séance est ainsi fixé :
1° Discussion de la communication de M. Levasseur sur les tables de survie.
2° Communication de M. Cheysson sur les classifications par les cartogrammes à
teintes dégradées;
3" Communications de MM. Fougerousse et Duhamel sur les Sociétés coopéra-
tives de consommation.
La séance est levée à 11 heures.
Ouvrages offerts à la Société.
France. — Annuaire statistique de la ville de Paris, pour 1884.
Rapport présenté par le directeur de l'Administration générale de l'assistance
publique à M. le Préfet de la Seine.
Rapport à M. le Préfet de la Seine sur le service des enfants moralement
abandonnés pendant l'année 1885.
Algérie. — Conseil supérieur de gouvernement, session de novembre 1886, procès-
verbaux de délibérations et exposé de la statistique générale de l'Algérie.
Buénos-Ayres. — Annuaire statistique de la province de Buénos-Ayres, publié sous la
direction du docteur Emile R. Coni, 1886.
Italie. — Statistica giudiziaria, civile e commerciale per Vanno 1883.
Documents divers. Revues et Journaux,
— 4:3 —
LE PROBLÈME MONÉTAIRE. [Suite (1).]
SECONDE PARTIE.
De la baisse de valeur de l'argent,
I. — Tableau synoptique de la baisse de valeur de l'argent.
Dans le livre précédent j'ai établi que, depuis 1850, l'accroissement des métaux
précieux, monnayés et non monnayés, avait été parallèle à un développement
extraordinaire des instruments monétaires auxiliaires, et que la surabondance des
uns et des autres avait de beaucoup excédé les besoins monétaires. La conséquence
nécessaire de cette situation devait être d'amoindrir l'utilité de l'argent, inférieur à
l'or à tous égards et de tout temps.
On pourrait résumer l'histoire entière de la monnaie par celle de la baisse de la
valeur de l'argent, du moins en ce qui concerne, dans celte histoire, la fonction des
métaux précieux. Les origines, les progrès, les ralentissements, les élans séparés
ou conjoints, les conditions de la production de l'or et de l'argent, les effets de ces
mouvements sur les prix des marchandises, l'influence des révolutions humaines
sur les uns et sur les autres, tout peut s'y rapporter.
La baisse de la valeur de l'argent est donc un fait très ancien et normal; il faut
ajouter que c'est un fait périodique.
Pour constater ce fait d'une manière plus saisissante, j'ai dressé un tableau de
ses divers éléments, en les demandant à des sources très variées : G. Garnier, tra-
ducteur d'Adam Smith, Lord Liverpool, Tooke et Newmarck, MM. Bœckh, Dureau
de la Malle, Letronne, Leber,Landrin,Levasseur, Roswag, Broch. Les appréciations
concordent dans leurs lignes générales, quoique les chiffres ne concordent pas tou-
jours sur certains points particuliers. Pour les temps qui ont précédé le xvir siècle.
Lord Liverpool, même après Adam Smith, est la première autorité. Les derniers
chapitres de son livre : The Coins ofthe Realm (2), indiquent des recherches appro-
fondies. M. Landrin paraît avoir également recueilli beaucoup de renseignements
sur la quantité et la valeur réciproque des métaux précieux depuis la seconde
époque de la civilisation grecque. Ces renseignements ont été utilisés par M. Ros-
wag dans ses diagrammes. Pour le moyen âge et l'ère moderne jusqu'en 1789,
MM. Leber, Levasseur et Roswag ont fait les travaux les plus importants en France,
de même que M. Thorold Rogers, M. Stanley Jevons en Angleterre. Quant aux
temps contemporains, les statisticiens sont très nombreux. Sans compter les ou-
vrages divers, déjà cités, j'ai eu particulièrement recours pour dresser ce tableau
(1) Voir les numéros tic septembre et d'octobre du Journal 1886.
(2) Réimprimé en 1880.
u
SIÈCLES.
Avant ère chrétienne
600
300
200
, 50
Ère chrétienne . .
ne siècle
iiic siècle
iv siècle
V"; siècle
VI'-" siècle
vii« siècle ....
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ixe siècle
xt-xiie siècles. . .
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1250-1300
1300-1350
1350-1400
1400-1450
1450-1500
1500-1.')50
1550-1600
1000-1600
1650-1700
1700-1750
1750-1800
1800-1850
1851-1860
18611870
1871-1880
1871-1885
Sources
KILO-
GliAMMK
de blé
contre un
kilogramme
argent.
i
8,500
7,200
7,000
6,7oO
6,650
6,600
6,. 500
6,450
6,400
6,350
6,300
6,300
6,250
6,200
6,200
6,200
0,200
6,200
6,. 3.50
6,450
5,500
5,000
4,000
3,100
2,, 500
1,500
750
Laudrin,
Roswag.
PKIX
de
l'hecto-
litre
blé en
francs.
1.95
2.56
2.69
2.12
2.95
5.90
5.80
7.80
9.75
11.75
13.75
20.48
21.20
22.75
23.01
Broch.
Dito.
PRIX
du
kilo-
gramme
argent
fin.
12.50
15
20
24
30
32
58
88
102
112
135
217
215
Roswag.
du marc
d'argent.
liv. a. d.
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11 »
13 8
16 10
2S 14
33 »
40 »
54 10
Leber.
PKIX
de
l'iieciolilre
blé
en
grammes
argent.
11.50
12.37
12.37
16.50
16.73
19.68
28.20
14.30
16.87
11.96
19.35
62.66
73.31
78.90
90.18
93.12
105.00
Levas-
seur.
PKIX
du
quarter
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Londres.
ch. d.
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70 1
Tooke.
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Broch.
PRIX
du setier
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Francs.
5.02
6.73
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7.43
11.28
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24.38
25.42
19.93
G. Garnier.
POUVOIR DE l/AItGF.N-
I.cber.
Levasseur.
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2
1.4
2
1
2
1.2
2
l.I
Levas-
seur.
comparatif aux travaux de MM. Tooke et Newmarck en Angleterre, Roswag, Lan-
drin et Broch en Fj-ance (4).
Toutes les colonnes de ce tableau ont pour objet la démonstration, directe ou
indirecte, de la baisse de la valeur de l'argent; les unes indiquent la marche descen-
dante du pouvoir de l'argent, les autres la hausse parallèle du prix du blé et celle
du prix de l'argent, d'auti'es l'accroissement de la valeur de l'or relativement à
l'argent, d'autres enfin l'augmentation parallèle du stock de l'or et du stock de
l'argent.
(1) Consulter : Roswag, Des Métaux précieux au point de vue économique, 1865. — Lcber, Essai
sur la fortune privée au moyen âge, 1847. — Levasseur, Question de l'or, 1858. — Léon Faucher,
la Démonétisation de l'or. Mélanges, 2 vol., 1856. — Stanley Jevons, La Monnaie, traduite en français,
1878, et Investigations in Currency, 1885. — Michel Chevalier, articles du Dictionnaire d'économie
politique : Monnaie et Métaux PRÉciEnx, el son livre : la Monnaie, la Baisse de l'or, 1859, et deux
articles de la Revue des Deux-Mondes, octobre 1846 et avril 1847. — Landrin, Traité de l'or, 1851
(excellent livre). — Tooke et Newmarck, Hislory of priées, 5 volumes avec le supplément. — Broch,
Tableaux annexés au second volume de la Conférence de 1881. Consulter également E. de Laveley, Revue
des Deux-Mondes, 15 août 1878, et son livre : le Marché monétaire, 1865. — Enfin le beau livre
de M. Horton, Monetary Conférence de 1878. Washington, 1879. — Bœckh, Èconojuie politique des
Athéniens, livre d'une grande autorité. — Bureau de la Malle, Économie politique des Romains, cri-
tique plus large, mais moins sévère que Bœckh, et 1ô6 Méynoires de M. Letronne, et enfin Texcellent
ouvrage de Lenormant, 3 vol., Histoire de la monnaie.
— 45
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STOCK MON.NAYK.
COURS
RAPPORT
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Au fur et à mesure que l'argent a perdu de sa valeur, le kilogramme d'argent a
pu acheter moins de blé (colonne 1); par suite, le prix de l'hectolitre de blé s'est
élevé (colonnes 2, 5, 6 et 7) ; par suite aussi, le prix du kilogramme d'argent a dû
être exprimé par une monnaie moins efficace, soit par plus de monnaie (colonne 3).
Il y a équation entre moins de blé et plus de monnaie.
Les chiffres de ces diverses colonnes sont loin de présenter la même certitude.
Ceux compris dans les colonnes 3, 4, 5, 6, 7 sont les plus sérieusement établis. Ils
se contrôlent tous les uns les autres. Leur signification générale est évidente. La
divergence la plus réelle est celle qui existe entre les colonnes 3 et 5. Les relevés
dus à M. Levasseur doivent être acceptés comme les moins incertains, parce qu'ils
résultent de vérifications sur des documents authentiques et nombreux. Au milieu
du xviii" siècle, la parité est remarquable entre les colonnes 2, 3 et 5. Cette parité
s'altère pendant l'époque suivante : MM. Landrin et Roswag ont dû prendre des
cotes insuffisantes pour le prix du blé de 1750 à 1800. La parité se relève de 1800
à 1850.
Les prix du blé, en Angleterre, ont présenté, pendant lexviir siècle, des variations
extrêmes, comme l'ont expliqué Adam Smith et Tooke. Les causes de ces variations
ont sensiblement modifié, sans la détruire, l'influence de la baisse de l'argent.
La baisse de l'argent est donc un fait ancien.
— 46 —
Utilisant les divers travaux des statisticiens, surtout ceux de M. Landrin, et rap-
portant la valeur de l'argent à son pouvoir d'achat de blé, M. Roswag a dressé un
graphique à deux courbes.
La première correspond à la quantité de blé (1) s'échangeant contre un kilo-
gramme d'argent depuis l'époque de Solon jusqu'en 1850. Ce graphique forme
deux lignes obliques reliées par une droite. De 600 à l'ère chrétienne, la valeur de
l'argent descend lentement (1 kilogr. d'argent peut acheter de 8,500 à 6,700 kilogr.
de blé, la valeur de l'hectolitre passe de 1 fr. 95 c. à 2 fr. 56 c). De l'ère chrétienne à
1450, baisse presque.insensible, mais constante (pouvoir d'achat passe de 6,700 à
5,800, valeur de l'hectolitre, 2 fr. 72 c.) ; légère reprise de 1450 à 1500 (le pouvoir
d'achat remonte à 6,300 kilogr. ; valeur du blé, 2 fr. 56 c); puis, de 1500 à 1850,
une baisse, sans aucun retour ; le pouvoir d'achat tombe de 6,300 à 750 kilogrammes,
valeur du blé, 20 fr. 48 c. l'hectolitre.
La seconde courbe indique le rapport de valeur de l'or à l'argent, aux diverses
époques. Les divers termes de ce rapport forment une courbe extrêmement mou-
vementée. De Solon à Alexandre, la valeur du rapport baisse de 12 à 10; d'Alexan-
dre à la conquête de la Sicile par les Romains, elle remonte de 10 à 17, pour
redescendre à 7 à l'époque de César. De César au commencement du v* siècle
(invasion d'Alaric), la valeur remonte de 7 à 18, puis elle rebaisse à 11, règne de
Gharlemagne, remonte à 12 sous saint Louis, rebaisse à 10, 7, à la fin du xv® siècle (2).
(1) J'ai cru devoir inscrire aux deux premières colonnes les chiffres acceptés jusqu'en 1860 par
MM. Landrin et Roswag, quoiqu'ils présentent une grande incertitude relativement au rapport des métaux
précieux avec les prix, parce que pour les époques antérieures au xvi^ siècle, ce rapport des prix avec les
métaux précieux n'offre qu'un intérêt secondaire, quant à l'objet de mon travail , ce travail a pour but
d'étudier le rapport des métaux précieux entre eux et, seulement dans la période actuelle, leur influence
sur les prix.
Selon Bœckh, à l'époque de Solon, le médirtine de froment (51 litres) valait 1 drachme et 3 drachmes
à l'époque d'Aristophane, soit moins de 6 fr. l'hectolitre; ces faits sont d'accord avec tous ceux connus.
Bureau de la Malle ne les a pas acceptés {Économie des Ilo^nains, 1 vol., chap. XII). H a entassé les
textes et les chiffres pour prouver qu'à l'époque de Démosthène le prix du blé était le même qu'en France
en 1840. Je ne m'attarderais pas à discuter l'opinion de Dureau de la Malle, auteur moins sûr que Bœckh ;
mais je trouve le principe de son erreur probable dans les axiomes de son chapitre XI sur le fait que
le travail mesure toutes les valeurs, ce qui, contestable quand le travail est libre, l'est bien davantage
quand il est servile.
(2) Bœckh et Dureau de la Malle (ouvrages cités, !«' volume de chacun) ont donné des renseignements
intéressants sur le mouvement des métaux précieux dans l'antiquité. Bœckh croit à leur rareté, surtout
à celle de l'or; Dureau à leur abondance, surtout à celle de l'or. Les faits confirment l'opinion de Bœckh.
L'argent n'est devenu qu'assez tard la monnaie romaine ; il est toujours resté l'élément monétaire prin-
cipal de la Grèce et de Rome. Les Perses, puis Alexandre, puis Pompée et César, ont versé dans la cir-
culation de l'Europe de certaines quantités d'or, et l'or a été plus abondant jusqu'à Constantin; puis il
s'est de nouveau dirigé vers l'Orient. Dureau de la Malle a tracé avec talent l'histoire de la substitution
de l'argent au cuivre, substitution qui a été longue à s'opérer. Nulle part on n'a essayé de substituer l'or
au cuivre. La drachme et le sesterce sont des monnaies d'argent.
Quant aux oscillations du rapport de l'argent à l'or, elles ont été des plus violentes, d'après Dureau de
la Malle: 1 à 6, 1500 avant l'ère chrétienne; Hérodote, 1 à 13; Xénophon, 1 à 10 :Gésar, 1 à 8; Hono-
rius, 1 à 14,14 ; Théodose II, 1 à 18.
Bœckh donne les chiffres suivants : Hérodote, 1 à 13 ; Platon, 1 à 12; Démosthène, 1 à 14; Guerre
d'Etolie, 1 à 17; César, 8 13/16; v» siècle de l'ère chrétienne (422), 1 à 18.
On peut accepter comme arbitrage entre Bœckh et Dureau de la Malle les résultats des études de
M. Lenormant sur la Monnaie, 1" vol., 145.
— 47 —
Depuis, avec des oscillations presque inseusiijies, elle n'a cessé de grandir jusqu'à
10,25 en 1800, pour revenir à 14-, 95 en 1847. M. Roswag constate que, malgré la
fixation de ce rapport à 15,50, par la France, en 1801, il n'a cessé de varier, à la
même époque, entre les divers Etats; il n'a jamais eu de fixité.
Ce graphique est assorti d'un second tableau relatif aux oscillations de la valeur
économique de l'argent, ou de son pouvoir d'achat vis-à-vis de toutes les marchan-
dises. Ces oscillations, calculées de Charlemagne à 186:2, sont représentées par une
courbe qui, très accentuée de 800 à 850, s'infléchit lentement de 850 à 1520, subit
tout à coup une profonde dépression de 1520 à 1600, conserve sans relèvement le
même niveau de 1600 à 1800, pour éprouver une nouvelle chute de 1800 à 1862.
De 11 en l'an 800 l'échelle du pouvoir tombe à 7 en 850, à 6 en 950, à 2 en 1600
et à 1/2 en 1862.
L'un des faits les plus curieux, établis par M. Roswag, c'est que, même de 1800
à 1848, la valeur du rapport entre l'or et l'argent n'a cessé de varier, et qu'elle a
oscillé de 14,96 à Londres (1817), à 16 en France (1807) et à 15,75 à Hambourg.
Mais le fait le plus important qu'il ait démontré, c'est la constance de la valeur
intrinsèque de l'or, c'est-à-dire de son pouvoir d'achat de 1226 à 1800. Toutes les
oscillations se reportaient sur l'argent. De sorte que l'histoire monétaire se résume
presque dans une formule : baisse de la valeur de l'argent relativement à l'or.
J'aurai à rechercher si, depuis 1800, et surtout depuis 1850, cette valeur intrin-
sèque de l'or s'est maintenue. De très bons esprits n'ont pas reconnu le fait de la
fixité de l'or. A. de Humboldl, dont les travaux sur la production des métaux pré-
cieux ont tant servi pour établir leur histoire depuis le xvi" siècle, admettait que la
valeur de l'or variait et que celle de l'argent demeurait invariable (1). Il prenait
l'argent pour le véritable étalon monétaire. Dans les délibérations, fort curieuses,
de la commission monétaire de 1869, une vive discussion s'engagea entre M. Dumas
et M. Michel Chevalier, sur la fixité du rapport de valeur entre l'or et l'argent.
M. Dumas soutint qu'à aucune époque le rapport n'avait varié au delà de 15 à 12.
Il repoussait, dans le passé comme dans l'avenir, le fait d'une grande dépréciation
de l'argent. Cette discussion se généralisa (2). M. Wolowski, favorable à l'argent,
cita les belles paroles de Turgot, qui servent d'épigraphe à cette étude ; mais il les
interprétait mal. Turgot n'y a pas introduit l'idée de la fixité du rapport. Les deux
métaux peuvent être nécessaires comme instruments monétaires, mais la propor-
tion de leur utihté, comme celle de leur emploi, peut varier.
II. — Des effets de la baisse de l'argent avant le XYIII" siècle.
Il résulte des recherches dues à M. Leber que les effets de la baisse de valeur de
l'argent ont été, bien avant le xvi* siècle, souvent reconnus et signalés; seulement
ils se confondaient avec les variations incessantes de la situation monétaire, dues à
l'altération des monnaies. Bien que la seconde moitié du xvj," siècle et la première
du xvii" aient été fort troublées, notamment par les guerres de religion et la guerre
de Trente ans, il fut impossible de se méprendre sur la grandeur de la crise écono-
(1) Telle était aussi l'opinion de Bœclch. Économie, traduction Laligant, l"" vol., p. 35;
(2) Tous les travaux de cette enquête, reinarquablemenl conduite, ont été publiés; 2 vol. in-i". C'est
un document des plus importants.
— 48 —
mique provenant de la hausse des prix. Tout changeait et, sans se rendre compte
exactement de la nature de la crise, les esprits les plus perspicaces en apercevaient
la cause dans la baisse de valeur des métaux précieux. Le conseil donné parBur-
gleigh aux universités d'Oxford et de Cambridge de stipuler le paiement de leurs
rentes en grains en est la preuve. Quels étaient la nature, la portée, la fin de cette
baisse, les moyens d'y parer, son véritable caraclère ? Les meilleurs esprits ne le
discernaient pas. Les fluctuations incessantes dans les afflux tantôt d'or, tantôt d'ar-
gent, ne le permettaient pas. Était-ce l'argent qui baissait? Était-ce l'or? De très
rares hommes d'affaires, quelques banquiers, l'avaient peut-être saisi : le public et
les hommes politiques l'ignoraient.
Il y a quelques années, M. le vicomte d'Avenel a lu à l'Académie des sciences
morales et politiques un mémoire sur les effets de ces fluctuations au xvu" siècle (1).
Elles étaient si fréquentes qu'il est fort difficile d'uliliser les renseignements sur les
faits monétaires de cette époque. En 1602, le marc d'or (245 grammes) valait
240 livres et le marc d'argent valait 20 livres 5 sols. En 1636, le marc d'or s'éle-
vait à 384 livres et celui d'argent ne montait qu'à 26 livres 10 sols. Le roi, ses
ministres, la cour, le public, les marchands, ne comprenaient rien à ces fluctuations.
Chacun s'en tirait de son mieux et au hasard. Toutefois, le Gouvernement se mit en
tête de relever la valeur de l'argent par des édits : les banquiers, les commerçants,
quelque peu au courant, résistèrent. La confusion monétaire de cette époque était
extrême, on en trouve la preuve dans les Hvres de Bodin, si supérieur cependant à
son temps. Non seulement la valeur des métaux précieux variait, mais les monnaies
variaient aussi. La valeur propre des marchandises, en dehors des prix en numé-
raire, variait également. M. d'Avenel a établi que les prix et le coût de la vie ne
correspondaient pas en entier à l'accroissement et à la diminution des métaux pré-
cieux. Les prix des marchandises et des métaux précieux subissaient, en outre, de
grandes variations de pays à pays. Enfin le tout, en France du moins, se rapportait
à une monnaie de compte, c'est-à-dire idéale.
« La connaissance de la valeur relative des métaux précieux est encore assez
« nouvelle dans notre pays. Nul ne doutait à cette époque que l'or et l'argent
« n'eussent une valeur absolue l'un et l'autre, et l'un par rapport à l'autre; que
« cette valeur et ce rapport ne pussent être fixés par un acte de la puissance royale
« et que le roi ne fût le maître de la monnaie et de la valeur monétaire. » Aussi les
embarras du Gouvernement étaient-ils considérables. En 1 615, le rapport de l'argent
à l'or se tenait à 12,85; en 1640, il tomba à 14,76. Le Gouvernement se décida
alors à frapper une belle monnaie d'or, le louis de 24 fr. Il le réduisit à 22 karats,
lorsque, d'après la valeur, il devait en avoir 23. Les louis furent néanmoins recher-
chés, à raison de la tendance générale vers la plus-value de l'or. Malgré celte
frappe, l'opinion publique et le Gouvernement demeurèrent favorables à l'argent.
Le Gouvernement avait surtout poursuivi dans le monnayage des louis une opéra-
it) Vergé, Compte rendu des séances, 1882, 1^"' vol. 815.
D'après Forbonnais, il était de 12 en Allemagne et en Italie, de 13,20 en Angleterre et en Espagne,
vers 1630.
M. D'Avenel évalue en 1650 la quantité de monnaie d'or en France à 300 millions et celle de l'ar-
gent à autant. Il admet que le pouvoir de l'argent était alors trois fois plus grand qu'en 1880, en moyenne.
La livre équivalait à 10 grammes poids d'argent, soit 2 fr.
— 49 —
lion lucrative. L'argent avait pour lui la tradition et l'abondance. 150 ans plus
lard, Mirabeau et Gaudin, quoiqu'on rapports journaliers avec des banquiers compé-
tents, aux jours les plus prospères de l'ancienne France, considéraient encore l'ar-
gent comme le métal précieux principal.
III. — Refonte de la monnaie d'or en Angleterre au XVIIP siècle.
Restriction de l'argent.
La révolution monétaire a eu en Angleterre trois témoins illustres : Bacon,
Locke et Newton. Ces philosophes se sont tous occupés de la monnaie, attestant
ainsi le génie pratique de leur race, préparant la supériorité financière de leur
pays. Bacon a été l'un des conseils de la reine Elisabeth et de Jacques II dans leurs
édils sur le règlement des monnaies d'or et d'argent. C'est à Bacon et aux banquiers
de Londres, héritiers des traditions des Lombards, des merclianls adventurers et
des orfèvres, que l'Angleterre doit la supériorité monétaire qu'elle a conservée
pendant deux siècles. Les questions monétaires, qui n'ont été définitivement com-
prises et expliquées en France que depuis Turgot, étaient déjà élucidées à Londres
à la fin du xvf siècle. Le contraste entre les ouvrages publiés à cette époque en
Angleterre et en France sur tout ce qui concerne les intérêts économiques est com-
plet. On peut comparer Bodin et W. Petty. Ce sont deux esprits supérieurs; Petty
est postérieur de quelques années. Petty n'a pas le génie de Bodin, mais il appar-
tient à un milieu où les faits sont mieux connus. De là la supériorité des écrits de
Locke et de Newton. Pour comprendre cette supériorité, il suffit de comparer les
trois ouvrages de Locke sur la monnaie avec le célèbre rapport de Newton, directeur
de la monnaie de Londres, aux Lords commissaires avec les édits de Louis XV, après
les expériences décisives et terribles de Desmarets et de Law.
Mais si les banquiers, si les pubUcisles anglais ont, même avant Locke, reconnu
les véritables conditions de la législation monétaire, la correspondance de fonction
et de valeur de l'or et de l'argent, le rôle de la monnaie dans les mouvements éco-
nomiques, la nature commerciale de la monnaie, les strictes limites de l'interven-
tion des gouvernements, il ne leur était pas possible de déterminer encore celui des
deux métaux précieux auquel la préférence appartiendrait. Dès la fin du règne
d'Elisabeth, l'or abondait cependant en Angleterre, il tendait à prendre le rôle prin-
cipal. La monnaie d'or anglaise devint, grâce aux règlements d'Elisabeth, la meilleure
monnaie d'or du continent. La valeur de la monnaie d'or fut, par elle et par ses
deux successeurs, Jacques II et Charles I", progressivement élevée, même au delà
du juste rapport, au fur et à mesure de la baisse de l'argent.
L'argent demeura toutefois la monnaie principale. William Petty, Harris, Locke,
se prononcèrent tous en faveur de l'argent comme seul véritable étalon monétaire,
seule mesure des valeurs, lorsque l'on se fut rendu compte de la différence sensible
subie par leur rapport, différence que W. Petty calculait à 14 au lieu de 12 à 1.
Au commencement du xviii" siècle, cette différence s'accentua encore et devint
comme 15 à 1. Cette nouvelle hausse de l'or paraît avoir provoqué l'attention par-
ticulière de Newton. Le dernier écrit de M. Stanley Jevons, si compétent lui-même
dans les questions monétaires, a été consacré à cet incident de la vie de Newton.
Les Lords de la Trésorerie avaient demandé l'avis de Newton sur les monnaies
d'or et d'argent de l'Angleterre, ainsi que sur la valeur respective de l'or et de l'ar-
4
— 50 —
gent. Plus tard Newton fut consuité sur les mêmes questions par John Condulll,
son neveu par alliance, et par Ganlillon, esprits des plus clairvoyants. Newton ré-
pondit aux Lords de la Trésorerie qu'en vertu de l'expérience comme de la raison,
l'argent et l'or se dirigeaient vers les contrées où on les payait le plus cher; que
l'or tendait à affluer en Angleterre et l'argent à se diriger vers l'Inde, la Chine cl le
Japon; que le peuple ne changeait pas volontiers de l'argent contre de l'or et que
le moment viendrait où l'argent ferait prime. Avec Gantillon et son neveu (1),
Newion paraît s'être montré moins favorable à l'argent. Il aurait reconnu que le
marché seul des métaux précieux fixait la valeur respective de l'or et de l'argent et
que, si à l'un ou l'autre, comme instrument monétaire, une valeur supérieure à
celle du marché était attribuée, l'équilibre était nécessairement rétabU par la sortie
du métal lésé.
La préférence en faveur de l'argent ne persiste pas en Angleterre. Au fur et à
mesure qu'elle s'enrichissait, l'usage de l'or prévalut. Les idées de Locke, les hésita-
tions de Newton ne furent plus acceptées. Avant 1717, l'argent avait été le seul étalon
monétaire. Une loi de 1717 admit l'or comme nouvel étalon. L'Angleterre conserva
le double étalon jusqu'en 1774. A cette époque, le Parlement, sur le conseil du
premier lord Liverpool, consentit à faire un premier essai de l'étalon unique d'or.
Le pouvoir libératoire de l'argent fut réduit à 25 livres. En 1783, on revint an
double étalon après les épreuves de la guerre américaine, pour reprendre en 1798
la législation de 1774- (2).
Celte expérimentation avait été précédée d'une refonte complète, accomplie par
lord Liverpool, de la monnaie d'or anglaise. Comme cette monnaie n'avait plus le
poids, elle donnait lieu à un change défavorable. Elle fut entièrement renouvelée
en 1774. Il fut tenu compte aux porteurs du frai. L'idée de rétablir, par décret, la
valeur provenant de l'usure et du temps ne vint à personne.
Ce n'est qu'en 1816 que l'Angleterre, avec le second Liverpool, adopta définiti-
vement l'or comme seul étalon monétaire et réduisit à 50 fr. le pouvoir libératoire
de l'argent. Le premier lord Liverpool a été l'un des meilleurs économistes, et le
second l'un des plus célèbres hommes d'État de l'Angleterre.
IV. — Refonte de la monnaie d'or en France au XVIIP siècle.
Pendant le xviii" siècle, surtout dans la seconde partie du siècle, l'or était de-
venu assez abondant'en France. La richesse avait fait des progrès sérieux. De nom-
breux louis d'or avaient été frappés. Leur poids était supérieur à leur valeur légale.
Par suite, le commerce les exportait, de même qu'il exigeait un agio pour les sou-
verains anglais. C'est exactement le double mouvement indiqué par Newton. La
nécessité d'une réforme devint évidente, bien que la situation fût exactement l'in-
verse de celle signalée et rétablie par lord Liverpool.
Les idées des économistes s'étaient répandues. Depuis 20 ans la France avait pu
(1) Investigations in Currency, 331, et un article sur Cantillon Contemporary review.
Voir la déposition de M. E. Seyd, Enquête monétaire, 1869-1870.
M. Dana Horton a publié les débats qui ont eu lieu en 1717 sur les rapports de Newton à la Chambre
des communes. Monetary Conférence, 1879.
(2) M. Dana Horton a publié, Monetary Conférence 1879, les divers actes législatifs de 1774 à 1816
(loi du 22 juin) sur la monnaie en Angleterre.
— 51 —
lire les écrils de Turgol sui- la monnaie. Turgol, sans avoir connu Cantillon, avait,
dû être mis au courant de ses idées et de celles de Newton par de Gournay, leur
ami commun. La réforme monétaire, quoique opérée par de Galonné (1) après la
mort de Turgol, n'en a pas moins été faite sous l'empire de ses principes.
Je crois devoir donner le texte entier de la déclaration de Louis XVI (30 octobre
1785), à raison de son importance exceptionnelle, des principes qu'elle consacre et
de leur application immédiate aux questions contemporaines :
IX L'attention vigilante que nous donnons à tout ce qui peut intéresser la fortune
« de nos sujets et le bien de notre Etat, nous a (ait apercevoir que le prix de l'or
« est augmenté depuis quelques années dans le commerce; que la proportion du
« marc d'or au marc d'argent étant restée la même dans notre royaume, n'est plus
« relative aujourd'hui à celle qui a été successivement adoptée dans d'autres pays, et
« que nos monnaies d'or ont actuellement, comme métal, une valeur supérieure à
€ celle que leur dénomination exprime, et suivant laquelle on les échange contre
« nos monnaies d'argent, ce qui a fait naître la spéculation de les vendre à l'étran-
« ger et présente en même temps l'appât d'un profit considérable à ceux qui se
« permettraient de les fondre, au mépris de nos ordonnances.
« Le préjudice qui en résulte pour plusieurs genres de commerce par la diminu-
« lion déjà sensible de l'abondance des espèces d'or dans notre royaume, a rendu
« indispensable d'en ordonner la nouvelle fabrication comme le seul moyen de
« remédier au mal, en faisant cesser son principe; mais en cédant à cette nécessité,
« notre premier soin et la première base de notre détermination ont été qu'elle ne
« pût causer la moindre perte aux possesseurs de monnaie d'or, qu'elle leur devînt
« même avantageuse; et pour ne laisser aucun nuage sur cet objet important, nous
« avons voulu que le développement de toute l'opération, et la publication du
« tarif qui en présente les résultats,, en manifestassent clairement la justice et
« l'exactitude.
« La nouvelle monnaie d'or aura la même valeur numéraire que la monnaie
« actuelle ; elle aura aussi le même titre de prix; il n'y aura de différence que dans
a la quotité de la matière, qui y sera réduite à sa juste proportion. Il sera tenu
« compte de celte différence aux possesseurs d'espèces d'or qui les rapporteront à
« nos hôtels des monnaies, notre intention étant qu'ils profitent du bénéfice sur
« l'augmentation du prix de l'or.
« Par une opération dirigée aussi équitablement, le rapport de nos monnaies
« d'or aux monnaies d'argent se trouvera rétabli dans la mesure qu'exige celle qui
« a lieu chez les autres nations (2), l'intérêt de les exporter disparaîtra, la tentation
« de les fondre ne sera plus excitée par l'appât du gain, notre royaume ne sera plus
« lésé dans l'échange des métaux, et il n'en pourra résulter ni dérangement dans la
« circulation, ni changement aucun dans le prix des productions et des marchan-
« dises, puisque toutes les valeurs se règlent relativement à l'argent dont le cours
« sera toujours le même.
(1) 650 millions de vieux louis furent remplacés par 693 millions de louis nouveaux.
(2) Le rapport, qui n'était en France que de 14 '/,, se tenait en moyenne dans les autres États à 15.
— Valeur comparée de l"or en 1779 : Angleterre, l'once d'or 16 marcs 2 onces d'argent; Portugal,
15 marcs 6 onces d'argent; Espagne, 14 marcs 7 onces d'argent; Venise, 14 marcs 6 onces d'argent.
En France, l'once d'or ne se cotait qu'à 14 marcs 5 onces d'argent.
— 52 —
« 1" Chaque marc d'or fin de 24 karals vaudra 15 marcs et demi d'argent fin de
« 12 deniers, et sera reçu et payé dans nos monnaies et changes pour 828 livres
« 12 sols, valeurs desdits 15 marcs et demi d'argent, au prix actuel de 55 livres 9 sous
« 2 deniers le marc ;
« 2° Toutes nos monnaies d'or ayant cours actuellement, louis, double louis et
« demi-louis, cesseront d'avoir cours à compter du 1" janvier prochain et seront
« reçus et payés comptant dans nos monnaies et changes jusqu'au 1" avril prochain
« sur le pied de 750 livres le marc ou 25 livres le louis, qui par l'usage n'aurait
« rien perdu de son poids, et sauf en cas de diminution dans le poids, de faire sur
<i ledit prix de 25 livres, une diminution proportionnelle; ledit terme expiré, ils ne
« seront plus reçus que sur le pied de 74-2 livres 10 sols le marc en or, 24 Hvres
« 15 sous par louis ayant son poids complet;
« 3° L'or, tant en Ungols qu'en monnaies étrangères, apporté dans nos monnaies
« et changes, y sera payé en proportion de son titre de fin sur le pied de 828 livres
« 12 sols le marc fin ou 34 livres 10 sous 6 deniers le karat;
« 4° 11 sera fabriqué de nouveaux louis d'or au même titre que ceux qui ont
(( actuellement cours ; chaque marc sera composé de 32 louis, afin qu'au moyen de
« l'augmentation survenue dans la valeur de l'or, chaque nouveau louis contienne
« la valeur de 24 livres et ait précisément la même valeur en argent (1). »
La refonte des monnaies d'or en France et en Angleterre a eu lieu d'après le
même principe : le métal est la base de la valeur; la quantité et la qualité (titre) du
métal la précisent. Par suite, les souverains anglais ont reçu la quantité manquante,
et la quantité en excès a été enlevée aux louis. La loi n'a fixé de valeur que d'après
la matière. Ce n'est pas la matière qui a été ajustée à la loi; c'est la loi qui a été
ajustée à la matière.
Quelle a été la cause de ces deux refontes? La hausse de l'or. L'agio exigé pour
les souverains anglais, le profit sur les louis de France, provenaient l'un et l'autre
de la surélévation de la valeur de l'or et par suite de la baisse de l'argent (2).
V. — De la valeur de l'argent pendant la première moitié du XIX' siècle.
Le rapport de 1 à 15 1/2 entre l'or et l'argent, indiqué par la déclaration du
30 octobre 1785, a été le rapport moyen de 1750 à 1875, sauf de 1790 à 1815. La
crise de la Révolution française fit renchérir l'or en France, tandis qu'il affluait en
Angleterre. Néanmoins, lors de la réforme monétaire de 1803, Gaudin (3) maintint
le rapport de 15 1/2, qui, sans être invariable, est demeuré, jusqu'en 1875,
l'expression, suffisamment exacte, de la valeur comparative de l'or et de l'argent.
De 1800 à 1850, l'afflux des métaux précieux en Europe s'est ralenti sensiblement,
surtout celui de for. La situation monétaire est devenue plus stable.
(1) Collection Isambert, année 1785.
(2) L'Assemblée constituante forma en 1790 une commission pour s'occuper de la question monétaire.
Cette commission comprenait Lavoisier, Forbonnais, Borda, etc.; elle mit en discussion Tédit de 1785.
Déjà les idées supérieures de Turgot ne dominaient plus.
(3) Il existe deux rapports de Gaudin sur la question du rapport. Dans le premier, il reconnaît les chan-
gements à prévoir dans le rapport; dans le second, il n'en parle plus. L'opinion publique croyait à l'im-
mutabilité de l'argent. Mirabeau avait fait accepter comme axiome que l'argent serait la monnaie consti-
tutionnelle et l'or la monnaie additionnelle.
53
Afflux de l'or de 1700 à 1850.
AU vri^irQ
OR
A V K TT*. V !3
OR
RAPPORT
AaSiXLii^Oi
Poids.
Valeur.
RAPPORT.
JLW nuiStc).
Poids.
Valeur.
millions
millions
kilogr.
de francs.
kilogr.
de francs.
1701-1720.
. 256,400
883
15.2
1801-1810.
. 177,800
612
15.6
1721-1740.
. 381,600
1,314
15.1
1811-1820.
. 114,400
394
15.5
1741-1760.
. 492,200
1,695
14.8
1821-1830.
. 142,200
490
15.8
176M780.
. 414,100
1,426
14.8
1831-1840 .
. 202,900
699
15.7
1781-1800.
. 355,800
1,226
15.1
1841-1850.
. 547,600
1,886
15.8
Ainsi la tendance de toute la période de 1700 à 1850 est nettement accusée,
malgré une stabilité relative: le rapport de l'or s'élève de 15.2 à 15.8; baisse de
l'argent.
Afflux de l'argent de 1700 à 1850.
ANNÉES»
ARGENT.
ANNÉES»
ARGENT.
Poids.
Valeur.
Poids.
Valeur.
millions
millions
kilogr.
de francs.
kilogr.
de francs
1700-1720. .
7,112
1,580
1801-1810. .
8,942
1,987
1721-1740. .
8,624
1,916
1811-1820. .
5,408
1,202
1741-1760. .
. 10,663
2,370
1821-1830. .
4,606
1,023
1761-1780. .
. 13,055
2,900
1831-1840. .
5,964
1,325
1781-1800. .
. 17,581
3,906
1841-1850. .
7,804
1,734
La stabilité relative du rapport de 15 1/2, surtout dans la première moitié du
XIX® siècle, provient d'une autre cause, de l'élan des affaires à partir de la paix de
1815. Malgré l'accroissement régulier de leur stock, l'or et l'argent continuèrent à
être demandés, à conserver la même utilisation. L'argent particulièrement fut
favorisé par la législation française et par la frappe des monnaies françaises.
De l'an IV à 1882, les hôtels de monnaie française ont frappé pour une valeur de
14,242,193,368 fr. 35 c, se réparlissant ainsi:
Or.
Argent
Argent divisionnaire
AN IV A 188a.
francs.
8,722,347,200
5,060,606,240
459,239,928
AVANT 1851.
1,321722,930
4.164,898,990
173,490,527
La fabrication des pièces de 5 fr. a cessé en 1878.
Pour frapper 4,338 millions d'argent, la France n'a pas cessé de soutenir le prix
du métal sur le marché. Ce seul fait a suffi pour maintenir la stabilité des prix et
des rapports.
VL — De la valeur de l'argent de 1850 à 1875.
De 1840 à 1850, la production des métaux précieux s'était relevée. A partir de
185U, elle prit un élan exiraordinaire. C'est une nouvelle ère monétaire qui s'ouvre
avec les placers de Californie, d'Australie et de la Sierra Nevada.
1851-1855
1856-1860
1861-1865
1866-1870
1871-1875
— 54
Poids. Valeur. Poids. Valeur.
millions millions
kilogr. de francs. kilogr. de francs.
987,600 3,402 4,431 985 15.4
1,030,000 3,549 4,525 1,006 15.3
925,600 3,188 5,506 1,223 15.4
959,500 3,305 6,695 1,488 15.6
853,400 2,940 9,847 2,188 16.0
De 1700 à 1850, la production de l'or avait été de 9,625 millions; en 25 ans, de
1850 à 1875, elle s'élève à 16,384 millions. De 1700 à 1850, celle de l'argent avait
été de 19,840 millions, production extrêmement élevée. De 1850 à 1875, la pro-
portion de cette production d'argent double néanmoins, puisqu'elle est de 6,890
millions en 25 ans. Le rapport baisse à 16.
On remarque que, dans cette période, si importante au point de vue monétaire,
la frappe de l'argent en France a été réduite à 47 millions par an (1,181 millions),
tandis que celle de l'or était portée à 296 millions par an (7,401 millions). En sorte
que si la France a soutenu par la frappe la valeur de l'or, la fonction qu'on lui a
attribuée d'avoir maintenu, par la frappe, durant cette période, la valeur de l'argent,
ne lui a appartenu qu'en partie et dans une proportion restreinte.
Dans les autres Etats, la frappe de l'argent, de 1850 à 1875, ne paraît avoir été
considérable que pour l'Inde. M. Mulhall l'évalue (de 1848 à 1886) à 155 millions
de livres sterling, soit 3,900 millions. Tel a été le soutien de la valeur de l'argent
sur le marclié universel, tandis que l'or envahissait l'Europe. Je vais montrer au
paragraphe suivant quel a pu être l'appoint des divers États dans le maintien de la
valeur de l'argent. Le fait prédominant de cette période, c'est l'énorme frappe
de l'argent dans l'Inde. Ce fait explique comment, d'un côté, d'après M. Neumann
Spallart, le stock monnayé de l'argent n'a augmenté, de 1831 à 1880, que de
126 millions de marcs, malgré un accroissement important de la production, et
comment, d'un autre côté, l'argent n'a commencé à perdre de sa valeur qu'à partir
de 1876.
La démonétisation de l'argent en Allemagne par la réduction à 25 fr. de sa
valeur libératoire n'a été votée qu'en 1873. L'influence de ce fait monétaire n'a donc
été que très limitée sur la valeur de l'argent dans cette période.
Ainsi production immense de l'or, très fort monnayage de l'or par la France,
production très élevée de l'argent, restriction du monnayage de l'argent par la
P>ance, absorption de l'argent par l'Inde, tels sont les faits monétaires de cette
période. Que serait-il arrivé si l'Inde avait importé et frappé moins d'argent?
Évidemment la baisse qui apparaît en 1875 aurait éclaté plus tôt.
VII. — De la valeur de l'argent de 1875 à 1885.
Les résultats de la production ont été les suivants :
Kilogr. Valeur. Kilogr. Valeur.
RAPPORT.
millions millions
1876-1879 . . . 695,100 2,304 9,953.000 2,2TÏ' 17.40
1880-1884 ... » 2,680 » 2,929 »
— 55 —
Dans les dix années précédentes, la production de l'or avait été de 6,245 millions,
et celle de l'argent de 3,676 millions. D'où il résulte une différence en moins, quant
à l'or, de 1,261 millions, et une différence en plus, quant à l'argent, de 1,464 mil-
lions. Cette somme est plus que le double de celle représentant les ventes d'argent
de l'Allemagne. Ces ventes n'ont pas dépassé la somme de 709 millions de francs.
Leur effet a été simplement celui d'une production plus considérable sur un marché
surchargé.
D'ailleurs les ventes de l'Allemagne ont été plus que compensées par le dévelop-
pement de la frappe aux États-Unis et de l'Angleterre.
La fonction monétaire de l'Angleterre est encore très considérable, comme
l'atteste le tableau de sa frappe d'or et d'argent depuis 1840.
I. Statistique de la frappe en Angleterre 1840-1884.
ANNÉES.
1840.
1841 .
1842.
1843.
1844.
1845.
1846.
1847.
1848.
1849.
1850.
1851 .
1852.
1853.
1854.
1855.
1856.
1857.
1858.
1859.
1860.
1861 .
liv. st.
»
378,472
5,977,051
6,007,849
5,563,949
4,211,608
4,334,911
5,158,140
2,451,999
2,177,955
36,421,534 2,893,787
1,491,856
4,400,411
8,742,270
11,952,391
4,152,183
9,008,663
6,002,114
4,859,860
1,231,023
2,649,509
3,121,709
8,190,170
liv. st.
216,414
96,175
192,852
276,606
626,670
647,658
559,548
125,730
135,442
119,592
129,096
87,968
189,596
701,544
140,480
195,510
462,528
373,230
445,896
647,064
218,403
209,484
ANNÉES.
1862.
1853.
1864.
1865.
1866.
1867 .
1868.
1869.
1870.
1871 .
1872 .
1873.
1874.
1875.
1876.
1877 .
1878.
1879.
1880.
1881 .
1882.
1883.
1884.
liv. st.
7,836,413
6,997,212
9,535,597
2,367,614
5,076,676
496,397
1,653,384
7,372,204
2,313,384
9,313,384
15,261,442
3,384,568
1,461,565
243,264
4,696,648
981,498
2,265,069
35,050
4,150,052
1,403,713
2,324,015
liv. si.
148,518
161,172
535,194
501,732
493,416
193,842
301,356
76,428
336,798
701,514
1,243,836
1,081,674
890,604
594,000
222,354
420,948
613,998
549,054
761,508
997,128
209,880
1,274,328
658,448
171,291,646 19,562,476
La frappe anglaise ne présente pas les mêmes caractères que la frappe française.
Depuis 1840, elle n'a porté que sur 442.9 millions d'argent contre 4,169 millions
d'or. Mais, depuis 1875, sa frappe d'argent a sensiblement augmenté : elle a été de
près de 144 millions.
La fonction monétaire des États-Unis est cependant supérieure. Les faits relatifs
à celte fonction éclairent d'un jour complet la situation monétaire.
Tableau.
— 56 —
II. Statistique de la frappe aux États-Unis.
PERIODES. OR. ARGENT. TOTAL.
dollars. dollars. dollars.
1793-1848 . . . 76,341,440 79,213,771
1849-1873 . . . 740,564,438 65,928,512
816,905,878 145,142,283 962,048,141
1874 50,442,690 5,983,661
1875 33,553,965 10,070,368
1876 38,178,962 19,126,502
1877 44,078,199 28,549,935
1878 52,798,980 28,290,825
1879 40,986,912 27,227,882
1880 56,157,735 27,942,437
1881 78,733,864 27,649,966
1882 89,413,447 27,783,388
1883 35,936,927 28,835,470
1884 27,932,824 28,773,387
1885 24,861,123 28,818,959
1,389,981,508 434,224,610 1,841,669,826
Monnaie divisée.
Avant 1873 11,919,888
Depuis 1873 ... . 5,543,720
451,688,218
Les États-Unis ont frappé :
1" Avant 1850, 388.2 millions or, 423.7 millions argent;
2° De 1850 à 1873, 3,962 millions or, 416 millions argent;
3° De 1874 à 1885, 3,186 millions or, 1,574.4 millions argent.
Les progrès de la frappe aux Étals-Unis sont extraordinaires. Ils correspondent à
leur supériorité comme producteurs d'or et d'argent. Néanmoins, cette frappe est
encore inférieure à l'ancienne frappe de la France, surtout pour l'argent. Depuis
l'an IV, la France, qui ne produit ni or ni argent, a frappé pour 14,240 millions
d'or ou d'argent, les États-Unis pour 9,850 millions et l'Angleterre pour 4,169 or
et 442.9 argent, ensemble 14,461.9 millions, de sorte que la frappe de la France a
égalé celle des Etats-Unis et celle de l'Angleterre réunies.
Il est important de constater l'élévation de la frappe de l'or pour ces trois États,
depuis 1850.
Or frappé. argent rRAPP:é.
Avant 18bO. Depuis 1850. Avant 1830. Depuis 1850.
France 1,321,122,930 7,401,224,270 4,338,399,000 1,281,447,168
Étals-Unis. . . . 388,200,000 7,148,000,000 423,700,000 1,990,400,000
Angleterre. . . . 917,822,656 3,252,000,000 72,921,000 370,000,000
2,627,145,586 17,801,224,270 4,835,020,000 3,641,847,108
Il a donc été frappé, par ces trois États, pour près de 18 milliards d'or depuis
1850, c'est pourquoi il n'a été frappé que pour 3,641 millions d'argent, et même,
dans cette dernière somme, les États-Unis amendent 1,990 millions, dont 1,574
frappés depuis dix ans.
Combien l'argent n'aurait-il pas baissé plus qu'il ne l'a encore fait, si celle frappe
de 1,574 millions n'avait absorbé l'offre ?
— 57 —
III. Statistique de la frappe dans les divers États.
Il sera facile de se rendre compte encore mieux de la force irrésistible de ce mou-
vement de baisse en étudiant les diverses colonnes du tableau suivant, qui a été
dressé avec les chiffres publiés pour les divers États auxquels il a trait par MM. Bur-
chard, Neumann-Spallart, Haupt et Stringker. Les chiffres concernant l'Inde sont
empruntés au Statistical ahstract de l'Inde.
Il n'a pas été possible de faire la différence si utile de la frappe de 1850 à 1875;
puis de 1875 à 1885. Les documents ne l'ont pas permis. Tel quel, néanmoins, ce
tableau établit l'immense développement de la frappe de l'or dans tous les Étals et
la diminution générale de celle de l'argent. Les États-Unis, la Bolivie, le Mexique,
producteurs d'argent, réunis à l'Inde, ont frappé plus de la moitié du stock d'argent
monnayé de 1850 à 1884.
ÉTATS. PÉBIODES.
Allemagne 1857-1880
— 1881-1884
Russie 1851-1880
— 1881-1884
Australie 1855-1880
— 1881-1884
Autriche-Hongrie . . 1851-1879
— . . 1880-1884
Hollande 1850-1880
— 1881-1884
Belgique 1861-1879
— 1880-1884
Italie 1862-1881
— 1882-1884
États Scandinaves .
1873-1880
1881-1884
Portugal 1855-1880
— 1881-1885
Espagne 1876-1885
Suisse 1851-1885
Inde 1848-1880
— 1881-1884
Mexique 1881-1884
Japon 1881-1884
OR
'•
ARGI
Kilogrammes.
SUT.
Kilogrammes.
Valeur.
Valeur.
636,910
mille francs.
2,193,798
256,801
6,252,191
mille francs.
1,389,362
28,148
2,450,609
1,417,510
822,272
2,832,266
172,987
2,271,952
504,874
30,861
3,005,253
535,735
453,291
»
1,561,331
430,840
1,992,171
97,396
335,164
55,989
4,242,349
942,734
132,047
381,153
1,074,781
46,127
158,882
3,288,120
730,686
46,668
2,007,622
777,354
166,517
573,557
10,786
446,133
219
584,343
446,352
271,995
4,532
530,052
11,362
276,527
531,414
34,982
120,491
10,871
211,659
47,034
4,399
131,362
51,433
94,437
325,282
4,339
37,106
8,245
329,621
921,654
»
»
597,198
»
5,000
»
29,978
37,800
2,005
3,900,000
621,898
39,805
4,521,898
))
8,805
»
518,184
»
1,086
»
56,634
58 —
ÉTATS. PÉRIODES.
Kilogrammes.
République Argentine. 1881-1884 »
Pérou » »
Bolivie 1881-1884 »
Turquie » »
Roumanie » »
Ensemble
États principaux
Totaux
ARGENT.
Valeur. Kilogrammes. Valeur,
mille francs. mille franci.
24,290 » 9,167
» 5> 7,400
» » 81,615
22,033 » 225
25,622 » »^
10,358,216 10,685,353
17,808,224 3,641,847
28,159,440 14,327,200
Ainsi, depuis 1850, le monnayage de l'or a été double de celui de l'argent ;
ainsi le monnayage de l'or et de l'argent a représenté 42 milliards 500 millions.
Les faits indiquent eux-mêmes le rôle secondaire de l'argent ; sa fonction moné-
taire n'est plus qu'une fonction accessoire. Il y a lieu d'ajouter que la frappe de l'ar-
gent s'est longtemps maintenue fort élevée, notamment pour la France, l'Allemagne,
l'Autriche-Hongrie, la Hollande et la Belgique, qu'elle paraît suffisante pour l'Es-
pagne et l'Italie, qu'elle est excessive pour les États-Unis, l'Inde et le Mexique.
Que si on rapproche la situation monétaire, telle qu'elle vient d'être établie, des
besoins des populations et des transactions, d'une part, et, d'autre part, des autres
instruments monétaires dont la puissance n'a cessé de croître, encaisses des banques,
circulation fiduciaire, mandats postaux et télégraphiques, chèques, lettres de
change, virements, clearing-houses et chambres de compensation, valeurs au por-
teur, on est contraint de reconnaître qu'en présence d'une production toujours
croissante, toujours plus perfectionnée et à moindres frais, il a fallu toute l'énergie
de la frappe américaine et de l'Inde pour tempérer une baisse qui correspond, au
surplus, à l'histoire même de la valeur respective des métaux précieux.
Je reproduis, en le complétant, un tableau publié par M. Barclay, président de la
chambre de commerce de Manchester (1), contenant le rapport de l'or et de l'ar-
gent pendant tout le siècle courant, les chiffres de la production comparés de l'or
et de l'argent, la proportion de la production entre les deux métaux et le prix de
l'argent sur le marché de Londres. Il résulte de ce tableau :
1" Que dès 1867, le rapport a tendu s'altérer par suite de l'accroissement de la
production de l'argent et de la baisse de son prix ;
2° Que depuis 1867 la production de l'argent a plus que doublé, tandis que
celle de l'or se maintenait à un niveau élevé.
Aujourd'hui, il faut 20''",28 d'argent pour équivaloir à 1 kilogramme d'or. Depuis
1520, l'argent a baissé de 100 p. 100, et depuis la loi de germinal, il a baissé d'au-
tant qu'il avait baissé de 1520 à 1800.
En 1886, la baisse de l'argent a fait de nouveaux progrès. En juin', l'argent est
tombé à 44 pence 3/4 l'once standard, rapport 21,01, pour se relever à 46 1/2 (2).
(1) su oer question, T^. 12.
(2) Pour calculer le rapport, on divise le chiffre fixe 943 par le prix de l'once standard. Voir Quelques
Nombres pour l'élude de la question monétaire, par M. Brock 1881.
59 -
Production (en 1,000,000 de livres sterling).
ANNÉES. RAPPORT.
OR.
ARGENT.
PROPORTION
de l'or.
TOTAIi.
PRIX
de l'argent
— —
— ■
—
—
pence.
1801-1810. . . . 15.61
2.6
7.7
2.97
10.3
»
1811-1820
15.51
»
»
)>
»
»
1821-1830
15.80
1.6
3.6
2.25
5.2
))
1831-1840
15.67
»
»
»
»
58 V»
1841-1850
15.83
»
»
»
»
59 V,
1849 . .
15.80
5.4
7.8
1.44
13.2
59'/»
1850 .
15.83
8.9
7.8
0.88
16.7
59'/,
1851 .
15.46
13.5
8.0
0.59
21.5
60
1852 .
15.57
36.6
8.1
0.22
44.7
59 '/s
1853 .
15.53
31.1
8.1
0.26
39.2
60'/,
1854 .
15.36
25.5
8.1
0.32
33.6
60'/,
1855 .
15.33
27.0
8.1
0.30
35.1
60
1856 .
15.33
29.5
8.2
0.28
37.7
60'/,
1857 .
15.27
26.7
8.1
0.30
34.8
61
1858 .
15.36
24.9
8.1
0.32
33.0
60 V,
1859 .
15.21
25.0
8.2
0.33
33.2
61 %
1860 .
15.30
23.9
8.2
0.34
32.1
61 'A
1861 .
15.47
22.8
9.5
0.37
31.3
61'/,
1862 .
15.36
21.6
9.0
0.42
30.6
61
1863 .
15.38
21.4
9.8
0.46
31.2
60 V,
1864 .
. 15.40
23.6
10.4
0.45
32.9
60 V,
1865 .
15.33
24.6
10.3
0.43
34.4
60'/,
1866 .
15.44
24.2
10.4
0.42
34.3
60 V,
1867 .
15.57
22.8
10.1
0.48
33.6
60 V,
1868 .
15.60
22.0
10.8
0.45
30.0
60
1860 .
15.60
21.2
10.0
0.45
30.7
60 '/^
1870 .
15.60
21.4
9.5
0.48
31.7
60 V«
1871 .
15.59
21.4
10.3
0.57
33.6
59'/,
1872 .
15.63
19.9
12.2
0.66
33.0
57'/,
1873 .
15.90
19.2
13.3
0.93
37.1
57'/,
1874 .
16.15
18.2
17.9
0.79
32.5
55'/,
1875 .
16.76
19.5
.14.3
0.82
35.6
46'/,
1876 .
17.68
19.0
16.1
0.78
35.6
53'/,
1877 .
17.22
19.4
14.8
0.84
30.8
49 '/,
1878 .
17.92
17.3
16.2
0.85
35.6
48 V,
1879 .
18.24
20.8
14.7
0.89
32.0
51V,
1880 .
17.89
21.0
18.6
0.85
39.4
50 V,
1881 .
18.07
19.9
18.2
0.87
39.2
50 V,
1882 .
18.04
19.9
18.8
0.91
38.7
50 V,
1883 .
18.46
18.3
20.05
1.06
39.8
50V,s
1884 .
18.51
17.9
21.4
1.17
39.7
49'/.
1885 .
19.80
:»
21.4
1.20
39.3
46'/,
1886 (juin)
21.08
»
»
»
»
44 V.
(La suite
pi
r-Ol
:hi
ih
lement.)
E. FOURNIER DE
Flaix.
IIL
LE DENOMBREMENT DE LA POPULATION EN FRANCE.
Le Journal officiel du 6 janvier 1887 a publié le rapport du ministre de l'inté-
rieur sur le recensement de 1886.
Nous en extrayons les observations et les tableaux qui suivent :
D'après le dénombrement de 1881, qui a eu lieu au mois de décembre de la
— 60 -
même année, le nombre des arrondissements était de 362, celui des cantons de
2,868 et celui des communes de 36,097. Quant à la population totale, elle s'élevait
à 37,672,048 habitants.
On compte actuellement 362 arrondissements, 2,871 cantons, 36,121 communes
et 38,218,903 habitants.
Le nombre des arrondissements est donc resté le même: celui des cantons a aug-
menté de 3 unités par suite de la création de deux nouvelles justices de paix à Mar-
seille (Loi du 13 novembre 1885), et d'une nouvellecirconscription judiciaire à Denain
(Nord) [Loi du 29 décembre 1886].
Quant au chiffre des communes, il s'est accru de 23, déduction faite de sept sup-
pressions prononcées depuis le précédent recensement.
Ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, lors du précédent dénombrement, les 87 dé-
partements de la France comptaient 37,672,048 habitants. La population recensée
en 1886 s'élève à 38,218,903 individus; c'est donc une augmentation de 54.6,855.
Pendant la période de 1876 à 1881, l'accroissement avait été plus sensible
(766,260) ; mais il faut tenir compte de cette circonstance que le recensement de
1881 a porté sur un espace complet de cinq années, tandis que celui de 1886 n'em-
brasse qu'une période de quatre ans et cinq mois environ (de fin décembre 1881 à
fin mai 1886).
L'état ci-après indique comment se répartissent, par département, les augmen-
tations et diminutions de population.
Elat comparatif de la population des départements en 1886 et 1881.
DEFARTEMB N T S.
Ain
Aisne
Allier
Alpes (Basses-) . . .
Alpes (Hautes-) . . .
Alpes-Maritimes . . .
Ardèche
Ardennes
Ariège
Aube
Aude
Aveyron
Belfort (territoire de) .
Bouches-du-Rhône . .
Calvados
Cantal
Charente
Charente-Inférieure. ,
Cher
Corrèze
Corse
Côte-d'Or
Côtes-du-Nord . . . .
Creuse
Dordogne
Doubs
Drôme ,
Eure
Eure-et-Loir ...
POPULATION
AUOMBK-
en 1886.
en 1881.
TATION.
364,408
363,472
936
))
555,925
556,891
»
966
424,582
416,759
7,823
»
129,494
131,918
»
2,424
122,924
121,787
1,137
»
238,057
226,621
11,436
»
375,472
376,867
»
1,395
332,759
333,675
»
916
237,619
240,601
»
2,982
257,374
255,326
2,048
»
332,080
327,942
4,138
»
415,826
415,075
751
)■)
79,758
74,244
5,514
»
604,857
589,028
15,829
»
437,267
439,830
))
2,563
241,742
236,190
5,552
ji
366,408
370,822
»
4,114
462,803
466,416
»
3,613
355,349
351,405
3,944
j>
326,49 i
317,066
9,428
)■)
278,501
272,639
5,862
»
381,574
382,819
»
1,245
628,256
627,585
671
»
284,942
278,782
6,160
»
492,205
495,037
))
2,832
310,963
310,827
136
»
314,615
313,763
852
)■)
358,829
364,291
»
5,462
283,719
280,097
3,622
))
— 61 —
Finistère 707,820 681,564 26,250 »
Gard 417,099 415,629 1,470 »
Garonne (Haute-) 481,169 478,009 3,160 »
Gers 274,391 281,532 » 7,141
Gironde 775,845 748,703 27,142 »
Hérault 439,044 441,527 » 2,483
llle-et-Vilaine 621,384 615,480 5,904 »
Indre 296,147 287,705 8,442 »
Indre-et-Loire 340,921 329,160 11,761 »
Isère 581,680 580,271 1,409 »
Jura 281,292 285,263 » 3,971
Landes 302,366 301,143 1,123 »
Loir-et-Cher 279,214 275,713 3,501 »
Loire 603,384 599,836 3,548 »
Loire (Haute-) 320,063 316,461 3,602 »
Loire-Inférieure 643,884 625,625 18,259 »
Loiret 374,875 368,526 6,349 »
Lot 271,514 280,269 » 8,755
Lot-et-Garonne 307,437 312,081 » 4,644
Lozère 141,264 143,565 » 2,301
Maine-et-Loire 527,680 523,491 4,189 »
Manche 520,865 526,377 » 5,512
Marne 429,494 421,800 7,694 »
Marne (Haute-) 247,781 254,876 » 7,095
Mayenne 340,063 344,881 » 4,818
Meurthe-et-Moselle 431,693 419,317 13,376 »
Meuse 291,971 289,861 2,110 »
Morbihan 535,256 521,614 ' 42,642 »
Nièvre 347,645 347,576 69 »
Nord 1,670,184 1,603,259 66,925 »
Oise 403,146 406,555 » 1,409
Orne 367,248 376,126 » 8,878
Pas-de-Calais 853,526 819,022 34,504 »
Puy-de-Dôme 570,964 566,064 4,900 »
Pyrénées (Basses-) 432,994 434,366 » 1,367
Pyrénées (Hautes-) 234,825 236,474 » 1,649
Pyrénées-Orientales 211,187 208,855 2,332 »
Rhône 772,912 741,470 31,442 »
Saône (Haute-) 290,954 295,905 » 4,956
Saône-et-Loire 625,885 625,589 296 »
Sarthe 436,114 438,917 » 2,806
Savoie 267,428 266,438 990 »
Savoie (Haute-) 275,018 274,087 931 »
Seine 2,961,089 2,799,329 461,760 »
Seine-Inférieure 833,386 814,068 49,318 »
Seine-et-Marne 355,136 348,991 6,145 »
Seine-et-Oise 618,089 577,798 40,294 »
Sèvres (Deux-) 353,766 350,103 3,663 »
Somme 548,982 550,837 » 4,855
Tarn 358,757 359,223 » 466
Tarn-et-Garonne 214,046 247,056 » 3,040
Var 283,689 288,577 » 4,888
Vaucluse 244,787 244,449 » 2,362
Vendée 434,808 424,642 43,466 »
Vienne 342,785 340,295 2,490 »
Vienne (Haute-) 363,482 349,332 43,850 »
Vosges 413,707 406,862 6,485 »
Yonne 355,364 357,029 » 4,665
Total 38,218,903 37,672,048 ^ Aug""" : 546,855
On voit, d'après ce tableau, que 58 départements sont en progression, tandis que
dans les 29 autres il y a décroissance.
— 62 —
Parmi les premiers, il faut citer le Finistère, la Gironde, la Loire-Inférieure, le
Nord, le Pas-de-Calais, le Rhône, la Seine, et le département de Seine-et-Oise. Quant
aux diminutions, elles sont surtout sensibles dans les départements de l'Eure, du
Gers, du Lot, de la Haute-Marne, de l'Orne.
En 1881, 53 départements étaient en augmentation et S^ en décroissance; la
proportion est donc restée à peu près la même. Le tableau ci-dessous, qui présente
la population des villes les plus importantes, c'est-à-dire ayant au moins 30,000
âmes, montre que le déplacement s'opère surtout au profit des grands centres; c'est
là une loi d'attraction qu'explique aisément le plus de facilité des conditions d'exis-
tence dans les grandes agglomérations.
Etat comparatif de la population en 1886 et 1881 dans les villes
ayant plus de 30,000 âmes.
POPULATION
____^^.^^ ^^__^__^ AUGMEN-
VII, LE S. -- — ■— — — -- TATIOW DIMINUTION.
en 1886, en 1881. tation.
Saint-Quentin (Aisne) ^7,353 45,838 l7515 "»
JNice (Alpes-Maritimes) . . . . 77,478 66,279 11,199 »
Troyes(Aube) 46,972 46,067 905 »
Marseille (Bouches-du-Rhône) . 376,143 360,099 16,044 »
Gaen (Calvados) 43,809 41,508 2,301 »
Angoulême (Charente) .... 34,647 32,567 2,080 »
Rocheforl (Charente-Inférieure) 31,236 27,854 3,402 t>
Bourges (Cher) 42,829 40,217 2,612 »
Dijon (Côle-d'Or) 60,855 55,453 5,402 »
Besançon (Doubs) 56,511 57,067 T) 556
Brest (Finistère) 70,778 66,110 4,668 »
Nîmes (Gard) 69,898 63,552 6,346 »
Toulouse (Haute-Garonne) . . 147,617 140,289 7,328 »
Bordeaux (Gironde) 240,582 221,305 19,277 >
Béziers (Hérault) 42,785 42,915 » 130
Cette (Hérault) 37,058 35,517 1,541 »
Montpellier (Hérault) 56,765 56,005 760 »
Rennes (Ille-et-Vilaine). . . . 66,139 60,974 5,165 >
Tours (Indre-et-Loire) .... 59,585 52,209 7,376 »
Grenoble (Isère) 52,484 51,371 1,113 f>
Saint-Étienne (Loire) 117,875 123,813 » 5,938
Nantes (Loire-Inférieure) . . . 127,482 124,319 3,163 »
Orléans (Loiret) 60,826 57,264 3,562 »
Angers (Maine-et-Loire). . . . 73,044 68,049 4,995 »
Cherbourg (Manche) 37,013 35,691 1,322 »
Reims (Marne) 97,903 93,823 4,080 »
Laval (Mayenne) 30,627 29,889 738 »
Nancy (Meurthe-et-Moselle) . . 79,038 73,225 5,813 »
Lorient (Morbihan) 40,055 37,812 2,243 »
Douai (Nord) 30,030 26,172 3,858 »
Dunkerque (Nord) 38,025 37,328 697 »
Lille (Nord)". 188,272 178,144 10,128 y>
Roubaix (Nord) 100,299 91,757 8,542 »
Tourcoing (Nord) ...... 58,008 51,895 6,113 »
Boulogne (Pas-de-Calais) . . . 45,916 44,842 1,074 »
Calais (Pas-de-Calais) [1] . . . 58,969 46,819 12,150 j>
Clermont-Ferrand(Puy-de-Dôme) 46,718 43,033 3,685 »
Pau (Basses-Pyrénées) .... 30,626 29,971 655 »
Perpignan (Pyrénées-Orientales) 34,183 31,735 2,448 y,
Lyon (Rhône) 401,930 376,613 25,317 »
(1) Les villes de Calais et de Saint-Pierre-lès-Calais ont été réunies en une seule municipalité. (Loi du
19 janvier 1885.)
57,591
55,347
2,244
»
2,344,550
2,269,023
75,527
)>
30,084
25,825
4,259
))
35,649
29,519
6,130
»
48,009
43,895
4,114
))
112,074
105,867
6,207
))
107,163
105,906
1,257
»
49,852
48,324
1,528
»
80,288
74,170
6.118
»
70,122
70,103
19
»
41,007
37,657
3,350
»
36,878
36,210
668
»
68,477
63,765
4,712
»
— 63
Le Mans (Sarthe)
Paris (Seine)
Boulogne (Seine)
Levallois-Perrel (Seine). . .
Saint-Denis (Seine) ....
Le Havre (Seine-Inférieure).
Rouen (Seine-Inférieure) . .
Versailles (Seine-et-Oise). .
Amiens (Somme)
Toulon (Var)
Avignon (Yaucluse) ....
Poitiers (Vienne)
Limoges (Haute-Vienne). . .
Totaux 6,440,127 6,131,001 Aûg''"" : 309,126 ^
D'après ce tableau, on constate, en effet, qu'à elles seules les villes ci-dessus dési-
gnées représentent un accroissement de population de 309,126 habitants.
Il est à remarquer cependant que la ville de Saint-Élienne, qui déjà avait perdu
2,206 habitants de 1876 à 1881, est de nouveau en décroissance de 5,938, et que,
pour Paris, l'augmentation n'est que de 75,527 habitants, alors qu'elle était en 1881,
de 280,217.
Il est certain que la population de quelques grandes villes à une tendance mar-
quée à se répandre dans la banlieue afin de pouvoir ainsi participer aux avantages
qu'offre le voisinage de la cité, sans subir les charges équivalentes, et peut-être
est-ce là une des causes pour lesquelles le mouvement ascensionnel de la popula-
tion se ralentit. L'augmentation des communes de Boulogne, Levallois-Perret et
Saint-Denis, qui voient leur population s'accroître tous les ans dans des proportions
considérables et qui comptent aujourd'hui de 30,000 à 48,000 habitants, semble
justifier cette hypothèse.
D'un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que les deux précédents recense-
ments ont été faits au mois de décembre, tandis que le dernier a eu Ueu le 30 mai
et que, par suite, les conditions dans lesquelles ces opérations se sont effectuées
n'étaient pas identiques.
J'indiquerai, pour compléter cet exposé, le classement de toutes les communes
de la France d'après le chiffre de leur population, ce renseignement pouvant offrir
quelque intérêt pour l'étude des lois fiscales ou municipales.
Nombre des communes ayant une population :
Au-dessous de 100 habitants 768
De 101 à 200 — 3,600
De 201 à 300 — 4,895
De 301 à 400 — 4,299
De 401 à 500 — 3,619
De 501 à 1,000 — 10,362
De 1,001 à 1,500 — 3,945
De 1,501 à 2,000 — 1,892
De 2,001 à 2,500 — 828
De 2,501 à 3,000 — 553
De 3,001 à 3,500 — 335
De 3,501 à 4,000 — 218
De 4,001 à 5,000 — 245
De 5,001 à 10,000 — 328
De 10,001 à 20,000 — 135
De 20,001 habitants et au-dessus 99
Total 36,121
— 64 —
IV.
BIBLIOGRAPHIE.
L'Enseignement commercial et les écoles de commerce en France
et dans le monde entier (1).
Sous ce titre, M. Eugène Léautey vient de faire paraître les résultats de l'enquête
qu'il a vaillamment entreprise et menée à bonne fin. La statistique dont il s'agit
n'avait jamais été jusqu'alors réalisée d'une manière aussi complète. L'ouvrage com-
prend trois grandes divisions :
\° L'enseignement commercial et les écoles de commerce en France;
2° Appréciation sur cet enseignement; moyen de l'améliorer et de le développer;
3° L'enseignement commercial et les écoles de commerce à l'étranger.
93 tableaux synoptiques indiquent la situation actuelle de l'enseignement com-
mercial dans les divers pays. Ces tableaux nous apprennent que les États-Unis comp-
tent 269 écoles de commerce; que la France n'en possède que 11, et que les
États-Unis consacrent à l'instruction commerciale autant d'argent que l'Europe
entière.
La chambre de commerce de Paris, plusieurs ministères, notamment les ministè-
res du commerce et de l'instruction publique, ont honoré de leur souscription
l'ouvrage de M. Léautey. Il est éminemment utile, en effet, défaire connaître les ré-
sultats de cette enquête, et les esprits sérieux auxquels s'adressent M. Eugène
Léautey ne manqueront pas de s'intéresser à ses travaux inspirés par un patriotisme
réfléchi.
Sous le rapport de l'enseignement commercial, la France vient après l'Allemagne,
l'Autriche-Hongrie, l'Italie, la Suisse, la Belgique, etc. Nos écoles supérieures de
commerce ne comptent pas plus d'élèves que celles de la Roumanie. Il importail de
mettre ces faits en pleine lumière; M. Eugène Léautey a complètement réussi dans
cette tâche. Les conclusions qu'il formule sont certainement excellentes à méditer
par tous ceux qui ont quelque influence dans la direction des affaires publiques.
Eugène Minot.
(1) Un volume in-8» de 774 pages. Prix : 7 fr. 50 c. Librairie comptable, 2, cité Rougemont, Paris.
Le Gérant, 0. Berger-Levrault.
JOURNAL
DE LA
SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DE PARIS
No 3. — MARS 1887.
■i g i ■» • ■' -
PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1887.
La séance est ouverte à 9 heures, sous la présidence de M. Yvernès.
M. le Président exprime le regret que le secrétaire général, qui n'est pas encore
complètement remis de son accident, ne puisse assister à la séance de ce jour. Tout
fait espérer, d'ailleurs, son prompt rétablissement.
Le procès-verbal de la dernière séance est adopté sans observations.
Il est procédé à l'élection d'un nouveau membre, sur la 'présentation de
MM. Yvernès, Loua et Robyns :
M. E. Decroix, officier de la Légion d'honneur, président de la Société contre
l'abus du tabac, est nommé membre titulaire de la Société.
M. le Président donne lecture d'une lettre par laquelle M. Ghalvet, nommé
membre au cours de la dernière séance, remercie la Société de son admission.
Par une lettre adressée au Président, M. de Foville fait connaître que, dans la
séance de la commission du comité des travaux historiques et scientitiques chargé
de préparer le programme du Congrès des Sociétés savantes, il a cru devoir poser
les deux questions suivantes au nom de la Société de statistique de Paris :
1° Étudier sur un point quelconque de la France le mouvement des finances lo-
cales (départements et communes) au xix" siècle;
^2° Etudier, dans une région déterminée, la mortalité par professions.
Il est donné acte à M. de Foville de sa communication dont le texte sera inséré
au procès-verbal.
M. le Président fait l'énumération rapide des ouvrages offerts à la Société ; il cite
particulièrement la brochure de M. Yves Guyot sur X Impôt sur le revenu ; l'ouvrage
de M. Willam Ogle sur la Slaiistique de la mortalité dans les professions médicales
en Angleterre et dans le pays de Galles.
Irc lÉKIB, 28» VOL. — S" 8. c
— 66 —
Enfin, M. Levasseur présente l'ouvrage de M. Villey sur la Question des salaires
au XIX^ siècle.
Sur l'invitation du Piésidenl, M. Bertrand veut bien se charger de publier un ar-
ticle bibliographique sur le livre de M. Yves Guyot.
L'ordre du jour porte en premier lieu la discussion de la communication de
M. Levasseur sur les Tables de surine, mais la Société, consultée par M. le Prési-
dent, décide que cette communication ne devant paraître que dans le prochain nu-
méro du Journal de la Société, il est préférable d'en renvoyer la discussion à la
séance de mars.
M. Levasseur fait savoir que l'Institut international de statistique se réunira à Rome
du 12 au 16 avril prochain.
La parole est donnée à M. Cheysson pour sa communication sur les classifications
dans les cartogrammes à teintes dégradées. Cette communication sera insérée in
extenso dans le Journal de la Société.
M. TuRQUAN est heureux que M. Cheysson ait encore trouvé une méthode nou-
velle pour le classement en séries des départements affectés inégalement par un
même fait statistique; il s'empressera, en ce qui le concerne, de mettre à profit
cette nouvelle méthode.
Suivant M. Cheysson, celte méthode a surtout pour but de donner à plusieurs faits
d'importance difierente, un coefficient relatif, et de les rendre comparables au point
de vue des écarts de chaque côté de la moyenne ; M. Turquan pense que le but
serait déjà atteint dans une certaine mesure, par le classement des départements
suivant l'importance proportionnelle du fait à étudier, comme par exemple, telle ou
telle profession rapportée à la population totale, pourvu qu'on fasse varier conve-
nablement l'unité choisie pour représenter celte population totale; c'est ainsi que
pour la population agricole, le tant-pour-cent suffirait, mais que pour l'effectif des
médecins, il faudrait rapporter le nombre des médecins à 1,000 ou 10,000 ha-
bitants.
D'après le titre annoncé de l'intéressante communication de l'honorable
M. Cheysson, on avait pu croire d'abord qu'il aurait été question d'un nouveau pro-
cédé de représentation graphique, plutôt que d'une question de méthode. A ce
sujet, M. Turquan parle d'un procédé qu'il a imaginé, et qui consiste à substituer
aux teintes plates de différentes intensités, dans un cartogramme à courbes de niveau,
une série de courbes de niveau secondaires, d'une épaisseur de trait variable, sui-
vant la teinte recherchée et d'un écartement plus ou moins grand, q'ui donnerait
lieu, dans son ensemble, à des nuances dégradées, sans aucune solution de conti-
nuité.
M. Cheysson répond qu'il n'a pas parlé des cartogrammes à courbe de niveau
dont l'emploi est plus délicat et plus rare faute de documents suffisants, mais des
cartogrammes à teintes plates déposés sur la surface de chaque déparlement. D'autre
part, il n'a pas pensé que le système qu'il a proposé s'applique à des cartes hétéro-
gènes, mais seulement à des cartes identiques contenant des faits analogues, comme,
par exemple, le rapport entre chacune des catégories de la population et la popula-
tion elle-même.
L'ordre du jour appelle ensuite la communication de M. Fougerousse sur les
Sociétés coopératives de consommation.
Celle intéressante communication étant trop étendue pour pouvoir être épuisée
— 07 —
dans la séance, la suite en est renvoyée au commencement de la séance du mois de
mars prochain.
M. le Président, avant de lever la séance, fait savoir à la Société que l'installation
de la biblotlièque de la Société de statistique de Paris au ministère du commerce
et de l'industrie a lieu en ce moment et sera terminée dans un prochain délai.
ÎI fixe ainsi qu'il suit l'ordre du jour de la prochaine séance :
Discussion de la communication de M. Levasseur sur les Tables de survie.
Suite de la communication de M. Fougerousse et communication de M. Duhamel
sur les Sociétés coopératives de consommation.
Dépôt, par M. Claude, sénateur, du rapport fait au nom de la commission séna-
toriale d'enquête sur la consommation de l'alcool.
Les Excitants modernes (alcool, café, thé et cacao, sucre et tabac), par M. 0.
J. Broch.
La séance est levée à 11 heures.
Ouvrages offerts à la Société.
France. — L'Impôt sur le revenu, par M. Yves Guyot.
La Question des salaires, xix'' siècle, par M. Villey.
Angleterre. — Journal de la Société de statistique de Londres, décembre 1886.
Statistique de la mortalité dans les professions médicales, par W. Ogle.
Les Suicides en Angleterre et Galles, par le même.
Prusse. — Statistique de la Prusse, tome XXXIX.
Allemagne. — Statistique de l'Empire allemand, fasc. 5 et 6. 188G.
Finlande. — Annuaire statistique 1886, 8" année.
Uruguay. — Annuaire statistique de l'Uruguay, 1886.
Norvège. — La Fécondité des mariages, par M. Kiaer.
Organisation de la statistique de Norvège, par le même.
Italie. — Statistique sanitaire des communes. Rome, 1886.
Actes de la commission d'enquête pour la révision des tarifs de douane.
Rome, 1886.
Exposé financier fait à la Chambre des députés, par le Ministre des finances,
1886.
Documents, Revues et Journaux divers.
— 68 —
II.
LES TABLES DE SURVIE (1).
Sommaire. — La construction des tables de survie. — L'histoire sommaire des tables de survie. — Le
progrès de la vitalité française d'après les tables de survie. — Les tables françaises dressées sur^es
tôtes choisies en France. — La survie de la France comparée à celle des pays étrangers. — La vie
probable. — La vie moyenne. — Les centenaires. — Les conclusions.
La construction des tables de survie. — Gomme les bataillons d'une armée qui
vient de faire campagne, les générations qui composent une population sont dimi-
nuées par des pertes d'autant plus considérables qu'elles ont été engagées plus
longtemps et plus avant dans la lutte. Elles ont, comme ces bataillons, subi des
fortunes diverses suivant les ennemis qu'elles ont rencontrés sur leur route et
parmi lesquels figure quelquefois la guerre, plus souvent la faiblesse de constitution,
les maladies et les épidémies, les ctises commerciales et les privations.
11 y a pourtant une différence essentielle entre une armée et une population. La
première ramène presque toujours d'une campagne beaucoup de bataillons que le
feu de l'ennemi et les fatigues ont épargnés ou seulement entamés. Dans la car-
rière de la vie, aucune génération ne revient à son point de départ; toutes marchent
constamment en avant durant un siècle environ, souvent moins, rarement plus,
semant la route de leurs morts jusqu'au point où le dernier des survivants tombe.
Tenir registre des déchets successifs qui réduisent ainsi jusqu'à épuisement une
génération dans le cours de son existence, c'est dresser une table de mortalité,
laquelle, suivant l'expression introduite par Guillard, devient une table de survie
lorsqu'on enregistre le nombre des survivants à chaque âge au lieu du nombre
des décédés. Quelquefois même, les tables expriment les deux nombres, qui sont
complémentaires l'un de l'autre.
Une table de survie a d'intimes rapports avec la dîme mortuaire et avec le
tableau de la population par âges. Toutefois, les trois notions sont distinctes.
La table de survie est l'histoire d'une génération idéale — quelque procédé qu'on
ait employé pour dresser cette table — prise comme type de la vitalité d'un groupe
d'individus ; la dîme mortuaire est le tribut que chaque groupe d'âges d'une certaine
population paye à la mort, soit pendant une année déterminée, soit annuellement en
moyenne pendant une certaine période; le tableau par âges est l'image, à un instant
donné, d'une population qui comprend une centaine de générations ayant eu
des chances diverses de mortalité et ayant subi presque toujours des modifications
par l'émigi^ation et l'immigration.
La table de survie procède cependant à peu près comme la dîme mortuaire et
peut être déduite d'un document de ce genre. D'une génération composée d'une
certaine manière, le calculateur retranche successivement année par année le con-
tingent qui revient à la mort et dont la dîme indique le taux, notant à chaque coup
de ciseau la portion qui est retranchée et celle qui reste et ne s'arrêtant que lors-
qu'il n'y a plus d'éloffe.
Les tables de survie sont d'un fréquent usage. Non seulement elles fournissent
(1) Ce mémoire est extrait d'un ouvrage en préparation sur la Population française. Les figures qui
doivent accompagner le texte n'ont pas été insérées dans le Journal.
— Go-
des renseignements précieux à la démographie, mais elles sont des instruments né-
cessaires pour certains contrats, particulièrement pour les assurances. C'est même
en vue de celle utilité pratique plutôt que pour leur intérêt scientifique qu'elles
ont été d'abord dressées.
Sans entrer dans le détail de la construction de ces tables, nous devons indiquer
les principales méthodes d'après lesquelles on les établit.
Celle à laquelle on donne le nom de méthode de Halle)/ est une méthode indi-
recte qui est de mise lorsqu'on ne possède qu'un seul des deux éléments essen-
tiels du problème, les décès par âges. Le calculateur part de la supposition que
tous ces décès sont fournis par une même génération, c'est-à-dire par des individus
qui seraient nés la même année et avec le total desquels il constitue une population
fictive; il additionne tous ceux qui sont morts à l'âge d'un an, de deux ans, de trois,
de quatre, etc., et il retranche de cette population fictive les décès de la première an-
née, puis du nombre des survivants les décès de la seconde année, et ainsi de suite.
Il fait ainsi un calcul analogue à celui de la dîme mortuaire; mais ce calcul ne le
conduit à un résultat complet qu'au moyen de fréquentes interpolations, quand il
dispose d'un trop petit nombre d'éléments ou quand il ne connaît l'âge des décédés
que par périodes ou d'une manière vague et non par une date précise. Une autre
cause d'imperfection, c'est que le calcul est fait dans l'hypothèse, très rarement
justifiée, d'une population stationnaire, dont la mortalité et la natalité seraient
invariables et qui n'aurait ni émigration ni immigration (1).
La seconde méthode, désignée souvent sous le nom de méthode de Deparcieux,
est directe. Elle consiste à suivre un groupe particulier et homogène de personnes
depuis la naissance jusqu'à l'extinction complète des individus composant ce groupe
et elle fournit ainsi la vitalité propre au dit groupe. Elle procède, d'ailleurs, comme
la précédente : on dresse d'abord la liste des décédés par âges laquelle constitue la
population totale; puis on déduit successivement du restant les décès à chaque âge
et on établit par la différence la série des survivants. C'est la méthode la plus usitée
pour la construction des tables de survie des têtes choisies; c'est, par conséquent,
celle dont les compagnies d'assurances font usage.
La troisième est la méthode démographique. Elle ne porte pas sur des têtes choisies,
mais elle s'applique soit à la population totale d'une ville, d'une région, d'un État,
soit à la population totale dist'inguée par sexes ou par professions. Elle fournit la
connaissance de la vitalité d'un groupe réel : c'est pourquoi elle est préférée par
les démographes (2). Mais elle suppose la connaissance précise de la population par
(1) En effet, supposons qu'il y ait 30 décès à 80 ans et 30 à 2 ans ; ces décès ont dû être fournis, si la
population est en progrès, par un nombre de naissances moindre pour les vieillards de 80 ans que pour
les enfants de 2 ans. On les attribue cependant à une même population ; on exagère ainsi la mortalité des
âges avancés et on atténue celle de Tenfance. En outre, la méthode de Halley ne tient pas, ainsi que nous
verrons, compte de l'immigration et de l'émigration qui modifient la vitalité des groupes d'âges.
(2) Voici comment s'exprimait Quetelet dans le Bulletin de lu commission de statistique belge (t. V,
p. 23, année 1853), quand il dressait la table de survie de la Belgique :
« Les tables de mortalité, comme on les calcule en général, mêlent ensemble des éléments très diffé-
rents et font connaître à la fois les effets de la mortalité actuelle et ceux de la mortalité reculée de près
d'un siècle, sans tenir compte des fluctuations de croissance ou de décroissance que la population a pu
subir. Je considère comme mortalité actuelle la probabilité, pour cliaque âge, de vivre encore une année.
La valeur se calculera évidemment avec plus d'exactitude si on peut la déduire directement du résultat d'un
recensement et du chiffre mortuaire donné par les registres de l'état civil. »
— 70 —
âge et celle des décès par âge de celte même population ; elle puise la première
dans le recensement, la seconde dans l'état civil.
Pour chaque année d'âge ou mieux, afin de compenser les inexactitudes qui se
glissent dans les recensements et dans les déclarations de décès, pour chaque
période d'âges, le calculateur qui opère d'après cette dernière méthode compare,
ainsi qu'on le pratique quand on veut obtenir la dîme mortuaire, le nombre des
individus ayant l'âge déterminé et le nombre des décès du même âge ; il déter-
mine le rapport de ces deux nombres, c'est-à-dire la dîme mortuaire; puis, partant
d'un nombre rond de naissances vivantes, soit 100,000, il obtient, par la déduction
de ces afférents à chaque âge, une table de survie (ju'il continue jusqu'au terme où
les 100,000 se trouvent léduils à 0.
Cette méthode, qui n'a pu être appliquée que depuis qu'il existe des recense-
ments de la population, a été, dans notre siècle et surtout depuis quarante ans,
l'objet de nombreuses études et de perfectionnements que des mathématiciens et
des statisticiens, Fourier, Moser, Demonferrand, Quetelet et Bertillon, Hermann,
Farr, Wittstein, Becker, Knapp, Lund, Kôrôsi, Van Pescb, etc., se sont appliqués à
introduire. Les mémoires rédigés sur ce sujet pour le congrès de Budapest recom-
mandent de prendre, pour dresser ces tables, le rapport du nombre des décès de
chaque âge avec le nombre des vivants de ce même âge obtenu à l'aide des recen-
sements de la population de fait, de calculer la suite de ces rapports par année et
même par mois ou par semestre pour la première année et de tenir compte de l'im-
migration et de l'émigration (i).
L'histoire sommaire des tables de survie (2). — La connaissance de la survie,
étant nécessaire pour la constitution des placements en usage, présente un intérêt
particulier qui a fixé de bonne heure l'attention des mathématiciens. Aussi a-t-elle
précédé de beaucoup la démographie : les Romains même avaient dressé des tables
de ce genre pour leur usage (3); dès le xv* siècle, en Italie, des banquiers assu-
raient aux jeunes filles une dot payable à l'âge de vingt ans et égale à dix fois la
somme versée à leur naissance, le versement demeurant acquis au banquier si la
jeune fille mourait auparavant (4). En Angleterre, un marchand de Londres nommé
John Graunt profila des fistes de décès de la ville de Londres publiées depuis 1592,
(1) Sur la manière de dresser les tables de survie et sur les procédés proposés, le lecteur trouvera
des détails dans l'article du docteur Bertillon, Des Diverses manières de mesurer la vie humaine {Journal
de la Société de statistique, mars 1866), dans Touvrage de M. Knapp, publié en 1868 : Veber die Er-
mittlung der Sterblichkeit aus den Aufzeichnwigen der Bevolkerung Statistik, dans le chapitre VII du
Traité théorique et pratique de statistique de M. Maurice Block et dans Tappendice de Touvrage de
M. Meitzen intitulé : Geschichte, Théorie und Technik der Statistik (1886).
(2) Nous avons déjà donné, dans Tintroduction de cet ouvrage (Histoire sommaire de la Statistique) ,
quelques renseignements sur ee sujet.
(3) Voir Digeste, liv. XXXV, tit. IF, loi G8.
(4) Si les calculs des banquiers étaient bien faits, ils indiqueraient une mortalité plus considérable et
un taux d'intérêt plus élevé que de nos jours. On faisait alors en Italie sur la vie des papes des paris qui
étaient fondés sur la connaissance de la vie probable. C'est, d'ailleurs, un Italien, Lorenzo Tonti, qui
apporta en France le système des emprunts d'État en tontines (1653).
— 71 —
pour dresser, vers 1662, une table que l'insuffisance des documents condamnait à
n'être qu'une ébauche (1).
A peu près dans le môme temps, Pascal et Fermât donnaient les règles du calcul
des probabilités et, trente ans plus tard, l'astronome Halley reprit l'étude du pro-
blème, sollicité par le gouvernement anglais qui voulait contracter un emprunt en
rentes viagères; il avait sous la main un document nouveau et préférable à tous
ceux qu'on avait employés jusque-là, la liste dressée par Gaspar Neumann (2) des
naissances et des décès de la ville de Breslau pendant une période de cinq ans
(1687-1691); il s'aida, en outre, des registres mortuaires de la paroisse de Christ-
cburch (3), et il dressa la table qui porte son nom (4). Halley, en sa qualité de savant,
portait son regard par delà le but pratique qui lui était proposé et voyait dans ce
travail un moyen de donner « une plus juste idée de l'état et de la condition du
genre humain ».
Des Hollandais, Jean de Witt en 1671, Kerseboom en 1742, désirant fixer des
règles applicables à des constitutions de rente, suivirent les mêmes traces, mais en
se servant moins des registres de décès des paroisses que des listes de rentes via-
gères et d'assurance sur la vie. Après eux vint Deparcieux qui, en 1746, travailla
sur les listes mortuaires des tontines créées par Louis XIV pendant la guerre d'Al-
lemagne, de 1689 à 1696 (5); puis Wargentin, qui eut à sa disposition, en Suède,
les deux éléments d'un recensement (le premier recensement de la Suède est de
(1) L'ouvrage de Graunt, qui a dû paraître en 1661, 1662 ou 1665, était intitulé Naturel andpoli-
tical observations upon the bill 0/ morlalUy. Les listes de Londres indiquaient mal l'âge des décédés;
cependant Graunt trouve une mortalité rapide qui paraît vraisemblable pour le temps. Ainsi, sur 100 nais-
sances vivantes, il donne :
64 survivants à 6 ans.
25 ~ 26 —
6 — 56 —
On avait enregistré les décès de Londres à la lin du xvi* siècle, à cause d'une peste qui avait sévi sur
la ville.
(2) Gaspar ^■euraann était curé à Breslau. y oir Edmund Halley und Caspar Neumann, von Graetzer.
Breslau, 1883.
(3) Les travaux de Pascal et de Fermât sur le calcul des probabilités facilitaient des recherches de ce
genre. Le gouvernement anglais, songeant à contracter un emprunt en rentes viagères, avait chargé
Halley de dresser cette table. Les listes de Breslau ne lui fournissaient que 1,238 naissances et 1,174 décès.
Halley ignorait le nombre des habitants de Breslau. Pour avoir une population stationnaire, c'est-à-dire
une population fournissant exactement le même nombre de naissances et de décès, il supposa que
64 habitants avaient quitté Breslau et étaient allés mourir ailleurs. Kous reproduisons plus loin la table
de Halley.
(4) A la suite de la publication de Halley, plusieurs caisses tontinières se créèrent, et il y eut môme pen-
dant quelques années une spéculation effrénée à Londres sur ce genre d'assurances; Daniel Foë, l'auteur de
Robinson Crusoë, écrivit un mémoire sur ce sujet (1696). Ce n'est qu'après cette fièvre que se fonda, en
1706, la première grande compagnie anglaise d'assurances, Amicable life Association. En 1742, Simpson
reprit les calculs de Halley et publia une théorie plus pratique des annuités et des tontines. Cependant
la compagnie l'Équitable, fondée en 1762 et basée sur les tables de survie, compromit son crédit par des
spéculations hasardées de groupes tontiniers- c'est à la suite de cet événement que Price publia ses
observations sur les tontines (1709) et sa table dite de Northampton qu'il calcula sur 4,689 décès survenus
durant une période de 40 ans à Northampton. Nous reproduisons à la lin de ce chapitre la table de Price.
(5) Deparcieux a eu à sa disposition 9,320 observations provenant des deux tontines de 1689 et de
1G96 et quelques observations provenant de la tontine de 1734 (jusqu'en I7i2, date de son travail).
Mais il ne possédait que des groupes d'âges de cinq en cinq ans et non l'âge précis : ce qui l'a obligé à
— 72 —
1749) et des registres de naissances et de décès et put ainsi donner, en 1766, la
première table construite d'après la méthode démographique (1).
En France, Ditpré de Saint-Mmir, travaillant sur les registres dé décès de trois
paroisses de Paris et de douze paroisses des environs de Paris antérieurs à l'année
1749, dressa une table qui a été publiée en 1767 dans le grand ouvrage de BufTon
sur l'homme et reproduite plus tard, avec les rectifications de Saint-Cyran, dans les
Probabilités de la vie humaine (2) ; Duvillard paraît avoir calculé, à l'aide de 101,542
décès recueillis par lui en divers lieux de la France avant la Révolution, une table
qu'il publia en 1806 dans le Tableau de l'influence de la petite vérole, sans indiquer
d'ailleurs avec précision ses sources (3).
Cependant la méthode démographique n'était pour ainsi dire pas encore en usage :
les matériaux fournis par les recensements étaient encore trop peu considérables
pour tenter les statisticiens. Après Laplace, le savant Fourier, dans un rapport qui n'a
eu quelque célébrité qu'après sa mort, et Moser, dans son livre surles lois de la durée
de la vie {Gezetzê der Lebensdauer), revenant aux procédés suivis par Wargentin,
fixèrent les principes mathématiques de la construction de ces tables. Quetclel les
revisa et les appliqua en dressant la table de survie de la population belge d'après les
données de l'état civil de 1841 à 1850 et du recensement de 1846 (4). Baumhauer
dressa par des procédés analogues une table pour les Pays-Bas à l'aide des listes
mortuaires de 1840 à 1851 et du recensement de 1849 (5); le docteur Farr en
construisit plusieurs pour l'Angleterre qui portent sur les données des recensements
de 1841 et de 1851 et sur les décès de 1838 à 1854(6) et qui, considérées comme
procéder par interpolations et par ajustement, comme disent les actuaires. Il ramena à 1,000 le nombre
initial à Tâge de 3 ans et dressa la table qu'il publia en 1746 dans son Essai sur les probabilités de
la vie humaine et qui est connue sous le nom de table de Deparcieux. Elle est distincte d'une double
table de survie qu'il a dressée sur des documents tirés des listes mortuaires de couvents d'hommes et
de femmes et dans laquelle il a montré que les religieuses vivaient plus longtemps que les religieux —
ce qui est conforme aux résultats des tables modernes — et que les religieux avaient jusqu'à 50 ans une
vitalité plus forte que les tontiniers et, après .JO ans, une mortalité plus rapide, conséquence de leurs
jeûnes et de leurs privations. La table de Deparcieux, qui commence à 3 ans, a été ramenée avec 1,286
vivants à an (en ramenant aussi les 1,000 vivants de Deparcieux à 3 ans au nombre de 970) par
M. Mathieu et à 1,000 vivants à an par M. Moivre. C'est cette dernière table que nous donnons
plus loin (à la suite du paragraphe relatif à la vitalité des deux sexes).
(1) II paraît même que c'est à l'instigation de Wargentin qu'on a fait tous les ans le relevé des décès
par âges et qu'on a dressé tous les trois ans la liste des vivants par âges. Wargentin, dont le travail a paru
dans les Mémoires de l'Académie des sciences de Suède, avait travaillé à l'aide des registres de paroisses
et des trois recensements de 1757, de 17G0 et de 17G3. — Parmi les tables qui ont un intérêt histo-
rique, celle de Sussmiich, revue par Baumann (1775) pour la quatrième édition de son ouvrage, mérite
d'être citée.
(2) La table de Dupré de Saint-Maur part de 23,39i vivants à an et elle s'étend jusqu'à 100 ans
avec 7 survivants, dont 5 sont morts dans l'année ; nous reproduisons plus loin cette table ramenée à
1,000 vivants à an. Cette table, avec le détail pour chaque paroisse, est insérée à la fin du second
volume de Vllistoire naturelle (édition in-4°, 1749).
(3) Duvillard dit avoir présenté cette table à l'Institut on l'an V ; mais il ne donne aucun renseignement
sur la manière dont il a opéré. Voir, à la fin de ce chapitre, la table de Duvillard.
(4) Voir plus loin la table de Quetelet pour la Belgique.
(5) Voir plus loin la table de Baumhauer pour les Pays-Bas.
(6) Voir les Transactions de la Société royale de Londres de 1859. La 3^ table de Farr a été publiée
en 1864. Voir, plus loin, les tables de Farr pour les hommes, pour les femmes et pour les deux sexes
réunis en Angleterre.
— 73 —
un modèle du genre, jouissent d'une grande autorité. Avant lui, John Finlaison,
actuaire de la dette nationale d'Angleterre, avait calculé à l'aide des listes des ton-
tines et des renies viagères de l'Angleterre et publia en 1829 des tables qui sont
remarquables par leur faible mortalité et qui ont été en usage dans l'administration
anglaise jusqu'à ces derniers temps (1).
En France, après Demonferrand qui publia sa table en 1838 (2), le docteur Ber-
tillon, prenant pour établir la population par âges la moyenne des trois recensements
de 1851, de 1856 et de 1861 et opérant sur le mouvement de l'état civil de 1856 à
1865, dressa la meilleure table que nous possédions pour la survie générale de la
population française (3); les deux tables dressées par la Statistique générale de
France pour les périodes 1861-1865 et 1877-1881, quoique représentant un travail
moins considérable, fournissent cependant d'utiles éléments de comparaison.
En Allemagne, Hcrmann pour la Bavière (1834-1867), M. Becker pour la Prusse,
en Suède, M. Berg [1861-1870] (4), en Norvège M. A'tœr [1856-1865] (5) et d'autres
ont travaillé dans le même but, en apportant chacun quelque changement à la
méthode, et ont enrichi la statistique de tables qui permettent de comparer la vita-
lité dans un grand nombre d'États européens.
Le progrès de la vitalité française d'après les tables générales de survie. —
Nous nous proposons d'examiner les tables de survie surtout au point de vue de la
démographie française, et, par conséquent, d'y chercher des notions sur la durée
de la vie humaine aux différents âges et sur les différences que le temps ou la con-
dition des personnes peuvent avoir apportées dans celte durée.
Nous pouvons comparer à cet effet quatre tables qui, quoique composées avec
des éléments différents, représentent en quelque sorte la vitalité française à quatre
époques : celle de Dupré de Sainl-Maur, au commencement de la seconde moitié du
xviu^ siècle; celle deDuvillard, à la veille de la Révolution ; celle de Demonferrand
sous la Restauration ; celle de Berlillon, vers le milieu du xix* siècle, et rapprocher
de la table de Berlillon les calculs de la Statistique générale de France qui se rap-
portent à deux périodes plus récentes.
Tableau.
(1) Les tables de Finlaison (hommes et femmes) ont été établies sur des observations relatives à
18,798 tontiniers ou rentiers et à 6,079 décès. Publiées en 1829, elles ont été revisées en 1860.
(2) Demonferrand possédait comme données, d'après les relevés de Tétat civil français, la date de la
naissance et de la mort de 5,952,352 hommes et 5,840,937 femmes pendant la période 1817-1832, elles
résultats des recensements français de 1821, de 1831, de 1836 et les listes de cironscription de 1815
à 1831.
(3) Voir plus loin les tables de Berlillon pour les hommes, pour les femmes et pour les deux sexes
réunis en France. Les premières tables de Berlillon, calculées pour la période 1840-1859 par périodes
quinquennales d'âge, ont été insérées dans le Compte rendît du Congrès médical de Bordeaux et dans
le Journal de la Société de statistique de Paris (mars 18G6). Les secondes tables, calculées pour la
période 185G-1865, par années, ont été insérées par Quetelet dans le lome XIII du Bulletin de la Com-
mission centrale de Belgique, puis dans les Tables de mortalité et leur développement. Pour la pre-
mière année, Berlillon a tenu compte des faux mort-nés.
(4) Voir plus loin la table de Berg pour la Suède.
(5) Voir plus loin la table de Kiser pour la Norvège.
— 74 —
Tables de survie de la population française.
DUPRÉ
DUVILLABD
DEMON-
BBRTILLON
STATISTIQUE
GÉNÉRALE DE
FRANCE
AGES. ?ï= '•"Y^J'm-
(avant 1750).
(avant 1789).
PERBAND
(1817-1832).
(1856-1865).
1861-1865. ^
1877-1881.
Lei 2 sexe».
Les 2 sexes.
Le» 2 sexes.
Les 2 sexei.
Les 2 sexes.
Sexe
masculin.
Sexe
féminin.
an iOOO
lÔÔO
lOÔO
lÔÔO
lOÔO
lÔÔO
1000
5 ans.
540
583
707
710
694
716
744
10 —
489
551
668
681
668
693
719
15 —
472
529
647
664
651
680
703
20 —
449
502
624
642
628
660
680.
25 —
419
471
587
611
599
631
657
30 —
388
438
560
584
574
602
626
35 —
355
404
536
559
548
574
596
40 —
314
369
510
533
534
543
567
45 -
279
334
482
504
496
512
539
50 -
242
297
449
473
467
476
507
55 —
212
257
410
436
429
433
470
60 —
168
213
365
389
385
383
425
65 —
135
166
300
326
323
320
362
70 —
90
118
229
249
250
245
291
75 —
52
72
148
165
168
161
199
80 —
23
35
76
89
88
86
113
85 —
10
12
28
37
30
32
45
90 —
3
4
8
11
6
10
14
95 —
1
1
s>
y>
]»
T>
»
Il faut remarquer que les trois premières tables [Dupré de Saint-Maur (1),
Duvillard et Demonferrand] ayant été dressées sur des registres de décès seulement
et sans l'aide de recensement, donnent des résultats qui sont médiocrement com-
parables avec les quatre dernières tables dressées d'après la méthode démogra-
phique.
Le progrès néanmoins est incontestable ; il est en harmonie avec l'ensemble des
inductions que l'on peut tirer des documents du siècle passé (2).
Est-il aussi considérable que l'indique le rapport des tables de Dupré de Saint-
Maur et de Bertillon et faut-il admettre non seulement qu'à 10 ans nous conser-
vions 21 enfants de plus sur 100 naissances — ce qui peut être vrai, — mais que
dans la période de la moindre mortalité, de 10 à 50 ans, on perdît alors plus de
moitié des survivants, tandis que nous n'en perdons aujourd'hui que 1/3, qu'après
(1) Buffon (t. 11, p. 600), commentant la table de Dupré de Saint-Maur, dit ; « Par la table des
paroisses de la campagne, il paraît que la moitié des enfants qui naissent meurent à peu près avant Tige
de quatre ans révolus ; par celle des paroisses de Paris, il paraît au contraire qu'il faut seize ans pour
éteindre la moitié des enfants qui naissent en même temps ; cette grande différence vient de ce qu'on ne
nourrit pas à Paris tous les enfants qui y naissent, même à beaucoup près ; on les envoie dans les cam-
pagnes où il doit par conséquent mourir beaucoup plus de personnes en bas âge qu'à Paris, mais en esti-
mant les degrés de mortalité réunis... » La table insérée dans l'ouvrage de Buffon ne portant pas les cor-
rections de St-Cyran, indique une survie un peu différente de celle que nous donnons ici, ainsi :
A 5 ans 520
tO — 495
50 — 258
(2) L'évaluation donnée par Necker à la fin du IX'' chapitre de l'Administration des finances ne
peut être regardée que comme une donnée vague. « Quand on voit, dit-il, un quart de la génération périr
avant trois ans, un autre avant vingt-cinq, un autre avant cinquante... » Elle est confirmée cependant à
peu près par la table de Duvillard,
\
— 75 —
un demi-siécle la génération fût réduite au quart des naissances (242), lorsqu'au-
jourd'liui elle en possède encore piès de moitié de son eiïeclif (i73), et enfin que
nous ayons aujourd'hui (lualre fois plus d'octogénaires qu'alors? Il est permis de
croire qu'il y a là quelque exagération. Le nombre restreint d'éléments sur les-
quels a opéré l'académicien du xviii" siècle, la région de Paris et de ses environs
dans laquelle il les a recueillis et dont les conditions hygiéniques n'étaient pas les
meilleures en France autorisent le doute. Ce doute se corrobore lorsqu'on compare
la table de Dupré de Saint-Maur, calculée sur des décès antérieurs à 1750, avec
d'autres tables dressées avant 1789 dans des pays étrangers et portant aussi sur
la population totale d'une localité, d'une région ou d'un Étal. Ilalley, quoiqu'il
opérât sur les données d'une ville allemande au xvii' siècle, Sussmilch, qui travaillait
au xviu* siècle et dont la table a été revue par Baumann en 1775 (1), c'est-à-dire
peu de temps après Dupré de Saint-Maur, Wargentin, qui cherchait les éléments
de son calcul dans les tableaux du recensement et dans les registres des paroisses
de la Suède au milieu du xviii^ siècle, ont tous trouvé une mortalité moins rapide
que Dupré de Saint-Maur (2).
Il est donc sage de borner la comparaison aux tables de Duvillard et de Bertillon.
La première appartient encore, par les éléments à l'aide desquels elle a été cons-
truite, à la période antérieure à 1789 et il est facile de voir, en consultant le ta-
bleau qui se trouve à la fin de ce chapitre, que la population qu'elle représente
ressemble à celle de Dupré de Saint-Maur et jouit d'une vitalité très différente de
celle des tables de Bertillon et de la Statistique générale de France.
Entre la construction des deux tables (Duvillard et Bertillon), il ne s'est guère
écoulé qu'une soixantaine d'années, à peine la durée de deux générations; mais les
changements qui, durant ce temps, se sont produits dans l'économie sociale de la
France et dans la production de la richesse expliquent la différence des résultats.
C'est sur l'enfance qu'elle se manifeste tout d'abord et de la manière la plus appa-
rente, comme on le voit par la descente rapide de la courbe de Duvillard entre et
5 ans : à 5 ans, le nombre de décès s'élève, d'après lui, à 42 p. 100 des naissances ;
il n'est que de 29 d'après Bertillon.
Donc le nombre des décès de l'enfance n'a pas, ainsi qu'on l'a quelquefois
avancé, diminué en France seulement parce que la natalité est moindre, mais
(1) Pour la quatrième édition de l'ouvrage de Sussmilch, avons-nous dit plus haut.
(2) Nombre de survivants à chaque âge.
DUPRK
DE 8T-MAUK BAUMANN
„ . ,,.« 1687-1691. . ,_.,„
avant 1750. avant 1775.
1757-1763.
(Table dressée
d'après
1687-1691. „ ,,,^ la méthode
démographique.)
an 1000 1000 1000 1000
10 ans 489 G61 532 611
20 — 449 598 491 570
30 — 388 531 439 519
40 — 314 445 374 459
^0 — 242 3i6 300 385
60 — 168 242 210 293
70 — 90 142 112 175
80 — 23 41 37 56
— 76 —
parce que la mortalité enfantine est réellement atténuée. La différence apparaît
encore dans l'âge mûr; sur la figure, la courbe de la table de Duvillard semble
descendre obliquement en ligne droite presque vers l'extrême vieillesse, tandis
que celle de Bertillon présente une ligne courbe qui est renflée jusque vers 50 ans
et qui ne tombe précipitamment qu'à partir de la soixante-cinquième année. En
effet, le tableau montre que dans la période de 15 à 65 ans, laquelle peut être
considérée comme la période de l'activité, la perte est d'environ 69 p. 100 d'après
Duvillard et qu'elle est de 51 p. 100 d'après Bertillon. Enfin, de 65 à 85 ans, la
perte est de 81 p. 100 d'après Duvillard et de 88 d'après Bertillon. Il faut que la
mort finisse par saisir sa proie; mais le plus tard est le mieux et il est avantageux
que la plus grande proportion des décès soit reculée jusque dans l'âge le plus
avancé.
La vitalité des têtes choisies en France. — Deparcieux, le premier qui, en
France, ait dressé une table de survie, a opéré sur des tonliniers et, par conséquent,
sur des têtes choisies. On désigne sous ce nom des individus constituant un groupe
d'élite, tels que des rentiers ou des personnes assurées en cas de mort; ils doivent
être distingués des têtes non choisies, c'est-à-dire des groupes comprenant toute
la population, riche et pauvre, d'une région déterminée, ville, province ou État.
Aussi la mortalité de la table de Deparcieux est-elle peu rapide et moindre pour
tous les âges que celle de la table de Duvillard. Dans tous les temps, les rentiers
se trouvent placés par leur aisance à un niveau que la mort atteint moins facile-
ment que le commun des hommes. « Un nombre quelconque de rentiers viagers,
dit Deparcieux (1), doit en général mourir moins vite qu'un nombre pareil d'autres
personnes prises indistinctement. » Il en est de même des gens qui contractent
une assurance en cas de décès : ils sont prévoyants et relativement aisés. Cepen-
dant les derniers doivent être distingués des premiers et fournissent une mortalité
plus rapide, parce qu'on est plus disposé à payer la prime d'une rente quand on
espère en jouir lontemps et la prime d'une assurance quand on est plus exposé à
mourir (1).
Tableau.
(1) Essai. . . p. 61. Ed. de 1746. Deparcieux en donne les raisons suivantes : 1° parce qu'en général
on ne place en rente viagère que sur la tête d'enfants bien constitués; 2" parce que les personnes
ayant une maladie grave font rarement des contrats de ce genre en leur propre nom ; 3° parce que les
rentiers, n'étant ni grands seigneurs, ni misérables, mais bon bourgeois pour la plupart, appartiennent
précisément à la catégorie des gens qui ordinairement deviennent vieux. Ces raisons sont encore bonnes
pour expliquer aujourd'hui la vitalité des rentiers en viager. Celle des personnes assurées en cas de mort
a pour raison, outre l'assurance relative dont jouit cette dasse, l'examen préalable que le médecin
de la compagnie leur fait subir et qui a pour effet de ne pas admettre à l'assurance les constitutions trop
faibles.
— 77
Tables de survie des têtes choisies en France.
RKNTIHRS.
PENSION-
NAI RK s
ckjls de l'État
Oion compris
les veuves)
décédéi de
1871 à" 1877.
VEUVES
de
Membres
de l'Institut
ASSURÉS
en cas do décès.
ANS.
Deparvieux
(16S9-174Î).
Beauvisage
(1793-18G4).
Trois
compagnies
françaises
1860.
fonctionnaires
pensionnées
(1871-1877).
décédés
de
1795 à 1809.
(Table
Potiquet.)
Kertanguy
(1837-1872).
3
1000
(La
1000
(La
))
))
(La
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(La
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même
982
même
même
même
même
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5
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701
1000
1000
659
1000
875
1000
894 1000
729
1000
55
526
905
641
927
931
562
853
808
923
819 916
667
915
60
463
797
580
838
852
483
732
738
843
744 832
598
820
65
395
679
498
720
756
402
610
650
743
638 714
489
668
70
310
534
395
571
633
310
470
536
612
505 565
362
497
75
211
363
275
397
473
190
288
393
449
374 418
218
299
80
118
203
178
225
302
120
182
248
283
240 269
110
151
85
48
83
65
94
147
52
78
125
143
95 106
60
82
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Dans la table de Deparcieux, en effet, la perte est de 1 1/2 p. 100 de 5 à 20 ans,
de 4 1/2 p. 100 de 20 à 60 ans et de 7 1/2 p. 100 de 60 à 80 ans, tandis que dans
celle de Duvillard elle s'élève pour les mêmes périodes à près de 1.4, à 5.8 et à 8.4
p. 100. A 58 ans, Deparcieux nous présente encore plus de la moitié de la généra-
tion vivante, tandis que, dans celle de Duvillard, les survivants à l'âge de trois ans
sont réduits de moitié avant d'avoir atteint leur quarante-neuvième année.
La comparaison de la table de Berlillon avec celle de Beauvisage ou celle des
trois compagnies françaises conduit à une conclusion semblable. La première perd
2.7 p. 100 de son effectif de 20 à 50 ans et 8.1 p. 100 de 50 à 80 ans; la seconde
en perd 2.4 et 7.8 p. 100; la troisième de 50 à 80 ans n'en perd que 7 p. 100 (1).
Après avoir comparé les tables portant sur une population non choisie et les
tables calculées sur des têtes choisies, il est intéressant de comparer ces dernières
entre elles : par exemple, celle de Deparcieux, dont les éléments appartiennent au
commencement du xviii* siècle, celle de Beauvisage, dont les éléments, empruntés
(1) Il ne faut pas touterois s'exagérer la différence en comparant les deux séries. Celle des tables de
têtes choisies ne commençant qu'à trois ans, ne laisse pas voir la période de la première enfance pendant
laquelle la mortalité est très considérable, môme parmi les enfants de la classe aisée. Elle l'est cependant,
comme nous le montrerons à propos de Paris dans le chapitre des agglomérations urbaines ; car la morta-
lité enfantine est beaucoup moins considérable pour cette classe que pour la masse de la population.
C'est par une hypothèse qui n'est pas suflisamment justifiée (car elle consiste à appliquera peu près la
mortalité moyenne à des têtes choisies), que V Annuaire du Bureau des Longitudes (calcul de M. Mathieu)
a complété la table de Deparcieux de 3 ans à ans.
— 78 —
à la caisse Lafarge, à la fin du xvlIl^siècle et à la première moitié du xix' siècle (1),
et de les rapprocher des travaux du même genre faits plus récemment pour les
trois compagnies d'assurances françaises en 1860 (2), pour les pensionnaires civils
de l'État décédés de 1871 à 1877 (3) et pour les membres de l'Institut morts de
1795 à 1869 (4).
Les deux tables de Deparcieux et des trois compagnies françaises sont aujourd'hui
les plus autorisées en France ; la première est celle dont on se sert pour calculer
les tarifs de primes pour les contrats de rentes viagères, et la seconde est celle qui
exprime le mieux la véritable mortalité de ces rentiers et qui se rapproche le plus
de la table des vingt compagnies anglaises, dressée dans des conditions à peu près
analogues (5). Entre les deux, la différence est sensible : la mortalité est moindre à
tous les âges sur la seconde; sur la table de Kertanguy (6), qui appartient, il est vrai,
à une catégorie différente de personnes, elle est moindre aussi durant les cinquante
premières années de la vie.
Les tables de Beauvisage, des trois compagnies françaises et de Kertanguy,
quoique présentant des différences intéressantes pour les actuaires qui ont à cal-
culer des primes, n'en ont pas d'assez considérables au point de vue démographique
pour que nous croyions pouvoir en tirer quelque conclusion en faveur d'un accrois-
sement de la vie moyenne. Nous nous contentons de dire que si la mortalité de la
table de Kertanguy est beaucoup plus rapide que celle des trois compagnies, c'est
(1) La table de Beauvisage a été dressée en 1867 à l'aide des décès des tontiniers de la caisse Lafarge
sur 116,000 individus assurés à cette caisse; les documents n'ont permis d'établir le calcul que sur
38,951 décès).
(2) La table des trois compagnies françaises (Assurances générales, Nationale ou ancienne Compagnie
royale, Union), publiée en 1860, contient les résultats de l'expérience des trois compagnies sur les décès
de leurs rentiers de 50 à 85 ans.
(3) La table de survie des pensionnaires civils de TÉlat a été dressée, à propos d'un projet de loi pour
la création d'une Caisse nationale de prévoyance et à Tinstigation de M. L. Say, alors ministre des finances,
par deux actuaires, MM. Ctiarlon et Âchard. Elle a été dressée à l'aide de 16,259 cas portant sur des
pensionnaires décédés de 1871 à 1877, et se compose d'une table générale des pensionnaires civils, d'une
table des pensionnaires du service sédentaire, d'une table des pensionnaires du service actif, d'une table
des pensionnaires de l'instruction publique et d'une table pour les veuves pensionnées.
(4) La table de survie des membres de l'Institut a été dressée pour la période 1795-1869, par M. Po-
tiquet. Voir le rapport de M. Bienaymé à l'Académie des sciences en 1872.
(5) La table des vingt compagnies anglaises, dont nous parlerons plus loin, est la meilleure qui existe
aujourd'hui pour les têtes choisies (rentiers). En France, on emploie toujours Deparcieux pour dresser les
tarifs des rentes et Duvillard pour dresser les tarifs des assurances en cas de décès. Mais ces tables, sur-
tout celle de Duvillard, ne sont plus en harmonie avec l'état actuel des choses, et les actuaires doivent,
pour rétablissement des primes ou compensations, y introduire certaines corrections indiquées par l'expé-
rience. Il est regrettable que la table générale de la mortalité des rentiers, qui avait été entreprise par
les six principales compagnies, n'ait pas été publiée jusqu'ici, et que les calculs d'une table semblable
pour les assurés, en cas de décès, n'aient pas encore été faits, et que la France qui cependant a des ma-
tériaux suffisants, ne possède pas deux tables qui fassent autorité comme celle des vingt compagnies an-
glaises fait autorité pour les rentiers.
(6) La table de M. Kertanguy a été dressée d'après l'expérience de la Compagnie d'assurances générales;
cette table porte sur la période 1837-1872 et sur 24,699 têtes (20,860 hommes et 3,899 femmes) ayant
souscrit 18,427 polices, dont 23,478 pour la vie entière, 4,021 mixtes, 540 de survie et 388 à terme
fixe; elle a été publiée en janvier 1874 dans le Journal des actuaires français.
— 79 —
qu'elle a clé dressée sur des assurances en cas de décès, tandis que l'autre l'a été
sur des rentes viagères (1).
La table dés pensionnaires civils de l'État présente une courbe de mortalité
beaucoup plus rapide que les trois autres. Mais il ne faut pas oublier que l'âge légal
de la retraite étant de 55 ans dans le service actif et de 60 ans dans le service
ordinaire, ceux qui sont retraités avant l'âge et beaucoup de ceux qui (juitteni,
volontairement ou involontairement, leurs fonctions à la limite réglementaire, sont
en général retraités pour cause d'infirmités ou de mauvaise santé, et il convient
d'ajouter que le changement d'habitude et la diminution de bien-être qu'entraîne
souvent la mise à la retraite, sont préjudiciables à l'équilibre de la vie. 11 existe
relativement aux commerçants une opinion, peut-être justifiée par l'expérience, qui
confirme l'indication fournie par la table des pensionnaires : c'est que beaucoup
d'entre eux, après avoir aspiré longtemps à devenir rentiers, meurent peu d'années
après avoir quitté, avec les affaires, le train ordinaire de leur existence. D'après la
table de Kertanguy, la mortalité annuelle est de 14 par 1,000 vivants de 50 ans;
elle est de 66 p. 1,000 pour les pensionnaires. Cependant, quand ces derniers ont
franchi le passage difficile, c'est-à-dire à partir de 70 ans, leur résistance contre la
mort n'est pas moins forte que celle des lonliniers de Deparcieux et des assurés
sur la vie de Kertanguy et leur vitalité, comme celle des rentiers, devient notable-
ment supérieure à celle de la population en général.
Les veuves pensionnées n'ayant pas les mêmes causes de mort que leurs maris
retraités et ayant, comme les femmes en général, l'avantage d'une longévité plus
grande que les hommes, ont une courbe de mortalité d'une tenue supérieure à
toutes les autres que la table de Kertanguy, Il en est de même pour les membres
de rinstitut dont la table se place aussi dans les premiers rangs pour la longévité.
En comparant la dîme mortuaire des têtes choisies, même de la table de Kertanguy,
dont la mortalité est cependant la plus rapide, à celle de la population française (que
nous avons déjà donnée dans le chapitre des décès), on voit que cette supériorité des
têtes choisies est très accusée à tous les âges, excepté à l'extrême limite de la vie où
la statistique calcule pour l'ensemble de la population une mortalité moindre, sans
pouvoir donner de cette anomalie une raison plausible.
Tableau.
(!) En général, les individus qui font un contrat de rente viagère prennent cette détermination dans
un âge avancé, de 50 à 65 ans le plus souvent, et ils la prennent parce que, se trouvant en bonne santé
et pensant avoir de longues années à vivre, ils veulent faire de leur petit capital remploi le plus fructueux ;
s'ils se savaient gravement malades, beaucoup ne signeraient pas un contrat de ce genre. Aussi les rentiers
ont-ils, principalement de GO à 75 ans, une longévité plus grande que les assurés en cas de décès. Ceux-
ci,, le plus souvent se sont assurés étant jeunes, parce qu'ils avaient intérêt à le faire, la prime étant
alors moins forte, et rien ne porte à croire que leur longévité soit supérieure à celle des autres têtes
choisies; il arrive même quelquefois que certains individus, ayant précisément le dessein de s'assurer
parce qu'ils se sentent menacés de quelque cause de mort, parviennent à le faire, en trompant le médecin
chargé de la visite. Toutefois, c'est là une exception; la visite du médecin est en général une garantie
qui écarte de l'assurance sur la vie les constitutions les plus menacées et c'est une des raisons pour les-
quelles les personnes assurées sur la vie constituent réellement des têtes choisies. On voit cependant la
grande différence qui existe dans les âges avancés entre les rentiers et les assurés en cas de décès en
comparant la table des trois compagnies et celle de M. Kertanguy.
—
80
—
Dîme mortuaire (1)
.
(nombre
de décès par
,000 V
vanta de chaq
le âge)
,
le la population française
(1877-1881).
des tables (tètes choisies)
'
de
des
(Méthode démographique.)
de Deparcieux.
Kertanguy.
peniionnaire»
civils.
40
à 45 ans
. il
40
ans . .
10
9
33
50
à 55 —
. 17
50
—
17
14
66
60
à 65 —
. 33
60
—
28
35
48
70
à 75 —
. 76
70
—
61
51
61
80
à 85 —
. 171
80
—
144
90
129
90
à 95 —
. 268
90
—
363
K
249
La survie en France comparée à la survie dans les pays étrangers. — Nous
avons constaté (dans un autre chapitre) que la mortalité a diminué dans les pays
étrangers comme en France. En voici deux preuves nouvelles, tirées l'une de la
comparaison de deux tables dressées en Suède, la première par Wargentin en
1766, la seconde par le docteur Berg pour la période 1855-1860, et l'autre de la
comparaison des deux tables dressées aux Bays-Bas, la première par Baumhauer
pour la période 1840-1851, et la seconde par M. vanPesch pour la période 1870-
1880. Ces quatre tables ont été dressées d'après la méthod-e démographique.
PAYS-BAS (hommeB). suède.
AGES.
Table
da Baumhauer
(1840-1851).
Table de
van Pesch (2)
(1870-1880).
A0K8.
Table
de Wargentin
xviii= siècle.
(1757-1763.)
Table
de Berg
xix= «iècle.
(1861-1870.)
an . . . 1000
lOOÔ
an .
. . 1000
lOOÔ
10 ans
644
654 4-
10 ans
. . 611
737 +
20 —
630
620 —
20 —
. . 570
703 +
30 —
568
566 —
30 —
. . 519
656 +
40 —
502
515 +
40 —
. . 459
593 +
50 —
434
494 +
50 -
. . . 385
511 +
60 —
310
357 +
60 —
. . 293
401 +
70 —
182
224 +
70 -
. . 175
246 +
80 —
58
76 +
80 -
. . 56
78 +
90 —
4
67 +
Les différences sont peu considérables aux Pays-Bas, parce que l'intervalle n'est
que d'une trentaine d'années ; elles sont considérables pour la Suède où l'intervalle
est presque d'un siècle.
La population française a une vitalité peu différente de celle de l'Angleterre qui
a une légère supériorité jusqu'à 45 ans et une légère infériorité de 45 à 70 ans,
de celle de la Belgique qui est cependant quelque peu inférieure, à presque tous
(!) Des résultats analogues ont été constatés en Italie :
DIME MORTUAIRE
du royaume des pensionnaires
d'Italie de l'État en Italie
(1872-1877). (1868-1877).
40 à 45 ans
50 à 55 —
60 à 65 —
70 à 75 —
80 à 85 —
90 à 95 —
(2) Dressée, d'après la méthode de Wargentin (méthode démographique)
à l'Université d'Amsterdam en 1885.
. . . 14
14
. . . 23
22
. . . 43
40
. . . 96
76
. . . 180
154
. . . 226
211
par M. van Pesch, professeur
— 81 —
les âges, de celle même des Pays-Bas et de la Suisse. La Prusse a une morlalilé un
peu [ilusrnpide que la France. La Bavière en a une beaucoup plus rapide; toute-
fois, son clat démographique s'est amélioré depuis que la table rpie nous citons a
été calculée par M. Ilermann pour la période 1834-1867. Mais la France le cède
de beaucoup aux Ktats scantlinaves sous le rapport de la solidité de la vie.
La comparaison des tables dû survie (dressée d'après la méthode démogra-
phique) confirme certaines observations que nous avons déjà présentées (dans un
autre chapitre) sur la mortalité comparée des Etats d'Europe.
an .
10 ans.
20 — .
30 — .
40 — .
50 - .
60 — .
70 — .
80 - .
«JO --.
La grande moi
blit la vitalité (1)
FRANCK.
Table
ANGLETERRE.
Table
BAVIERE.
Table
NORVïîGE.
Table
BELGIQUE.
Table
de Bertilloii
(le Farr
de Hermaim
de Kiaer
de Quctclet
(1856-1865).
(1848-1854).
(1834-1867).
(1856-1865).
(1841-1850).
1Ô00
lÔÔO
1000
lÔÔO
1ÔÔ0
681
703
568
780
689
642
663
536
742
635
584
604
485
691
573
533
539
431
635
511
473
464
368
570
440
389
370
280
486
345
249
238
159
349
216
89
89
45
157
75
11
11
7
26
9
Halité enfantine de la Bavière est la cause principale qui en affai-
La faible mortalité enfantine, au contraire, qui caractérise les
États Scandinaves est la principale cause de supériorité de la Norvège, celte dernière
cependant conserve à tous les âges plus de survivants que les autres pays (2).
La vitalité française, très voisine de celle de l'Angleterre, occupe ainsi en Europe
une situation moyenne, relativement bonne, tandis que la population bavaroise, qui
se laissait, quand la table a été construite, le plus entamer, et qui a encore au-
jourd'hui une forte mortalité, se trouve au bas de l'échelle et que la Norvège marque
le niveau supérieur.
Entre les tables calculées sur des têtes choisies, les différences d'un pays à l'autre
sont en général beaucoup moins grandes qu'entre les tables dressées d'après la dîme
mortuaire de la population entière. C'est pourquoi un petit nombre de termes de
comparaison, pris dans des tables construites sur des éléments divers, suffit; nous
donnons dans le tableau ci-joint, à côté de Deparcieux et deKerlanguy, la table des
vingt compagnies (3) pour l'Angleterre, celle de l'assurance mutuelle de Gotha (4)
(1) Pendant les 5 premières années de la vie, la Bavière perdait alors 404 enfants sur 1,000, et la
iNorvège 189 seulement. Quetclet, dans son travail sur les Tables de mortalité et leur développement
(n" 22), défalquant la mortalité enfantine des enfants naturels qui surchargent la mortalité générale de
la Bavière, a dressé une table sur laquelle la survie bavaroise se rapproche beaucoup de celle delà France.
(2) Cependant la table de Norvège, tout en accusant à chaque âge plus de survivants, ne présente guère,
relativement à la table de Bertillon, qu'un excédent de 100 pour chaque âge; or cet excédent existe déjà
à partir de la dixième (et même de la ô' année, 811 survivants en Norvège, 710 en France).
(3) Les actuaires anglais avaient dressé en 1843 une table {Expérience morlality, table n° 1) fondée
sur l'expérience de 17 compagnies. En 18G2, Tlnstitul des actuaires anglais forma une commission qui
s'entendit avec l'Institut écossais et qui dressa une nouvelle Table des vingt compagnies. Cette table
dite Expérience table n" 2, qui porte sur les personnes en bonne santé (H. m. f. Jlealthy lives maies and
females) et publiée en 1853, porte sur 1G0,42G assurés, dont 2G,72I décédés. Elle se décompose en
plusieurs tables, avec distinction des sexes.
(4) La Table de la Société mutuelle d'assurances sur la vie de Gotha, publiée en 1S80, est fondée
sur une expérience de 50 ans (1829-1878) et porte sur 86,321 assurés et 22.017 dccédés.
G
pour l'Alleniagne et celle de îlomans (1; pour les Étals- Unis. Le bien-être dans
tous les pays, aujourd'hui comme au siècle passé, est jusqu'à un certain point un
préservatif contre une mort prématurée.
DEPARCIEUX
KERTANGUr
liBS VINGT
compagnies
HOMANS
ASSURANCE
mutuelle
(publiée
(publiée
anglaises
(publiée
de Gotha
en 1746).
en 1874).
(publiée
en 1869).
en 1868).
(publiée en
1880).
10 ans . . . 1000
mo
lÔÔO
lÔÔO
lÔÔO
20 —
924
954
955
926
952
30 —
832
893
890
854
883
40 —
769
824
813
781
792
50 -
667
729
718
698
689
60 —
527
598
585
579
548
70 —
332
362
380
385
368
80 —
133
HO
141
145
125
90 —
. »
»
16
84
2
La vitalité des deux sexes. — Entre les hommes et les femmes, les tables de
survie accusent presque toujours (2) dans tous les pays une vitalité supérieure du
sexe féminin. Nous avons déjà signalée à plusieurs reprises cette différence, no-
tamment dans la table de survie des deux sexes dressée pour 1877-1881 par la
Statistique générale de France. Nous en donnons ici des preuves nouvelles qui sont
tirées de tables dressées d'après la méthode démographique : celle de Norvège,
dont la mortalité est la plus lente, celle de Bavière, qui est au dernier rang, et
celle de Prusse, qui est dans la moyenne, en nous contentant d'indiquer la survie
de 10 en 10 ans. Nous y ajoutons, à titre de renseignement provisoire que nous
utiliserons dans le chapitre des agglomérations urbaines, la table de la ville de
Berlin dont la population, composée tout autrement, a une mortalité plus rapide.
FRANCE
NORVÈGE
BAVIÈRE
1
BERLIN
(Bertillon,
(K.
ter,
(Hermann,
PRUootj
(Bôcli
[31,
AGES.
1856-1865).
1856-
1865).
18.34-
Hommes.
1867).
Femmes.
Hommes.
1876-1879).
Hommes.
Femmes.
llommes.
Femmes.
Femmes.
Hommes.
Femmes
an . .
500
500
500
500
500
500
500
500
500
500
10 ans. .
314
347
386
394
271
297
313
326
254
274
20 — . .
316
326
367
375
255
281
298
310
233
263
30 — . .
287
297
339
352
229
256
274
288
224
245
40 — . .
261
269
311
324
205
226
248
258
197
220
50 — . .
233
240
278
292
176
192
213
225
159
195
60 — . .
190
199
233
253
135
145
163
178
115
161
70 — . .
120
129
163
186
78
81
97
109
64
109
80 -. .
42
47
70
87
22
23
29
32
20
42
90 — . .
4
7
10
16
3
4
2
3
1
4
Les rapports sont quelque peu différents quand on tient compte, comme l'a
fait Farr dans ses tables, de l'excédent des naissances masculines. Ainsi, ces tables,
qui prennent pour point de départ 512 hommes et 488 femmes (total 1,000 vivants),
(1) M. Homans a, d'après l'expérience de la Mutual insurance Company de New York, publié une
première table en 1859 et une seconde en 1868.
(2) Nous disons « presque toujours », parce que la table des 17 compagnies anglaises {Expérience
mortalUy. table n" 1) donne de 20 à 50 ans une mortalité plus forte pour les femmes que pour les
hommes ; à partir de la cinquantaine, le sexe féminin reprend la supériorité.
(3) Cette table, calculée par M. Bock, directeur du bureau de statistique de la ville de Berlin, se trouve
dans le volume du mouvement de la population de Berlin, année 1879, ch. III, p. 47.
— 83 —
donnent jusqu'à 50 ans la supériorité numérique au sexe masculin (233 hommes et
231 femmes); mais, à partir de 53 ans (219 hommes et 220 femmes survivants), le
sexe féminin prend l'avanlage (1).
La vie probable. — A l'aide des tables de survie on calcule les chances de vie
à chaque âge; on obtient, entre autres résulats, la vie probable et la vie moyenne.
Par vie probable on entend la durée qui, comptée sur une table de survie, pour
un âge quelconque, sépare cet âge de celui aucjuel le nombre des vivants se trouve
réduit de moitié. La vie probable représente donc la probabilité qu'il y a pour une
personne de vivre un certain temps. Si, par exemple, on veut connaître la viepro-
pable d'une personne âgée de 25 ans d'après la table de Bertiilon, on commence
par noter le nombre des survivanis à 25 ans : il est de 011. 11 suffît de chercher
l'âge où ce nombre est réduit à 305 ; or, il se trouve entre 66 et 67 ans, et on peut
dire que la vie probable à 25 ans est d'environ 41 ans (2). Sur cette même table,
on voit que, sur 1,000 naissances, il reste 504 survivants à 45 ans et 498 à 46 ans;
il y a donc pour chacun des 1,000 individus qui figurent au début de cette table
autant de chances d'être mort que d'être vivant quand viendra la 46'' année; c'est
pourquoi on dit que la vie probable à la naissance, d'après cette table, est de
45 ans 8 mois. La même table donne 739 survivants à 3 ans, et 253 à 69; à la
naissance, la probabilité de vivre jusqu'à près de 3 ans est donc de 3/4 et celle de
vivre jusqu'à 69 ans d'environ 1/4, c'est-à-dire qu'on a en naissant trois chances
de vivre contre une de mourir avant 3 ans révolus et une chance de vivre contre
trois de mourir avant 69 ans.
La vie moyenne. — La vie moyenne, que les Anglais appellent d'un terme ex-
pressif expeclation oflife, est le temps que devraient vivre tous les individus d'un
âge donné si la somme totale des années qu'il leur reste à vivre était également
répartie entre eux (définition de M. Dormoy) ; c'est donc le nombre d'années qu'il
reste encore en moyenne à vivre à un individu d'un âge donné ou le nombre
(1) Cette supériorité du sexe féminin apparaît i)eaucoiip plus dans la table dressée par le ministère dos
finances pour les pensionnaires civils de l'Étal (1871-1877) dont nous avons donné plus haut les résul-
tats pour les hommes.
40
50
GO
70
80
90
100
Les veuves ne sont pas soumises aux mômes causes de mortalité que les pensionnaires qui, ainsi que
nous l'avons fait remarquer sont, avant GO ans, mis à la retraite pour cause de santé. Néanmoins, leur
survivance à tous les âges atteste évidemment une vitalité supérieure. Cet état démographique est
confirmé par la table de survie des rentières en Angleterre, calculée par Finlaison qui leur assigne à tous
les âges, de 40 à 90 ans, une vie moyenne presque exaclemeiit semblable à celle des veuves françaises.
. (2) GG — 25 = 41.
PEN8IONNAIKES
civils.
1,000
VEUVES
(le fonctionnaires
pensionnées.
1,000
659
875
483
738
310
536
120
249
15
42
0,5
3
— 84 —
d'années qu'ont vécu en moyenne ceux qui sont morts (1). La vie moyenne repré-
sente ainsi la vitalité proprement dite. On l'obtient en additionnant les années
qu'ont vécu lous les individus sur lesquels on opère et en divisant le total par le
nombre de ces individus; le quotient est la vie moyenne.
La vie moyenne et la vie probable sont deux manières d'apprécier la vitdiié
d'une population qui peuvent quelquefois donner des résultats très différents. Sup-
posons — supposition tout imaginaire — un groupe de i,000 individus à an,
dont la moitié mourrait à 1 an et dont l'autre moitié prolongerait son existence
jusqu'à 70 ans sans éprouver aucune perte dans l'intervalle; ce groupe aurait une
vie probable de 1 an et une vie moyenne de 35 ans i/2 (2).
Le D' Bertillon, prenant ses données dans l'état et le mouvement de la popula-
tion de 1840 à 1849, a calculé la durée de la vie en France durant cette période
d'après diverses formules. Il conclut, avec raison, que plusieurs de ces méthodes
sont fautives, et qu'en tout cas les résultats sont trop différents pour qu'on puisse
avec fruit comparer la vie moyenne obtenue par l'une des méthodes avec la vie
moyenne obtenue par l'autre. Le premier résultat (40 ans) inséré dans le tableau
suivant et obtenu en faisant la somme de toutes les années qu'ont vécu tous les
décédés, groupés par âges d'après les données particulières de la table mortuaire
du D'' Bertillon, et en divisant cette somme par le nombre de ceux qui ont vécu
ces années est celui qu'il considère comme représentant le mieux la véritable vie
moyenne de la population française de 1840 à 1849 (3).
NOMBRE d'années.
Hommes. Femmes. Les 2 sexes.
Vie moyenne 39.3 41 40.0
Vie probable 42.2 46.3 44.3
Age moyen des décédés d'après les registres de l'état
civil (c'est-à-dire nombre d'années qu'ont vécu les
décédés divisé par le nombre des décédés) 34.2 37.3 35.6
Rapport de la population à la moyenne des naissances
et des décès 39.7 41.3 40.7
Rapport de la population aux naissances vivantes . . . 36.9 39.2 38.0
p
—. — -— — j— autrement dit la population divisée par la demi-
somme des naissances (sans les mort-nés) et des décès, méthode
préconisée par le baron Ch. Dupin.
Population. — Naissances vivantes.
Age probable des décédés 29.36 37.25 33.5
(1) Exemple de ce calcul. Quelle est la vie moyenne (âge moyen des décédés) d'un groupe, qui se
composerait de 100 individus à an et qui aurait, par hypothèse, perdu:
50 individus morts à 1 an 50 X t = 50
20 — 20 ans 20 X 20 = 400
30 — 40 ans 30 X 40 = 1,200
et qui auraient été ainsi réduits à la quarantième année? 1,650 _ ^„ ,■
Leur vie moyenne a été de 16 ans '/,. 100
(2) 500 X 1 = 500 ;
500 X 70 = 55,000
35,500 : 1,000 = 35,5
(3) Le nombre des années qu'on vécu les décédés est, d'après la table, de 38,382,388 et le nombre
des décédés est de 958, OQO.
— 85 —
De ces évaluations ne prenons que la première, c'est-à-dire la vie moyenne :
c'est celle qui intéresse surtout la démographie.
Les anciens avaient déjà, comme nous l'avons dit, une notion de la vie moyenne (1)
que les jurisconsultes avaient été conduits à calculer pour fixer la provision néces-
saire aux pensions alimentaires. Leur évaluation est bien inférieure à celle qui
résulte des tables modernes (2); elle contredit l'opinion, très souvent reproduite,
sans aucun fondement solide, qu'on vivait plus longtemps autrefois qu'aujourd'hui.
Mais, sans remonter jusqu'à l'antiquité, on peut comparer utilement la vie moyenne
des tables françaises qui donnent une notion sur la vitalité de la population à diver-
ses époques depuis 1789, celles deDuvillard,deDemonferrand, de Bertillon et de la
Statistique générale de France. A vingt ans, chaque individu de la génération dont
Duvillard calculait la survie avait en moyenne devant lui 35 ans 1/2 à vivre ; celle
dont la Statistique générale estime la vitalité en 1877-1881 en a 40 1/2 (pour les
hommes) et 42 (pour les femmes). Les chances de vivre durant la période la plus
active de l'existence, celle qui a la plus grande valeur économique, ont augmenté
de plus de cinq années. C'est un résultat qui, sans être mathématiquement exact,
est réel, puisque Demonferrand et Bertillon s'accordent avec Duvillard et avec la
Statistique générale pour attester ce progrès. 11 est inutile d'insister longuement; à
tous les âges, la vie moyenne de 1877-1881 est supérieure à celle de 1789, et, par
conséquent, celte supériorité ne peut pas être attribuée exclusivement à la dimi-
nution de la natalité, comme on pourrait le croire s'il ne s'agissait que d'une
moyenne générale pour l'ensemble de la population : l'accroissement de la vie
moyenne résulte nécessairement de l'amoindrissement de la mortalité que nous
avons constaté en examinant ces tables de survie.
Pour la Suède et les Pays-Bas, nous avons comparé des tables qui donnent des
résultats analogues. La table de Halley, qui est aussi un indice de la vitalité du
temps passé dans une ville d'Allemagne, fournit une vie moyenne à peu près sem-
(1) Hérodote, parlant de la suite des 341 rois d'Egypte, dit que « trois cents générations font dix mille
ans; car trois générations valent cent ans » (liv. [I, ch. CXLII). Or, 33 ans '/j par génération sont une
durée à peu près égale à celle qu'on assigne aujourd'hui aux générations.
(2) Voici, à titre de curiosité et sans qu'il soit possible de tirer de ce document (voir Digeste,
liv. XXXV , titre II , loi G8) un rapport déterminé entre la vitalité actuelle et la vitalité du temps des
Romains, le taux fixé par un jurisconsulte (Uipien) et le taux d'usage dans Tempire romain à la même
époque; nous mettons en regard de ces deux colonnes la vie moyenne d'après Deparcieux.
Age de celui
qui doit jouir
La provision doit être faite pour le
nombre d'années suivant (nombre
Vie moyenne
de
qui coriespond à la '
vie moyenne;
d'après l'usage.
d'après
la pension.
d'après Dlpien.
Deparcieux.
à 20 ans . . .
30 ans.
»
de 48 à 40 ans,
à 30 — . . .
1)
30
de 48 à 34 —
20 à 25 — . . .
28
au-dessous
de 40 à 37 —
25 à 30 — . . .
25
de 60 ans
de 37 à 34 —
30 à 35 — . . ,
22
autant
de 34 à 31 —
35 à 40 — . . .
20
d'années
de 33 à 27 —
40 à 50 — . . .
autant d'années
qu'il
de 27 à 20 —
qu'il en manque
en manque
pour aller à 60
pour
ans moins 1.
aller à 60.
50 à 55 — . . .
9
»
de 20 à 17 —
55 à GO — . . .
7
K
de 17 à 14 —
A partir de 60 ans.
5
»
»
— 86 —
blable à celle de Duvillard et généralenaent inférieure à celle de la table de la popu-
lation prussienne de M. Becker (i).
Le docteur Bertillon n'est pas le seul stalislicien qui ait montré l'imperfection des
moyennes générales. Beaucoup d'autres ont contesté avec raison la valeur des
indications tirées de la comparaison de la vie moyenne lorsqu'elle est calculée pour
une population totale à diverses époques, parce qu'il suffit, comme nous l'avons dit,
d'une diminution de la natalité eniraînant comme conséquence un moindre nombre
de décès enfantins pour que la vie moyenne s'élève, sans qu'il se soit produit d'amé-
lioration dans la vitalité réelle de cette population (2).
Mais la vie moyenne par âge est une mesure plus précise , parce qu'elle est
obtenue par le rapport des décès de chaque groupe d'âge au nombre des individus
appartenant à ces groupes. Or, les indications que fournissent à cet égard les tables
de Duvillard, de Demonferrand, de Bertillon et de la Statistique générale sont
claires, quoiquelles ne puissent se résumer en un nombre unique, et elles concluent
dans le sens d'une prolongation de la vie.
Que la vie inoyenne des têtes choisies soit en général supérieure à celle de la
population, c'est ce que nous savons déjà. Les tableaux montrent, en outre, qu'elle
est presque toujours un peu moindre dans la table de Deparcieux que dans celle
(1) Cependant il faut remarquer que la table de Halley a été dressée sur la mortalité d'une population
urbaine, et que la table de survie de la ville de Berlin, citée plus haut, indique une mortalité plus rapide
aujourd'hui jusqu'à l'âge de 60 ans que celle de Halley. Il est vrai que l'agglomération de Berlin en 1879
est loin d'être composée comme celle de Breslau en 1690.
(2) M. Legoyt, calculant la vie moyenne d'après l'âge moyen des décédés, trouvait les résultats suivants:
1806-1810.
. 31 ans 6 mois.
1836-1840. .
. 34 ans 1 1 mois.
1811-1815.
. 31 — 10 —
1841-1845. .
. 35 — » —
1816-1820.
. 31 — 10 —
1846-1850. .
. 36 — » —
1821-1825.
. 31 — 5 —
1851-1855. .
. 36 — 8 —
1826-1830.
. 32 — 5 —
1856-1860. .
. 36 — 4 —
1831-1835.
. 33 — 6 —
1861-1865. .
. 36 — 5 —
Il ajoutait (Annuaire de l'économie politique pour 1865) : « Il reste donc acquis aujourd'hui que
la population française est douée aujourd'hui d'une plus forte vitalité qu'au commencement de ce
siècle, w 11 y avait, en effet, accroissement de vitalité; mais la mesure qu'en donnait l'auteur dépassait
la réalité. Elle la dépassait aussi lorsqu'il appliquait le même calcul à la population urbaine et à la popu-
lation rurale, et qu'il laissait entendre que Paris avait gagné pendant que la campagne perdait.
Age moyen des décédés.
Période 1853-1853. Période 1861-1863.
Département de la Seine. . 29 ans 8 mois. 32 ans.
Population urbaine. ... 34 — 7 — 34 — 8 mois.
— rurale .... 38 — 5 -- 37 — 7 —
Il n'ajoutait pas que par suite des grands travaux qui avaient attiré à Paris beaucoup d'adultes, la com-
position de la population avait changé et qu'il était naturel que l'âge moyen des décédés se fût élevé;
on n'avait pas pour cela le droit d'en conclure, sans autre examen, à un prolongement de l'existence
(voir plus loin le chapitre des agglomérations urbaines).
L'âge moyen de la population, calculé d'après les résultats du recensement, donne un résultat inférieur
à celui de l'âge moyen des décédés et n'est pas une mesure plus précise de la longévité ; il augmente bien
quand il y a plus de vieillards, mais il augmente aussi quand il y a moins d'enfants. Voici les résultats de
ce calcul :
1851. . . 30 ans 11 mois. 1872. . . 31 ans S mois.
1856. . . 31 — — 1876. . . 31 — 8 —
1861. . . 31 — 3 — 1881. . . 31 — 11 —
1866. . . 31 — 5 —
— 87 —
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Hommes.
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Veuves
pension-
nées (4).
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22.78
19.45
16.03
12.87
10.05
7.79
5.85
4.3
3.44
3.32
Pension-
naires
de l'instruc-
tion publi-
que (3).
18.71
16.69
14.32
11.32
8.70
6.47
4.41
2.70
4.09
3.21
Pension-
naires
f ortant d'un
service
actif (2).
21.23
19.99
19.39
16.92
14.03
11.27
8.37
8.81
5.11
3.82
2.29
Pension-
naires
sortant d'an
service sé-
dentaire(l).
CCt-r1<:OC:eOOÏ'MtMt^<^<M
C0C0Ot-l:-ifl.H(N«CT|(OO
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Pension-
naires civils
en
général.
20.59
19.65
18.83
16.66
13.96
11.26
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— S9 —
(le Beauvisage ou de Kertanguy, c'est-à-dire moindre chez les tontiniers du xvtii*
que chez les assurés du xix" siècle (1) et que la vie moyenne la plus longue, sur
les tables que nous comparons, est celle des membres de l'histilut et surtout celle
des veuves pensionnées.
Les travaux de l'esprit fatiguent sans doute le cerveau et peuvent devenir une
cause d'épuisement et même de mort; cependant, l'aisance et le calme relatifs dont
jouissent les hommes de lettres el de sciences, n'ayant plus à lutter pour l'existence,
compensent largement cet inconvénient et constituent une condition sociale favo-
rable à la prolongation de la vie ; pas assez privilégiée toutefois pour l'emporter sur
les femmes, lorsqu'elles jouissent d'un certain revenu, même très modique, mais
suffisant pour les mettre à l'abri du besoin. Les femmes doivent-elles cet avantage
à leur sexe, c'est-à-dire à leur nature, ou à leur genre de vie? A l'une et à l'autre
peut-être, car c'est par une loi de la nature que les petits garçons meurenten plus
grand nombre que les petites filles, et peut-être aussi par une loi de la nature que
les femmes, exposées à une quantité de petites indispositions, ont en moyenne moins
de jours de maladie que les hommes, comme on le remarque dans les sociétés de
secours mutuels (2). Mais c'est à leur existence plus calme, moins fatiguée par des
excès en divers genres, que, malgré les périls de la nubilité, de la maternité et de
l'âge critique, les femmes doivent en grande partie leur supériorité (3).
Relativement à la vie moyenne en France et dans les pays étrangers, il y a peu
(1) Il ne faudrait pas cependant être trop alTirmatif sur raccroissement de longévité des têtes choisies.
La première raison est dans la sélection qui se fait pour les assurances sur la vie par Texamen préalable
du médecin, et qui n'avait pas lieu pour les tontiniers et les rentiers viagers du temps passé. La se-
conde est dans la nature même des calculs qui n'étant pas tous faits suivant les mêmes méthodes et
avec des éléments semblables pour toutes les tables, ne permettent pas de tirer de conclusions lors-
que les différences sont minimes. En effet, les résultats comparés de deux tables des pensionnaires de
l'État en Angleterre accusent une vie moyenne moindre jusqu'à .55 ans, et supérieure seulement à partir de
Gô ans, en 1883 qu'en 1829 (la première de ces tables se trouve plus haut dans notre tableau général
de la vie moyenne des têtes choisies). Les actuaires anglais pensent d'ailleurs que cette infériorité n'est
qu'apparente et provient surtout de la manière dont le calcul a été fait.
HOMMES. 1829, 1883.
40 ans 27.4 26.0
45 — 23.8 23.1
50 — 20.3 20.3
55 — 17.2 17,3
60 — 14.4 14,4
65 — 11,6 11.7
70— 9.2 9,3
75 — 7.1 7.3
80 — 4.9 5.7
(2) Ainsi, d'après l'Annuaire statistique de la France, la moyenne du nombre des malades par 100
sociétaires a varié, suivant les années de 187t à 1883, dans les sociétés approuvées: de 28.7 à 24.1
pour les hommes, de 30.8 à 24.6 pour les femmes ; dans les sociétés autorisées: de 28.3 à 23,1 pour
les hommes, de 29.6 à 19.3 pour les femmes ; d'autre part, la moyenne des jours de maladie par socié-
taire participant a varié dans les sociétés approuvées : de 5.15 à 4.62 pour les hommes, de 4.98 à 4.43
pour les femmes; dans les sociétés autorisées : de 5.77 à 4.98 pour les hommes, de 4.59 à 3.15 pour
les femmes.
13) Voir plus haut, dans le tableau de la vie moyenne des têtes choisies, la vie moyenne des hommes
et des femmes d'après les tables des 20 compagnies anglaises, celle des pensionnaires, hommes et
femmes, du gouvernement anglais, celle des veuves pensionnées par l'État en France et, dans le tableau
de la vie moyenne de la population totale, la vie moyenne d'après la Statistique générale de France ; tous
ces liocuments sont d'accord pour attester la longévité supérieure de la femme.
— Go-
de différence entre la France et l'Angleterre; mais ily a une différence sensible
avec la Bavière qui esl au bas de l'échelle et la Norvège qui est au sommet.
Entre les tables françaises et étrangères dressées sur des têtes choisies, les diffé-
rences sont moindres qu'entre les tables portant sur l'ensemble de la population :
nous en avons dit plus haut la raison.
Par l'expression « durée d'une génération », on peut entendre soit l'âge moyen
des décédés, lequel répond à une des manières de calculer la vie moyenne et corres-
pond au temps moyen qui sépare deux héritages successifs en ligne directe, soit la
plus longue durée d'existence qu'atteignent les derniers survivants d'une génération.
Dans une étude sur l'estimation de la richesse de la France, MM. Vacher et A. de
Foville évaluaient, le premier à 31, puis à 33 ans (1), le second à 35 ou 36 ans,
la durée moyenne d'une génération, entendue dans le premier sens. Les éléments
pour calculer exactement cette durée font défaut et, s'ils existaient, ils ne fourni-
raient pas le moyen de déterminer la différence de longévité entre deux époques;
car l'âge moyen du mariage et la mortalité enfantine influent beaucoup sur cette
dernière durée. Gomme exemple de ces différences, nous donnons en note (2)
deux séries, chacune de trois générations, d'individus ayant vécu exactement 50 ans
qui, suivant l'âge auquel ils auraient donné naissance à leur successeur, auraient
eu une vie moyenne variant de 30 à 43 ans. Plus le mariage est tardif, ou plus la
mort enlève d'enfants parmi les premiers-nés, plus la durée s'allonge (3).
(1) Fourier, calculant en 1817 sur des données tirées de Tétat civil à Paris, donnait 33 ans 3 mois.
(2) Exemple :
GÉKÉEATIONS. GÉNÉKATIONS.
Ire. 2e. 3e. Ire. 2e. 3=.
an.
an.
10 ans.
10 —
20 —
an.
20 —
30 —
10 ans.
30 —
40 —
20 —
an.
40 —
an.
50 —
30 —
10 ans.
50 —
10 ans.
iO —
20 —
20 —
50 —
30 —
30 —
40 —
40 —
an.
50 —
50 —
10 ans
20 —
Durée des trois générations :
30 —
40 —
90 ans.
50 —
Durée
moyenne :
30 ans.
Durée des trois générations :
130 ans.
Durée moyenne : 43*/,.
(3) Dans l'histoire du domaine de Sigy dont M. Marc de Haut a retracé Thistoire, on voit bien que
10 générations se sont succédé dans la possession de ce domaine de 1445 à 1847; mais on ne peut tirer
aucunement de ce fait la conclusion que la durée moyenne des générations a été de 40 ans; car des
puînés ont pu, par suite de la mort de leurs frères aînés, hériter très jeunes de parents vieux.
Je peux citer comme exemple ma propre famille, dans laquelle il y a eu, de 1635, époque à laquelle
remontent les documents, jusqu'en 18(;4, époque où j'ai perdu mon père, G générations. En supposant
que le premier Levasseur connu ait perdu son père à trente ans (soit en 1605 par hypothèse), la survie
d'une génération a été de 33 ans en moyenne.
La survie comptée par les héritages peut être très différente de la vie moyenne, si les pères, ayant
perdu leurs fils de leur vivant, ont eu des pelits-fils pour successeurs. Ainsi, de 1643 à 1775, il n'y
a eu que deux rois de France ayant régné chacun 66 ans en moyenne; mais il y a eu, pendant ce
lemps, cinq géncnitions de princes <|ui se sont éteintes et dont la vie moyenne a été d'environ 26 ans.
— 91 —
Comme exemple de la différence des résultats selon le procédé de calcul, on peut
citer la famille des Capétiens. Les princes, sans doute, n'ont pas les mêmes condi-
tions d'existence rpie le vulgaire : ils se marient en général plus tôt et, malgré
l'abondance de biens dont ils jouissent, ils sont plus exposés par l'abus des plaisirs
à des causes spéciales de mort. Cependant, la longue durée de neuf siècles et demi
pendant laquelle l'histoire a enregistré leur généalogie donne à cet exemple une
valeur qu'aucun autre ne saurait avoir.
De l'avènement de Robert, duc de France et grand-père de Hugues Gapet, élu
roi en 92:i, jusqu'à la mort du comte de Chambord en août 1883, il y a eu, dans
l'espace de 961 ans, deux ducs de France (dont le premier, Robert, fut roi), trente-
quatre rois de la troisième race et un prétendant au trône, en tout 37 princes qui
ont successivement possédé l'héritage de la couronne ducale ou royale : c'est, à
une très petite fraction près, une moyenne de 26 années ou d'un quart de siècle
environ, de possession pour chacun, autrement dit 26 ans pour la durée d'une
génération, calculée d'après les successions.
Mais la succession au trône ne s'est pas toujours faite régulièrement de père en
fils. Robert est en ligne directe le vingt-neuvième ancêtre du comte de Cham-
bord (1) ; or, les 961 années, divisées par 30, donnent en nombre rond 32 ans (2),
ou environ un tiers de siècle, pour la durée moyenne d'une génération, calculée
d'après le temps écoulé entre la naissance du fils héritier et la mort de son père.
Les centenaires. — Lorsqu'il y a une case vide dans l'esprit, il arrive bien sou-
vent qu'un préjugé s'y loge ; car l'homme est ainsi fait que, n'aimant pas à avouer
son ignorance, il accepte volontiers une opinion sans fondement et s'en pare plutôt
que de laisser voir son dénûment.
Je crains que l'opinion que beaucoup de gens se font de la longévité des hommes
d'autrefois n'appartiennent à cette catégorie d'opinions ; car, si l'on avait consulté
les documents authentiques que nous venons d'étudier, mais qui ont le tort d'être
encore peu nombreux, d'être récents pour la plupart et connus seulement d'un
petit nombre d'hommes habitués à s'en servir plutôt pour calculer des annuités que
pour philosopher sur la condition du genre humain, on aurait été conduite une
coticlusion contraire.
Nous pouvons aujourd'hui affirmer, pièces en main, que la société française perd
moins d'enfants qu'autrefois : on le reconnaît d'ailleurs généralement.
On admet moins aisément qu'il y ait plus de vieillards, c'est-à-dire qu'une plus
grande proportion d'individus de chaque génération survive jusque vers l'extrémité
normale de la vie.
Il faut reconnaître que l'opinion contraire, quoique sans solidité, est fondée sur
une illusion natin-elle à l'homme. De même que les vieillards, dont les sens sont
(1) De la généalogie des Jiouibons on peut tirer aussi un renseignement qui a quelque intérêt pour la
démographie. De Hubert de Clermont à Antoine de Bourbon, père de Henri IV, il y a eu 9 générations de
princes qui n'ont pas été rois et qui ont eu en moyenne chacun 6 enfants 1/2. Cependant, quand Henri IV
est monté sur le trône, il ne restait, si je ne me trompe, comme représentants mâles de cette nombreuse
postérité que le cardinal de Bourbon (mort en 159i), François de Jlontpensier et son fils, Charles de
Soissons, et un comte de Carency. Donc le nombre des enfants par mariage peut être considérable sans
qu'il y ait un accroissement correspondant de population.
(•2) M. Vacher, calculant k peu près sur les mômes élémenfs, a trouvé 32.5.
— 92 —
émoussés et l'imagination assoupie, sont portés à répéter que du temps de leur
jeunesse la campagne était plus verte, le soleil plus chaud et les femmes plus sé-
duisantes, de même ils sont disposés à penser que les vieillards étaient plus vieux;
car autour d'eux ils ne voient plus d'octogénaires dont le grand âge les étonne,
étant à peu près leurs contemporains, tandis que, lorsqu'ils avaient quinze ans, un
homme de soixante ans — qu'ils qualifient aujourd'hui d'homme mûr — leur sem-
blait un Nestor. Et les Nestors n'étaient pas disposés à les détromper. En effet, si
les jeunes femmes, les filles surtout dit-on, cherchent à se rajeunir et usent de dissi-
mulation avec le recensement pour ne pas s'exposer à entendre dire qu'elles ont
coiffé sainte Catherine, les vieillards mettent leur vanilédans la réputation opposée,
et aiment souvent à se vieillir, précisément parce que c'est leur grand âge qui est
l'objet de l'admiration. Les gens ijui, à l'âge de quinze ans, les trouvaient déjà vieux
et qui sont devenus à leur tour des vieillards, quoique ayant toujours une vingtaine
ou une trentaine d'années de moins qu'eux, ne sont pas portés à les démentir. Il
s'ensuit que chaque génération, prônant la longévité du temps passé, il s'établit, par
cette suite d'illusions constamment renouvelées, une opinion qui acquiert la force
d'une doctrine.
La foi religieuse contribue à entretenir ce préjugé, parce qu'on lit dans la Bible
que les premiers hommes vivaient neuf cents ans et plus (1). La Bible compte-t-elle
les lunes, c'est-à-dire les mois, pour des années ou altribue-t-elle à un même indi-
vidu la durée de toute une famille vivant sous le régime patriarcal? La première
supposition est peu viaisemblable ; car on remarque deux séries, celle qui précède
le déluge et qui, remontant à une haute antiquité, attribue plus de 900 ans à plu-
sieurs patriarches et celle qui, postérieure au déluge, réduit de beaucoup la durée
supposée de l'existence et n'attribue que 175 ans à Abraham ; les nombres de la
seconde série sont plus modérés; quoi qu'il en soit, le problème n'est pas du do-
maine de la science démographique. Les Hébreux eux-mêmes, parlant au temps de
David de leurs contemporains et par conséquent de ce qu'ils savaient, attribuaient à
la vie humaine 70 ans en général et 80 pour les constitutions vfgouieuses (2) :
c'est à peu près ce qu'on dirait de nos jours.
Il n'y a que pour les temps voisins de nous que nous possédions sur cette ma-
tière des renseignements que la critique puisse discuter et ces renseignements ne
(1) Voici l'âge que la Bible donne à quelques-uns de ces patriarches :
Adam .... 930 ans. Mathusalem. . 969 ans.
Seth 912 — Lamech. ... 777 —
Jared .... 962 ~ Noé 950 —
Henoch. . . . 3G5 —
Après le déluge, la durée de la vie est en général moins longue et va en diminuant à mesure qu'on
s'approche davantage des temps historiques :
Sem 600 ans. Abraham. . . 175 ans.
Heber .... 46i — Joseph. ... 110 —
Sarug .... 230 —
Dans la première période, les années ne peuvent pas être des mois, puisque Adam engendra Seth 'a
130 ans et que d'autres ont eu des enfants avant 100 ans (Malahel à 65 ans). Dans la seconde période,
plusieurs patriarches ont eu des enfants à 30 ans.
(2) Le psaume de David (psaume 90), dans lequel il est dit que mille ans sont devant les yeux de
Dieu comme le jour d'hier qui est passé, ajoute (v. 10.) : Dies annorutn nostroram in ipsis sepiuaginta
cinni. Si autem in polentatibiis, ocloginta anni.
— 93 —
sont pas concluanls. Dupré de Saint-Maur avait trouvé quelques centenaires ou gens
qui passaient pour tels (environ 1 sur 3,000 décèdes), surtout à Paris; Deparcieux,
qui travaillait sur des documents plus précis, n'en a pas trouvé parmi les lontiniers,
les religieux et les religieuses, et il s'arrête à 95 ans dans sa table des tontiniers,
quoique dans le délail on trouve deux tontiniers qui ont vécu jusqu'à 99 ans, tandis
que la table de Beauvisage, celles des fonctionnaires retraités et des veuves pen-
sionnées (l) en France, celle de Finlaison sur les rentières d'Angleterre, enregis-
trent des centenaires. A une époque plus récente, Duvillard, qui ne possédait que
des déclarations inscrites sans vérificalion sur des registres de paroisse et, par con-
séquent, des renseignements dont la valeur ne dépasse pas celle d'une opinion cou-
rante, prolonge sa table jusqu'à 109 ans et compte 5 centenaires par 1,000 nais-
sances.
En Bavière, le recensement de 1871 avait inscrit 37 centenaires; le chef du bu-
reau de statistique, M. Mayr, fit procéder à une enquête individuelle et rechercher,
à l'aide des registres de l'état civil, la date de la naissance de ces vieillards : il s'est
trouvé que la plupart n'étaient que des centenaires d'opinion et qu'une femme seule
avait vécu en réalité plus d'un siècle (2).
A la même époque, le Canada, qui jouit depuis longtemps du renom de longévité,
a procédé à une investigation du même genre. On y citait les noms de 421 per-
sonnes réputées avoir vécu plus de cent ans. L'administration a pu reconstituer, sur
pièces authentiques, l'état civil de 82 de ces personnes; sur ce nombre, 9 seule-
ment, 5 hommes et 4 femmes, avaient été véritablement centenaires (3) ; les plus
vieux étaient une femme morte à 109 ans et un homme mort à 113 ans. A un vieil-
lard de 101 ans, l'opinion en attribuait 110 et elle faisait des centenaires de cer-
tains individus qui avaient à peine 80 ans. Elle donnait jusqu'à 120 ans à un vieillard
qui en réalité était à 90 ans. L'administration canadienne n'a pu retrouver de docu-
ments pour contrôler le plus grand âge que la légende ait fourni, celui de 130 ans
attribué à une femme d'origine française, qui passait pour être née au Canada et
qui était morte dans l'État de New-York (4-).
Tableaux.
(1) Ce sont les veuves qui ont le taux le plus élevé. Sur 123,435 pensionnaires décédées de 1871 à
1879, 9 étaient mortes à 100 ans, 4 à 101 ans, 1 à 102 ans; 1,000 pensionnaires âgées de 40 ans
avaient 5 chances et demie de devenir centenaires.
(2) Gesetzmussiç/keit im Gesellschaftsleben, von Mayr, p. 162.
(3) Ces centenaires étaient morts : les hommes à l'âge de 103, 102, 113, 101, 103 ans ; les femmes à
l'âge de 100, 100, 109, 100 ans.
L'homme mort à 113 ans, nommé Joubert, était un cordonnier, né le 15 juillet 1704, à Charlesbourg;
il avait été marié en 1727 et il était mort le IG novembre 1814 à Québec. La légende ne lui attribuait
que 105 ans. La femme morte à 109 ans, nommée Lizotte, était née à Saint-Roch-des-Aulnais^ le 20 février
1739; elle avait été mariée en 1759 et elle était morte à la Uivière-du-Loup le 5 mars 1847; ropinion
lui attribuait bien 109 ans. (Voir le Reccnseinent du Canada, en 1871, t. V.)
(i) A PKxposilion universelle de Philadelphie, en 187G, se trouvait la photographie d'une femme, nom-
mée senora Dlialia, née, disait-on, à Loretta (Basse-Californie), le 7 novembre 173G, âgée par conséquent
de 140 ans, mariée à 13 ans, mère de 11 enfants, un peu sourde, se portant bien et faisant encore de
petites promenades. Mais aucune preuve authentique n'était fournie à l'appui de cette allirmation qui mé-
rite, jusqu'à preuve du contraire, d'être classée dans le chapitre des légendes de la vanité ou de la ré-
clame.
94 —
TABLES DE SURVIE
Calculées par la méthode indirecte ou directe {décès par âges) et portant sur l'ensemble de la jiojnila
de certains lieux ou sur des têtes choisies.
AGE.
PORTANT SUR I^'eNSEMBI^B DE LA POPULATION
DE CERTAINS LIEUX.
PORTANT
SUR DES TÊTES CHOISIES.
Halley.
(Breslau,
1687-179i.)
1
Dupré
deSaint-Maiir
(Paris, etc.,
avant 1750:)
2
Price.
(Nortliàmpton
1735-1781.)
.3
Duvillard.
(Divers lieux
avant 1789.)
4
Vie
moyenne
à chaque
âge
d'après
Dnvillar<
5
Deparcieux.
(Tontiniers,
France.
1689-1742.)
6
Vie
moyenne
à chaque
_age
d'après
[leparcieui
7
Finlaison.
Hommes.
(Tontiniers,
rentiers
anglais,
publiée cnl829.
8
Beauvisage.
(Tontiniers,
Caisse
Lafarge.
France,
1793-1864.)
9
I.e
corn]
(Rei
Asm.
aiig
publiée
:!>
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1)5
TABLES DE SURVIE
'S pa7- la méthode démographique (recensements par âges et décès par âges) et portant sur Vensemhle
de la population d'un Etat.
AXGLKTKKRK. (W. Farr.
1848-18j4.)
FKANCE.
(Bortillon. 1856-1865.)
JÈDK.
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1856-1865.)
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326
657
613
629
313
323
636
700
737
328
323
651
608
623
310
320
630
695
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325
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646
602
616
306
317
623
690
726
322
318
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596
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303
314
617
686
722
319
315
634
591
604
300
311
611
681
717
316
312
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585
597
297
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605
676
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311
306
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585
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579
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661
697
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573
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656
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651
686
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282
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573
645
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640
675
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278
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654
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231
464
423
440
233
240
473
511
570
96
TABLES DE SURVIE.
Calculées par la méthode indirede ou directe. (Suite.)
PORTANT
SUR l'ensemble de I
/A POPULATION
DE CERTAINS LIEUX.
PORTANT SUR DES TETES CHOISIES.
Vie
Vie
Finlaison.
Beau visage
le
Halley.
Diipré
Piice.
Duvillard.
nioyeime
Deparcieux.
moyenne
Hommes.
(Tonliniers,
(.•oin|
A6K.
des
(Breslau.)
(l'a
lint-Maur.
ris, etc.)
(Xorihampton)
(Divers lieux.)
à chaque
ùge
d'après
Duvillard
(ïontiniers,
France.)
à cliaque
âge
d'après
Deparcieni.
(Tonliniers,
rentier»
anglais.)
Caisse
Lafargp,
France.)
(Ile
Assi
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1
2
3
4
5
6
7
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»
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»
»
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»
»
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1.9
»
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»
— 97 —
TABLES DE SURVIE
Calculées par la méthode démograiihique. (Suite.)
AXOl.E
TEKKK. (W.
Farr.)
PAY8-BAS.
IIKLGIQUE.
FR/
NCK. (Bertilloii.)
SUÈDE.
KORVÈGi:
Les
Les
Hommes
Femmes.
deux sexes.
(Baumbauer.)
(Queielci.)
Hommes.
Femmes.
deux sexes.
(Berg.)
(KiSer.)
II
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li
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452
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2
— 98 —
Conclusions. — Il existe des centenaires, bien qu'ils soient en si petit nombre
qu'on puisse considérer, sauf de rares exceptions, l'espace d'un siècle la plus longue
durée de la vie d'une génération. Sur ceux du temps présent, il convient de ne se
prononcer qu'après la production de leur acte de naissance. Sur ceux des siècles
passés, il ne faut rien affirmer (1), parce que la légende est trompeuse, que les pièces
justificatives manquent et que, lors même que l'érudition parviendrait à exhumer des
archives certaines pièces de ce genre, comme au Canada, l'existence de quelques
vieillards ayant passé cent ans ne prouverait rien pour la longévité moyenne d'une
population. Depuis que les recensements font connaître l'âge des habitants, on a
observé que le nombre des individus de plus de soixante ans a augmenté en France :
c'est tout ce qu'on peut dire avec certitude, en ajoutant même que cette proportion
plus forte des vieillards dans l'ensemble de notre population a pour cause non seu-
lement l'augmentation réelle de leur nombre, mais la diminution relative du nombre
des enfants qui figurent aujourd'hui pour une quotité moindre dans le total.
On a dit quelquefois que les soins grâce auxquels nous sauvons plus d'enfants
avaient pour effet de prolonger dans l'âge adulte de frêles existences et nuisait à
la solidité de la race en contrariant la sélection naturelle qui s'opère dans le bas
âge par la mort. Nous avons traité cette question dans un autre chapitre; il suffît
défaire remarquer ici que cette débilité, si elle existe, n'empêche pas une seule
constitution robuste d'atteindre la vieillesse que, par conséquent, elle ne réduit pas
notre longévité et ne nous condamne pas à compter dans nos rangs moins de cen-
tenaires que nos ancêtres.
Il ne convient pas que la science se fasse l'écho des préjugés populaires; quand
elle ignore, elle s'abstient déjuger. Ce qu'elle peut dire, c'est que :
i° La durée extrême de la vie humaine ne paraît pas avoir été dans les temps
passés différente de ce qu'elle est de nos jours;
2" La mortalité des enfants ayant diminué, leur vie moyenne s'est allongée
depuis le xviii" siècle en France et dans les autres pays où il est possible de consta-
ter le fait ;
3" La vie moyenne paraît aussi s'être prolongée quelque peu en France dans
l'âge adulte pour la masse de la population;
4° La différence est beaucoup moins sensible pour les têtes choisies que pour la
population totale ;
5° Les femmes ont une vie moyenne supérieure à celle des hommes;
6" La condition sociale influe beaucoup à tous les âges sur la vie moyenne.
E. Levasseur.
(1) La Suède, dont les recensements par âges datent de 1750, pourrait être invoquée comme une preuve
de la diminution de la longévité; car jusqu'en 1770 elle comptait, par 10,000 habitants, plus de 5 indi-
vidus ayant passé 93 ans, et, depuis 1795, elle n'en compte guère plus de 3. Mais on peut penser
que la mention des âges avancés était moins exacte au début, parce que le clergé ne pouvait pas exercer
un contrôle suHisant sur des actes de naissance remontant au xvii^ siècle; c'est peut-être pourquoi,
depuis 1795, il n'y a pas eu diminution dans la proportion des vieillards.
r
— 99 —
m.
LE PROBLÈME MONÉTAIRE. [Snile (1).]
VIIL — De la valeur de l'or avant 1850.
L'or a-l-il maintenu toute sa valeur? Cette valeur a-t-elle augmenté, a-t-elie, au
contraire, diminué, tandis que l'argent perdait une notable partie de la sienne ? On
se pose nécessairement ces questions quand on réfléchit à l'importance de la baisse
de l'argent qui, depuis 1870, est de 15 pence 1/4 sur 60, soit de 25 p. iOO, et à la
généralité des causes de celte baisse.
En traçant l'histoire de l'argent et de son rapport de valeur avec l'or, j'ai marqué
les phases principales de l'histoire de l'or. Il y a, sans doute, une solidarité intime
entre les deux métaux. Leur destinée est toutefois bien distincte. L'un et l'autre ont
leur histoire particulière, leurs causes spéciales de grandeur et de décadence.
L'or n'est devenu abondant en Europe qu'au xviif siècle. On peut en trouver la
preuve dans les tableaux dressés dans le paragraphe 5 de cette ^^ partie. Les varia-
tions brusques, multiples des cours et des rapports entre l'or et l'argent appartien-
nent surtout à la fin du xvi* et à la première moitié du xvii* siècle. A la fin de ce
dernier siècle, l'argent paraît prendre le dessus; il est plus abondant; les frais de
production sont diminués; le rapport se régularise et tend à se rapprocher de 15
à 1. C'est ce qui explique les préférences de Locke et de Newton pour l'argent. Pen-
dant le xviii* siècle celte situation se maintient; toutefois l'or est produit en notable
quantité. Le rapport tend à se modifier. Lord Liverpool obtient du Parlement la
restriction de la valeur libératoire de l'argent et la refonte de la monnaie d'or
anglaise. Même réforme en France en 1786 (2).
La Révolution française eut nécessairement pour effet de chasser l'or de France.
Papier-monnaie, émigrations, guerres civiles et étrangères ne peuvent concorder
avec une circulation d'or. Expulsé de France, l'or afflua en Angleterre, et il s'y
fixa malgré le cours forcé des banknotes. Cet afflux a été l'un des éléments de la
grande prospérité de l'Angleterre de 1798 à 1814. Aussi, dès la paix de 1816,
l'Angleterre se trouva en mesure d'adopter l'or, non seulement comme seul étalon,
mais comme seul instrument monétaire métallique en réduisant l'argent à la fonc-
tion de billon. Elle s'assurait ainsi le marché des métaux précieux et des changes.
Elle affirmait sa suprématie économique. Peut-être a-t-elle devancé les temps. En
tout cas l'adoption de l'or comme seul agent monétaire métallique a coïncidé avec
une crise redoutable.
Les guerres et les révolutions augmentent mécaniquement le prix de l'or (3). En
(1) Voir les numéros de septembre et d'octobre 1886 et février 1887 du Journal.
(2) Uistorij of priées^ p. 15.
(3) Le volume publi? par M. Dana Horion (Washington, 1879) contient les renseignements et les docu-
ments les plus complets sur les mouvements et les cours de Tor et du change de 1760 à 1829, notam-
ment pour les places de Londres, Philadelphie, Hambourg. A Philadelphie, l'or était coté en 1800 : 3 liv.
17 sch. 10 '/î- Sous l'influence de la guerre avec l'Angleterre, il monta, en 1815, à 5 liv. 6 sch. 5 mais,
en 1829, il avait repris l'ancien cours : 3 liv. 17 sch. 9 don.
Parmi les documents à consulter, il y a lieu de signaler les rapports de MiM. Ingham et Gallatins sur
la valeur comparée de l'or et de l'argent.
1801. . . .
. 4 liv.
5 sch.
1802. . . .
. 4 liv.
4 sch.
1803. . . .
. 4 liv.
1804-1809 .
. idem.
1810. . . .
. 4 liv.
10 sch.
1811. . . .
. 4 liv.
4 sch.
1812. . . .
. 4 liv.
15 sch.
1813. . . .
. 5 liv.
1 sch.
5 liv.
4 sch.
4 liv.
13 sch. 6
4 liv.
13 sch. 6
4 liv.
4 liv.
4 liv.
1 sch. 6
3 liv.
19 sch. 11
3 liv.
17 sch. 10'
— 100 —
1798 l'or se cotait au même cours qu'en 1886, 3 1. 17 sch. 10 1/2, il fut successi-
vement porté aux prix suivants :
1814. . . .
1815. . . .
1816. . . .
1817. . . .
1818. . . .
1819. . . .
1820. . . .
1821. ...
Depuis cette époque, les cours de l'or n'ont varié sur le marché de Londres que
dans de très étroites limites.
L'un des résultats de la Révolution et des guerres de TEmpire a été de réduire la
France à une circulation d'argent. Mirabeau était partisan d'un seul étalon moné-
taire; il pensait que l'argent devait avoir la préférence sur l'or. Son opinion était
généralement partagée. Il n'y eut donc, en 1795 et en 1803, aucune hésitation dans
le choix de l'argent. D'ailleurs la France n'avait plus le choix.
La Révolution a coïncidé, en outre, avec une décroissance sensible dans la pro-
duction de l'or, puis dans celle de l'argent. Cette décroissance se prolonge jusque
vers 1825, c'est l'époque du rapport de 15 1/2 contre 1. Puis la production reçut un
nouvel élan ; elle avait sérieusement augmenté, surtout en Russie, avant 1 848. Le rap-
port avait faibli. Léon Faucher estimait la production de l'or, en 1847, à 147 millions.
11 calculait qu'au xvii^ siècle la production de l'or était de 1 hvre contre GO livres
d'argent ; qu'au xviii* siècle elle était de 1 livre contre 30 d'argent; qu'en 1800 elle
était redescendue à 1 livre d'or contre 50 livres d'argent et qu'en 1847 elle avait
atteint 1 livre d'or contre 20 livres d'argent.
Les victoires de l'Empire, la sécurité profonde et réparatrice qui régna de 1800 à
1813 firent refluer l'or en France ; mais il émigra encore à partir de 1814; les in-
vasions, les indemnités de guerre ne contribuèrent pas à le rappeler. L'argent prit
alors définitivement la prépondérance en France. Il s'y précipita. C'est l'époque du
grand monnayage de la pièce de cent sous.
En 1850 le stock monnayé d'or était pour l'Europe de 3,950 millions de francs,
dont 1,515 millions appartenaient à l'Angleterre et 400 millions seulement à la
France. Seule l'Angleterre était en mesure d'avoir une circulation d'or. Elle était
alors la nation la plus riche du monde occidental. Sa circulation d'or correspondait
à sa richesse.
Les mines de Californie et d'Australie ont maintenu et fortifié la situation moné-
taire de l'Angleterre, elles ne l'ont pas faite. Au contraire, le grand résultat de ces
mines a consisté à doter la France, l'Allemagne, les Étals-Unis et quelques États
secondaires d'un stock d'or en rapport avec leur développement économique.
Aussi, jusqu'en 1848, l'or a-t-il obtenu en France une prime élevée. Le prix de
l'or en barres était presque immuable sur le marché de Londres. Il était variable
sur celui de Paris et plus haut qu'à Londres. Néanmoins l'or ne quittait pas Londres
pour Paris. C'est un fait qui dépend d'une des lois générales de la monnaie métalli-
que, la loi de Gresham, que j'examinerai dans le livre suivant. Les primes ne suffi-
sent pas toujours pour faire mouvoir les métaux précieux : bien loin de là. Plus la
prime monte, moins le métal émigré. Il ne vient que contraint et forcé, c'est pour-
— 101 —
quoi l'or valait plus à Paris qu'à Londres. J'emprunte à la déposition faite par
l'honorable M. Jnglar, l'un de nos slalisticiens qui ont ie mieux mis en relief la
nécessité de suivre les mouvements de l'or parallèlement à ceux de l'argent, devant
la commission de l'enquête monétaire de 1868, le tableau des primes sur l'or et
l'argent à Paris de 1833 à 1850. Ce tableau prépare la réponse au problème que
nous étudions.
PRIMK PRIME
sur l'or sur l'argenl
par 1,000 fr. parJ.OOOfr.
PRTME PRTMB
sur l'or sur l'argent
par 1,000 fr. par 1,000 fr.
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1836 .
1837 .
1838 .
1839 .
1840 .
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Décembre.
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
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10
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4.50
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5.75
5.50
5.25
5.50
5.50
5.50
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8.50
1845 .
1846 .
1847 .
1848 .
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Mai.
Décembre.
Mai.
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2
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Ainsi, de 183S à 1850^ la prime sur l'or en France n'a cessé de monter et celle
sur l'argent de baisser. Les événements politiques, comme la crise de 1840, celle
plus grave de 1848, n'ont exercé qu'une influence secondaire. La prime est plus
élevée en 1850 qu'en 1848; puis, subitement, toute prime sur l'or disparaît. En
1850, la valeur de l'or, invariable en Angleterre, baissait en France.
IX. — De la valeur de l'or depuis 1850.
En mai 1850, la prime sur l'or à Paris était de 18 par 1,000, M. Juglar recon-
naît que de 1830 à 1850, elle a été en moyenne de 12 par 1,000. Tout à coup elle
est précipitée à 1 par 1,000, taux actuel. Quelle pouvait être la portée d'un tel
changement? c'est ce que les économistes se demandèrent.
Le premier avertissement (1) fut donné par Michel Chevalier.
Michel Chevalier insérait dans l'Annuaire d'économie politique et de statistique
de 1852, à titre de supplément, une très courte notice sur X accroissement de lapro-
duction de l'or et son influence. Cette notice contient en germe toute la théorie
qu'il a développée plus tard dans son livre sur la baisse de Vor. La notice est plus
curieuse que le livre. Elle est écrite au moment où l'or de la Californie commence
à apparaître et où se répand le bruit de la découverte des placers de l'Australie.
Michel Chevalier considère la baisse de l'or comme inévitable. Il entrevoit que le
rapport de valeur entre l'or et l'argent sera promptement ramené à ce qu'il était
sous Cbarlemagne, à 10 : 1. Il va plus loin. 11 admet une baisse de moitié et une
hausse de 100 p. 100 dans le prix du blé; tout doublera, notamment le budget.
Par contre la dette publique, qui n'était alors que de 250 millions de rentes, serait
ramenée, de fait, à 125 millions.
(1) Michel Clicvalier a fait paraître dans la Bévue des Deux-Mondes deux articles fort curieux sur la
question monétaire, décembre 1846 et avril 18-17, on était à la veille des plus grands faits monétaires.
Personne ne les soupçonnait : ces articles en sont la preuve.
— 102 —
Ah ! l'heureux temps que celui de ces fables !
Toutefois Michel Chevalier concluait par une proposition qui n'était pas sans mé-
rite. Il demandait qu'aucun rapport immuable ne fût établi entre la valeur de l'or et
celle de l'argent.
La théorie de Michel Chevalier fit d'abord fortune; une certaine hausse se pro-
duisit sur l'argent ; le rapport fut légèrement altéré. Cependant l'or affluait de toutes
parts. Comme Tooke et New^marck l'ont démontré, cet afflux n'a exercé, jusqu'en
1856, qu'une influence insensible sur les prix; puis est venue l'époque de l'accrois-
sement de l'extraction de l'argent ; le rapport a tendu à redevenir favorable à l'or.
La théorie dut être abandonnée. Elle avait sans doute pour elle les précédents;
mais, Michel Chevalier et Cobden, avec lui, avaient perdu de vue que, au xvi" siècle,
l'afflux des métaux précieux n'avait exercé d'influence sur les prix que dans la
seconde moitié du siècle, que, malgré les progrès de la production, celte influence
avait disparu au bout d'un siècle, et que l'énorme accroissement de l'or pendant le
xviii*' siècle, sans modifier sensiblement les prix, avait eu pour résultat la baisse de
l'argent et non celle de l'or.
Michel Chevalier avait laissé dans l'ombre la supériorité intrinsèque de l'or sur
l'argent et ses conséquences : 1" l'avantage de substituer l'or à l'argent; 2° la per-
sistance de la demande de l'or, malgré un accroissement de production dont per-
sonne ne soupçonnait alors l'étendue. La valeur de l'or dépend d'une proportion,
d'une équation entre l'intensité de la production et l'intensité des besoins moné-
taires. La substitution de l'or à l'argent accroît sensiblement cette seconde intensité,
de sorte qu'elle équilibre la première. Michel Chevalier n'avait pas tenu compte, de
même que plusieurs économistes contemporains, de cette substitution.
La théorie de Michel Chevalier, sur la baisse de la valeur de l'or, n'était pas
absolument inexacte. Seulement elle venait trop tôt ; elle surgissait au moment le
plus défavorable, au moment où la production, à peine en train, avait à satisfaire à
une demande illimitée.
Depuis 1852 les choses ont bien changé : la production de l'or et de l'argent dure
depuis 38 ans, toujours abondante, si abondante que l'argent a perdu le quart de
sa valeur.
Il n'a été nécessaire, pour constater cette baisse, d'avoir recours ni à la compa-
raison des prix, ni à l'analyse du pouvoir d'achat. Le fait est apparu sans seci'et ni
mystère.
Pourquoi en serail-il différemment quant à l'or?
J'ai pris, sur les relevés de ï Économiste, de 18M à 1886, toutes les cotes du prix
de l'or-lingot; de 1844 à 1886, fin juin et fin décembre de chaque année, avec les
cotes du prix de l'argenl-lingot, j'ai déjà fourni plusieurs tableaux des mouvements
du prix de l'argent soit à Londres, soit à Paris. Néanmoins je ne considère pas
comme inutile de reproduire, dans un nouveau tableau, les cotes des prix de l'once
d'or et de l'once d'argent standard à Londres. La comparaison de ces cotes me paraît
plus parlante que tous les raisonnements indirects et tous les calculs reposant sur
des hypothèses discutables ad inpiiium.
Ce tableau, qui contient 94 cotes de prix, montre, d'une manière saisissante, deux
lois de la valeur des métaux précieux : la fixité de l'or et la variabilité de l'argent.
— 103
Tableau dett prix de l'or et de l'argent à Londres, 1fi44-1S80.
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Ainsi, sur le marché de Londres, pour 94 cotes de prix aux époques de liquida-
tion semesirielle:
i" Le prix de l'or n'a varié que 7 fois, et l'amplitude des variations, sur un prix
fixe de 3 livres 17 schellings 9 deniers a été de 8 deniers 7* à 10, soit 1 denier 7«;
2° Le prix de l'argent n'a présenté que 18 cotes identiques, et sa valeur a varié
de 5 schellings 2 deniers à 4- schellings 8 deniers V«, soit 1 schelling 5 deniers ^\^.
Le fait de la fixité de la valeur de l'or a été analysé avec soin par M. Roswag, en
1862 (1). Ses remarques judicieuses et ses calculs ont été pleinement confirmés
(1) Les Métaux précieux , 326.
— 104- —
depuis. M. Hoswag établit, d'abord, que, de 1226 à 1800, la valeur absolue, intrin-
sèque de l'or, d'après les frais de produclion, aurait été inférieure à '/^o, et que la
baisse aurait eu lieu tout entière de 1650 à 1700. A partir de 1700 la valeur de
l'or serait restée fixe. Quant à la période de 1800 à 1862, la baisse n'aurait été que
de %.
En 1859 M. Nev^^marck arrivait à la même conclusion: l'afflux de l'or californien
et australien n'avait pas eu d'influence sur le prix de l'or.
En ce qui est de la baisse du pouvoir d'achat, en 1862, M. Roswag l'évaluait à
4 p. 100 pour l'or et l'argent réunis, soit ^j^^.
11 me paraît essentiel, pour se rendre compte de la valeur réelle de l'or, de déga-
ger la discussion de la plupart des éléments indirects qu'on y a introduits.
Un premier fait a été établi : la baisse de l'argent, fait conforme à une tradition
historique constante, invariable : ce qu'il y a de remarquable dans l'histoire des mé-
taux précieux, depuis 1848, c'est que cette baisse n'ait pas été plus rapide, plus
accentuée, en présence des progrès de la production de l'or, du développement
des instruments monétaires, et des moyens plus rapides de circulation de l'or.
Le fait de la baisse de l'argent a été constaté directement par le prix de l'argent
en hngot sur le marché et indirectement, soit par le ralentissement du monnayage
de l'argent dans les États non producteurs, soit par son accélération par les États
producteurs, soit par l'accroissement du monnayage de l'or. Les causes de cette
baisse ont été très nettement discernées et accusées: 1° l'abondance de la produc-
tion ; 2° la tendance de l'or à se substituer à l'argent; S° la concurrence des divers
instruments monétaires; 4Me.s inconvénients naturels de l'argent; 5" la tradition
elle-même de la baisse de l'argent, et 6" enfin la diminution générale de valeur de
tous les métaux.
Quatre éléments doivent entrer dans l'étude de la valeur de l'or : frais de pro-
duction (1), rareté ou abondance de production, pouvoir d'achat, rapport avec
l'argent.
L'analyse de ces éléments a été compliquée de leur comparaison avec les condi-
tions diverses de la valeur de l'argent: frais de production, rareté ou abondance,
pouvoir d'achat, rapport avec l'or.
Puis, la matière n'étant pas, sans doute, assez obscure, on a fait intervenir les
rapports à courte ou longue échéance des prix avec ces divers éléments et l'in-
fluence des encaisses, des réserves des banques, ainsi que la corrélation des situa-
tions monétaires avec les crises et le taux soit de l'escompte, soit de l'intérêt.
M. Stanley levons n'a pas hésité à rattacher les crises commerciales à l'apparition
et à l'importance des taches solaires, ni M. E. de Laveleye à jauger les planètes au
point de vue de leur richesse en or (2). D'après sa théorie, la terre serait une des
planètes les mieux partagées à cet égard; mais l'or ne se rencontrerait que dans les
couches les plus profondes de la planète et il reculerait devant la civilisation. La
civilisation expulserait l'or. Malgré l'autorité de ces deux économistes, il n'est pas
possible de les suivre dans leurs'hypothèses.
La fixation de la valeur de l'or est devenue presque inextricable par les moyens
(1) Le Génie civil (8 et 15 mai 1886) a publié une étude intéressante sur le coût de production et la
valeur des métaux précieux. Consulter Journal of chamber of commerce of London, octobre 1885.
(2) Revue des Deux-Mondes, 15 août 1878.
— 105 —
qui ont été employés pour la calculer. On a d'abord distingué la valeur intrinsèque
de l'or, c'est-à-dire son prix de revient d'après les frais de production. Pnis on a
voulu étudier à part le pouvoir de l'or, c'est-à-dire sa corrélation avec les marchan-
dises et objets de toute nature dont il est l'instrument d'achat. Ces deux caractères
des métaux précieux ont été examinés avec soin, dans tout le cours de la civilisation
depuis 25 siècles, par les statisticiens et les économistes. A cette double distinction,
fort difficile à bien indiquer, on en a joint deux autres: d'une part le rapport de
valeur entre l'or et l'argent, et d'autre part un fait nouveau, ou prétendu nouveau,
Vappréciation de l'or. Après plusieurs années de discussion, on a reconnu, en
Angleterre, la nécessité de ne pas confondre Vappréciation de l'or avec sa valeur
intrinsèque, son pouvoir d'achat et sa plus-value sur l'argent. L'expression apprc-
ciation de l'or a même été remplacée par celle-ci : scarcity (rareté) de l'or. Bien qu'il
y ait une corrélation naturelle entre la rareté et la puissance d'achat, on peut toutefois
accepter la distinction, la puissance d'achat ne dépendant pas toujours de la rareté.
Rapprochant ces faits de ceux constatés au xvii* siècle, M. Roswag rappelle que
la valeur intrinsèque de l'argent avait baissé de 312 p. 100 et son pouvoir d'achat
de 600 p. 100. Or la production d'or et d'argent de 1848 à 1862 avait été tout
autrement considérable et rapidequ'aux xvi^ et xvii" siècles.
La fixité du prix de l'or est confirmée par la loi constitutive de la Banque d'An-
gleterre. La Banque est tenue de payer l'or 77 schellings deniers. Il n'y a pas eu
nécessité de changer ce cours depuis 42 ans. Il est môme devenu un embarras pour
la Banque par sa fixité, notamment dans les achats d'or monnayé. La Banque ne
trouve ni à acheter en baisse, ni à vendre en hausse. Ses opérations sont très limi-
tées. Elle achète à 77.9 pour vendre à 77.10 '/g l'or en barres. Les oscillations sont
plus étendues sur les monnaies mêmes, mais difficiles encore (1).
En est-il de même en France? J'ai interrompu, à l'année 1850, la déposition de
M. Juglar devant la commission de 1868. En six mois la prime sur l'or était tom-
bée de 1 8 p. 1 ,000 à 1 p. 1 ,000. Que s'est-il passé depuis 1 850 ? Le tableau ci-après
contient les cotes de l'or et de l'argent en France de 1851 à 1886. Il a été dressé
par M. Juglar jusqu'en 1868.
1851
1852
1853
1854
1855
1856
1857
1858
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.'
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
Mai.
Décembre.
1,000 fr.
2.50
0.75
6
0.50
0.25
0.50
4
3
3
5
6
7
7
7
pair.
Argent.
1 ,000 fr.
4.50
9.50
10
9.50
11
9.50
12
12
13
20
20
25
30
35
14
10
ANKÉBS.
1859 .
1860 .
1861 .
1862 .
1863 .
1864 .
1865 .
1866 .
PRIUE.
MOIS.
^ 1 II - — '
Ml
Or.
Argent.
1,000 fr.
1 ,000 fr.
Mai.
»
24
Décembre.
»
24
Mai.
»
25
Décembre.
»
22
Mai.
2.50
20
Décembre.
3
15
Mai.
2
18
Décembre.
1
2G
Mai.
1
19
Décembre.
3
25
Mai.
4
35
Décembre.
3
12
Mai.
3
15
Décembre.
1
12
Mai.
1
25
Décembre.
pair.
30
(1) Enquête de 1868,
106 —
MOIS»
PRIMS.
PRIME.
PKRTB
Or.
Argent.
Or.
Argent.
1,000 fr.
1,000 fr.
1,000 fr.
1,000 fr
Mai.
4
45
1877
( Mai.
v.
90
Décembre.
'/.
9
' ) Décembre.
pair.
402
Mai.
Décembre.
pair.
9
8
1878
i Mai.
■ / Décembre.
pair.
4.50
98
467
Mai.
0.50
40.50
1879
Mai.
pair.
470
Décembre.
1.50
40
Décembre.
4
425
Mai.
1.50
10.50
1880
Mai.
4.50
430
Décembre.
»
»
Décembre.
5
430
Mai.
Î2
»
1884
Mai.
3.50
425
Décembre.
15
10
■ \ Décembre.
3
430
Mai.
Décembre.
5
41
6
4882
i Mai.
■ 1 Décembre.
4
4
430
460
Mai.
10
5
4883
Mai.
4
455
Décembre.
10
VL
' 1 Décembre.
4
450
Mai.
Décembre.
5 6'|,
pair : perte 35
4884
j Mai.
■ \ Décembre.
4
4
455
470
Mai.
pair.
35
4885
Mai.
4
472
Décembre.
»
53
Décembre.
4
220
Mai.
y>
100
4886
Mai.
4
247
Décembre.
y>
55
■ / Décembre.
5'/.
227
ANNÉES.
4867 .
4868 .
4869 .
4870 .
4871 . .
4872 . .
4873 .
4874 . ,
4875 . ,
4876 . ,
Ce tableau constate :
1° En ce qui concerne l'argent que, de 1851 à 1870, il s'est maintenu sur l'ar-
g-ent une prinne variable de 10 à 30 p. 1,000 en moyenne, que de 1872 à 1874
elle a baissé à 1 '/^ et fait place fin 1874 à une perte qui n'a cessé de s'accentuer.
Le caractère du prix de l'argent, de 1851 à 1886, en hausse comme en baisse, c'est
la variabilité.
2° En ce qui concerne l'or que, sauf les années de la guerre de Crimée et du
règlement de l'indemnité due à l'Allemagne et des importations de céréales (1879-
1881), la prime n'a pas dépassé 3 p. 1,000 pour se maintenir, en moyenne, à 2 p.
1,000 et que sur 78 cotes 12 ont marqué le pair.
Dans l'ensemble, depuis 1851, les prix de l'or ont été tout autrement fixes que
ceux de l'argent. Le même fait a été établi pour le marché de Londres.
Malgré cette fixité pendant près d'un demi-siècle, deux opinions autorisées se
sont produites pour affirmer l'une la dépréciation, l'autre l'appréciation de l'or.
La contradiction de ces deux opinions est expliquée facilement par les faits.
La première a été soutenue, avec une grande insistance, par M. Stanley Jevons,
sous l'influence des écrits de Michel Chevalier et de Wolowski, et de la hausse gé-
nérale qui marque la période de 1858 à 1865, M. Stanley Jevons l'a développée
dans plusieurs mémoires publiés récemment sous le titre àe: Investigations in
currency and Finance. M. Stanley Jevons admet que la valeur de l'argent a dimi-
nué de 15 p. 100 et qu'elle est appelée à baisser jusqu'à 30 p. 100, sauf à se
relever plus tard. Pour établir cette diminution, il montre que, de 1845 à 1862, les
prix de 30 sur 39 marchandises principales ont éprouvé une hausse notable. La
simultanéité de la hausse sur un si grand nombre de marchandises lui paraît attes-
ter l'influence d'un fait général supérieur à tous les faits particuliers qui agissent sur
les prix (1). Ce fait général reconnu, il en signale l'influence présente ou future
(1) Les idées et les chiffres de M. Stanley Jevons ont été soumis à une critique des plus vives par
M. V. Bonnet (Études monétaires , 39-GO) ; c'est Tune des parties les plus intéressantes de cet ouvrage
toujours à consulter.
— 407 —
sur la condition économique de l'Angleterre et des peuples principaux ; il annonce
une crise profonde et dangereuse, l'insuffisance des impôts, l'amoindrissement des
revenus, la ruine des créanciers, la nécessité de compensations: c'est la reprise, bien
qu'avec plus de réserve, des théories de Michel Chevalier. La raison de cette dépré-
ciation, c'est l'excès de la production de l'or. Tous les besoins pourvus, il reste à em-
ployer 0,550,000 liv. st., soit 240 millions d'or! Et encore cette production n'a-t-
elle pas dit son dernier mot. M. Stanley .levons paraît avoir conservé cette opinion
jusqu'à la fin. Son dernier mémoire était consacré à la même question. Il était, par
suite, peu favorable à l'argent. Il admettait que l'argent avait moins baissé que l'or,
qu'il avait servi, selon le mot même de Michel Chevalier, de parachute à l'or, mais
qu'il serait entraîné par le mouvement de baisse, en vertu de la solidarité existant
entre l'or et l'argent, que l'argent était un métal inférieur et que son emploi devait
se restreindre. Il était un adversaire résolu du bi-métallisme.
La seconde opinion est plus récente. Elle compte pour elle des autorités considé-
rables: MM. Giffen, Goschen, Gibbs, Grenfell, Hankey, Barclay, les chambres de
commerce de Manchester et de Londres. C'est le contrepied des théories de MM. Mi-
chel Chevalier, Wolowski, Stanley Jevons. L'or, au lieu d'être surabondant, est trop
rare; les besoins ordinaires satisfaits, il ne reste, chaque année, disponibles que
25 millions de francs sur 500 pour parer aux demandes des divers Etats, 19 millions
de livres sterling étant nécessaires pour les arts et la réparation des frais et
pertes, etc. Il y a vingt ans il y avait excès, aujourd'hui il y aurait pénurie d'or. Il
y a vingt ans toutes les marchandises étaient en hausse, aujourd'hui elles seraient
toutes en baisse. MM. Giffen et Goschen présentent de nouvelles tables, exactement
semblables à celles de M. Stanley Jevons, pour établir la baisse des prix comme
M. Stanley Jevons justifiait de la hausse. Cette baisse est générale, les plaintes sont
universelles; les crises se multiplient : crise commerciale, crise foncière, crise in-
dustrielle. Selon l'auteur d'un article remarquable de la Revue d'Edimbourg {\)^cqs
crises s'aggraveront encore; l'Europe aura à traverser une époque terrible : l'abon-
dance et le bon marché régneront partout, mais les salaires auront baissé de moitié
ainsi que les prix de toutes les marchandises; fermages et loyers seront réduits
d'autant, tandis que les rentiers, les créanciers, les gouvernements recevront le
double de ce qui leur revient. M. Morelon Frewen est encore plus pessimiste. La
rareté de l'or lui paraît menacer d'un naufrage irrémédiable toute la civilisation
contemporaine, de même qu'elle aurait plus contribué à la chute de l'empire ro-
main que les invasions, les révoltes et le despotisme.
Tout indique que ces deux opinions si opposées, si contradictoires, qui se réfulen
elles-mêmes, ont une commune origine : une systématisation hâtive et un emploi
immodéré de l'application des calculs mathématiques aux faits économiques.
Michel Chevalier, en 1852, prenait certainement le pas sur les événements; il
désertait la méthode expérimentale pour se servir de la méthode déductive; il attri-
buait immédiatement, par induction de faits anciens mais non actuels, à un grand
événement monétaire, au début duquel il assistait, les résultats d'un événement
identique dont l'influence s'était prolongée pendant 300 ans; il déduisait du passé
des corollaires pour le présent, sans laisser la parole au présent même. Tendances
identiques chez M. Wolovi^ski ; peut-être est-elle plus grave encore chez M. Stanley
(1) Janvier 188G.
— 108 —
Jevons. Michel Chevalier se bornait à des prophéties, Stanley Jevons a essayé de tirer
des inductions de faits insuffisants. Il était enclin, au surplus, à exagérer les avan-
tages d'appliquer aux faits économiques les méthodes des sciences mathématiques.
Aussi, d'autres esprits, non moins distingués, ont-ils eu recours aux mêmes mé-
thodes pour démontrer les conséquences de la rareté de l'or, quand M. Stanley
Jevons les utilisait pour établir sa surabondance.
Ni les uns ni les autres ne se sont servis des faits directs, parce qu'ils leur deman-
daient ou parce qu'ils leur demandent encore des arguments en faveur d'un axiome,
qu'on rencontre dans un grand nombre d'excellents esprits : c'est que l'abondance
ou la rareté des métaux précieux ont une influence immédiate et comme irrésistible
sur les prix et sur les conditions économiques ; c'est que rien ne peut y parer ; c'est
que les mouvements de l'or et de l'argent ont exercé, à diverses reprises, une action
générale, bienfaisante ou nuisible.
Cependant Adam Smith, Leber, Tooke, Newmarck même avaient circonscrit avec
soin cette action; ils avaient montré qu'elle était lente et inégale. Tooke, notam-
ment, avait reconnu que l'afïlux de l'argent, au xvi^ siècle, était resté trois quarts
de siècle sans influence et que l'afïïux de l'or au xviii" siècle n'en avait qu'une in-
sensible. Les cotes de l'or et de l'argent, jusqu'en 1873, n'accusaient aucun change-
ment, conformément à l'observation sagace de Tooke.
Depuis 1873, les cotes de l'or et de l'argent ont été suivies de plus près; mais il
ne semble pas qu'on ait interprété, avec netteté, le fait économique dont elles sont
la preuve; cependant ce fait est la clef de tout le problème monétaire contemporain.
X. — De la substitution de l'or à l'argent.
Ce fait, c'est la substitution progressive de l'or à l'argent dans la circulation mo-
nétaire et même dans les emplois industriels.
Comme circulation monétaire, cette substitution est accomplie depuis la fin du
xvni* siècle et, légalement depuis 1816, en Angleterre; elle s'est opérée dans les
Etats Scandinaves, en Allemagne, en Portugal; elle s'est préparée et se fait, sous
nos yeux, en France, en Italie, en Belgique, en Suisse, en Grèce, en Roumanie ; elle
pourrait se réaliser rapidement en Espagne. On est autorisé à prévoir qu'à la fin du
siècle, elle aura eu lieu dans tous ces Etats représentant actuellement un groupe de
200 millions d'individus. Ces États sont d'ores et déjà en possession d'un stock d'or
de 17,215 millions, stock supérieur de 3,215 millions au stock total de tous les
peuples en 1850. Ce stock doit être entretenu. La dépense de cet entretien a donné
lieu, à beaucoup de calculs. Stanley Jevons l'évaluait à 12,250,000 fr. par an ; somme
sans importance pour une production annuelle de 500 millions de francs, et proba-
blement trop élevée, car la dépense du frai est comme insensible dans la consom-
mation de l'or.
Il est vrai que la dépense de l'entretien de la circulation d'or a été étendue. On y
a ajouté l'accroissement des réserves ou encaisses des banques au fur et à mesure
du développement des affaires et celui du stock par tête au fur et à mesure de
l'augmentation de la population. Michel Chevalier avait évalué la consommation
annuelle de l'or à 450 millions (1): industrie 123,5, pertes et thésaurisation 52,5,
frai 12,2, commerce 77,6, population 77,6, nouveaux États, 106,6; prévoyant une
(1) Stanley Jevons, Investigations, p, 67-68.
— i09 —
production de 1,050 millions, il se trouvait en présence d'un excédent effrayant.
Stanley .lovons considérait même ces évaluations comme excessives; il portait
l'excédent plus haut. Toutes ces liypolhèses ont été démenties par les faits.
Loin de trouver les estimations de Michel Chevalier exagérées, M. Giffen les tient
pour insuffisantes. Il augmente de 400 p. 100 la dépense d'entretien à raison du
développement du commerce et de la population, calculée à 375 millions par an,
de sorte qu'après avoir appliqué 125 millions aux besoins industriels, il ne reste
aucune lessource disponible, en présence d'une production qui est à peine la moitié
de celle entrevue par Michel Chevaher, pour le frai et la thésaurisation, les perles
et la demande des peuples, désireux d'avoir leur part d'or.
Les faits qui se passent sous nos yeux ne paraissent pas confirmer les calculs de
M. GilTen, pas plus qu'ils ne se sont prêtés aux hypothèses de Michel Chevalier. L'or
n'est en hausse sur aucun marché; il ne jouit d'aucune prime (1). 11 est, en France,
d'une abondance extraordinaire; 1,300 millions d'or sont accumulés à la Banque
de France; une pareille masse d'or s'était déjà constituée en 1876, elle reparaît
aujourd'hui; mais, depuis 1876, la circulation d'or a été définitivement mise en
train dans les États Scandinaves, en Allemagne, en Italie, en Grèce; au 1"' mai
1886 les encaisses des principales banques d'Europe et des banques de New- York
s'élevaient à 5 milliards au moins. Ces encaisses sont certainement plutôt supé-
rieures aux besoins des affaires qu'insuffisantes.
Dès qu'il ne se produit pas de prime sur l'or, c'est que la distribution actuelle de
l'or répond aux besoins, c'est que les encaisses des banques y pourvoient. En gé-
néral, les statisticiens sont portés ou à exagérer les besoins des encaisses ou à en
amoindrir la puissance. Ces deux idées sont corrélatives. La fonction des encaisses
a changé à raison soit de la multiplicité et de la rapidité des moyens de transport
(pii, pour l'or, ont précisément une plus grande efficacité que pour l'argent, soit de
l'énergie des nouveaux instruments monétaires. La nécessité de l'or a strictement
diminué, et cette diminution aurait eu son influence sur la valeur de l'or, si
l'amoindrissement certain de la nécessité de l'or pour certains peuples qui le possè-
dent depuis longtemps n'était compensé par sa tendance à remplacer l'argent chez
les peuples qui ne le possèdent pas encore. L'utilité de l'or a baissé, mais son em-
ploi s'est étendu. Tous les progrès de notre époque ont le même caractère.
C'est notamment ce qui a lieu pour les emplois industriels. On constate une dimi-
nution notable de l'emploi industriel de l'argent. L'habitude de la vaisselle d'argent
s'est affaiblie : les bijoux en argent, les montres en argent sont remplacés par des
bijoux et des montres en or. La montre en or n'a plus la même importance qu'il
y a 25 ans; mais elle est portée par un bien plus grand nombre de personnes.
En général, le fait de la substitution de l'or à l'argent soit dans les système^ mo-
nétaires, soit dans les emplois industriels des diverses nations, n'a pas été dégagé
avec assez de netteté. On n'a pas suffisamment tenu compte de ses origines, de ses
causes et de sa puissance. Il correspond à une tendance invincible des populations
qui, de tout temps, ont attribué une bien plus grande valeur à l'or qu'à l'argent.
Cette tendance ne se modifiera pas. Elle repose sur des causes naturelles contre
lesquelles il est inutile de s'inscrire et dangereux de lutter.
(1) Dans le cours de l'année 188G de nouveaux placers d'or abondants et importants ont été mis en
exploitation dans l'Australie occidentale (district de Kimberley), dans l'Afrique australe, dans la Mant-
cbourie et jusque dans la Terre-de-Feu. On entrevoit un nouvel élan de la production.
— HO —
La contradiction que l'on rencontre chez tant de publicistes à l'égard de la fonc-
tion présente de l'or s'explique donc naturellement (1). Tantôt on exagère l'utilité
monétaire de l'or; on met en parallèle l'énormité des besoins avec l'insuffisance de
la production; on entrevoit une contraction monétaire générale; on méconnaît l'ac-
tion ou l'énergie des instruments monétaires qui remplacent l'or lui-même; on
ferme les yeux devant la substitution des billets de banque, des chèques, des man-
dats télégraphiques, des virements, des titres au porteur à la monnaie; on prédit
des crises permanentes à raison de la rareté de l'or et l'on constate en même temps
que le cours de l'or est immuable, que l'or ne jouit d'aucune prime, qu'il en existe
des accumulations immenses, que la rareté de l'or est un fantôme. Tous les raison-
nements sont fondés sur la rareté de l'or, rareté qui n'existe pas.
Tantôt on se révolte contre la tendance de l'or à se substituer à l'argent. Cepen-
dant dès que l'or n'est plus rare, sa tendance fatale est d'aborder de nouveaux
rivages, selon la belle comparaison de Turgot, car il sera ainsi satisfait aux désirs et
aux besoins d'un plus grand nombre d'hommes. Tout ce qu'il peut être légitime de
prévoir, c'est que l'or pourra ne pas se fixer, dès sa première visite, sur le rivage
où il est porté. A-t-il quitté l'Angleterre ? a-t-il quitté l'Espagne? a-t-il quitté la
France? a-t-il quitté l'Allemagne? a-î -il quitté les États Scandinaves? De 1873 à
1878, il a pu se produire, en Allemagne, quelques oscillations. Tout l'or, acquis par
la guerre, n'a pu rester à demeure. Néanmoins l'approvisionnement d'or de l'Alle-
magne est un fait accompli. Le stock d'or de l'Allemagne dépasse actuellement
1,800 millions de francs. Il n'était en 1850 que de 250 millions, celui de la France
n'était que de 400 millions, il atteint à près de 5 milliards. Une nouvelle expérience
s'accomplit en Italie (2). Personne ne doute que l'or, après quelques oscillations, ne
se fixe en Italie. Il en sera de même pour la Belgique et la Hollande, dont les stocks
d'or ont triplé. Avec plus de sévérité dans la gestion de ses finances, l'Autriche pour-
rait préparer la suppression du papier monnaie et de l'agio si élevé qu'elle subit.
Un publiciste éminent, qui a souvent, comme Stanley Jevons, tenté l'application
des méthodes des sciences exactes aux problèmes économiques, M. Cournot, a mieux
entrevu que beaucoup d'économistes contemporains, les causes et la direction
générales de la révolution monétaire (3). Il a reconnu que les faits monétaires
étaient avant tout dominés par ce qu'il y a d'empirique dans les choses humaines.
Pour preuve, il lui a suffi de rappeler que tous les calculs des mathématiciens illus-
tres qui avaient préparé la réforme monétaire de 1795 avaient été déjoués par les
changements survenus dans les faits (4). Les calculs étaient exacts; les bases, sup-
posées immuables, étaient mobiles. Les géomètres de la Révolution n'ont même pas
tenu compte des faits monétaires de leur temps. Ils se sont trompés, comme Mira-
beau se trompait, en attribuant à l'argent, à la fin du xviif siècle, une supériorité
qu'il avait perdue.
M. Cournot, bien que trop favorable encore à l'argent, à raison de ce que la part
(1) Ainsi dans le fascicule du Banker's Magazine de juin 1886 on trouve en même temps un article
sur l'extension des besoins de Tor et sur Téconomie dans Tusage monétaire de Tor.
(2) Voir le 4^ rapport de la commission du cours forcé, février 1886, par M. le sénateur Lampertico.
La difficulté de retenir Tor n'est plus économique, elle est financière; elle tient à la dette italienne. Mais
la hausse de cette rente indique que la situation s'améliore sérieusement.
(3) Cournot, Revue sommaire des doctrines Économiques, 1877. La 3° section des monnaies est
l'un des meilleurs écrits qui existent sur les questions monétaires.
(4) Dito page 156,
— 111 —
de la nature est moins grande dans sa valeur ({ue dans celle de l'or (1), s'incline
néanmoins devant les deux grands faits monétaires de notre siècle, l'immense pro-
duction de l'or et le développement des instruments monétaires auxiliaires. Pour
lui le problème ne consiste pas à rechercher si l'argent n'a pas baissé — car celte
baisse est fatale — mais si l'or n'y a pas participé- Dès que la production de l'or et
l'accroissement des instriiments auxihaires ont pris des proportions nouvelles, ces
proportions peuvent excéder les besoins, d'où baisse de la valeur de l'or, son emploi
diminuant d'intensité. M. Cournot se rapproche ainsi de la théorie de Stanley Jevons
et de Michel Chevalier, bien qu'il soit loin d'interpréter les faits comme eux. Les
cotes de la prime de l'or, de 1851 à 1886, relevées plus haut, accusent, en effet,
une tendance assez forte de la prime sur l'or à disparaître.
Néanmoins, on peut se demander si M. Cournot a fait la part assez large aux
besoins d'or. La révolution monétaire contemporaine est universelle. Une s'agit pas
seulement de garantir à l'Italie un stock d'or, il s'agit d'introduire la circulation de
l'or dans des contrées autrement vastes. C'est cette extension qui garantit actuelle-
ment l'or contre toute chance de baisse. La substitution de l'or à l'argent doit
s'opérer partout; partout l'argent est condamné, ce qu'entrevoit fort clairement
M. Cournot, au rôle de monnaie d'appoint: Sic fata voluere.
Les progrès, les étapes de cette substitution de l'or à l'argent expliquent les divers
incidents monétaires qui marquent la période si intéressante de 1848 à 1886. Pour-
quoi l'afflux immense de l'or, depuis 1848, n'a-l-il exercé aucune action sur le
prix de l'or? pourquoi les prévisions de Michel Chevalier, deWolowski, de Stanley
Jevons, fondées sur des précédents historiques considérables, bien que mal appli-
qués, ont-elles été démenties? C'est que l'or s'est lentement substitué à l'argent.
Cette substitution, si clairement accusée déjà au xviii* siècle, a été le facteur prin-
cipal. On ne lui a pas attribué une place assez grande. Pourquoi, malgré le déve-
loppement de la clientèle de l'or, l'extension de son domaine, une demande plus
active, ne s'est-il pas produit de plus-value dans le prix de l'or? c'est que la nécessité,
l'utilité de l'or ont diminué en même temps que son emploi s'étendait. Croit-on
que la France a besoin de 5 milliards d'or pour faire face à ses opérations ?
De sorte que les hypothèses, les prévisions, les théories des économistes qui
redoutaient la rareté de l'or ont dû être abandonnées comme celles qui accusaient
les désastres de l'abondance de l'or. M. Cermschi, qui a pris une notable part aux
polémiques monétaires contemporaines, a été lui-même contraint de s'incliner
devant l'abondance de l'or.
Tels sont les faits qui expliquent la fixité des cours de Tor depuis 1844. Cette
fixité indique que l'or n'a éprouvé de changement notable ni dans sa valeur intrin-
sèque, ni dans son pouvoir d'achat. Les évaluations de M. Roswag doivent même
être tenues pour excessives. Il était loin de les accepter comme définitives.
Les marchandises ne pouvaient avoir la même fixité. Elles ne l'ont jamais eue.
Les variations de leurs prix dépendent de causes diverses. Dans ces causes la mon-
naie, à de très rares exceptions, n'exerce qu'une influence secondaire. C'est ce
qu'Adam Smith, MM. Tooke et Newmarck ont reconnu. On en trouve la preuve
dans les relevés des variations de prix, dus à M. Stanley Jevons (2). M. Stanley
Jevons a calculé ces variations de 1782 à 1865. Il suffit de comparer entre elles
(1) Ditopage Mi.
(2) Investigations, -11-47.
— 112
les variations des deux dernières périodes de 20 ans. La première, de1825à 1845,
a présenté une accalmie monétaire complète; la seconde, de 1845 à 1865, a joui
d'une activité monétaire extraordinaire.
Le rapprochement des variations des prix dans deux périodes si différentes ne
peut manquer d'être instructif.
AKHÉES.
BI.É.
COTON.
FER.
BOIS.
ANNÉES.
BLÉ.
COTON.
FER.
BOIS
1825T . .
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»
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1832. .
»
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61
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1805. . .
78
77
39
74
1845. .
103
24
59
96
Dans la première période, celle d'accalmie monétaire, les prix du blé ont varié
6 fois avec des oscillations de 143 à 80; ceux du coton 7 fois, oscillations 03 à 24 ;
ceux du fer 7 fois, oscillations 114 à 43 ; ceux du bois 9 fois, oscillations 133 à 84.
Dans la seconde péiiode, celle d'agitation monétaire, les prix du blé ont varié
6 fois, amplitude des oscillations 142 à 78; ceux du colon 11 fois, oscillations 128 à
21 ; ceux du fer 7 fois, oscillations 60 à 35 ; ceux du bois 1 fois, oscillations 91 à 66.
Les amplitudes représentent 222 pour la première et 221 pour la seconde péiiode.
Accalmie monétaire et accalmie politique dans la première; agitation monétaire,
disette de 1847, révolution de 1848, guerres de Grimée, d'Italie et de la sécession
dans la seconde.
Toutes choses considérées, les variations des prix auraient donc été, au point de
vue économique, plus importantes dans la première que dans la seconde période.
11 en résulte que les variations des prix de 1845 à 1865, avec des amplitudes tiès
importantes, ne sont provenues des influences monétaires que dans une proportion
imperceptible.
Si les variations des prix de 1845 à 1865 n'ont pas dépendu des faits monétaires,
elles ont prêté, par leur fréquence et leur amplitude, aux hypothèses monétaires des
publicisles. Mais les variations de 1825 à 1845 y prêtaient bien davantage puisque
l'accalmie pohtique était complète. Seulement, en l'absence de faits monétaires, on
a diî interpréter les variations des prix tout autrement.
Les influences monétaires auraient-elles été plus efficaces depuis 1865? c'est ce
que je me propose d'examiner dans le hvre suivant, en analysant la nature et les
causes de la ciise économique actuelle. E. Fournier de Flaix.
Le Gérant, 0. Berger Levr.\ult.
JOURNAL
DE LA
SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DE PARIS
NO 4. — AVRIL 1887.
I.
PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 16 MARS 1887.
La séance est ouverte à 9 heures sous la présidence de M. Yvernès.
M. Albert Busani, attaché au ministère des finances, dont la candidature est sou-
tenue par MM. de Foville et Bienaymé, est élu, à l'unanimité, membre titulaire de
la Société.
La parole est donnée à M. Beaurin-Gressier pour la lecture du rapport dont il a
été chargé, par la commission des comptes, sur la situation financière de la So-
ciété (1).
Les conclusions de ce rapport, tendant à l'approbation des comptes de 1886 et
du budget de l'exercice 1887, sont adoptées.
M. Beaurin-Gressier présente un volume que publie le ministère des travaux
publics : Le Guide officiel de la navigation intérieure dressé par les soins de la
direction des routes, de la navigation et des mines et édité par MM. Baudry et G'*.
Ce volume est en quelque sorte la continuation et le développement d'une publi-
cation faite, il y a cinq ans, par la même administration sous le titre de : Manuel des
distances des voies navigables.
Le Manuel des distances avait été établi exclusivement en vue des agents chargés
du service de la statistique de la navigation intérieure, pour réunir dans leurs
mains les éléments de leur travail et les documents qu'ils pouvaient être appelés à
consulter. Le tirage en avait été, par suite, limité à un nombre d'exemplaires ne
dépassant que de très peu le chiffre correspondant aux besoins du service.
Cependant, dès son apparition, ce recueil a été l'objet d'un grand nombre de
demandes particulières et l'administration a été amenée à constater qu'il était sus-
ceptible de rendre des services aux personnes qui font usage des transports par eau.
I Voir le rapport à la suite du procès-vrrbal.
\" SKKIE, U8' VOL. — S" 4.
— 114 —
L'édition n'a pas lardé à êlre épuisée ; il devenait nécessaire de procéder à un
second tirage. L'administration n'a pas hésité dès lors à faire subir à son premier
travail les remaniements susceptibles de le mettre à même, tout en répondant aux
exigences de sa première destination, de fournir plus complètement au public les
renseignements qui paraissaient offrir de l'intérêt au point de vue de l'utilisation des
cours d'eau comme voies de transport.
Les matières précédemment insérées dans le Manuel des distances ont reçu,
dans cet ordre d'idées, de nombreuses additions portant sur les conditions géné-
rales de navigabilité de chaque cours d'eau, les dimensions principales de leurs
ouvrages, les services publics qui y fonctionnent et sur les règlements qui y sont
appliqués.
Il ne suffît pas, en effet, pour celui qui veut expédier par eau un chargement, de
connaître la longueur en kilomètres du parcours à effectuer, il importe également
qu'il puisse se rendre compte du genre, de la capacité, des dimensions des bateaux,
de leur degré d'enfoncement, etc. ; en un mot, de toutes les sujétions matérielles
ou réglementaires dont il aura à tenir compte au cours de l'opération. Il a enfin
intérêt à se renseigner sur les facilités qu'il rencontrera aux différents points du
trajet pour l'embarquement et le débarquement des marchandises el pour les com-
munications télégraphiques.
Le Guide officiel de la navigation intérieure comprend six parties :
I. — Documents réglementaires.
IL — Nomenclature et conditions de navigabilité.
III. — Notices et tableaux des distances.
IV. — Index alpliabélique des lieux mentionnés dans le tableau des distances.
V. — Itinéraires graphiques.
Yl. — Carte itinéraire des voies navigables de la France.
On ne peut songer à donner ici une analyse complète de l'ouvrage. La partie
essentielle consiste dans les tableaux des distances et les notices qui les accompa-
gnent. Ces tableaux donnent pour chaque voie la liste des localités principales et
des points marquants qui s'y rencontrent. En regard de chacun de ces points est
indiquée la distance qui le sépare du point précédent et, dans une seconde colonne,
la distance totale comptée à partir de l'origine de la voie. Dans une colonne spé-
ciale on a inscrit, en regard des principales localités, le nombre des écluses à fran-
chir depuis l'origine de la voie. On a eu soin de mentionner également les gares
d'eau et leurs raccordements avec les voies ferrées, les postes télégraphiques spé-
ciaux à la navigation et ouverts à la télégraphie privée, les bureaux de déclaration,
les embranchements avec les autres voies fluviales.
Chaque tableau ou itinéraire est précédé d'une notice où se trouvent réunis les
divers renseignements fournis par les ingénieurs des services intéressés conformé-
ment à un programme uniforme arrêté préalablement par l'administration. Cette
notice passe sommairement en revue le régime de la voie, les facilités qu'elle offre
à la navigation, le genre de batellerie qui la fréquente le plus habituellement, la
nature du chemin de halage. On a noté, le cas échéant, les entreprises de traction
qui y fonctionnent en vertu de concessions ou d'autorisations administratives. S'il
s'agit d'une voie administrée par une compagnie concessionnaire, on a rappelé les
stipulations principales de l'acte de concession et les tarifs qui y sont annexés.
En résumé, on s'est appliqué à grouper dans cette notice toutes les indications
— 115 —
qui ont paru de nature à intéresser ceux qui sont appelés à se servir de la voie na-
vigable.
Toutes les autres parties de la publication ont pour objet de faciliter à ceux qui
feront usage du Guide la préparation d'itinéraires. C'est ainsi que l'on a réuni dans
trois planches distinctes des itinéraires dressés d'avance, sous forme de profils en
long des voies empruntées, et qui s'appliquent :
1° Aux voies de la région du Nord, de Paris à la mer et à la frontière de Bel-
gique ;
2° Aux voies de la région de l'Est, avec jonction aux voies du Nord ;
3° Aux voies navigables de Paris à Lyon.
Ces itinéraires graphiques distinguent par les couleurs bleues et roses les rivières
et les canaux. Ils rappellent les longueurs et le nombre d'écluses de chaque voie,
et, pour les points principaux, les distances et le nombre d'écluses cumulés à partir
de Paris. Au moyen de l'échelle des hauteurs des bandes on peut se rendre compte
du mouillage; on trouve enfin l'indication des pentes rachetées.
Une carte du réseau complète l'ensemble des documents mis à la disposition du
lecteur.
Cette carte, dressée à l'échelle de âwôôô^) ne contient que des indications spé-
ciales à la navigation intérieure.
Les cours d'eau classés comme navigables y sont figurés par des traits pleins ;
les rivières ou portions de rivières simplement flottables, par un pointillé.
Ces traits ont un millimètre d'épaisseur ou un demi-millimètre, suivant qu'ils
correspondent à des voies dont le mouillage est égal ou supérieur à 2 mètres, ou à
des voies ayant moins de 2 mètres de mouillage. Les traits sont bleus pour les
fleuves et rivières, rouges pour les canaux.
Outre ces dispositions, qui mettent en lumière l'importance respective de chaque
voie, on a indiqué en chiffres bleus les longueurs des sections; enfin les principales
localités et les points de bifurcation sont signalés par un petit cartouche contenant
la dislance entre ce point et l'origine de la ligne.
Les distances ainsi cumulées sont comptées de Paris (pont de la Tournelle) pour
toutes les voies qui se trouvent en relation directe avec la Seine.
Dans la région de l'Ouest, on a choisi Nantes pour point d'origine et Bordeaux
dans la région méridionale.
Pour donner une idée complète de l'ouvrage, on ne peut se dispenser de réserver
une mention spéciale à la nomenclature alphabétique des voies. La nomenclature
comprend tous les cours d'eau classés comme flottables ou navigables ; son cadre
résume, sons une forme synoptique, les conditions de navigabilité des cours d'eau
utilisés comme voies de transport. Elle constitue ainsi, et cela pour la première fois,
l'inventaire complet des cours d'eau qui font partie du domaine pubhc. A ce titre,
il est intéressant d'en résumer ici les données.
Le développement total des cours d'eau classés comme flottables ou navigables
est de 10,640 kilomètres.
Sur cette longueur, 3,899 kilomètres ne sont l'objet d'aucun trafic fluvial; 1,012
kilomètres sont utilisés seulement pour le flottage et 11,729 kilomètres sont fré-
quentés par la batellerie d'intérieur.
Au point de vue technique, les 12,74'i kilomètres de cours d'eau fréquentés se
divisent comme suit :
- 116 --
Rivières simplement flottables 4,012 kilomètres.
Rivières navigables naturellement .... 3,391 —
Rivières canalisées 3,579 —
Canaux de navigation 4,759 —
Total égal. . , . 12,741 kilomètres.
Les rivières canalisées, dont le développement atteint 3,579 kilomètres, compor-
tent 581 écluses et 916 ponts fixes. Les biefs y ont donc une longueur moyenne de
Les canaux, qui offrent ensemble 4,759 kilomètres de longueur, doivent être
divisés en :
1° Canaux sans biefs de partage, latéraux pour la plupart, longueur 2,179 kilo-
mètres.
On rencontre sur les voies de celle catégorie 471 écluses, 1,038 ponts et 5 sou-
terrains, la longueur du bief moyen ressort à 4'''', 600.
S'-* Canaux à biefs départage, longueur 2,610 kilomètres ; ils comprennent 1,395
écluses, 1,337 ponts et 17 souterrains; la longueur du bief moyen y descend à
I''",871.
On sait que, d'après les lois de classement du réseau navigable, le type réglemen-
taire des canaux correspond à un mouillage de 2 mètres, à des écluses de 38'",50
de longueur et 5'",20 de largeur pouvant donner passage aux bateaux du type de la
péniche flamande et enfin à une hauteur sous les ponts de 3™,70.
Dès à présent on rencontre ces dimensions minima :
Pour les rivières, sur un peu plus de 1,000 kilomètres ;
Pour les canaux, sur un peu moins de 2,000 kilomètres.
La transformation se poursuit au surplus avec activité sur toutes les voies prin-
cipales et pourra être terminée dans un petit nombre d'années.
Pour terminer, il paraît intéressant de signaler une innovation apportée dans le
mode de publication du nouveau recueil. Jusqu'ici, la plupart des recueils adminis-
tratifs sont publics par les administrations mêmes qui les ont préparés. Ces admi-
nistrations en déposent parfois un certain nombre d'exemplaires dans quelques
librairies, mais conservent tous les risques de l'opération.
L'administration des travaux pubHcs a pensé qu'à l'égard du Guide officiel des
voies navigables, les circonstances étaient favorables pour en conher l'impression
et la vente à l'industrie privée. Un éditeur privé dispose, en efl'et, des ressources
d'une publicité très étendue qui ne peut manquer de profiter largement à la vulga-
risation d'un ouvrage destiné à rendre au public de notables services et qu'il y a un
sérieux intérêt à propager.
Dans cet ordre d'idées, l'Administration a ouvert un concours entre les principaux
éditeurs de Paris. Elle a adopté comme base de l'adjudication le prix de vente au
public, prix sur lequel devait porter le rabais. L'adjudication a été tranchée en
faveur de MM. Baudry et C'" dont la soumission fixait le prix de vente à 2 fr. 25 c.
Ce prix est extrêmement modéré et il n'est pas douteux que, dans ces conditions,
l'édition, fixée à 4,500 exemplaires, ne soit rapidement enlevée.
M. le Président donne lecture d'une lettre qui lui a été adressée par M. le Ministre
de l'instruction publique et des beaux-arts, de laquelle il résulte que la date du
25^ congrès des Sociétés savantes est reportée de la semaine de Pâques à celle de
— 117 -
la Pentecôle. En conséquence, le congrès se réunira à la Sorbonne le 31 mai pro-
clinin, à midi el demi. Une circulaire spéciale précisera l'ordre de ses séances et
lous les détails de son organisulion. Il y a lieu de rappeler à cette occasion que les
questions qui intéressent spécialement la Statistique sont les suivantes :
il" Étudier en un lieu déterminé l'influence exercée sur l'ivrognerie et particu-
lièrement sur les condamnations par la production de l'alcool, par les impôts sur
les boissons et par les lois sur l'ivresse et sur les cabarets;
12" La mortalité dans les diverses professions ;
13° Étudier, dans une partie déterminée de la France, le mouvement des finances
locales au xix*' siècle. (Budgets et dettes du département et des communes.)
M. le Président informe la Société qu'une exposition scientifique et industrielle
de la Sibérie et de l'Oural aura lieu en juillet et août prochain à Ékatherinebourg,
sous la présidence d'honneur de S. A. I. le grand-duc Michel Nicolaïevich. Ceux des
membres qui voudraient assister à cette exposition destinée à faire connaître l'état
de civilisation des provinces de l'Oural et de la Sibérie, devront s'adresser au pré-
sident de la Société des mines de l'Oural, M. le conseiller intime J. Ivanofl', qui leur
fournira tous les renseignements nécessaires pour faciliter leur voyage et diminuer,
autant que possible, leurs frais de séjour.
M. le Secrétaire général donne la nomenclature des ouvrages adressés à la So-
ciété (1) et fait distribuer, au nom de M. Agostini, un certain nombre d'exemplaires
du rapport de ce savant sur la situation actuelle du Canada. M. Agostini a d'ailleurs
promis de présenter à la Société de statistique une communication spéciale à ce sujet.
M. Alfred Neymark offre plusieurs exemplaires du travail qu'il vient de terminer
sur les Dettes publiques européennes. Il en sera publié un résumé àansle Bulletin.
M. le Président dépose sur le bureau le premier exemplaire du dernier ouvrage
de M. de Foville, dont notre président sortant avait annoncé l'apparition prochaine.
Il est persuadé que ce petit volume de statistique raisonnée et comparative devien-
dra bientôt chez nous aussi populaire que le sont les Statistical Abstract en Angle-
terre et aux États-Unis.
M. Lafabrègue, ancien directeur de l'hospice des Enfants assistés de la Seine,
présente à la Société le livre que M. le D"" Thulié vient de faire paraître sur les En-
fants assistés.
Ce livre, dit M. Lafabrègue, permet de suivre, pas à pas, les progrès et les amé-
liorations apportés dans ce service important pendant les dix ou quinze ans qui
viennent de s'écouler, et éclaire d'un jour tout nouveau la question sociale de l'en-
fance abandonnée.
Lorsqu'il fut appelé à la direction de l'hospice des Enfants assistés, en 1875, ceux
qui, par leurs études ou par leurs fonctions, s'occupaient de cette question se par-
tageaient en deux camps bien tranchés.
Les uns, comme les docteurs Brochard et Marjolin, ne voyaient d'autre solution
au problème que le rétablissement du tour.
Les autres, comme M. Durangel et les inspecteurs départementaux, préconisaient
les secours aux filles mères.
(t) Voir cette liste à la fin du procès-verbal.
— 118 —
Les premiers considéraient les secours comme immoraux et pensaient qu'avec le
tour disparaîtraient les avortemenls, les expositions et les infanticides.
Les autres, se plaçant sur un autre terrain, disaient que chacun est responsable
de ses actes, que la fille coupable se doit à son enfant, que la société peut l'aider
dans sa tâche, mais n'a pas le droit de se substituer à elle.
De ces divergences d'opinions naissaient des tiraillements et des lenteurs dans le
service, dont les enfants étaient les premières victimes. C'est alors que M. le D' Thulié
est venu poser les principes qui doivent présider aux admissions, et tracer à chacun
sa règle de conduite.
La société, a-t-ildit, en enlevant à l'homme le droit de vie et de mort sur l'être
qu'il a mis au monde, a implicitement reconnu à l'enfant son droit à l'existence,
c'est-à-dire aux soins nécessaires pour qu'il puisse vivre.
Mais cette société étant impuissante à obliger une mère qui repousse son enfant
à lui accorder ses soins, c'est à elle de la remplacer et d'élever l'enfant.
Si, par contre, la mère est une vraie mère, si elle veut garder le petit être que la
misère va l'obliger d'abandonner, la société doit lui venir en aide.
La question se réduit ainsi à ces deux termes : vouloir et pouvoir.
La mère ne veut pas de son enfant, il faut le prendre sans hésitation ; elle ne le
peut pas, il faut la secourir.
Après avoir indiqué les dangers que le tour offre pour l'enfant, M. Lafabrègue
fait remarquer combien M. le D"" Thulié se montre sage et libéral dans son projet de
loi, en proposant, pour certains cas exceptionnels, la création de maternités où la
femme coupable peut entrer voilée et n'est tenue qu'à déposer son nom sous pli
cacheté, lequel ne sera ouvert que si l'accouchée vient à décéder.
M. Lafabrègue fait ensuite connaître les inconvénients graves, résultant de la re-
cherche du domicile de secours et dit que l'article 16 du projet de loi de AL le
D' Thulié fait disparaître ces inconvénients. Cet article est ainsi conçu :
Le domicile de secours de l'enfant est là où il est présenté. Il n'y a pas de rapa-
triement de département à département.
Passant à un autre ordre d'idées, M. Lafabrègue invite les membres de la Société
qui s'intéressent à ces questions d'enfants à lire dans le livre de M. le D'" Thulié
l'histoire de la nourricerie pour les enfants syphilitiques; il explique le fonctionne-
ment de celte nourricerie et fait connaître les résultats statistiques qu'elle a donnés.
Passant au service des enfants moralement abandonnés, à la création duquel
M. le D' Thulié a prêté un si puissant appui, M. Lafabrègue indique ce qui en est
résulté pour ces petits malheureux qui, faute de surveillance, de bons conseils et
de bons exemples, auraient fini futalemenl sur les bancs de la police correction-
nelle ou de la cour d'assises, si l'Assistance publique ne leur tendait une main se-
courable.
On voit par là combien il est regrettable que le départ de M. le D' Thulié du
conseil municipal ait empêché la mise à exécution de son projet de colonies agri-
coles en Afrique pour les enfants assistés.
En terminant, M. Lafabrègue dit que M. le D' Thulié a été pendant ces dernières
années le bon génie du service des enfants assistés et profile de l'occasion qui
s'offre à lui, pour exprimer sa profonde reconnaissance à l'auteur du livre si remar-
quable qu'il dépose sur le bureau.
M. le Président s'associe aux éloges que M. Lafabrègue vient de décerner à l'on-
— 119 —
vrage de M. le D' Thulié. La question de la protection de l'enfance est, pour la
France surtout, d'une importance capitale, et il y aurait un grand profit pour la
science et pour l'humanité, à ce qu'elle fût traitée devant nous avec les plus grands
développements.
Il espère que M. Thulié entendra l'appel qui lui est fait et qu'il voudra bien
venir lui-même nous entretenir d'une institution qui lui est familière et dont les
progrès, qui lui sont dus, ont attiré sur son nom tant de sympathies.
M. le comte Léopold Hugo offre, au nom de la Société de l'Histoire de Paris
dont il est membre, l'histoire du Polyptyque de l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés,
publiée d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale, par 0. Longnon. Paris,
librairie Champion, 1886.
M. E. Levasseur fait observer que le Polyptyque est un document des plus an-
ciens, puisqu'il remonte au moment de la dislocation de l'Empire de Charlemagne,
et du commencement de la Féodalité.
Un des renseignements les plus intéressants qu'il contient est la liste et la com-
position des Tenanciers de l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés et se rapporte à un
territoire qu'on ne peut évaluer à moins de 300,000 hectares. En étudiant, d'après
ces relevés, le nombre des individus constituant une famille de cultivateurs, on est
surpris de constater que la plupart de ces familles ne comptent qu'un, deux, trois
et rarement quatre enfants. La moyenne donne environ trois enfants par ménage,
ce qui est la proportion actuelle, ce qui tendrait à combattre l'opinion qui accor-
dait aux familles du moyen âge un nombre beaucoup plus considérable d'enfants.
M. Thierry-Mieg ne conteste pas ces conclusions, bien qu'il soit avéré qu'à cette
époque il naissait beaucoup plus d'enfants qu'aujourd'hui, mais leur mortalité était
bien plus élevée, ce qui arrivait à diminuer plus ou moins le nombre des survi-
vants.
Sur l'invitation de M. le Président, M. Gimel veut bien se charger de faire une
communication sur le livre présenté, mais seulement en ce qui concerne la division
des terres.
M. Cheysson reproduit devant la Société la communication qu'il a faite au dîner
de la Société d'économie sociale sur les premiers résultats officiels du dénombre-
ment de 1886.
La statistique de la population de fait n'ayant pas encore été publiée, il ne s'agit
ici que de la population présente ou légale, la seule, du reste, qui ait un caractère
absolument officiel.
Le travail de M. Cheysson devant être inséré in extenso dans le Bulletin, il n'y a
pas lieu d'en faire l'analyse dans le procès-verbal; toutefois deux points doivent être
mis en lumière pour faire comprendre la discussion qui va suivre : Le nombre
croissant des étrangers et les petites communes.
En ce qui concerne le nombre des étrangers, M. Loua montre qu'il résulte de la
comparaison des deux derniers dénombrements, qu'ils se sont accrus dans la pro-
portion de 140 p. 1000, tandis que l'accroissement de nos nationaux n'a été
que de 14. Leur progiession est donc 10 fois plus rapide que celle des Français
proprement dits, et il y a lieu de présumer que ce mouvement ascendant n'a pas
dit son dernier mot.
— 120 —
M. le Président, toul en reconnaissant qu'il sera difficile d'enrayer ce mouvement,
malgré les lois qu'on prépare pour faciliter la naturalisation, exprime la crainte
que cette invasion d'un nouveau genre ne soit un danger pour le repos public. La
statistique criminelle prouve en effet que le degré de criminalité, mesuré par le
rapport des accusés à la population, est de 4 à 5 fois plus considérable dans la
population exotique que dans la population indigène proprement dite, et la pro-
portion est encore plus élevée dans nos départements du Midi, qui donnent refuge
aux Espagnols et aux Italiens.
M. PouPARDiN ajoute que jusqu'à ces dernières années, les étrangers ont absorbé
à Paris une forte part des secours distribués à la population indigente, et cela au
détriment de nos nationaux. Mais il croit savoir que des mesures sont prises pour
remédier à cet abus.
En ce qui concerne les petites communes, M. Cheysson fait ressortir ainsi qu'il
suit leur augmentation constante qu'il attribue avec raison à la désertion des cam-
pagnes.
NOMBRE DBS COMMUNES. 1876. 1881. 1886.
Au-dessous de 100 habitants . . 653 720 768
100 à 200 — ... 3.201 3,484 3,000
200 à 300 — ... 4,573 4,734 4,895
8,520 8,938 9,263
L'honorable membre a dressé un cartogramme d'où il résulte que le plus grand
nombre des communes de moins de 100 habitants se trouvent réparties dans les dé-
partements du Nord-Est, et principalement dans le Doubs et la Haute-Marne. — Il
y a cependant un assez grand nombre de ces communes dans les déparlements du
Sud et du Sud-Ouest.
M. E. Levasseur fait remarquer qu'il y a dans le déparlement de la Haute- Marne
une commune (celle de Morteau, arrondissement de Ghaumonl) composée de 12
habitants seulement, répartis en deux maisons, situées dans une clairière, au centre
d'une vaste forêt, et à une grande dislance de toute autre localité, ce quia empêché
de la réunir à un autre groupe. Dans l'une de ces maisons il y a six habitants dont
l'un est maire de la commune; dans l'autre, il y a quatre hommes qui sont tous
conseillers municipaux, les autres conseillers étant pris en dehors de la commune.
M. DuCROGQ en cite une autre, dans le même déparlement, celle de La Genevroye,
qui n'a que 16 habitants. Quoi qu'il en soit, il regrette de voir s'accentuer la
multiplicité des petites communes, et il persiste à attribuer ce fâcheux résultat à la
loi de 1794 dont il a largement parlé dans une précédente communication, à la-
quelle il y a lieu de se référer.
M. GiMEL regrette que M. Cheysson n'ait pas rapproché le nombre des petites
communes de leur territoire respectif.
D'autres membres auraient désiré qu'on pût établir le classement de ces habi-
tants par sexe, état civil, profession, etc.
M. TuRQUAN qui, de son côté, s'est livré à une analyse minutieuse des résultats
du dénombrement, en ce qui concerne la population légale des communes, dit
avoir fait les mêmes remarques que M. Cheysson. Il compte donner plus tard cer-
tains renseignements statistiques des plus intéressants sur les petites communes; si
la population des communes de l'Est est faible, il en est de même de la superficie,
et la densité de la population «le toule cette région n'est pas de beaucoup inférieure
— 121 —
à la moyenne générale; il est à remarquer que la population se trouve établie de
préférence le long des cours d'eair eldes voies de communication. Dans l'Est de la
France, par exemple dans les déparlements du Doubs, du Jura, de la Marne, de la
Haute-Marne et de la Côte-d'Or, la population moyenne des communes rurales est
de 300 à 400 habitants, alors que la moyenne générale est de plus de 1,000 habi-
tants. En Bretagne, au contraire, une commune rurale a en moyenne 2,000 ha-
bitants. Il est vrai que, dans celte dernière région, la superficie moyenne d'une
commune est beaucoup plus grande (|u'ailleurs. Dans le Midi de la France, surtout
dans la montagne, la population est médiocre, et la superficie très grande; il en ré-
sulte une très faible densité.
M. DucROCQ pense qu'il importe de ne pas confondre la formation des communes,
petites ou grandes, avec la formation des groupements de population, des agglo-
mérations grandes ou petites. Il est bien certain que les circonstances naturelles,
tenant à la constitution géologi(pie du sol, à l'existence des montagnes et des forêts,
au voisinage des cours d'eau, etc., ont joué un grand rôle dans la formation des
bourgs, villages ou hameaux, comme dans la formation des villes. Mais ce sont des
causes d'une autre nature, historiques, législatives et administratives, qui en ont fait
des communes, c'est-à-dire des unités administratives distinctes.
A ce point de vue, on a le droit d'affirmer que la grande cause génératrice des
petites communes en France est l'article 7 de la loi des 22 décembre -8 janvier
1790, portant qu'il y aura une « municipalité en chaque ville, bourg, paroisse ou
« communauté de campagne ». C'est par cette disposition que l'Assemblée consti-
tnante a créé en France 44,000 communes, et que notre pays est devenu un pays
de petites communes. Mais avant 1790, on peut dire que la petite commune n'exis-
tait pas en France, sauf à titre d'exception infinitésimale. La commune y était un
privilège et n'avait pu se former lors de l'émancipation communale des xi" et xii^
siècles que là où les agglomérations avaient été assez puissantes pour obtenir ou
imposer leurs chartes. Même en 1789 les communes étaient peu nombreuses. Dans
de vastes provinces, comme en Poitou par exemple, qui correspond aujourd'hui à
plus de trois départements, il n'y avait que cinq communes seulement, toutes ur-
baines. C'est la loi de l'Assemblée constituante qui a créé les petites communes,
c'est-à-dire transformé en municipalités distinctes les plus petits groupes d'habita-
tions.
M. Ducrocq rappelle qu'en présentant à la Société, en 1886, une statistique des
plus petites communes, il a montré que leur répartition est indépendante des cir-
constances naturelles qui différencient les déparlements. Quelques-uns en ont moins
(|ue d'autres parce que le travail de suppressions et de réunions qui a diminué le
nombre des communes de 8,000 a été plus actif dans certains départements que
dans d'autres.
M. Hennequin dit qu'il ne faut pas confondre les petites communes avec les sec-
tions de communes. Ces dernières sont très rares à l'Est où il y a beaucoup de petites
communes, et très nombreuses au Centre, principalement dans la Lozère, la Creuse,
la Haute-Vienne, et en général dans tous les pays de pâture. Ces sections sont en
général pourvues de biens communaux dont elles sont propiiétaires, et peuvent
vivre indépendamment de la commune à laquelle elles sont rattachées. Il y a, dit-il,
des communes <)ui ont jusqu'à cent sections.
M. Ducrocq constate que la section de commune et la petite commune constituent
— 122 —
deux faits adminislratifs et économiques bien distincts et qui n'ont rien de corré-
latif. La section de commune est une personne civile distincte de la commune,
ayant des propriétés à elle, appelées pour cela biens communaux sedionnaires ;
mais les sections sont administrées par le maire et le conseil municipal de la com-
mune dont elles font partie. Les 80,000 sections de communes qui existent en
France se trouvent surtout dans les départements montueux du Centre delà France
où domine la vie pastorale. On y trouve parfois 10, 20, 30, 36 sections par com-
mune. Aussi ces départements ont peu de très petites communes, au-dessous de
100 habitants. Le département de la Lozère a 1,500 sections pour 197 communes;
le département de la Haute-Vienne, 1,800 sections pour 203 communes ; la Gor-
rèze a 2,500 sections pour 287 communes, et la Creuse a le chiffre énorme de
4,394 sections pour 266 communes seulement.
M. E. Levasseur ajoute quelques observations sur les causes qui tendent à mul-
tiplier les sections, et il les trouve dans la constitution géologique du sol et principa-
lement dans la répartition des eaux.
Cette discussion paraissant épuisée, M. E. Levasseur annonce que l'Institut inter-
national de statistique, dont plusieurs membres de la Société et du bureau font
partie, tiendra sa première session à Rome, du 12 au 16 avril prochain.
Dans ces circonstances, M. le Président demande à la Société de vouloir bien
remettre la prochaine séance au 4* mercredi d'avril. Cette motion est adoptée.
Parmi les communications annoncées se trouvent les suivantes :
Les Excitants modernes (alcool, café, thé et cacao, sucre et tabac), par M. le
D-- Brocb.
Les Transports par voie fluviale, par M. Limousin.
Les Accidents du travail, par M. Duhamel.
Statistique des biens communaux, par M. de Crisenoy.
Il y aura lieu également d'entendre la fin de la communication de M. Fouge-
rousse sur les Sociétés coopératives de consommation, qu'une indisposition subite
de l'auteur ne lui a pas permis de présenter dans la réunion de ce jour.
La séance est levée à 11 heures.
Ouvrages offerts à la Société.
France. — Les Dettes publiques européennes, par M. Alfred Neymark.
Le Polyptyque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, d'après le manuscrit
de la Bibliothèque nationale, par Longnon.
La France et le Canada, par M. Agostini.
Tableaux statistiques de l'épidémie cholérique de 188i à Paris, publiés par
le Bureau municipal de statistique.
Annuaire de l'administration des contributions directes et du cadastre.
Italie. — Les Conditions sanitaires des communes du royaume, 2 vol.
Tableaux de révision des tarifs de douane, 2 fascicules.
Prusse. — Statistique agricole de la Prusse en 1885 (LXXXVIIl).
Norvège. — Annuaire statistique, 6^ année, 1885-1886.
Russie. — Statistique financière de la Russie, par le D' KaufTmann, 4 vol.
Japon. — Rapport de la Commission d'hygiène d'Yeddo sur la dernière épidémie de
choléra.
Documents, Revues et Journaux divers.
— 123 —
II.
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL,
SITUATION FINANCIÈRE DE LA SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DE PARIS.
Rapport présenté, au nom du Conseil, par M. Beaurin-Gressier.
Messieurs,
Comme les années précédentes, un comité spécial a élé chargé par le Conseil de
notre Société d'examiner les comptes de l'exercice écoulé et de dresser les prévi-
sions budgétaires de l'exercice qui commence. Le Conseil a entendu la lecture du
rapport de ce comité, mais il a pensé que vous lui sauriez gré de ménager vos
instants en se bornant à dégager devant vous les chiffres essentiels des comptes
dont il s'agit.
D'après les prévisions du budget de 1886, les ressources avaient été évaluées
pour cet exercice à 20,528^60*^
les dépenses à 20,200 »
laissant un excédent de 328*^00^
Les recouvrements n'ont pas atteint le chiffre prévu; mais les dépenses, d'autre
part, sont restées notablement au-dessous des prévisions inscrites au projet de
budget.
Les recettes effectuées ont été de 14,070 fi\ 50 c; mais, si l'on y ajoute le mon-
tant des recouvrements restant à faire au 1" janvier 1886, soit 3,673 fr., on arrive
pour les ressources au total de 17,743^^50*^
Le mécompte par rapport aux évaluations des ressources provient
principalement :
1° De ce que la subvention de 1,000 fr. que nous alloue depuis
plusieurs années la ville de Paris n'a pu être obtenue en 1886. Nous
espérons qu'il ne s'agit là que d'un ajournement.
2° Du relard apporté dans la publication du volume concernant
notre 25* anniversaire; les ressources que doit fournir la vente de
ce volume et que nous avions inscrites pour une somme de 1,000 fr.
ont dû être reportées à l'exercice suivant.
D'autre part, les dépenses ne se sont élevées qu'à 13,613 35
Cela lient notamment aux diverses circonstances ci-après :
On n'a pas eu à supporter les frais d'acquisition de rentes corres-
pondant à celles des annuités de rachat qui n'ont pas encore été ac-
quittées.
Par suite d'un retard dans la présentation des comptes de l'impri-
meur qui n'ont pas été fournis en 1886, nous n'avons pas eu à faire
face aux frais d'impression du compte rendu de la célébration du
25* anniversaire inscrits au budget pour une somme de 4,000 fr.
Ajoutons que les dépenses ordinaires sont restées au-dessous des
prévisions d'une somme de 2,845 fr. 85 c.
L'exercice écoulé laisse en définitive un reliquat disponible de. . 4,130*^17'^
— 124 —
Nous n'avons pas cru cependant devoir faire figurer dans le bilan l'intégralité de
cette somme au chapitre du capital libre. Quelques-unes des créances dont notre
Irésoiier doit poursuivre le recouvrement et qui remontent aux exercices 1882,
1883, 1884, peuvent paraître douteuses, et nous avons décidé que, par mesure de
prudence et par application d'un principe déjà posé l'année dernière, nous frappe-
rions spontanément cet article d'une dépréciation de 600 fr.
Si on en retranche en outre 670 fr. , correspondant aux annuités de rachat non
recouvrées et qui devront être portées au capital engagé, le capital libre se trouve
réduit à 2,860 fr. 17 c.
ISous n'insisterons pas davantage sur le bilan qu'on trouvera d'ailleurs plus loin,
en même temps que le projet de budget de 1886. Nous dirons seulement quelques
mots de ce projet de budget.
Nous n'avons pas cru devoir, comme les années précédentes, escompter dans nos
prévisions de ressources le recrutement probable de nouveaux adhérents. Nous
avons maintenu pour le produit des cotisations un chiffre un peu inférieur au chiffre
réalisé en 1886. Nous avons agi de même à l'égard des abonnements et subven-
tions. Les ressources ordinaires sont ainsi portées pour 10,825 fr.
Aux ressources extraordinaires, nous avons réduit, ainsi que cela a été dit pré-
cédemment, le montant de l'excédent libre de 1886, et nous l'avons inscrit pour
2,860 fr. 17.
Les rachats de cotisations figurent dans ce même compte pour 3,000 fr., chiffre
correspondant presque exactement au montant de rachat venant à échéance cette
année.
Enfin, nous avons porté en recette une ressource de 2,500 fr. à provenir de la
vente du volume concernant le 25*^ anniversaire.
En y comprenant d'autres recettes moins importantes, dont le détail est donné au
projet de budget, les ressources extraordinaires sont évaluées à 8,610 fr. 15 c.
Les prévisions pour les ressources s'élèvent, en totaUté, à la somme
de 19,435^15'=
Les dépenses ordinaires sont un peu inférieures à celles de l'année
dernière. Nous avons cru devoir réduire légèrement les dépenses
affectées à la publication du Journal, sauf à leur donner plus lard
plus d'extension quand notre budget, dégagé des charges de la publi-
cation du compte rendu du 25* anniversaire, aura repris plus d'élas-
ticité.
Les dépenses ordinaires sont afférentes aux frais de secrétariat, à
l'indemnité du trésorier, à la rédaction et à l'impression du Journal,
au loyer du local des séances, aux frais de convocations et aux con-
férences. Elles s'élèvent à 9,900^
Les dépenses extraordinaires ont pour objets principaux:
les acquisitions de rentes correspondant aux annuités de
rachat, soit 3,000 fr. et les frais d'impression du compte
rendu de la célébration du 25* anniversaire de notre Société
évalués à 5,000 fr.
En y ajoutant les divers autres frais de moindre impor-
tance, et notamment un crédit éventuel de 200 fr. que votre
A reporter 9,900 ^ 19,435 *15<=
— 125 -
♦ Report 9,900 f 19,435 '"15^
conseil a été d'avis de mettre à la disposition de notre pré-
sident pour faire face aux frais louchant à la représentation
de la Société, on arrive pour le montant des dépenses ex-
traordinaires au chiffre de 9,100
Soit en totalité pour les dépenses 19,000*" 19,000 »
Elles laissent sur les ressources un excédent libre de 435*^15*^
Notre projet de budget se présente donc en équilibre et nous venons vous de-
mander de vouloir bien y donner votre approbation en même temps qu'aux comptes
de l'exercice 1886.
Projet de budget pour l'exercice 1887.
I. — RESSOURCES.
A. — Ressources ordinaires.
260 cotisations non rachetées à 25 fr 6,500 ^ »
168 abonnements regnicoles et étrangers 1,880 »
Arrérages de rentes , 945 »
Subvention de la ville de Paris en litige.
Subvention du Ministère de l'instruction publique (con-
tre 25 exemplaires du Journal) 300 »
Subvention du Ministère de l'agriculture 1,200 »
Total des ressources ordinaires 10,825^ »'
B. — Ressources extraordinaires.
Excédent libre de l'exercice 2,860 '"15*^
Rachat de cotisations (y compris les arriérés de 1885
et 1886) 3,000 »
Vente de collections, compte rendu des conférences,
annuaires 250 »
Vente du volume concernant le 25^ anniversaire de la
fondation de la Société 2,500 »
Total des ressources extraordinaires 8,610 15
Total général des ressources 19,435 ''15'
II. — DÉPENSES.
A. — Charges ordinaires.
Secrétariat, procès-verbaux, administration, publication. 1,200*' »
Indemnité au Trésorier 1,200 »
Impression du Journal 5,000 »
Rédaction du Journal 1,000 »
Frais de location et dépenses accessoires des séances. 1,000 »
Frais de convocations, gratifications et divers .... 500 »
Total des charges ordinaires (à reporter) .... 9,900*^
— 126 —
Report 9,900 '^ »<=
B. — Charges extraordinaires.
Bibliothèque, déménagement et confection de l'Annuaire. 800^ »
Frais d'impression du compte rendu de la célébration
du 25^ anniversaire de la fondation de la Société. . . . 5,000 »
Immobilisation pour achat de rente sous forme de ca-
pital engagé 3,000 »
Provision pour imprévu, non-valeurs et divers. . . . 100 »
Crédit éventuel ouvert au Président pour représenta-
tion de la Société 200 »
Total des charges extraordinaires 9,100 »
Total général des charges 19,000 »
Excédent des ressources 435 15
Ensemble 19,435^15
Bilan au 31 décembre 1886.
I. — ACTIF.
1° Rentes.
Emploi du capital engagé:
36 fr. de rente 3 p. 100 952^20=
306 fr. de rente 4 '/, p. 100 7,830 95
555 fr. de rente 3 p. 100 amortissable 14,990 80
Provision à immobiliser en 1887 161 05
Total de la valeur des rentes 23,935^ ))*^
2° Mobilier.
Deux corps de bibliothèque 3,900^ ))*^
Amortissement 390 »
Reste. . 3,510^ y,"
Chevalet, appareil n** 7 pour projections . 100 »
Amortissement 10 »
Reste 90
Total de la valeur du mobilier 3,600 »
3° Débiteurs.
Cotisations et abonnements 2,403 *" s*^
Annuités 670 »
Total des débiteurs 3,073 »
4° Caisse.
Espèces en caisse 457 1 7
A reporter 31 ,065 * 1 7
— 127 —
Report 31,065' 17*
5° Matériel, imprimés.
Collections, numéros dépareillés, comple rendu des conférences de
statistique de 1878, annuaires, évalués 20,000 fr., réduits dans l'inven-
taire à 10,000 »
6" Bibliothèque.
Valeur des livres composant la bibliothèque (pour mémoire).
Total de l'actif 41,065fl7<=
II. — PASSIF.
1° Capital engagé ou de réserve.
Versements effectués pour rachat de cotisations 23,935^ »^
2° Capital libre.
Débiteurs 3,073^ y>'
Espèces en caisse 457 17
Total du capitalllbre 3,530 17
3" Matériel, bibliothèque et mobilier.
Collections, compte rendu des conférences de statis-
tique de 1878, annuaires 10,000^ »
Deux corps de bibliothèque 3,510 »
Chevalet, appareil pour projections, etc 90 »
Total 13,600 »
Total du passif 41,065^17*=
Les conclusions de ce rapport ont été approuvées par la Société dans la séance
du i6 mars d887.
— 128 —
III.
LES CARTOGRAMMES A TEINTES GRADUÉES.
Système de classification à adopte?' pour rendre comparables une série de cartogrammes
exprimant des faits homogènea.
Communication faite à la Société de statistique dans la séance du 17 février 1887
Par M. E. Cheysson, ancien président de la Société.
1° Cartogramme isolé.
Les cartogrammes à teintes graduées sont trop connus pour que j'aie à y insis-
tei\ On sait qu'ils consistent en caries géographiques, dont les divisions régionales
sont recouvertes de teintes, nuancées suivant l'intensité du fait statistique à exprimer.
Ces cartes peuvent être, d'ailleurs, à une ou plusieurs couleurs, la couleur unique
ou les couleurs multiples étant elles-mêmes subdivisées en nuances de manière à
augmenter les ressources dont dispose le dessin.
Une même nuance est afFectée à tous les faits voisins, de même famille, compris
entre des limites déterminées, de sorte qu'un coup d'œil jeté sur la carte montre
immédiatement la répartition géographique du phénomène qu'on étudie, en fait
apparaître les lieux d'élection ou d'affinité et souvent même en révèle les causes ou
les lois.
La difficulté de ces cartogrammes réside dans la classification des faits qu'ils
expriment. Sur ce point, les statisticiens ne sont pas d'accord et chacun d'eux a sa
méthode qu'il préfère.
Supposons qu'on dispose de 7 teintes différentes : il s'agit de distribuer les faits
en 7 groupes distincts, dont chacun sera caractérisé par une teinte spéciale. Gom-
ment délimiter ces groupes?
La première idée consiste à prendre l'écart entre les deux faits extrêmes, occu-
pant le haut et le bas de la liste, et à le diviser en 7 parties égales ; mais elle conduit
dans la pratique à des résultats inadmissibles.
Par exemple, veut-on consacrer un cartogramme à la valeur du centime dépar-
temental. Ses valeurs extrêmes sont:
Pour la Seine, de 538,270
Pour la Corse, de 5,439
L'écart est de . . . . 532,831
Divisé par 7, cet écart donne des échelons de 76,119.
En appliquant cette échelle, on constate que le pi^emier compartiment absorbe, à
lui seul, 80 départements; et le second, le reste, sauf un seul déparlement, celui
de la Seine, qui correspond au dernier échelon. On aurait donc dans ce système la
disposition suivante :
dégroupe 80 départements.
2^ groupe 6
3% A% 5* et 6* groupes .... Néant.
7^ groupe 1 département.
— 129 —
De même, pour la densité des dépp.rtemenls.
Les valeurs extrêmes, rapportées au nombre d'habitants par kilomètre carré,
sont les suivantes :
Seine 5,844
Basses-Alpes 19
Différence 5,825
Les échelons seraient égaux au septième de 5,825, soit à 832.
Avec cette échelle, le 1'"'' groupe comprendrait tous les départements, moins la
Seine renvoyée au 7*^ groupe, et les groupes intermédiaires resteraient vides.
De tels résultais condamnent le système : il est clair qu'une traduction graphique
ne saurait s'en accommoder.
Pour diminuer ces inconvénients, on a proposé de négliger les faits exception-
nels, qui constituent de véritables anomalies et faussent l'écart moyen. Avec ce
palliatif, le système est assurément moins défectueux; mais il est encore loin d'être
satisfaisant. D'abord, il ouvre la porte à l'arbitraire, en faisant porter l'élimination,
au gré du rédacteur de la carte, sur les faits qui le gênent ; de plus, il laisse toujours
subsister, dans une mesure variable avec l'importance de la sélection qu'on a pra-
tiquée, ce groupement dissymétrique, qui parque presque tous les faits dans les
premiers groupes et alimente très parcimonieusement les autres.
Ces défauts tiennent à l'égalité des échelons : on pourra les atténuer par des expé-
dients, mais non pas les supprimer, puisqu'ils sont inhérents au système.
A mon sens, le mode de groupement doit dépendre de « l'allure » de chaque phéno-
mène statistique et se plier à ses exigences. Il faut là un vêtement sur mesure, et non
une de ces « confections » banales, qui, sous pi'étexte d'aller à tout, ne vont à rien.
Pour mettre cette allure en évidence, le mieux est de dresser un diagramme
auxiliaire, où l'on range, par ordre de grandeurs décroissantes ou croissantes,
toutes les valeurs à exprimer. Si l'on réunit d'un trait continu le sommet de toutes
ces ordonnées, on obtient une courbe plus ou moins ondulée. C'est à cette courbe
qu'il faut demander les groupements du cartogramme, en les écrivant en quelque
sorte sous sa dictée.
On s'arrangera pour grouper ensemble les faits qui correspondent à des divisions
très nettes, sans se soucier si les échelons sont égaux ou non. Ils seront ce que
la courbe, c'est-à-dire le phénomène qu'elle incarne, voudra qu'ils soient. On
obtiendra ainsi une distribution des faits rationnelle, harmonieuse, au lieu qu'ils
soient versés pêle-mêle et sans ordre dans des compartiments qui ne vont pas à
leur taille (1).
Ces groupes étant obtenus, on peut les figurer sur la carte, soit par le procédé
monochrome qui est le plus économique en ce qu'il n'exige qu'un seul tirage, soit
par le procédé à plusieurs couleurs, qui est plus expressif, mais plus coûteux.
Dans le système monochrome, les teintes sont graduées par des points ou des
hachures, depuis la nuance la plus foncée jusqu'à la nuance la plus claire. C'est celui
qui est le plus usuel, le plus populaire, et peut-être, en effet, le plus accessible aux
masses. On sait que le baron Charles Dupin l'a adopté, sous la Restauration, pour
(1) M. Toussaint Loua remplace ce diagramme par un tableau qu'il construit très simplement, en ins-
crivant le nom de chaque département, ainsi que le rapport qui lui convient, à la place marquée par
rinter.seclion d'une double rangée de chiffres (de à 9), Tune horizontale, Tautre verticale, formant
comme une sorte de table de Pythagore.
9
- 130 —
sa carie de l'inslruclion primaire, où la teinte était d'autant plus noire que le
département comptait plus de conscrits illettrés. Depuis lors, on en a fait d'innom-
brables applications et notamment dans les beaux albums des ministères de l'inté-
rieur, des finances, du recensement professionnel allemand....
A côté de ses précieux avantages, ce système a un inconvénient : celui de masquer
la moyenne, ou du moins de ne pas la mettre en relief. Ce que recherche surtout
le lecteur d'un cartogramme, ce n'est pas le fait absolu et son taux numérique,
pour lesquels le dessin ne remplacera jamais le tableau ; c'est le fait relatif,
c'est le rapport, c'est surtout l'écart par rapport à la moyenne. En présence d'un
cartogramme qui figure la densité, la mortalité, l'attention se portera de suite sur
les déparlements où la population est la plus compacte ou la plus clairsemée, sur
ceux où l'on meurt plus ou moins qu'en moyenne. La correction, la neutralité, la
médiocrité, se passent de commentaires. Ce qui attire, c'est l'anomalie : elle est
suggestive, provoque la réflexion, et, dès lors, c'est elle que la carte doit signaler
avec une insistance toute particulière.
Pour y parvenir, la meilleure solution est d'adopter un nombre impair de groupes
et de consacrer le groupe du centre à la moyenne et à ses alentours (1). Les grou-
pes supérieurs seront affectés aux faits qui dépassent la moyenne et les groupes
inférieurs à ceux qui ne l'atteignent pas.
Quant aux teintes, elles seront au nombre de 2 ou de 3, suivant qu'on appliquera
une couleur spéciale à la zone centrale ou qu'on la laissera en blanc (2). Les deux
autres couleurs seront réservées: l'une, pour la série des groupes supérieurs à la
moyenne; l'autre, pour la série des groupes inférieurs. D'ailleurs, dans la même
série, les groupes qui la composent seront distingués par des nuances plus ou moins
foncées (3).
C'est dans ce système polychrome que sont exécutées la plupart des cartes à
teintes graduées que contiennent les atlas de M. Levasseur et les albums du minis-
tère des travaux publics.
2° Série de cartogrammes exprimant des faits homogènes.
Quand on n'a affaire qu'à un cartogramme isolé, la question est d'une simplicité
relative, comme on vient de le voir. Mais elle se complique singulièrement, s'il
s'agit d'une série de cartogrammes afférents à des faits homogènes et de même
famille.
Par exemple, on voudra représenter, dans une série de cartes réunies en un
album, l'étendue des diverses cultures par rapport au territoire total, ou bien encore
11) M. Levasseur supprime le groupe central et fait apparaître l'affinité entre les deux groupes qui
encadrent la moyenne, en ponctuant d'un pointillé noir la teinte caractéristique de chacun de ces groupes.
{La Statistique graphique, Jubilée-volume, p. 238.)
(?) Ce dernier système est celui que préconisent M. Loua et Tauteur de cette note. (Voir son travail
intitulé : Lea Méthodes de statistique graphique à TExposition de 1878. — Journal de la Société de
statistique, 1878.)
(3) Ici encore deux systèmes pour les nuances des groupes 5 et 7 (dans le cas de 7 groupes). M. Levas-
seur assigne au groupe 5 la teinte la plus foncée, et la plus claire au groupe 7. L'auteur de cette note
préfère et il a employé dans toutes ses cartes le système inverse, qui proportionne Tintensité de la
nuance à l'écart par rapport à la moyenne, de manière à réserver les teintes les plus fortes aux ano-
malies les plus accentuées.
— 131 —
le rapport des divers effectifs professionnels à la population ; en un mot, la décom-
position d'un chiffre total en ses éléments constitutifs.
Va-t-on procéder, comme dans le cas d'une carte isolée, et traiter chaque carto-
gramme au mieux de ses nécessités graphiques et de ses particularités individuelles,
sans se préoccuper de l'ensemble ? C'est ce qu'on fait d'ordinaire; mais je crois que
ce système soulève de graves objections.
Voici, dans l'album italien du recensement de 1881, deux cartogrammes juxta-
posés sur la même planche et représentant l'effectif: l'un, des moutons; l'autre,
des porcs.
Pour chacun d'eux, les coefficients sont distribués en 8 groupes, caractérisés
par des teintes spéciales et dont les Hmiles sont les suivantes :
POPULATION OVINE
par 100 babitanls.
1" groupe.
2« —
3« —
4e _
5" —
6" —
7e _
Temte I. ,
— II. .
— m.
— IV .
— V. .
— VI .
— VII.
— VIU.
0.1 à
2.4 à
8.1 à
15.7 à
22.0 à
33.7 à
54.0 à
85.0 à
2.3
8.0
15.6
21.9
33.6
53.9
84.9
395.6
POPDIiATION POKCINB
par 100 habitants.
0.10 à
0.74 à
1.23 à
2.47 à
3.10 à
4.10 à
0.73
1.22
2.46
3.09
4.09
5.39
7 39
7.40 à 41^60
o.^
On voit que les mêmes teintes expriment sur les deux cartes des coefficients abso-
lument dissemblables.
Il en est de même pour les cartes professionnelles de l'empire allemand. Je vous
présente deux de ces cartes qui donnent le rapport entre la population totale et celle
des industries textiles, d'une part, et des industries du papier et du cuir, de l'autre.
Les 8 groupes distingués sur ces cartes sont définis comme ci-après :
groupe.
Teinte I.
— II.
III .
IV .
V. .
VI .
VI! .
VIII.
POPULATION PAR RAPPORT
à 100 habitants employés dans les industries
textiles.
à
1 à
5 à
10 à
20 à
50 à
100 à
0.9
4.9
9.9
19.9
49.9
99.9
199.9
200 et 4-
de cuir
et de papier.
5 à 5.9
6 à 7.9
8 à 9.9
10 à 14.9
15 à 19.9
20
30
50
à 29.9
à 49.9
et -h
Ces mêmes désaccords s'accentueront d'autant plus que l'importance relative
des divers éléments du total sera plus différente. Ainsi, dans la reparution de la
population par catégories, il est clair que, si l'on veut épuiser la gamme des
7 nuances pour la carte des médecins comme pour celle des agriculteurs, la teinte
la plus foncée représentera dans cette dernière carte un chiffre 1,000 à 1,500 fois
plus fort que dans la seconde (1).
Cet inconvénient est sérieux. Des cartogrammes, qui traduisent aux yeux la
(t) La proportion des médecins par 100,000 habitants est, en moyenne, de 39; celle des cultivateurs
de 48,800 ou l,-'ôO fois plus forte.
— 132 —
même opération sous ses divers aspects, ne peuvent, sans égarer le lecteur, donner
la même importance graphique à des faits de très inégale intensité. En agissant
ainsi, le statisticien me paraît commettre la même faute qu'un topographe qui, pour
exprimer dans les feuilles d'un allas le relief des diverses parties du territoire,
utiliserait sur chacune de ces feuilles toutes les ressources de ses couleurs, de sorte
que les petits vallonnements de la Beauce prendraient sur la carte de cette contrée
l'aspect des Alpes et des Cordillières. C'est de la géographie à l'usage du souriceau
dont parle la fable :
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux!
Voilà les Apennins et voici le Caucase!
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
D'autre part, si l'on voulait laisser à chaque fait son intensité proportionnelle et
l'exprimer à la même échelle, on se heurterait à des impossibilités graphiques.
Ainsi, pour reprendre l'exemple des médecins et des agriculteurs, en appliquant
aux premiers l'échelle des seconds, il est clair que tous leurs chétifs coefficients
tiendraient dans le premier groupe et que leur carte serait réduite à une seule
nuance, ce qui lui enlèverait tout sens et toute raison d'être. On auiait chaussé des
«bottes de sept lieues», dont les enjambées conviennent à l'envergure de l'Ogre,
mais non à celle du petit Poucet.
Est-on dès lors réduit à l'alternative d'avoir des cartes non comparables, si on
les veut correctes, ou de ne pouvoir les réaliser pratiquement, si on les veut com-
parables ? Je ne le pense pas. Amené en face de ce dilemme par l'étude d'un atlas
de statistique agricole en cours d'exécution, il m'a semblé qu'on pouvait échapper
à la difficulté en substituant aux coefficients absolus leurs écarts par rapport à la
moyenne générale.
Si l'on appelle: d ce coefficient local, m la moyenne générale, l'écart propor-
d — m
lionnel sera e = .
m
Ce sont ces valeurs e que je propose d'exprimer sur le cartogramme à la place
des coefficients absolus d.
On passe d'ailleurs très aisément d'une valeur à l'autre ; connaissant e, on en
déduit d par l'expression très simple '. d = m {\ -\- e).
D'après la loi qui relie ces écarts et ces coefficients, on voit que, si l'on dresse avec
l'un ou l'autre de ces arguments les Ustes des faits par ordre croissant ou décrois-
sant, ces deux listes seront identiques.
La substitution des écarts aux chiffres absolus conserve donc l'importance res-
pective des faits, leur hiérarchie, et permet de retrouver sans peine le fait lui-même
sous l'écart. Mais elle a l'avantage de supprimer ces oscillations si disparates, ces
vastes enjambées, qui se refusaient à une traduction comparable. Qu'importe dès
lors que, eu égard à la population totale, les effectifs des médecins et des cultiva-
teurs soient extrêmement inégaux, si leurs écarts proportionnels sont de même
ordre et de même grandeur? On peut ainsi adopter la même échelle d'écarts pour
ces deux cartes sans rencontrer de difficulté graphique, tout en les laissant rigou-
reusement comparables. La même teinte exprimera sur chacune d'elles, non le
même chiffi*e absolu, mais le même écart par rapport à la moyenne.
Du moment où l'on applique à toutes les cartes de la série la même échelle
— 133 —
d'écarts, on n'est plus maître de sujvre pour chacune d'elles le groupement le plus
rationnel, la classitication idéale, (elle qu'elle résulterait des principes exposés au
début. 11 faut recourir ici à ces « règles de fausse position », c'est-à-dire à ces com-
promis <jui concilient le mieux possible tous les intérêts en présence, sans en satis-
faire aucun pleinement, mais sans en sacrifier aucun.
Voici la manière pratique dont on peut procéder pour obtenir ce résultat:
S'il s'agit, par exemple, de cartogrammes départementaux, on commence par cai-
culei-, pour tous les départements et pour chaque carte, leurs écarts proportionnels;
on assigne à chaque département son numéro d'ordre, de à 87, el à chacune des
cartes de la série, sa lettre d'ordre caractéristique.
On écrit ensuite au-dessous l'un de l'autre, dans une colonne verticale à gauche
du tableau, tous les écarts proportionnels entre lesquels se meut le fait, considéré
sous les divers aspects que doit successivement figurer la série des cartogrammes
à construire.
Ces écarts décroissent depuis leur valeur positive extrême jusqu'au zéro qui
occupe le centre du tableau, puis ils croissent au-dessous de zéro jusqu'à leur plus
grande valeur négative.
En regard de chacun de ces écarts, on trace une ligne horizontale, et l'on achève
le quadrillage par des lignes verticales équidistanles, de manière à figurer une
série de petites cases, toutes prêtes pour les inscriptions que va recevoir le tableau.
On appelle alors, un à un, tous les écarts calculés pour la première carte, la carte a,
el l'on inscrit le numéro de chaque département sur la ligne horizontale qui corres-
pond à son écart proportionnel, en affectant son numéro de l'exposant a. Par
exemple, si cette première carte doit représenter la répartition de la superficie
ensemencée en céréales par rapport au territoire, et si, pour le déparlement de
la Nièvre, qui a le n° 57, l'écart proportionnel est + 37 p. 100, nous inscrirons
57 « en regard de l'écart -h 37.
En opérant de même pour tous les départements et pour toutes les cartes, nous
arriverons à former un tableau sur lequel tous 1*js écarts seront figurés à la fois en
nombre et en altitude. Il devient dès lors facile de les répartir entre les 7 groupes
qui paraissent le mieux correspondre à la généralité des cas.
Une fois ce tableau dressé el le groupement arrêté, il ne reste plus qu'à construire
les divers cartogrammes de la série, en appliquant à chaque division géographique,
c'est-à-diie à la surface de chaque département, la teinte qui caractérise son
écart et en y inscrivant cet écart lui-même avec son signe (1).
L'étude d'un atlas ainsi construit, où toutes les cartes auront la même significa-
tion, me paraît beaucoup plus instructive que celle de ces atlas où chaque carte
a son individualité, mais ne souffre aucune comparaison avec celle qui la précède
ou qui la suit.
Si deux cartogrammes voisins A et B expriment deux ordres de faits qui n'ont
pas même allure, si, par exemple, le premier n'a que des variations insignifiantes,
(t) Pour faciliter la conversion des écarts e en coefficients absolus 7n, on peut, en regard des signes
conventionnels de la carte, indiquer à la fois les limites de e et de m correspondant h chaque teinte ou
nuance, et ajouter i la légende une échelle graduée, d'un côté, en écarts, et de l'autre, en coefficients
absolus, semblable à celle d'un Ihermomètre avec sa double graduation en degrés Reaumur et degrés
centigrades.
— 134 —
contenues de pari et d'autre de la moyenne dans une zone étroite, pcnJant que le
second ordre de faits a une grande amplitude d'oscillation, le carlogramme B utili-
sera les 7 teintes, pendant que le carlogramme A se réduira aux groupes et aux
teintes du centre, sans tirer parti des teintes extrêmes.
Un simple coup d'œil jeté sur ce dernier carlogramme préviendra le lecteur qu'il
s'agit d'un phénomène peu accidenté, tandis que la carie B en représentera un à
ondes plus accentuées, de même que sur une carte à courbes de niveau, leur rap-
prochement ou leur espacement définissent le relief du sol et le mettent pour ainsi
dire sous les yeux du lecteur.
Le système des cartes comparables, basées sur les écarts proportionnels, n'est pas
autre chose que l'extension et le développement logiques des principes qui ont
inspiré le système polychrome à deux teintes de part et d'autre de la moyenne pour
le carlogramme isolé (voir ci-dessus p. 130). Il participe donc aux mêmes avantages :
il parle à l'esprit en même temps qu'aux yeux; il signale l'anomaUe au lecteur; il le
force à s'étonner, à chercher, à réfléchii'; il appelle des comparaisons entre les divers
aspects d'un même fait; il rattache par un lien étroit tous les feuillets du même
atlas, qui s'éclaiient l'un l'autie, au lieu qu'ils soient une simple juxtaposition de
feuilles volantes, dont chacune a son échelle et sa langue, et qu'il faut bien se garder
de consulter à la fois, par crainte des pièges où cette discordance pourrait vous
faire tomber.
En résumé, si pour le carlogramme isolé, c'est le système à deux teintes graduées
de part et d'autre de la moyenne qui est le plus rationnel, ce sont aussi les écarts
proportionnels par rapport à la moyenne qu'il convient de donner comme base à
la construction de ces cartogrammes en série, qui se rattachent à un même ordre
de faits. En adoptant pour toutes ces cartes une même gamme d'écarts, on arrive,
quelle que soit la différence de leurs chiffres absolus, à les rendre toutes exactement
comparables entre elles, au grand profit de leur clarté et de leur utilité pratique.
E. ClIEYSSON.
IV.
QUELQUES DONNÉES STATISTIQUES MONTRANT LE PROGRÉS DES CAISSES
d'épargne en EUROPE ET AUX ÉTATS-UNIS.
Les données statistiques suivantes sont extraites de YEtude historique, adminis-
trative et statistique des caisses d'épargne dans les divers Etats du monde civilisé,
qui m'a été demandée pour le Dictionnaire des Finances, publié sous la direction
de M. Léon Say. Cette étude fait partie des travaux d'histoire, de légistation, d'ad-
ministration et de statistique préparés depuis 1883 par nos associés d'Europe et
d'Amérique, pour la troisième session du Congrès scientifique universel (juinquen-
nal des insiilutions de prévoyance, ijui aura lieu les 1"-7 juillet 1889, année de
l'Exposition universelle de Paris.
A la première session de ce Congrès, en 1878, sous la présidence de M. Hipp.
Passy, 630 documents, de tous les pays d'Europe, des Etats-Unis, du Brésil etd'Au-
tricbe, fiu'ent envoyés au Congrès; à la seconde session, en 1883, sous la présidence
I
— 135 —
de M. Léon Say, 2,520 rapports, mémoires et autres documents furent reçus des
mêmes pays et de quelques autres (Canada, Mexique, République Argentine); ces
documents, déposés et classés dans les archives du Congrès à Paris, sont constam-
ment visités par des hommes d'État, savants et administrateurs, étrangers et fran-
çais. Celte masse de documents s'augmente sans cesse, dans l'intervalle des sessions,
par des envois de publications nouvelles. C'est là le fonds, liche et de bon aloi, de
nos éludes, qui sonl surtout des études expérimentales basées sur l'observation des
faits sociaux.
Les membres du Congrès les plus attachés à ces études (la Société et le Congrès
comprend 300 Français et 450 étrangers) ont eu la pensée pour la session de 1889
de donner plus d'importance dans leurs mémoires à la partie historique, de manière
à montrer les origines et les développements, à travers le temps, de chacune des
institutions de prévoyance, soit dans leur pays respectif, soit dans l'ensemble du
monde civilisé, depuis le milieu du siècle dernier où la plupart de ces institutions
ont pris corps en des organisations méthodiques, et même depuis la fin du xvi^ siè-
cle, époque où quelques hommes d'État et de science ont distingué pour la première
fois les classes ouvrières des classes indigentes, jusque-là confondues dans ce qu'on
a[)pelait la masse du peuple; et ce fut alors que des institutions économiques,
propres spécialement à aider les ouvriers (on disait : les mercenaires, les paysans)
furent suggérées à côté et à part des institutions charitables, faites pour secourir
par l'aumône les indigents. « A l'indigent, l'assistance charitable; à l'ouvrier, l'aide
économique », tel fut le principe nouveau entrevu par ces éminents penseurs, esprits
afiiiiés et fortifiés par les luttes du xvr siècle, et qui auraient peut-être résolu bien
des questions de profonde portée sociale si à la mort d'un de leurs chefs, Henri IV,
la politique personnelle n'avait repris empire, arrêté le sage mouvement des amé-
liorations populaires, et ajourné ces progrès pour près de deux siècles.
Celle des institutions économiques populaires qui s'est le plus développée et
perfectionnée, qui aujourd'hui a ralhé partout le monde civihsé le plus grand nom-
bre de clients et met en œuvre la plus grande somme de la fortune du peuple, c'est
la Caisse d'épargne. Projetée en un plan très précis, en 1611, à Paris, par Hugues
Delestre, docteur ès-droicts, lieutenant civil, conseiller royal; organisée en 1778, à
Hambourg, par la Société Hambourgeoise des arts et industries utiles {Hambur-
gische Gesellschaft zur Befôrderung der Kûnsle und nûtzlichen Gewerbe), fondée
en 1765; propagée delà dans quelques États de l'Europe comme institution privée;
élevée en 1817 au rang d'institution sociale publique par un act du Parlement bri-
tannique; acclimatée dès lors assez rapidement en France, en Allemagne (1818) et
dans le reste de l'Europe, — la Caisse d'épargne est devenue comme un organe
nécessaire de tout État civilisé. Mais c'est surtout en Angleterre qu'elle a reçu les
améliorations les plus heureuses, au moyen de lois d'organisation et de procédés
de fonctionnement et de contrôle remarquables par la sûreté, la facilité et la préci-
sion des opérations, et par les résultats. Dans ces dernières années, la France s'est
appliquée, après l'étude comparée des divers pays, à adopter ces améliorations;
elle y a ajouté quelques services tout nouveaux, tels que la Caisse d'épargne sco-
laire ; celte institution toute moderne et française, essayée pendant quarante ans,
depuis 1834, en plusieurs localités de France et d'Europe, a pris enfin, depuis 1874,
une organisation déterminée et une extension qui en a fait aujourd'hui une branche
auxiliaire d'éducation, officiellement inscrite depuis 1879 dans le système de l'en-
— 136 —
geignement primaire en Fjance, une sorte d'exercice préparatoire à toutes les
institutions de piévoyance.
Les efforts réussis de la France depuis douze ans, pour les institutions d'épargne,
ont déterminé dans la plupart des pays civilisés une véritable émulation par des lois
nouvelles, par des organisations plus nombreuses et mieux réglées. Et voici, à
grands traits statistiques, les résultats, sans précédent, de ce grand mouvement de
progrès sociaux.
Le tableau suivant concerne quinze Etats de l'Europe, formant actuellement une
population de 192 millions d'habitants (quatre Etats assez bien dotés de caisses
d'épargne, mais qui n'ont pas fait de statistique récente n'ont pu y être compris) :
Dans ces 15 Etats, on comptait (je donne ici les chiffres ronds pour faciliter la
mémoire : le détail est donné dans mon travail, dont les parties relatives à 1874 et
1878 ont paru dans \e Journal des Économistes de 1876 à 1880) :
En 1874, 31 décembre : 12 millions de déposants et 7 milliards de francs en
dépôt;
En 1878, 31 décembre : 16 millions de déposants et 9 milliards 400 millions de
francs en dépôt;
En 1883, 31 décembre: 21.4 millions de déposants et 12.6 milliards de francs
en dépôt.
Le progrès de 1874 à J883 est considérable, si l'on réfléchit que l'institution
avait mis plus d'un demi-siècle pour arriver, en 1874, à 12 millions de déposants
et 7 milliards de francs de stock en dépôt, et que dans ces neuf dernières années,
le nombre des clients s'est étendu de 12 à 21 millions, et le stock, de 7 à 12 mil-
liards et demi de francs.
Au cours de cette période, la France (population : 37.6 millions d'habitants), qui
était fort en arrière, a atteint et dépassé même l'Angleterre (j'entends le Royaume-
Uni) [35.2 millions d'habitants].
Angleterre {old et post = Savings Banks).
MILLIONS
DEPOSANTS. ^^ f^^„^.
Sa la fin de l'exercice 1874 . . . 3,134,871 \ '^-^g '|.
1,614 total,
\ \ 106 old
_. - 1878. . . 3,408,466 'foO pos't.
le nombre 1
des déposants./ _Mbb_tolal.
1,200 old.
1883. . . 4,671,826 j \f^l;[%
2,244 total.
France.
DEPOSANTS.
132 p. 100
à la fin de l'exercice 1874. . . 2,170,066 573,498,967
I — 1878. . . 3,173,721 1,016,166,402
iOQQ ^ 4,562,452 1,81 G, 451, 452 anciennes caisses.
l«8d. . .j 375 838 77,431 ,414poslalesurganisécs
Iel"janv.i882.
4,938,290 1,893,882,806
- 137 —
Gomme le maximum légal est de 5,000 fr. en Angleterre et de 2,000 Çv. seule-
ment en France, on ne peut comparer exactement les deux pays au point de vue du
stock des dépôts. ^
Notons seulement les deux stocks : à la fin de l'exercice 1883, en Angleterre,
le stock de toutes les caisses d'épargne était de 2,244 millions de francs; en France,
1,893 millions de francs, dépôts qui, en Angleterre et en France, sont exclusive-
ment placés (en vertu des lois ou ordonnances édictées depuis 1817 et 1818) en
valeurs d'Etat ou valeurs garanties par l'Etat, pour la plus grande sûreté possible
des épargnes ou peuple; ce qui d'ailleurs procure et assure à l'Étal des acquéreurs
permanents et croissants des rentes publiques, au grand avantage du crédit de
l'État, base du crédit public. C'est ce que faisait observer M. Gladstone, lors de sa
dernière conversion du Trois consolidé, en attribuant à l'afflux permanent et crois-
sant des fonds d'épargne dirigé par le National Debt office sur les rentes d'Etat,
l'élévation constante des cours jusqu'au pair de 100 pour le 3 p. 100.
— Aux Etats-Unis, on comptait :
En 1876, 44 millions d'habitants : 2,400,000 déposants avec 4 milliards 392 mil-
lions de francs en dépôt ;
En 1882, 53 millions d'habitarits : 2,600,000 déposants avec 4 milliards 983 rail-
lions de francs en dépôt.
Il faut noter que les caisses d'épargne des États-Unis ont un maximum légal de
dépôt qui va de 5,000 à 25,000 fr., bien supéiieur au maximum d'Europe : ce qui
explique les énormes stocks que nous venons de relever.
Nous devons dire que les caisses d'épargne sont presque toutes concentrées dans
8 Étals, les Étals de l'Est, comme d'ailleurs les autres institutions de prévoyance.
Ges 8 Étals, les plus avancés en instruments de civilisation, représentent le cin-
quième de la population totale des États-Unis, et ils possèdent les neuf dixièmes des
déposants de toute l'Union.
Eu égard à la population, qui, de 1876 à 1883, s'est accrue de 44 millions à
53 millions d'habitants, le nombre des déposants et le stock sont en décroissance:
ce qui est attribué par les superintendents des Sauings Banks des États, dans leurs
rapports annuels, aux faillites nombreuses des caisses d'épargne par suite de leurs
placements.de fonds en valeurs fructueuses en apparence, mais peu sûres: d'où
les vœux exprimés par les rapports officiels de ces superintendents : que la loi
prescrive désormais les placements exclusifs en valeurs de tout repos, en valeurs des
Élals ou en valeurs garanties par les Étals.
— Pour l'institution des caisses d'épargne scolaires en France, on comptait (les
données statistiques sont de janvier) :
NOMBRR STOCK
des écoliers des épargnes à la
épargnants. date du relevé.
En 1874 = 7 caisses d'épargne scolaires (janvier). fr«„cs
En 1877 = 8,033 143,272 = 2,984,352
En 1880 = 14,372 304,845 = 0,403,773
En 1883 = 19,433 395,865= 9,004,583
En 1880 = 23,980 491,160= 11,943,268
En Italie, nous trouvons (rapports de M. Bodio) 3,456 caisses d'épargne scolaires
(le nombre des livrets n'est pas marqué pour toutes les écoles).
En Hongiie, M. Franz Weisz nous indique 691 caisses d'épargne scolaires, dont
— 138 —
517 recensées en 1885, présentent 23,494 écoliers épargnants avec un stock en
dépôt de 381,185 fr.
En Allemagne, M. le pasteur Senckel fait rapport sur 717 caisses d'épargne sco-
laires, avec 54,850 écoliers épargnants, ayant un stock en dépôt de 673,750 fr. Un
notable mouvement de propagande s'est produit dans toute l'Allemagne à la suite
de la lettre où le Chancelier de l'Empire, M. de Bismarck, après enquête sur les ré-
sultats éducatifs des caisses d'épargne scolaires, a recommandé énergiquement
celte institution comme « la base éducative de la vie réglée, de la saine vie écono-
mique du peuple >.
En Angleterre, le dernier rapport du département de l'Éducation donne 2,102
caisses d'épargne scolaires, dont 74 à Liverpool avec 10,921 écoliers épargnants, et
68 à Birmingham, avec 9,200 écoliers épargnants. Depuis l'année dernière, un
comité spécial s'est constitué pour propager, dans tout le Royaume-Uni, cette insti-
tution à l'égal de ce qui s'est fait à Liverpool et à Birmingham et par émulation de
la F'rance. Une grande assemblée, composée de membres du Parlement, d'admi-
nistrateurs de caisses d'épargne, de professeurs et de pasteurs, s'est tenue à Liver-
pool le 7 janvier dernier pour constater les résultats éducatifs de l'institution nou-
velle. Dans cette réunion, l'évêque de Liverpool a fait l'éloge de la France sur le
domaine des institutions de prévoyance, et il a rappelé les trois célèbres maximes
d'ordre moral et économique de John Wesley : Travailler autant qu'on peut; épar-
gner autant qu'on peut, et donner autant qu'on peut. Un autre rapporteur, M. Sa-
muel Smith, membre du Parlement, a dit : « Le fait d'épargne de la part de nos
enfants est un acte de sacrifice; et toutes les grandes choses se font par la vertu
d'un sacrifice. L'exercice d'épargne forme ainsi des énergies morales qui, dans la
vie de l'adulte, se reliouvent décuplées, et dont la somme constitue la force de
travail, de résistance à l'extravagance, de dévoûment, de la nation. Et c'est pourquoi
je félicite la ville de Liverpool de donner ainsi aux autres parties du pays, par ses
caisses d'épargne scolaires, cet exemple d'un système d'éducation qui élève le niveau
moral des citoyens. »
— Au Brésil, l'institution des caisses d'épargne scolaires, expérimentée depuis
1878, surtout dans les provinces de Rio-Janeiro et de Pernambuco, vient d'être
inscrite parmi les exercices réguliers des écoles dans un nouveau règlement général
de l'enseignement édicté par le président de la province de Pernambuco. L'exposé
des motifs de ce statut brésilien porte : « Entre les principales dispositions, que le
nouveau règlement consolide et classe, figurent celles relatives aux caisses d'épargne
scolaires, institution de grande valeur éducative, et qui, malgré les obstacles qui
lui ont été suscités en quelques pays, même en France, va produisant partout de
bons fruits, et devient partie intégrante et de première importance dans les matières
qui font la véritable éducation économique et civique. »
— De même, aux États-Unis, un comité comprenant des membres du Congrès (Par-
lement) des États-Unis et des législatures des États, des professeurs et des adminis-
trateurs de caisses d'épargne, s'est formé récemment dans un but analogue. Un
tract, résumant, en anglais, nos publications sur cette institution, vient d'être distri-
bué en grands nombres dans tous les États de l'Union, où la presse agit aussi pour
seconder ce progrès avec la puissance dont elle est douée, surtout dans ce pays.
A. DE M AL ARC E.
- 439 —
«
V.
BIBLIOGRAPHIE.
1. — Die Bevolkerung von Frank furt a. M. im XIV. und XV. Jalirhundert (la
population de Francfort aux xiV et xv* siècles), par le D' Garl Bûcher, profes-
seur à l'Université de Bâle.
Les indications sur le chiffre des habitants que renfermaient les villes au moyen
âge, sont assez maigres et souvent contradictoires. On ignorait alors les raffine-
ments de la statistique ; il n'y avait pas de commissions de recensement, fonction-
nant tous les cinq ou six ans et posant aux habitants toute une série de questions,
dont quelques-unes sont oiseuses. On s'inquiétait seulement du nombre des con-
tribuables, et, si la ville était assiégée, on faisait le compte des bouches à nourrir,
afin de comparer les ressources en vivres et le nombre des consommateurs. On
possède passablement de rôles de contribuables dans les archives municipales;
quelques villes même, comme par exemple Nuremberg, assiégée en 14-49, ont
conservé la liste des personnes enfermées par l'ennemi dans leurs murailles. Les
historiens et les stalisticiens qui se piquent d'exactitude, en sont réduit souvent à
des règles de trois; connaissant plusieurs éléments constitutifs de la population, ils
s'efforcent de dégager l'inconnue et d'arriver à un total probable. M. Jaslrovy*' a
publié récemment une étude sur l'état actuel de la question, sur la méthode à
employer, sur les sources à consulter. Il indi(jue en passant les modifications sur-
venues dans la distribution de la population dans les villes d'Allemagne; pendant
un temps, les cités les plus florissantes se trouvaient dans la vallée du Rhin, Bâle,
Slrasboui'g, Spire, Worms, Mayence, Francfort, Cologne. Aujourd'hui, les grands
centres de population se sont déplacés; ils sont au Nord, à Hambourg, Berlin,
Breslau.
Les historiens d'il y a 30 ans se montraient généreux dans les chiffres; Arnold
évaluait à 60,000 ou 100,000 le nombre des habitants dans les villes épiscopales.
Depuis lors, on est devenu plus modéré, les documents découverts y obligent
d'ailleurs. D'après Hegel, Nuremberg n'avait que 20,000 habitants au xV siècle,
d'après Schonberg, Bâle 15,000, d'après Bûcher, Francfort 9,000 à 10,000; un
travail récent de Hegel ne donne à Mayence que 5,000 à 6,000 habitants.
M. Bûcher, qui occupe à Bâle la chaire d'économie poUtique et de statistique,
s'est livré pendant de longues années à des lecherches sur la population de Franc-
fort au moyen âge. La science économique lui est venue en aide, elle lui a fourni
des points de vue nouveaux et intéressants; elle a éclairé d'un jour particulier les
documents conservés dans les riches archives de l'ancienne ville libi'e, ainsi que
les descriptions des anciens chroniipieurs. M. Bûcher ne s'est pas borné à faire de
la statistique, il a voulu reconstruire l'organisation sociale tout entière, reconstituer
le tableau de la ville au xiv* et au xv^ siècle. On trouve dans son volume des ren-
seignements curieux et pittoresques sur les bourgeois, les artisans, le clergé, les
juifs. M. Bûcher a eu la bonne fortune de pouvoir se servir des lôles nominatifs,
s'élendanl prescjue sans interruption sur toute la période qu'il a embrassée dans
ses éludes. Les juifs ont payé une redevance à l'Empereur. Le chef de l'Empire,
— 140 —
dans des moments de gêne financière, a emprunté de l'argent à la ville de Franc-
fort, sur hypothèque de cette redevance ; plus tard, la ville l'a achetée. La redevance
des Israélites était l'équivalent du droit de résider dans la ville et d'y exercer le
commerce des capitaux. C'était presque un droit de patente, dont l'assiette a vaiié
à diverses reprises et qui à certains moments a eu les allures d'un impôt sur le
revenu. Au début, le taux de la redevance a été fixé individuellement; le chef de
chaque famille faisait un arrangement spécial avec la ville. Les autres membres de
la famille, vivant sous le même toit, les fils adultes ou les gendres ne payaient rien.
On voit l'autorité locale faire des efforts pour les assujettir à l'impôt, dont les fonc-
tionnaires inférieurs du culte demeurent exempts. On a conservé les listes des im-
posés, avec leur nom et le montant de la taxe. Grâce à cela, on peut être fixé sur
le nombre des ménages vivant à Francfort, et ici encore, on est surpris de la diffé-
rence entre la réalité et la légende. La communauté Israélite n'est pas nombreuse,
bien que la ville de Francfort, malgré des troubles passagers, leur offrît un séjour
relativement supportable.
De 1360 à 1410, le nombre des ménages juifs imposés s'élève de 11 à 19, la
taxe varie entre 18, 29 et 13 florins. De 1410 à 1460, nous voyons les ménages
descendre de 10 à 7, l'impôt monter de 28 à 48 florins. Dans la partie finale du
xv" siècle, les ménages deviennent plus nombreux; il y en a 16 en 1500 et la rede-
vance est de 46 florins. Vers 1460, on les enferme dans le Ghetto, qui, grâce à ses
murailles, leur offrait une certaine sécurité, et que leurs contemporains avaient
pourvu d'un temple, d'un bain et d'une salle de danse. Les maisons en appartenaient
à la ville; elle en percevait le loyer. M. Bûcher s'est servi également de trois listes,
confectionnées à trois reprises (1430, 1447, 1473); d'après ses suppositions, elles
auraient été dressées pai' le juge du district oùse trouvait le Ghetto, et elles auraient
eu pour objet de contrôler les israélites autorisés à établir leur domicile. Nous
voyons, en 1431, 102 israélites répartis en 14 ménages, 83 individus et 13 ménages
en 1447, 146 personnes et 22 ménages en 1473; parmi ceux-ci figurent 15 israé-
lites étrangers. Les femmes prédominent dans la proportion de 140 femmes pour
100 hommes; c'est un fait qu'on rencontre souvent dans les villes au moyen âge,
mais pour la population chrétienne, l'écart est moins considérable. M. Bûcher cons-
tate un grand nombre de serviteurs et deservantes; quelques ménages en ontdeux
ou trois. Il se demande si des israélites étrangers, associés avec les Francfortois, ne
figuraient pas comme serviteurs sur les listes, afin de pouvoir séjourner dans la
ville. Parmi les habitants juifs, nous rencontrons un certain nombre d'étudiants —
ce sont probablement des enfjnts ou des jeunes gens qui venaient s'instruire dans
la religion. Les étudiants payaient une redevance à la ville. En 1429, Maître Simon
de Nuremberg reçut la permission d'avoir vingt étudiants.
En 1694, il y avait 415 familles, en 1703, 436 dans la Judengasse. Ces 436 fa-
milles représentaient 2,364 personnes, dont 838 étaient mariées, 1,088, des enfants,
358, des serviteurs, 3, des percepteurs. En 1817, le nombre des israélites s'élevait
à 4,309. Il dépasse aujourd'hui 15,000 et représente le dixième de la population.
Le chapitre que M. Biicher consacre à l'activité des juifs est fort intéressant. Il
montre que, jusqu'au xvii* siècle, leurs affaires sont toutes financières : ils se bornent
à prêter de l'argent à intérêt. Quel|ues-uns d'entre eux exerçaient la médecine,
mais c'est l'exception. Dans les nombreux documents des archives francfortoises, on
rencontre un seul artisan Israélite, un teinturier, de 1489 à 1500 : l'usure lui est
— 141 —
spécialement interdite. Dans la rue aux Juifs, il y avait cependant un hôtelier qui
gérait l'auberge construite par la ville.
En 1390, le roi Wenzei fit remise aux débiteurs chrétiens de ce qu'ils devaient
aux israéliles. Les débiteurs réclamèrent aussitôt les gages, les titres de créance, et
le Conseil de la ville de Francfort se chargea de la liquidation pour ce qui concer-
nait les juifs de la ville. Il existe deux pièces se rapportant à cette opération; ellos
sont précieuses par la lumière qu'elles jettent sur la qualité des débiteurs, sur la façon
de procéder des prêteurs. La plupart des emprunteurs appartiennent à la noblesse
(lu voisinage; on rencontre sur la liste l'archevêque de Mayeucc, des chanoines des
chapiires de Worms et d'Aschaffenbourg. Ils ont donné en gage les objets les plus
divers: casque en argent, chaîne d'or, manteau gris, toile de ménage, diamant,
saphir, missel, etc. Les artisans de la ville figurent également avec du drap, des
souliers, une livre de fer. Les créanciers sont au nombre de 27, dont 4 femmes.
La somme totale s'élève à 15,805 florins, plus 47 créances dont le montant n'est
pas indiqué. Zornline, veuve de Fifelin de Dieburg, et ses fils, perdirent plus de
8,000 florins par cette confiscation. Le taux d'intérêt pour les débiteurs bourgeois
était de 43 p. 100 l'an, d'après M. Biicher, — il n'y avait pas de limite pour les
étrangers.
Les Israélites restaient souvent propriétaires du gage, et ils profitaient des foires
pour revendre les objets. Il leur était interdit de prêter sur engagement de vête-
ments sacerdotaux, d'armures, d'habits mouillés ou ensanglantés, et d'acheter ces
objets ; leurs opérations devaient se faire en plein jour et les portes ouvertes.
iM. Bûcher pense que, jusqu'à la fin du xiV siècle, les juifs auraient pu se livrer
à toutes les occupations, mais ils ont préféré avancer des capitaux à gros intérêt et
ils ont dû en supporter les conséquences. A dater du xv!*" siècle cependant, ils com-
mencent à faire le commerce. En 1694, sur 415 ménages, 109 font la banque,
106 vendent des vêlements, boulons, cordons, rubans, 24 de l'épicerie ou des vic-
tuailles, 14 des peaux et des plumes, 5 du vin, des fruits. A cette époque, la Juden-
gasse renferme 7 bouchers, 3 hacheurs de viande et 3 boulangers.
La communauté Israélite de Francfort était la première de l'Allemagne au
moyen âge, comme il résulte d'une pièce conservée dans les archives et indiquant
un impôt extraordinaire prélevé en 1491 par l'Empereur sur les Israélites. Franc-
fort doit payer 600 fl., Worms 400 fï., les villes d'Alsace 100 fl., Schweinfurt
100 fl., Wetziar 30fl.
M. Bûcher arrive à la conclusion qu'au xiv^ et au xv'' siècle, les israéliles étaient
répandus sur toute l'Allemagne de l'Ouest et du Centre. Ils y avaient formé un
réseau dont les villes étaient les nœuds. Au Midi et à l'Est, ils étaient beaucoup
moins nombreux, et au Nord ils n'avaient apparu que sur quelques points. Les
israéliles, d'après une ancienne opinion, seraient venus de France en Allemagne :
les études de M. Bûcher l'ont amené à croire qu'il y a du vrai dans celte
hypothèse.
Le volume que nous avons sous les yeux a plus de 730 pages. Il sera suivi d'un
second aussi considérable. C'est un véritable monument de patientes recherches
et parfois aussi de conjectures hasardées, que M. Bûcher a élevé à l'ancienne ville
fibre.
A. Raffalowicii.
— 142 —
2. — L'Ancienne Civilisation au Mexique.
{" L'Art mexicain, composé par le Père Antonio Del Rincon, de la Compagnie de Jésus,
dédié à l'illustrissime et révérendissime seigneur don Diego Romano, évêque de Tlascal-
lan, membre du Conseil de sa Majesté à Mexico en la demeure de Pierre Bailli 1595.
Réimprimé en 1885 par les soins du D' Antonio Peflafiei, chargé de la direction géné-
rale de la Statistique du Mexique. 1 vol. in-4''.
2° Catalogue alphabétique des noms de lieux appartenant à l'idiome nahualt.
Étude sur les hiéroglyphes du registre matricule des Tributs du recueil de Mendoce,
par le D' Antonio Penafiel, directeur général de la Statistique de la République me,xi-
caine, membre de plusieurs sociétés scientifiques nationales et étrangères.
Dessins tirés des antiquités mexicaines de lord Kinsboi'ough, par M. Domingo Carrai
et gravés par M. Antonio H. Calaviz.
Imprimé sous la direction du général Carlos Pacheco, secrétaire de la Société d'encou-
ragement.
Avec atlas in-4° de 28 planches représentant 336 dessins d'hiéroglyphes, 2 vol. in-l".
3° L'Art de la langue tarasca, arrangé avec nouveau style et clarté nouvelle, par le
R. P. M. Fr. Diego Basalenque, de l'ordre de notre père saint Augustin, provincial de la
province de Michiacan et son chroniqueur.
Publié par le R. P. M. Fr. Nicolas de Quexas, provincial de ladite province, qui l'a
dédié à la sanctissime et sérénissime Marie, reine des Anges, avec permission, à Mexico,
par François Caldérin, l'an ITH. Revu et réimprimé en 1886 par les soins du D' Antonio
Peflafiei. 1 vol. in-4°.
Tels sont les litres des 4 volumes in-^*^ publiés en langue espagnole, et que nous
sommes chargés de présenter aux membres de la Société de statistique.
Ces travaux apportent à l'ethnographie, à la géographie ancienne et à la linguis-
tique de cette partie de l'Amérique, qui constitue aujourd'hui le Mexique et l'Amé-
rique centrale, des éléments, sinon tous absolument nouveaux, du moins coordonnés
et bien présentés au public savant.
Us sont le résultat de ce mouvement scientifique d'investigation et d'études qui
se développe aujourd'hui dans les deux mondes, et au(ïuel l'histoire de l'humanité
est redevable de si importantes découvertes, et de solutions nouvelles.
La plupart des conquêtes récentes faites sur l'histoire de nos origines doivent
beaucoup à la philologie et à la linguistique. Elles rendent, ces deux sciences, des
services signalés, notamment à l'art et à l'archéologie. Elles projettent un rayon de
lumière dans ce chaos naguère obscur de la formation, du développement et de la
succession des races humaines.
Les études sur la linguistique américaine apportent de sérieux éléments pour
élucider le problème des origines et de l'évolution des races qui ont peuplé les deux
Amériques. Sont-elles autochtones ; ont-elles au contraire été amenées par des migra-
tions sorties de l'Asie, ce grand berceau des races humaines, notamment des Ré-
mites et des Aryens?
Les deux Amériques auraient-elles été peuplées par d'autres races issues de la
partie Est de l'Asie, aussi bien que par des populations venant deTAllantide, de ce
mystérieux continent disparu dans un immense cataclysme, dont nous n'avons
qu'une image affaib'ie dans de récentes catastrophes telluriques?
— 143 —
En eiïet, si l'on compare la faune américaine des temps quaternaires avec celle de
l'Europe à la même époque, on remarque entre ces deux termes de comparaison
des ressemblances et des affinités.
Les études géologiques sur la péninsule espagnole ont révélé l'existence de dé-
pôts lacustres recouvrant 150,000 kilomètres carrés et d'une énorme épaisseur, ce
sont les bassins de grands fleuves se dirigeant vers le Sud-Ouest, et qui alimentaient
un immense continent dont l'Espagne constituerait aujourd'hui l'extrémité Sud-Est.
D'un autre côlé, des études sérieuses et suivies sur les races diverses qui ont
peuplé l'Amérique, ont fait penser qu'il fallait abandonner l'idée d'une race autoch-
tone américaine, et adopter celle de migrations humaines parties des anciens con-
tinents.
Or, il est établi aujourd'hui que les îles Aléoutiennes, les Kouriles, situées au nord
du Japon et semées entre l'Asie et le nord du continent américain, ne sont que les
sommets d'une terre qui reliait l'Asie à l'Amérique du JNord.
Plus bas, à l'Ouest, si l'Atlantide se rattachait au continent américain, comme la
géologie, la faune, la flore, la paléontologie des époques tertiaire et quaternaire
paraissent le démontrer, on aurait ainsi les deux grandes voies par lesquelles restera
peuplée l'Améiitjue à une époque qui échappe à l'histoire e^ à la tradition.
On voit par ces données quel intérêt la science moderne trouve à poursuivre ses
investigations sur la philologie américaine et les sciences qui lui font cortège et
dont l'étude nous donnerait la solution d'importants problèmes posés à la sagacité
humaine.
M. Antonio Penafiel fait donc une œuvre utile en réimprimant avec des notes, des
commentaires, des développements nouveaux l'Art mexicain du P. Antonio Del
Rincon et l'Art de la langue tarasca de Diego Basalenque, publié d'abord par Nicolas
de Quexas.
De son côté, le général Carlos Pacheco ajoute encore à ces études par la réim-
pression qu'il nous donne du Catalogue alphabétique des noms de lieux ap'partenant
à la langue nahualt, celle des Aztèques, le plus élégant et le plus complet des
idiomes mexicains, avec des dessins d'hiéroglyphes tirés des antiquités mexicaines
de lord Kinsborough.
Les études sur les langues américaines doivent beaucoup aux importants travaux
d'un savant allemand, M. Frédéric Mûller, membre de l'Académie des sciences de
Vienne.
Il définit et caractérise ainsi ces idiomes : « Les langues américaines reposent en
« général sur le principe du polysynlhétismeou de l'incorporation; c'est-à-dire que,
« tandis que dans nos langues chacune des idées dont l'enchaînement trouve une
« expression dans la phrase, se présente phonétiquement distincte ; elles sont le plus
« souvent, dans les langues américaines, réunies en une indivisible unité. Phrase et
« motseconfondent donc complètement. Par ce procédé chacun des mots est abrégé
« et réduit sommairement à une seule de ses parties. »
Selon leur mécanisme et leur formation, toutes les langues humaines se rattachent
à trois groupes principaux :
Les langues monosyllabiques,
Les langues agglutitialives,
Les laUj^ues à flexion, parmi lesquelles se classent les langues indo-européennes.
Les langues parlées par les anciennes populations du Mexique sont a^glutinatives.
— Uâ —
Nous n'avions en Europe qu'un seul langage de ce genre, la langue basque
appelée aussi euskarienne, et que nous pensons être celle parlée par nos ancêtres
de l'époque de la pierre.
Dans ces langues, le genre n'existe pas pour ainsi dire, ainsi que la déclinaison,
celte dernière est perdue dans de nombreux suffixes.
La langue nahualt a eu ses poètes inspirés par la nature merveilleuse et variée au
milieu de laquelle vivaient les Aztèques.
La civilisation aztèque nous est de plus en plus révélée par les découvertes archéo-
logiques, par l'étude de sa langue et de ses hiéroglyphes.
Elle nous donne la notion d'une société où dominent des dieux multiples. 13 grands
dieux et plus de 200 divinités secondaires; dieux sanguinaires, réclamant l'immolation
de milliers de victimes sur la haute pyramide du téocalli où s'élèvent le temple et
la pierre du sacriiice ; d'une théocratie presque l'égale du [)Ouvoir suprême, armée
d'une religion sinistre, terrible, répandant à flots le sang humain au milieu d'un
splendide entourage de guerriers parés d'or et d'argent, d'élolTes et de plumes aux
couleurs vives, d'ornements empruntés à toutes les richesses de la nature.
Donnons un exemple du polysynthétisme et de l'incorporation de la langue nahualt
et citons l'invocation suivante :
Notlazomahuizteopixcatatzin ; elle signifie no, mon, tlazo^Uliesilmé, mahuiztie,
vénéré, teoplxqui gardien de Dieu, et tatli père.
Donnons aussi un exemple tiré d'un poète en langue nahualt. Que le compositeur
et le proie nous le pardonnent :
Tlauh quechol laztaleual totonatoc
Ayauh coçamalo tonameyotimani
Xiuh coyoltzilitzica ynteocuitlauelt
XiuhtlapalUcuilol amoxtli manca
Nicchalchiuhcozcamecaqiiemmachtotoma, innocuic.
M. Penafiel expose dans la préface qui précède l'une de ces publications T'inten-
tion qui a présidé à ces réimpressions.
« Différents motifs, dit-il, nous ont engagé à commencer la réimpression des gram-
maires et vocabulaires des langues indigènes par ce petit et intéressant ouvrage.
« Le père Rincon est né à Texcoco, capitale de l'empire Ghichimèque, dans laquelle
se parlait le plus poli et élégant mexicain, ainsi que le dit un de nos historiens. Le
père Rincon était descendant des rois du Tescoco. Il connaissait parfaitement la
langue dont il se servait pour les prédications de l'Évangile, et le même historien
nous apprend que sa grammaire fut le fruit de dix années d'études constantes. »
Les amis des études sur la philologie et la linguistique doivent donc savoir gré
à M. Penafiel et à ses collaborateurs d'avoir remis en lumière des travaux anciens
sur les langues du Mexique. Ils en ont doublé l'intérêt par les développements, notes
et commentaires qu'ils y ont ajoutés et par la publication des hiéroglyphes fournis
et révélés par les découvertes archéologiques sur les monuments de cette partie de
l'Amérique. On doit souhaiter que des traductions mettent un jour ces ouvrages à
la portée de ceux qui s'intéressent aux progrès de ce genre d'études.
Auguste NiCAiSE,
Correspondant du ministère de l'instruction publique.
Le Gérant, 0. Berger-Levrault,
JOURNAL
DE LA.
SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DE PAIUS
. 9ilon 9i
-, !(
NO 5, MAI 1887, m'! n »'nnmon Jno-:
iqiT Ah
L
! .,,,'"»
fji ■iiiè!
08 cl 9b
PROCÈS-YERBAL DE LA SÉANCE DU 27 AVRIL 1887.
La séance est ouverte à 9 heures sous la présidence de M. Yvernès. tî- ^,j
M. IkNNEQUiN demande une légère rectification au compte rendu des observa-
tions qu'il avait présentées dans la dernière séance. Il rappelle que la fixité des
petites agglomérations communales dans l'Est peut, jusqu'à un certain point, s'ex-
pliquer par ce fait que ces petites communes possèdent des biens patrimoniaux
importants, de telle sorte que, pouvant vivre à l'aise avec le produit de ces biens,
elles n'ont eu et n'ont aucun intérêt à se réunir à d'autres communes.
Le procès-verbal est ensuite adopté.
M. le Président rappelle à la Société la cause qui a fait reporter au 4" mercredi,
d'avril la séance ordinaire de la Société. Ce retard est dû aux réunions que vient
de tenir à Rome l'Institut international de statistique qui, parmi ses membres,
compte le Président actuel de la Société et six de ses anciens présidents, MM. Juglar,
Levasseur, Vacher, Gheysson, Léon Say et de Fovilie, son Secrétaire génécal,
M. Toussaint Loua, et deux membres de son Conseil, MM. Broch et Bertillon.
La session de Rome, qui s'est tenue du 12 au 16 avril,, a, été des plus intéres-
santes, et bientôt, c'est-à-dire dès qu'on aura reçu les procès-verbaux rédigés,
sous la surveillance du Bureau, par notre jeune secrét«îire, J^l.JLiié^eardj yn Jfi^pport
fera connaître l'importance des travaux du Congrès. „, . ,< 1, „ • ; : , .. ,,„ ,,. o
Ce qu'il est permis de dire jusqu'à présent, c'est que les membres français d§
rinslitut y ont largement coopéré, par leurs communications et leurs rapports. Ils
ont reçu de nombreux témoignages de sympathie autant des délégués italiens que,
de ceux des autres nations.
La plus grande cordialité n'a cessé de régner dans le Congrès, et l'unanimité
l"-- 8KRIB. 28« vol.. — KO 5. jO
— 146 —
avec laquelle il a élé fait choix de Paris pour la 2* session qui doit se tenir en 1889,
donne lieu d'espérer que les liens qui se sont formés à Rome se cimenteroni dans
noire pairie, au grand avantnge de loiis les membres de l'Inslilut et au profil de
la science qui les a réunis dans un effort commun.
La session a été ouverlc par le Minisire du commerce, assisté du Ministre des
finances d'Itulie, et du syndic de Rome, Elle a été close par le Ministre du commerce,
dont les allocutions, celle du début comme celle de la fin, ont soulevé les plus
légitimes applaudissements.
Leurs Majestés le Roi et la Reine d'Italie ont daigné recevoir les membres de
l'Inslilut, et leur bienveillant accueil restera comme l'un des meilleurs souvenirs
de notie voyage dans leur beau pays. {Applaudissements.)
Il est procédé à l'élection de nouveaux membres.
Sont nommés, à l'unanimité, membres titulaires de la Société :
Sur la présentation de MM. Wilson et Robyns :
M. TiPHAiGNE, directeur général de l'enregistrement des douanes et du timbre;
Sur la présentation de MM. Wanna(|ue et Turquan :
M. Sénéchal, rédacteur à la Statistique générale de France.
Sur la proposition du Bureau, le titre de membre associé est décerné à M. Auguste
NiCAisE, juge de paix àChâlons-sur-Marne, auteur de travaux archéologiques remar-
quables sur le Mexique, dont un extrait a paru dans le numéro d'avril du Journal
de la Société.
M. le Président rappelle que le prochain congrès des Sociétés savantes aura lieu
le 31 mai à midi, et qu'il y a lieu de procéder à la désignation des délégués avant
le 5 mai (dernier délai). Les membres de la Société qui voudraient traiter une ou
plusieurs des questions inscrites au programme sont invités à se faire inscrire chez
le Secrétaire général.
M. Limousin s'inscrit pour traiter la question des syndicats professionnels.
Il est donné lecture d'une lettre du président de la Société de géographie, invi-
tant la Société de statistique à se joindre à elle pour proposer au Ministre du com-
merce et de l'industrie, commissaire général de l'Exposition, l'organisation d'une
exposition rétrospective de la science française. Ces deux sociétés contribueraient
ainsi et sans s'imposer de sacrifices à une manifestation d'une haute portée.
M. le Président est invité à s'associer au but poursuivi par la Société de géogra-
phie.
M. le Président communique à la Société le programme du 6" Congrès interna-
tional d'hygiène et de démographie, qui doit se tenir à Vienne (Autriche) du 2C sep-
tembre au 2 octobre prochain.
MM. les membres de la Société de statistique qui auraient l'intenlion de prendre
part à ce Congrès, sont invités à envoyer leur adhésion à M. K. Th. von Inama-
Sternegg, président de la section de démographie, 1, Schwarzenbergslrasse, 5, à
Vienne.
M. le Secrétaire fait l'énumération des ouvrages adressés à la Société pour sa
bibliothèque (i). Il regrette que M. Relier soit absent, car il aurait rendu compte du
(1) Voir à la fin du procès- verbal.
— 147 —
dernier volume paru de la Statistique minérale que vient de nous adresser le
Ministre des travaux publics.
M. Flechey demande la parole pour dire quelques mots sur la Statistique agricole
de 1885, dont un exemplaire a été adressé à la Société de statistique. Cette
statistique, qui vient d'être publiée par le ministère de l'agriculture, inaugure une
nouvelle série de ce genre de documents. Jusque-là une partie de ces renseigne-
ments avait paru sous deux formes distinctes, élaborées qu'elles étaient par deux
services différents, l'un appartenant au ministère du commerce (statistique générale
de France), l'autre à celui de l'agriculture (bureau des subsistances). Il n'est pas
besoin de relever les inconvénients qui en résultaient, d'autant plus que ces rensei-
gnements, relatifs à une même année, étaient fournis au public à des époques très
diverses,
A partir de 1886, le ministère de l'agriculture se trouva seul chargé de la statis-
tique agricole annuelle. On se rappellera que ce document renferme, en dehors de
la récolte annuelle, du nombre des animaux de ferme et de leurs produits, des ren-
seignements divers sur les poids et les prix et les importations et exportations des
produits et denrées agricoles, ainsi que sur l'approvisionnement de Paris. En outre,
des tableaux rétrospectifs, relatifs à des périodes décennales et même vingtennales,
permettent de relever les'mouvements survenus dans les principaux produits^et les
prix des denrées. ^ ^^'^rib
M. TuRQUAN dépose sur le bureau de la Société de statistique, de la part de l'au-
teur, M. N. Claude (des Vosges), sénateur, le rapport fait au nom de la commission
d'enquête sur la consommation de l'alcool. Ce rapport se compose de deux gros
volumes, atteignant ensemble 1,100 pages de texte, et d'un atlas de statistique
graphique.
Le rapport général proprement dit fait l'objet du premier volume. Voici le plan
d'après lequel il a été écrit : Dans le préambule, l'honorable sénateur expose les
raisons qui l'ont amené à demander au Sénat l'enquête; l'historique de la consom-
mation et du régime de l'alcool, ainsi que l'examen des diverses enquêtes relatives
à ce sujet, font l'objet de chapitres spéciaux. Puis la réglementation de la fabrica-
tion, de la vente des alcools est passée en revue, et traitée de main de maître; les
autorités les plus grandes, comme celles de M. le D"" Lancereaux, du D' Lunier,
le regretté président de la Société de statistique, de MM. Audigé et Dujardin-Beau-
metz, et enfin les dépositions spéciales de MM. Bardy et Girard, éminents chimistes,
le premier, chef du laboratoire du ministère des finances, le second du laboratoire
municipal, ont été d'un précieux concours pour les travaux de la commission
d'enquête. L'étude de la puissance toxique des alcools autres que ceux de vin et
de lïnfîuence d'une consommation exagérée de ces alcools sur les forces physiques
de l'homme et sur son état moral, a conduit l'honorable rapporteur à consacrer des
monographies spéciales à l'affaiblissement de la natalité, à la mortalité, à l'abâtardis-
sement de certaines populations notoirement adonnées à l'alcoolisme. L'aliénation
mentale, le suicide, les morts accidentelles, le nombre des cas de réforme constatés
aux conseils de révision dans leur rapport avec l'alcoolisme, ont donné lieu à
autant d'études distinctes, du plus haut intérêt.
La production chez les distillateurs et cliez les bouilleurs de cru, le commerce
— 148 —
cl. s alcools, la consommation, par départemenl et par recette, le nombre des
débitants de boissons, considérés à différentes époques et d'après leur répartition
sur lu territoire, ont également fait l'objet de statistiques spéciales, sur lesquelles
l'orateur regrette de ne pouvoir s'étendre.
Les liavaux qui ont alimenté le rapport et qui en constituent le développement
se trouvent consignés dans une annexe spéciale très volumineuse; pour n'en citer
que quelques-unes, M. Turquan signale à la Société les statistiques très détaillées,
fournies à l'enquête :
Far le ministère de la guerre, sur le nombre des exemptés dans quelques dépar-
tements ;
Par le ministère des finances, sur la consommation de l'alcool pur par recelte,
contrôle ou poste; sur la récolle des cidrqs;
Par le ministère de la justice, sur les condamnations pour ivresse, et sur la
criminalité, pendant les dernières années;
Par le ministère de l'intérieur, sur l'aliénation mentale due à l'alcoolisme (période
1860-1885), etc., etc.
Le régime des spiritueux, leur consommation, ainsi que les effets de l'alcoolisme
sont examinés dans la (>lupart des pays étrangers, d'après les documents authen-
tiques les plus récents.
Pour ce qui est de l'annexe intitulée Atlas de statistique graphique, qui a été
dressé sous la direction de M. Claude, président de la commission d'enquêle et
lapporleur général, par les soins de M. Turquan, l'auteur de l'allas expose briève-
ment les procédés qu'il a employés et le but qu'il a poursuivi : l'atlas se divise en
trois parties bien distinctes. Après l'introduction raisonnée de tous les diagrammes
ou cartogiammes, on se trouve en présence de douze diagrammes oithogonaux,
qui ont pour but de rendre sensibles les allures des différents phénomènes écono-
miques ou sociaux dont il a été question dans le rapport, pendant une période
variant de 35 à 50 années. Ces diagrammes ont trait pi'incipalemenl à la fabrication
des alcools, au commerce, aux prix et à la consommation, enfin à l'aliénation men-
tale, au suicide, etc.
Une série de cartes teintées, à l'échelle uniforme de 4,500,000*, montre quelle a
été la répartition géographique de la consommation des boissons alcooliques à
diverses époques, et fait ressortir d'une façon saisissante les progrès incessants de
cette consommation. Ces caries ont été établies suivant le procédé des courbes de
niveau, avec teintes plates interposées, tantôt avec une seule couleur plus ou moins
intense, et dans ce cas, une courbe rouge liés saillante détermine la position de la
valeur moyenne, tantôt avec deux couleurs, bleue et rouge, plus ou moins foncées,
suivant l'écart du phénomène par rapport à la moyenne générale, laquelle est indi-
quée par une zone blanche.
Les principales de ces caries, qui constituent la deuxième partie de l'Atlas, ont
trait à la consommation des alcools en 1873, et dans la période 1881-1885, à la
consommation des vins en 1873 et 1885, à la consommation des cidres, des
bières, etc., à la répartition des débits de boissons en 1879, et en 1885 à la répar-
tition de l'ivresse publique, de l'aHénalion mentale, du suicide, enfin de la crimi-
nalité.
M. Turquan montre ainsi que l'alcool tend à remplacer le vin partout où la
consommation de celle dernière boisson a diminué. 11 insiste sur la ressem-
— 140 —
bliince qui existerait, d'après lui, entre la carte de la consommalion totale de
l'alcool pur contenu dans les diverses boissons, et celle de la criminalité, et surtout
entre la carte de l'iviesse et celle de la consommalion de l'alcool et des débitants
de boisson.
Il termine son exposé en expliquant les (rois dernières caries de son Allas, qui
ont une assez giande dimension pour lui avoir permis d'établir la répartition de la
consommalion par lèle de l'alcool pur dans cbacune des recettes ou postes, qui
sont au nombre de 2,400 environ. Une de ces caries s'appli(|ue à l'année 1881, la
seconde à 1885.
Un simple coup d'œil jeté sur ces cai'les permet de juger l'intensité de la con-
sommation de l'alcool dans les différentes parties même d'un département. Par
exemple dans la Seine-Inférieure, la consommation moyenne générale, qui est de
13 litres en 1885, n'est (jue la ré.^allantede consommations plus ou moins élevées,
vai'iant entre litres et 23 litres d'alcool pur, par lèle (les femmes et les enfants
étant compiis pour le calcul dans le cbifl're de la population). 'b ^ilt|m
Plusieurs remarques importantes sont faites par M. Turquan : l'accroissement
exceptionnel de la consommalion de l'alcool sur le bord de la Méditerranée et dans
le bassin du Rbône, et ensuite la modéiation appajente du consommateur le long
de la frontière du Nord. Alors (|u'il est établi i|ue la Belgique n'a rien à envier, sous
le ra|)port de l'alcoolisme, aux départements de la Normandie, à ceux de la Somme
et du Pas-de-Calais, comment expliijuer la diminution que nous constatons, pour
tous les cantons du département du Nurd, dans la consommation de l'alcool imposé,
autrement que par des fraudes et une contrebande 1res active? Poussant plus loin
ses recbercbes, M. Tnrqnan a analysé la consommation de l'alcool; dans une carte
spéciale des environs de Paris, il montre cjue l'influence de la latitude se fait déjà
sentir, et (pi'au nord de Paris, il se consomme beaucoup plus d'alcool que dans
les recettes situées an midi de la capitale. Il faut reconnaître d'ailleurs que, là
encore, la consommation a fait de grands pi-ogrès; l'inspection seule du déplace-
ment des courbes de niveau l'indique clairement.
Pour mieux faire ressortir encore la marcbe ascendante de la consommation,
M. Turquan a dressé une carte qu'il a[»pelle « ditYéreniielle », destinée à repré-
senter les dillérences des consommations en 1881 et en 1885. Les pai'ties teintées
en rouge indiquent les recetles (jui ont va leur consommation augmenter; les
teintes bleues accusent une diminution. Or, une grande dépression s'est produite
dans la consommation taxée, en 1885, partout où la récoUe des cidies avait été
exceptionnellemenl abondante, en 1883 et 188 i. M. Tur(|mn v dt dans cette coïnci-
dence une nouvelle preuve de la fraude prali(juée par les bouilleurs de cru, et
pense même que le préjudice fait au Trésor est en raison même de l'importance
de la récolte.
Revenant au rapport général sur l'enquête, M. Turquan mentionne rapidement
les principales conclusions arrêtées par la commission : suppression du privilège
des bouilleurs de cru, contrôle bygiénique obligatoire, et rectification des alcools
dans des établissements régionaux, par des syndicats ayant la faculté de délivrer
des récépissés négociables, quadruplement des licences, etc.
A raison de l'importance de la question, il demande enfin, au nom de M. Claude,
qu'une des prochaines séances soit consacrée à la discussion du rapport et de ses
conclusions.
— 150 —
M. le Président remercie iM. le sénaleur Claude, des Vosges, de l'imporlant travail
dont il a bien voulu faire hommage à la Société.
M. GiMEL fait la communication suivante :
« Messieurs, dit-il, dans votre séance du 19 janvier dernier, j'ai eu l'honneur
de vous soumettre deux propositions tendant, l'une à faire insérer dans les
Recueils administiatifs des préfectures les relevés par commmie des cotes de con-
tenance exécutés en 1884; l'autre à être autorisé à faire, sous les auspices de
notre Société, aux Archives nationales ou autres dépôts publics, quelques recher-
ches pour découvrir des documents statistiques qui pourraient aider à constater l'élal
de division de la propriété vers la fin du xvin" siècle. D'après l'accueil que vous
avez fait à ces pj'oposilions, notre honorable Président a bien voulu écrire, sur le
premier point, à M. Boutin, directeur général des contributions directes, et sur le
second, à M. Maury, directeur général des archives. Ce m'est un devoir de vous
rendre compte du résultat de ces démarches.
« M Boutin a remis au ministre des finances une note concluant à ce qu'il soit
donné suite à la proposition d'insérer les relevés des cotes de contenance dans les
Recueils administratifs; il pense que la décision ministérielle sera favorable; et,
comme il me l'exprimait, il y a une quinzaine de jours, dès qu'elle lui aura été
notifiée, il donnera à son personnel, dans les départements, des instructions en
conséquence. Nous pouvons donc compter sur le succès et nous en serons encore
une fois redevables à M. Boulin.
« Quant au second point, j'ai remis à M. le directeur généi al des archives la
lettre de M. Yvernès. Je dois tout d'abord rendre hommage au bon accueil que j'ai
reçu. M. Alfred Maury, à qui de pressantes occupations ne permettaient pas de don-
ner suite personnellement à la demande dont j'étais porteur, m'a adressé à l'un de ses
subordonnés qui, avec beaucoup d'empressement et d'obligeance, m'a montre la
seconde partie de l'inventaire sommaire des archives, c'est-à-dire celle de l'époque
postérieure à 1 790 (la première partie est à la libre disposition du lecteur). Nous avons
choisi de conceit les documents qui nous ont paru de nature à présenter les infor-
mations cherchées : fonds des comités des assemblées, du contrôle général des
finances, impôt territorial, cadastre, correspondance des intendants, etc., etc. Mais
le hasard ne m'a pas encore servi. J'avais particulièrement en vue des pièces telles
que les états de situation de la confection des rôles de la contribution foncière qui
ont dû être, à n'en pas douter, fournis en 1789, 1790, 1791. Un moment je me
suis cru sur la piste, quand m'est tombé sous la main une lettre de M. Legrand,
devenu plus tard premier commis des finances chargé des contributions directes,
lequel écrivait, en 1792, à l'abbé Lompret, membre du comité des finances:
« J'espère être dans peu de jours en mesure de vous fournir l'état que vous me
(( demandez sur la situation de la confection des rôles. » J'ai suivi cette piste; j'ai
trouvé l'état annoncé: malheureusement il indiquait le nombre des paroisses pour
lesquelles les rôles étaient confectionnés, mais non comme cela se pratique depuis,
celui des articles compris dans ces rôles, c'est-à-dire des cotes foncières. Faut-il
désespérer d'atteindre le but que je me suis proposé? Pas encore : je persiste dans
mes recherches, et s'il m'arrive l'heureuse fartune qu'elles aboutissent, j'aurai soin
de vous en faire part.
« A défaut des états de situation relatifs à la confection des rôles de la conlribu-
- 151 —
lion foncière créée en 1790, il est d'aulres renseignements dont je m'arrangerais :
ce seraient ceux relatifs aux rôles des VIiNGTlÈMlCS, « le plus terrilorial des
impôts de Vancien régime », suivant l'expression de Necker. Ces renseignements
ne feraient pas connaître assurément, avec précision, le nombre des propriétaires
pas plus, d'ailleurs, que nos relevés des cotes foncières; mais ils procureraient un
terme de comparaison d'une véritable valeur et que nous aurions tort de négliger,
mais il faudrait les avoir pour une impoilante portion du territoire. Cette réflexion
m'est inspirée par ce qui est arrivé, précisément en fait des rôles des vingtièmes, à
propos de ce (jue j'a|)pellerai la fameuse lettre de M. de P'ontette, en date du 10 no-
vembre 1772, année dans laquelle les intendants avaient reçu mission d'opérer
une majoration du produit des rôles : 2 sols pour livre.
« M. Taine, dans ses Origines de la France contemporaine parues en 1875, a
cité (p. 453) la lettre et en a reproduit cette phrase : «Sur 150,000 cotes que
« fournit ma généralité, il y en a peut-être plus de 50,000 dont l'objet n'excède pas
« 5 sols, et peut-être encore autant qui n'excèdent pas 20 sols. »
« M. Baudrillait, en 1880, dans les Populations agricoles de lu Normandie,
reproduit la citation et semble disposé à en conclure que la grande division du sol
était chose faite vingt ans avant la Révolution.
c( Enfin M. de Foville, en 1885, après avoir cité la lettre, dit :
« Le Calvados avait 162,101 cotes foncières en 1826
182,773 — en 1851
185,634 — en 1873 (chifire maximum)
178,032 — en 1883
« Ces chiffres semblent s'adapter à celui de M. de Fontette; mais les limites du
« Calvados ne coïncident pas avec celles de la généralité de Caen qui comprenait
« en moins Pont-l'Evêque et Falaise, en plus Mortain, Saint-Lô, Avranches, Cou-
€ tances et Valognes. »
« Toute prudente que soit cette réserve, elle laisse supposer que le nombre des
cotes foncières en 1772 était à peu près identique «à celui de 1880. Or, voici le
nombre qui, en 1880, correspond aux 150,000 cotes de 1772.
0. Élection de Caen 51,712
— Bayeux 30,056
— Vire 31,740
— Avranches .... 40,509
— Coutances .... 58,220
— Mortain 24,050
— Saint-Lô 38,544
— Valognes .... 39,749
315,480
315,000 au lieu de 150,000. L'assertion de M. de Fontette, étant admis qu'elle
méritât, malgré sa forme dubitative, d'être prise au pied de la lettre, autoriserait
à penser que la petite propiiété existait dès le milieu du xviii* siècle, mais non
qu'elle était en 1772 ce qu'elle est devenue un siècle plus tard. Quand ma commu-
nication ne produirait pas d'aati'c elfet (jue d'appeler l'attention des statisticiens
sur ce point et sur les moyens de parvenir à le mettre en lumière, vous voudrez
bien admettre, j'ose l'espérer, qu'elle n'aura pas été dépourvue de toute utili'é. Si
— 152 —
je ne parviens pas à trouver aux Arcliives iialionales le nombre d'articles des rôles
de vingtièmes, nos confrères dans les départements le trouveraient peut-être aux
archives des intendances. Je fais appel à leur zèle. »
L'ordre du jour appelle la communication de M. Limousin sur les Voies de trans-
ports par terre et par eau.
Ce travail, dont la lecture termine la séance, sera inséré dans un des plus pro-
chains numéros du Journal.
M. le Président fixe ainsi qu'il suit l'ordre du jour de la prochaine réunion :
1" Communication de M. Thulié, sur l'Enfance assistée ;
2" Discussion du Rapporl.de M. Claude, des Vosges, sur l'Alcoolisme;
3° Les Accidents du travail, par M. Duhamel;
4° Statistique des biens communaux, par M. de Crisenoy.
La séance est levée à onze heures un quart.
Ouvrages présentés.
France. — Rapport sur la consommation de l'alcool en France, par M. Claude (des
Vosges), sénateur. 2 vol., avec atlas.
Statistique des syndicats d'hydraulique agricole. 1 vol., publié par le Ministère
de l'agriculture, Paris, 1887.
Statistique de l'industrie minérale (1885), publié par le Ministère des travaux
publics. Paris, 1887.
Norvège. — Fascicules statistiques, n"' 31, 32, 33 et 34, concernant l'état sanitaire du
pays, la justice criminelle, les chemins de fer et la navigation.
Pays-Bas. — Mouvement de la population (4 volumes), 1882, 1883, 1884 et 1885.
Rapport sur l'état de l'instruction publique en 4 fascicules, avec cartes, année
1883-1884.
Relevé quinquennal des causes de décès.
Journaux. — Revues. — Documents divers.
Uebersichten der Weltwirthschaft, von D'' von Neumann-Spallart.
Sluttgard, 1887. (Julius Maier, éditeur.)
Notre confrère, M. X. de Neumann-Spallart, vice-président de l'Institut international
de statistique, a bien voulu faire hommage à la Société de la nouvelle édition de son
Annuaire statistique, laquelle fournit, pour les années 1883 et 1884 et même pour les
années 1885 et 1886 les renseignements les plus précis sur la production agricole et ma-
nufacturière de la plupart des États du monde.
Cet ouvrage contient donc, et sous un format commode, les notions qui intéressent le
plus l'économiste et le statisticien, et il serait vivement à souhaiter qu'il en fût fait une
traduction française, car s'il y a, chez nous, plus de documents qu'il n'en faut pour con-
naître la France, M. de Neumann a seul réussi h étabhr un Annuaire international. C'est
là un grand service rendu à la science, et l'auteur a droit à tous nos remercîments.
T. L.
— 153 —
IL
.A PROTECTION DE L'ENFANCE ABANDONNÉE EN ITALIE
D'après l'étude du D' E. Raseri.
PREMIERE PARTIE.
Les enfants illégitimes et les enfants trouvés en Italie.
M. ie D"" E. Raseri, attaché à la direction générale de la statistique d'Italie,
a publié dans le i^' volume de la 3* série des Annales de statistique italienne
un travail très important sur la protection du jeune âge dans son pays, et
l'un de nos plus assidus inspecteurs du service des enfants assistés, M. Frette,
a bien voulu nous envoyer une traduction de cet ouvrage. Au moment où la
Chambre des députés se prépare à discuter le projet de loi sur la protection
de l'enfance, déjà voté au Sénat, nous n'avons pas hésité à publier celte tra-
duction dans notre Journal, dans l'espoir qu'on y trouvera des données inté-
ressantes et des points de vue propres à éclairer le débat. Nous aurons
d'ailleurs à revenir sur cette question qu'on peut considérer comme capitale
pour la France, en publiant très prochainement la communication qui nous
a été promise par l'honorable M. Thulié, ancien président du conseil muni-
cipal de Paris, qui vient de publier sur la protection des enfants assistés de
Paris, un magnifique volume dont il nous fera lui-même le compte rendu.
Sur ce, nous laissons la parole au traducteur.
La Rédaction.
Pendant les vingt et une années comprises entre 1863 et 1883 inclusivement, il
a été enregistré 20,495,471 naissances en Italie, parmi lesquelles 1,358,864,
c'esl-à-dire 6.63 p. 100, ont été déclarées illégitimes ou d'origine inconnue. La
proporlion n'a pas toujours été la môme pendant la période examinée, mais on a
observé une augmentation presque continuelle de 4.93 p. 100 en 1863 à 7.75 p.
100 en 1883.
Les condiiions anormales dans lesquelles naissent ces enfants, dont le nombre va
toujours en augmentant, méritent d'être étudiées avec soin pour se l'endre compte
du sort auquel ils sont destinés.
Il est à noter que notre loi civile, conforme encore sur ce point au droit romain,
ne permet pas la recherche de la paternité (1).
(1) Dispositions du Code civil relatives aux recherches de la paternité et de la maternité.
Art. 189. Les recherches de la paternité ne sont pas admises, hors les cas de rapt ou de viol, lorsque
leur accomplissement correspond avec celui de la conception.
Art. 190. Les recherches de la maternité sont admises.
Le fils qui réclame sa mèrcdoitprouverqu'il est identiquement le même que celui donteile est accouchée.
La preuve par témoins n'est admise que lorsqu'il y a déjà un commencement de preuve par écrit ou lors-
— 154 —
Comme dans la plupart des cas de naissances illégitimes il n'y a pas de famille prés
de laquelle les enfants puissent trouver l'assistance nécessaire, la charité publique
doit leur venir en. aide et leur procurer les moyens de subsistance et d'éducation
jusqu'à ce qu'ils soient en état de suffire par eux-mêmes à leurs besoins.
Il n'existe pas encore de loi générale réglant uniformément le service des en-
fants trouvés. La loi communale et provinciale du 20 mars 1865 promettait
(art. 237) que celte lacune serait comblée, mais en attendant elle se bornait à
mettre à la charge des provinces et des communes l'entretien des enfants trouvés
qui auparavant étaient en partie à la charge de l'Etat et de quelques établissements
de charité. Considérant ce service comme étant d'intérêt local, on a laissé aux admi-
nistrations provinciales une certaine liberté pour son organisation; on trouve, par
suite, de notables différences dans la manière de procéder d'une province à l'autre.
que (les présomptions ou imiices résultant de faits déjà certains sont assez graves pour déterminer Pad-
mission.
Art. 191. La demande pour déclaration de paternité ou de maternité peut être contredite par quiconque
y a intérêt.
Art. 192. Le jugement qui déclare la filiation naturelle produit les effets de la reconnaissance.
Art 193. Dans les cas où la reconnaissance est défendue, le fils n'est jamais admis à faire des recher-
clies ni sur la paternité, ni sur la maternité. Toutefois, le fils naturel aura toujours octroi pour obtenir
des aliments :
1° Si la paternité ou la maternité résulte indirectement de jugement civil ou pénal 5
2° Si la paternité ou la maternité dépend d'un mariage déclaré nul ;
3° Si la paternité ou la maternité résulte de déclarations explicites par écrit des parents.
Dispositions du Code civil relatives aux déclarations de naissance des enfants illégitimes
ou des enfants trouvés.
Art. 376. Si la naissance provient d'une union illégitime, la déclaration ne peut énoncer que les nom
et prénoms, la profession et le domicile du parent ou des parents déclarants.
Quand la déclaration est faite par d'autres personnes, on n'énoncera que les nom et prénoms, la profes-
sion et le domicile de la mère, s'il est constaté par acte authentique que celle-ci consent à la déclaration.
Art. 377. Quiconque trouve un enfant est tenu d'en faire la déclaration à roflicier de l'état civil en lui
consignant les vêtements et les autres objets trouvés près du rnéme, et en lui faisant connaître toutes
les autres circonstances de temps et de lieu où il a été trouvé.
On dressera un procès-verbal circonstancié de la déclaration, qui énoncera outre l'âge apparent de
l'enfant, le sexe, le nom qui lui sera donné et l'autorité civile à qui il sera confié. Ce procès-verbal sera
inscrit sur les registres.
Dispositions du Code pénal relatives à l'abandon et à l'exposition des enfants.
Art. 506. Les individus coupables d'enlèvement ou de recel d'un enfant, de suppression d'état civil d'un
enfant, de substitution d'un enfant à un autre, ou ue suppression de part, seront punis par cinq à dix
ans de rélégation (exil).
Art. o07. Celui qui, ayant trouvé un enfant nouveau-né, n'en fait pas, conformément aux termes de la
loi et des règlements sur l'état civil, la déclaration au maire de la commune où l'enfant a été trouvé est
puni de la prison jusqu'à concurrence de trois mois.
Cette disposition n'est pas applicable à celui qui consent de se charger des soins de l'enfant et en aura
fait la déclaration au maire.
Art. 508. Ceux qui auront porté ou exposé dans un hospice ou autre lieu de bienfaisance publique un
enfant, lequel leur a été confié pour qu'ils en prennent soin ou pour quelque autre motif, encourront ta
peine de un à six mois de prison, sauf les peines établies par l'article 506, dans le cas où le fait aurait
le caractère du délit qui y est désigné.
Ne seront pas assujettis à ladite peine s'ils n'étaient pas tenus ou s'ils n'étaient pas obligés de pourvoir
— 155 —
Le tableau suivant indique comment ont été réparties, pendant l'année 1882,
entre les budgets provinciaux, les budgets communaux et ceux des Œuvres pieuses
s'occupant de la tutelle de l'enfance abandonnée, les dépenses pour l'entretien des
enfants trouvés.
K É G I O N s.
Piémont
Ligurie
Loinbardie . . .
Vénétie
Emilie
Ombrie
Marches
Toscane
Lalium
Abruzzes et Molise
Canipanie ....
Fouille
Basilicate ....
Calabre
Sicile
Sardaigne ....
Royaume.
BUDGETS
communaux
1882.
francs.
408,99-i
85,502
217,028
47,982
739,802
183,361
302,189
442,059
140,891
202,842
310,28(3
518,390
113,058
184,969
722,616
27,061
4,653,090
BUDGETS
|)rovinciaux
francs.
1,165,123
312,000
1,517,839
587,070
548,200
95,000
168,413
327,053
93,333
251,000
285,500
325,200
100,000
339,204
836,421
20,000
6,971,356
REVENUS
provenant
des orplielinats
qui ont
le caraclère
d'œuvres pieuses
(stat. de 1878).
francs.
96,358
20,139
169,389
339,265
335.489
147,719
169,159
745,642
25,374
7,285
526,999
30,157
»
10,278
59,993
5,452
2,688,698
francs.
1,670,475
417,641
1,904,256
974,317
1,623,551
426,080
639,761
1,514,754
265,598
461,127
1,122,785
873,747
213,058
534,451
1,619,030
52,513
14,313,144
L'éducation des enfants trouvés s'accomplit en grande partie dans des hospices
spéciaux dont quelques-uns se bornent à recevoir les enfants pour les laisser
aussitôt à des nourrices externes, tandis que d'autres les gardent pendant un temps
plus ou moins long et quelquefois d'une manière permanente. Ces hospices, bien
gratuitement à la nourriture et à l'entretien de Tenfant et si, malgré ravcrtissement donné en temps
opportun, personne n'y a pourvu.
Art. 509. Ceux qui auront abandonné ou exposé dans un lieu solitaire un enfant, ou auront ordonné
de l'exposer ou de l'abandonner de cette façon, et que Tordre aura été suivi, seront punis d'une année au
moins de prison.
Art. 510. Si en conséquence de l'exposilion ou de l'abandon, prévu dans le précédent article, l'enfant
est re.sté infirme ou blessé, les coupables de l'exposition ou de l'abandon seront punis de la prison pour
une durée qui ne saurait être inférieure à deux ans et aussi de l'exil pouvant être porté jusqu'à dix ans,
selon la gravité et la conséquence de la blessure.
Dans le cas de la mort de l'enfant, le coupable est susceptible de l'exil pouvant être porté à treize ans.
Art. 5tl. Si, par suite de diverses circonstances, il est établi que l'exposition ou l'abandon de l'enfant
ne peut avoir d'autre objet que sa mort ou qu'elle soit la conséquence de l'exposition ou de l'abandon,
le coupable est puni des travaux forcés à vie.
Art. 512. Si l'exposition ou l'abandon de l'enfant s'exécute dans un lieu non solitaire, les coupables
encourront la peine de trois mois à un an de prison.
Si, indépendamment de l'exposition et de l'abandon, se produisent en même temps les circonstances
indiquées en l'article 510, la peine sera, dans le premier cas, de six mois à deux ans de prison ; dans le
second, de deux ans à cinq ans.
Art. 513. Lorsque les crimes désignés dans les articles 509, 510 et 512 auront été commis par les
parents, tuteurs on instituteurs de l'enfant exposé ou abandonné, la peine sera, dans les différents cas
ci-dessus énoncés, augmentée de un ou deux degrés, selon les circonstances ou suivant la qualité des
personnes.
— 156 —
qu'ils se servent pour la majeure partie des fonds provenant des budi^ets provin-
ciaux ou communaux, sont autonomes, et régis par des règlements spéciaux, qui
remontent à des dates plus ou moins anciennes et qui sont très variables d'un éta-
blissement à l'aulre.
Dans le tableau B publié en annexe, on a réuni les dispositions par lesquelles ce
service est réglé dans les principaux hospices.
L'acceptation des enfants est plus ou moins difficile suivant les catégories d'in-
dividus; les salaires accordés aux nourrices varient aussi notablement ainsi que la
limite d'âge jusqu'à laquelle s'étend le secours. Dans quelques localités, la réception
des enfants se fait encore parle moyen de tours; dans d'autres, elle se fait à bureau
ouvert, en conservant plus ou moins le secret sur leui- provenance. Dans la plus
grande partie des asiles, on recueille non seulement les fruits d'unions illégitimes,
mais encore les enfants légitimes (jui se tiouvent dans des conditions déterminées.
On ne peut dire dans (juelles proportions sont ces derniers par rapport aux pre-
miers, bien que leur nombre soit assez considérable, comme on peut le voir par les
chiffres suivants, relatifs à quelques grandes institutions.
Gôine
Gènes
Turin
1879-1881
1880
1881
188-2
1880
1881
188i>
RÉFUGIKS
SECOUKUS
léj,-.-
iik^gi-
l,.gi-
1
illégi- !
urnes.
tilllCS.
limes.
times. 1
60
611
»
»
30
423
14
19
35
448
24
21
29
419
48
10 '
22
203
))
»
19
188
»
»
19
220
»
»
IIOSPiCBS.
Milan .
Rome .
Vérone.
KÉFU
ANNÉES.
légi-
limes.
1880
337
1881
3o4
' 1882
386
1877-1879
978
(1875-1877
16
(1880-1882
1
illégi-
liraes.
1,052
1,054
1,062
3,211
971
975
Il semble, en général, que dans les orphelinats de l'Italie septentrionale, les
enfants légitimes sont reçus en nombre relativement plus grand que dans ceux de
l'Italie méridionale et dans les grandes îles.
L'honorable G. Tocci, dans un mémoire institué : Les Enfants trouvés et l'organi-
sation de la charité publique dans la province de Cosenza (1), affirme (2) qu'en
Galabre !e nombre des enfants légitimes est très faible, et que ce sont poui' la
plupait des enfants de ftmmes abandonnées par leurs maris ou de veuves réduites
à la misère. En deux ans il n'a été abandonné qu'un seul enfant légitime à l'or-
phelinat de Cosenza.
Pendant l'année 1877, le ministre de l'agriculture, de l'industrie et du com-
merce, afin de se rendre compte de l'extension qu'avait atteinte en Italie le système
de recevoir les enfants dans les orphelinats au moyen des tours, adressait (25 no-
vembre) une circulaire aux piéfels pour savoir :
1° Dans quelles communes existe encore le tour des enft»nts trouvés ;
2" Dans quelles communes il a été supprimé et la date de la suppression;
3° Dans quelles communes, après avoir été supprimé, le tour aurait été rouvert
et quelle est la date de la réouverture.
Les résultats de cette enquête furent publiés dans un appendice du « Mouvement
de l'état civil pour l'année 1877 ».
(1) Bari, typ. Gissi, 1878.
(2) I^agc 45.
157
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36
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318
125
1,918
4,279
5,357
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3,202
11,899
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1,463
292
1,877
768
288
139
222
224
213
258
394
86
72
257
98
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— 158 —
On put alors apprendre que la province de Ferrare avait inauguré, en Italie, en
1867, la suppression du tour, et que plusieurs autres avaient suivi son exemple.
Toutefois, à la fin de l'année 1877, le tour fonctionnait encore dans toutes ou à peu
près toutes les communes des 39 provinces.
En 1882, le même ministère a renouvelé cette enquête avec une plus grande
extension en adressant aux communes un questionnaire dans lequel il faisait les
demandes suivantes (circulaire du 13 novembre 1882) :
1° Combien y a-t-il eu, pendant les 3 années 1879, 1880, 1881, d'enfants déclarés
à l'officier de l'état civil comme illégitimes et combien à titre d'enfants trouvés?
2" Combien parmi les enfants illégitimes ont été reconnus par un ou par les deux
auteurs de leurs jours ?
3" Y a-t-il eu dans la commune un tour pour recevoir les enfants trouvés?
4° Ce tour existe-t-il toujours, ou dans quelle année a-l-il été supprimé?
5" Là où le tour existe encore, n'a-t-on jamais éprouvé le besoin de le suppri-
mer? Dans ce dernier cas, pourquoi a-t-on-cru opportun de le rouvrir?
Là où le tour existe, combien d'enfanls y ont été exposés pendant les trois an-
nées 1879, 1880, 1881 ? Combien ont été trouvés morts el combien restait-il de
vivants? A quel orphelinat ou institution des enfants trouvés ces vivants ont-ils été
envoyés, ou de quelle autre manière a-l-on pourvu à leur éducation ?
Dans les endroits où il n'existe pas de tour, combien d'enfants ont-ils été trouvés
exposés dans l'église, sur la voie publique, ou dans un autre lieu, dans chacune des
années susdites ? Combien y a-til eu pendant la même période d'enfants de naissance
illégitime et combien d'enfants exposés envoyés à l'hospice des enfants trouvés
el dans quel hospice ont-ils été envoyés? Combien ont été envoyés directement en
nourrice par les soins de la commune?
Piémont .
Ligurie .
Lombardie
Vériétie .
Emilie. .
Ombrie .
Marches .
Toscane .
Rome . .
Abruzzes.
Campanie
Pouille .
Basilicate
Calabre. .
Sicile . .
Sardaisne
TOTAUX
(les né«-vivanl«
pendant les années
1879, 1880, 1881.
324,830
87,741
405,266
296,124
229,338
57,117
99,073
232,125
88,272
152,250
315,014
196,926
65-885
137,352
342,673
73,192
3,103,178
t s
28.92
46.51
27.33
55.47
139.10
200.54
133.29
99.64
217.12
.31.61
30.41
14.54
23.21
49 81
42.95
100.83
60.44
«si
2 M §
H-® 2
K § 'S
O c s
O "'o
ILLBGITIMKS
reconnus
sur 1,000 naissances
illégi limes.
5.84
2.84
0.71
0.85
4.77
0.91
10.51
1.87
2.32
16.80
■ 14.69
:31.50
30.49
40.99
39.71
2.46
239.70
428.33
254.51
684.71
775.05
617.95
801.97
657 57
801.26
671.45
435.74
883.69
884.24
694.83
640.30
852.71
12.99
654.65
PROPORTION
sur 1 ,000 naissances
des illégitimes et exposés
envoyés par les communes
en nourrice.
0.58
0.18
1.35
0.87
3.61
2.03
6.22
1.41
1.23
20.03
13.89
33.19
32.54
39.53
33.03
17.09
12.07
dans
les orphelinats.
27.19
29.12
19.67
17.44
33.13
75.48
30.67
34.48
55.41
6.12
17.98
0.64
16.74
22.46
0.20
22.24
— i59 —
Dans les 8,260(1) communes du Royaume, il y a eu, pendant les années 1879,
1880, 1881, 187,555 naissances illéfîilimes (02,518 en moyenne par année).
Sur ces 187,555 enfants, 122,782 (40,927 par année) ont été reconnus par l'un
ou leurs deux parents, les autres 64., 773 (21,591 par année) ont été présentés à
l'ofricier de l'éiat civil par une personne étrangère (sage-femme, accoucheur, etc.)
avec la déclaration que la mère n'entendait pas déclarer son propre nom.
Les illégilimes reconnus par leurs parents soni, pour le plus grand nombre, des
enfants issus de personnes unies en mariage par le seul lien religieux. On sait
que la loi qui déclare seul valide le mariage civil n'est en vigueur en Italie qu'à
parlir de 1806, mais dans différentes régions il n'a été accepté dans les premières
années qu'avec beaucoup de difficultés.
On ne connaît pas précisément le nombre des mariages contractés seulement
avec le lien religieux, après l'année 1866. En 1878, le ministère de la justice fit, par
l'entremise des juges de paix, une enquête sur le nombre des mariages purement
religieux contractés en Italie de 1866 à 1877 et en publia les résultats à l'appui
d'un projet de loi tendant à défendre que le mariage religieux fût célébré avant le
mariage civil.
Les chiffres recueillis par ce ministère ont été les suivants :
Nombres des mariages religieux et des mariages civils célébrés de 1866 à 1877.
ANNÉES.
DANS TOUT liK ROYAUME , EXCEPTÉ
LA VKNÉTIE ET ROME.
DANS LES PROVINCES
VÉNITIENNES.
DANS LA PROVINCE DE KOME.
Roligieux.
Civils.
Différence.
Religîeiis.
Civils.
Diffé-
rence.
Religieux.
Civils.
Différence.
1866
1867
1868
1869
1870
1871
1872
1873
1874
1875
1876
1877
147,218
171,099
182,123
202,036
182,431
191,917
191,125
200,336
174,916
191,095
191,606
190,983
120,752
148,147
160,419
182,810
168,067
172,577
181,861
190,950
183,910
203,217
200,686
191,043
+ 26,466
+ 22,952
+ 21,704
+ 19,226
+ 15,361
-j- 19,340
+ 12,264
+ 9,386
— 8,994
— 12,122
— 9,080
— 60
20,083
22,447
21,431
22,882
21,174
20,197
17,981
20,792
20,276
22,717
20,065
18,, 86
+ 2,099
+ 1,655
+ 1,155
+ 165
+ 1,109
+ 1,411
6,166
6,375
5,516
6,698
6,740
6,588
38,113
2,156
3,li;4
3,811
4,552
4,702
5,143
23,888
4- 3,650
+ 3,211
+ 1,735
+ 2,146
+ 2,038
+ 1,445
TOTAUX. . . .
2,220,885
2,101,439
+ 116,446
128,214
120,620
+ 7,594
+ 14,225
Les résultats de celte enquête ne pouvaient être exacts pour plusieurs motifs. Le
premier de tous c'est que les recherches furent faites par les juges de paix par
l'intermédiaire des maires et des curés, séparément pour chaque commune, con-
jointement pour le territoire de chaque mandement, moyennant la confontration
nominative des deux époux inscrits sur les deux registres (communaux et parois-
saux). Tantôt les juridictions paroissiales ne concordent pas avec celles des communes
et un bureau communal ne pouvait confronter ses registres avec ceux de la paroisse
placée dans une autre commune. Dans d'autres cas, les mariages sont célébrés selon
le rite religieux dans une commune et civilement dans une autre.
De plus, un mariage civil pouvait être compté deux fois, c'est-à-dire dans la com-
mune où il avait été célébré, et dans celle de la résidence précédente d'un des époux
au bureau de laiiuelle il était notifié et transcrit. Qu'on ajoute à cela la difficulté
de constater l'identité des noms et des personnes, qui ayant célébré le mariage
(1) Voir la note n» 8, à la page 157.
— 160 —
religieux dans une commune, s'unissent légalemenl. plusieurs années après, dans
une autre commune. Enfin, plusieurs curés ont refusé de fournir aux juges de
paix les notices réclamées (1).
Malgré ces causes d'erreurs, lesquelles ont empêché que les chiffres des mariages
civile, fournis par les juges de paix, ne concordassent avec ceux qui sont publiés
chaque année dans le mouvement de l'état civil, on peut estimer, d'une manière très
ajDproximalive, que pendant les douze années qui font l'objet des recherches, il y
a eu environ 138,000 mariages non validés aux yeux de la loi, ce qui correspond, à
peu près, à la vingtième partie des mariages contractés régulièrement dans la même
période.
Bien que ces inconvénients tendent à disparaître depuis 1874. et que bon nom-
bre d'unions célébrées d'abord avec un seul rite, aient été plus tard légalisées civi-
lement, il n'existe pas moins encore un grand nombre de couples encore en âge de
procréer, qui sont unis seulement par les liens religieux, ce qui explique, en grande
partie, le chiffre de 40,000 enfants illégitimes par année que nous avons trouvés
être élevés par les soins de leurs parents.
Dans les mêmes années 1879, 1880, 1881 ont été trouvés exposés 40,296 en-
fants vivants (13,433 par année) et 600 enfants morts (207 par année).
Les expositions ont été faites pour 32,093 enfants dans les tours (y compris 541
trouvés morts au tour) et pour 8,823 sur la voie publique, sous un escalier, devant
la porte de la maison des sages-femmes, ou dans l'église ou dans d'autres lieux
publics (y compris 79 enfants trouvés morts).
Les chiffres des illégitimes et des exposés donnés par le présent tableau ne sont
pas d'accord avec ceux des naissances illégitimes et des enfants exposés, publiés
dans le mouve/nent de l'état civil pour la même période de temps. El, en effet,
pendant les années 1879, 1880, 1881, il a été enregistré 142,262 naissances illé-
gitimes et 85,589 exposés ou enfants trouvés, c'est-à-dire que, pour cette seconde
catégorie, on a indiqué un nombre de naissances double de celui qui résulte des
vraies expositions d'enfants. Gela provient de ce que, dans la publication du mou-
vement de l'état civil, sous la rubrique Exposés sont compris non seulement les
enfiints d'état civil inconnus placés au tour, mais encore les enfants illégitimes,
non reconnus ni du père, ni de la mère présentés par la sage-femme ou par une
autre personne à l'officier de l'état civil pour la déclaration de naissance illégitime,
enfants pour lesquels la commune doit pourvoir à tous les besoins.
Sur un total de 227,851 naissances illégitimes ou d'enfants trouvés pendant les
trois années, la charité publique n'en a accueilli que 106,461, en abandonnant
121,390. C'est dire que pres(jue tous les illégitimes reconnus par leurs parents
ont été élevés par les soins de ceux-ci ou sont morts avant que la commune ait
eu le temps de prendre ses mesures en leur faveur.
Quant à ceux aux besoins desquels les communes pourvoient, 37,449 ont été
confiés directement à des nourrices et 69,012 envoyés aux hospices destinés à
l'enfance abandonnée.
Dans la plupart des communes, les enfants de naissance illégitime sont présentés
par la sage-femme au bureau communal, lequel charge la sage-femme même ou
(1) Actes du bureau central de statistique. Annales de statistique, série I, n° 9, p. 9, et série II,
nMo, p. 281.
I
— 161 —
bien quelque aulie personne offrant des garanlies suffisantes de moralité et d'aj-ti-
lude (pia rkevitruc) de les placer près de (juelque nourrice moyennant une pen-
sion men>uelle. Dans beaucoup de communes, comme nous l'avons déjà dil, le tour
pour Tacceplalion des enfants fonctionne encore.
En i<S67, le tour était ouvert dans 1,209 communes du royaume, mais ce sys-
tème est toujours allé en s'affaiblissant et, à la fin de 1882, des renseignements
fournis par les syndics, il résulte que le tour ne fonctionnait plus fjue dans 059
communes. Parmi ces communes, il y en a 12 (1) qui, après avoir suj)primé leur
tour, l'ont rétabli parce qu'elles ont reconnu que le bureau de nouri ices subslilué au
tour n'avait pas donné de bons résultats. C'est ainsi que le syndic de Tricarico affu'me
que, pendant que le tour était supprimé, il a pu constater quelques cas d'infanticide;
le syndic de Manfredonia dit que le rétablissement du tour a été décidé parce qu'on
a trouvé un nouveau-né mort sur les rivages de la mer; le syndic de Pizzo déclare
que, pendant la suppression du tour, les enfants étaient exposés sur la voie publique
et que quelques-uns furent trouvés rongés par des porcs et par des chiens errants.
En outre, parmi les communes qui ont supprimé le tour il y en a beaucoup dans
lesquelles l'administration locale serait d'avis de le rouvrir. Ainsi le maire de
Gessopalena (Gliieli) croit humain de rouvrir le tour. La commune de San-Gre-
gorio-Magno (Salerne) a décidé, en 1877, la réouverture du tour, m.ais sans qu'elle
ait eu lieu jusqu'à présent. La commune de Valenzono (Bari) figure dans celles où
le tour n'existe pas, parce qu'il est resté fermé faute de quelqu'un (pii voulût s'en
charger. A Cersosimo (Potenza), on a décidé de le rouvrir en 1888, A Aliano
(Polenza), il sera rouvert avant peu. A Gaianzaro et à Giitro (Catanzaro), la sup-
pression du tour a été ordonnée par la préfecture, mais il exL^e encore. A San-
Giovanni-in-Fiore (Gosenza) il a été supprimé, mais il continue à être tenu par des
particuliers. A Paola (Gosenza), on décida en 1881 de le rouviir, mais la préfecture
s'y est opposée. A Ganale (région calabraise), le tour fonctionne depuis le mois de
novembre 1883. A Ferrazzano (Galabre) et à Gampofranco (Gallanissetta), il sera
rouvert avant peu, ayant été suspendu par suite du décès de la receveuse. A
Saint- Joseph-Jato (Palermo), on doit le rouvrir en 1884. A Messine, le conseil pro-
vincial en a décidé la suppression, mais on n'a jamais exécuté cette décision.
Dans toutes les régions on trouve encore quelque tour ouvert, mais ce n'est que
dans quelques provinces napolitaines et en Sicile qu'on peut dire que cette institu-
tion a encore une véritable importance. En Sicile, par exemple, sur 357 communes
environ, la moitié, c'est-à-dire 161, tiennent encore le tour ouvert. Par suite, le
nombre des enfants exposés, d'état civil inconnu, est bien plus grand dans cette pro-
vince que dans l'Italie septentrionale; sur 1,000 naissances, pendant les trois années
déjà citées, il y a eu dans le royaume 13 enfants trouvés, en moyenne ; mais tandis
qu'en Lombardie, dans la Vénétie et dans l'Ombrie, il y a à peine eu un enfant trouvé
sur 1,000 naissances, la proportion s'élève à plus de 30 p. 1,000 dans les Pouilleset
dans la Basilicate, et à 40 p. 1,000 dans les Calabres et en Sicile, sans tenir compte
du nombre assez notable des enfants qui ont été trouvés, déjà morts, dans les tours.
Quant au mode d'élever les enfants abandonnés, dans les provinces situées au
nord de Rome prédomine le système de les confier aux orphelinats, qui les font
(1) Gissi (Chieti), 111 dei Gransasso d'italia (Teramo), Capodrise (Caserta), Manfredonia et Ischitella
(Poggiat, Bernaida et Tricarico (Potenza), Pizzo (Catanzaro), Carcri et Laurcana di Borello (Ileggio, Calabria),
Bisaguino (Palcrmoi et Ghiaramonte (Julli (Syracuse).
n
— 102 —
allaiter dans l'intérieur de l'hospice et les placent chez un nourricier après un
séjour plus ou moins long dans l'établissement. Dans les provinces méridionales et
en Sardaigne, on préfère, en général, au contraire, placer directement les enfants
abandonnés ou trouvés en nourrice, ou dans des familles qui se chargent de les
élever. Les orphelinats, les asiles pour l'enfance abandonnée ou des maisons de
nourrices sont au nombre de 118, y compris ceux dépendant d'autres établissements
plus importants. Les admissions pendant les années 1879, 1880, 1881 se répartissent
entre ces établissements de la manière suivante :
Enfants illégitimes et trouvés admis dans les orphelinats pendant les années 1879, 1880, 1881.
SIEGE
de
L' IN3TI TUTI ON .
Alessandria. . .
Asti
Acqui
Novi-Ligure . .
Tortona ....
Cuneo
Alba
Mondovi. . . .
Sahjzzo . . . .
Novara ....
Biella
Vercelli ....
Torino
Aosla
Ivrea
Pinerolo ....
Susa .....
Piémont .
Gênes
Albenga ....
Ch la va ri ....
Savona ....
Spezia
Oneglia ....
Ligurie. .
Bergamo. . . .
Brescia ....
Malegno ....
Como
Cremona. . . .
Crema
Mantova ....
Viadana ....
Milano
Pavia
Bobbio ....
Vigevano. . . .
Vogher.î ....
Lombardie
437
256
318
274
212
520
232
370
314
073
320
257
245
314
259
178
263
8,842
1,351
140
210
231
155
469
2,556
695
1,035
166
577
453
44
876
146
3,156
486
31
120
188
7,973
SIEGK
de
l'institution.
NOMBRE
des enfants
illégitimes et Iro
admis pendan
les années 1879-8
Padova
1,101
Rovigo
415
Trévise
509
Udine ....
495
Venise
891
Vérone
981
Vicenza
627
Bassano ....
136
Vénétie
5,155
Bologna .
1,832
410
Imola . . ....
Ferrare
1,122
Forli ....
305
Cesena
296
Rimini
644
Modena
611
Mirandole
97
Parme
1,124
Plaisance
257
Ravenna
204
Faenza
320
Région de l'Emilie
448
Emilie
7,665
Perugia
1,192
92
Amelia
Citta di Castello
Gubbio
3:}8
111
Terni
860
Orvieto
423
Spoleto
925
Todi
439
Omhrie
4,380
Ancona
281
Fabriano. . . . ,
262
Osimo
58
Senigaliia
235
Ascoli-Piceno
Fermo
413
517
163 —
s I K G B
de
l'institution.
Camerino
San-Severino Marche. . .
Pesaro
Cagli
Fossombrone
Fano
Urbino
Marches
Arezzo
Castiglione Florentin. . .
Cortona
S. Sepolero
Florence .
Modigliano
Prato
Pistoja
S. Miniato
Urcidosso
Massa Maritlima. . . , .
Scansano
Porto-Ferrajo.
Lucca
Massa
Castelnuovo di Garfagnana
Fivizzano
Pontremoli
Pisa
Vollerra
Siena
Montepulciano
S. Gimignano
Toscane . .
a 5 g =■-
!K S B a X
313
7-2
173
151
lU
115
279
2,983
094
56
174
300
2,135
90
173
432
123
214
185
83
52
530
132
94
70
80
1,059
259
580
335
45
7,961
SIEGE
de
l'institution,
Pioma
Viterbo
Rome
Ghieti
Teramo
Ahruzzi e Molise
Naples
Salerne
Gampanie . .
Fouille. . . .
Basilicate . .
Gimigliano
Cosenza
Calahve . . .
Castrogiovanni . . .
Gatania
Âcireale
Galtagirone
Nicosia
Messine
Palerme
Modica
Orosei
Sardaigne . .
Le royaume
^205
652
4,857
288
639
927
4,022
1,081
5,703
9
2,290
2,299
273
1 ,837
468
949
419
33
3,326
391
7,696
15
15
69,012
Ce tableau indique seulement combien d'enfants ont été recueillis pendant ces
trois années, mais il ne donne pas le nombre de ceux qui ont été admis pendant les
années antérieures et restent encore à la charge des établissements.
En général, on peut admettre que le nombre des enfants existant à la charge
des établissements est quatre fois plus grand que le nombre des admissions relevées
dans une année. En effet, des tables de statistique qui accompagnaient le projet de
loi, présenté par le ministre Nicotera à la séance du 22 novembre 1877 à la
Chambre des députés, sur l'entretien des enfants illégitimes et abandonnés, il résul-
tait que dans les orphelinats des 32 provinces du royaume, 15,14.0 enfants avaient
été admis à la bienfaisance et qu'au l'^'" janvier de cette année 62,117 enfants
vivaient à la charge des mêmes hospices, soit à l'intérieur, soit près des nourrices
à la campagne, c'est-à-dire un nombre à peu près quatre fois plus grand que celui
des admissions. Comme le nombre des enfants illégitimes et trouves pendant les
années 1879, 1880, 1881 dans les 118 établissements a été en moyenne 23,004 par
— 164 —
année, on peut calculer que dans la même période de lemps il y avait annucliemenl
à la charge des mêmes établissements environ 92,000 enfants (1).
En outre, les communes pourvoient au placement en nourrice de 37, 449 en-
fants (c'est-à-dire 12,483 par année) ; supposons encore pour ceux-ci que le total des
assistés soit quatre fois plus grand que le nombre annuel des admis, nous arriverons
pour le moins à 48,000 autres enfants illégitimes entretenus par la charité publique;
c'est-à-dire qu'on doit fixer à 148,000 le nombre des enfants illégitimes entretenus
sur les fonds puisés aux budgets communaux et provinciaux unis aux rentes des
Œuvres pieuses.
Comme la dépense annuelle pour ce service en Italie est de 14,313,144 fr., on
peut dire qu'en moyenne, en chiffres ronds, l'entretien de chaque enfant coûte
100 fr. par an.
Dans cette dépense moyenne, il n'est pas tenu compte des sommes données aux
mères d'enfants légitimes pauvres, ni des secours accordés aux fillcs-mères élevant
elles-mêmes leurs enfants.
C'est dans les provinces de l'Italie méridionale qu'il y a non seulement le plus
grand nombre d'expositions aux tours, mais encore le plus d'abandons d'enfants dans
un lieu public. Ainsi, en Sicile, où le tour est ouvert dans 161 communes, il y a eu,
pendant les 3 années, 11,899 enfants exposés dans les tours, et 1,710 expositions
dans un lieu public. La Calabre, qui a 93 communes possédant un tour, compte
3,202 enfants exposés dans les tours et 2,428 dans des lieux publics; par contre, la
Lombardie, avec un seul tour (Bergame), a eu 74 enfants exposés dans celui-ci et
212 dans un lieu public; la Vénétie, avec quatre tours, a eu 201 enfants exposés
dans ceux-ci et 50 dans un lieu public. En conséquence, le fait qu'il y a beau-
coup de communes où le tour fonctionne ne rend pas moins fréquentes qu'ailleurs
les expositions d'enfants dans des lieux publics.
On a l'habitude d'affirmer que la clôture du tour a fait augmenter le nombre
des infanticides et des avorlemenis, en enlevant à la fille-mère le moyen de tenir
caché le fruit de sa faute. On n'a pas de données statistiques pour démontrer com-
bien étaient fréquents les infanticides et les avortements criminels lorsque le sys-
tème de réception des enfants au moyen du tour était en vigueur dans tout le
royaume, parce qu'avant 1880, dans les statistiques pénales, les accusations et les
condamnations pour infanticide et pour avortement provoqué étaient confondues
avecles autres crimes contre les personnes. Nous devons donc nous borner à indi-
quer les chiffres se rapportant aux années 1880, 1881,1882.
(t) Ce chiffre ne représente pas encore le total des enfants élevés aux soins des orphelinats, car sans
parler de ceux dont les mères reçoivent de l'orphelinat des subsides en argent ou en nature, on n'y a pas
compris les enfants légitimes qui, dans ceitaines conditions, sont acceptés par quelques orphelinats au
moins pendant Tannée de Tallaitement, non plus que les enfants illégitimes qui sont acceptés dans les
orphelinats sans y avoir été envoyés par les communes. Par exemple, il résulte de notre tableau que,
pendant les années 1879, 1880 et 1881, 3,156 enfants illégitimes ont été envoyés par les communes à
l'orphelinat de Milan, tandis que dans les comptes rendus annuels, que le docteur R. Gritfini a publiés sur
cet établissement, on trouve que les admissions dans ledit orphelinat ont été de 1,055 légitimes et de
3,249 illégitimes pendant la même période de temps. De môme, notre tableau indique que les envoyés
par les communes à Torphelinat de Côme ont été de 577, tandis que, d'après le compte rendu de cet
établissement, publié par le docteur A. Tassani, il résulte que les admissions à l'hospice ont été de
60 légitimes et de 611 illégitimes. Dans l'orphelinat de Gênes, notre tableau accuse 1,331 admissions;
le compte rendu du com. A. Molino n'indique que IGO légitimes et 1,317 illégitimes.
165 —
INFANTICIDES (crilllcs)
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1882
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1880
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Rome
1881
1882
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1880
13
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Brescia
1881
1882
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4880
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3
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9
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Casale-Monterrato
4884
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8
»
»
4882
4
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»
4
»
1
1
))
(1) Parmi lesquels 2 avec le titre d'abandon d'enfant (crime contre Tordre des familles), abandon ayant
amené la mort des nouveau-nés
— 166 —
DISTRICTS
des cours d'appel.
Gènes
Milan
Parme avec Modène
Turin
Royaume . .
1880
1881
1882
1880
1881
188-2
1880
1881
1882
1880
1881
1882
1880
1881
1882
INFANTICIDES (crlllles)
pour Ifsquels suit un jugement
11
u
10
20
15
11
12
7
10
37
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24
303
320
310
»
1
1
1
»
»
1
»
1
i
1
19
28
22
2
y>
3
1
3
7
5
3
82
73
96
3
avortbments
PROVOQUÉS (crimes)
10
6
5
10
11
7
15
213
222
218
2
»
»
»
17
16
12
»
»
1
>
11
13
iV. 5. — Les chiffres des cours d'assises, pour l'année 1882, ont été pris dans les
tableaux sommaires annexés aux discours annuels des procureurs généraux; il n'est pas
impossible que, dans la statistique particulière à cette année, ils subissent quelques
légères modifications; pour la même année 1882, il n'a pas été possible de donner les
chiffres des avortements provoqués, jugés par les cours d'assises, parce que dans les
tableaux sommaires, ils ont été compris avec les autres crimes sous la rubrique : « Crimes
contre l'ordre des familles. »
Un fait à noter, c'est que sur les crimes d'infanticides consommés portés à la con-
naissance du ministère public, il y a à peine un tiers qui soit suivi d'un jugement
de condamnation ou d'acquittement, et que pour les avortements les jugements se
réduisent au 1/10 des dénonciations; ce qui prouve combien il est difficile de dé-
couvrir les auteurs de ce genre de crimes.
Si l'on compare le total des crimes consommés, poursuivis par le ministère
public, avec la population de chaque distiict, on obtient les résultats suivants :
Tableau.
— 167
Crimes consommés pendant les années 1880, 1881 , 1882, poursuivis par le ministère
public.
DISTRICTS »KS COURS d'APPEIi.
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CHIF
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PROPORTION ANNUELLE
sur 1,000,000 d'habitants.
POPULATIOS.
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TOTAUX.
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0.65
0.56
1.21
1,061,812
35
20
1.10
0.63
1.73
1,877,117
46
23
0.82
0.41
1.23
1 ,460,209
38
20
0.87
0.46
1.33
2,814,173
77
39
0.91
0.46
1.37
1,018,236
29
13
0.95
0.43
1.38
1,165,155
42
15
1.20
0.43
1.63
1,511,339
59
40
1.30
0.88
2.18
1,349,741
43
30
1.06
0.74
1.80
689,659
14
9
0.68
0.43
1.11
903,472
32
34
1.18
1.25
2.43
951,781
53
36
1.85
1.20
3.11
3,786,515
137
117
1.20
1.03
2.23
1,589,064
51
24
1.07
0.50
1.57
1,257,883
52
74
1.38
1.96
3.34
1,561,994
47
31
1.00
1.09
2 09
904,983
16
18
1.16
1.30
2.46
460,924
15
15
0.55
0.55
1.10
682,002
34
24
1.66
1.17
2.83
28,459,628
933
653
1.09
0.77
1.86
Turin
Ca^ale-Monferralo
Gènes
Milan.
Brescia
Venise
Panne avec Modène
Bologne
Ancône avec Macéra et Perugia .
FloFi^nce
Lucca
Rome
Aquila
Naples avec Potenza.
Trani
Catanzaro
Palernie
Messine. .
Catane
Cagliari
Royaume. .
Les plus grandes proportions, soit d'infanticide.'', soit d'avortements, sont fournies
par les provinces de l'Italie méridionale.
Parmi les districts au nord de Rome, celui d'Ancône avec Macerata et Pérouse
donne, à lui seul, un nombre d'infanticides et d'avortements supérieur à la moyenne
du royaume, et il est à remarquer que parmi les provinces de l'Italie septentrionale
et centrale, ce sont les Marches qui ont toujours eu le plus grand nombre de touis
ouverts.
Par contre, en Sicile, le district de Catane, où les tours ont été supprimes, donne
un nombre d'infanticides de beaucoup inférieur à celui qu'on a observé dans les
deux districts de Palerme et de Messine. On ne peut donc pas trouver dans le nom-
bre des infanticides consommés une preuve que la clôture du tour ait exercé une
influence quelconque sur cette nature de crimes.
Quelques-uns croient aussi qu'un assez grand nombre d'avortements provoqués
restent cachés sous la rubrique de « mort-nés », comme aussi que beaucoup d'infan-
ticides résultant non de la violence, mais de la faiblesse congénitale de l'enfant, pas-
sent inaperçus dans les morts survenues pendant les premières semaines de la
naissance. Le nombre des mort-nés illégitimes pour 1,000 naissances illégitimes
pendant la période 1866-1883 est représenté par les chiflVes suivants :
Tableau.
168
MOKT-NES
sur iOO naissances, y compris
les morl-nés.
1866
1867
1868
1869
1870
1871
1872
1873
1874,
En général.
2.49
2.36
2.52
2.42
2.53
2.69
2.81
2.80
2.76
Illégitimes.
3.32
1875
3.40
1876
3.52
1877
3.76
1878
3.57
1879
3.47
1880
3.65
1881
3.76
1882
3.46
4883
MORT-NES
sur 100 naissances y compris
les mort-nés.
En général.
2.80
2.96
2.96
3.00
3.06
3.08
3.16
3.23
3.35
Illégitimes.
3.77
3.88
3.80
3.93
3.93
4.03
4.12
4.40
4.56
De ces chines on pourrait conclure que la suppression du tour aurait fait augmen-
ter le nombre des mort-ncs illégitimes, puisque pendant les dix années 1870 à
1880, pendant lesquelles cette suppression s'est accomplie dans un grand nombre
de provinces, le nombie des mort-nés illégitimes s'est notablement accru. Mais
nue augmentation pres(|uc identique du nombre des mort-nés a été constatée parmi
les mort-nés légitimes sur lesquels la question du tour ne peut exercer aucune
mnuence. L'augmentation de la morti-natalité en Italie ne doit donc pas être attri-
buée à la suppression du tour, mais à une autre cause démologique encore in-
connue.
On a vu que, sur 75,950 enfants illégitimes ou trouvés qui naissent en moyenne
dans un an, :35,487, c'est-à-dire environ la moitié, sont envoyés par les communes
en nourrice ou dans un orphelinat pour y être maintenus et élevés jusqu'à ce qu'ils
soient en état de pourvoir par eux-mêmes à leurs propres besoins.
Reste maintenant à examiner quel est le sort réservé à ces disgraciés de l'ordre
social et à chercher combien il y en a qui soient, par les soins de la charité pu-
blique, mis en état de se suffire à eux-mêmes.
^ Dans les statistiques des causes de décès survenus dans les communes chefs-
lieux de provinces ou d'arrondissements, publiées annuellement par le ministère
du commerce et de l'agriculture, les décédés au-dessous de 5 ans ont été subdivisés
d'après leur naissance légitime ou illégitime. Pour les années 1881, 1882,1883,
on a trouvé :
DÉCÈDES.
DÉCÈS
sur 1,000 naissances.
NES
VIVANT
s.
— ^^mi
De la naissance
De 1 mois
De 1 an
à 1 mois.
à 1 an.
à 5 ans.
1>;| mois.
à 1 an.
(1881
210,800
15,839
21,648
32,642
75.1
102 7
Légitimes . . .
1882
206,531
15,301
24,196
33,035
74.1
117.1
(1883
211,017
15,275
20,810
34,214
72.4
98.6
(1881
28,205
5,901
3,912
2,340
209.2
138 7
Illégitimes. . ,
1882
28,951
5,921
4,014
2,405
104 5
138.6
( 1883
28,777
6,156
4,276
3,088
213.9
148.6
Dans le premier mois de l'existence, le nombre des enfants illégitimes décédés
est, par rapport au nombre des naissances, presque trois fois plus grand que celui
des enfants légitimes.
— 169 —
Ld morlalilé des enfanis illégiiimes pendant le premier mois seulement, par
rapport à 1,000 naissances, est supérieure à la mortalité des enfants légitimes pen-
dant toute la première année. Il meurt plus d'enfants illégitimes dans le premier
mois que dans les 11 autres mois de la première année pris ensemble.
Les enfants illégitimes morts dans les communes chefs-lieux pendant l'année
1882 se répartissent, suivant le lieu où ils sont morts, de la manière suivante :
Illégitimes morts dans leur famille ou en nourrice 5,5i8
— — dans des orphelinats 5,191
— — dans les maternités 1,578
— — dans d'autres lieux 23
Total 12,340
On pourrait objecter que dans les communes chefs-lieux, où se trouvent la plus
grande paitiedes orphelinats, viennent mourir les enfants illégitimes nés dans d'au-
tres communes. Mais le mouvement d'émigration des enfants illégitimes vers les
villes est contre-balancé par un mouvement d'émigration des villes à la campagne,
où les enfanis illégitimes sont placés en nourrice. Pour reconnaître si ces deux
mouvements en sens inverse s'équilibrent, il faudrait savoir quelle est la morlalilé
des illégitimes dans les autres communes. Malheureusement, jusqu'à présent les
publications annuelles du mouvement de l'étal civil se bornent à distinguer les
naissances selon l'origine (1), mais sans tenir compte de cette distinction dans les
statistiques mortuaires. Cette recherche a été exigée à partir du l"" janvier 1883,
et dans celle même année on a obtenu sur la mortalité des enfanis au-dessous
d'un an les chiffres que nous reportons dans le tableau suivant, afin de mettre en
relief quelle influence ont eue sur la mortalité des enfants illégitimes les mesures
locales prises en faveur de l'enfance abandonnée.
(1) D'après le mouvement de l'état civil, on aurait, pendant les vingt années de 18G3 à 1882, les
données suivantes :
ILI^KQITIMKS OU EXPOSÉS
pour 100 nés vivants.
Piémont
Ligurie
Lcmbardie. . . .
Vénétie. ....
Emilie
Ombrie
Marcties
Toscane
Rome
Abruzzes et Molise.
Campante ....
Pouille
Basilicate ....
Calabre
Sicile
Sardaigne ....
{{OYAIME . . .
9 années,
1803 à 1871.
9 années,
1872 à 1880.
2 années,
1881 à 188i.
i.U
3.73
3.4
4.58
5.02
5.0
4.G8
3.01
2.8
3.8G
4.47
6.2
5.9t
18.02
14.9
9.44
t8.74
20.6
6.80
15.38
14.3
7.58
10. G7
10.0
»
17.33
22.6
4.44
5.07
4.8
5.08
4.84
4.4
5.02
4.94
4.4
4.70
5.22
5.2
8.43
9.24
8.8
7.77
8.35
8.2
4.41
9.02
10.3
5 . 62
7.15
7.4
- 170
DÉCÈS
DÉCEOKS
DÉCÉDÉS
sur 100 naissancei
NÉS VIVANTS
de la naissance
^^^ ^^
il 1
^lois
(le 1 mo.
sa 1 an
de la naissance
de la naitsance
PBOVIKCES.
-—~^mm~-
^
^
^ _^
._
^^^
à 1 mois
à 1 an
légitimcs.
illégitimes.
légilimes.
illégitimes.
légilinips
illégitimes.
légi-
times.
illégi-
times.
légi-
times.
illégi-
times.
Piémont.
Alexandrie. . .
25,884
621
2,121
130
2,426
141
8.2
20.9
17.6
43.3
Cunéo . . . .
21,575
584
2,076
146
2,235
127
9.6
25.(1
20.0
48.5
Novare . . . .
23,865
716
2,119
95
2,389
96
8.9
13.3
18.9
26.7
Turin
32,159
1,730
2,279
302
3,115
318
7.1
17.5
16.8
35.8
Ligurie.
Gênes . . . .
23,862
1,232
1,636
192
2,269
149
6.9
15.6
16.4
27.6
Porto-Maurizio .
3,823
262
269
81
502
52
7.0
30.9
20.2
50.8
Lombardie.
Bergame. . , .
15,608
309
1,481
44
1,904
44
9.5
14.2
21.7
28.5
Brescia ....
15,439
622
1,382
147
1,516
127
8.3
23.6
18.8
44.1
Côme
19,402
277
1,423
44
1,932
36
7.3
15.9
17.3
28.9
Crémone . . .
9,989
244
1,123
78
973
56
11.2
32.0
21.0
54,9
Mantoue. . . .
9,550
727
983
169
723
90
10.2
23.2
17.8
35.6
Milan
44,391
1,458
4,101
259
5,191
267
9.2
17.7
20.9
36.1
Pavie
16,315
334
1,292
92
2,150
86
7.9
27.5
21.1
53.3
Sondrio. . . .
3,666
129
320
40
355
65
8.7
31.0
18.4
81.4
Vénétie.
Bellune. . . .
6,006
353
725
56
367
22
12.1
15.8
18.2
22.1
Padoue ....
13,520
1,275
2,24.5
383
844
162
16.5
30.0
22.8
42.7
Rovigo ....
7,732
950
1,445
172
715
78
18.6
18.1
27.9
26.3
Trévise ....
13,026
513
1,706
73
730
68
13.1
14.2
18.9
27.4
Udine
15,910
1,473
1,195
146
1,170
115
7.5
9.9
15.4
17.7
Venise ....
11,148
1,269
1,069
166
897
122
9.5
13.1
17.6
22.7
Vérone ....
12,554
522
1,297
79
800
22
10.3
15.1
16.7
19.3
Vicenza. . . .
14,486
704
2,022
170
861
75
13.9
24.1
20.0
34.8
Emilie.
Bologne. . , .
12,039
2,332
1 ,426
339
1,006
230
11.0
14.4
18.8
24.4
Ferrare. .
6,618
2,726
863
481
675
234
13.0
17.6
23.2
26.2
Forli
7,093
3,231
983
505
959
351
13.9
15.6
26.0
26.4
Modène ....
9,193
1,360
1,530
222
686
107
16.7
16.3
24.1
24.1
Parme . . . .
8,316
819
909
121
911
100
10 9
14.8
21.8
27.0
Plaisance. . .
7,078
296
765
98
948
129
10.9
33 1
22.8
76.7
Ravenne. . . .
5,901
1,159
653
172
569
114
11.0
14.8
17.7
20.7
Reggio . . . .
7,942
948
1,065
179
759
97
13.4
18.9
23.0
29.1
Ombrie.
Perugia. . . .
16,043
4,452
1,572
607
1,374
491
9.6
13.6
18.0
24.6
Marches.
Ancône ....
9,043
1 ,245
1,102
162
993
149
12.2
12.0
23.1
25.0
Ascoli Piceno .
6,376
1,179
574
189
440
136
9.0
26.0
16.0
27.5
Macerala . . .
7,834
982
918
143
550
101
11.7
12.5
18.5
23.0
Pesaro-Urbino .
6,984
1,660
1,159
289
721
176
16.6
17.4
26.9
28.0
Toscane.
Arezzo ....
7,902
1,083
638
144
808
174
8.1
13.3
18.2
29.3
Florence . . .
26,432
2,223
2,166
259
2,405
238
8.2
11.7
17.2
22.3
Grosseto . . .
3,829
711
275
61
394
70
7.2
8.6
17.5
18.4
— 171
1
U K C È 8
NÉS VIVANTS
DKCÉDliS
de lu naissance
DlicéDKS 1
sur 100 naissances
h 1 mois
de 1 mol
s à 1 an
de la naissance
de la naissance
PROVINCES.
6 1 mois
à t an
légi-
illégi-
légi-
illégi-
li'i^i limes.
illégilimes.
légitimes.
illégitimes.
légitimes.
illégilinies.
times.
5.1
linies.
2.9
liniis.
13.6
times.
Livourne . . .
3,025
343
155
10
258
5
4.3
Lucc;i
9,306
664
701
102
703
94
7.5
15.4
15.7
29.5
Massa-Carnira. .
5,658
1,240
485
116
554
124
8.6
9.3
18.3
19.3
Pisc
9,006
944
667
89
620
97
7.4
9.4
14.3
19.7
Siena
6,586
774
604
143
577
77
9.3
18.5
17.9
28.4
lioiiia. ....
24,864
7,633
1 ,605
746
2,607
900
6.5
9.6
16.9
21.4
Abruzù-Molise .
Aquila ....
13,771
778
890
95
1,317
87
6.5
12.2
17.4
23.4
Campobasso . .
15,746
555
1,118
57
2,398
110
7.1
10.3
22.3
30.0
Chieti
14,153
621
1,010
82
1,841
81
7.1
13.2
20.1
26.2
Teramo. . . .
8,906
666
570
99
948
111
6.5
14.9
17.0
31.3
Campania.
Avellino. . . .
16,028
458
995
55
2,099
90
6.2
12.0
19.3
31.7
Benevenuto . .
9,599
278
636
32
1,474
51
6.6
11.5
22.0
29.9
Caserta ....
24,855
998
1 ,521
124
3,124
147
6.1
12.4
18.7
27.2
Naples ....
32,528
1 ,940
1,845
260
4,578
316
5.6
13.4
19.7
29.7
Salerne ....
18,577
1,315
1,005
437
2,605
165
5.4
33.2
19.4
15.8
Puglie.
Bori
29,739
1,197
1,591
101
3,593
243
5.3
8.4
17.4
28.8
Foggia ....
1.5,483
626
971
76
1,995
113
6.2
12.1
19.2
30.2
Lecce
22,255
1,242
1,140
116
2,517
233
5.1
9.3
16.4
28.1
Basilicata.
Potenza ....
21,652
1 ,283
1,463
141
2,871
183
6.7
11.0
20.0
25.5
Calabre.
Catanzaro . . .
15,085
1,211
1,113
195
2,478
244
7.4
16.1
23.8
36.3
Cosenza ....
14,923
1,886
811
515
1,518
409
5.4
27.3
15.6
49. Ô
Reggio ....
12,709
1,100
865
121
1,772
246
6.8
11.0
22.3
33.4
Sicile.
Callanissetta. .
11,297
859
590
137
1,663
223
5.2
16.1
19.9
41.9
Catania ....
20,605
1,917
1,057
390
3,498
486
5.1
20.3
21.6
45.7
Girgeiiti. . . .
13,156
1,609
747
187
1,768
303
5.6
11.6
19.1
30.5
Messine. . . .
15,539
1,550
767
287
2,290
321
5.0
18.5
19.6
39.2
Palerme. . . .
27,085
1,706
1,242
219
3,711
402
4.5
12.8
18.3
36.4
Syracuse. . . .
12,979
1 ,539
698
372
1 ,920
411
5.3
24.1
20.1
50.7
Trapani. . . .
11,418
607
486
84
1,225
137
4.2
13.8
15.0
36.4
Sardaigne.
(lagliari. . . .
13,110
1,836
577
117
1 ,298
154
4.4
6.4
14.3
14.8
Sassari ....
8,986
990
390
58
802
83
4.3
8.0
5.9
15.1
13 3
19.0
14.2
Royaume . .
988,375
83,077
79,228
12,568
108,969
11,861
29.4
On voit que la natalité et la morlalité des enfants illégitimes varient considéra-
blement d'une province à l'autre. Les provinces de l'Italie centrale, c'est-à-dire de
l'Emilie, de l'Ombrie, des Marches, de la Toscane et de Rome, donnent, par rapport
au total des naissances, le plus grand nombre de naissances illégitimes ; ces der-
— 172 -
nières ont été constamment en augmentant pendant les vingt années de 1865-1882,
mais en général, dans ces mêmes provinces, la mortalité des enfants illégitimes
dans la première année d'existence a été moins grande. Ainsi, dans quelques-unes
d'entre elles (Forli, Modène, Ravenne, Pérouse, Ancône,'Macerata, Grosselo, Massa),
on ne relève presque aucune différence entre la mortalité des légitimes et celle des
illégitimes. La province de Plaisance seule fait exception ; dans cette dernière pro-
vince, en effet, la mortalité des illégitimes au-dessous d'un an est triple de celle des
légitimes (22.8 : 76.7 pour cent naissances), probablement par suite de quelque
épidémie survenue dans l'orphelinat pendant la courte période sur laquelle a porté
l'examen. Dans la province de Livourne, la mortalité des illégitimes (^.S p. 100)
est notée excessivement basse, soit parce que la province n'a que l'orphelinat de
Portoferrajo , qui dessert la population de l'île d'Elbe, soit parce que les illégitimes
nés dans la commune de Livourne sont envoyés à l'orphelinat de Pise, soit encore
parce que la commune de Livourne ayant un territoire très restreint, les enfants
sont envoyés en nourrice dans les communes des provinces limitrophes de Pise et
de Lucca.
Dans les provinces de l'Italie septentrionale, le chiffre des naissances illégitimes
est moins considérable, mais il en meurt un nombre relativement plus grand, ce
qui s'explique en partie par cette raison qu'il va fort peu d'illégitimes reconnus par
leurs parents et élevés en famille. Tandis que sur 1,000 naissances illégitimes, on
compte dans les Marches 802 enfants reconnus au moins par un des auteurs de
leurs jours, à Rome 801 et en Emilie 775, en Piémont on en trouve seulement 240,
en Lombardie 205 et en Ligurie 428. Il y a lieu de supposer que la loi sur le ma-
riage a trouvé dans ces provinces moins d'opposition à se généraliser que par-
tout ailleurs et qu'on y trouve moins d'unions non reconnues par la loi (faux
ménages) [1].
Dans l'Italie septentrionale, les illégitimes sont pour la plupart des enfants aban-
donnés, aux besoins desquels pourvoit la charité publique; les soins maternels leur
faisant défaut, ils périssent en grand nombre.
Dans les provinces continentales de l'Italie méridionale et dans les grandes îles,
beaucoup d'enfants illégitimes vivent près de leurs parents, surtout dans la Pouille
(1) Pour démontrer combien doit être grand, dans les communes de l'Italie centrale, le nombre des
naissances provenant des mariages contractés à Téglise seulement, on s'est reporté aux Annales de
statistique (série I, vol. 9), qui contiennent les tableaux suivants sur les mariages célébrés dans les
communes de Mirandola, de Cesena et de San-Severino-Marche.
SAN-SEVEBINO-MARCHE. MIKANDOLA. CESENA.
ANNÉES. Mariages con- Mariages con- Mariages coii- Mariages cou- Mariages con- Mariages con-
tractés à la mairie tractés à l'église tractés à la mairie tractés à l'église tractés à la mairie tractés à l'église
et à l'église. seulement. et à l'église. seulement. et à l'église. seulement.
80 83 96 13G 2(3
90 84 112 IGO 2G6
90 95 103 197 29G
100 89 89 213 312
119 119 113 198 303
85 81 G8 161 299
99 91 96 185 301
104 86 102 213 303
95 125 135 240 318
125 » » » »
Totaux. . G29 987 853 914 1,703 2,611
1866 . .
42
1867 . .
48
1868 . .
66
1869 . .
63
1870 . .
53
1871 . .
46
1872 . .
58
1873 . .
70
1874 . .
83
1875 . .
. 100
— 17;3 —
(883.G9 p. 1,000), en Basilicale (884.24) et en Sardaigne (852.71 p. 1,000), et leur
moi'talilé varie beaucoup d'une région à l'autre, l'allé est très grande dans les Ca-
labresel en Sicile, aussi bien dans les provinces où le tour a été suppiimé que dans
celles où il continue à fonclioiiner. Ainsi, dans les provinces de Gosenza et de
Catane, où le tour a été supprimé, on a conslalé respectivement une morlalilé de
40.0 et de 45.7 illégitimes sur 100 naissances, et dans les provinces de Syracuse et
de Trapani, où le tour est ouverl, une morlalilé de 50.7 et de 30. 4 sur 100 n-iis-
sances. Dans la Galabre spécialemenl, il y a quelques villes où l'on peut diie que
presque tous les enfants illégitimes meurent dans la première année de leur nais-
sance. Dans celte région, divers systèmes d'élevage sont en vigueur pour les enrants
illégitimes. Dans la province de Gosenza (à l'exception de l'arrondissemenl de Paola),
il est ouverl à Gosenza un orphelinat où sont admis, par le moyen d'un buieau
ouverl de réception, les enfants illégitimes nés dans la province.
Dans cette province, le mouvement de l'étal civil pour l'année 1883 donne :
NAISSANCES
ILLÉGITIMES
ILLÉGITIMES DÉCÉDÉS DANS LA 1'
ANNÉE
PROPORTION'
dos décès sur 100 na ssaiices.
^^
dans
la cuiumnne
ehef-lieu.
dans
la province.
dans la commune clic
f-lieu.
TOTAL.
En province.
Dans
la commune
dans la proviiu
Populalion
résidante.
Population
flouante.
clief-lieu.
(Populalion
résidante).
4883
820
924
97
554
651
49.0
80 8
Presque tous les enfants illégitimes de la commune de Gosenza meurent à l'or-
phelinat avant d'avoir accoraph leur troisième mois, comme on le voit dans le
tableau suivant :
Illégitimes décédés dans la commune de Gosenza
POPOLATION
PROVENANT
résidai!
t dans la commune.
d'autres communes.
TOTAL
AGE.
" ^
—
^ —
général.
M.
F.
TOTAL.
M.
F.
TOTAL
De la naissance à 1 mois. .
33
31
64
171
183
354
418
De 1 mois à 3 mois . .
M
18
29
47
133
180
209
-3 - 6 —
1
2
3
3
8
11
14
— 6 — 9 —
»
»
ï)
\
3
4
4
_9 _ 12 —
»
1
1
»
5
5
6
— 1 an 2 ans
»
2
2
))
1
1
3
— 2 ans 3 —
»
1
1
»
2
2
3
-3 — 4 —
1
»
))
»
))
))
1
-4 — 5 —
T)
»
»
»
»
»
))
Totaux
40
55
101
222
335
557
658
Dans la province de Reggio de Galabre, la réception des enfants abandonnés se
fait généralement par le moyen du tour, mais il n'y a pas d'orphelinat et chaque
commune a une administration spéciale avec une receveuse pie, laquelle est
chargée du placement des enfants en nourrice. La vie de ces enfants est beaucoup
— 174 —
mieux protégée, de façon que sur 100 naissances illégitimes il en meurt seulement
11.0 dans le premier mois et 33.4 dans toute la première année d'existence.
Pour tout le royaume, pendant l'année 1883, sur 100 naissances légimes, il y a eu
8.0 décès au-dessous d'un mois, et de 1 mois à 1 an 11.0, soit en tout 19.0 décès
dans la première année. Sur 100 naissances illégitimes ou enfants exposés, il y a
eu 15.1 décès dans le premier mois, et de 1 mois à 1 an 14.3, soit en tout 29.4
dans la première année.
En distinguant les naissances et les décès des illégitimes et des enfants exposés,
on pourra mieux voir dans quelles conditions se trouvent les enfants élevés près de
leurs familles par rapport à ceux qui sont élevés dans les orphelinats. Pendant
l'année 1883, il y a eu dans tout le royaume :
CATÉGOKIE8.
NAISSANCES.
DÉCÉDÉS ÏjA
M.
1" ANNÉB.
F.
DÉCÉDÉS DANS LA l^e ANNÉE
sur iOO naissances.
M.
F.
TOTAL.
M.
F.
Légitimes . . .
Illégitimes . . .
Exposés ....
508,614
29,751
13,037
479,761
27,283
13,006
102,196
6,749
5,849
86,001
5,791
6,040
19.04
21.99
45.65
20,09
22.68
44.86
17.93
21.13
46.44
Comme on le voit, la mortalité des enfants déclarés illégitimes aux bureaux de
l'état civil, en comprenant sous cette rubrique les illégitimes reconnus et élevés
par les soins de leurs parents, est peu au-dessus de la mortalilé des enfants
légitimes. Les conditions vraiment exceptionnelles frappent seulement les exposés
(sous celte dénomination beaucoup d'officiers d'état civil comprennent, outre
les exposés au tour ou dans un lieu public, les enfants naturels non reconnus
par leurs parents). Pour ceux-ci la mortalité est plus du double de celle observée
parmi les enfants légitimes (1). Il est aussi à remarquer que dans la catégorie des
exposés le nombre des naissances féminines est presque égal au nombre des nais-
(1) Dans la province de Girgenti, la mortalité des illégitimes et exposés au-dessous d'un an, pris
concurremment, fut de 30.5 p. 100. Toujours d'après les chiffres recueillis par ce préfet, pendant les
cinq années de 1876 à 1880, il y aurait eu pour les exposés seulement :
NOUBRB
dss exposés.
3,950
MORTS AGES DE MOINS d'uN AN
tour. en nourrice. toial.
696
1,337
2,033
PllOPORTIONS
sur 100 exposés.
51.3
Ici encore, la plus grande mortalité s'observe dans les premiers mois de la vie.
AGE DES DÉCÈDES. AU TOUR. EN NOURRICE. TOTAUX.
De la naissance à 1 mois. . .
449
435
884
De 1 mois à 3 mois ....
182
326
508
De 3 — à 6 — . . . .
43
248
291
De 6 — à 9 — ... .
17
171
188
De 9 — à 12 — . . . .
5
157
1G2
Au-dessus d"un an
1
697
322
323
1,659
2,363
Les conditions de la province de Syracuse sont plus tristes encore. C'est à peine si la moitié des illé-
gitimes arrive à dépasser la première année, et si l'on limite l'examen à ceux recueillis dans les hospices,
les états de mortalité qui ont été dressés sont épouvantables. Dans la commune de Modice , suivant les
déclarations du délégué royal extraordinaire Fanelli, sur 1,459 admis dans l'hospice dépositaire, 1,456
étaient morts avant la fin de leur période d'élevage. (Journal l'Opinion, 29 mai 1884.)
— 175 —
sances masculines, tandis que parmi les naissances légilimes et illégitimes le i¥)m-
bre des garçons est bien supérieure celui des filles. Par contre, dans ces deut der-
nières catégories, la mortalité des gai'çons est plus grande que la mortalité des
filles, tandis que pour les exposés c'est l'inverse qui a lieu. •
La plus grande mortalité des enfants illégitimes par rapport à celle des enfants
de naissance légitime se produit spécialement dans le premier mois d'existence. Ces
grandes pertes sont attribuées par quelques-uns au peu de sollicitude dont sont
l'objet les enfants illégitimes, aux mauvais systèmes d'élevage, et surtout à l'absence
des soins uiaternels. D'auties les mettent spécialement à la charge de la mauvaise
constitution physique des nouveau-nés illégitimes, les(|uels sont procréés par des
parents dissolus, et font remarquer que déjà pendant la grossesse la mère ne rece-
vait pas la plupart du temps les soins nécessaires, ni ne prenait elle-même les pré-
cautions usuelles que l'on réclame pour le développement régulier du fœtus.
M. René' Lafabrègue, directeur de l'Hospice de l'enfance abandonnée de la Seine,
commentant le projet de loi présenté au Sénat français en 1877 pour le rétablisse-
ment des tours, dit (1) :
« Pour expliquer la grande mortalité des enfants illégitimes, on a affirmé, sans
preuve à l'appui, qu'ils naissent avec le germe qui doit les tuer. Rien, à mon avis,
ne justifie cette opinion. Quant à moi, et sous mes yeux, beaucoup d'enfants sont
déjà passés; je n'ai jamais observé aucune différence entre les deux catégories au
moment de la naissance; l'enfant robuste était tantôt légitime, tantôt illégitime, et
réciproquement; j'ai, en outre, examiné les registres des maisons de maternité de
Paris, relevant l'un après l'autre les poids et les tailles des 1,230 enfants nés en
1874, et j'ai trouvé que les enfants illégitimes pouvaient, pour ce qui regarde le
poids et la taille, soutenir avec avantage n'importe quelle confrontation avec les
enfants légitimes. »
Par contre, le comm. A. Molfîno, dans son compte rendu sur l'Hospice de l'en-
f.ince abandonnée à Gènes (années 1880, 1881, 1882), fait observer que 1,346 en-
fants illégitimes recueillis dans l'hospice ayant été pesés au moment de la naissance,
il s'en est trouvé 723, c'est-à-dire 53.71 p. 100, avec un poids inférieur à 3,000
grammes, que l'on regarde comme le poids moyen d'un fœtus naturel au moment
de la naissance.
Selon Ely (2), sur 1,000 jeunes gens de naissance légitime, on en trouve, en
France, 32 impropres au service militaire pour défaut de taille, tandis que sur
1,000 illégitimes il y en a 64.
Finalement, M. Ferdinand Prosdocimi, dans son rapport au conseil provincial de
Rovigo, au nom de la commission chargée d'étudier et de proposer le meilleur
moyen de subvenir nux besoins du service des exposés (3), fait observer que parmi
les naissances illégitimes la proportion pour 100 des mort-nés est toujours plus
grande que parmi les légitimes, et que dans les premières il doit exister aussi une
plus grande prédisposition à la maladie et à la mort.
En étendant à tout le royaume le raisonnement que cet auteur lient pour la pro-
vince de Rovigo seulement, on arriverait aux conclusions suivantes. En Italie, en
(1) Annales de démographie internationale, 1879.
(2) Dictionnaire cnajclopédique des sciences médicales, article Recucteme.nt.
(3) Ilovigo, typ, G. Vialrello, 18HI, paj<es 4.j et suivantes.
— 176 —
mojenne, sur iOO naissances légitimes, il y a 2.85 morl-nés, et sur 100 naissances
illégilimes 3.77 (1). Or, comme sur 100 nés vivants légitimes il en meurt dans la
première année 10.1, la mortalité ordinaire des illégitimes, dans les conditions ac-
taelles de l'Italie, indépendamment de l'influence du mode d'élevage, devrait être :
19.1 X 3.77 : 2.85, c'est-à-dire == 25.3, et à moins qu'on ne recherche des
moyens d'ordi-e général pour atténuer la mortalité infantile en Italie^ il n'est pas
possible d'obtenir parmi les illégitimes une mortalité inférieure à 25.3 p. 100 nais-
sances, M. Prosdocimi ne croit pas que les rapports inférieurs à 25 p. 100 donnés
par quelques orphelinats soient exacts; mais il est d'avis que ces erreurs provien-
nent de l'omission d'un certain nombre de décès.
D'un autre côté, les preuves fournies par lui ne nous paraissent pas suffisantes-.
Avant tout, on sait combien il est difficile d'obtenir une statistique exacte des morl-
nés; en outre, pour élever le chiffre des mort-nés parmi les illégitimes, il entre en
ligne de compte non seulement des influences naturelles, mais encore quelques
influences artificielles, plus ou moins criminelles, comme les avortements provo-
qués, la négligence dans les soins hygiéniques auxquels doit se soumettre une
femme en étal de grossesse, etc.
Le docteur A. Berlillon a le premier signalé le fait que, tandis que dans les en-
fants légitimes le nombre des décès va progressivement en diminuant à partir du
premier jour de la vie, dans les illégitimes, au contraire, on observe dans la se-
conde semaine une mortalité plus grande que dans la première. Il croit que ce fait,
qui semble un paradoxe physiologique, peut s'expliquer simplement en admettant
que dans beaucoup de cas les mères ou les nourrices qui s'engagent à élever un
nouveau-né illégitime privent celui-ci, plus ou moins délibérément, de l'alimen-
lation nécessaire à sa conservation, de manière qu'il va dépérissant lentement par
inanition et meurt dans la seconde semaine (2). L'observation faite par le D'' A.
Berlillon a été confirmée par les recherches successives faites en Suisse (3), et sur
une plus large échelle, par le D' Engel en Prusse.
Engel a aussi trouvé, tant parmi les enfants légitimes que parmi les naturels, que
la mortalité, qui est très forte dans les premiers jours d'existence, descend jus-
qu'au cinquième jour, augmente de nouveau dans le sixième et dans le septième, et
(1) Selon les nombres moyens obtenus pendant les neuf années de 1872 à 1880.
(2) A. Berlillon. — Hygiène du nouveau-né. Congrès international d'iiygiène, à Paris, en 1878,
page 37. — La proportion mortuaire, calculée par le docteur Bcrtillon, sur le mouvement de Tétat civil
pendant la période décennale de 185G-I8G6 est la suivante :
Morts sur 100 nés vivants.
VILLE. CAMPAGNE.
AGE. Légitimes Naturels Légitimes Naturels
M. F. M. F. M. F. M. F.
l'« semaine. .24.0 19.0 45.8 39.0 30.9 24.3 65.2 54.0
2« semaine. . 19.8 14.9 54.5 46.4 25.3 18.0 70.2 61.0
(3) D' Ladame. — Des Enfants illégitimes en Suisse. Lyon, 1882. — Le mouvement de Tétat civil,
pendant les années 1877, 1878 et 1879, donna les résultats suivants pour la Suisse : f* semaine, la
mortalité des enfants légitimes est à la mortalité des naturels comme 100 est à 150; 2^ semaine, la
mortalité des légitimes est à la mortalité des naturels comme IOO est à 109.
— 177 —
jusqu'au dixième jour se mainlient toujours supérieure à la proportion obseiTée
clans le cinquième, sans qu'il soit en mesure de donner une explication du fait.
Dans nos communes chefs-lieux de province ou d'arrondissement, on a trouvé
pour Tannée 1883 (1) que les enfants morts dans le premier mois de la vie se ré-
partissent, suivant le nombre de jours qu'ils ont vécu, de la manière suivante :
JOURS
NOMBRES
DES MOUTS.
d'exUtence.
Léguiines.
Naliircls.
1
3,399
612
2
1 ,092
315
3
896
326
4
778
246
5
744
261
6
631
659
208
7
257
8
943
263
9
525
245
10
623
278
11
439
236
12
437
298
13
348
277
14
338
254
15
668
266
16
294
217
17-23. . . .
1,705
1,089
24-31. . . .
756
508
Les deux augmentations, en correspondance du S** et du 15' jours, dépendent de
déclarations inexactes ; bien souvent les parents se contentent de déclarer que l'en-
fant décédé avait vécu une ou deux semaines, au lieu de préciser le nombre de
jours. Mais en général la mortalité des enfants légitimes va en diminuant rapide-
ment à partir du 1" jour de vie et au delà, tandis que, parmi les enfants naturels,
la mortalité décroît jusqu'au 4^ jour, puis va en augmentant légèrement jusqu'au
15^ jour. Ces observations confirmeraient l'assertion du D'" Bertillon que dans la
seconde semaine d'existence la mortalité des enfants naturels serait aggravée par
des causes extraordinaires, non inhérentes à la conformation physique de l'enfant.
Du reste, pour démontrer quelle influence peuvent avoir les dispositions consti-
tutionnelles ou les conditions de vitalité, dans la détermination de la plus grande
mortalité des enfants illégitimes en comparaison des enfants légitimes, nous repro-
duisons ici, d'après la statistique des causes de mort pour les 3 années 1881, 1882,
1883, les principales causes qui déterminent la mort des enfants âgés de moins
d'un an :
lâsi.
«882.
1883.
Naissances légitimes 210,800
Naissances illégitimes 28,205
206,531
28,951
211,017
28,777
Tableau.
(1) Stulisti'jue des causes de mort pendant l'année 188;}, page xi de la préface. Rome, lyp. de Ihos-
(ùce Saiul-^kUel.
13
178
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— 179 —
En confronlanl la mortalité des enfants légitimes avec celle des enfants naturels,
on trouve que les décès causés par accouchement avant terme et par atrophie in-
fantile sont dans les deux catégories d'enfants comme 41.3 est à 94.1 ; ceux causés
par la syphilis comme 0.9 est à 25.4; ceux provenant de tuberculose et scrofule
comme 6.8 : 16.6; ceux pour aphtes de la bouche et pour muguet, comme 1.9 :
10.9; ceux pour maladies de l'appareil digestit comme 36.9 : 74.4; ceux pour ma-
ladies de la peau et du tissu sous-cutané (y compris le scléréma) comme 3.7 :
13.5; ceux pour causes accidentelles comme 0.4 : 0.7 ; tandis que les pertes pour
les autres causes de décès sont à peu près égales.
Si les vices de conformation, la faiblesse congénitale, la syphilis et la tuberculose
sont des causes qui maintiendront toujours élevée la mortalité des illégitimes par
rapport aux légitimes, les maladies de la bouche et de l'appareil digestif, et celles
de la peau et du tissu sous-cutané, qui concourent pour une si large part à élever
la mortalité des premiers, pourraient certainement être combattues par des soins
opportuns.
Jusqu'ici nous avons examiné la mortalité des enfants illégitimes en général; il
nous reste à étudier plus spécialement celle des enfants classés comme exposés,
abandonnés par leurs parents et élevés par les soins des oiphelinats, soit à l'inté-
rieur de l'établissement, soit près de nourrices extérieures.
Selon les données statistiques jointes au projet de loi présenté par le ministre
Nicotera dont nous avons déjà fait mention, sur 152,050 enfants admis à l'assis-
tance publique dans 27 provinces du royaume pendantles dix années de 18661875,
58,827 sont morts avant d'avoir accompli leur première année.
On peut avoir, à cet égard, des renseigneinenls plus récents et plus précis, en
consultant les comptes rendus publiés par quelques orphelinats sur leur gestion
annuelle, comme ceux qui existent sur les orphelinats de Rovigo (1), de Milan (2),
de Gùme (3), de Gênes (4) et de Turin. On peut y relever les données suivantes,
relatives aux enfants allaités, c'est-à-dire âgés de moins d'un an.
Tableau.
(1) Relation au conseil provincial de Rovigo, de la commission chargée d'étudier et de proposer des amé-
liorations pour le service des exposés.
(2) Hospice provincial des exposés et des femmes en couches, à Milan. — Relations annuelles (années
1879-1883) par le directeur chev. doct. Uomolo Griilini. Milan, G. Civelli.
(3) L'hospice provincial des exposés, à Côme, pendant les trois années 187'J, 1880 et 1881. — Notice
du président du conseil d'administration, doct. Alexandre Cassani. — Gômd, Georgetti Trères.
ri) Hospice de rKnfancc abandonnée, de la région de Qénes. Compte rendu annuel, 188?, par le
comm. A. .Molfino. — 1'. .Martini.
— 180 -
Mouvement des enfants allaités dans les orphelinats. {Section interne et section
externe réunies), chiffres absolus.
SIÈGE DE l'orphelinat
Période d'observation :
Présents au commencement
des 3 années
Admis pendant les 3 années .
Sortis, c'est-à-dire retirés
parleurs parents ou ayant
atteint leur deuxième an-
née
Décédés pendant les 3 an-
nées
Restants à la fin des 3 an-
nées
Décédés sur 400 admissions.
TURIN
GÊNES
MILAN
MILAN
CCMB
KOVIGO
1881-82.
1880-82.
1878-80.
1881-83.
1879-81.
1878-80.
1,097
4,376
320
1,367
987
4,264
1,141
4,296
94
670
66
402
3,055
838
2,528
2,891
449
244
1,693
546
1,582
1,671
231
159
725
38.69
303
39.94
1,141
37.10
875
38.89
88
34.48
65
39.55
3,705
15,375
10,005
5,882
3,197
38.25
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Pour rendre les données plus comparables entre elles, on a adopté pour tous les
orphelinats une période triennale d'observations, comme aussi on n'a pas tenu
compte des admissions au-dessus de 1 an.
Pour établir sur ces données le coeffîcienl de mortalité des enfants admis au sein,
on peut suivre différentes méthodes. En appelant A le nombre des enfants présents
au commencement des 3 années, B le nombre des entrants, C le nombre des sortis,
M le nombre des décédés, on peut aussitôt comparer le nombre des décédés au
nombre des admis pendant la période désignée Y j^J. Celle méthode n'est pas Irè
exacte, parce que parmi les enfants décédés au-dessous d'un an se trouveraient pro-
bablement quelques enfants déjà présents à l'établissement avant que la période
d'observation soit commencée. En adoptant cette formule, on a pourtant l'avantage
de pouvoir étabhr une confrontation avec la mortalité enfantile en général, quand
celle-ci a été déterminée en comparant le nombre des décédés o^gàs de moins d'un
an, dans une période déterminée d'observation, avec le nombre des naissances dans
la même période de temps.
Voulant au contraire tenir compte aussi des enfants allaités qui étaient à la chaige
de l'établissement au commencement de la période d'observation, pour le coefficient
de la mortalité; on pourrait avec une plus grande précision déduire de la formule :
M
m =
A+âL
De celle dernière se dégage le nombre des enfanls décédés annuellement sur 100
enfants constamment présents à chaque jour de l'année.
Appliquant les deux formules aux chiffres des exposés dans les cinq hospices dé-
positaires, on aura :
— 181 —
Nombre des allaités décédés annuellement.
SIKGKS ^Q ENTUÉES. SUR lOO ASSISTÉS.
des hospico ae|>osilaircs.
M ^
B A-f^B-C
T~
Turin 38.69 32.1
Gênes 39.94 31. U
Milan (1878-188U). . 37.10 27.17
Milan (1881-1883). . 38.89 30.21
Côine 41.19 40.17
Rovigo. ...... 39.55 38.05
En résumé, la mortalité des enfants allaités en Italie, suivant les diverses catégo-
lies que nous avons examinées, varie dans les proportions suivantes :
Pour 100 naissances légitimes en 1883, il e?t décédé. . 19.04- enfants allaités.
— illégitimes — — .. 21.81 — —
— exposés — — . . 41J.03 — —
Pour 100 admissions dans les orphelinats, pendant les dix
années 1806-1875, il est décédé 38.69 — —
Pour 100 admissions dans les cinq orphelinats ci-dessus
indiqués, pendant les dix années 1866-1875, il est
décédé 38.25 - —
Ces proportions nous font voir que la mortalité des enfants exposés est plus
élevée non seulement que la mortalité des illégitimes élevés par les soins de leurs
parents, mais encore que celle des enfants élevés dans les orphelinats. Aujourd'hui,
parmi les exposés, on comprend aussi bien les enfants d'étal civil inconnus élevés
dans les orphelinats que ceux placés directement en nourrice. Par conséciuent, en
plaçant les enfants aux orphelinats pour qu'il soit pourvu à leur éducation, on a
une plus grande probabilité qu'ils survivront à la première année d'existence qu'en
laissant les communes confier ces enfants à des meneuses chargées de les placer
chez des nourrices externes.
D"^ E. Raseiu.
Traduit de l'italien par M. P. Freïte,
Inspecteur du service des enfants assistes et des établissements
de bienfaisance de la Corse.
— 182 —
m.
LA RAGE ET L'INSTITUT PASTEUR.
Dans la séance du 2 novembre 1886, M. Pasteur a communiqué à l'Académie
des sciences le relevé des personnes traitées par sa méthode préventive pendant
l'année qui s'est écoulée depuis le 26 octobre 1885 jusqu'au 31 octobre 1886.
Rappelons quelques chiffres de celte statistique. Pendant les douze mois dont il
s'agit 2,490 personnes mordues par des animaux enragés ou suspects sont venues
se faire traiter au laboratoire de M. Pasieui-. Sur ce nombre, on compte 1,726 ha-
bitants de la France ou de l'Algérie. Le traitement n'a été inefficace que sur 10 de
ces 1,726 personnes, ou sur 12 si l'on veut y comprendre Louise Pelletier et Mœr-
mann, qui sont arrivés trop tardivement (Louise Pelletier, 36 jours ; Mœrrnann,
43 jours après leurs morsures). 11 n'y a donc eu qu'un cas de mort sur 172 ou
sur 143 traités (suivant que l'on prend, comme base du calcul proportionnel, le
nombre de 10 ou 12).
M. Pasteur a consigné, dans cette même communication, les premiers résultats
de la méthode modifiée, qu'il nomme méthode intensive, et qu'il a employée pour le
traitement des cas les plus graves (morsures par loup enragé; morsures de la face
et de la tête par animaux enragé.^). Ces résultats sont bien remarquables, puisque
les seize Russes mordus parunloup enragé et traités par cette méthode ont tous
survécu; puisque, d'autre pari, les dix enfants qui avaient été mordus à la face ou
à la tête par des chiens enragés, et qui avaient été traités de la même manière, ont
tous guéj'i.
Dans la séance du 24 janvier 1887, M. le secrétaire perpétuel, le D'' Vulpian, a
pu donner connaissance de la statistique générale et complète des personnes mor-
dues par des animaux enragés ou suspects qui ont subi le traitement préventif dans
son laboratoire. Voici cette statistique : elles comprend toutes les personnes traitées
depuis le mois d'octobre 1885 jusqu'au 31 décembre 1886 :
l*' Tableau. — Statistique des personnes françaises et étrangères traitées
à l'Institut Pasteur jusqu'au 31 décembre 1886.
RAGE l'IlOnVKE. KAGE PUBSUMÉK. TOTAL.
Personnes mordues et traitées . 2,164 518 2,682
Morts 29 2 31
Mortalité 1.34 p. 100 0.38 p. 100 1.15 p. 100
On se bornera à présenter quelques remarques destinées à mettre en lumière
la signification des nombres contenus dans cette statistique.
La confiance qu'a inspirée le traitement créé par M. Pasteur est prouvée par le
nombre si considérable des personnes mordues qui sont venues recourir aux ino-
culations préventives dans le laboratoire de la rue d'Ulm pendant les quatorze mois
que visent ces relevés, et qui sont, comme on vient de le voir, au nombre de 2,682.
Le traitement préventif de la rage après morsure a sauvé un grand nombre de
personnes qui seraient mortes sans ce traitement. On voit, en effet, que sur 2,682
personnes françaises et étrangères qui sont venues se faire traiter à l'Institut Pas-
teur, la mortalité a été de 1.15 p. 100. On pourrait se servir de ces chitHes pour
- 183 -
laire apprécier les bienfaits de la méthode; mais comme les totaux dont on vient
de parler comprennent à la fois les personnes qui ont été mordues par des animaux
reconnus enragés et celles qui ont élé mordues par des animaux suspects de la
rage, il convient de se borner aux nombres qui ont trait au premier groupe des
mordus, c'est-à-dire à ceux qui ont élé mordus par des animaux dont la rage a été
reconnue, soit expérimentalement (inoculation de leur salive à des lapins ou à des
chiens), soit par des observations vélérinaires.
Le nombre des personnes françaises ou étrangères traitées par la méthode Pas-
leur et qui font partie de ce groupe, esl, d'après le tableau qui précède, de 2,164;
le nombre des morts a élé de 29, c'est une mortalité de 1.34 p. 100.
Or, la stalisiique la plus faible de la mortalité de la rage (statistique de M. Le-
blanc) établit qu'il y a 16 morts sur 100 cas de morsures par les chiens enragés.
Si l'on prend celte slalislique pour point de départ, un calcul bien simple démontre
que, sur les 2,164 Français ou étrangers traités par la méthode Pasteur, après
avoir élé mordus par des animaux incontestablement enragés, il y aurait eu 346
morts sans ce traitement, au lieu de 29.
On arrive par là à cette conséquence indiscutable, en défalquant du nombre
346 les 29 cas terminés par la mort, que 317 personnes ont été préservées de la
mort par la méthode Pasteur, pendant la période qui s'est écoulée de la fin du mois
d'octobre 1885 à la fin du mois de décembre 1886; en d'autres termes, 317 per-
sonnes doivent la vie à M. Pasteur. N'est-ce pas là un succès inespéré?
Mais, pour bien juger de la valeur de la méthode Pasteur, il importe d'examiner
les résultats qu'elle a donnés, lorsqu'elle a été appliquée au traitement des cas les
plus périlleux, de ceux qui entraînent la plus forte mortalité : il s'agit des cas de
morsures faites par des loups enragés et des cas de morsures d'animaux enragés,
faites à la tête ou à la face.
2* Tableau, — Statistique des personnes mordues par des loups enragés,
ou mordus à la tête, à la face.
MOKDUS A LA TÊTE, A LA FACE.
• LOUPS ENRAGKS. . hm -'^-~- .^
Rage reconnue. Rage présumée. Total.
Personnes mordues et traitées . 48 186 28 214
Morts 7 9 1 10
Mortalité 14 p. 100 4.83 p. 100 3.57 p. 100 4.6G p. 100
Voyons d'abord ce qui concerne les morsures des loups enragés. 48 personnes
mordues par des loups enragés ont été traitées à l'Inslitut Pasteur; il y a eu 7 morts;
en tout, une mortalité de 14 environ p. 100.
Les statistiques établissent que la mortalité, pour les cas de morsures par loups
enragés, est de 60 à 80 p. 100. On voit combien le traitement, même dans les cas
de cette sorte, a été efficace. Ajoutons que, comme le tableau l'indique, trois des
personnes ont été prises de rage pendant le traitement et ne devraient pas être
regardées comme mortes malgré le traitement, ce qui réduirait le chiffre de la
mortalité à environ 8 p. 100, au lieu de 60 à 80 p. 100.
Quant aux faits de morsure à la tête ou à la face, ils sont tout aussi probants. Le
nombre des personnes traitées, après avoir été mordues à la tête et à la face par
des animaux dont la rage a été reconnue, est de 186 ; 9 de ces personnes sont
mortes, ce qui fuit une mortalité de 4.83 p. 100. Les statistiques publiées avant
— iU —
les recherches de M. Pasieur coiislalent que, dans les cas de celle sorte, il y a la
mortalilé effrayante de 88 p. 100. Ainsi, le traitement de M. Pasteur a réduit la
mortalité de ces morsures de 88 p. 100 à 5 p. 100 (en nombre rond). Dans ce
groupe de 186 personnes traitées par la méthode de M. Pasteur, il y aurait donc
eu 168 personnes qui seraient mortes sans ce traitement. En défalquant de ce
nombre les 9 cas de mort, on reconnaît que 154 personnes de ce groupe ont été
sauvées par le traitement de M. Pasteur.
Enfin, on doit dire un mot du traitement par la méthode intensive, à l'aide de
laquelle M. Pasteur traite, depuis quelques mois, les morsures les plus graves et
qu'il a eu surtout l'occasion d'appliquer, dans ces derniers temps, au traitement
des morsures de la tête ou de la face par des animaux reconnus enragés.
3* Tableau. — Comparaison du traitement simple et du traitement intensif.
TRAITEMENT TRAITEMENT
simple. intensif.
Personnes mordues 136 50
Morts 9 »
Mortalité. 6.61 p. 100 »
Comme l'indique. ce tableau, M. Pasteur, avant d'imaginer la méthode qu'il ap-
pelle intensive, avait traité les cas de ce genre par sa mélhode primitive. Sur les
136 cas trailés de cette façon, il y avait eu 9 moris, c'est-à-dire une mortalité de
6.61, à peu près 7 p. 100. (Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit des cas dans
lesquels la mortalité, avant ce traitement, était de 88 p. 100.) Depuis qu'il met en
pratique le traitement intensif, il a soumis à ce traitement 50 personnes mordues à
la tête ou à la face par des chiens reconnus enragés, et aucune d'elles n'a été
atteinte de la rage. Si elles n'avaient pas été traitées au laboratoire de M. Pasteur,
sur ces 50 personnes, d'après la statistique qu'on vient de rappeler, il y aurait eu
certainement de 40 à 44 cas de rage, terminés par la mort ; — 50 personnes traitées,
pas un cas de mort! N'est-ce point admirable!
« Ces merveilleux résultats, dit en terminant M. Vulpian, ont été oblenus sans
qu'il y ait jamais eu d'accidents imputables au traitement de la rage après morsure.
Toutes les personnes mordues par des animaux enragés peuvent donc venir en
pleine sécurité à l'Institut Pasteur. Elles ne courent aucun risque; le traitement n'a
même jamais produit de lésions locales dans les points où se pratiquent les inocu-
lations.
« Quant à l'efficacité de la méthode, les nombres relatés dans la nouvelle statis-
tique de M. Pasteur la proclament éloquemment.
« Ainsi, je ne crains pas de répéter ce que je disais à l'Académie dans une occa-
sion récente : La découverte du traitement préventif de la rage après morsure, due
entièrement au génie expérimental de M. Pasteur, est une des plus belles décou-
vertes qui aient jamais été faites, soit au point de vue scienlifi(|ue, soit au point de
vue humanitaiiel »
(Extrait des Comptes rendîis des séances de t' Académie des sciences,
t. CIV, séance du 24 janvier 1887.)
Le Gérant, 0. Bkrger Levrault.
JOURNAL
DE LA
r f
SOCIETE DE STATISTIQUE DE PARIS
No 6. — JUIN 1887.
I.
PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 18 MAI 1887.
La séance est ouverte à 9 heures sous la présidence de M. Yvernès.
Le procès-verbal de la séance du 27 avril est adopté.
M. Lazarus, publicisle, dont la candidature est soutenue par MM. Gh. Letort et
T. Loua, est élu, à l'unanimité, membre titulaire de la Société.
M. DE Saint-Genis, actuellement conservateur des hypothèques au Havre, an-
nonce qu'il se tient à la disposition de la Société, dans le cas où elle jugerait qu'une
étude statistique et économique sur l'Exposition internationale du Havre pût l'inté-
resser. Les questions qui touchent à l'industrie et au commerce maritime, à l'ex-
portation, à l'expansion coloniale, à l'état économique de nos marins, de nos
pêcheurs, sont nombreuses, et noire honorable collègue se dit en mesure de re-
cueillir sur ces divers points des matériaux inédits et instructifs.
Acte est donné à M. de Saint-Genis de sa promesse et la Société ne peut que
l'encourager à persévérer dans son projet.
M. le D"" Thulié, qui devait faire une communication sur VEiifance assistée à
Paris, s'excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce jour. Il espère pouvoir
prendre la parole à la séance de juin,
M. le Secrétaire général donne la nomenclature des ouvrages offerts à la Société;
Il mentionne particulièrement V Annuaire statistique d'Italie pour i881 . Cet ou-
vrage, qui prend chaque année plus de développement, donne l'idée la plus com-
plète possible des ressources morales, économiques et financières de ce royaume.
Il présente ensuite, de la part de M. Troinitzky, directeur du service statistique
de la Russie, le premier Annuaire publié par son gouvernement.
C'est un recueil très complet de documents jusqu'alors inédits, et comme les têtes
de chapitre ainsi que les rubriques de colonnes sont imprimés en français, cela
Irf gÉttlE, 28» VOL.. — S" C. j O
— 186 —
donnera l'occasion à la Rédaction de notre Journal de mettre sous les yeux du lec-
teur les premiers chilFres vraiment officiels qu'on ait recueillis sur toutes les bran-
ches du service public de ce vaste empire (1).
Les mêmes facilités sont données aux recherches par les documents qui nous ont
été généreusement offerts par la Roumanie et la principauté de Bulgarie.
L'ordre du jour appelle une communication de M. Duhamel sur les accidents du
travail.
Bien qu'elle soit quelque peu étrangère à la statistique, car elle ne fait mention
que des statistiques bien connues des accidents dans les mines ou résullant de l'em-
ploi des machines à vapeur, et (ju'on doive la considérer plutôt comme une élude
de législation comparée, les nombreux détails dans lesquels entre l'auteur sur les
divers projets de loi présentés en France sur cette question, et qu'il a soin de com-
parer aux lois appliquées dans plusieurs pays voisins et notamment en Allemagne,
la communication de M. Duhamel reçoit le meilleur accueil et soulève à plusieurs
reprises les applaudissements de l'assemblée.
Quelques observations sont échangées à ce sujet par MM. Martinet, Goulongeon
et Limousin. Elles trouveront leur place dans la discussion qui aura lieu à la suite
de l'impression du mémoire de M. Duhamel.
M. LiÉGEARD communique à la Société le résultat des recherches qu'il vient de
faire sur une Société de statistique de Paris, qui a été fondée en 1802 sous les aus-
pices de l'Institut et du Gouvernement, et dont l'existence était si peu soupçonnée
qu'il n'en a été fait aucune mention dans le beau discours par lequel Michel Cheva-
lier a inauguré la fondation de notre propre Société.
Plusieurs membres engagent M. Liégeard à pousser plus loin ses investigations
et à donner, si cela est possible; plus de développements à son intéressant travail.
La séance est levée à 10 heures trois quarts.
(1) Les documents de l'Annuaire russe se rapportent généralement k Tannée 1883 et ne concernent
que la Russie d'Europe. Les matières qu'il comporte peuvent se résumer ainsi :
Territoire. — Population. — Mouvement de la population (naissances illégitimes, naissances, mariages
et décès par mois; — décès par âges 5 — morts violentes et accidents). — Assistance médicale et épi-
démies. — Imprimeries et bibliothèques. — Instruction publique. — Armée, recrutement et effectif. —
Marine militaire. — Agriculture (récoltes; — effectif du bétail et des chevaux, épizooties). — Industrie
(mines et fabriques). — Lieux habités (villes, fiiubourgs, maisons [en pierre ou en bois], fermes, rési-
dences seigneuriales). — Incendies et assurances. — Prisons et autres établissements pénitentiaires. —
Voies de communication (routes et canaux, chemins de fer, postes, télégraphes). — Impôts et revenus
des zemtwos, des villes. — Commerce d'exportation (céréales et autres marchandises; — valeur du rou-
ble; — patentes). — Fabrication des eaux-de-vie, du sucre et du tabac. — Dépenses et revenus de l'État
(impôts directs et indirects). — Opération de la Banque et du Crédit foncier. — Dettes hypothécaires. —
Opérations du rachat.
— 187 —
II.
LES TRANSPORTS TERRESTRES ET FLUVIAUX.
La question sur laquelle j'ai le désir de présenter quelques observations est à la
fois d'ordre économique et d'ordre statistique : elle se pourrait intituler : De l'Orga-
nisation de l'industrie nationale des transports par voies de terre et par voies d'eau.
Qu'il me soit permis d'entrer tout d'abord dans quelques considérations d'ordre
général destinées à éclairer mon sujet.
On compare parfois un État, au point de vue économique, à une vaste entreprise
industrielle, et cette comparaison est moins une figure de rhétorique qu'on ne
pourrait le croire tout d'abord. Un pays industriel, — et par cette qualification,
j'entends toutes les branches de la production, — n'est en réalité que l'extension
de l'antique entreprise par laquelle une famille subvenait à tous ses besoins par la
mise en valeur d'un domaine. Dans cette exploitation, dont l'exploilalion agricole
actuelle nous donne une faible idée, tous les travailleurs ne faisaient point la même
chose : les uns conduisaient les troupeaux aux pâturages, les autres labouraient ou
récoltaient, les autres fabriquaient ou réparaient les instruments aratoires, les
autres filaient ou tissaient la laine et le lin, les autres préparaient les aliments.
C'était un monde en miniature que ces antiques exploitations; la division du travail
et la spécialisation des travailleurs y existaient; la seule différence fondamentale
qu'il y eût avec nos sociétés industrielles modernes, consistait dans la répartition
des produits au lieu et place du paiement du salaire en monnaie.
Certaines grandes entreprises, bien qu'organisées sur la base du salariat, nous
présentent en réduction ce qu'est un Etat au point de vue économique; ce sont ces
grandes usines où la matière première entre à l'état rudimentaire et dont le produit
sort prêt pour la consommation, après avoir passé par une foule de mains et un
grand nombre d'ateliers, sans parler des ateliers où l'on produit les choses acces-
soires ni de ceux où l'on fabrique les outils. Je citerai, par exemple, l'usine Dollfus-
Mieg, de Dornach, où l'on file, tisse, teint et imprime le colon, où l'on fabrique les
machines, où l'on grave les rouleaux à imprimer, où l'on a même une ferme, afin
d'y produire des substances nécessaires à diverses manipulations chimiques; où l'on
a enfin installé un chemin de fer, destiné non seulement à porter les produits
fabriqués et aller chercher les matières premières à la station de la grande voie
ferrée, mais aussi à transporter les marchandises d'un point à l'autre de l'usine.
Dans les étabhssements de ce genre, les divisions du tiavail sont en réalité des
industries distinctes, et la comptabilité générale doit se diviser en autant de bran-
ches, dont chacune comprend l'inscription d'une fraction du prix de revient d'un
mètre d'étoffe ou d'une bobine de fil. Cette comptabilité complète, ou plutôt cette
véritable statistique est indispensable à toute entreprise dont ne veut pas aban-
donner le sort au hasard : une erreur d'une fraction de centime répétée des
millions de fois peut entraîner des peites énormes.
Ce qui est vrai dans un établissement industriel est vrai dans celte grande manu-
facture qu'on appelle un État. Toute manipulation, quelque infime qu'elle soit,
entraîne un emploi de temps, un salaire, et est représentée par une consommation;
— i88 —
ces consommalions infimes, multipliées, entraînent des dépenses considérables,
qui peuvent paralyser une nation sur le marché universel. La recherche de l'éco-
nomie, la préoccupation de la diminution du prix de revient doit être la pensée
constante d'une nation industrielle.
Je n'ai pas l'intention d'entrer ici sur le terrain de la protection ou du libre
échange, mais je ne puis m'empêcher de faire remarquer que ce n'est point dimi-
nuer le prix de revient d'un produit quelconque que d'en mettre une partie à la
charge de TÉtat. Si le Gouvernement, maître, par exemple, des mines de charbons,
se mettait à alimenter gratuitement toutes les machines à vapeur, les objets fabri-
qués par les mécaniques actionnées par ces machines reviendraient exactement au
même prix qu'aujourd'hui où les usiniers sont obligés de payer leur houille. — Il
y a même des raisons pour croire qu'ils reviendraient plus cher, mais ce n'est pas
la question du moment. — Le Gouvernement serait, en effet, obhgé de prélever
sur le public la somme nécessaire au paiement des mineurs qui extraieraient la
houille, et payer comme contribuable ou payer comme consommateur c'est tou-
jours payer.
Cette constatation d'ordre général est, je le démontrerai tout à l'heure, de la plus
grande importance pour la question qui fait l'objet de la présente communication.
Une dernière considération d'ordre théorique : Il est regrettable que les gouver-
nements ne soient pas absolument pénétrés de l'exactitude de la comparaison entre
un État et une entreprise industrielle. S'ils en comprenaient toute la justesse, ils
accorderaient plus d'importance qu'ils ne font à la statistique, dont les groupements
de chiffres constituent les bilans partiels, — qu'il faudrait ensuite grouper en un
bilan général, — des branches diverses du grand établissement de l'Etat, bilans sans
lesquels on travaille dans une nuit complète, courant parfois à la ruine quand on
se figure nager en pleine prospérité. — Cela s'est vu !
*
* *
La question que je désire examiner se précise ainsi : i° l'industrie des transports
par voies de terre et par voies d'eau se fait-elle dans les meilleures conditions de
bon marché; 2° l'intervention du Gouvernement dans cette industrie a-t-elle pour
effet d'assurer à tous ceux qui en usent un égal traitement, c'est-à-dire l'équité?
L'importance de la question des transports est bien connue de tous ceux qui
s'occupent d'industrie, d'agriculture ou de commerce : qu'il s'agisse du transfert,
d'un point à l'autre du pays, des produits consommables ou de celui des matières
premières, des houilles ou des engrais, la somme dépensée pour ce transfert s'in-
corpore dans le prix de revient des choses présentées sur le marché.
L'organisation de l'industrie des transports a nécessité la création d'un outillage
que, pour un ensemble de raisons que je n'ai pas à examiner, l'initiative privée
s'est trouvée, le plus souvent, impuissante à créer, au moins seule : les routes, les
ponts, les canaux, les chemins de fer. Il a fallu que les gouvernements agissent
seuls ou coopérassent, soit par des subventions, soit par des concessions de mono-
poles. Un autre motif de l'intervention des gouvernements a été la nécessité de
régler et hmiter les monopoles que la force des choses instituait le plus souvent
à défaut de la loi, et qui, alors, pouvaient donner lieu à des abus regrettables.
A l'origine, les routes ont été une industrie; des péages établis de distance en
distance servaient à recueillir la rémunération du service rendu à ceux qui en
profilaient, et à rétribuer les gouvernements ou les particuliers qui avaient fait les
— 189 —
frais de leur établissement. Ce système existe encore partiellement dans certains
pays, et il n'y a pas bien longtemps, que les derniers ponts à péages ont disparu de
la France. En principe, rien n'est plus juste qu'un semblable système; cependant,
peu à peu, on a compris qu'il était abusif d'empêcher d'aller et de venir ceux qui
n'avaient point en poche l'obole nécessaire aux péages ; on a compris également
que les voyages et les transports de marchandises créaient un bien-ôlre qui se
répandait par répercussion dans l'ensemble de la population, on en a conclu qu'il
valait mieux faire entretenir les chemins aux frais de tous, et laisser tout le monde
libre d'y circuler à l'aise. D'ailleurs, on a eu soin, par des impôts spéciaux sur les
transporteurs et leur matériel roulant, de maintenir le péage dans une certaine
mesure.
L'aménagement des rivières dans le but d'augmenter leur navigabilité, le creuse-
ment des canaux donnèrent naissance à des phénomènes économiques analogues :
les gouvernements, les administrations locales, les particuliers propriétaires établi-
rent des péages. En France, on a vu peu à peu l'Etat se substituer à tous les autres
possesseurs, diminuer progressivement les droits; il a fini par les abolir par une
loi de février 1880, sauf pour le canal du Midi.
Quant aux chemins de fer, leur situation est connue : ils ont été construits avec
des capitaux particuliers, et une subvention de l'État, leur situation est celle d'une
industrie privée monopolisée, et dont le monopole est réglé et limité par la loi.
Il résulte de ce que je viens d'exposer que, dans deux industries des tranports
sur trois, une partie de l'outillage, la principale (les voies), est fournie gratuitement
aux entrepreneurs, et que pour la troisième, les entrepreneurs sont tenus d'avoir
tout à eux.
Sur cette première constatation on peut présenter une observation que voici :
l'État français a dépensé pour la construction des chemins de fer une somme de
2 milliards; exactement, au 31 décembre 1883, 1,994,945,733 fr., tandis que les
canaux ne lui ont coulé que 1,300 millions et les routes un milliard. Je ferai obser-
ver qu'en cette même année 1883, les compagnies de chemins de fer ont fait
réaliser à l'État une économie de 104 millions, et qu'elles lui ont payé environ
5 millions d'impôt foncier; si nous déduisons environ 8 millions pour la part des
chemins de fer de l'État, il reste un produit de 101 millions, qui représente l'intérêt
à 5 p. 100 de la susdite somme de 2 milliards. Je n'ai pas fait entrer en ligne de
compte les taxes diverses, qui produisent environ 167 millions, parce que ce sont
de purs et simples impôts, et je n'ai compté l'impôt foncier que parce que les routes
et les canaux ne le paient point.
11 est donc permis de dire, avec preuves chiffrées à l'appui, que sur trois indus-
tries des transports, deux ont leur principal outillage fourni gratuitement, tandis
que l'autre doit payer annuellement l'intérêt du capital employé pour la création
de ses voies; que ce paiement soit fait à l'État ou à des particuliers actionnaires ou
obligataires, la distinction n'a pas d'importance économique.
J'ai parlé de trois industries concurrentes des transports : le roulage terrestre,
la batellerie des canaux et rivières, et les chemins de fer, quand en réalité, il n'en
existe que deux : la batellerie et les chemins de fer. C'est parce que si le roulage a
disparu des routes, il continue à figurer au budget des travaux publics sous la forme
d'un chapitre de 25 à 30 millions.
Les routes nationales ont-elles encore une utilité? M. Félix Lucas répond affir-
— 190 —
mativement dans sa remarquable étude historique et statistique sur les voies de
communication de la France, faite à l'occasion de l'Exposition de Vienne (1873);
mais les chiffres de la statistique ullérieure sont venus lui donner tort. En effet,
d'après l'éminenl ingénieur le trafic kilométrique quotidien sur les routes nationales
était, en 1869, de 239 colliers ou chevaux attelés, tandis que, selon le Bulletin de
statistique du ministère des travaux publics, il n'a plus été que de 176.9 en 1884.
Il est d'ailleurs absolument connu que les grands transports par voies de terre ont
absolument cessé, que les routes ne servent plus qu'à relier les usines et les
exploitations agricoles aux marchés locaux, aux stations de chemins de fer ou au
port d'embarquement sur les canaux et rivières. En d'autres termes, les routes
nationales ne servent plus aux communications nationales; il n'y a entre elles et
les routes départementales d'autre différence que l'inscription à un autre budget.
On ne comprend guère, en vérité, pourquoi elles sont maintenues.
Il est intéressant, dans tous les cas, d'appliquer à ce service, tel qu'il existe
aujourd'hui, la méthode de la recherche du prix de revient, et de se demander
combien coûte aux contribuables, — en dehors de ce que paient les consomma-
teurs, — chaque tonne de marchandise voyageant sur les routes nationales.
Il est assez difficile d'établir la valeur des routes nationales, étant donné le temps
fort ancien depuis lequel il en existe; néanmoins M. Lucas fixe leur prix de revient
à environ un milliard, défalcation faite de la contribution de l'État à l'établissement
des grandes voies de Paris et de quelques autres villes, considérées comme routes
nationales.
Si l'Etat s'inspirait des mêmes principes qu'un industriel, il ouvrirait un compte
spécial à chacune des catégories de son outillage, et tous les ans il en amortirait
une partie, soit par le remboursement des capitalistes commanditaires, soit par la
reconstitution des capitaux. Mais l'État ne procède pas de cette manière, et il est
permis de dire que l'intérêt des sommes dépensées pour l'établissement des routes
est actuellement et annuellement payé par les contribuables, c'est donc une somme
de 45 railhons de francs, au taux de 4 7^, que nous coûte l'industrie du transport
par voie de terre. Si à cette somme nous ajoutons celle de 25 millions et demi dé-
pensée pour l'entretien en 1884, nous obtenons 70 millions et demi de coût annuel.
Si, d'autre part, nous multiplions 177, nombre quotidien des colliers kilomé-
triques par 38,000, nombre rond des kilomètres des routes nationales, nous obte-
nons un chiffre de 6,726,000 colliers par jour et un autre de 2 milliards 455 mil-
lions pour l'année. Si, d'autre part, nous répartissons entre ce nombre de colliers
kilométriques la dépense annuelle de 70 millions et demi, nous constatons que
chacun d'eux revient à fr. 029, soit à 3 centimes.
Reste maintenant à déterminer la valeur métrique du « collier ». Daprès les ren-
seignements que j'ai pris, elle est de 1,200 kilogrammes; mais comme, d'autre
part, en l'état actuel du trafic, il faut compter un voyage avec charge et un voyage
à vide, il convient de la réduire à 600 kilogrammes.
En résumé, le transport par voie de terre d'une tonne de marchandises coûte aux
contribuables de l'Etat, 5 centimes par tonne kilométrique.
Les documents officiels que j'ai consultés ne contiennent pas de renseignements
sur la fréquentation des routes départementales, mais il est probable qu'elle doit
être dans la même proportion que celle des routes nationales, le genre de services
qu'elles rendent étant le même.
— 191 —
Le prix de ô centimes la tonne kilométrique, auquel il faut ajouter celui du
charroi, est évidemment fort élevé, et il serait utile de le diminuer, je crois que
cela serait possible par un déclassement général et la transformation des routes
nationales en roules départementales. Les routes nationales ayant une largeur de
16 mètres et les routes départementales une de 12, la vente des bandes de terrain
que donnerait le rétrécissement pourrait représenter pour les départements une
indemnité pour le surcroît de frais qui leur incomberait, et qui serait d'ailleurs
moindre que la dépense moyenne de 25 à 26 millions qui incombe actuellement
à l'État. Cette modification ne serait sans doute pas faite pour plaire au corps des
ponts et chaussées, mais les hommes éminents qui le composent trouveraient cer-
tainement à se rendre utiles autrement. D'ailleurs, à aucun moment et particulière-
ment à celui-ci, on ne saurait admettre qu'un service coûteux soit maintenu au
budget pour donner de l'occupation inutile à un corps de fonctionnaires.
Une dernière observation sur ce point : le développement des chemins de fer
économiques à voie étroite, pour lesquels on pourra utiliser les routes nationales
et les roules départementales est appelé à diminuer encore les charrois sur les
routes, et par suite l'usure et les frais d'entretien.
Si les transports par voies de terre autres que les charrois ont à peu près disparu
et tendent à disparaître complètement par suite de la concurrence des chemins de
fer, les transports par voie d'eau tendent au contraire à prendre chaque année un
développement de plus en plus considérable. Cela tient à ce que ce système est
beaucoup moins onéreux, et que pour les marchandises de faible valeur sous un
grand volume ou un gros poids, pour lesquelles la rapidité de livraison n'a pas
d'importance, il est le meilleur moyen qu'on puisse employer. Le tonnage kilomé-
trique, qui avait été de 2,264,585,616 tonnes en 1882, est monté à 2,382,664,560
en 1883, soit une augmentation de 118,079,144 tonnes kilométriques, et de
259,674 tonnes effectives; le parcours moyen de chacune de celles-ci s'est en outre
accru de 2 kilomètres.
Ainsi que je l'ai dit précédemment, l'usage des cours d'eau est gratuit sur
11,608 kilomètres, la longueur totale du réseau étant de 12,538 ; la question qui
se présente à l'esprit est celle de savoir si cette gratuité est une bonne chose, si la
mise à la charge des contribuables des frais de rémunération des capitaux repré-
sentés par les canaux et de ceux de l'entretien et du gardiennage, est conforme
aux bonnes règles industrielles, comme le fut, avant l'établissement des chemins de
fer, la gratuité approximative de l'usage des routes.
Avant tout, nous devons examiner la question des prix de revient pour l'État,
c'est-à-dire pour les contribuables, du service des transports par voies d'eau.
Les canaux et travaux de rivière ont entraîné, depuis le commencement du
siècle, une dépense approximative, tant pour travaux faits pour le compte de l'État,
des départements ou de certaines chambres de commerce, que pour rachats, de
1,300 millions. — J'écarte les dépenses antérieures parce qu'elles ont été amorties
par diverses banqueroutes, notamment par celle du « tiers consolidé ». — A aucune
époque les redevances payées par la navigation n'ont représenté l'intérêt des capi-
taux investis; depuis la mise en vigueur de la loi du 19 février 1880, il n'a plus
rien été perçu, sauf sur le canal du Midi, concédé d'ailleurs gratuitement à la corn-
— 192 —
pagnie des chemins de fer du même nom ; ce qui fait que pour l'Élat le résultat est
le même.
Naturellement, les insuffisances antérieures à 1880 et le manque absolu de
recettes depuis cette époque doivent être passés à l'actif du compte national de
profits et pertes.
Les canaux et les travaux de rivière ayant, ainsi que je l'ai dit, coûté, depuis
le commencement du siècle, 1,300 millions en compte rond, il en résulte que
l'intérêt à 4 7^ p- 100 des sommes ainsi employées représente une annuité de
58 millions de francs, que paient les contribuables aux porteurs des titres d'em-
prunts émis pour faire face à ces dépenses. Cette somme étant divisée par 2 milliards
400 millions de tonnes kilométriques donne, pour chacune d'elles, un prix de re-
vient de fr. 0242.
D'autre part, l'Etat dépense, au bas mot, tous les ans, pour réparations grosses
et petites, entretien, gardiennage, etc., des canaux et rivières une somme qui n'est
pas moindre de 12 millions et qui, divisée à son tour, par le nombre des tonnes
kilométriques, donne un prix de revient d'un demi-centime pour chacune d'elles,
lequel ajouté au précédent provenant de l'intérêt du capital produit une charge
totale de 3 centimes par tonne transportée. Si, enfin, on sait que le prix moyen
perçu par les bateliers est de 3 centimes par tonne kilométrique, on arrive à cette
conclusion que les citoyens français paient 6 cent, pour ledit transport, moitié en
quaUté de contribuable, moitié en qualité de consommateur de produits. fabriqués
directement ou indirectement avec les matériaux transportés. Il faut ajouter à ees
frais qu'entraîne la rétribution du personnel des ingénieurs ceux de la même rétri-
bution pendant la construction.
II y a là un point sur lequel je vous demande la permission d'insister parce que
lorsque, dans de précédentes occasions, hors de notre association scientifique, j'ai
indiqué cette situation, on m'a reproché de vouloir faire renchérir les transports
par voie d'eau. J'examinerai tout à l'heure la question du rétablissement d'un
péage, mais il doit être bien entendu qu'il ne peut être question que du changement
d'un système vicieux et dissimulé de perception, et point du tout d'une aggravation
des charges.
La perception des frais des canaux dans l'ensemble de l'impôt général présente
divers inconvénients et recèle divers abus. Elle a d'abord l'inconvénient d'enfler
inutilement les chiffres du budget de l'État d'une somme de 70 millions. Ce que
l'on fait avec les canaux équivaut au système qui consisterait à faire payer par les
contribuables l'intérêt des sommes employées dans la construction des chemins de
fer, afin que les compagnies pussent transporter voyageurs et marchandises à
meilleur marché.
N'est-il pas préférable de faire rémunérer les services directement par ceux qui
en profitent, quitte à ceux-ci à en opérer la répercussion, plutôt que de grossir les
comptes publics par d'inutiles virements, qui entraînent toujours des déperditions.
Un abus de la gratuité des canaux consiste en ce qu'elle détruit l'égalité entre
les agriculteurs et les industriels, ce que ne faisait pas la gratuité des routes.
Celles-ci étant à la disposition de tous, tous en profitaient si tous en payaient les
frais. Il n'y a pas en effet de voies d'eau à la portée de tout le monde; si certains
industriels et certains agriculteurs peuvent faire venir par bateau leurs matières
premières, leurs charbons ou leurs engrais, ceux qui ne sont pas placés dans des
— 103 —
conditions aussi favorables doivent recourir aux chemins de fer, qui perçoivent un
prix plus élevé de transport; il n'y a donc pas égalité de traitement. Il y a plus : les
industriels et agriculteurs non privilégiés paient, en leur qualité de contribuables,
pour que leurs concurrents puissent avoir avantage sur eux. On ne comprend pas
en vérité par quelle étourderie la majorité du Parlement, qui représente des régions
non desservies par les voies d'eau, a pu, en votant l'abolition des péages, au pied
levé, faire cadeau d'un semblable privilège aux mandants de la minorité.
Un autre abus de ce système consiste dans la différence de traitement qu'il
établit entre les chemins de fer et les canaux ou rivières.
Il est généralement de mode de dauber sur les compagnies de chemins de fer et
de considérer comme preuves de rapacité illégitime, les efforts qu'elles font pour
faire leurs affaires. En quoi cette préoccupation est-elle plus blâmable de la part
des hommes qui dirigent ces entreprises que de la part de ceux qui dirigent tel ou
tel établissement métallurgique, telle ou telle fabrique de sucre ou de chocolat,
telle ou telle exploitation agricole? Les actions des compagnies de chemins de fer
sont réparties dans un grand nombre de mains, comme celles de la plupart des
autres sociétés. De plus, l'État est associé à leur prospérité, puisqu'au delà d'un
certain revenu fixe, il doit prendre les deux tiers du profit, et que, d'autre part, il
doit mettre les compagnies à même de payer l'intérêt et l'amortissement de leurs
obligations, ainsi que le revenu garanti de leurs actions. 11 est vrai que le service
de la garantie d'intérêt n'entraîne qu'un prêt et non une subvention, mais nous
voyons actuellement que l'Étal peut être gêné pour effectuer ce prêt.
Or, la batellerie est une industrie concurrente des chemins de fer, qui a sur ceux-
ci l'avantage de frais d'exploitation beaucoup moindres, — même en lui faisant
supporter toutes les charges qui lui incombent. Ces charges peuvent s'élever au
maximum à 6,000 fr. par kilomètre, tandis que ceux des chemins de fer sont d'au
moins 25,000 fr.
Que la batellerie profitant de sa supériorité naturelle fasse concurrence à fond
aux compagnies de chemins de fer, qu'elle oblige celles-ci à réduire leurs tarifs au
strict prix de revient du service et même au-dessous, rien de plus légitime, c'est la
loi des affaires; mais la situation change quand le Gouvernement alloue à la ba-
tellerie une subvention de fait qui lui permet de travailler au-dessous du prix de
revient, et d'obliger ses concurrents à faire de même, ce qui les contraint, pour
une part, à recourir à leur tour à l'État, qui à l'heure actuelle ne peut plus faire
face à ces engagements.
Une autre conséquence de la gratuité des rivières et canaux est de faciliter l'in-
troduction en France des marchandises étrangères qui viennent concurrencer les
nôtres sur notre propre marché. Je suis libre-échangiste et ne repousse pas, con-
séquemment, les marchandises étrangères, mais je n'admets pas les primes à
l'importation. De leur côté, les compagnies de chemins de fer sont incitées par la
situation à établir ces tarifs de pénétration contre lesquels récriminent si hautement
l'industrie et l'agriculture.
■k *
La politique économique doit être opportuniste comme l'autre, aussi avouerai-je
que lorsqu'après avoir parlé du rétablissement du péage sur les canaux, j'ai cons-
— 194 —
taté que, pour dégrever l'État des frais qu'il a pris inconsidérément à sa charge, il
faudrait porter la taxe à 3 centimes par tonne kilométrique, soit à 3 fr. 42 c. pour
le trajet moyen de 114 kilomètres qu'accomplit chaque tonne effective, j'ai reculé
épouvanté. Mais une étude plus attentive de la situation m'a rassuré.
D'après le Bulletin du Ministère des travaux publics, la navigation intérieure se
concentre sur 58 rivières ou canaux, ayant ensemble une longueur de 5,674 ki-
lomètres, lesquels absorbent 80 p. 100 du tonnage des marchandises et 91 p. 100
du tonnage kilométrique, ne laissant au 132 autres voies, comportant une longueur
de 6,864 kilomètres, — c'est-à-dire supérieure à celle du principal réseau, —
qu'un tonnage de 20 p. 100 des embarquements et de 9 p. 100 du trafic kilomé-
trique. Soit, dans un cas, 16,678,170 tonnes eflectives contre 4,169,793, et dans
l'autre 2,178,224,931 tonnes kilométriques contre 214,439,828, ou encore une
moyenne annuelle de 381,565 tonnes par kilomètre contre une autre de 31,711,
Il est certain que le réseau principal pourrait amplement, sans avoir à porter
une large charge, payer les intérêts du capital engagé et les frais d'entretien. A
combien s'élève celte dépense spéciale? Il y a là matière à une ventilation que les
bureaux du ministère des travaux publics pourraient seuls pratiquer et que les
documents officiels ne permettent pas à d'autres d'essayer. Il est simplement per-
mis d'estimer qu'une charge d'un centime ou d'un centime et demi par tonne
kilométrique, laquelle produirait pour le réseau en question 22 ou 33 millions ne
constituerait pas une entrave sérieuse à l'industrie des transports par eau; elle
représenterait pour le parcours moyen qui est de 114 kilomètres, une surcharge de
1 fr. 14 c. ou de 1 fr. 71 c. Le chiffre moyen, dans ce cas, ne permet d'ailleurs pas
de bien se rendre compte de l'influence qu'aurait le rétablissement du péage sur les
transports par voie d'eau ; ce qu'il est nécessaire de connaître, c'est la charge dont
la taxe pèserait sur chaque nature de marchandise en raison de son parcours
moyen et de son prix. Or, le parcours moyen des engrais et amendements, c'est-
à-dire de la marchandise ayant le moins de valeur, n'est que de 35 kilomètres, ce
serait donc un renchérissement de 35 ou de 57 centimes par tonne sur le prix du
transport.
D'ailleurs rien n'obligerait le Gouvernement exploiteur de canaux à pratiquer la
tarification dite «naturelle», et à faire payer le même prix pour toutes les marchan-
dises; cela ne se fait pas sur les chemins de fer français, dont les administrations
préfèrent la tarification commerciale. Cette tarification est d'ailleurs déjà appliquée
sur le canal du Midi.
Si les 5,674 kilomètres du principal réseau payaient leurs charges, l'État devrait
passer par profits et pertes les capitaux représentant les 6,864 autres kilomètres,
— en les considérant soit comme une mauvaise spéculation, soit comme un outillage
démodé, — et se contenter de demander aux bateliers de ce réseau le paiement
des frais d'entretien et de gardiennage.
*
* *
Le rétablissement du péage aurait probablement une conséquence industrielle
heureuse : celle d'amener la transformation de l'industrie des transports par eau.
Cette industrie n'a fait que fort peu de progrès et en est encore presque au
même point qu'avant l'invention non pas même des chemins de fer, mais des ma-
chines à vapeur. Les documents du ministère des travaux publics nous apprennent
— 195 —
que les bateaux à vapeur naviguant sur nos rivières et nos canaux n'ont transporté,
en 1883, que 420,926 tonnes effectives et 105,088,620 tonnes kilométriques, soit
2 p. 100 dans le premier cas, et 4.4 p. 100 dans le second; ils nous disent égale-
ment que le tonnage et le remorquage à vapeur n'existent que sur une longueur
de 1,559 kilomètres sur 12,538, et ce sont généralement les parties où la naviga-
tion est plus difficile qu'ailleurs.
Les transports par eau sont donc, en immense majorilé, effectués par la petite
industrie, avec l'énorme déperdition de force et de temps que comporte celle-ci.
Cette situation seule explique la concurrence que peuvent faire les chemins de fer
à la batellerie pour le transport des marchandises pondéreuses et de peu de valeur.
Des services de batellerie à vapeur, à départ réguliers, mettant le minimum de
temps pour les transports ne tarderaient pas à s'emparer du trafic spécial de ces
marchandises, tout en supportant toutes les charges des capitaux investis et de
l'entretien.
Seulement, l'industrie de la batellerie ne pourrait se réorganiser qu'à une con-
dition, ce serait de se trouver placée dans les mêmes conditions que celle des
chemins de fer, c'est-à-dire monopolisée entre quelques mains, qui pourraient par
suite créer le service au meilleur marché possible. Naturellement, le monopole
entraînerait l'établissement de cahiers de charges et celui de tarifs maxima, c'est-
à-dire une organisation analogue à celle des chemins de fer. Cela comporterait des
concessions à des compagnies fermières, et le courant démocratique actuel porte
soit vers la petite industrie couverte par un protectionnisme suranné, soit vers l'ex-
ploitation par l'État.
*
* *
En résumé. Messieurs, en l'état des affaires de l'entreprise industrielle qu'on
nomme la France, il y a lieu de se rendre compte du prix de revient de tous les
services, de mettre un terme à tous les gaspillages et de procéder à la liquidation
des exploitations onéreuses. C'est pour cela que j'émets la double idée suivante :
1° il serait nécessaire de procéder au déclassement des routes nationales et de les
mettre à la charge des départements; 2" il serait nécessaire de rétablir les péages
sur les canaux et rivières. L'État pourrait de la sorte réaliser une économie annuelle
d'une trentaine de milHons et une recette à peu près équivalente; peut-être même
pourrait-il en résulter une diminution de la garantie d'intérêt à payer aux compa-
gnies de chemins de fer.
En terminant, Messieurs, je formulerai un compliment et un vœu à l'adresse des
rédacteurs des documents statistiques du ministère des travaux publics, dont le
principal est, je crois, notre estimé collègue et ancien président M. Cheysson. Le
compliment est motivé par la parfaite clarté desdits documents et l'ingéniosité des
aperçus; le vœu, c'est que les statisticiens se placent de plus en plus au point de
vue industriel et commercial, et qu'ils s'efforcent de mettre les législateurs et les
simples économistes à môme de savoir quel est le prix de revient de chacun des
services publics, ce qui doit être le but utile de la statistique.
Charles-M. Limousin.
— 196
m.
LES PREMIERS RÉSULTATS DU DÉNOMBREMENT DE 1886 ET LES COMMUNES
DE MOLNS DE 100 HABITANTS,
Par M. E. CHEYSSON
ANCIEN PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE.
(Communication faite à la Société de statistique dans la séance du 16 mars 1887.)
Gomme l'avait déjà fait le dénombrement de 1881, celui de 1886 doit fournir à
la fois la population de droit et la populcdion de fait (1).
C'est la population de droit, ou population légale, qui sert à l'application de plu-
sieurs de nos lois de finances et d'élections, par exemple pour le taux de l'impôt
dans les villes et pour la fixation du nombre des députés.
C'est au contraire la population de fait qui est la véritable matière des éludes dé-
mographiques, puisque ce sont les personnes réellement présentes qui se marient,
épargnent, sont condamnées, meurent... Aussi est-ce cette base que les divers con-
grès internationaux de statistique de Londres, Berlin, Florence et Saint-Péters-
bourg, ont recommandé de donner au recensement.
Le recensement de 1886 se distingue par une autre innovation relative au cadre
des questions qu'il embrasse.
Le questionnaire, qui s'était successivement dilaté jusqu'en 1866, avait été au
contraire fortement réduit dans les recensements postérieurs (2). Mais en 1886, sur
la demande du Conseil supérieur de statistique, on est heureusement revenu sur
une de ces suppressions, celle qui concerne le nombre d'enfants par famille, de
sorte que ce renseignement va être fourni pour le dernier recensement en même
temps que ceux qui ont trait au sexe, à l'âge, à la nationalité et à la profession (3).
(1) On sait que \^ population défait est le total des personnes présentes au lieu de recensement le
jour où il s'opère, tandis que la population de droit comprend le total des personnes ayant leur rési-
dence habituelle au lieu de recensement.
(2) En 1836, pour la première fois, ce cadre s'est étendu à Tâge, à la profession, au nombre des mé-
nages et des maisons. En 1851, on a distingué la population par âge et par état civil, distinction sans
laquelle on ne peut calculer ni la mortalité, ni la nuptialité, ni la natalité. En 1866, nouvelles additions
pour les cultes, les infirmités, Tinstruction. Mais, en vue de simplifier les opérations et de satisfaire des
réclamations que certaines questions avaient suscitées, on supprima dans les recensements subséquents
les additions faites en 1866.
(3) Quelques Parisiens frondeurs se sont récriés contre les indiscrétions et les exigences du recense-
ment et ont cru spirituel de remplir les cases du Bulletin avec des plaisanteries de mauvais goût. Mais,
d'après le rapport adressé au préfet de la Seine par M. le D'' Bertillon, chef du service municipal, ces
réponses ridicules ne constituent qu'une infime exception et ne portent nulle atteinte à la valeur des
résultats de l'opération.
Pour juger de la bénignité des procédés actuels du recensement par rapport à ceux du passé, il suffit
de rappeler l'édit de César-Auguste, prescrivant, en l'an premier de notre ère, « le dénombrement de
toute la terre », et exécuté en Syrie par le gouverneur Cyrinus. « Tous, dit l'apôtre saint Luc, allaient
se faire enregistrer chacun dans sa ville natale ». C'est ainsi que Joseph et Marie se rendirent de Nazareth
à Bethléem, où Jésus vint au monde.
Si le Gouvernement s'avisait aujourd'hui d'obliger chaque citoyen à s'aller faire recenser à son lieu de
naissance, s'imagine-t-on quel trouble profond résulterait d'une telle mesure dans la vie du pays, quelles
soufl'rances et quelles révoltes ! Il est décidément plus commode de remplir, les pieds sur ses chenets,
l'inoflensif bulletin déposé chez le concierge par le recenseur et repris ensuite par lui.
— 197 —
Les bulletins individuels et ceux de ménage sont dépouillés dans chaque com-
mune. Les états communaux sont centralisés au chef-lieu du déparlement, qui en
envoie le relevé au ministère de l'intérieur.
C'est ce ministère qui se charge des relevés concernant la population de droit;
quant à la population de fait, elle est dans les attributions du ministère du commerce
et de l'industrie.
Ces deux populations sont loin d'être identiques. Ainsi, en 1881, le recensement
a donné :
Pour la population de droit, un chiffre de . . 37,672,048 habitants.
Pour celle de fait, — . . 37,405,290 —
Différence en moins .... 266,758 habitants.
On s'est beaucoup égayé, non seulement dans la presse, mais même au Parle-
ment, sur ce désaccord dont on a fait un crime à la statistique. Mais en entrant au
fond des choses, on reconnaît bien vite que ces chiffres eussent été à bon droit
suspects, s'ils avaient concordé.
L'erreur, si c'en était une, ne serait que de 7 p. 1,000; ce qui n'est pas excessif
eu égard aux difficultés de l'opération. Mais ce désaccord ne prouve rien contre le
recensement et s'exphque par d'excellents motifs.
La population de droit comprend les membres du ménage absents au moment du
recensement, et néglige les hôtes de passage présents accidentellement. C'est pré-
cisément l'inverse pour la population de fait. Or, rien ne prouve que ces deux élé-
ments soient ou doivent être égaux.
En 1881, les membres absents étaient au nombre de . . . 780,480
Les hôtes de passage 513,722
Différence 266,758
On s'explique très bien cette différence en moins, sans incriminer l'exactitude
des opérations.
En effet, le membre du ménage absent peut résider à l'étranger, être décédé en
voyage à l'insu de sa famille ou circuler le jour du recensement en chemin de fer,
sans être atteint par l'opération (1).
Dans ces divers cas, cet individu compte dans la population de droit, mais non
dans celle de fait.
L'inverse se produit s'il s'agit d'étrangers traversant la France, de nomades, de
marins vivant sur leur leur bateau. Ceux-là figurent dans la population de fait et
non de droit.
Rien donc de surprenant à ce que les deux chiffres ne soient pas les mêmes. Ils
expriment deux populations différentes. Leur désaccord est une preuve de sincérité
et une présomption d'exactitude.
De ces deux recensements distincts, le premier seul vient de paraître : celui qui
s'applique à la population légale et qui incombe au ministère de l'intérieur (2),
(1) Les chemins de fer transportent 500,000 voyageurs par jour en moyenne; il est vrai que beaucoup
rentrent au logis; mais il en reste en wagon un nombre suffisant pour constituer une difficulté réelle.
(2) Les publications qui ont fait connaître ces résultats consistent en un certain nombre de tableaux
insérés au Journal officiel, numéros des G et 15 janvier 1887, et en un volume intitulé : le Dénombre-
ment de la population, année 188G,-
— 198 —
Bien qu'il soit le moins intéressant des deux pour les statisticiens et n'utilise
qu'une faible partie des renseignements du Bulletin individuel, nous avons cru ce-
pendant qu'il ne serait pas sans utilité de dégager et de commenter rapidement
ses principaux résultats.
A la date du dernier recensement, c'est-à-dire le 30 mai 1886 (1), la population
légale était de 38,218,903 habitants; le 18 décembre 1881, elle était de 37,672,04-8
habitants; d'où résulte une augmentation de 546,855 habitants.
Entre 1876 et 1881, elle avait été de 766,260; entre 1872 et 1876, de 802,867.
Comme les périodes entre deux dénombrements successifs n'ont pas même du-
rée, et comme la population a varié à chacune de ces opérations, il convient de les
rapporter toutes : d'une part, à l'année; d'autre part,à 10,000 habitants. On obtient
ainsi les résultats ci-après :
PROGRESSION ANNUELLE
absolue. par 10,000 liabitants.
1872-1876 2007717 55
1870-1881 153,252 H
1881-1886 123,816 33
1872-1886 (moyenne) . . 150,739 42
On voit que notre excédent annuel se resserre de plus en plus, à la façon de « la
peau de chagrin » dont parle Balzac. Il a décru de 20 p. 100 par rapport à la
seconde période, et de 40 p. 100 par rapport à la première.
Si l'on s'en était rapporté au mouvement de l'état civil, c'est-à-dire à l'excé-
dent annuel des naissances sur les décès, cette progression aurait été encore plus
lente.
En effet, pour 1 882, cet excédent était de 97,027 ; en 1 883 de 96,803 ; en 1884 de
78,974; en 1885 de 87,601 ; et pour les 5 premiers mois de 1886 (2) 36,525, ce qui
donne un excédent total des naissances égal à 396,990
Or, on a vu que l'excédent total de la population légale était de. . . 546,855
La différence entre ces deux excédents est de 149,865
La plus forte partie de cet écart s'explique par l'immigration des étrangers rési-
dant en France.
Le dernier recensement les a trouvés au nombre de 1,115,214
Tandis qu'ils étaient, à celui de 1881, au nombre de . 1,000,454
Excédent 114,760
Ainsi les étrangers, qui ne représentent que le 3 p. 100 de la population, absor-
bent à eux seuls plus du cinquième (21 p. 100) de son accroissement total.
Leur progression est donc sept fois plus rapide que celle du milieu ambiant. Elle
(1) La plupart des dénombrements ont lieu, dans les pays étrangers, en décembre. Celui de 1881, en
France, avait été exécuté le 18 décembre. Pour rendre la nouvelle opération exactement comparable aux
autres, il aurait été préférable de conserver celte date, ou au moins une date voisine. Mais en sMnspirant
de convenances plutôt administratives que scientifiques, le ministère de Tintérieur a adopté la date du
30 mai qui présente, il est vrai, l'avantage pratique d'une durée plus longue de jour pour les courses
des recenseurs, mais qui la rachète et au delà par Tinconvénient d'être en discordance avec les autres
recensements, et de correspondre à une époque de Tannée où les déplacements d'une partie de la popu-
lation ont déjà commencé sur une assez grande échelle.
(2) Calcul hypothétique d'après la natalité de 1885.
— 109 —
ressort en effet à 231 par 10,000 étrangers et par an, au lieu du chiffre de 38 qui
caractérise la population des Français.
Toutefois, il faut ajouter que cette infiltration étrangère, pour ne pas dire cette
invasion, a été moins abondante dans la dernière période que dans la période anté-
rieure, où elle avait atteint le chiffre de près de 200,000 (199,336). Si nous établis-
sons pour celte population spéciale un calcul semblable à celui qui est présenté plus
haut pour la population générale, nous obtenons le tableau suivant :
rliOGUESSION ANNUELI.K
absolue. par 10,000 étrangers.
1872-1876 17,216 226
1870-1881 39,807 442
1881-1886 25,839 231
1872-1886 (moyenne) . . 28,320 316
Si les choses continuent ainsi et si nous n'y prenons pas garde, dans 50 ans notre
population comptera 15 à 20 p. 100 d'étrangers, et l'on pourra dire d'elle ce que
le prophète disait de Jérusalem :
.... D'où lui viennent de tous côtés
Ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés?
Puisque notre natalité est si lamentablement appauvrie, sachons du moins nous
approprier ces éléments qui viennent se répandre sur notre territoire. Sans aller
jusqu'à leur imposer de force notre nationalité, il faudrait, comme le font l'Italie,
l'Angleterre et les États-Unis, faciliter la naturalisation, élaguer les broussailles
qui en défendent l'accès, et, retournant le système actuel, obliger ceux qui ne veu-
lent pas acquérir la nationalité française, quand ils sont dans certaines conditions
de séjour et de présence, à le dire expressément, au lieu que leur silence ou leur
inertie soient interprétés comme la volonté d'échapper à cette nationahté (1).
Si, à côté de la déplorable lenteur de la population générale, nous constatons
sans plaisir la progression rapide des étrangers, nous ne sommes pas plus satisfait
de celle des grandes villes. Le mouvement centripète depuis longtemps signalé con-
tinue toujours, même avec une intensité croissante. Les campagnes, déjà si dépeu-
plées, se dépeuplent encore, et les agglomérations, déjà si compactes, font de nou-
veaux progrès de condensation.
Les villes de 30,000 habitants et au-dessus ont présenté aux quatre recensements
qui se sont succédé depuis 1872 les populations ci-après :
1872 4,985,649 (13.0 p. 100 du total).
1876 5,303,747 (14.4 —
1881 5,683,818 (15.1 —
1886 6,440,127 (17.4 —
(1) Le projet de loi, actuellement en discussion au Sénat, avait tout d'abord semblé dirigé contre la
naturalisation et inspiré par la pensée de la décourager bien plutôt que de la faciliter. Heureusement,
avertie par la presse et par l'opinion publique, la commission du Sénat a remanié son projet dans un
sens plus libéral qui pourra être encore amélioré dans cette voie avant le vote définitif.
— 200 —
Les villes de 30,000 âmes et plus dépassent aujourd'hui le sixième de noire po-
pulation. Celles qui ont atteint ce chiffre en 1886 comprenaient ensemble en 1881
un nombre d'habitants égal à 6,131,001
Elles en comptent aujourd'hui 6,440,127
L'augmentation est donc de 309,126
C'est-à-dire environ les 3/5 de l'augmentation totale, ou presque entièrement
l'excédent des naissances sur les décès.
Sauf la ville de Saint-Étienne qui a perdu 5,938 habitants par suite de la crise
rubannière et métallurgique, toutes les autres villes sont en progrès et leur ensem-
ble accuse un excédent annuel de 111 par 10,000 habitants (triple du mouvement
général).
Si l'on déduisait du reste du pays ces villes de plus de 30,000 âmes, la progres-
sion annuelle de la population française par 10,000 habitants entre 1881 et 1886
tomberait de 33 à 17, c'est-à-dire à moitié.
En réalité, ce sont les cités qui accaparent presque entièrement à leur profit le
misérable excédent de notre natalité.
La ville de Paris, qui avait absorbé pour son propre accroissement, de 1876 à
1881, plus du tiers de celui du pays tout entier (280,217 sur 766,260), a ralenti son
allure de 1881 à 1886 et ne figure plus dans l'augmentation de 546,855, indiquée
ci-dessus, que pour 75,527, soit pour un septième.
Voici les chiffres qui expriment sa population et ses excédents pour les quatre
recensements de 1872 à 1886 :
EXCEDENT DE POPULATION
POPULATION ^^^ - ^
1872 . . . 1,861,792 j
137,014 34,253 177
1876 . . . 1,988,806
280,217 56,043 262
1881 . . . 2,269,023 \
75,527(1) 17,100 74
1886 . . . 2,344,550 '
Ce tableau accuse, non un état slationnaire dans la population parisienne, en-
core moins un recul comme on avait cru pouvoir l'annoncer, mais un ralentisse-
ment marqué dans sa progression. Viennent maintenant les travaux du Métropoli-
tain, et de nouveaux percements s'ajouter à ceux de l'Exposition de 1889, l'on
verra de nouveau ces énormes déplacements de population qui, tous les ans, sem-
blent vider une de nos grandes villes de province au profit de la capitale et qui dé-
fi) Le rapport adressé au préfet de la Seine par M le D'' Bertillon, sur les résultats du dénombre-
ment parisien, présente, avec le tableau publié par le Ministère de Fintérieur au Jownal officiel, des
discordances qui s'expliquent par la différence de nature des populations recensées, le tableau du mi-
nistère de Tintérieur s'appliquant à la population légale, ot le tableau de M. Bertiilon à la population
de fait. Pour n'en citer qu'une, Texcédent accusé par M. Bertillon, entre I88I et 1886, est de 1G,852 et
non de 75,527 habitants.
— 201 —
peuplent en réalité nos campagnes pour congestionner un peu pins le cerveau de
la France.
Paris continue d'ailleurs à être cette ville cosmopolite dont les habitants méri-
tent si bien ce nom de nomades que leur avait un jour infligé M. Ilaussmann. Elle ne
compte rpi'un tiers de véritables « autochtones », les deux autres tiers étant formés de
provinciaux et d'élrangers. Ces derniers sont au nombre de 77 pour 1,000 habi-
tants, alors que, dans le reste de la France, leur proportion n'est que de 26, ou du
tiers.
Si Paris progresse moins vite que dans les périodes antérieures, le mouvement
de sa banlieue s'est beaucoup mieux soutenu, comme en témoigne le tableau sui-
vant :
POPULATION EXCÉDENT UE POPUIiATION
lie la Seine, ^
absolu. annuel. . ^^^ VL
sauf Paris.
1872. . . . 368,268
et par 10,000 liab.
1876. . . . 422,043
53,775 13,444 340
j 108,263 21,653 455
1881. . . . 530,306 j
86,233 19,524 341
1886. . . . 616,539 )
A ce taux, la population double en 20 ans.
La banlieue bénéficie du mouvement centrifuge de reflux provoqué par la cherté
des loyers et de la vie dans l'enceinte des fortifications. C'est ainsi que Levallois-
Perrel a gagné, en 5 ans, â,ii^i! habitants; Boulogne, 0,130. Ce mouvement sera
singulièrement accéléré le jour où, comme à Londres, des transports à prix ré-
duits permettront cette double pulsation quotidienne, qui amène le matin les ou-
vriers, les employés à l'atelier, au bureau, au centre des affaires, et qui les ramène
le soir au logis, c'est-à-dire, si l'on savait le vouloir, à cette maisonnette isolée, à
ce foyer domestique, à ce home salubre, décent, coquet même, où la famille s'épa-
nouirait en plein bien-être matériel et moral.
En comparant, après celle des grandes villes, la population des départements,
telle qu'elle résulte des deux recensements de 1876 et de 1881, on constate :
Que 53 départements présentent ensemble une augmentation de . . 657,693
Tandis que 29 sont en décroissance de 110,838
Ce qui constitue l'excédent net de 546,855
Les départements qui progressent sont ceux qui possèdent les grandes villes.
Quanta ceux (jui décroissent, ils appartiennent, comme toujours, à cette malheu-
reuse Normandie, qui se dépeuple à vue d'œil, puis à d'aulres groupes qui mar-
chent tristement sur ses traces (le Gers, le Lot, la Ilauie-Marne).
Par suite de la désertion des campagnes, le nombre des petites communes va
toujours en augmentant, comme en font foi les chiffres ci-après :
li
— 202 —
NOMBRE DES COMMUNES. 1876. 1881. 1886.
Au-dessous de 100 habitants ... 653 720 766(1)
De 100 à 200 habitants 3,294 3,484 3,G00
De 200 à 300 — 4,573 4,734 4,895
Totaux . . . 8,520 8,938 9,261
Ces communes minuscules, qui ne sont que de la poussière communale, devien-
nent donc de plus en plus abondantes. Le nombre en a augmenté de 418 entre
1876 et 1881, et de 325 entre 1881 et 1886 ; il dépasse aujourd'hui le quart du
nombre total (36,121). Sur quatre communes, on en compte moyennement une
qui a moins de 300 habitants, c'est-à-dire qui renferme à peine les éléments de son
administration.
La question des petites communes a donné lieu à de remarquables études, pré-
sentées par nos savants collègues MM. de Grisenoy et Ducrocq devant la Société de
statistique, au cours de la deuxième session (2). A raison de son intérêt, il m'a semblé
qu'il convenait de la reprendre sur les données du nouveau recensement, en recou-
rant à la fois pour l'éclairer à la forme numérique et à la forme graphique.
On trouvera ci-après deux tableaux et un cartogramme consacrés à la répartition
départementale des plus petites communes.
Le premier tableau indique, par département, le nombre des communes infé-
rieures à 50 et à 100 habitants, ainsi que la surface moyenne de la commune dans
ce déparlement, de manière à rapprocher du nombre des petites communes le lo-
tissement communal (3).
Sur les 15 départements comptant plus de 20 petites communes, un seul, celui
des Basses-Alpes, a un lotissement communal supérieur à la moyenne générale pour
toute la France (1,460 hectares), cinq autres (Aube, 1,348 hectares; Côte-d'Or,
4,225; Marne, 1,214; Haute-Marne, 1,131 ; Meuse, 1,064) ont plus de 1,000 hec-
tares; enfin les 9 derniers (Hautes-Pyrénées, Haute-Saône, Aisne, Jura, Eure,
Doubs, Seine-et-Oise, Somme et Calvados) sont compris entre 939 et 723 hectares.
11 semble donc que la petite commune se rencontre de préférence dans les dé-
partements où la commune moyenne est elle-même peu étendue. A titre, soit de
cause, soit d'effet, la petite commune accompagnerait ainsi le morcellement com-
munal.
Le cartogramme traduit le tableau précédent et rend sensible aux yeux la distri-
bution géographique de ces petites communes, qui semblent s'être groupées dans le
nord-est, le sud-est et le sud-ouest, tandis que le centre et l'ouest en sont
exempts.
Enfin, le second tableau est spécial aux 74 communes de moins de 50 habitants
et donne, pour chacune d'elles, sa circonscription administrative, sa surface, sa
densité, la valeur de son centime et le nombre de ses centimes extraordinaires.
Sur ces 74 communes, 2 seulement dépassent la densité moyenne de toute la
(1) Le Journal officiel Au 15 janvier 1887 donnait le chiffre de 768; mais le relevé fait, commune
par commune, sur le volume du dénombrement, le réduit effectivement à 766.
(2) Voir le Journal de la Société, p. 121 et 180. 1886.
(3) Ce lotissement communal s'obtient en divisant la surface du département par le nombre de ses
communes.
— 203 —
Fiance (7S2 habitants par kilomètre carré). Les 7 autres se répartissent
suit:
comme il
De 50 à 60 habitants par kilomètre carré
De 40 à 50 — —
De 30 à 40 — —
De 20 à 30 — —
De 10 à 20 — —
De 5 à 40 — —
De 3à 5 — —
3
3
1
15
28
U
7
71(1)
La moyenne est de 11 habitants, répartis sur 376 hectares. La petite commune a
donc une faible superficie, mais une densité plus faible encore.
Son revenu est médiocre et ne dépasse 4,000 fr. que pour 3 d'entre elles. Il est
inférieur à 100 fr. pour 31 communes sur 74, et n'atteint en moyenne que la somme
de 36G fr. 50 c.
Quant à la valeur du centime, elle tombe à des taux infîmes, qui descendent
jusqu'à 2 et 3 fr.
La petite commune a donc des ressources modestes, loin de jouir, comme on
aurait pu le croire à priori, d'une riche dotation, apanage et legs du passé, que ses
heureux détenteurs actuels défendraient avec énergie contre les convoitises et les
empiétements des communes voisines.
Nous nous en tiendrons à ces renseignements de fait fournis par la statistique,
sans nous aventurer sur le terrain des commentaires.
Gomment se sont formées ces petites communes ? En vertu de quelles causes
historiques, climatériques, économiques, politiques ou administratives se sont-elles
groupées dans certaines régions, et ont-elles protégé leur autonomie contre l'at-
Iraclion des communes voisines? Comment leur chétive population peut-elle suffire
aux services de la vie communale? Sont-elles en voie de disparaître. Faut-il pous-
ser ou relarder leur disparition? Toutes ces questions, et bien d'autres encore
qu'on y pourrait joindre, restent entières après notre communication; mais si elles
ne sont pas résolues par ces tableaux et cette carte, simples documents à consulter,
nous espérons que la discussion en pourra être à la fois éclairée et précisée.
En résumé, le recensement de la population légale que vient de publier le minis-
tère de l'intérieur ne nous apporte rien de bien nouveau et ne fait guère que con-
firmer ce que nous savions ou pressentions déjà sur le déplorable ralentissement
de notre sève.
Les résultats du recensement de la population de fait tant pour la France que
pour la ville de Paris en particulier seront beaucoup plus riches en renseignements
de toute nature, et mériteront, à n'en pas douter, de retenir plus longtemps l'atten-
tion de la Société de statistique.
E. ClIEYSSON.
(1) Les renseignements ne sont pas fournis pour la commune de Suzan (Ariège), qui est englobée avec
celle de la Bastide-de-Sérou.
— 204 —
— Nombre de communes comprises entre et 100 habitants
et surface moyenne de la commune (d).
DEPARTEMENTS.
Ain
Aisne
Allier
Alpes (Basses-) . .
Alpes (Hautes-). .
Alpes-Maritimes. .
Ardèche
Ardennes . . . .
Ariège
Aube
Aude
Aveyron
Belfort (lerriloire de).
Bouclies-du-Rhône
Calvados
Cantal
Charente
Charenteinférieu"
Cher
Corrèze
Corse
Côte-d'Or . . . .
Côtes-du-Nord . .
Creuse
Dordogne . . . ,
Doubs
Drôme
Eure
Eure-el-Loir . . .
Finistère
Gard
Garonne (Haute-)
Gers
Gironde ....
Hérault ....
llle-et-Vilaine. .
Indre
Indre-et-Loire .
Isère .....
Jura. .....
Landes ....
Loir-et-Cher . .
Loire
Loire (Haute-) .
Loire-Inférieure.
KOMIIKE DE
COMMUNES
-— .^.•.^—
de
de
à 50.
SlàlOO
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89
20
30
8
»
6
17
1
4
17
»
»
3
36
1,279
879
2,280
2,770
2,931
2,475
1,630
1,046
1,459
1,3J8
1,439
2,906
589
4,650
723
2,150
1,397
1,424
2,463
2,044
2,335
1,225
1,768
2,110
1,575
819
1,759
857
1,379
2,317
1,679
1,074
1,330
1,771
1,851
1,804
2,786
2,166
1,474
865
2,798
2,145
1,449
1,816
3,187
DÉPARTEMENTS.
Loiret
Lot
Lot-et-Garonne . .
Lozère
Maine-et-Loire . .
Manche
Marne.
Marne (Haute-) . .
Mayenne
Meurthe-et-Mos''"'^ .
Meuse
Morbihan
Nièvre
Nord
Oise
Orne
Pas-de-Calais. . .
Puy-de-Dôme, . .
Pyrénées (Basses-)
Pyrénées (Hautes-).
Pyrénées-Orien'"'"
Rhône
Saône (Haute-) .
Saône-et-Loire .
Sarthe
Savoie
Savoie (Haute-).
Seine
Seine-Inférieure.
Seine-et-Marne .
Seine-et-Oise. .
Sèvres (Deux-) .
Somme ....
Tarn
Tarn-et-Garonne.
Var
Vaucluse. . . .
Vendée ....
Vienne ....
Vienne (Haute-).
Vosges
Yonne
Totaux . .
NOMBRE DE
Communes
tj
<!
— «^ —
— ^ — .
O
de
de
r<
Oà 50
5 là! 00
»
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»
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»
»
»
6
6
1
35
36
11
24
35
»
»
5>
2
14
16
3
24
27
»
»
»
»
1
1
»
3
3
1
11
12
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42
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»
3
3
1
9
10
2
27
29
»
1
1
6
30
36
1
»
1
»
2
2
1
3
4
»
5
5
»
»
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»
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»
»
»
1
14
15
74
6
6
692
766
1,926
1,620
1,640
2,623
1,868
925
1,214
1,131
1,873
876
1,064
2,729
2,170
860
834
1,194
734
1,701
1,374
939
1,795
1 .082
883
1,454
1,529
1,760
1,375
672
810
1 .083
786
1,685
737
1,805
1,916
4,133
2,495
2,245
2,324
2,718
1,107
1,530
1,461
(1) Cette surface a été obtenue en divisant la surface totale de chaque département par le nombre
des communes de ce département.
^ 205 —
pi*. — Nombre de commîmes inférieures à iO(LMU(ints par di^arkment.
206 —
II. — Désignation, superficie, densité et situation financière
DENSITÉ.
SITUATION FINANCIÈRE |
NOMS
NOMBRE
pour 1884.
1^^
.^M^^— ^
.^— "^^I^M^— — ^^~~^^^V^
^ -'-^^.
NOMS
NOMS
t.
g
des
d'ha-
Nombre
S-S
Revenus
Valeur
j
(les départements.
arrondissements.
des communes.
bitants.
d'hectares.
■o c s
^ 3 —
annuels.
du
centime.
il
s i
2
73
Aisne. . . .
Château-
Thierry.
Saint-Quentin. .
46
44
104
6
2,83
Taloire ....
50
1,199
4
68
8,33
14
Castellane . .
La Colle- Saint-
Alpes (Basses);
Digne ....
Michel . . .
Lagremuse . .
46
40
588
520
8
8
307
10
2,46
2,85
14
80
1
Sisteron . . .
Feissal ....
50
1,336
4
428
2,56
14
Alpes {W-) .
Gap
Clausonne. . .
29
577
5
17
4,19
14
Ariège . . .
Foix
Suzan (1) . . .
41
»
»
»
y>
»
Aube.
Troyes. . . .
Prunay-S'-Jean .
38
74
51
175
5,10
51
Villy-le-Bois. .
46
541
8
207
19,16
48
Bouches-du-
Rhône.
Aix
Saint-Antonin. .
50
1,579
3
564
11,07
22
Cher ....
Bourges . . .
Saint-Céols. . .
48
334
14
51
6,98
10
Bois-la-Ville . .
47
204
23
785
4,60
14
Baume-
les-Dames.
Santoche . . .
45
215
21
781
5,69
14
Sechin ....
Vennans . . .
44
36
109
136
40
26
478
689
2,63
4,09
14
14
Le Châtelet . .
28
291
10
634
4,09
14
'Boismurie. . .
30
145
21
10
5,76
34
iChazoy ....
42
195
22
965
8,89
14
Doubs. . . .
Besançon . .
jBrère
47
215
22
527
6,68
22
jBlarians. . . .
37
90
41
519
3,84
34
[Braillans . . .
47
193
24
954
5,57
14
jPalise
45
202
22
820
7,01
14
iMontursin. . .
35
194
18
260
2,46
14
\Montbéliard. .
/Blanchefontaine
35
197
18
818
2,74
14
iVaivre ....
31
369
8
505
4,63
27
Die
jLa Bâtie - Cre-
rirrtmp
mezin . . .
42
451
10
80
2,24
76
UlUlllC . . .
Nyons. . . .
Ollon
46
569
8
32
3,11
192
La Farre . . .
42
503
8
39
3,05
123
Eure . . . .
Évreux . . .
iLe Roncenay. .
47
263
18
66
8,01
14
Dardez ....
45
282
16
48
10,11
26
Gard . . . .
Le Yigan. . .
Cambo ....
48
347
14
89
3,61
57
Garonne(H'S
Saint-Gaudens.
Lodève . . .
Trébons. . . .
Saint-Martinde-
47
83
57
122
2,72
111
Hérault. . .
Combes. . .
Viols-en-Laval .
34
41
461
1,602
7
3
66
7
7,90
24,61
60
41
Montpellier. .
( Lons-
jle-Saulnier. .
Soyria
50
276
18
295
4,14
28
Jura . . . .
Mérona ....
49
297
16
99
5,72
14
(Sezéria . . . ..
46
198
23
506
5,41
24
(Poligny . . .
IMontmarlon . .
44
324
14
1,462
6,80
14
jCertemery. . .
43
80
54
11
3,21
65
(1) Territoire
et situation flnanc
ère confondus avec
la comm
une de la
Bastidf
-de-Sérou
— 207
des 71 commîmes dont la population est inférieure à 50 habitants.
DENSITÉ.
SlTU.^TION FINANCIÈRE
NOMS
NOMBRE
_— — ^
pour 1884.
NOMS
NOMS
M
des
d'ha-
Nombre
Ai
Revenus
Valeur
S
des départemeiUs.
arrondissements.
des communes.
bitants.
d'hectares.
O ■ - J3
annuels.
du
centime.
.s c
a S
s
48
Marne ....
Sainte-
Menehould.
Dampierre-sur-
Auve. . . .
43
498
9
112
12,33
/Lacrète. . . .
43
2,075
2
70
15,26
10
/Chaumont. jMorteau. . . .
12
420
3
66
10,16
10
1 jCurmont . . .
49
294
17
305
3,60
14
1 (La Genevroye. .
19
283
7
576
2,62
10
M ancres iSeucliey. . . .
Marne(Haute-).r ^ ' * jpierrefontaines.
34
163
21
16
5,23
22
50
394
13
232
4,58
14
^Augeville . . .
24
304
8
487
3,83
10
iLandéville. . .
45
396
11
612
6,88
14
Iwassy . jBressoncourl. .
"\Doulevant * le -
30
297
10
208
5,42
10
1 Petit. . . .
50
303
17
803
9,63
14
(Suzemont. . .
32
20
160
1,103
3,88
9
Meurtlie-et- Nancy . . .
Leménil-Mitry .
48
343
14
45
11,34
16
Moselle.
Toul. . . .
Housselmont. .
40
143
28
280
4,28
19
Commercy. .
Monlbras . . .
38
540
7
60
16,29
43
Meuse ....
Verdun-
Darmont . . .
45
328
14
730
9,70
24
sur-Meuse. jOrnel
43
316
14
725
10,09
25
Oise
Clermont. . Gouy-les- Gro-
1 seillers . . .
47
303
16
92
8,07
85
Pas-de-Calais ,
Saint-Pol. .[Cauteleux. . .
43
339
13
88
12,15
126
»-v r » /f ¥f oe \
l Bagnères- Ipréchet-Aure. .
50
340
15
800
1,53
14
Pyrénées (H'"-)^ae - uigorre . \
7 "
Tarbes. . .|Gonez . . . .
43
111
39
10
2,02
86
(Ranzevelle. . .
47
225
21
2,012
9,90
14
Saône (Haute-).
Vesoul. . .|La-Villedieu-iès-
f Quenoche . .
20
131
15
989
2,16
14
Seine-et-Marne.
Provins. . . |Pierrelez . . .
Le Tartre -Gau-
44
333
13
110
8,48
15
Seine-et-Oise. .
Mantes. . .L/.''''"^;, ' • *
Tliionville -sur-
21
427
5
118
9,72
97
( Opton. . . .
33
176
19
98
11,45
37
/Guémicourt . .
\Floxicourt. . .
21
234
9
46
10,06
61
43
275
16
18
7,50
68
/ A.miens. . . ^'Méraucourt . .
] 'Saulchoy-sous-
38
304
12
231
6,81
67
Somme. - ■ >]
Poix ....
50
372
13
76
11,90
89
iDoullens . .
Epécamps. . .
46
160
29
66
6,86
54
(Montdidier .
Fonchette. . .
44
164
27
28
10,97
76
Tarn
Gailinc. . .
Ratayrens . . .
27
67
40
6
3,25
14
Var
Toulon. . .
Riboux ....
35
1,348
3
136
5,07
11
Vosges. . . .
Mirecourt. .
Maroncourt . .
Totaux . .
Moyennes . .
49
224
22
2,468
8,96
18
»
3,003
27,833
1 ,483
27,122
»
376
11
366,50
»
— 208
IV.
LES EXCITANTS MODERNES (aLCOOLS, CAFÉ, THÉ ET CACAO, SUCRES, TABAC),
Les finances des Étals de l'Europe reposent en grande partie sur les impôts levés
sur un petit nombre d'articles de consommation d'origine moderne, les alcools, le
café, le thé, le cacao, les sucres et le tabac.
Ces articles de consommation ne contiennent que très peu de matières directe-
ment nutritives, mais ils ont certainement une grande influence sur la digestion des
aliments, et plus encore sur l'état nerveux des hommes. L'abus de quelques-uns
d'entre eux peut avoir des résultats très funestes et en faire de vrais poisons. Ces
excitants et condiments sont tellement entrés dans les mœurs des peuples de la
race européenne qu'ils sont considérés maintenant comme objets de consommation
nécessaires. Ils ont pris une place si considérable dans les dépenses ordinaires de
la vie et ils sont en même temps si faciles à saisir que partout le fisc s'en est emparé
comme objets d'impôts dont le taux est certainement le plus aisé à établir et le
plus sur à recueillir. En général, on peut dire que les impôts sur ces quatre objets
de consommation rapportent aux trésors d'Europe un quart de (ous leurs revenus.
Ces consommations sont toutes de date moderne. D'autres boissons, jusqu'à un
certain point analogues, les vins et les bières, appartiennent au contraire à l'anti-
quité la plus reculée. Je les exclus donc de cette étude statistique à cause de cette
antiquité même, et aussi parce qu'elles sont bien autrement alimentaires.
Alcools. — L'alcool, comme le nom déjà l'indique, nous est venu des Arabes,
qui, les premiers, ont distillé l'alcool étliylique des vins. C'était d'abord un produit
alchimique et pharmaceutique; puis, vers la fin du xiii' siècle, étant devenu d'un
usage général en médecine, on l'appela aqua vitœ, eau-de-vie. Ce ne fut que veis
la fin du XIV'' siècle qu'il commença à passer à l'état de boisson.
Il n'était pas encore question à celte époque, et même plus de deux siècles après,
de l'extraire autrement que de certains vins qui s'y prêtaient plus facilement par
fermentation. La production, assez restreinte, appartenait presque exclusivement à
la France, où son siège était dans la région des Gharentes; c'était l'éj)oque des
cognacs et des armagnacs.
Pendant le xv', le xvi' et une grande partie du xvii' siècle, les eaux-de-vie des
Gharentes, le cognac et l'armagnac, ont été produits et consommés en quantité plus
considérable, mais ils ne se trouvaient encore, en dehors de la France, que sur la table
des riches. Les boissons de la masse du peuple restaient exclusivement, en Europe,
le vin et la bière et, dans les occasions extraordinaires comme les fêtes, l'hydromel.
Ge n'est que dans le xviii" siècle que les eaux-de-vie commencent à entrer dans la
consommation de la bourgeoisie. Gependant vers la fin de ce siècle, la production
des eaux-de-vie dans la région des Gharentes n'était estimée encore qu'à 1,080,000
hectolitres.
G'est également dans ce xviii' siècle que la distillation de l'alcool des grains a
pris naissance dans les pays riches en céréales, mais ne produisant pas de vin. Elle
— 209 —
se développa rapidement en Angleterre et aux Pays-Bas, plus tard en Danemark,
en Allemagne et en lUissie.
La dislillalion industrielle de l'alcool des pommes de terre n'a pris naissance que
dans notre siècle. Cette industrie, ainsi que la rectification des alcools provenant des
matières farineuses, s'est surtout développée en Allemagne, où le nom de Pistorim
y restera attaché.
La dislillalion de l'alcool des betteraves et des mélasses s'est d'abord faite en
France en 1838 ; mais cette induslrie n'a pris de grand développement que vers
1851, quand par suite des ravages de l'oïdium de la vigne, l'alcool de vin, qui jus-
que-là suffisait à la consommation, vint à manquer. Cette dislillation grandit alors
avec une rapidité surprenante, grâce à la méthode du chimiste Champonnois, et
encore plus, lorsque, depuis 1876, le phylloxéra venant ravager les vignobles de la
France, arrêta presque entièrement la production des alcools du vin.
La distillation du maïs est de dalc encore plus récente. File a pris naissance aux
Flals-Cnis d'Amérique ; mais ce n'est que dans ces dix dernières années que cette
distillation a pris une certaine extension en Europe, grâce aux procédés Dubrunfaut.
La fabrication de l'alcool produit par la canne à sucre est restreinte aux colonies,
notamment aux Indes occidentales et aux colonies néerlandaises des Indes orien-
tales. De même, la dislillation de l'alcool du riz réside presque exclusivement dans
les colonies des Indes néerlandaises et la Hollande, leur mère patrie.
On sait maintenant produire l'alcool à l'aide de toutes sortes de fruits et de
plantes. Presque tous les liquides sucrés que la nature nous offre dans les ra-
cines, dans les tiges ou les fruits des végétaux sont susceptibles de fermentation
alcoolique en les plaçant dans les conditions convenables de température et de dilu-
tion aqueuse. Dans la Scandinavie, on a même essayé de distiller industriellement
l'alcool des mousses et des lichens des hauts plateaux de montagne, spécialement
de la mousse des rennes, cliladonia vangiferina, mais sans profit suffisamment
rémunérateur.
Quoi qu'il en soit, ce sont les alcools provenant des grains, des pommes de terre,
des betteraves, des mélasses et du maïs qui sont actuellement de beaucoup les plus
prépondérants dans l'industrie des alcools.
Partout cette induslrie est soumise à un impôt, lequel est perçu tantôt sur le
produit, en tenant compte de la quantité d'alcool pur, imposition au degré, tantôt
sur la capacité des cuves de fermentation ou la quantité des substances employées.
Dans ce dernier cas, on calcule sur un certain rendement pour en déduire le taux
de la reslilulion à allouer aux alcools exportés, restitution qui alors très souvent se
change en prime. L'alcool destiné à l'industrie jouit partout d'une restitution plus
ou moins complète à la condition d'être rendu impropre à la consommation. Mais
les quantités ainsi dégrevées api'ès dénaturation ne jouent pas un grand rôle par
rapport aux quantités consommées ou bien directement sous forme d'eau-de-vie,
ou bien en les mélangeant avec les vins pour le vinage des vins faibles en alcool.
En tout cas, les quantités consommées en boissons constituent probablement
95 p. 100 de la production totale.
Voici maintenant des tableaux de la consommation de l'alcool et des revenus qu'en
tirent les trésors d'État dans les principaux pays d'Europe.
Tableau.
210
Consommation annuelle des alcools en hectolitres d'alcool pur et en litres
par tête d'habitant.
Périodes
Russie d'Europe . . .
Finlande
Suède
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriclie-Hongrie. . .
G. -Bretagne et Irlande
Pays-Bas
Belgique ,
France
Suisse
Italie
1860-1864.
Consomma-
tion en
hectolitres.
3,221,000
187.
36,
630,000
193
880
,000
,000
Litres
par
tête.
4,7
2,2
2,2
4,0
2,4
1865-1869.
Consomma-
tion en
hectolitres.
2,842,000
188,000
42,000
1,184,000
795,000
196,000
956,000
Litres
par
tête.
1870-1874.
Consomma-
tion en
hectolitres.
,439,000
42,000
241,000
46,000
,700,000
,411,000
960,000
149,000
181,000
900,000
par
tète.
4,4
2,3
5,7
2,6
4,2
3,9
3,0
4,1
3,1
2,5
1875-1880.
Consomma-
tion en
hectolitres.
3,323,000
55,400
244,000
50,000
185,000
2,000,000
1,293,000
1,066,000
190,000
254,000
1,068,000
par
tête.
4,0
2,8
5,5
2,7
9,3
4,7
3,5
3,2
4,9
4,7
2,9
Consomiiia-
lion en
hectolitres.
3,600,000
46,000
180,000
33,000
178,000
1,870,000
1,321,000
959,000
300,000
264,000
1,436,000
130,000
270,000
Litres
par
tète.
4,2
2,2
3,9
1,7
8,9
4,1
3,5
2,7
4.7
4,7
3,8
4,6
0,9
En supposant que dans les autres Élals de l'Europe, la péninsule Ibérique et la
péninsule des Balkans, on consomme annuellement, comme en Italie, 0,9 litres d'al-
cool pur par tête d'habilant, on arrive à ce résultat que la consommation totale
de l'Europe pendant la période quinquennale (1880-1884) a été annuellement de
près de 11 millions d'hectolitres d'alcool pur, soit 3,3 litres par tête d'habilant.
Réduit en eaux-de-vie au titre de 45 p. 100 d'alcool, cela fait 24 millions d'hec-
tolitres d'eau-de-vie annuellement consommés, ou 7,3 litres par tête d'habilant.
Aux Élats-Unis d'Amérique, on estime la consommation pendant la même période
à 1,350,000 hectolitres d'alcool pur, soit 26 litres par tête d'habitant, ce qui en eaux-
de-vie à 45 p. 100 d'alcool, équivaut à 3 millions d'hectolitres, soit 5,8 litres par
tête d'habilant.
Quant à la consommation par tête d'habitant, les différents peuples européens se
rangent dans l'ordre suivant :
Italie 0,9 hr* d'alcool pur ou 2,0 lit"" d'eau-de-vie à 45 p. 100.
Norvège 1,7 — 3,8 — —
Finlande 2,2 — 4,9 — —
Grande-Bretagne et Irlande. 2,7 — 6,0 — —
Aulriche-Hongi'ie 3,5 — 7,7 — —
France 3,8 — 8,4 — —
Suède 3,9 — 8,7 — —
Allemagne 4,1 — 9,1 — —
Russie 4,2 — 9,3 — —
Suisse 4,6 — 10,2 - -
Belgique 4,7 — 10,4 — —
Pays-Bas . 4,7 — 10,4 ~ —
Danemark 8,9 — 12,8 — —
Tableau.
— 211 —
Impôts sxr la pvodmiion des alcoola et receltes des Etals.
(^on compris les recetles des villes, comimines et cantons.)
Moyenne des années 1880-1884.
IMPl.TS KKOBTTES
(jiir hcclolilre reCKTTES par lét«
,. - en francs. „
eu Irancs. en Iraiies.
'^■'•ATS- •d'aleool pur ^„ f„^,„^,,_ d'habitant
Russie 156 56'J,000,000 (1) 6,63
Finlande 122 5,600,000 2,67
Suède 107,5 1U,000,000 4,15
Norvège 187,5 5,200,000 2,71
Danemaric 27,2 . 4,100,000 2,03
Allemagne 32,7 65,000,000 1,41
Autriche-Hongrie 27,5 40,000,000 1,04
Grande-Bretagne et Irlande . . 493 474,400,000 13,44
Pays-Bas 242 47,800,000 11,29
Belgique 93 28,700,000 5,12
France 156,25 258,000,000 6,86
Suisse 20(2) 7,400,000(3) 2,60
Italie 60(4) 18,900,900 0,65
On peut supposer que les trésors de tous les Etats de l'Europe tirent de l'impôt
sur l'alcool, en moyenne des années 1880-1884, la somme de 1,550 millions de
francs, ou 4 fr, 63 c. par tête d'habitants. En dehors de celle somme, il y a encore,
sous les formes très différentes, des impôts locaux au profit des communes ou des
cantons.
Aux Étals-Unis d'Amérique le tarifa été depuis 1875 de 245 fr. 36 par hectolitre
d'alcool pur. Le trésor fédéral a retiré en moyenne des années 1880-188-4 de l'im-
pôt sur les distilleries 363 mihions de francs, ou 7 fr. par tête d'habitant.
Il y a actuellement dans toute l'Europe un courant d'opinion assez prononcé pour
combattre les abus de la consommation de l'eau-de-vie, et en même temps pour
augmenter l'impôt au profit des trésors des États. En général, on n'a pu constater
aucune diminution de la consommation de l'eau-de-vie, en Europe, par rapport
à la population.
Pendant la période de hausse générale et rapide des salaiVes des classes ouvrières,
1872 à 1878 et 1880, la consommation a augmenté, mais pendant les années sui-
vantes qui ont été marquées par la crise générale des affaires il y a eu, au contraire,
diminution par tête d'habitant.
La Norvège paraît être le seul pays de l'Europe où une diminution sérieuse de la
consommation par tête d'habitant ail eu lieu dans le courant des 40 dernières années.
Depuis 1840, année à partir de laquelle l'impôt est passé des alambics au produit
et a élé réglé exactement d'après la quantité et le degré, on connaît avec assez de
précision la consommation de ce produit. Réduite en alcool pur et calculée propor-
tionnellement à la population, la consommation en Norvège, qui, en 1833, alors que
l'eau-de-vie étendait le plus ses ravages sur le pays, s'élevait, d'après une estimation
(1) Depuis la période quinquennale 1880-1884 les receltes de la Russie, provenant des alcools, ont
beaucoup augmente, notamment par la répression plus eflicace de la fraude.
(2) Impôt fédéral ; il y a encore les impôts cantonaux : Ohmgdd.
(3; llecettes de la Confédération et des cantons, mais non compris les patentes des aubergistes et autre
impôt sur le débit.
(i) De 1870 à 1883, l'impôt n'étant que de GO fr. \m- Iiectolitrc d'alcool pur ; la loi du juillet 1SS3
éleva le taux à 100 fr., et la loi du G juillet 188G vient de porter le tarif à 150 fr. par hectolitre d'al-
cool pur.
— 212 —
un peu incertaine, mais probablement plutôt trop basse, à 8 litres d'alcool pur par
tête d'habitant, ne comptait plus en iS^^ que pour 5 litres.
Elle a suivi depuis la marche ci-après :
1850 à 1854 . .
. . 3,15 litres.
1855 à 1859 . .
. . 2,75 —
1860 à 1864 . .
. . 2,20 —
1865 à 1869 . .
. . 2,40 —
1870 à 1874 . .
. . 2,61 —
1875 à 1879 . .
. . 2,70 —
1880 à 1884 . .
. . 1,70 —
C'est par des impôts de plus en plus lourds tant sur la distillation de l'alcool que
sur la vente et de débit, c'est par des mesures restrictives du débit ainsi que par
l'influence de l'opinion publique excilée par des sociétés de tempérance qn'on a
réussi, en Norvège, à amener la consommation des eaux-de-vie au tiers de ce
qu'elle était par rapport à la population il ij a quarante ans.
A ce point de vue, la législation de la Norvège sur le commerce et le débit des
eaux-de-vie mérite de fixer l'attention des législateurs qui s'occupent d'enrayer dans
d'autres pays le fléau de l'abus des alcools.
Café, thé, cacao. — Les boissons qu'on prépare avec ces trois articles sont
devenues d'une consommation générale dans toutes les parties du monde. Ces
articles donnent lieu à des transactions des plus considérables, et leur commerce
règle en grande partie le commerce général de l'Extrême-Orient, de l'Amérique
du Sud et des Indes occidentales avec l'Europe.
Ces trois articles se ressemblent par leur composition chimique et par leur in-
fluence sur la digestion.
Le café et le Ihé contiennent le même alcaloïde : la caféine. Le café en contient
de 0.8 à 1 p. 100 et le thé de 2 à 4 p. 100. Le cacao contient un alcaloïde, la
Ihéobromine, l'homologue inférieur de la caféine, en laquelle on peut la convertir.
La théobromine se trouve dans le cacao en quantité variant de 0.5 à 2 p. 100.
Ces alcaloïdes sont les principes essentiels qui caractérisent l'action des boissons
qu'on prépare avec ces articles. Le cacao contient encore de 36 à 52 p. 100 d'une
madère grasse : le beurre de cacao.
Le café a été introduit de l'Abyssinie en Arabie dans le xv* siècle, et de là, vers
la fin du xvif siècle par un Hollandais, M. Wiesen, aux Indes néerlandaises. En
1715, une plante de cet arbuste est arrivée au Jardin des Plantes, à Paris, et de là
on a transporté un jeune plant à la Martinique.
Les principaux pays producteurs du café sont les Indes orientales anglaises, les
Indes néerlandaises, le Brésil et les Antilles. La production totale est estimée à
650 millions de kilogrammes, moyenne des dernières années. Le Brésil seul en
fournit la moitié. En 1855, la production totale n'était estimée qu'à 330 millions
de kilogrammes. La production du café a donc doublé dans les dernières 30 années.
L'usage du café, comme boisson en Europe, ne date que du milieu du xvir siècle,
et encore cette boisson n'élait-elle guère connue que dans les grandes villes. Ce n'est
qu'un siècle plus tard que le café est devenu une boisson d'usage général dans la
population urbaine de l'Europe, enfin ce n'est que dans notre siècle qu'il a pénétré
dans la population rurale et qu'il est devenu d'une consommation tout à fait usuelle.
Le thé a été introduit en Europe dans le xvi* siècle, mais ce n'est qu'au xvii" siècle
— ris-
que celle boisson a été connue d'abord dans les Pays-Bas, plus tard à Londres el à
Paris. Eu 1786, la Compagnie des Indes, à Londres, qui alors faisait la plus grande
partie du commerce du tlié en Europe, n'en vendait que 25,000 kilogrammes.
Les principaux pays qui produisent le Ihé sont la Chine, le Japon et l'Inde anglaise.
Dans rAméri(p]e du Sud, on cultive un arbrisseau, le ycrba-maté, dont on tire un
produit analogue, qu'on appelle le thé du Paraguay. Mais ce thé n'est guère con-
sommé en dehors de l'Amérique du Sud, où il est toutefois l'objet de transactions
assez importantes.
On ne connaît pas les quantités de thé recueillies en Chine et au Japon, où la con-
sommation de ce produit indigène est certainement très élevée. On en connaît
seulement les exportations. L'exportation, par voie de mer, du thé de la Chine a
été, en moyenne, des années 1880 à 1884, de 120 millions de kilogrammes d'une
valeur, sur les places d'exportation, de 200 millions de francs. L'exportation du
Japon pendant la même période a été de 17 millions de kilogrammes annuellement,
d'une valeur de 30 millions de francs. L'exportation des Indes anglaises a été par
voie de mer, de 22 millions de kilogrammes, d'une valeur de 70 millions de francs.
En dehors de ces trois pays, la production de thé ne dépasse pas 2 à 3 millions
de kilogrammes.
Le cacao est le fruit d'un arbuste originaire de l'Amérique du Sud ; il est actuelle-
ment cultivé dans les régions équatoriales de ce continent, ainsi que dans l'Amérique
centrale et dans les Antilles. En le mélangeant et le broyant avec du sucre, puis
en l'aromatisant par la vanille, la cannelle et divers autres arômes, on en tire le
chocolat en tablettes.
Le chocolat dissous dans l'eau chaude ou dans le lait fournit une boisson qui est
considérée comme de luxe dans la plus grande partie de l'Europe. Elle n'a guère
pénétré dans les masses des populations qu'en Espagne, en Suisse et quoique dans
une proportion plus faible, en France. On compte en général 1 kilogramme de
cacao par 2 kilogrammes de chocolat.
Voilà maintenant la consommation en Europe et les receltes que les États tirent
de ce produit:
Consommation annuelle du café dans l'Europe en tonnes de 1 ,000 kilogrammes
el en kilogrammes par tête d'habitant.
Périodes .
ÉTATS.
Knssie d'Kurope . . .
Finlaudc
Suéde
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriche-Hongrie. . .
G.-Brctague et Irlande.
Pays-Bas
Belgique
France
Suisse
Italie
K.>pagne
Portugal
(tréce
Roumanie
5,6:JI
(5,740
1,«.JI
r,9,l(!(j
20,000
l.'i,3.'i6
14,000
IS.OOO
40,000
7,000
U,700
Kilogr.
par
tête.
0,08
1,08
2,98
1,9G
0,.'53
4,12
3,7.i
1,07
2,80
0,53
(Consomma-
lion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
6,124
7,108
5,. 5 92
77,938
21,91(3
1.3,7.".4
10,859
21,130
47,(548
7,981
11,345
1 ,0'J2
Kilo{.ir.
par
l^te.
0,09
1,70
3,25
2,20
0,01
0,40
4,71
4,20
1,21
3,04
0,47
0,83
l.s70-lS7t.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
7,315
8,804
5,950
4,390
94,000
31,301
11,06.5
21,133
21,9.59
43,281
7,757
12,351
Kilogr,
par
tête
0,10
2.08
2,41
2,27
0,80
0,41
5,70
4,23
1,18
2,89
0,40
0,60
1875-1879.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
7,092
9,185
0,511
4,700
102,773
35,-197
14,904
27, (557
23,358
52,018
8,922
13,873
1,869
1,000
890
Kilogr.
par
tête.
0,09
2,05
3,51
2,45
2,33
0,90
0,41
7,09
4,30
1,41
3,21
0,48
0,47
0,00
0,18
1880-1881.
Consomma-
lion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
7,022
5,900
12,844
7,110
5,. 502
100,157
34,80.1
14,400
."8,857
24,999
01,489
9,307
11,100
3,300
2,1. 57
1,200
1,000
Kilogr.
par
léle.
0,09
2,81
2,79
3,72
2,72
2,31
0,91
0,41
9,18
4,18
1,73
3,25
0,49
0,19
0,54
0,60
0,19
2U —
En ajoutant 11,000 tonnes pour les pays non mentionnés, on arrive à une con-
sommation totale en Europe de 365 millions de kilogrammes de café, ou I''^,1 par
lête d'habitant, en moyenne, pour la période quinquennale (1880-1884).
Aux Etals-Unis d'Amérique, la consommation pendant la même période est estimée
à 210 millions de kilogrammes par an, soit 4 kilogrammes par tête d'habitant.
Quant à la consommation du café par tête d'habitant, les différents Étals d'Europe
se rangent dans l'ordre suivant:
Russie (sans la Finlande). . 0""'
Roumanie
Espagne.
Grande-Bretagne et Irlande .
Italie
Portugal
Grèce
Autriche-Hongrie
France 1
Allemagne 2
Danemark 2
Suède 2
Finlande 2
Suisse 3
Norvège 3
Belgique -4
Pays-Bas . . 9
49 annuellement par tète d'habitant.
19 — —
19 — —
41 - —
49 — —
59 — —
GO — —
91 — —
73 — —
31 — —
72 — —
79 — —
81 — —
25 — —
72 — —
48 — —
18 — —
La consommation du café a été, dans presque tous les pays d'Europe, en crois-
sant dans une proportion assez forte. L'usage du café comme boisson de tous les
jours ne s'est pas développé qu'après 1815; mais en 1830 encore la consommation
n'avait guère pénétré dans les masses des populations rurales de l'Europe. Ce n'est
que depuis celle époque que la consommation et en même temps la production,
notamment au Brésil, ont augmenté avec une rapidité extraordinaire jusqu'à 1860
où l'accroissement a commencé, sinon à se ralentir, du moins à suivre simplement
le progrès de la population.
Droits de douane sur le café et recettes des Trésors.
(Moyenne des années 1880-1884.)
Russie (sans la Finlande) .
Suède
Norvège
Danemark .
Allemagne
Autriche-Hongrie ....
Grande-Bretagne et Irlande
DROITS
par
100 kilogr.
on francs.
73,20
36
56
35,20
49,40
100
34,45
Pays-Bas Exempte.
Belgique
France.
Suisse .
Italie. .
Espagne
13,20
156
3,50
140
50
RECETTES
on francs.
5,564,000
4,623,000
3,841,000
1,830,000
54,890,000
35,000,000
5,000,000
3,300,000
100,760,000
326,000
19,700,000
1,650,000
RECETTES
par lête
d'habitant
0,06
1
2
0,91
1,19
0,90
0,15
»
0,59
2,68
0,12
0,68
0,10
Les receltes totales des trésors de l'Europe sur la consommation du café peuvent
être évaluées à 250 millions de francs, ou à peu près 75 cent, par lele d'habilanl.
215 —
Consommation annuelle du thé dans l'Europe en tonnes de 1,000 kilogrammes
et en kilogvammcs par tête d'habitant.
Périodes .
Russie (sans Finlande).
Suède
Norvège
Danemark
Allemague
Autriche-Hongrie . . .
G.-Bretague et Irlande.
Pays-Bas
Belgique
France
Suisse
Portugal
lSCO-l,sGl.
Consoinma-
tioii
en tonnes
de 1,000
kilogr.
33
54
628
169
36,965
Kilogr.
par
lète.
0,00S
0,033
0,017
0,005
1,257
18G5-1S69
Consomma-
lion
en tonnes
de 1 ,000
kilogr.
29
57
710
148
48,691
Kilogr.
jiar
tète.
0,007
0,033
0,019
0,004
1,577
1870-1874.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
45
72
966
252
60,650
259
Kilogr.
par
lête.
,011
,011
,024
,007
,896
0,007
1875-1879.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
,146
52
60
404
,246
334
,1.34
,990
58
361
260
Kilogr.
par
têlc.
,150
012
032
,211
,028
,009
,159
,510
,010
,010
0,062
1S80-18S4.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
,760
Gl
77
369
,410
407
,057
,202
473
125
Kilogr.
par
t«te.
0,172
0,013
0,040
0,183
0,031
0,011
2,126
0,477
0,013
0,044
En ajoutant 700 à 800 tonnes pour les pays d'Europe non compris dans ce ta-
bleau, on arrive à une consommation annuelle de 96 millions de kilogrammes, soit
0''",287 par tête d'habitant de l'Europe. Les trois quarts de la consommation totale
de l'Europe reviennent au Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande.
Aux États-Unis d'Amérique, la consommation est évaluée à 33 millions de kilo-
grammes: 0'''',436 par tête d'habitant.
Comme on le voit, la consommation n'a d'importance que dans les pays suivants :
Grande-Bretagne et Irlande, où elle monte à 2''",i26 par tête d'habitant.
Pays-Bas — ,477 —
Danemark — ,183 —
Russie — ,172 —
Ce n'est que là que le thé a pénétré dans les masses. Partout ailleurs en Europe,
celle boisson se restreint aux classes supérieures qui, dans le plus grand nombre
des nations, ne la consomment même qu'en petite quantité.
Les recettes des Trésors sur cet article sont insignifiantes, en dehors des quatre
Étals mentionnés ci-dessus :
Droits de douanes sur le thé et recettes des Trésors.
(Moyenne de la période quinquennale 1880-1884.)
ÉTATS.
Russie (sans la Finlande) . .
Suède
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriche-Hongrie
Grande-Bretagne et Irlande.
Pay.s-Ba.s
Belgique
France
Suisse
Italie
Espagne
DROITS
par
100 kilogrammes
en francs.
268 er512,4
141
222
93,4
124
225
138
52,5
90
208
40
200
150
RECETTES
en francs.
40,000,000
70,000
170,000
310,000
1,760,000
920,000
103,580,000
1,150,000
60,000
980,000
50,000
RECETTES
par
tète d'habitant
en francs.
0,47
0,01.5
0,09
0,15
0,04
0,02.4
2,93
0,27
0,01
0,02.6
0,02
Les recettes totales que les Trésors de l'Europe tirent de la consommation du thé
sonl donc de 150 millions de francs, soit 45 centimes par tête d'iiabitant.
— 216 —
Consommation annuelle dti cacao en Europe en tonnes de 1,000 l'ilogranmies
et en kilofjrammes par tète d'habitant.
Suède
Norvège
Danemark
Allemagne
Awtriehe-Hongrle. .
G-.-Bretagne et Irlande
France
Suisse
Espagne
18(50-1804.
Consomma-
tion
en tonnes
d<. 1,000
kilofjr.
977
2U
1,717
Kilogr.
par
tête.
0,027
0,007
0,051»
1,173
230
2,3.38
0,031
0,00H
0,0 17
1870-1874.
Consomma-
tion
en tonnes
di> 1,000
kiloirr.
1,829
300
3,441
6,580
Kilogr.
par
tête.
0,042
0,008
0,111
0,177
1875-1879.
52
G7
1,971
260
4,570
9,570
5,525
Kilogr.
par
0,012
0,035
0,045
0,007
0,137
0,259
0,325
1880-1681.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
100
102
217
2,612
390
5,457
11,742
900
6,851
La consommation totale du cacao en Europe peut être évaluée actuellement
ou 35 millions de kilogrammes.
Les receltes des Trésors sur cet article sont insignifiantes, en dehors de la Fi
et de l'Espagne
Kilogr.
par
lÈte.
0,022
0,052
0,127
0,050
0,015
0,152
0,315
0,313
0,403
à 30
ance
Droits de douanes sur le cacao et recettes des Trésors.
(Moyenne de la période quinquennale 1880-1884.)
Russie (sans la Finlande). .
Suède
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriche-Hongrie
Grande-Bretagne et Irlande .
Pays-Bas
Belgique
France
Suisse
Espagne
Portugal
Italie
Roumanie
nuoiTS
par 100 kilogr. en francs.
73^20
42
17
23,50
55,75
60
23
Exemple.
15
104
1,50
91
11
100
10
RI.:CEÏTES
en franc.?.
1>
40,000
20,000
00,000
1,140,000
234,000
1,253,000
»
12,212,000
»
6,430,000
»
RECETTE.?
par têle d'habilant.
»
0,00.9
0,01.0
0,03.0
0,02.5
0,00.0
0,03.5
»
»
0,32.5
»
0,38.0
»
Les recettes que tous les Étals de l'Europe tirent de la consommation du cacao
peuvent être évaluées à 23 millions de francs.
En résumé, les recettes totales que l'Europe tire, par la douane, de la consom-
mation des trois boissons dont nous venons de parler, dépassent -420 millions de
francs, et se répartissent ainsi :
Russie (sans la Finlande) . .
Suède
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriche-Hongrie . . . . .
Grande-Bretagne et Irlande .
Pays-Bas
Belgique
France
Suisse. .
Espagne
Italie
{La suite au prochain numéro.)
RECETTES
totales en francs.
40,000,000
4,700,000
4,000,0n0
2,200,000
57,800,000
30,200,000
109,800,000
1,200,000
3,400,000
114,000,000
400,000
8,200,000
23,000,000
RECETTES
par lôie d'habilant.
0,54
1,03
2,08 ■
1,09
1,20
0,9i
3,11
0,28
0,01
3,02
0.01.5
0,49
0,77
D^O.
J. Brocu.
Le Gérant, 0. Berger-Levrault
JOURNAL
DE LA
r r
SOCIETE DE STATISTIQUE DE PARIS
No 7. — JUILLET 1887.
PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 15 JUIN 1887.
La séance est ouverte à 9 heures sous la présidence de M. Yvernés.
Le procès-verbal de la séance du 18 mai est adopté.
M. Yvernès présente, de concert avec MM. Ducrocq et Brelay, la candidature de
M. Kœchlin. Sans vouloir faire l'éloge du candidat, M. le Président rappelle qu'il
est le petit-fds de Jean Dollfus, le grand patriote alsacien à qui l'on doit la fonda-
tion des maisons ouvrières de Mulhouse, et dont tout le monde se rappelle l'admi-
rable conduite en 1870.
M. Kœchlin est élu, à l'unanimité, membre titulaire de la Société.
Il est donné lecture d'une lettre de M. Nicaise, remerciant la Société de l'avoir
nommé membre associé.
MM. de Grisenoy et de Malarce s'excusent de ne pouvoir assister à la séance.
M. le D' Thulié, retenu en province, demande, à son tour, que la communication
qu'il avait promise soit renvoyée à une autre séance.
M. le Secrétaire général donne la nomenclature des ouvrages transmis au Bureau,
et cite tout particulièrement le XV* volume du Census des États-Unis, magnifique
ouvrage consacré à l'industrie minière de ce vaste pays, ainsi que le recueil des
actes du Congrès international d'anthropologie qui s'est tenu à Rome au mois de
novembre 1885, dont une partie est consacrée aux recherches anthropométriques
de M. Bertillon, frère de notre honorable collègue.
La Société a également reçu les 3" et 4* livraisons du Bulletin de l'Institut inter-
national de statistique.
M. Yvernès offre à la Société le compte général de la justice criminelle pour
l'année 1885; enfin, M. Ducrocq distribue quelques exemplaires du discours qu'il
a prononcé à la Société d'économie politique sur les conditions économiques de la
profession d'avocat.
U- SKKIK. 28' VOIi. — X" 7. 4 r
- ^18 -
M. Cheysson demande à présenter quelques observations sur la communication de
M. Limousin relative aux transports fluviaux et terrestres (1). Réservant à un débat
ultérieur, si la Société le juge bon, les questions de principe que soulèvent les trans-
ports sur les diverses voies, il se bornera à quelques renseignements défait qui ont
trait aux routes nationales.
A l'aide des résultats des derniers recensements de la circulation et de leur tra-
duction géographique sur des diagrammes qu'il soumet à la Société, M. Cheysson
établit que, loin de décliner, l'importance des routes nationales paraît depuis quel-
ques années en voie de progression. L'aliénation de l'excédant de largeur des
roules serait aussi impraticable au point de vue technique qu'onéreuse au point de
vue financier. Le capital de ces routes est depuis longtemps amorti, et quant aux
frais annuels d'entretien, outre qu'ils sont déjà réduits à un taux à peine suffisant
pour assurer la conservation des chaussées, il ne serait pas légitime de les imputer
exclusivement sur le transport des choses, mais il faut aussi en reporter une partie
sur la circulation des personnes (piétons, cavaliers et voyageurs) et des animaux
(chevaux et bétail) qui empruntent le sol des routes. La qualité de l'entretien, d'où
dépend le bon état des chaussées, a une telle importance qu'une réduction d'un
seul centime sur les frais du transport de la tonne kilométrique réalise pour le
public une économie annuelle de 15 millions. Il importe donc grandement à l'inté-
rêt général de ne rien faire qui puisse porter atteinte à la qualité de cet entrelien.
Tout en acceptant les rectifications de faits qui lui seront démontrées, M. Li-
mousin déclare qu'elles n'entament pas les conclusions de son travail. Il se joint vo-
lontiers à M, Cheysson pour demander que la discussion s'ouvre à fond sur le rôle
des diverses voies de transport et l'intervention de l'État vis-à-vis d'elles.
La Société décide que cette question sera inscrite à l'ordre du jour d'une des
prochaines séances.
M. TuRQUAN, prenant la parole sur un autre sujet, dit qu'il a étudié avec le plus
grand soin la partie du travail que M. Cheysson a fait paraître dans le numéro de
juin sur les communes de moins de 50 habitants. Il a cru devoir, de son côté, étu-
dier ces petites communes aux divers points de vue que comporte le recensement
de fait. Une enquête a été prescrite à ce sujet par M. le Ministre du commerce.
Autorisé à en faire connaître les résultats, l'honorable membre les parcourt un à
un. Il en fera plus tard l'objet d'un article spécial pour notre Bulletin.
M. DucROGQ pense qu'il ne fait que traduire l'impression éprouvée par tous ses
collègues en se demandant pour quelle raison on persiste à maintenir de pareilles
communes qui, selon lui, n'ont aucune raison d'être; si elles subsistent, ce ne peut
être que par suite d'intérêts locaux et pour satisfaire certaines ambitions person-
nelles. M. Turquan a parlé d'une commune qui ne se compose que d'une tuilerie et
de trois maisons. 11 est probable que si le propriétaire de cette tuilerie en redoute
l'annexion à une autre commune, c'est qu'il craint de n'y être pas le maître.
Au moment de la Révolution, le nombre des communes de France dépassait
'44,000, c'est à peine si on en a réduit le nombre de 6,000 à 7,000. Ce fait ne peut
s'expliquer que par des influences électorales qui ont prévalu sous n'importe quel
gouvernement.
M. Ducrocq ne peut donc que persister dans les conclusions qu'il a déjà présentées
(1) Voir ci-après, p. 220-22;"), le texte de ces observations.
— 219 -
à la Société lorsqu'il a été question de ces petites communes. L'intérêt public exige
qu'on en supprime un certain nombre, en commençant par les plus petites. Les
conditions dans lesquelles elles se trouvent justifieraient et au delà cette mesure.
Il ne peut, d'ailleurs, ([ue remercier l'administration d'avoir prescrit l'enquête dont
M. Turquan a bien voulu nous communiquer les résultats.
M. Tarry exprime le désir de voir compléter les indications qu'on a présentées
sur les petites communes par des informations sur l'état de leurs propriétés et de
leurs revenus.
M. Fleciiey fournit, sur quelques communes de l'Algérie, des renseignements
analogues à ceux qui viennent d'être produits sur les petites communes de France
et cite, entre autres, une commune de la province d'Oran qui ne se compose que
de fonctionnaires et d'un indigène, remplissant les fonctions de messager.
M. Paul Leroy-Beâulieu dit que la solution proposée par M. Ducrocq paraît
simple au premier abord. En supprimant les petiles'communes, il semble que tous
les embarras disparaîtront, mais quand on étudie la question de plus près, on ne
tarde pas à se heurter à des obstacles souvent invincibles. A l'appui de sa thèse,
l'orateur énumère un certain nombre de petites communes du déparlement de
l'Hérault, qu'en sa qualité de conseiller général il a eu souvent l'occasion de visiter.
Il fait observer que la plupart de ces communes sont des agglomérations générale-
ment formées dans les montagnes, où elles existent de temps immémorial. Par
suite de leur éloignement de tout autre centre de population, elles ont besoin de
tous leurs organes : écoles, église, police, etc. Il serait à redouter que par leur
réunion à une autre commune ces avantages ne fussent perdus et même qu'elles ne
fussent opprimées. Comme contre-partie, M. Beaulieu ajoute qu'il existe dans le
midi de la France plusieurs grandes communes dont quelques-unes n'ont pas moins
de 8,000 hectares, et sont ainsi plus étendues que Paris. Ce ne sont là, à vrai dire,
que des agglomérations de petites communes ayant chacune leur école, leur église,
etc.; or, il y a souvent plus d'embarras à concilier ces fractions de communes que
de faire disparaître l'opposition d'intérêts qu'il y a à Paris entre le 8' et le 20* ar-
rondissement. Ces communes, qui ont souvent de grands biens communaux, sont,
par le fait, morcelées et n'ont de communal que l'expression. II ne suffit donc pas,
on le voit, de réunir ensemble plusieurs communes pour éviter tous les inconvé-
nients, car les fractions dont elles se composent continuent à jouir de leur person-
nalité individuelle, quoique la loi les ait réunies. Il ne faut donc pas, dans des
questions de ce genre, s'en rapporter à des raisons purement numériques. Il faut,
avant tout, avoir égard à celles qui résultent de la topographie et de l'histoire.
Les conseils généraux ont le droit de sectionner les communes et ils en usent
largement aujourd'hui, mais comme ils cèdent le plus souvent à un mobile poli-
tique, sans tenir suffisamment compte des besoins de la population, leur avis
risque trop souvent d'être repoussé par le Conseil d'État.
M. Delboy partage, sur ce point, l'opinion de M. Paul Leroy-Beauheu et recon-
naît que le conseil général est mal placé pour être arbitre dans ces sortes de ques-
tions, chaque conseiller étant intéressé personnellement au maintien du statu quo.
Il lui semble que ce rôle d'arbitre conviendrait mieux au préfet, qui seul pourrait
y apporter de l'impartialité.
M. Ducrocq, répondant à M. Delboy, reconnaît que les conseils généraux ne sont
pas aptes à résoudre seuls la question des suppressions ou annexions de communes.
— 220 —
Ils n'ont d'ailleurs qu'à donner leur avis, la création de nouvelles communes ne
pouvant avoir lieu que par une loi, et le sectionnement ou les annexions ne pouvant
être autorisés que par un décret rendu en Conseil d'État.
Certes, comme l'a dit M. Leroy-Beaulieu,la question de la suppression des petites
coiïimunes est délicate, et il est souvent difficile de modifier des habitudes invété-
rées, aussi la loi municipale n'a-t-elle pas édicté sur ce point des règles inflexibles.
Toutefois, il y a lieu de s'orienter dans le sens qu'il a indiqué, en laissant à l'Admi-
nistration supérieure le soin d'aboutir à une équitable solution.
L'ordre du jour appelait la discussion du rapport de M. le sénateur Claude sur la
consommation de l'alcool, mais, vu l'heure avancée, M. le Président se trouve
obligé de la renvoyer à la prochaine réunion.
La séance est levée à 10 heures trois quarts.
II.
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL.
OBSERVATIONS SUR l'iMPORTANCE DES ROUTES NATIONALES
Présentées à la Société de statistique le 15 juin 1887
Par M. E. Cheysson, ancien Président de la Société.
Dans la séance du 27 avril dernier, M. Limousin a présenté à la Société de statis-
iiqiie sur les transports terrestres et fluviaux un travail, dont je n'ai eu connais-
sance que par la lecture de notre Bulletin de juin, où il a été inséré.
A cette occasion, notre honorable collègue m'ayant mis en cause, d'ailleurs avec
une courtoisie à laquelle je m'empresse de rendre hommage, je me crois autorisé
à vous soumettre quelques rapides observations pour compléter sa communication,
peut-être même pour la rectifier sur certains points de fait.
Je n'aurai garde de discuter incidemment les théories de M. Limousin sur les
voies de transport, le rôle de l'Etal, les péages et les tarifs. C'est une très intéres-
sante question qui est actuellement à l'ordre du jour de la Société des ingénieurs
civils, où elle a été soulevée par un beau travail de M. Nordling. Elle appartient
également à notre Société, devant laquelle elle serait traitée plus spécialement au
point de vue statistique.
Je demande donc qu'une prochaine séance soit réservée à cette discussion, pour
laquelle je donne volontiers rendez-vous à M. Limousin. Aujourd'hui, omettant à
dessein les considérations théoriques, et négligeant même ce qui a trait aux canaux
et aux chemins de fer, je voudrais simplement apporter quelques données complé-
mentaires et rectificatives au sujet des routes nationales.
Après avoir cité l'opinion de M. Lucas sur l'importance de ces routes, M. Limousin
affirme que les faits sont venus démentir les prévisions de cet ingénieur; que la fré-
quentation moyenne est tombée de239 colliers en 1869 à 177 colliers en 1884; que,
dès lors, le meilleur parti à prendre est de déclasser les routes, sauf à vendre leurs
excédants de largeurs au profit des départements, désormais appelés à les entretenir.
— 221 —
J'écarte aujourd'hui la question du déclassement et ne m'en prends qu'aux
chiffres sur lesquels on l'appuie. En eux-mêmes, ces chiffres sont exacts, mais
ils s'appliquent à des unités ditîérentes et ne sauraient être comparés entre eux.
Les 239 colliers de 1869 sont des colliers bruts; les 178 (et non 177) colliers
de 1882 (et non 1884) sont des colliers réduits. Les colliers bruts sont les chevaux
attelés, tels que les donne le comptage direct lors du recensement périodique de la
circulation. Les colliers réduits sont obtenus en affectant chaque catégorie de col-
liers bruts d'un certain coefficient, calculé de manière à tenir compte du poids utile
correspondant. Un cheval qui lire au grand trot un léger tilbury, ne saurait en effet
être assimilé, sous le rapport de l'usure de la chaussée et du tonnage transporté,
au limonier qui traîne au pas une lourde charrette. Pour 1882, on est arrivé à
cette conclusion que 100 colliers bruts équivalaient, toutes compensations iailes, à
81 colliers réduits, de sorte que les 178 colliers réduits de ce comptage correspon-
daient à 220 colliers bruts (1).
C'est ce chiffre de 220 colliers pour 1882 qu'il fallait placer en face du chiffre
de 240 colliers pour 1869 (2); ce qui ramène au chiffre insignifiant de 20 colliers,
au heu de 62, la diminution entre les comptages de 1869 et de 1882, Mais si,
d'autre part, on lient compte : d'abord que, dans cet intervalle nous avons perdu
les routes d'Alsace-Lorraine dont la fréquentation était supérieure à la moyenne
(256 au lieu de 240), ensuite que les comptages de 1882 ont été exécutés avec
plus de rigueur encore que les comptages antérieurs, pour augmenter les garanties
d'exactitude de l'opération (3), on peut en conclure que l'importance du trafic
desservi par les roules nationales est restée sensiblement stationnaire dans ces
dernières années.
C'est ce qui résulte nettement d'un diagramme que j'ai l'honneur de placer sous
les yeux de la Société et qui doit figurer dans le prochain Album de statistique gra-
phique du Ministère des travaux publics.
Ce diagramme représente le tonnage des principales voies de communication de
la France depuis 1851 jusqu'à 1884. Il montre de la façon la plus expressive que,
si ce tonnage total est passé dans cet intervalle de 4 à 15 milliards de tonnes kilo-
métriques, cet accroissement de tralic a été créé de toutes pièces par les chemins
de fer et à leur profit, mais sans rien enlever à celui des roules nationales, qui est
resté stationnaire (4), ni à celui de la navigation qui, avec des fluctuations plus
prononcées, est actuellement en voie de progression très nette.
Les routes nationales semblent ta leur tour entramées par ce même mouvement
de progression. Du moins de 1876 à 1882, leur fréquentation s'est accrue de 6.5
p. 100. Les comptages en cours d'exécution nous diront si c'est là un fait purement
accidentel, ou plutôt, comme nous le pensons, la manifestation d'une loi.
(1) Voir, pour plus amples détails, la conférence de M. Cheysson sur les Comptages de 1882, faite
devant la Société de statistique le 13 décembre 1883 et insérée au Journal de la Société (numéro d'avril
1884).
(2) Le Bulletin du Ministère des travaux publics (numéro de mai 18S4) contient les tableaux des
comptages de 1882. 11 donne à la colonne 5 de la page 410 les colliers bruts et à la colonne 12 du mémo
tableau les colliers réduits.
(3) Voir dans la conférence citée plus haut les précautions scrupuleuses prises pour le choix des postes
d'observation, la fixation des coelficients, etc.
(4) Dans cette comparaison des tonnages kilométriques, il faut avoir égard à la perte des routes de
rAlsace-Lorrainc, qui représentent plus de 3 ';, p. 100 du total.
— 222 —
En effet, l'on s'explique très bien la persistance du trafic sur les roules en dépit
des chemins de fer. Ce trafic est, non pas supprimé, mais transformé. Chaque station
devient un centre de mouvement, un foyer de transports entre la voie ferrée et la
ferme ou la localité voisines. Elle suscite des déplacements dont bénéficie la route.
Le drainage des transports à longue distance est aujourd'hui opéré : de ce chef,
les perles qu'avaient à subir les roules sont un fait accompli ; mais, par une sorte
d'heureux choc en retour, leurs gains sont en voie de développement et ne peuvent
que s'accroître avec les conquêtes mêmes des chemins de fer. Il nous semble donc
que l'avenir réserve des compensations aux routes nationales, loin de les condam-
ner à s'éteindre graduellement et à décheoir de leur ancienne grandeur au simple
rang de voies départementales, sinon même de chemins vicinaux (1).
Si la déchéance successive des routes nationales me semble reposer sur une
erreur de fait, les ressources^ à lirer de l'aliénation de leur excédant de largeur
sont plus que problématiques et résultent d'une pure illusion. La question, plu-
sieurs fois mise à l'étude, a toujours abouti à une conclusion |négative. Assurément
on n'établirait pas aujourd'hui les grandes routes avec leur largeur actuelle; mais,
sauf dans des cas exceptionnels, on n'aurait nul intérêt à les rétrécir. L'aliénation
des excédants de largeur est une opération impraticable là où la route est séparée
des fonds voisins par un talus de remblai, de déblai, ou par un mur de clôture ; elle
ne pourrait donc être que partielle, ce qui créerait d'intolérables irrégularités dans
les alignements. Là, même, où celte vente serait possible, elle serait très peu fruc-
tueuse, eu égard d'abord à la médiocre qualité du terrain stérilisé par le dépôt
prolongé de détritus de gravier et de boue desséchée, puis à l'absence de concur-
rence, puisque Jes riverains seraient investis, en droit et en fait, d'un privilège de
préemption ; enfin à la nécessité d'ouvrir de nouveaux fossés, de construire de nou-
veaux ponceaux et aqueducs. Tous comptes faits, il a été reconnu que, mauvaise
au point de vue technique, la mesure serait encore onéreuse au point de vue finan-
cier, et que le seul moyen pratique de tirer parti de ces excédants de largeur, c'é-
tait d'y établir des plantations, qui équivaudraient à près de 80,000 hectares de
hautes futaies où les arbres seraient moyennement espacés de 10 mètres (2).
La prétendue diminution de leur tonnage n'est pas le seul grief allégué contre
les routes par mon honorable contradicteur : c'est aussi la charge très lourde
qu'elles imposent au contribuable et qui s'élèverait annuellement à 70 millions 1/2,
c'est-à-dire à 5 centimes par tonne kilométrique.
Le tonnage, tel qu'il résulte du comptage de 1882, étant de 1,480,148,000 tonnes
kilométriques (3), chacune de ces tonnes ressortirait, il est vrai, à 5 centimes envi-
ron (47 minimes), si les routes ne servaient qu'au transport des marchandises;
mais elles servent aussi à celui des personnes, des cavaliers et du bétail. Ce chiffre
du tonnage, que nous venons de rappeler, ne comprend rien, en effet, pour les
voitures vides, pour celles qui ne portent que des voyageurs, pour les piétons, les
cavaliers, les bœufs, les moutons.... Pourquoi faire abstraction de ces services et
(1) Voir à la conférence déjà mentionnée les citations de MM. Béhic et Vallès sur le même sujet.
(2) Voir, pour plus amples détails sur cette question, les circulaires 1res démonstratives du Ministère
des travaux publics en date des 9 août 1850 et 4 juillet lS5i.
(3) BiiUeUn dit Minislère des travaux publics, mai 1884, p. 420.
— 223 —
repoiier exclusivcmcnl sur les tonnages la charge des roules? Combien seraient
aggravés les prix de la tonne kilométrique sur les chemins de fer, si l'on imputait
au tonnage seul les frais d'ex[)loilation et la charge des capitaux, sans y faire
concourir le transport des animaux et des voyageurs? En bonne justice, tous les
éléments de la circulation qui utilisent trottoirs et chaussées, doivent participer aux
frais de celte viabilité.
Quelle est l'importance de ces autres éléments? Les comptages ne nous disent
rien pour les piétons ; mais ils nous apprennent qu'en moyenne, chacun des
37,568 kilomètres de nos grandes routes a vu passer au cours de l'année 1882 :
39,055 chevaux attelés à des voitures vides ou particulières;
16,425 chevaux non attelés;
31,193 têtes de menu bétail.
Si l'on pouvait encore y ajouter les piétons, on constaterait que cet ensemble de
services rendus au pays en dehors du service correspondant au transport des mar-
chandises, est, non pas sans doute égal, mais comparable dans une certaine me-
sure à ce dernier, et qu'à ce tilre il doit supporter une part notable des charges
annuelles.
Mais le montant de ces charges elles-mêmes, tel qu'on l'énonce, est-il d'une au-
thenticité indiscutable? M. Limousin l'établit par le calcul suivant. Il y comprend
deux parties :
D'abord les frais d'entretien, soit 25 mill. 7,
Puis l'intérêt des sommes dépensées pour le premier établissement
des routes. En admettant pour ces dépenses le chiffre de 1 milliard et
pour l'intérêt le taux de 4^^ P- 100, il arrive à 45
Ce qui lui donne le total de ... . 70 mill. Va
Sur le chiffre de l'entretien, qui est exact, nous n'avons rien à dire, si ce n'est
qu'étant depuis de longues années stationnaire en face d'un réseau qui s'allonge et
de salaires qui se sont accrus dans une large mesure, il est aujourd'hui notoire-
ment insuffisant pour la conservation de ce précieux capital des routes nationales,
que nous ont légué nos ancêtres et dont nous sommes comptables vis-à-vis de nos
successeurs. De ce chef, il serait imprudent d'espérer aucune économie. Ce n'est
qu'à force de soin et de dévouement, et grâce à la bonté des méthodes mises en
œuvre que l'on maintient encore les chaussées en bon élat; mais ce régime de diète
excessive ne saurait se prolonger impunément, et dès que les budgets auront repris
un peu d'élasticité, une des premières mesures réparatrices à leur demander sera
d'augmenter la dotation de nos roules.
Quant aux 45 millions d'intérêt annuel pour les frais de premier établissement
de ces routes, j'ai peine, je l'avoue, à en admettre l'inscription au chapitre des
transports. Pour les voies navigables, M. Limousin s'est montré de meilleure
composition, et en ce qui les concerne, il a généreusement « écarté les dépenses
« antérieures à ce siècle, parce qu'elles ont été amorties par diverses banqueroutes,
« notamment par celles du tiers consolidé ». Pourquoi dès lors traiter autrement
les routes nationales?
L'amorlissemenl que j'invoque on leur faveur n'est pas celui qui résulte des
banqueroutes, mais celui qui provient des services rendus. Quand plus d'un siècle
s'est écoulé depuis la construction d'une voie, il est parfaitement légitime d'ad-
— 224 —
mettre que ses services ont couvert à la fois l'intérêt et l'amortissement de ses
frais de premier établissement. 11 y a là une prescription naturelle, sans laquelle
le présent traînerait, comme un boulet, tous les bienfaits du passé. Qu'advien-
drail-il de nous, si nous étions forcés de supporter ainsi ce que nous coûtent an-
nuellement les thermes de Julien, les arènes de Lutèce, la tour de Nesle, Notre-Dame,
la Sorbonne et l'Hôtel-Dieu? Ce serait à ne plus oser acheter une pendule ou un
bijou, de peur d'infliger à tout jamais à ses descendants la charge de cette acqui-
sition.
Je demande donc grâce de ces 45 millions pour nos vieilles routes du xvii* et
du xviir siècle. Elles ont contribué à l'unité française, en supprimant les fondrières,
en créant des courants de transports, en vivifiant et réunissant les diverses parties
du territoire. Gomme nos chemins de fer actuels, elles ont excité l'admiration de
leurs contemporains. « C'est une chose extraordinaire, écrivait M'"" de Sévigné à
sa fille, que la beauté des chemins. On n'arrête pas un seul moment. Ce sont des
ménils et des promenades partout; toutes les montagnes aplanies...; les intendants
ont fait merveille. » Avec de pareils états de service, elles ont droit à ce que leur
capital soit regardé comme amorti et incorporé à titre désormais gratuit, dans ce
patrimoine commun, que nous tenons du passé et que nous devons à notre tour
rendre à l'avenir, non pas seulement intact, mais encore agrandi.
Si l'on appliquait ce calcul des charges annuelles des frais de construction et
d'entretien aux chemins vicinaux, combien en trouverait-on dont l'utilité résiste-
rait à celte épreuve? Nous ne possédons malheureusement pour la fréquentation
du réseau vicinal que des données incomplètes, et c'est là une lacune qu'il appar-
tient à notre Société de signaler et au Ministère de l'intérieur de combler. Toute-
fois, à défaut de renseignements comparables à ceux dont nous disposons pour les
routes nationales, il est certain que sur certains chemins vicinaux cette fréquenta-
lion est très faible, ce qui peut faire ressortir le prix de revient de la tonne kilomé-
trique supporté par le contribuable du chef de l'entretien et des frais de premier
établissement, non pas seulement à 5 centimes, comme on le disait pour les routes,
mais à 10, 15, 20, 30 centimes, peut-être même à bien plus encore. A mesure que
la fréquentation s'abaisse, le prix de revient s'élève dans des proportions qu'on a
peine à soupçonner et que j'ai vérifiées par des calculs directs sur de petits che-
mins de fer d'intérêt local. Il semble donc qu'avant de dénoncer les routes natio-
nales au contribuable, il serait équitable de soumettre aux mêmes calculs le réseau
concurrent, auquel on l'assimile. Je ne doute pas que les résultats de la comparai-
son ainsi faite n'eussent adouci la sévérité du réquisitoire et du jugement.
En résumé, l'importance des routes nationales ne décline pas et parait même de-
puis quelques années en voie de progression. Eu égard aux prix respectifs du trans-
port de la tonne kilométrique sur essieux et sur rails, prix qui sont presque exacte-
ment en raison inverse de l'intensité des tonnages transportés par les routes et les
chemins de fer, le public paie sensiblement la même somme annuelle pour l'usage
de ces deux catégories de voies. L'aliénation de l'excédant de largeur des routes
serait aussi onéreuse au point de vue financier qu'impraticable au point de vue
technique. Les frais de premier établissement sont amortis, et quant au crédit an-
nuel d'entretien, loin de comporter les réductions dont on se flatte, il ne pourrait
être longtemps maintenu à son taux actuel sans compromettre le capital de no5
— 225 —
chaussées. Ces frais d'enirelien doivent peser, non pas exclusivement sur le ton-
nage, mais sur l'ensemble de la circulation des personnes, des animaux et des
choses, qui empruntent le sol des routes. Cet entrelien a d'ailleurs une telle im-
portance que l'abaissement ou le relèvement d'un centime sur les frais de transport
(moyennement estimés à 30 centimes par tonne et par kilomèlre) se traduisent
pour le public par une économie ou une charge annuelle de 15 millions. Or, le
bon ou le mauvais état de la route peut réagir sur les frais de transport dans une
marge de plusieurs centimes et il est lui-même lié à la cjualité de l'entretien à
laquelle Tinlérêt général défend d'apporter la moindre atteinte.
J'arrête là ces observations, qui n'avaient d'autre but que de verser au débat
quelques renseignements de fait, mais qui laissent intactes pour une discussion
ultérieure, si la Société juge à propos de l'ouvrir comme je l'y convie, les ques-
tions générales relatives tant au rôle des diverses voies de transports qu'à l'inter-
vention de l'État dans leur entretien et leur exploitation.
E. Gheysson.
m.
L'LNSTITUT international a ROME.
M. de Foville a consacré dans VÉconomisle français quatre articles à la
récente session de l'Institut international de statistique. Nos lecteurs trouve-
ront bientôt, dans le Bulletin de l'Institut, le texte des mémoires et le compte
rendu détaillé des discussions que M. de Foville se borne à résumer. Mais
nous pensons que l'on nous saura gré de reproduire ici toute la partie épiso-
dique du compte rendu de notre ancien Président.
c Puisque tout chemin mène à Home, il n'y a pas de raison pour prendre le plus
court. La voie du Saint-Golhard a pour elle ses prodigieux travaux d'art, ses admi-
rables paysages. Et c'est surtout quand on va à un congrès de statistique qu'il est
bon de passer par là. J'ai lu de savants rapports démontrant, par a -{- h, que le
percement du Saint-Golhard était loin d'avoir tenu tout ce qu'il promettait. J'ai lu
de non moins savants rapports d'où il résultait mathématiquement que cette grande
opération avait produit des résultats inespérés. Il y a là, pour un statisticien en
voyage, matière à de salutaires réflexions. Donc, cocher, à la gare de l'Est!
« De Paris à Rome, par le Saint-Gothard, on ne met guère plus dé quarante
heures, lorsque l'on ne s'arrête pas. Partant de Paris le dimanche soir à 9 heures 40,
on serait à Rome le mardi à 3 heures de l'après-midi. Mais comment ne pas s'arrê-
ter quand les stations s'appellent, — pour ne citer que les principales, — Lucerne,
Milan, Bologne, Florence? Vous arrivez en Suisse au soleil levant et bientôt le beau
lac des Quatre-Cantons vous tend les bras. On sait qu'il y en a plusieurs; et c'est
une combinaison recommandable entre toutes que celle qui consiste à quitter la
voie ferrée à Lucerne pour l'aller reprendre, après quelques heures de traversée et
une nuit de repos, soit à Bi unnen, soit à Fluelen, tout au fond du lac. La persis-
tance des neiges embellissait encore, cette fois, le merveilleux décor devant lequel
Q%
glissent les bateaux à vapeur. D'ailleurs, les distractions ne manquent pas sur la
roule. Ici, c'est le chemin de fer à crémaillère du Rigi, avec sa petite locomotive
oblique, si gauche d'aspect quand elle est encore sur le terrain plat de l'embarca-
dère, mais si alerte une fois partie. Puis, ce sont les mille souvenirs de Guillaume
Tell, épars sur les deux rives. Son nom est partout, son image aussi, et à Brunnen,
entre les grands hôtels qui se sont élevés à droite et à gauche, on retrouve, comme
il y a trente ans, la vieille maison carrée où un pinceau novice a représenté, plus
grands que nature, les trois libérateurs de la vieille Helvétie.
« De Fluelen, il faut une heure et demie pour remonter l'abruple vallée de la
Reuss et c'est là que le voyage devient véritablement dramatique. Debout sur les
balcons latéraux dont les wagons sont munis, on voit la vallée se rétrécir, la mon-
tagne grandir, et les deux falaises entre lesquelles le train s'avance péniblement
deviennent peu à peu si hautes et si escarpées que c'est à peine s'il reste un peu
de ciel dans l'intervalle. Répercutés par l'écho, les sifflements de la machine res-
semblent à des cris de détresse, et l'on se trouve par moments suspendu au-dessus
de tels abîmes qu'il y a presque soulagement à entrer sous terre quand un tunnel
s'ouvre dans le flanc de la montagne. C'est au cours de cette audacieuse ascension
que se rencontre le premier de ces souterrains hélicoïdaux au moyen desquels le
train monte d'étage en étage comme dans un escalier tournant. L'ombre est trop
noire dans ces profondeurs pour qu'on se rende directement compte de la rota-
tion. Mais en regardant une boussole à la lumière du gaz, on en voit l'aiguille
pivoter aussi régulièrement que celle d'une montre à seconde. Il y a du côté nord
du Saint-Gothard un ou deux de ces «tunnels en tire-bouchons», comme nous disait
avec son accent marseillais le pauvre Simonin ; et il y en a trois ou quatre de l'autre
côté de la montagne, où la descente n'est pas moins vertigineuse que l'était tout à
l'heure la montée. Quant au grand tunnel de 15 kilomètres, il va droit de Gœschenen
à Airolo et les vingt minutes qu'on y passe sont véritablement un repos entre les
émotions qui précèdent et celles qui suivent.
« C'est un vrai tour de force que Louis Favre a exécuté là. Ceux dont les ri-
gueurs ont abrégé ses jours et empoisonné la fin de sa vie ne sont pas maintenant
les moins empressés à célébrer sa gloire. On oublie même volontiers, en Suisse,
que le Mont-Cenis était déjà percé depuis dix ans quand le Saint-Gothard s'est
ouvert à son tour (1). Bientôt Favre aura Ici ses portraits et ses statues comme
Guillaume Tell.
« Et dire qu'un jour, dans deux ou trois mille ans, il se rencontrera à Chicago ou
à Melbourne quelque érudit qui prouvera que ces deux hommes-là n'en font qu'un!
Tartarin sait déjà que Guillaume Tell n'a jamais existé ; mais les Tartarins de l'ave-
nir admettront volontiers que son héroïque épopée est tout simplement la traduc-
tion allégorique du percement des Alpes. Eh ! mon Dieu ! les arguments ne
manqueront pas à l'appui de cette thèse. La question des dates serait la plus embar-
rassante, mais, vus de loin, les siècles se rétrécissent beaucoup. On n'aura pas
grand'peine à établir que le nom de Gessler constitue une simple altération du mot
Gothard. Le chapeau suspendu en l'air, ce sont ces nuées orageuses dont les som-
mets alpestres sont si souvent coifl'és. Tell, c'esi telum, a-t-on dit; Favre, ce sera
(I) C'est en août IS7(, au Mont-Cenis, et le 29 {lécenil)re 1881 au Saint-Cotliard. qu'une locomotive a
pu, pour la preniicre fois, parcourir le tunnel de part en part.
227
fabcr: l'ouvrier cl l'ouliljl'un porlanl l'autre. Celle flèche qui siflïeel va transpercer
départ en part la pomme posée sur le fronl de Commi, c'est bien évidemment
l'image de la locomotive qui siffle, elle aussi et, rasant l'abîme, traverse la mon-
tagne. Il n'y a pas jusqu'à la fameuse scène du bateau qui n'ait son sens embléma-
tique et il est naturel d'y voir une allusion à la concurrence que se font les voies
ferrées et les voies navigables. Enfin le chant classique :
D'Altorf les chemins sont ouverts...
sera là pour convaincre les plus incrédules.
« A Allorf, en effet, commence l'ascension de la vallée de la Reuss, d'où le grand
tunnel conduit à la vallée du Tessin. D'Altorf à Bellinzona, il n'y a pas, à vol d'oi-
seau, 80 kilomètres ; mais le chemin de fer, avec ses zigzags, ses lacets et ses spi-
rales superposées, en compte 115. Puis il y a à tenir compte des pentes, pentes
ascendantes d'abord, puis pentes descendantes, lesquelles équivalent comme travail,
à bien des kilomètres supplémentaires. Le train réputé express traverse Altorf à
1 1 heures 3/4 et n'atteint Bellinzona qu'à 3 heures 1/2. C'est près de quatre heures
pour un parcours dont les deux points extrêmes sont à 20 Heues l'un de l'autre. On
devine d'après cela, étant donné surtout qu'il n'existe qu'une voie, la lenteur des
trains de marchandises.
« Ceux qui vont d'Allemagne en Italie portent surtout de la houille et du fer, et
les chiffres suivants, récemment pubhés par le consul d'Italie à Bâle, montrent quel
a été ce trafic depuis l'ouverture du tunnel :
1882. 1883. 1884, 1885.
Wagons de houille .... 2,102 7,808 9,561 9,864
Wagons (le fer ..... . 2,222 10,169 8,823 8,327
Ensemble .... 4,324 17,977 18,384 18,191
« On voit que le volume de ces deux courants réunis reste à peu prèsstalionnaire,
et il n'y a pas à compter pour l'avenir sur l'abaissement des tarifs de transit, déjà
réduits à leur taux minimum (2 cent. 3/4 par tonne kilométrique). A Milan, les
charbons allemands valaient jadis 45 fr. les 1,000 kilogrammes ; ils n'y valent plus
que 30 jfi-. Mais au'delà de Milan, dans toute l'Italie péninsulaire, les charbons
anglais, importés par mer, restent encore maîtres du marché.
(' Les envois de l'Italie à l'Allemagne ne semblent pas non plus se multiplier, si
l'on en juge par le tableau ci-dessous :
1882. 1883. 1881. 1885.
Wagons de colons 130 498 478 287
— de laines 48 70 59 3
— de chanvre 130 279 283 271
— de denrées alimentaires . 530 1,571 1,621 1,344
— d'huiles 44 273 150 126
<( Il est vrai que dans ces chiffres il faut faire la part de la crise qui ralentit par-
tout le mouvement des échanges internationaux.
« De Bellinzona à Milan (108 kilomètres), on met le même temps que d'Allorf à
Bellinzona (3 heures 3/4) et celle seconde étape paraît plus longue que la précé-
— 228 —
dente, parce que la lenteur des trains n'a plus les mêmes excuses. On est en plaine.
La Lombardie, qui est la partie la plus riche de l'Italie agricole, en est aussi la par-
tie la moins pittoresque. D'un horizon, à l'autre courent, également espacés, d'in-
terminables lignes de petits mûriers, taillés en forme de candélabres. Une vingtaine
de sillons trouvent place entre deux rangées d'arbres et semblent également ne
devoir s'arrêter dans leur fuite parallèle qu'au bord de l'Adriatique.
« Tout autre est le spectacle qui nous attend de Bologne à Florence et de Flo-
rence à Rome. Même au sortir des Alpes, les Apennins ont grand air, surtout
lorsque les neiges de l'hiver s'y sont, comme cette année, perpétuées jusqu'en
avril. Mais ne regardons pas si haut. Suivons plutôt des yeux tous ces petits monts
qui, courant le long de la chaîne principale, comme des vagues le long d'une jetée,
se suivent et se ressemblent à ce point qu'un voyageur distrait pourrait croire que
c'est toujours le même. La ressemblance est d'autant plus grande que sur chacun
de ces escarpements s'est nichée une ville, un bourg, au moins un village — il n'y
en a que là — et que ces villages, ces bourgs et ces villes sont tous pareils : c'est
toujours un vrai camp retranché, avec murs et créneaux; les maisons elles-mêmes
forment, en se serrant les unes contre les autres, des enceintes fortifiées qui
semblent sans issue et le grêle clocher qui se dresse au-dessus des toits paraît
moins soucieux d'interroger le ciel que de surveiller le pays. Le régime féodal a
duré là plus que partout ailleurs et les campagnes y sont restées telles qu'il les
avait faites. Que de sang ont dû boire ces roches brunes et ces vallons verts ! On
devinerait, si on ne le savait pas, que vingt siècles ont eu pour champ de bataille
ordinaire celte terre ensoleillée. Quand toutes les petites forteresses échelonnées le
long de la route ne se battaient pas les unes contre les autres, elles voyaient passer
l'invasion étrangère et parfois lui coupaient la retraite. Que de souvenirs accumulés
depuis le pont de Lodi jusqu'au lac de Trasimène! De tels noms ne sauraient laisser
personne indifférent et quand on a la bonne fortune d'entendre commenter cette
histoire illustrée qu'on a devant les yeux par celui que les maîtres eux-mêmes
appellent chez nous leur maître, loin de se plaindre de la lenteur du voyage, on
voudrait ne jamais^arriver au but.
« Cependant le but, c'est Rome, et nous en approchons :
Rome, Rome, la ville éternelle et sacrée
Que de tant de splendeurs les siècles ont parée ;
Rome où chacun voudrait vivre, aimer et mourir ;
Rome qui, toujours jeune et toujours vénérée,
Du haut de son passé sourit à l'avenir!
« C'est en ces termes que notre Président, clans son discours d'ouverture, a salué
la grande cité des Césars et des Papes, et, si statisticien qu'on puisse être, on ne
franchit pas sans un battement de cœurje vieux mur sombre qui lui sert de clôture.
Terrarum dea gentiumque Roma,
Cui par est nihil et nihil secundum.
a Malheureusement la gareoùnous débarquons ne date pas du temps de Scipion,
ni même du temps de Caracalla. C'est la Rome moderne qui nous reçoit la première,
avec ses fiacres et ses tramways. Sans les Thermes deDioclétien, dont la masse noire
fait tache au haut de la via Nazionale, on pourrait se croire n'importe où. Derrière
229
les Thermes, on nous montre une vaste construclion, d'un Ion un peu jaune, mais
d'une forme imposante. C'est le ministère des finances, dont M. Magliani a mis les
vastes salons à la disposition de l'Institut international. Nous y serons parfaitement
bien et il convient d'aller remercier d'avance l'éminent ministre de sa bienveillante
hospitalité. Puis, tout près de là, sur la place Saint-Bernard, s'élève le Palazzo délia-
Slatistica, où règne Bodio I", roi des chiffres. Courons-y et descendons de là au
ministère de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, proche voisin de l'éton-
nante fontaine de Trevi. Mais quatre jours nous séparent encore de la première
séance du Congrès et nous avons d'ici là tout un monde à explorer: le Forum et
Saint-Pierre, le Capitole elle Vatican, les palais, les églises, les musées, les jardins...
Oublions donc, pour le moment, que c'est la statistique qui nous amène au pied des
sept collines...
« M. Léon Say disait un soir, au Ninfeo d'Egeria, dans un toast familier à l'a-
dresse de nos confrères italiens : « Il me semble qu'en choisissant Piome pour y
« réunir l'Institut international de statistique, on a fait un bien mauvais choix. »
Et, comme on s'étonnait, il s'empressait d'ajouter : « On a fait un bien mauvais
« choix, car le recueillement qu'exigeraient nos travaux est plus difficile à Rome
« que partout ailleurs. Tant de choses merveilleuses sollicitent ici l'attention, la
« curiosité, l'admiration du voyageur, qu'il faut presque de l'héroïsme pour s'en
« détacher. »
« Cet héroïsme, nous l'avons tous eu, plus ou moins, et la vaste salle affectée
aux séances plénières ne s'est jamais trouvée trop grande. Les membres de l'Ins-
titut international venus de l'étranger étaient au nombre de quarante environ (1);
le contingent italien était presque au complet; il y avait même à la première
séance des dames et des jeunes filles. Elles n'étaient plus là, malheureusement,
quand l'inévitable photographe des congrès scientifiques est venu braquer sur
nous son gros œil de cuivre : les quatre douzaines de redingotes groupées sur son
cliché forment assurément un ensemble moins séduisant que VÉcole d'Athènes de
Raphaël ou la Réforme de Kaulbach.
« La session de l'Institut international a eu pour préface un remarquable dis-
cours de M. Grimaldi, ministre de l'agriculture, de l'industrie et du commerce.
C'est de son département que dépend la Direction générale de la statistique et il a
beaucoup fait lui-même pour la science que personnifie là-bas M. Bodio. Le ba-
ron Louis disait à ses collaborateurs : « Faites-moi de bonne politique et je vous
« ferai de bonnes finances. » M. Grimaldi dirait volontiers aux statisticiens :
« Faites-nous de bonne statistique et nous vous ferons de bonne politique. »
Il a su, tout en nous souhaitant la bienvenue, définir en termes heureux les ser-
vices rendus par les sciences sociales en général, par la statistique en particulier
à tout homme d'État vraiment digne de ce nom et il a, une fois de plus, démontré
que les observateurs dont la mission consiste à mesurer au jour le jour les inces-
(1) Nous avons donné, le 9 avril, l'effectif total de l'Institut international. Les membres français pré-
sents à Rome pendant la session étaient : MM. Lcvasseur, vice-président; Léon Say, Gréard, Bertillon,
Cheysson, de Foville, Jiiglar, Loua, Vacher et Yvernès. M. Liégeard, secrétaire adjoint de la Société de
statistique, et M. Ch. Letort ont assisté aux séances.
— 530 —
santés fluctuations du progrès, ne contribuent pas peu, par leur vigilance même,
à en accélérer la marche.
« Aussitôt après le discours du ministre et celui du président, les travaux ont
commencé dans l'ordre prescrit par le programme. »
Nous passons l'analyse des travaux de l'Institut international, communications in-
dividuelles et délibérations collectives pour arriver de suite à la conclusion.
« Le gouvernement italien, qui a beaucoup fait pour nous aider à vivre, a beau-
coup fait aussi pour nous rendre la vie agréable pendant noire séjour à Rome. Les
banquets perdent toujours à être racontés; mais il y aurait ingratitude à ne pas
dire combien les statisticiens étrangers ont été fêtés sur les bords du Tibre : ré-
ception ministérielle d'abord, présidée par M. Grimaldi, avec le concours de son
jeune et vaillant secrétaire général, M. Ellena. Puis réception royale, deux fois
royale même, car le roi et la reine en faisaient simultanément les honneurs. Nous
savions d'avance que le roi Ilumbert nous charmerait par sa martiale cordiabté
et la reine Marguerite par ses grâces exquises ; bornons-nous à dire que notre
attente a été dépassée. Pour le lendemain, on avait organisé une excursion à Terni.
Les cascades de Terni sont célèbres; c'est là que le Velino, tombant dans la Nera,
fait, du haut en bas de la montagne, un saut auprès duquel celui de la Roche lar-
péienne serait un jeu d'enfant; et un établissement métallurgique de premier ordre
utilise aujourd'hui, sans la défigurer, cette colossale chute d'eau. Ceux de nos con-
frères qui ont pu faire le voyage y ont pris grand plaisir. Nous n'étions pas du
nombre, ayant dû, le jour même, reprendre, avec un aimable compagnon, le che-
min de la frontière française. C'est encore un beau voyage que celui qui mène de
Rome à Pise, de Pise à la Spezzia et de la Spezzia à Gênes. Mais à Turin, une sur-
prise pénible nous attendait. Sait-on qu'il y a déjà une tour Eiffel à Turia? Cela
s'appelle le Panthéon, et l'on ne saurait rien imaginer de plus hideux que cette
interminable flèche, composée de petits monuments entassés les uns sur les autres,
comme des dominos. Cette ferblanterie a dû être ruineuse à fabriquer; mais il
n'en coulerait sans doute pas plus pour la démolir que pour l'achever, et cela
vaudrait infiniment mieux.
« Nous étions entrés en Italie par le Saint-Golhard. Nous en sommes sortis par
le Mont-Cenis. La seconde porte a au moins sur la première celte supériorité que
c'est en France qu'elle débouche. Dès Modane on se sent chez soi : les gendarmes
ont le pantalon bleu, les troupiers ont le pantalon rouge, et les allumettes ne
s'allument plus. »
A. DE FOVILLE.
— 231 —
IV.
LES EXCITANTS MODERNES [sîlite (')].
Sucres. — Le seul sucre employé dans l'antiquité était celui que les chimistes
appellent actuellement la glycose. Elle se trouve dans le miel de l'abeille et dans
le jus des raisins.
Actuellement la glycose se prépare industriellement en grande quantité à l'aide
de la fécule de pommes de terre, et elle est livrée au commerce sous la forme de
sirop de fécule, de sucre en masse et de sucre granulé.
A l'état de sirop, elle s'emploie dans la fabrication des bières et de l'alcool; à l'état
de sucre en masse, dans celle des vins de qualité inférieure ; elle sert surtout à
remplacer le miel dans la confiserie et la pâtisserie. Enfin, trop souvent, sous
forme de sucre granulé on l'introduit frauduleusement dans les cassonades.
Ce qu'on considère actuellement dans le commerce comme sucre, c'est ce que
les chimistes nomment la saccharose, dont la composition chimique diffère légère-
ment de celle de la glycose. Ce sucre était connu en Chine et dans l'Inde depuis les
temps les plus reculés, où on l'extrayait de la canne à ^Mç,Ye{Saccharum officinarum).
Bien que le sucre de canne fût connu en Grèce du temps d'Alexandre le Grand,
la culture de la plante dont il est le produit n'a été introduite en Asie occidentale
et dans l'Afrique septentrionale que lors des conquêtes des Arabes. Les Croisés
apprirent à connaître la canne à sucre et les Vénétiens l'amenèrent jusque dans le
sud de l'Europe, dans l'île de Malte et en Sicile. Après la découverte de l'île de
Madère, la canne à sucre y fut bientôt introduite, et le sucre de canne forma pendant
un temps assez long le produit principal de cette île : la ville de Funchal porte
encore dans ses armoiries l'emblème de 5 pains de sucre. De Madère, la culture fut
transportée aux Açores, et enfin, peu de temps après la découverte de l'Amérique, elle
fut introduite aux Indes occidentales, en Brésil et à la Louisiane. La culture de la
canne à sucre atteignit bientôt dans ces régions un tel accroisement que les Indes
orientales et l'Europe ne purent soutenir la concurrence et qu'en Europe elle fut
tout à fait anéantie.
Les sucrescoloniaux bruts, ou cassonade, se présentent sous la forme d'une poudre
sableuse plus ou moins colorée ; dans cet état, ils contiennent encore de la mé-
lasse et 3 à 4 p. 100 de matières organiques, ce qui leur donne la propriété de
fermenter. C'est par le raffinage qu'on élimine toutes ces matières étrangères.
C'est par préférence du jus de la canne à sucre qu'on extrait encore, par cristal-
lisation, le sucre candi. C'est sous cette forme, ou bien sous celle de cassonade que
le sucre jusqu'à ces derniers temps (il n'y a pas 50 ans) était presque exclusive-
ment consommé avec le café et le thé. 11 y a relativement peu de temps que le
sucre raffiné a pénétré dans l'usage commun. Actuellement le sucre candi est
surtout employé à la fabrication des vins de Champagne et autres vins mousseux.
Le sucre de canne produit dans le monde, à l'exception de la Chine, était estimé
en 1880 à deux millions et demi de tonnes de 1,000 kilogrammes.
Au commencement du xviif siècle, les chimistes signalaient déjà la présence du
sucre de canne dans la betterave, et, vers le milieu de ce siècle, ils parvenaient à
(1) Voir Journal de la slalistique, n° G, p. 208.
— 2?>-2 —
retirer du sucre de la bellerave et de quelques autres racines, mais encore en
trop faible quantité pour qu'on pût le produire industriellement.
Dès 1792, un Français d'origine, établi à Berlin, Charles Achard, avait trouvé le
moyen pratique de tirer industriellement du sucre cristallisé de la betterave. Soutenu
par le roi de Prusse, il avait monté près de Steinau, sur l'Oder, une usine qui, en
1796 pouvait produire du sucre au prix de 16 fr. par kilogramme. Tel est le com-
mencement modeste de l'industrie sucrière dont l'importance est actuellement si
considérable.
En France, Benjamin Delessert travaillait depuis plusieurs années à obtenir avan-
tageusement le sucre de betterave. Le 2 janvier 1812, M. Delessert fait part de son
succès a Cbaptal. Celui-ci en parle à l'Empereur et le lendemain le Moniteur an-
nonçait qu'une grande révolution dans le commerce français venait de se produire.
Un décret impérial du 15 janvier 1812 créait trois écoles spéciales de chimie pour
la fabrication du sucre de betteraves, ordonnait l'ensemencement de 32,000 hec-
tares en betteraves, créait des fabriques impériales et mettait un million de francs
a la disposition de cette industrie à titre d'encouragement. C'était le temps du blocus
continental contre tous les produits anglais, et le sucre de canne avait atteint un
prix inabordable.
De 1812 à 1836 ce furent surtout les travaux des chimistes et industriels français —
nous nommons seulement Chaptal, Dubrunfaut, plus tard Pelouze, Peligot, Cham-
ponnois — qui contribuèrent aux progrès de cette industrie. La production qui en
1829 n'était en France que de -4,000 tonnes, arrivait en 1835 au chiffre de 40,000
tonnes.
Le tableau suivant montrera les progrès de cette industrie en Europe :
Production du sucre de betteraves en Europe comptée à l'état brut et exprimée
en tonnes de 1 ,000 kilogrammes.
MOYENNE
(les années.
1836-1839 .
1840-1844 .
1845-1849 .
1850-1854 .
1855-1859 .
18S0-18f!4 .
1865-1869.
1870-1874 .
1875-1879 .
1880-1884 .
alijE-
AUTRICHE-
AUTRES
RUSSIE (1).
MAGNE.
HONGRIE.
PATS-BAS.
BELGIQUE.
FRANCE.
PAYS.
j^
5,700
1,000
„
jj
42,500
„
»
13,9!)0
3,300
»
»
27,800
»
»
15,000
4,000
»
»
40,000
»
■11,200
70,200
15,600
»
8,000
68.300
»
40,000
104,300
41,000
»
14,100
117,200
»
60,000
142,400
62,300
' »
19,500
137,700
»
175,000
195,500
76,900
))
36,700
238,000
2,000
200,000
251,900
111,203
»
70,0)0
276,103
6,000
320,000
341,600
300,000
20,000
60,200
362,800
10,000
284,000
667,400
478,000 (2)
20,000
75,000
406,000
10,000
TOTAI4
en Europe.
49,000
45,000
59,000
174,000
317,000
422,000
725,000
1,015,000
1,410,000
1,930,000
Aux Étals-Unis d'Amérique, on a, de même, depuis une vingtaine d'années, com-
mencé à produire du sucre de betteraves. La production moyenne des années
1880-1884 est estimée à 337,000 tonnes.
La quantité totale de sucre brut produite dans le monde entier (toujours à l'ex-
ception de la Chine) peut donc, pour les années 1880-1884, être estimée en moyenne
à 4 1/2 millions. Elle est probablement aujourd'hui de 5 millions de tonnes
métriques.
(1) Les chiffres cfïîcicls donnés pour la Russie sont reconnus comme étnnt trop bas; j'ai accepté les
chiffres réels approximatifs donnés dans le rapport du Jury international de TExposition universelle de
1878, et par M. Neumann-Spaliart pour la dernière période.
(2) J'ai accepté le chiffre donné par M. Neumann-Spaliart ; les chiffres officiels sont décidément trop bas.
Imi même temps, le prix moyen des suci'es bruis est descendu de 147 fr. les
100 kilogrammes en 1830 à 70 fr. en 1860, 40 fr. en 1884 et il est actuellement à
35 fr. et môme plus bas.
11 semble que la production du sucre de betteraves en Europe a atteint son maxi-
mum et que pour quelque temps elle aura plutôt une leudonce à diminuer.
Voici maintenant la statistique de la consommation.
Consommation du sucre en Europe, en tonnes de 1,000 kilogrammes
et en kilogrammes par tête d'habitant.
Périodes .
Russie
Finlande
Suéde
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriche-Hongrie. . .
(t. -Bretagne et Irlande.
Pays-Bas
Belgique
France
Suis.se
Espagne
Portugal
Italie
Roumanie
Serbie
1860-1864.
Consomma-
lion
en lonnos
de 1,000
kilogr.
18,900
5,070
530,000
130,900
29,300
Kilogr.
p.ir
tête.
4,89
3,09
18,09
3,50
1,83
1865-1869.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
18,400
5,808
609,000
264,200
34,200
Kilogr.
par
tête.
4,43
3,34
19,60
6,90
2,00
1870-1874.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
7
261
729
18
239
,500
,960
,000
,000
,000
,200
38,000
Kilogr,
par
lôte.
6,00
4,52
6,40
22,85
3,50
6,52
2,20
1875-1879.
Consomma-
tion
en tonnes
de 1,000
kilogr."
300,000
32,0a0
9,300
22,200
284,800
164,000
996,400
45,000
20,000
268,500
12,900
33,000
15,700
81,500
Kilogr.
par
tète.
3,70
7,15
5,50
11,60
6,. 50
4,40
28,19
11,50
3,70
7,29
8,20
1,90
2,90
2,10
1880-18S4.
Consomma-
lion
en tonnes
de 1,000
kilogr.
300,000
1,200
36,600
9,900
27,200
313,200
231,000
,105,000
54,500
40,000
385,600
29,600
39,200
20,400
99,600
7,000
3,500
Kilogr.
par
tète.
3,49
0,60
7,95
5,16
13,47
6,81
0,00
31,30
12,87
7,14
10,20
10,36
2,32
4,34
1,45
3,50
2,00
La consommation totale dans l'Europe peut être évaluée, en moyenne, pour les
années 1880-1884 à 2,700,000 tonnes, ce qui correspond à 8 kilogrammes par tête
d'habitant. Elle s'élève probablement aujourd'hui à 3 millions dç tonnes.
Dans les Étals-Unis d'Amérique, la consommation est évaluée à 900,000 tonnes
(17,3 kilogrammes par tête d'habitant).
On constate, par la même occasion, l'énorme progrés de la consopimalion du
sucre dans les divers pays de l'Europe. En voici le tableau pour la Grande-Bretagne
et Irlande et pour la France, depuis la paix générale de l'Europe en 1815. La con-
sommation est exprimée en tonnes de 1,000 kilogrammes et en kilogrammes par
tète d'habitant.
UOYBNNK
des années.
I81.V1819
1820-1824
1825-18-!9
lS.30-183t
1835- 1839
1840-1 H14
1845-1849
18.^0-18.'.4
1855-1859
1S60-18«!1
1865-1869
1X70 1874
1875-1879
lS80-188t
1S85 . .
GRANOE-BIIETAGNK
ET IRLANDE.
Consoinmalion
Kilogr.
en tonnes
par
Je 1,000 liilogr.
tête.
"
»
207,200
7,. 53
285,200
10,18
363,. 500
13,12
416,400
14,70
.530,000
18,09
009,000
19,60
729,400
22,85
916,400
28,19
1,105,500
31,:!0
1,224,100
33,70
Consommation
en tonnes
de 1,000 kilogr.
30,700
48,700
60,. 500
01,900
62,600
82,000
72,700
66,700
89,200
130,900
204,200
239,200
268,. 500
385,600
425,200
Kilogr.
par
tète.
1,04 i
1,58
1,89 1
1,89 )
1,86 [-
2,30
2,05
1,H5
2,46
3,, 50
0,90
C,52
7,29
10,26
11,19
IMPÔT PAR 100 KILOGRAMMES.
Grande-Bretagne
et Irlande.
iMoyenne
des différentes
qualités.
82 fr.
24 f r.
15 fr.
18 fr.
10 fr.
13 fr.
6 fr.,4fr.
Kxempte
depuis
le 1<" mai 1874.
France.
45 fr.
45 fr., U fr., 16 fr. .50
27 fr. 50
33fr.,88fr.5049fr..50
49 f r. 50
54 fr.
89 fr. 30 fr. 50, 42 fr.
42 fr.
42 fr., .54 fr. 50, 6,3 fr.
65 fr. 52
40 f r.
.50 fr.
IG
— 234 —
Quant à la consommation du sucre par tête d'habitant, les différents États d'Europe
se rangent dans l'ordre suivant :
Finlande 0''",60 annuellement par tête d'habitant.
Roumanie 1 ,50 — —
Serbie 2 ,00 — —
Espagne 2 ,32 — —
Italie 3 ,45 — —
Russie 3 ,49 — —
Portugal. . 4 ,34 — —
Norvège 5 ,16 — —
Autriche-Hongrie ,00 — —
Allemagne 6 ,81 — —
Belgique 7 ,14 — — •
Suède 7 ,95 — —
France 10 ,26 — —
Suisse 10 ,35 — —
Pays-Bas 12 ,87 — —
Danemark 13 ,47 — —
Grande-Bretagne et Irlande. 31 ,30 — —
Droits de douanes, recettes des Trésors des différents pays de l'Europe sur le sucre
en moyenne des années i 880- J 884.
DROITS DE DOUANES RECETTES TOTALES
, sur 100 kilogrammes de sucre netles PAR tetb
'^^' ■"-— ■-■ -^ des impôts sur d'habitant.
non raffine. TaOïné. le sucre.
Russie (sans Finlande) . . . ^ 70 fr. 30,00M00 fr. 0^,35
Suède 33 fr. 46 fr. 11,400,000 2 ,48
Norvège 57 fr. » 5,490,000 2 ,86
Danemark 24 fr. » 7,000,000 3 ,47
Allemagne 40 fr. 37 fr. 50 58,340,000 1 ,27
Autriche-Hongrie 37 fr. 50 50 fr. 27,000,000 ,70
Grande-Bretagne et Irlande. Exempt. » ' »
Pays-Bas Exempt. » »
Belgique 50 fr. 60 fr. 30 9,140,000 1 ,63
France 50 fr. 155,740,000 4 ,15
Suisse 7fr. 50 8 fr. 50 2,300,000 ,86
Espagne 25 fr. 25 » 6,000,000 (?) ,35
(Exempt de Cuba et Portorico.)
Italie 66 fr. 25 78 fr. 50 57,000,000 1 ,97
Les recettes totales que les Trésors de l'Europe tirent du sucre montent à peu
près à 380 millions de francs, ou 1 fr. 13 par tête d'habitant.
Aux États-Unis d'Amérique, les recettes sur les sucres ont été en 1884 de 200
millions de francs ou 5 fr. par tête d'habitant.
Tabac. — Le tabac est originaire d'Amérique où, dès sa découverte, on a vu
les indigènes des Antilles en faire usage.
Peu de plantes s'accommodent aussi facilement des climats les plus divers. Originaire
de la région équatoriale, qui toujours fournit les meilleurs produits, le tabac peut
être planté dans toutes les régions tempérées. Il est actuellement cultivé dans pres-
que tous les pays d'Europe, partout, du moins, où, pour des raisons fiscales, la
culture n'en est pas interdite. Mais il faut reconnaître que les tabacs cultivés en
Europe centrale et septentrionale pèchent par excès de force.
Le principe essentiel du tabac, et ce qui le caractérise comme narcotique, est
un alcaloïde, la nicotine. La proportion de nicotine, ce qu'on appelle la force du
— 235 —
tabac, est en relation avec l'épaisseur du parenchyme des feuilles : les tabacs à paren-
chyme mince en contiennent de 1 à 3 p. 100, et on en trouve de 9 à 10 p. 100 dans
les feuilles à parenchyme épais. Les tabacs les plus légers sont généralement les
plus estimés.
Le planteur peut disposer de plusieurs moyens pour agir, dans certaines limites,
sur l'épaisseur du parenchyme et, par conséquent, sur la proportion de nicotine
que contient le tabac. En surchargeant la plantation et en avançant la récolte, il peut
jusqu'à un certain point en diminuer la proportion et, par suite rendre le tabac
plus léger. Mais toujours le climat et la qualité des semences ont une influence
prépondérante à cet égard.
La consommation et, avec elle, la culture de tabac ont beaucoup augmenté,
notamment dans la première moitié de notre siècle. Toutefois, depuis une vingtaine
d'années, la consommation ne s'est pas accrue sensiblement par tête d'habitant; la
consommation totale a donc à peu près suivi les progrès de la population.
Les principaux pays producteurs dont on peut évaluer la production sont :
Production du tabac en moyenne des années i880-/8S4, exprimée
en millions de kilogrammes, feuilles séchées.
Étals-Unis d'Amérique 220
Brésil 22
Antilles 10
Mexique . 8
États-Unis de Colombie t)
Paraguay, Confédération Argentine
et autres États de la rivière la
Plata 6
Les Philippines 7
Java et autres colonies néerlan-
daises 15
Indes anglaises 170
Asie-Mineure et Syrie 15
Algérie 5
Egypte, Tripolitaine, Tunisie. . . 2
Australie 1
Russie européenne 48
Finlande 0,2
Suède 0,2
Danemark. . 0,1
Allemagne 38
Autriche-Hongrie 73
Pays-Bas 3
Belgique 3
France 16
Suisse 0,5
Espagne 6
Italie 6
Grèce 6
Roumanie 3
Serbie 1,5
Bulgarie 2,3
Bosnie-Herzogévine 0,6
Turquie d'Europe . . ... .. . 6,0
En Afrique, les indigènes cultivent presque partout le tabac pour leur usage,
mais à l'exception de la côte de la Méditerranée, soumise à l'Europe, on n'en a au-
cun renseignement, et, en tout cas, ce tabac n'entre pas dans le commerce.
En Chine et au Japon, le tabac est de même cultivé presque partout pour la con-
sommation indigène, mais on n'a pas d'idée, même approximative, de la consom-
mation ni de la production totale.
Ces deux États et l'Afrique (en dehors du littoral méditerranéen) exceptés, on peut
estimer la production totale du tabac à 700 millions de kilogrammes au moins,
dont 213 en Europe et 487 dans les autres parties du monde.
Le tabac est consommé sous trois formes: tabac à fumer, à mâcher et à priser.
Les pays maritimes comme la Norvège, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas con-
somment de préférence le tabac à mâcher. Quelques pays, comme la Suède et le
Portugal consomment le tabac en proportion bien plus forte que les autres pays.
— 236 —
sous la forme de tabac à priser. Mais dans le plus grand nombre de pays la con-
sommation se fait surtout sous la forme de tabac à fumer, soit dans les pipes, soit
roulé en cigarettes ou en cigares.
Pour le tabac à mâcher on ne peut employer que les meilleures feuilles et l'on
en utilise les tiges pour fabriquer du tabac à fumer ou à priser. Dans la fabrication
du tabac à mâcher on ajoute certaines sauces dont la préparlion est considérée
comme secret de fabrication.
Pour les bons cigares il importe de même de n'employer que les meilleures feuilles,
dont on enlève soigneusement les liges.
Le tabac à fumer dans la pipe ou en cigarettes est déjà de qualité inférieure.
Le plus mauvais tabac, et notamment celui qui provient des tiges, plus riches en
nicoline que la feuille elle-même, est employé pour le tabac à priser, auquel on
ajoute encore divers arômes.
En France, où le système de régie permet de dresser une statistique très exacte
des différents sortes de tabac vendues on compte que, par poids :
63 p. 100 sont vendues sous la forme de tabac à fumer.
2 — — de cigarettes.
11 — — de cigares.
22 — — de tabac à priser.
- 2 — — de tabac à mâcher.
Mais si l'on fait le classement suivant la valeur de la vente, on a :
• 52 p. 100 eti tabac à fumer.
• • ■ • • 3 — en cigarettes,
n — en cigares.
25 — en tabac à priser.
3 — en tabac à mâcher.
Voici maintenant un tableau de la consommation annuelle du tabac en Europe.
Cofiso'mnialion annuelle du tabac en Europe, en tonnes de 1,000 kilogrammes
et en kilogrammes par tête d'habitant.
Périodes
ÉTATS.
Ruasle
Finlande
Suéde
Norvège
Danemark
Allemagne
Autriche-Hongrie . . .
G.-Bretagae et Irlande.
Pays-Bas
Belgique
France
Suisse
Espagne .......
Italie
1S60-18G1.
1,900
1,1)00
28,000
30,000
Kilogr.
par
'tête.
0,75
0,95
0,95
0,80
1865-1869.
Consomma-
tion
annuelle
en tonnes
de 1,000
kilogr.
3,100
1,800
31 ,000
31,000
14,000
Kilogr.
par
tète.
0,75
1,04
1,02
0,81
0,63
1870-1874.
Consomma-
tion
annuelle
en tonnes
de 1,000
kilogr.
3,800
2,100
77,047
20,400
9,000
7,000
27,900
17,400
Kilogr.
par
tête.
0,89
1,15
1,88
0,64
2,40
1,30
0,76
0,80
1875-1879.
Consomma-
lion
annuelle
en tonnes
de 1,000
kilogr.
4,400
2,100
3,300
75,820
51,000
22,100
10,4U0
7,000
31,800
6,300
18,500
Kilogr.
par
tête.
0,75
1880-1884.
Consomma-
tion
annuelle
en tonnes
de 1,000
kilogr.
,000
,600
,700
,000
,400
,400
,000
,700
,300
,000
,000
,200
,000
,.500
Kilegr.
par
0,66
1,24
0,85
1,04
1,68
1,36
1,71
0,64
3,14
1,43
0,93
1,47
0,77
0,61
La consommation annuelle en Europe peut être évaluée à 350 millions de kilo-
grammes, ou un peu plus de 1 kilogramme par lête d'habilanf.
— -237 -
Quant à la consommation du labac par tète d'habitant, les différents Étals de
l'Europe se rangent dans l'ordre suivant :
Russie (sans Finlande) 0'"',56 par tête d'habitant.
Italie ,61 —
Grande-Bretagne et Irlande. ... ,64. —
Espagne ,77 —
Suède ,85 —
France ,93 —
Norvège 1 ,04 —
Finlande 1 ,24 —
Allemagne 1 ,36 —
Belgique 1 ,43 —
Suisse 1 ,47 —
Danemark 1 ,68 —
Autriche-Hongrie 1 ,71 —
Pays-Bas 3 ,14 —
La consommation du tabac dans les Étals-Unis d'Amérique est estimée à 100
millions de kilogrammes : près de 2 kilogrammes par tôle d'habitant.
L'impôt sur le tabac est prélevé, dans tous les pays de l'Europe, sous différentes
formes. Dans les pays qui, à cause de leur climat, ne produisent pas ou presque
pas de tabac, et dans ceux où la culture en est défendue, comme dans la Grande-
Bretagne et l'Irlande, l'impôt a lieu sous forme de droits de douane. Dans les pays
qui produisent du tabac en quantité notable, l'impôt a lieu tantôt sous la forme de
la régie, tantôt par le fermage, tantôt par un système mixte, tantôt enfin par des
droits de douane et par des impôts sur la production indigène, laquelle est calculée
suivant la quantité récoltée ou bien suivant l'étendue du terrain cultivé en tabac.
Droits de douane et recettes des Trésors sur le tabac.
(Moyenne des années 1880- (884.)
DROITS
de douane par
''■''■*''''■ lOOkilogr. dctabuc
en feuilles.
Russie. . . ~ 824
Finlande »
Suède 33
Norvège ......... 174
Danemark 41
Allemagne 106,25
Autriche-Hongrie ..... Monopole.
Grande-Bretagne et Irlande. 964
Pays-Bas. 5 p. 100
Belgique. 70
France Régie.
Espagne Régie.
Portugal 806
Italie Régie.
Les Trésors de l'Europe tirent annuellement de la consommation du tabac entre
950 et 1,000 millions de francs, ou, en moyenne, près de 3 fr. par tôle d'habitant.
Le Trésor des Etals-Unis d'Amérique en tire annuellement un revenu de 250
millions de l'ranes ou à peu près 5 fr. par tète d'habitant.
RECETTES
PAR
TÊTE
des Trésors en francs.
d'Iiahiiant.
40,000^000 fr.
0''
,47
1,100,000
,52
3,200,000
,70
2,900,000
1
,07
1,200,000
,59
33,900,000
,74
204,000,000
D
,30
216,000,000
6
,^i
700,000
,n
3,200,000
,57
295,800,000
7
,87
81,800,000
4
,84
101,000,000
3
,49
— 238 —
Résumé des recettes annuelles des Trésors des différents pays d'Europe sur la consommation
des excitants modernes.
(Moyenne des années 1880-1884.)
Articles
Russie
Finlande
Suède
Norvège
Danemark ....
Allemagne ....
Autriche-Hongrie .
G.-Bretagne et Irlande.
Pays-Bas
Belgique
France
Suisse
Espagne
Portugal ,
Italie
Grèce
lloumauie ....
Serbie ,
Monténégro . . . ,
Turquie
Total pour l'Europe
ALCOOLS.
CAFÉ, TBÉ,
Recettes
CACAO.
Par
SOCRE
Recettes
S.
Par
TABAC.
TOTAL
Receltes
Par
Recettes
Par
Recettes
en millions
tète
eu
en millions
tète
en
on millions
tète
en
en millions
tète
en
en millions
de francs.
francs.
de francs.
francs.
de francs.
francs.
de francs.
francs.
de francs.
569,0
6,68
46,0
0,54
30,0
0,35
40,0
0,47
685,0
5,6
2,67
1,1
0,52
19,0
4,15
4,7
1,03
11,4
2,48
3,2
0,70
38,3
5,2
2,71
4,0
2,08
5,5
2,86
2,9
1,67
17,6
4,1
2,03
2,2
1,09
7,0
3,47
1,2
0,59
14,5
65,0
1,41
57,8
1,26
68,3
1,27
33,9
0,74
215,0
40,0
i;o4
36,2
0,94
27,0
0,70
204,0
5,30
307,2
474,4
13,44
109,8
3,11
216,0
6,12
800,2
47,8
11,29
1,2
0,28
0,7
0,17
49,7
28,7
5,12
3,4
0,61
9,1
1,63
3,2
0,57
44,4
58,0
6,86
114,0
3,02
155,7
4,15
195,8
7,87
823,5
7,4
2,60
0,4
0,01.5
2,3
0,86
8,2
0,49
6,0
0,35
81,8
4,84
100,0
18,9
0,65
23,0
0,77
57,0
1,97
101,0
3,49
199,9
1,550,0
4,63
420,0
1,25
380,0
1,11
970,0
2,93
3,320,0
Par
tète
franc».
7,99
8,36
9,16
7,18
4,68
7,98
22,67
11,74
7,93
21,89
6,00
6,88
9,90
On voit d'après ce tableau que les gouvernements des deux pays les plus riches
de l'Europe, celui du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et Irlande et celui de la
République française, sont ceux qui tirent proportionnellement au nombre de leurs
habitants les plus grandes receltes de ces quatre catégories de consommations,
presque identiquement 22 fr. annuellement par tête d'habitant, tandis que la plu-
part des autres gouvernements d'Europe n'en tirent guère que 7 à 10 fr., l'Es-
pagne oïl l'on n'en tire que 6 fr., et l'Allemagne, la Finlande et la Suisse où les
recettes ne s'élèvent même pas à 5fr. par tête d'habitant. En Allemagne, d'ailleurs,
le Gouvernement s'occupe de relever les recettes des alcools et du tabac, et les
amener au même niveau que dans la plupart des autres pays d'Europe.
Les gouvernements européens tirent annuellement de la consommation du
tabac un peu plus de 3,300 millions de francs, ou en moyenne 10 fr. par tête
d'habitant.
Les Étals-Unis d'Amérique en tirent à peu près 900 millions de francs ou près de
18 fr. par tète d'habitant.
D' 0. J. Broch.
— 239 —
V.
LES ACCIDENTS DU TRAVAIL.
« Tout fait quelconque de l'homme qui cause un préjudice à autrui, oblige celui
par la faute duquel il est arrivé à le réparer », dit l'article 1382 du Code civil. Tel
est le grand principe de responsabilité posé par la législation française, qui ne fait,
en somme, que traduire ici, sous une forme juridique et concrète, une règle dont
l'origine se trouve dans les idées les plus simples de morale sociale. C'est en vertu
de cette disposition que chacun de nous est tenu d'indemniser celui auquel, par sa
faute ou même par sa négligence ou son imprudence, il a causé un dommage quel-
conque, à la seule condition que celte imprudence, cette négligence ou cette faute
soit établie d'une manière certaine. Et, pour passer du général au particulier, c'est
ce même article de loi qui donne à l'ouvrier victime d'un accident le droit de ré-
clamer à son patron la réparation du préjudice qui en est résulté pour lui et pour les
siens. Il n'y a pas, d'ailleurs, dans l'état actuel de notre législation, de distinction à
faire entre les différents cas : qu'il s'agisse de deux particuliers qu'aucun rapport
antérieur n'a jamais rapprochés, ou qu'il s'agisse d'un ouvrier s'adressantà son pa-
tron, la situation est identique : à l'un comme à l'autre s'impose la même obliga-
tion de prouver non seulement qu'il y a eu dommage éprouvé, mais encore qu'il y
a eu faute de celui auquel on l'impute. Or, cette preuve n'est pas toujours facile à
faire ; il y a même des circonstances dans lesquelles elle est impossible ; et alors
les tribunaux, malgré le droit d'appréciation très large dont ils disposent, ne peu-
vent que repousser la demande que la victime a portée devant eux ; ils sont impuis-
sants à réparer le préjudice qu'elle a souffert.
Cette situation fâcheuse a justement préoccupé beaucoup de bons esprits; ils se
sont dit que, à ce point de vue spécial, la classe ouvrière méritait d'attirer l'atten-
tion du législateur; que les auteurs du Gode civil n'avaient pas pu prévoir, en 1804,
les changements considérables qui se produiraient dans l'industrie ; qu'il leur avait
été, par suite, impossible de légiférer sur un état de choses qui leur était inconnu;
que c'était au législateur moderne à combler, à cet égard, les lacunes que présen-
tent nos lois, ils ont pensé, en conséquence, qu'il y avait quelque chose à faire, et
ils l'ont tenté. Evidemment, la pensée est juste et l'intention est louable; toutefois
il ne faudrait pas tomber d'un excès dans l'autre, ni dépasser le but, ce qui est un
excellent moyen de ne le point atteindre. Que les relations d'ouvrier à patron aient
été profondément modifiées ; que les développements considérables de l'industrie
aient changé les conditions du travail; qu'à une situation nouvelle il faille une lé-
gislation différente, cela n'est point douteux. Mais il y a un échec à éviter, un dan-
ger à craindre : c'est de créer des exceptions que rien ne justifierait et de tomber
du mal dans le pire. Le contrat de travail est, comme tout autre, un contrat libre,
dont les intéressés doivent débattre les conditions comme il leur convient; le légis-
lateur n'y doit intervenir qu'avec une extrême prudence et un tact parfait. Ce que
l'on doit faire, c'est protéger l'ouvrier dans une mesure raisonnable, c'est lui don-
ner les moyens vraiment pratiques d'obtenir la réparation du dommage que peu-
vent lui faire éprouver les accidents [dont il est vicljme au cours de son travail ;
— 240 —
c'est ne pas le laisser, comme il l'est acluellemenl trop souvenl, dans l'impossibilité
absolue de se faire allouer l'indemnité à laquelle il a légitimement droit. Pour cela,
des réformes sont incontestablement nécessaires ; des dispositions particulières doi-
vent être édictées en vue de faits spéciaux que ne pouvait prévoir la loi existante.
Il y a là une formule à trouver, un mochis vivendi à établir et à réglementer ; il ne
nous semble pas que, jusqu'à présent, malgré de nombreuses tentatives et de sérieux
efforts, on y soit encore parvenu : c'est ce que nous essaierons de démontrer en
étudiant rapidement les nombreuses propositions de loi qui ont déjà été disculées
ou présentées et dont aucune, d'ailleurs, n'a jusqu'à présent abouti.
I.
Plusieurs propositions de loi ont été présentées à la Chambre des députés dans
le but de réglementer la responsabilité des accidents dont les ouvriers sont viclimes
dans l'exercice de leur travail; tous ces projets ont été renvoyés à une même com-
mission, ce qui permettait d'apporter un peu d'unité et de suite dans un travail aussi
compliqué; cette commission a fait trois rapports successifs, elle a été amenée elle-
même à proposer un projet qui lui était personnel ; à trois reprises différentes, la
Chambre a consacré plusieurs séances à la discussion des divers systèmes qui lui
étaient présentés; aucune solution n'est encore intervenue, et la question n'est
guère plus avancée aujourd'hui que le premier jour. Elle s'est même, depuis les
derniers débats, compliquée de deux nouveaux projets dus au Gouvernement et à
l'initiative parlementaire; de nouveaux rapports sont devenus nécessaires, alla con-
clusion n'est sans doute pas encore prochaine. Les auteurs de tous ces projets sont
animés des meilleures intentions, mais ils sont convaincus que leur système est pré-
férable à tous les autres, ce qui s'explique, d'ailleurs; ils défendent leurs idées avec
ardeur, leurs arguments touchent et impressionnent leurs collègues; et comme,
après tout, il ne s'agit pas là de politique pure, ni, par suite, de convictions toutes
faites et arrêtées d'avance, des hésitations se produisent, des scrupules se manifes-
tent, et aucune opinion n'arrive à rallier la majorité. Il serait cependant utile que
la question fût enfin vidée : il y a là des réformes qui s'imposent, des intérêts très
importants sont en jeu, et il est à souhaiter que la solution ne se fasse pas plus
longtemps attendre.
Il ne peut, bien entendu, entrer dans notre pensée — et cela dépasserait de
beaucoup les limites de cette étude — de faire connaître en détail tous les projets,
contre-projets et amendements qui ont été soumis à l'examen de la commission de
la Chambre ; nous ne retiendrons que les plus importants, que nous étudierons
dans leurs grandes lignes et dont nous analyserons les principales dispositions.
L'honorable M. Peulevey avait déposé, le 14 janvier 1882, une première pro-
position de loi que la commission, dans son rapport du 11 novembre suivant, de-
manda à la Chambre d'écarter. M. Peulevey en déposa une autre, le 26 novembre
1883, dont nous dirons quelques mots. Aux termes de ce projet, la responsabilité
de droit commun, résultant des dispositions du Code civil, demeurait entière en cas
de faute lourde, que cette faute fût imputable au patron ou aux personnes dont il
devait répondre; quant à la faute légère, provenant du maître ou de l'ouvrier, elle
était assimilée au cas fortuit. C'était, en réalité, mettre l'ouviier en dehors du droit
commun, puisque, contrairement au principe général (jue toute faute, abstraction
— u\ —
faite de sa gravité, oblige celui qui l'a commise à la réparer, l'oinrier, lui, ne pou-
vait invoquer la responsabilité pleine et entière de son patron que s'il y avait eu
faute lourde de la part de ce dernier. Aussi bien, le projet se dispensait de définir
la faute lourde ; il se contentait d'en confier l'appréciation à un comité administratit
dont il fixait la composition. C'était faire reparaître dans la législation moderne le
vieux système de la division des fautes en faute lourde, légère et très légère, sys-
tème qui avait pendant si longtemps alimenté les disputes scolasliques des vieux
juristes ; cette idée seule, avec les difficultés d'interprétation qu'elle devait amener,
suffisait à faire écarter le projet, indépendamment des obscurités et des complica-
tions qu'il comportait à d'autres points de vue; la commission s'en est rendu compte
et elle a conclu, en conséquence, au rejet de la proposition Peulevey.
De son côté, et à la date du 11 février 1882, l'honorable M. Félix Faure présen-
tait à la Chambre des députés deux projets dont l'un avait pour but d'établir et de
régulariser la responsabilité en matière d'accidents de fabrique ou de toute exploi-
tation industrielle, agricole ou commerciale, et l'autre tendait à établir une caisse
d'assurances ayant pour objet de garantir les chefs d'entreprises industrielles, agri-
coles ou commerciales contre les risques de la responsabilité en matière d'acci-
dents. Ces deux propositions, absolument connexes entre elles, et formant un en-
semble indivisible, avaient été transitoirement adoptées par la commission qui se
les était appropriées, sans y presque rien changer, à la suite du deuxième rapport
qu'elle avait déposé le 11 novembre 1882. C'est ainsi qu'elles ont été longuement
examinées par la Chambre, dans les séances des 8, 10 et 11 mars 1883, et que,
après la clôture de la discussion générale, et au moment où il allait être procédé à
la discussion des articles, elles ont été renvoyées de nouveau à la commission.
La première de ces deux propositions posait, d'une façon absolue, le principe de
la responsabilité du chef de toute entreprise industrielle, commerciale ou agricole,
en cas de dommage causé à un ouvrier ou employé tué ou blessé dans le travail,
soit que l'accident provînt du bâtiment, de l'installation, de l'entreprise ou de l'ou-
til employé, soit qu'il provînt du travail même; il n'était fait d'exception à cette
règle que pour les faits criminels ou délictueux, dont l'auteur restait responsable
dans les termes du droit commun. Donc, le patron était toujours, en principe, res-
ponsable des accidents pouvant atteindre ses ouvriers; non seulement ceux-ci n'a-
vaient plus aucune preuve à faire pour établir la faute ou l'imprudence du chef de
l'entreprise, non seulement ce dernier était présumé responsable, mais il l'était
effectivement, par le fait seul de sa qualité, et sans pouvoir démontrer qu'il y avait
eu faute, imprudence ou négligence de la part de l'ouvrier. De plus, la proposition
de loi fixait, d'une façon précise, immuable, les indemnités qui, dans les différents
cas, devaient être payées par le patron, suivant que la victime était un homme ou
une femme, suivant qu'il s'agissait d'un individu marié ou célibataire, ayant ou non
des enfants, suivant, enfin, la gravité de l'accident. On retirait ainsi aux liibunaux
le soin et le droit de proportionner le chiffre des indemnités aux circonstances, à la
situation respective des parties, au degré d'intérêt que présentaient les victimes, etc.»
on établissait une tarification incommutable qui, tandis que, dans certains cas, elle
pouvait être insuffisante, pouvait aussi, d'autres fois, être absolument exagérée et
entraîner la ruine des patrons, ce qui était, on l'avouera, une singulière façon de
comprendre l'intérêt des ouvriers. Après une enquête faite par le juge de paix,
l'appréciation du dommage éprouvé était confiée dans tous les cantons à des tribu-
242
naux d'exception composés du juge de paix, du maire ou de l'adjoint de la com-
mune où s'était produit l'accident, de l'inspecteur du travail des enfants, d'un pa-
tron et d'un ouvrier désignés par le conseil des prud'hommes ou par le conseil
municipal. Quelques autres dispositions de moindre importance complétaient ce
premier projet.
La seconde proposition de loi de M. Félix Faure avait pour but de créer, sous la
garantie de l'Etat, une caisse d'assurance destinée à garantir les chefs d'entreprises
industrielles, agricoles et commerciales, des conséquences pécuniaires de la res-
ponsabihté mise à leur charge. L'assurance devait être contractée collectivement
pour tous les ouvriers et employés d'une exploitation, et pour une durée de trois
ans, la prime à payer étant calculée sur la somme des journées de travail de tous
les ouvriers, et d'après un tableau classant les industries en cinq catégories, suivant
le degré de danger présenté par chacune d'elles. Le capital appartenant à la caisse
d'assurance en cas d'accidents fondée par la loi du 11 juillet 1868 devenait commun
à la nouvelle caisse, dont les ressources devaient, en outre, comprendre les primes
payées par les assurés, et, s'il y avait lieu, une subvention de l'État. C'était la caisse
des retraites qui était chargée du service des pensions annuelles et viagères dues
aux victimes d'accidents, et la gestion de la nouvelle institution était confiée à la
Caisse des dépôts et consignations.
Comme on le voit, le fonctionnement de cette caisse d'assurance contre les ris-
ques de responsabilité ne brillait pas précisément par la simplicité, mais ce n'était
là qu'un des moindres inconvénients de la double innovation proposée. Dans une
étude très complète des deux projets de loi en question, publiée en 1884 par M.Al-
fred Mayen, leurs conséquences étaient clairement démontrées et leurs dangers
signalés de la manière la plus évidente. Au moyen de calculs établis sur les données
les plus certaines et avec une compétence pratique absolument indiscutable, calculs
dans le détail desquels il est impossible d'entrer ici, M. Mayen démontrait que l'ap-
plication du système d'assurance proposé, venant se greffer sur le principe de res-
ponsabiHté absolue et constante du patron, devrait entraîner pour l'État une dépense
annuelle de plus de cent millions de francs. Dans ce chiffre étaient comprises les
dépenses occasionnées par la loi sur les responsabihtés (création de tribunaux d'ex-
ception, d'inspecteurs, etc.), celles nécessitées par l'organisation du personnel de
la caisse d'assurances, ainsi que la différence entre les primes à percevoir et les
sinislres à payer; et les évaluations permettant d'arriver à ce résultat étaient faites
dans les conditions les plus favorables. Cette seule perspective d'une charge consi-
dérable à imposer à l'État et venant compUquer encore les difficultés budgétaires
existantes suffisait pour démontrer i'inapplicabilité absolue des deux propositions
de loi dont il s'agit; comme nous l'avons dit, elles furent, après la discussion géné-
rale, renvoyées à l'examen de la commission de la Chambre des députés qui, à la
suite d'une nouvelle étude de la question, déposa, le 13 février 1884, un projet en
13 articles qui a été discuté en séance pubhque au mois d'octobre suivant, et dont
nous allons faire connaître l'économie générale et les principales dispositions.
Ce qui caractérise tout d'abord ce projet, c'est, d'une part, le maintien, avec cer-
taines modifications, du principe de la responsabilité de droit commun édicté par
les articles 1382 et suivants du Gode civil ; et, d'autre part, l'établissement d'une
responsabilité spéciale, à raison du risque professionnel, pour certaines industries.
Tout en maintenant la législation existante pour les cas où la victime d'un accident
— 243 —
du travail est admise à réclamer une indemnité, la commission y apportait un chan-
gement important : elle demandait que, dans les usines, manufactures, fabriques,
chantiers, mines, carrières, entreprises de transport, et, en outre, dans les autres
exploitations de tout genre où il est fait usage d'un outillage à moteur mécanique, le
chef d'industrie fût présumé responsable des accidents pouvant frapper ses ouvriers
et préposés. Toutefois, cette présomption devait cesser quand le patron pouvait
prouver ou que l'accident était arrivé par cas fortuit ou force majeure ne pouvant
êlro imputés ni à lui, ni à ses subordonnés, ou qu'il avait pour cause exclusive l'im-
prudence de la victime.
A côté de la responsabilité du droit commun, la proposition de loi de la commis-
sion créait, comme nous venons de le dire, une « responsabilité spéciale, à raison
du risque professionnel », dans les conditions suivantes (art. 4 à 6) : « Dans les
industries spécifiées en Tarticle 2 qui précède (usines, manufactures, fabriques,
chantiers, mines, carrières et autres exploitations faisant usage d'un outillage à mo-
teur mécanique), le chef de l'entreprise, sans préjudice de la responsabilité qui lui
incombe aux termes du droit commun, encourt, vis-à-vis des personnes qu'il em-
ploie, une responsabilité spéciale à raison du risque professionnel, et doit, en con-
séquence, dans les limites fixées à l'article 6 ci-après, venir en aide à tout ouvrier
ou employé victime d'un accident dans l'exécution de son travail. — Par exception,
est déchue de tout droit à réclamer le bénéfice de celte responsabilité spéciale la
victime qui se sera intentionnellement exposée à l'accident, lorsqu'il y aura eu,
pour le chef de l'enlreprise ou ses préposés, impossibilité de l'en préserver. — La
responsabihté spéciale dont il s'agit est limitée aux chiffres des pensions de secours
que la caisse d'assurances en cas d'accidents, étabhe par la loi du H juillet 1868,
alloue actuellement à l'assuré ou aux ayants droit de l'assuré, lorsque la prime an-
nuelle est de 8 fr., le tout conformément aux prescriptions et aux distinctions
édictées en ladite loi du H juillet 1868. » D'ailleurs, les indemnités pouvant être
dues en vertu de l'une et de l'autre responsabilité ne devaient point se cumuler.
Ce système d'une double responsabilité ayant été repris par les projets de loi ulté-
rieurs dont nous allons parler, nous y reviendrons en les étudiant. Enfin, le projet
de la commission réglementait la procédure, très simplifiée du reste, qui devait
être suivie pour le paiement des indemnités.
Les divers articles de cette proposition furent discutés à la Chambre des députés
dans trois longues séances, les 20, 21 et 23 octobre 1884; réduits de 13 à 10, sans
que, d'ailleurs, il en soit résulté de modifications importantes dans l'économie
même de la loi, ils furent successivement votés en première lecture, et la Chambre
décida qu'il serait passé à une seconde délibération. Néanmoins, il ne semble pas
que, quand la question sera reprise, la loi doive être définitivement adoptée telle
qu'elle a été votée; en effet, depuis les premiers débats, deux nouveaux projets,
émanant du Gouvernement, ont été déposés ; ils donneront certainement lieu, en
raison, notamment, des graves problèmes d'assurance qu'ils soulèvent, à une vive
controverse, et il est bien difficile de savoir, dès à présent, à quel parti s'arrêtera la
Chambre.
n.
Le premier des deux projets du Gouvernement a été déposé, le 24 mars 1885,
par M. Maurice Rouvier, alors ministre du commerce ; l'autre l'a été, à la séance
— 244 -
de la Chambre du 2 février 1886, par M. Lockroy, ministre du commerce et de
l'industrie. Tous deux sont, à très peu de chose près, identiques, et voici dans
quelles circonstances ils ont été rédigés.
Au cours de la discussion engagée sur la proposition de la commission, le Gou-
vernement avait déclaré qu'il n'entendait pas s'y rallier sans réserve ; toutefois, un
rejet pur et simple pouvant être interprété en ce sens qu'il n'y avait rien à faire, il
avait demandé à la Chambre d'adopter la loi en première lecture, et promis de lui
soumettre, avant la seconde délibération, le projet auquel il se serait définitivement
arrêté. Une décision ministérielle du 8 novembre 1884 nomma une commission
extra-parlementaire, composée de sénateurs, de députés, de conseillers d'État, de
jurisconsultes et de personnes d'une compétence pratique indiscutable, en la char-
geant d'examiner les questions relatives à la responsabihté des accidents dont les
ouvriers sont victimes dans leur travail, et de lui présenter le résumé de ses tra-
vaux. La commission se mil immédiatement à l'œuvre, sous la présidence de M.To-
lain, sénateur; ses études furent menées avec une grande rapidité, et, dès le 27 fé-
vrier 1885, elle adressait au ministre du commerce un rapport suivi d'un projet de
loi qui fut adopté en majeure partie et déposé sur le bureau de la Chambre des
députés moins d'un mois après. C'est ce même projet qui, sauf quelques modifica-
tions, a été repris par M. Lockroy, successeur de M. Rouvier au département du
commerce, et comme c'est à ce dernier texte que s'est définitivement arrêté le Gou-
vernement, c'est de lui seul que nous nous occuperons.
Le principe de deux responsabilités distinctes, l'une de droit commun, l'autre
spéciale au risque professionnel, principe déjà admis par la Chambre, est égale-
ment adopté. En ce qui concerne la responsabilité de droit commun, la présomp-
tion mise à la charge du patron, dans ceitaines industries, est maintenue telle
qu'elle a été établie par le projet de loi volé en octobre 1884; elle cesse, bien en-
tendu, si le chef d'exploitation prouve que l'accident est dû à un cas fortuit, à la
force majeure ou à l'imprudence de la victime. Les demandes de dommages-intérêts
intentées à raison de cette responsabilité devront être jugées rapidemenl,etcomme
« matières sommaires ». Quant au risque professionnel, le projet spécifie qu'il
existe dans les industries où, soit à raison des moteurs, soit à raison des matières
employées ou fabriquées, l'ouvrier est exposé à un accident dans l'exécution de son
travail; un règlement d'administration publique devra déterminer les industries
considérées comme présentant un risque professionnel. Dans toutes ces industries,
et c'est là l'innovation la plus considérable introduite par le projet, les ouvriers de-
vront être, par les soins du patron, assurés contre les accidents; si une partie de la
prime est mise à leur charge, celte fraction ne pourra excéder la moitié. C'est, en
somme, l'assurance obligatoire imposée en matière d'accidents ; nous dirons plus
loin ce qu'il faut penser de ce système. L'indemnité (|ui sera garantie à chaque ou-
vrier sera au moins égale à celle que la Caisse d'assurances établie paj- la loi du
1i juillet 1868 alloue pour une prime annuelle de 8 fr.; d'ailleurs, l'assurance
peut être contractée soit à cette Caisse, soit aux Compagnies d'assurances mutuelles
ou anonymes remplissant, au point de vue de la publicité de la gestion et du
placement des fonds, les conditions qui seront fixées par un règlement spécial.
Toute infraction aux prescriptions de ce règlement, commise par les administra-
teurs des Compagnies d'assurances, anonymes ou mutuelles, sera punie d'amendes
très élevées, et, en outre, ces Compagnies pourront être déclarées déchues du
— 245 —
droit de recevoir les assurances prévues par la nouvelle loi. Comme sanction à l'o-
bligation d'assurer ses ouvriers,lout chef d'établissement présentant un risque pro-
fessionnel, qui n'aura pas rempli celte obligation, sera, d'après le projet, passible
d'une amende de 50 à 500 fr. ; en outre, il devra payer à l'ouvrier victime d'un
accident ou à ses ayants droit une indemnité égale à celle qu'ils auraient reçue si
l'assurance avait été contractée. En aucun cas, l'indemnité due à raison du risque
professionnel ne pourra se cumuler avec celle pouvant résulter de la responsabilité
de droit commun; s'il y a assurance, la victime aura un privilège sur le montant
de l'indemnité due par l'assureur; enfin, toute convention contraire à la nouvelle
loi sera nulle de plein droit.
Tel est, dans ses dispositions essentielles, le projet de loi que le ministre du
commerce et de l'industrie a soumis au Parlement ; nous avons cru devoir le faire
connaître avec quelques détails, parce qu'il traduit d'une façon très nette et très
précise l'opinion du Gouvernement sur la question. Ou nous nous trompons fort,
ou il ne sera pas admis dans son ensemble ; des amendements, des contre-projets
viendront sans doute lui faire subir des modifications plus ou moins profondes;
cependant, il est certain que, en dehors des idées du Gouvernement lui-même, il est
aussi l'expression de celles d'une fraction importante de députés et de sénateurs : il
ne faut pas oublier, en effet, que la commission extra-parlementaire qui a élaboré
ce projet, ou dont, tout au moins, la rédaction a été presque entièrement adoptée
par le ministère, renfermait, outre des personnes étrangères au Parlement, des dé-
putés qui se sont très activement occupés de la question à la Chambre. La part
qu'ils ont prise aux premières délibérations leur a valu, sur ce sujet, une autorité
dont ils bénéficieront certainement quand ils viendront, au cours des discussions
ultérieures, défendre et soutenir le nouveau projet. Il n'est donc pas sans intérêt
d'exposer les objections très sérieuses auxquelles donne lieu le système qu'on pro-
pose d'adopter.
Une première critique s'adresse à la distinction qu'on voudrait établir entre les
ouvriers des diverses industries; ils se trouveraient, en somme, divisés en trois ca-
tégories : d'abord les ouvriers qui ne seraient employés dans aucune des industries
énumérées dans le projet de loi ; à ceux-là continuerait à s'appliquer le droit com-
mun proprement dit, tel qu'il résulte des dispositions du Code civil; c'est-à-dire
que, victimes d'un accident, ils seraient tenus d'établir, par les moyens en leur pou-
voir, que la responsabilité de leur patron ou de ses préposés est engagée, et ce n'est
qu'à cette condition qu'ils pourraient obtenir une indemnité; — ensuite, les ou-
vriers faisant partie des usines, manufactures, fabriques, chantiers, mines et carriè-
res, etc. ; ceux-ci jouiraient d'une situation beaucoup plus favorable que les autres:
ce n'est pas à eux qu'incomberait ce qu'on a appelé le « fardeau de la preuve »
dans le cas où ils seraient victimes d'un accident ; grâce à la présomption de res-
ponsabilité qui est édictée contre le patron, ce serait à celui-ci de prouver que l'ac-
cident a eu pour cause un cas fortuit, la force majeure ou l'imprudence de la vic-
time; alors le patron serait indemne; — enfin, dans la troisième catégorie se
trouveraient les ouvriers appartenant à des industries plus particulièrement dange-
reuses : ceux-là seraient garantis contre tous les accidents, quelles qu'en fussent les
causes, et cela en raison du « risque professionnel » auquel ils seraient exposés.
Pourquoi une semblable distinction ? Si la difficulté qu'il peut y avoir pour la victime
à établir la faute ou l'imprudence du chef d'industrie est réelle, pourquoi ne dis-
— 246 -
penser de l'obligation de cette preuve que les ouvriers de certaines professions?
Pourquoi ne pas étendre la même mesure à tous les travailleurs sans exception ?
Si elle est bonne et utile pour les uns, elle doit l'être pour les autres, et la distinc-
tion que voudrait établir le législateur ne semble ni équitable ni justifiée. Il est bien
entendu, d'ailleurs, que, le patron ayant le droit de combattre la présomption lé-
gale établie contre lui, la plus grande liberté devrait lui être laissée dans l'exercice
de ce droit ; les moyens de preuve dont il pourrait user devraient être aussi larges
que possible. Bien que la jurisprudence puisse, à cet égard, poser des règles très
nettes, il n'y aurait pas d'inconvénient à le dire dans la loi; on éviterait ainsi toute
espèce de discussion ou d'interprétation restrictive.
A côté de cette première critique, il en est une autre, plus sérieuse encore peut-
être, que soulève le projet que nous étudions; elle est relative au principe posé de
l'assurance obligatoire. D'abord, il peut paraître singulier que ce principe soit inci-
demment établi dans une loi dont il ne fait pas l'objet principal. C'est là une ques-
tion particulièrement grave, qui soulève des objections de plus d'un genre, et qui,
par son importance, mériterait, à coup sûr, d'être étudiée à part et en dehors de
toute autre préoccupation. Quoi qu'il en soit, puisque nous la trouvons formulée
ici, prenons-la telle quelle et examinons ce qu'il en faut, selon nous, penser. De
deux choses l'une, d'abord : ou le principe est bon ou il est mauvais; s'il est bon,
pourquoi en restreindre l'appHcation à certaines industries considérées comme
plus dangereuses que les autres ? Est-ce que, par hasard, dans toutes les indus-
tries, quelles qu'elles soient, il ne se produit pas des accidents? Ne voit-on pas que
le projet crée des distinctions arbitraires et fâcheuses entre les ouvriers, refusant
aux uns la garantie qu'il entend donner aux autres pour le paiement des indemni-
tés auxquelles ils peuvent avoir droit ? Tous, en somme, sont intéressants, et si
l'on considère l'assurance obligatoire comme un bienfait, c'est à tous les ouvriers
sans exception que l'on en doit étendre les effets. D'ailleurs, qu'elle soit étendue
ou restreinte, Vobligation même de l'assurance ne nous paraît pas admissible; à
quel titre le législateur intervient-il dans les conditions qui régissent le contrat de
travail, c'est-à-dire la convention verbale ou écrite, peu importe, qui intervient
entre le patron et l'ouvrier ? Chacun d'eux est absolument libre, en traitant, non
pas d'imposer mais de demander à l'autre telles ou telles conditions, qui peuvent,
du reste, avec la même Hberté, lui être refusées. Le contrat de travail est un con-
trat comme un autre, dont les stipulations peuvent et doivent être hbreraent discu-
tées entre les parties, à la condition qu'elles n'aient rien de contraire à l'ordre pu-
blic ou à la morale; prétendre y intervenir, c'est violer le principe fondamental,
dans notre droit, de la liberté des conventions. Ce serait, en outre, il faut le re-
marquer, bouleverser le fonctionnement et les conditions d'existence d'un grand
nombre d'industries : en effet, la loi nouvelle ne régirait pas seulement les indus-
tries à créer, elle s'appliquerait aussi bien à celles déjà existantes et modifierait
ainsi, d'une façon grave, les conventions qui sont intervenues entre les chefs d'ex-
ploitations et leurs ouvriers.
Ces considérations, qui ont cependant une grande valeur pratique, n'ont point
arrêté les auteurs du projet ; ils ont même poussé jusqu'à leur extrême limite les
conséquences de leur système : ce n'est qu'au patron seul qu'ils font supporter la
charge de l'assurance obligatoire, alors qu'il aurait été de toute équité de la répar-
tir entre lui et ses ouvriers. Ils ne vont pas jusqu'à empêcher le chef d'industrie de
— 247 —
faire, s'il lui convient, et surtout s'il le peut, supporter une partie de la prime par
ceux au profit desquels il contractera l'assurance ; mais cette contribution serait
purement facultative de la part des ouvriers, le projet de loi ne la leur impose pas,
et elle ne pourra jamais, du reste, être supérieure à la moitié de la prime. Donc,
aggravation des charges du patron dans l'intérêt de ses ouvriers; mais, par contre,
aucune charge imposée à ceux-ci en compensation des avantages dont on veut les
faire bénéficier; telle est, en résumé, à cet égard, l'économie du nouveau système
proposé.
Au point de vue plus spécialement pratique, le projet du Gouvernement n'est pas
moins critiquable. L'idée de l'assurance obligatoire étant admise, il fallait trouver
le moyen de la faire passer dn domaine de la théorie et de la spéculation dans celui
de l'application et des faits; il fallait dire comment et par qui elle serait faite. Tout
d'abord, on ne pouvait songer à établir en France le système corporatif, tel qu'il
existe en Allemagne. On se rabattit alors sur un système mixte, qui consiste à au-
toriser le chef d'industrie à contracter l'assurance soit à la Caisse de l'Etat créée
par la loi du il juillet 1868, soit à des Compagnies privées remplissant certaines
conditions prévues par le projet. C'est ici qu'apparaît pleinement le manque absolu
de compétence des rédacteurs du projet, en matière d'assurance,... les excellentes
intentions dont ils sont animés pour les ouvriers, et la conviction très légitime qu'ils
ont qu'on peut et qu'on doit faire quelque chose, ne suffisant pas, en définitive, à
leur donner cette compétence. Nous nous expliquons. Quelques mots d'abord sur
le fonctionnement de la Caisse d'assurance en cas d'accidents garantie par l'État,
créée par la loi du 11 juillet 1868 et réglementée par décrets des 10 août 1868 et
13 août 1877. Celte institution a eu pour but de combler la lacune existant dans
l'organisation des sociétés de secours mutuels et de prévoyance, qui ne peuvent ai-
der leurs membres qu'en cas de chômage temporaire; les administrations publi-
ques, les établissements industriels, les compagnies de chemins de fer, les sociétés
de secours mutuels autorisées peuvent y assurer collectivement leurs ouvriers ou
leurs membres, par listes nominatives. Moyennant le paiement de cotisations an-
nuelles de 3 fr., de 5 fr. ou de 8 fr., celte Caisse constitue des pensions via-
gères aux ouvriers atteints de blessures entraînant une incapacité permanente
de travail, par suite d'accidents survenus dans l'exécution de travaux agricoles ou
industriels; si l'accident a occasionné la mort, des secours sont alloués à la veuve
et aux enfants mineurs de la victime, ou, à leur défaut, à son père ou à sa mère
sexagénaire; nul ne peut être assuré s'il n'est âgé de 12 ans au moins. Un premier
reproche peut être adressé à celte institution : c'est l'obligation pour les patrons de
désigner nominativement dans la police chacun des ouvriers qu'ils veulent assurer ;
c'est là une gêne très sérieuse dans le fonctionnement de la Caisse. Une autre cri-
tique encore plus sérieuse peut être dirigée contre la Caisse d'assurance garantie
par l'État : c'est que, si, d'une part, en cas de mort résultant d'accident, elle assure
le paiement d'une indemnité à la famille de la victime; si, d'autre part, dans le cas
où l'accident entraîne une incapacité permanente de travail, elle constitue à la vic-
time elle-même une pension viagère; — par contre, elle ne lui alloue aucun se-
cours d'aucune nature si la blessure n'a eu pour conséquence qu'une incapacité
temporaire de travail. C'est là une lacune des plus regrettables : fort heureusement,
en effet, tous les accidents n'ont pas un résultat fatal ou même grave; le plus sou-
vent, les blessures reçues mettent seulement l'ouvrier, pendant un temps plus ou
- 248 —
moins long, dans l'impossibilité de se livrer à son travail habituel. Une indemnité
quotidienne lui est alors tout à fait indispensable, tant pour couvrir les frais de trai-
tement que nécessite sa blessure, que pour subvenir à ses propres besoins et à ceux
de sa famille, puisque la cessation de son travail le prive de son salaire. Pour faire
face à ces dépenses urgentes, le législateur s'en est remis aux sociétés de secours
mutuels et de prévoyance auxquelles il a supposé l'ouvrier affilié. Il y a là une er-
reur absolue : il faut, pour qu'elle produise tous ses effets, que l'assurance soit
complète et s'applique à tous les cas; les Compagnies privées Tont bien compris, en
stipulant, dans leur police, non seulement une indemnité en cas de mort ou d'infir-
mité, mais encore une allocation quotidienne, égale à une fraction déterminée du
salaire, en cas d'incapacité temporaire de travail. Il faut bien reconnaître, d'ailleurs,
que, dans la pratique, ces. cas d'incapacité temporaire sont les plus fréquents; on
ne s'explique donc pas que la loi de 1868 les ait totalement négligés.
Il est, enfin, une considération d'un intérêt général qui ne saurait être passée
sous silence : c'est que le fonctionnement d'une Caisse d'assurance garantie par
l'État, tel que le propose le projet du Gouvernement, entraînerait pour le budget
une charge annuelle considérable. Le rapport delà commission extraparlementaire
nous paraît, en effet, commettre une grave erreur quand il dit : « Actuellement, la
caisse fondée par la loi de 1868 est en bénéfice, bien que ses opérations soient très
restreintes. L'augmentation du nombre des assurances ne pourrait qu'accroître sa
prospérité, d'autant plus qu'aujourd'hui les industries très dangereuses sont seules
assurées, et, par conséquent, les risques d'accidents proportionnellement plus
grands. » Non ! les risques ne sont pas aujourd'hui plus grands qu'ils le seraient
sous l'empire de la nouvelle loi; c'est exactement le contraire qui se produirait :
actuellement, quoi qu'en dise le rapport, les diverses catégories de risques sont
confondues; les bons font compensation aux mauvais, et il finit par s'établir une
moyenne grâce à laquelle la Caisse peut n'être point en perte. Il n'en serait plus
ainsi avec la législation nouvelle : l'obligation de l'assurance n'est imposée qu'aux
industries dangereuses ; les mauvais risques seuls seront assurés, et il en résultera
pour la Caisse un surcroît de sinistres qui se traduira, au bout de l'année, par un
déficit d'autant plus important que le nombre des assurés sera plus grand; c'est là
une conséquence inévitable, fatale ! Sans compter que les dépenses d'alministra-
tion de la Caisse, peu élevées quant à présent, en raison du nombre extrêmement
restreint de ses opérations, augmenteront à mesure quo ce nombre s'accroîtra. Est-
il bien prudent, à une époque où l'on ne peut arriver à mettre le budget en équi-
libre, où les difficultés financières étreignent le pays, de venir encore compliquer la
situation, en ajoutant à tant d'autres une nouvelle cause de dépenses et de déficit?
Il est permis d'en douter.
{La fin au prochain numéro.)
Le Gérant, 0. Berger-Levrault.
JOURNAL
DE LA
SOCIETE DE STATISTIQUE DE PARIS
No 8. — AOUT 1887.
I.
PROCÈS-VEllBAL DE LA SÉANCE DU 20 JUILLET 1887.
En l'absence de M. Yvernès, la séance est présidée par M. E. Levasseur.
M. Levasseur donne lecture de la lettre suivante que vient de lui adresser
M. Yvernès :
Mon cher Collègue,
J'avais espéré jusqu'au dernier moment pouvoir me rendre à la séance de ce soir, mais
malgré mes efforts je ne puis vaincre la souffrance et je me vois forcé de rester sur mon
lit de douleur. Je regrette d'autant plus ce fâcheux contre-temps que j'aurais été heureux
de remercier ceux de mes confrères qui ont bien voulu m'adresser des félicitations h
l'occasion de ma promotion dans l'ordre de la Légion d'honneur. Si, comme fonction-
naire, j'ai été sensiblement flatté de la distinction accordée à mes quarante années de
travail et d'efforts, comme homme j'ai été profondément louché des nombreux témoi-
gnages d'affection qui m'ont été donnés. De pareilles marques d'estime venant de membres
de la Société de statistique ont pour moi un double prix, car elles émanent à la fois de
savants et d'amis ; je vous prie de vouloir bien être auprès d'eux l'interprète de mes sen-
timents de vive gratitude.
Agréez, etc. Yvernès.
M. le Président fuit part à l'assemblée de la mort récente du D'Berg, qui a dirigé
pendant plus d'un demi-siècle le bureau royal de statistique de Suède, et qui s'est
fait connaître encore tout dernièrement par sa stalislique internationale de la popu-
lation, dont il avait été chargé par le Congrès de Saint-Pétersbourg. Le D' Berg
était un de nos collègues les plus vénérés et en même temps des plus aimables.
Sa perte sera vivement ressentie dans le monde savant.
Le procès-verbal de la séance de juin est adopté. Il est procédé au dépouille-
ment de la correspondance.
M. Yves GuYOT annonce que la prochaine session de l'Association française pour
l'avancement des sciences se tiendra à Toulouse, du 22 au 29 seplend)re ftrochain,
1" BKUIK, ^6' VOL. — S" 8. l'y
— 250 —
el il cuiivie ses collègues de rÉconomie politique et de la Stalislique, à prendre
part à celle réunion par leur présence ou par leurs Iravaux.
Il esl donné lecture d'une lettre adressée au président par l'honorable M. Boulin,
directeur généial des contributions directes :
Monsieur le Président,
Vous avez appelé mon attention sur l'intérêt que présenterait, au point de vue de la
vulgarisation de la science économique, la publication, dans les Recueils des actes admi-
nistratifs des préfectures, des renseignements relatifs à la consistance des cotes foncières
recueillis en 1884 par les soins du service des contributions directes.
J'ai soumis cette pensée, dont j'apprécie hautement l'utilité, au Ministre des finances,
(|ui, de son côté, a saisi de la question, en l'appuyant d'un avis favorable, son collègue
de l'intérieur.
Ce dernier ne s'est pas montré hostile à la proposition qui lui a été faite; mais il
objecte que la publication des renseignements dont il s'agit entraînera des frais considé-
rables, qui ne peuvent être prélevés sur le fonds d'abonnement des préfectures, ce fonds
étant à peine suffisant pour pourvoir à tous les besoins du service, et il ne voit la pos-
sibilité de donner satisfaction à votre demande qu'en réclamant le concours financier
des départements; il annonce, en conséquence, l'intention de demander aux conseils
généraux, dans leur session d'août, de voter les fonds nécessaires à l'exécution du travail.
J'aime à croire que toutes les assemblées départementales consentiront à s'imposer
celte dépense et que le vœu de la Société de statistique, tout en souffrant quelque retard
dans sa réalisation, n'en deviendra pas moins un fait accompli dans un avenir prochain.
Agréez, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Le Conseiller d'Etal,
Directeur général des Contributions directes,
BOUTIN.
M. le Président remercie M. Boulin de ses elïorls pour satisfaire à uji vœu ex-
primé par la Société, et il ne doute pas qu'ils ne soient couronnés d'un plein
succès.
M. Sénéchal envoie ses remerciements à la Société pour sa récente nomination.
M. le Secrétaire général fait une rapide analyse des ouvrages transmis à la Société,
parmi lesquels il cite parlicuhèrement les deux dernières livraisons du Journal de
la Société de statistique de Londres.
M. Cheysson présente, de la part de M. Tessier, professeur de pathologie interne
à la Faculté de médecine de Lyon, les recherches de statistique générale que ce
savant hygiéniste vient de publier sur les yrandes maladies infectieuses de Lyon de
1881 à 1886.
M. le D' Tessier a employé d'une façon magistrale les procédés graphiques à
l'élude de la marche des épidémies dans leurs rapports avec la température, la
pression barométrique, la hauteur de la nappe souterraine. Son travail peut être
présenté comme un modèle et certaines des conclusions auxquelles il a été conduit,
dépassant les proportions d'une vérité locale, s'élèvent à la hauteur d'une loi géné-
rale.
M. DE FoYiLLE présente au nom de M. Bienaymé, archiviste au ministère des
finances, un ouvrage important sur l'histoire des droits d'entrée el d'octroi à Paris;
il espère que M. Biollay, (|ui est si compétent en ces matières, voudra bien faire
pour le Journal un compte rendu détaillé de ce travail.
— 251 —
M. de Fovillc clemaiiile à profiler de ce qu'il a la parole pour faire une courte
communication, qui lui paraît avoir un certain caractère d'actualité, étant donné
le scandale statistique qui s'est produit tout dernièrement à la Chambre des com-
munes à propos de la discussion de la loi d'éviction. Cette communication qui tend
à critiquer les travaux d'un statisticien anglais bien connu, soulève, à plusieurs
reprises, les applaudissements et les rires de l'assemblée.
M. Levasseur présente le 2' fascicule du Bulletin du Conseil supérieur de slatis-
tique, et prolite de celte occasion pour rendre compte de l'état actuel des travaux
de la deuxième session du Conseil.
La question des moyennes, qui a donné lieu à d'intéressants débats, n'a pu obtenir
de solution délinitive et sera remise à l'étude de la troisième session.
En ce qui concerne la question de recensement des propriétés bâties dont l'hono-
rable M. Boulin était le rapporteur, on sait que M. le Minisire des finances a obtenu
un crédit provisoire d'un million qui lui permettra de commencer immédiatement
cette importante opération.
La statistique des professions, soutenue par M. E. Cheysson, a abouti à un vœu
qui pourra être réalisé lorsque les fonds nécessaires auront été votés par le Parle-
ment.
Enfin, la commission dès superficies coloniales a émis un vœu qui a été agréé,
et le Ministre des colonies s'empressera d'y satisfaire dans la mesure du possible.
Un travail analogue pour la France est actuellement en cours d'exécution au
ministère de la guerre, et l'on peut espérer qu'on connaîtra prochainement la
superficie exacte de chacun de nos départements.
M. Levasseur rend ensuite compte de la première session de Tlnstitut international
de statistique qui s'est tenue à Rome, dans la semaine de Pâques. Cette session a
répondu aux espérances que l'on avait pu fonder sur elle. Le nombre des assistants
a été considérable. 11 y avait 55 membres présents, sans compter les nombreux
invités italiens. L'hospitalité de l'Italie a été généreuse et large. Le Ministre des
finances a été mis à la disposition de rinstitut, et deux ministres ont cru devoir
présider sa première et sa dernière séance, et il n'est pas sans intérêt de citer une
phrase typique d'un des discours que le Ministre du commerce, M. Grimaldi, a pro-
noncé à cette occasion :
Vous représentez l'expérience. Messieurs, et c'est dans l'expérience bien faite et bien
interprétée que réside la force des sciences d'observation.
Ainsi donc, Messieurs, entre vos éludes et les préoccupations de la politique, il existe
un lien étroit. Les slaUsticiens et les hommes d'État servent la même cause par des
moyens dillerents. La politique — je parle de l'administration intérieure des sociétés —
trouve dans la statistique un auxiliaire précieux, souvent un guide. Elle lui doit beaucoup ;
elle lui devra encore davantage, à mesure que les statisticiens étendront le champ de
leurs recherches et perfeclionneront leurs méthodes d'investigation.
Le Congrès a été clos par une réception de leurs Majestés le Roi et la Reine
d'IlaUe, qui ont daigné entretenir de leurs travaux chacun des membres du
Congrès.
La France était représentée par un grand nombre de membres : MM. Bertillon,
Cheysson, deFoville, Juglar, Levasseur, Loua, Yvernès, Vacher, membres titulaires;
MM. Léon Say et 0. Gréard, membres honoraires» Notre jeune secrétaire, M. Liégeard,
avait été invité à rédiger les procès-verbaux de la session, linlin nolie cullèyue,
M. Ch. Letorl, s'esl chargé d'en faire le compte rendu pour le Journal des écouu-
misles.
Le compte rendu des séances de l'Institut sera tiès prochainement publié et on
pourra apprécier l'étendue et l'importance de ses travaux, mais dès à présent,
M. Levasseur croit devoir dire un mol de la révision des statuts votés à Londres,
Toute distinction entre les membres titulaires et associés a été effacée, et le nom-
bre des membres titulaires a été porté à 150.
La prochaine réunion de l'Institut aura lieu en 1889 à Paris, et comme il a été
décidé que l'Institut pourrait inviter à ses séances les statisticiens connus par
leurs travaux, il y a tout lieu de penser que la Société de statistique y prendra la
part que lui assure sa notoriété.
M. Lafabrègue présente un volume de M. Fleury, sur la protection de l'enfance
dans le département de la Creuse, et insiste principalement sur la méthode rigou-
reuse qu'a employée l'auteur pour mesurer la mortalité des enfants.
L'ordre du jour appelle la discussion sur les conclusions du rapport de M. le sé-
nateur Claude, des Vosges, relatif à \ alcoolisme.
M. Hartmann, dans un travail très étudié, qui sera reproduit in extenso dans le
Journal de la Société, critique le rapport de M. Claude à deux points de vue prin-
cipaux, la méthode employée pour établir la consommation moyenne de l'alcool,
et l'influence du nombre des débits sur la propagation de l'alcoolisme. M. Hartmann
termine en exprimant le vœu que la statistique des débits de boisson soit complétée
et améliorée, car le nombre des licences, tel que M. Claude l'a relevé, ne donne
qu'une faible idée du nombre exact des débits proprement dits.
M. FouRNiER DE Flaix, qui prend la parole après M. Hartmann, s'exprime ainsi
qu'il suit :
Messieurs,
Grâce à la complaisance de M. Loua, notre secrétaire général, j'ai pu prendre une con-
naissance complète des deux volumes et de l'atlas publiés par le Sénat sur la question de
l'alcool. Ces trois documents sont dus, les deux premiers à M. Claude, des Vosges, et le
troisième à M. Turquan.
Ils sont les uns et les autres du plus grand intérêt; ils contiennent sur la question de
l'alcoolisme, d'une part, et, de l'autre, sur la production, la consommation et la taxation
des alcools et des boissons alcooliques, un ensemble de renseignements et de tableaux
comparatifs qu'on ne trouve encore que là.
Les graphiques, dressés par M. Turquan et composant l'atlas, sont particulièrement
remarquables. Je citerai tout spécialement ceux qui sont relatifs à la consommation des
vins en France, parce que ces graphiques offrent pour la France un intérêt plus général
que les autres.
Vous avez déjà consacré plusieurs séances à l'examen des questions aussi nombreuses
que complexes que soulève ce qu'on appelle actuellement l'alcoolisme.
Vous savez tous combien d'intérêts particuliers, anciens et nouveaux, s'y rattachent. Je
me garderai donc bien de chercher à reprendre ces questions dans leur ensemble, de
crainte de froisser des convictions que je respecte sans les partager ou de fatiguer votre
attention sur des problèmes qui sont loin de pouvoir être résolus par la statistique.
Je me bornerai à vous montrer très brièvement que les travaux de M. Claude, des
Vosges, et de M. Turquan, loin d'avoir amoindri les résultats auxquels je suis moi-même
— 253 —
nrrivé cl dont je vous ai enlrelenu déjîi, les ont si pleinement confirmés que je me suis
décidé à faire paraître une édition particulière des articles qui ont été publiés par la
Revue scienfifique, en utilisant les éludes de nos savants confrères.
Voici, quant à présent, les points les plus saisissants sur lesquels j'appelle votre atten-
tion :
1° Loi du climat. —J'ai établi, il est vrai, après bien d'autres, que la consommation
de l'alcool dépendait du climat.
Ouvrez les graphiques de l'atlas de nos confrères relatifs à la consommation des alcools,
des cidres, des bières et des vins, l'évidence se manifeste immédiatement.
Mais cette évidence est double — elle contient elle-même sa justification.
En effet, les teintes les plus fortes de la consommation de l'alcool sont au nord de la
Loire, tandis que les teintes les plus foncées de la consommation des vins se trouvent
au sud.
Le fait est tellement constant que si, dans un tableau spécial, pages 118 et 119 du
rapport de la consommation des alcools et des vins en France en 1885, vous relevez les
départements dans lesquels on consomme le plus d'alcool, vous constatez immédiatement
que ce sont les départements dans lesquels on consomme le moins de vin.
Le besoin est donc la base de la consommation de l'alcool.
2° Moyenne alcoolique. — Ces réflexions me conduisent à une constatation non moins
importante et qui peut-être vous surprendra, c'est que la moyenne alcoolique de la France
a subi une forte diminution.
La méthode, pour établir cette moyenne, est donnée par le rapport de nos confrères,
page 122. La moyenne est formée en ajoutant à la consommation d'alcool pur la quan-
tité d'alcool contenu dans les vins (le dixième), dans les bières et dans les liqueurs.
D'après cette méthode, la consommation moyenne de l'alcool du département de l'Ain est
évaluée à 7'""%63 par tète.
Grâce aux nombreux tableaux contenus dans l'atlas graphique, je puis utiliser immé-
diatement cette méthode pour montrer que de 1873 à 1885 la moyenne alcoolique de la
France s'est nlTaiblie. En effet :
Année 1885. Année 1873.
Consommation des vins. . .
. 75
11 U
— des cidres . .
. 18
12
— des bières . .
. 22
15
— des alcools. .
. 3,0
2,84
118,9 148,84
Vous voyez combien est grande la diminution et comme cette diminution porte sur le
vin, vous comprenez pourquoi la consommation de l'alcool a augmenté — vous le touchez
des doigts — aussi ces deux faits, augmentation de la consommation de l'alcool et dimi-
nution de celle des vins, sont-ils parallèles.
Vous en avez la preuve dans les graphiques. J'ajoute que la consommation de l'alcool
aurait dû être plus considérable.
Mais il y a été suppléé par l'accroissement de la consommation des bières et des cafés.
3° Alcoolisme. — Par suite, les faits d'alcoolisme (aliénation mentale, criminalité, na-
talité, suicides) ne doivent pas avoir l'importance qu'on leur avait attribuée : c'est ce qui
résulte encore des études et graphiques de nos confrères.
a) Ivresse : 1873, 52,613 cas; 1884, 54,943 cas.
b) Criminalité : Nord de la France: coefficient alcoolique, 0; coefficient criminel, 14;
Nonl-Est : coefficient alcoolique. G; coefficient criminel, 3;
Sud-Est : coefficient alcoolique, 2; coefficient criminel, 10.
— 254 —
c) Suicides : Alcoolique. L'augmentation des suicides de 1871 à 1885 a été de 11 p. 100,
moyenne.
Eh bien, de 1866 à 1870 elle a été de 14 p. 100, moyenne alcoolique inférieure.
d) Aliénation mentale : Moyenne, aliénés alcooliques :
1861-1865 9.60 p. 100
1866-1870 11.98 —
1871-1875 14.90 —
1876-1880 14.79 —
1881-1885 14.42 —
Vous le voyez, les chiffres sont en opposition complète avec les théories préconçues.
4° Fraudes. — Enfin, je termine ces observations en relevant un chiffre que nos con-
frères ont accepté sans l'examiner : c'est celui des fraudes qu'ils évaluent à 1,073,000
hectolitres.
Ils en ont conclu que les bouilleurs de cru privaient le Trésor de 1,073,000 hectolitres,
lesquels multipliés par 153 fr., donnent 164 millions.
M. Leroy-Beaulieu s'étant inscrit en faux contre cette assertion qu'il a purement et sim-
plement qualifiée d'extravagante, je crois que nos confrères feraient prudemment de
l'abandonner à son auteur A. Luzet, car elle n'est justifiée en aucune manière.
Quel est l'esprit sérieux qui admettra un seul instant qu'en France 1,073,000 hectolitres
d'alcool pur échappent à notre infanterie et à notre cavalerie de gardes à pied età cheval.
Si vous divisez 164 millions entre les 243,000 bouilleurs qui ont opéré en 1885, vous
trouvez qu'il y aurait à payer pour chacun 674 fr. d'impôt; ce qui est une véritable chi-
mère fiscale comme l'affirme encore M. Leroy-Beaulieu.
Sous le bénéfice de ces observations que je développerai dans une brochure prochaine,
je ne saurais trop rendre hommage aux études de MM. Claude, des Vosges, et Turquan,
et aux services qu'elles rendent à la statistique.
M. Turquan se propose de contester, sur plusieurs points, les affirmations de
MM. Hartmann et Fournier de Flaix ; mais, vu l'heure avancée, il demande que la
suite de la discussion soit renvoyée à la prochaine séance.
M. Cheysson ajoute qu'il aura, lui aussi, quelques nouvelles observations à pré-
senter, notamment en ce qui concerne les alcools d'industrie.
M. le Président annonce que, selon l'usage, la Société prendra ses vacances pen-
dant les mois d'août et de septembre.
La séance de rentrée aura lieu le 19 octobre prochain.
La séance est levée à onze heures un quart.
255
II.
LE JUBILÉ NATIONAL EN ANGLETERRE.
1837-1887.
Le peuple anglais a célébré, le 21 juin, la cinquantième année du règne de la
reine Victoria; et, à cette occasion, nos voisins ont fait avec une certaine satisfac-
tion l'inventaire social des progrès accomplis par la nation anglaise dans le cours
de ce demi-siècle : ils peuvent d'abord constater l'extension de l'autorité ou del'in-
(luence britannique sur de vastes régions de la terre, où la civilisation ainsi s'im-
plante ou s'élève.
De son foyer métropolitain, qui couvre à peine 315,000 kilomètres carrés et
compte moins de 37 millions d'habitants (36,308,4.99), la nation anglaise rayonne
sur toutes les parties du monde; et son drapeau national flotte aujourd'hui: en
Afrique, sur 1 million de kilomètres carrés; en Asie, sur ces immenses provinces
indiennes qui, depuis 1858, ont été consolidées en empire annexe de l'Angleterre
et qui forment un territoire de près de 4. millions (3,895,395) de kilomètres carrés,
avec une population de 24-2 millions d'habitants; en Amérique, sur plus de 8 mil-
lions de kilomètres carrés (8,707,810), avec une population de 6 millions d'habi-
tants, dont plus de 4 millions dans le Canada, érigé depuis 1867 en Dominion, État
inféodé de la couronne d'Angleterre; enfin, en Océanie, sur plus de 8 millions de
kilomètres carrés (8,050,310), avec une population de 3 millions d'habitants, pays
tout nouvellement conquis à la culture, à la civilisation, et qui compte des grandes
villes, toutes récentes, déjà peuplées autant que certaines des plus anciennes capi-
tales de l'ancien monde : Melbourne, 304,000 habitants (autant que Rome, Milan ou
Amsterdam); Sidney, 240,000 habitants (autant que Edimbourg, Munich ou Co-
penhague).
Au total, l'Empire Britannique s'étend aujourd'hui sur un ensemble de territoires
de 22 millions (21,988,863) kilomètres carrés, avec une population de 285 millions
d'habitants (285,458,000): ce qui représente le sixième de la superficie non sub-
mergée de la terre (135 millions de kilomètres carrés), et le cinquième de la popu-
lation totale de notre planète (1,400 millions d'habitants).
De 1831 à 1881 (recensements décennaux), la population du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande s'est accrue de 24 millions (24,392,485) habitants en
1831, à 35 millions (35,241,482) en 1881, et cela malgré une émigration vers les
colonies anglaises et les États-Unis, de 200,000 à 300,000 individus par an.
Cette extension de territoires et de peuples est, certes, un phénomène social
considérable et qui n'a peut-être rien d'égal dans l'histoire des nations: mais inté-
resse surtout, vu la grandeur d'une race, de la race anglaise.
Dans les actes qui ont signalé le demi-siècle du jubilé de 1837 à 1887, il en est
qui ont exercé une action éminemment utile à tous les peuples du monde civilisé.
En 1840, Robert Peel introduit dans la législation anglaise un des plus grands
principes et des plus féconds de nos sociétés modernes, la liberté des échanges,
qui devait pénétrer plus lard dans les codes internationaux de tous les peuples civi-
— 250 —
lises, et seconder l'œuvre économique et. sociale des clieiriins de fev, des haleoux à
vapeur et. des télégraphes, ces puissants facteurs nouveaux de la civilisation.
En 1840, Rowland Hill vient concourir à celte œuvre par son admirable réforme
des instruments postaux, par les tarifs uniformes et réduits pour tout le Royaume-
Uni, à un penny (10 centimes) : réforme aujourd'hui adoptée par tous les États
civilisés de la terre, et qui conduit à l'union postale universelle.
Le 22 février 1837, l'année même de l'avènement de la reine Victoria, Rowland
Hill exposa son plan de réforme postale dans une brochure intitulée : Post-Office
Reform, its Importance and practicability. A cette époque, les lettres étaient rare-
ment afTranchies, et elles payaient, suivant la distance parcourue, des tarifs qui
s'élevaient jusqu'à un shilling (1 fr. 25 c).
Rowland Hill proposait de faciliter et de rendre obligatoire l'affranchissement
préalable au moyen de l'application sur la lettre d'un timbre mobile; d'uniformiser
et de réduire les tarifs à la modique somme de un penny (10 centimes).
Après deux années et demie d'efforts, et de rudes efforts, et pourtant avec l'appui
de la presse, d'un comité de commerçants formé ad hoc, et de quelques membres
intelligents de la Chambre des communes et de celle des lords, il obtint le vote de
la loi qui consacra sa réforme, le 19 août 1839 : la mise à exécution commença le
10 janvier 184-0, date mémorable, qui marque un des plus grands progrès dans
l'outillage social de la civilisation moderne.
Dans l'année 1839, le nombre des lettres distribuées par tout le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande avait été de 82,563,000, soit 3 lettres par habitant;
après la réforme postale le nombre s'élève, en 1840, à 169 millions de lettres; et
par une progression rapide, il est, dans les années suivantes, de 227 millions, 327,
410, 523, 648; il dépasse 800 milHons en 1870; 1,008 millions en 1875; et en
1886, il est de 1,403,547,900 lettres, soit 39 lettres par habitant.
Peu d'années suffirent à vérifier ce principe du grand réformateur: que l'abaisse-
ment des tarifs multiplie les lettres à ce point que les dépenses de l'exploitation sont
bientôt couvertes par les recettes.
Celte démonstration pratique détermina peu à peu tous les autres Etats du con-
tinent d'Europe et d'Amérique à établir aussi des tarifs modérés et uniformes pour
les lettres.
Le principe de Rowland Hill vivifia aussi le service des mandats d'argent et le
service télégraphique.
Et en 1874, les États civilisés arrivèrent à s'entendre pour établir une Union
postale universelle, consacrée par le traité de Berne, pour les correspondances in-
ternationales, tarifées pour la plupart des Étals du monde à la somme uniforme et
modique de 25 centimes.
Rowland Hill mourut en 1879, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans; ses restes
eurent le suprême honneur d'être enterrés à Westminster Abbey.
Dès 1842, il avait reçu, par souscription nationale, un don de 13,360 liv. s!.
(335,000 fr.); le Parlement lui avait voté une gratification de 20,000 liv. st.
(500,000 fr.) et une pension viagère de 2,000 liv. st. (50,000 fr.), avec le litre de
secrétaire général honoraire du General Post-Ofïice. La reine l'avait élevé au rang
de Knight et au grade de commandeur de l'ordre du Bain.
Mais la récompense la plus douce à ce grand homme fut sans doute d'avoir assez
vécu pour être témoin du succès de son œuvre qui, à certains égards, a réelle-
- 257 —
ment fransformé les conditions de vie, de production, d'échange des individus el
des peuples.
Il eut aussi la satisfaction, en 1850, de seconder la création d'une institution
d'intérêt populaire, dont M. Gladstone a pu dire un jour au Parlement que depuis
Tact de Robert Peel de 1846, et l'act de Rowland Ilill de 1839, il ne voyait pas de
loi anglaise qui eut fait plus pour le progrès de la richesse et des bonnes mœurs
du peuple anglais: c'est l'act du 17 mai 1861, qui a établi les caisses d'épargne
postale.
En septembre 1859, M. Charles-W. Sickes présente à M. Gladstone, alors chance-
lier de l'Echiquier, une lettre où il montrait comment on pourrait procurer des
facilités nouvelles au peuple épargnant au moyen des bureaux de poste (plus de
7,000), organisés en agences d'une Caisse d'épargne nationale à établir comme
branche dans les services du Post-Offîce (administration générale des Postes).
M. Gladstone adopta et fit voter une loi, qui a créé cette ingénieuse institution :
le mécanisme d'opération el de contrôle de cette Caisse d'épargne est regardé par
les administrateurs les plus compétents comme un chef-d'œuvre de précision, de
simplicité et de sûreté. La Post-Office Sairings Bank, britannique, de 1861 à 1885, a
reçu en dépôts plus de 4 milliards de francs d'épargnes populaires ; et le nombre
de ces déposants, au 31 décembre 1885, était de 3,535,650, ayant un stock en
dépôt de plus de 47 millions (47,699,838 liv. st.) == 1,192 millions de francs. Au
total, en vingt-cinq ans, la Post-Office Sairings Bank a manié en dépôts reçus on
remboursés, dans plus de sept mille bureaux, 7 milliards 600 millions de francs; et
les pertes par erreur de fraude ont été à peine de un demi-penny par 100 livres
sterling; c'est une merveille de précision.
L'institution s'est propagée en Italie en 1875, en Hollande en 1880, en France en
1882, puis en Sicile, en Autriche, etc.
Sir Charles Sickes, élevé au rang de Knight par la reine, a reçu, comme son ami
sir Rowland Ilill, une riche donation par souscription publique. Reconnaissant à
son tour, il vint à Paris en 1883, malgré son grand âge, assister au Congrès scien-
tifique universel organisé par la Société des institutions de prévoyance de France,
où il prononça un discours terminé par ces paroles de tous applaudies : qu'il avait
eu à cœur, avant de mourir, de venir s'asseoir dans cette illustre assemblée des
maîtres en sciences d'Etat, à côté de son heureux disciple, M. de Malarce, qui a si
puissamment contribué par ses mémoires et ses travaux à faire apprécier et orga-
niser la Caisse d'épargne postale sur le continent d'Europe.
— 258 —
III.
LES ACCIDENTS DU TRXYML {suite el fin[i]).
Nous savons bien que, si le projet de loi rend l'assurance obligatoire, il n'impose
pas, par contre, aux chefs d'industrie l'obligation corrélative de s'adresser unique-
ment à la Caisse d'État ; il leur laisse la faculté de contracter avec des Compagnies
privées, en indiquant toutefois certaines conditions que celles-ci devront remplir.
Mais ce serait une étrange illusion de prendre au sérieux cette apparente conces-
sion faite au libre choix des assurés; ce n'est qu'un irompe-l'œil. En effet, le projet
fixe le chiffre de l'indemnité que le patron devra garantir à ses ouvriers : ce sera,
dit-il, celle qui est assurée par la Caisse d'État moyennant le paiement d'une coti-
sation annuelle de 8 fr. Prenons un exemple pour fixer les idées : un industriel
fait un contrat avec celte Caisse et lui verse 8 fr. par an pour chacun de ses ou-
vriers ; si l'un d'eux, âgé de 30 ans, vient à être blessé et que cet accident entraîne
pour lui une incapacité absolue de tout travail, il a droit à une pension viagère do
320 fr.; si, sans être dans l'impossibilité complète de travailler, il subit seule-
ment une incapacité permanente du travail de sa profession, le chiffre de celte pen-
sion est réduit de moitié. Or, il n'est pas de Compagnie privée (nous parlons d'une
Compagnie sérieuse et présentant toutes les garanties désirables) qui, pour assurer
une indemnité semblable, demande une prime inférieure à 18 ou 20 fr. ; c'est
là, bien entendu, un chiffre moyen, le faux des primes variant suivant le degré de
danger que présente le risque assuré. Prenons, si l'on veut, le chiffre de 18 fr. ;
et, pour faire une comparaison exacte, puisque la Caisse d'État ne garantit pas d'in-
demnité pour le cas d'une simple incapacité temporaire, déduisons de ce chiflVe la
portion de la prime que les Compagnies d'assurance attribuent à celte partie du
risque, soit 40 p. 100; la prime s'élèvera donc encore à 10 fr. 80 c. au minimum,
c'est-à-dire qu'elle dépassera de 2 fr. 80 c. par an et par ouvrier celle qui serait ré-
clamée par la Caisse d'État. Il est bien certain que c'est à celle-ci que s'adresseront
de préférence les industriels quelque peu soucieux de leurs intérêts; c'est donc
elle qui supportera la plus grosse partie de la charge résultant de l'innovation pro-
jetée ; et l'on ne peut douter de l'importance de celte charge quand on songe que
les Sociétés privées, qui exploitent la branche accident, tout en demandant, comme
on vient de le voir, une prime plus élevée que la Caisse d'État, tout en choisissant
les risques qu'elles consentent à assurer, ne réalisent pas, il s'en faut de beaucoup,
de gros bénéfices ; quand on songe même que quelques-unes d'entre elles, et non
des moins bien administrées, n'arrivent pas, comme on dit, à joindre les deux
bouts.
Il y a, enfin, un dernier reproche que l'on peut adresser au système adopté par
la Caisse d'assurance de l'État pour le paiement des indemnités : l'importance de
celle-ci varie suivant l'âge de la victime; c'est-à-dire que, si l'on suppose deux ou-
vriers, l'un âgé de 30 ans, l'autre âgé de 50 ans, recevant, dans un môme accident,
des blessures identiques, le premier n'aura droit qu'à une pension viagère de 320
francs, tandis que celle allouée au second sera de AM fr. par an. Pourquoi celle
(1) Voir le numéro précédent, p. 239.
— ^259 —
différence ? Les deux ouvriers, par exemple, devennnt aveugles, ne sont-ils pas
aussi intéressants l'un que l'autre ? Quelle raison y a-t-il de les traiter d'une ma-
nière si différente ? Le plus jeune aura-t-il, pour trouver du travail, des facilités
que n'aura pas le plus âgé ? Cette inégalité ne se justifie à aucun point de vue ; et
c'est là, selon nous, un vice capital du système; d'autant plus que Ton peut très
bien imaginer le cas où l'ouvrier de 30 ans sera assuré depuis dix années et aura,
pendant ce temps, payé la cotisation de 8 fr., tandis que l'ouvrier plus âgé, qui a
droit à une indemnité plus forte, ne sera peut-être assuré que depuis deux ou
trois ans.
Autre question : c'est très bien de décréter l'assurance obligatoire; mais que se
passera-l-il le jour où le patron, ayant contracté soit avec la Caisse garantie par
l'Ktat, soit avec une Compagnie privée, peu importe, n'aura pas payé la prime ?
Car, enfin, le contraindre à s'assurer ne suffira pas évidemment pour lui donner le
moyen de faire face à celte obligation; et si, la prime n'étant pas acquittée, un ac-
cident survient, l'assureur, quel qu'il soit, sera-t-il néanmoins tenu de payer l'in-
demnité stipulée? Cela n'est pas possible et serait contraire à toutes les règles, à
tous les principes en matière d'assurance; au reste, le projet ne prévoit point le
cas. L'assimilera-t-on à celui où aucune assurance n'aurait été contractée et con-
damnera-t-on le chef d'industrie à une amende ? Ce serait, il faut l'avouer, un sin-
gulier moyen de lui procurer les ressources nécessaires pour tenir ses engage-
ments ! Quoi, alors ? Le mettra-t-on en faillite? Fermera-t-on son usine? Tout cela
ne ferait pas que l'ouvrier, victime d'un accident, aurait reçu l'indemnité qu'on se
propose de lui garantir. C'est qu'il ne suffît pas d'établir une règle pour en rendre
l'application certaine, ou même simplement possible; en matière de législation, la
bonne volonté et les bonnes intentions sont impuissantes à aplanir d'avance toutes
les difficultés, et il y a loin de la théorie à la pratique.
En résumé, le projet de loi du Gouvernement fait naître, comme nous l'avons vu,
de graves et nombreuses objections; il ne fournit pas la solution du problème, et
donnerait lieu, s'il était mis en pratique, à des inconvénients et à des embarras mul-
tiples. Différent des autres projets ou propositions qui l'ont précédé, il ne vaut pas
mieux, croyons-nous; il a, notamment, le grand tort de sacrifier à cette tendance,
si répandue en France, de faire intervenir l'Etat en tout et partout. On l'a dit :
« L'Etat assureur ne vaudrait pas mieux que l'État constructeur ou exploitant de
chemins de fer, maître de forges, banquier ou boulanger. Son rôle et son devoir
ne sont pas là : tout cela appartient et doit cire laissé à l'industrie privée, qui s'en
tire et s'en tirera toujours beaucoup mieux que lui, à meilleur marché, plus sim-
plement, plus vite, et en donnant satisfaction plus complète aux intéressés. »
Dans la question qui nous occupe, chacun, pour ainsi dire, a son système; c'est
ainsi que, après le projet du Gouvernement, que nous venons de faire connaître et
d'apprécier, MM. le comte de Mun, Freppel et deux de leurs collègues ont déposé,
le 2 février 1886, sur le hureau de la Chambre, une proposition de loi « sur la pro-
tection des ouvriers victimes d'accidents dans leur travail )), dont nous allons résu-
mer les éléments essentiels.
Cette proposition commence par classer les accidents en trois catégories. Dans la
première, elle fait renti'er ceux provenant soit du vice de construction ou du man-
que d'entretien des machines et appareils, soit de l'absence ou de Tinsuffisance des
mesures de précaution qu'entraîne la nature de l'entreprise, et ceux provenant do
— 260 —
la négligence ou de Finhabilelé des agents directs de l'entreprise; dans la deuxième
sont compris les accidents dus à des cas fortuits ou de force majeure, ou à l'impru-
dence et à la négligence de l'ouvrier; enfin, la troisième s'applique aux. accidents
provenant d'une faute grave, de l'étal d'ivresse, ou d'un acte délictueux ou criminel
de l'ouvrier. Les victimes d'accidents des deux premières catégories ont droit à une
pension ou à une indemnité qui leur est payée par les caisses d'assurances spéciales
créées par la loi proposée, sauf recours contre le chef d'entreprise ou l'agent re-
connu responsable, pour les accidents rentrant dans la première catégorie. Ceux de
la dernière classe, au contraire, ne donnent lieu ni à pension, ni à indemnité. Puis,
revenant à un système qui avait déjà été adopté dans d'autres propositions, et sur
lequel nous avons donné notre sentiment, le projet de Mun-Freppel établit une ta-
rification des indemnités et pensions, en distinguant les différents cas qui peuvent
se présenter, suivant que la victime de l'accident sera un homme ou une femme,
laissera ou ne laissera pas de veuve, d'enfants légitimes ou d'ascendants sexagé-
naires, et, enfin, suivant que l'accident entraînera soit la mort, soit une incapacité
complète de travail, soit une incapacité du travail professionnel ou une diminution
de la somme de travail possible, soit une simple incapacité temporaire. La propo-
sition de loi fixe le chiffre des indemnités et des pensions qui devront être allouées
dans ces diverses hypothèses; et ce que nous avons dit plus haut, en nous occupant
de projets antérieurs, s'applique à celui-ci, à peu près sans modifications; il est
donc inutile d'y revenir.
Une innovation capitale imaginée par l'honorable M. de Mun et ses collègues
consiste dans la création, sur l'initiative des chefs d'entreprises, de Caisses corpo-
ratives d'assurances pour chaque nature d'industries ou groupe d'industries simi-
laires ; une caisse existerait dans chacune des quinze circonscriptions territoriales
établies par la loi du 19 mai 1874 et déterminées par le décret du 15 février 1875
sur le travail des enfants dans les manufactures ; les caisses d'une région pourraient
fusionner avec celles correspondantes d'une région voisine, et celles de différentes
circonscriptions territoriales appartenant à la même branche d'industrie pour-
raient, à leur tour, constituer une caisse unique, dont elles ne seraient plus que les
succursales. Elles seraient alimentées pour un quart au maximum par les ouvriers
ou employés, et pour le surplus par les patrons; la part des premiers ne pourrait
jamais dépasser 2 p. 100 du salaire, et tous ceux dont la rétribution annuelle ne
serait pas supérieure à 2,000 fr. devraient être assurés. Les caisses seraient ad-
ministrées par un conseil composé de patrons et d'ouvriers (ces derniers à concur-
rence d'un quart au moins), nommés à l'élection comme les Prud'hommes. Les ins-
titutions d'assurances ou de secours antérieurement créées dans les entreprises ou
groupes d'entreprises (mines ou chemins de fer) continueraient à exister, à la con-
dition de se conformer aux principes généraux de la nouvelle loi. Les contrais déjà
passés entre les chefs d'entreprises et des compagnies d'assurances seraient main-
tenus jusqu'à leur expiration. Les patrons qui refuseraient de se soumettre à la loi
ou qui ne verseraient pas leurs cotisations resteraient responsables individuelle-
ment des conséquences des accidents survenus dans leurs usines ; ils seraient tenus
de constituer le capital des pensions à servir aux victimes, et ce capital serait dé-
posé comme garantie à la Caisse des dépôts et consignations. Enfin, la proposition
de loi détermine les formalités à accomplir pour la constatation et le contrôle des
accidents et pour le paiement des indemnités.
- -201 —
La |)arlic originale et importante de ce projet est incontestablement la l'urmalion
décaisses corpoialives et régionales d'assurances; avant d'apprécier le système,
voyons d'abord comment ses auteurs l'expliquent et pensent le justifier. A cet égard,
l'exposé des motifs s'exprime en ces termes : « En face des résultats donnés par le
régime de l'individualisme qui, depuis si longtemps, règne en maître dans la so-
ciété, lorsque la division entre patrons et ouvriers est si profonde que toute récon-
ciliation semble impossible, il nous paraît évident que le système corporatif est,
dans son esprit et son essence même, le seul remède à cette situation désolante.
L'antagonisme des intérêts ne tendra à disparaître, le rapprochement entre patrons
et ouvriers ne pourra s'opérer que le jour où on aura créé entre eux un intérêt
commun pour leur servir de lien social ; réunissons donc patrons et ouvriers d'une
même profession autour de ce patrimoine corporatif, établissons la hiérarchie pro-
fessionnelle, c'est-à-dire le droit d'ascension régulière du travailleur dans son mé-
tier, et nous verrons bientôt renaître dans le monde du travail la paix et l'harmonie
de la famille ouvrière. Nous avons voulu faire un premier pas dans celte voie
Les entreprises industrielles de même nature, les entreprises similaires, qui sont
exposées aux mêmes risques professionnels, inhérents à l'industrie elle-même, dé-
pendant du genre de travail accompli, des outils employés, des matières traitées,
préparées ou extraites, tendent naturellement à se rapprocher, à se grouper, à s'u-
nir, pour se défendre contre les conséquences des accidents dont leurs ouvriers
peuvent être victimes. La puissance de cette entente mutuelle, le nombre des en-
treprises associées atin de parer à des périls communs, seront pour l'ouvrier la
meilleure garantie de l'indemnité pécuniaire qu'il devra toucher en cas d'accident
dont il ne sera pas l'auteur coupable. »
Ces considérations de haute philosophie sociale sont évidemment très élevées, et
nous toucheraient sans doute s'il ne s'agissait, dans l'espèce, de trouver une solu-
tion pratique à un problème que les bonnes intentions ne peuvent réussir à tran-
cher. La perspective d'un âge d'or industriel, malheureusement encore bien éloi-
gné de nous, si tant est qu'il ne soit pas un rôve, ne doit pas faire perdre de vue les
difficultés d'un ordre plus humble que présentent les moyens par lesquels on se
propose de l'atteindre. Il nous en coule de dire que ce reproche peut être adressé
aux auteurs du projet que nous étudions ; mais c'est la vérité, et nous le disons. Ce
qu'ils demandent, en définitive, c'est la création de sociétés d'assurances mutuelles
limitées; les chefs d'industries identiques ou analogues formeraient entre eux des
caisses destinées à payer les indemnités qui seraient dues à leurs ouvriers victimes
d'accidents. 11 y a à cela un premier inconvénient, qui est le suivant : toutes les
usines, toutes les manufactures, même destinées à la fabrication ou à la manuten-
tion de produits semblables, ne sont point organisées, agencées, outillées de la
même manière ; dans les unes, le travail est surveillé avec un soin attentif, tous
les perfectionnements sont adoptés et appliqués sans hésitation; une active et con-
tinuelle sollicitude des patrons, de leurs chefs de services, de leurs auxiliaires de
tout ordre, rend très rares les accidents, les fait môme disparaître d'une façon
presque absolue ; dans les autres, au contraire, ils sont fréquents par suite d'une
installation moins bien entendue, d'une surveillance moins bien exercée, de règle-
ments moins bien compris ou appliqués. Est-il équitable de les mettre toutes sur le
même plan et de faire payei- les unes pour les autres ? Laissons de côté, si l'on
veut, cette distinction, (pu' n'a, cependant, l'ien d'arbitraire, et examinons la situa-
— 26-2 —
tion à un autre point de vue; dans chacune des mutualilés seraient cantonnées ex-
clusivement les industries semblables; or, parmi les industries, il en est qui sont
particulièrement dangereuses : prenons, par exemple, celle des mines, des houillè-
res du Nord et du Pas-de-Calais ; malgré la similitude du travail, qui consiste à
extraire et à préparer du charbon, il s'en faut que toutes ces mines se trouvent
dans des conditions pareilles d'exploitation; les unes sont grisouteuses, les autres
ne le sont point; dans celles-ci, les inondations, les éboulemenis sont à craindre,
tandis que, dans celles-là, il n'y a rien de semblable à redouter. Fera-t-on, au point
de vue de la cotisation à verser, une distinction, demandant une prime différente
suivant une classification qui risquerait fort d'être arbitraire, sans compter qu'on
s'exposerait à voir les ouvriers déserter certaines usines où la retenue sur leur sa-
laire serait plus élevée, pour aller travailler dans les usines voisines, où ils auraient,
de ce chef, moins à payer ? Quoi qu'il en soit, quand il s'agira d'industries dange-
reuses, comme celle-là ou une autre, les cotisations seront toujours, et forcément,
très élevées, en raison du nombre d'accidents inévitables qui s'y produisent. Sup-
posons un « coup de grisou » se produisant dans le courant d'une année et faisant
15,20, 30 victimes ou plus; supposons une chaudière qui éclate et qui tue ou blesse
un grand nombre d'ouvriers, comme cela ne s'est vu que trop souvent. Voilà, du
coup, la caisse d'assurances non seulement vide, mais dans l'impossibilité de payer
toutes les indemnités ; il faut alors trouver des ressources ; auprès de qui? Auprès
des mukialistes, naturellement; c'est-à-dire que la prime qui aurait été, par exem-
ple, fixée, pour les chefs d'industrie de la région, à 5 p. 100 des salaires par eux
payés, et pour les ouvriers à 1 p. 100 de ces mêmes salaires, devra être pour les
premiers portée à iO, à 15, à 20 p. 100, et pour les seconds à 2 p. 100 (maximum
fixé par le projet de loi). Admettons, s'il le faut, que les patrons, dont les intérêts,
d'ailleurs, ne sont point en cause ici, puissent supporter cette aggravation de char-
ges et la supportent sans se plaindre; en sera-t-il de même des ouvriers? Peut-il
en être de même ? Qui oserait l'affirmer ? Et les réserves, avec quoi seront-elles
constituées? Et les pensions viagères, dont le chiffre s'accroîtra chaque année, avec
quelles ressources y fera-l-on face ? Le projet de loi dit bien, en effet, que, si l'ac-
cident est imputable au patron, il devra rembourser à la caisse les frais de toute
nature et la somme nécessaire pour constituer le capital d'indemnité ou de la pen-
sion à servir; mais si l'accident est le résultat d'un cas fortuit, de la force majeure,
de la négligence ou de l'imprudence de l'ouvrier, la Caisse n'aura aucun recours à
exercer contre le patron, et c'est avec ses propres deniers qu'elle devra payer les
indemnités et assurer le service des pensions, qui atteindront souvent des chiffres
fort élevés.
Enfin, les auteurs de la proposition, qui se sont manifestement inspirés de la
nouvelle législation allemande, ainsi, d'ailleurs, qu'ils le reconnaissent dans leur
exposé des motifs, n'ont pas cru devoir aller aussi loin que le Parlement de Berlin.
Après avoir répudié en termes formels toute idée de socialisme d'État, en déclarant
qu'ils ne voulaient pas de l'Etat assureur, ils n'ont pas été non plus jusqu'à décla-
rer l'assurance obUgatoire, ce qui n'aurait été, cependant, que logique avec leur
système : ils infligent seulement une pénaUté civile aux industriels qui ne feront
point partie d'une caisse d'assurance, en leur imposant l'obligation de verser à la
Caisse des dépôts et consignations le capital nécessaire pour constituer les pensions
des ouvriers victimes d'accidents. Mais qu'arrivera-t-il si ces industriels sont insoi-
— 'IQS —
vables, ou seulement dans l'impossibilité de l'aire ce versement? Quelle sera lu si^
liialion des victimes ? Qui pourvoira au paiement des indemnités et pensions ijue
le projet de loi leur alloue avec une dangereuse libéralité ? Les laissera-t-on sans
ressources, faute par leur patron de s'être confornié à la loi ou d'avoir payé lu
prime? Autant de questions que la proposition, telle qu'elle est rédigée, permet de
poser sans donner les moyens de les résoudre. En résumé, bien qu'inspirée par un
sincère désir d'èlre utile à la classe ouvrière et par une louable sollicitude pour ce
(jui pourrait, en apparence, améliorer son sort, cette proposition, dont nous
croyons avoir démontré l'inapplicabilité pratique, les regrettables lacunes, ne nous
semble pas devoir être prise en considération ; elle compliquerait le problème et
ne le Irancherail pas, ce ([ui, nous devons le dire tout de suite, ne nous parait pas
possible sur le terrain où les auteurs des divers projets persistent à vouloir se
placer.
Est-ce à dire, cependant, que tout soit pour le mieux et qu'il n'y ait rien à faiie ?
Que l'état de choses actuel ne soit susceptible d'aucune amélioration, et que, à ce
point de vue spécial des accidents du travail, nulle modification ne puisse et ne
doive être apportée aux rapports entre patrons et ouvriers? Evidemment non; tel
n'est pas notre sentiment, et nous indiquerons tout à l'heure dans quel sens des
rélbimes pourraient être faites. Avant d'y arriver, nous allons jeter un rapide coup
d'œil sur ce qui s'est fait, depuis quelques années, dans divers pays étrangers où
l'on s'est occupé de la question.
III.
En semblable matière, il n'est évidemment pas sans intérêt de rechercher ce qui
se passe dans les autres pays : on peut y trouver soit des exemples à suivre, soit
l'indication de dangers à éviter; et il est toujours bon, quand on le peut, tout en
tenant compte de la variété des milieux, des différences de mœurs, de besoins, de
caractère des divers peuples, de profiter de l'expérience des autres. Nous allons
donc examiner brièvement ce qu'ont fait, au point de vue des accidents du travail,
les nations chez lesquelles l'industrie a atteint le plus de développement.
C'est la Suisse qui s'est, la première, préoccupée de la ({uestion. Une loi du
23 mars 1877, qui n'avait, dans la pensée de ses auteurs, qu'un caractère provi-
soire, qui était, pour ainsi dire, un essai, et qui, néanmoins, fut appliquée pendant
(juatre années, posait le principe de la responsabilité absolue du patron ; deux cas
étaient seuls exceptés : celui où l'accident provenait de la force majeure, et celui où
il était dû à la faute nettement établie de l'ouvrier. La victime ou, en cas de mort
de celle-ci, ses héritiers avaient droit à une indemnité dont la fixation était laissée
à l'appréciation arbitraire des tribunaux. Il en résulta de véritables abus, les dom-
mages-intérêts alloués atteignirent souvent des chiffres excessifs et hors de toute
proportion avec le dommage éprouvé. Cependant, quelques mois après, à la date du
4 juillet 1877, fut promulguée une autre loi fédérale, spécialement applicable aux
entrepreneurs de constructions, et conçue, à peu de chose près, dans les mêmes
termes que la première.
Les inconvénients de cette législation finirent par frapper tous les esprits : les
industriels, subissant des condamnations excessives, cherchaient à en éviter les
effets en épuisant tous les degrés de juridictions et en se lançant dans d'intermina-
— 26i —
blés et dispendieux (.iiocès. On se décida eniin à revenir à un régime plus raison-
nable; loulefois, la réforme ne fut pas complète, et la loi relative aux entrepreneurs
de constructions a été maintenue en vigueur. Quant à celle du 23 mars 1877, elle
fut remplacée par une loi du 25 juin 1881, votée après une longue discussion au
sein du Conseil des États. Le principe de la responsabilité, tel qu'il avait été édicté
(juatre ans auparavant, fut conservé, mais une modification importante fut adoptée
en ce qui concerne le montant de l'indemnité : le maximum en fut fixé à six fois le
salaire annuel de la victime, avec cette restriction que ce maximum ne peut point
dépasseï' 0,000 fr., y compris les frais médicaux et d'inhumation. Il est, en outre,
établi que si une assurance a été contractée contre les accidents, et si le patron
a payé au moins la moitié des primes, les dommages-intérêts auxquels il est con-
damné doivent être diminués de l'indemnité payée d'autre part en raison de l'as-
surance. La loi, malheureusement, a eu le tort de confondre deux choses bien
distinctes : l'accident et la maladie ; et elle déclai'e le patron responsable de l'une
comme de l'autre, lors même qu'il n'y a pas eu faute de sa part, et à moins qu'il
prouve que la maladie, comme l'accident, a eu pour cause la force majeure, un
acte criminel ou délictueux, ou enfin la propre faute de l'ouvrier. « Il faut avouer,
a-ton dit, à ce propos, avec raison, que c'est un peu trop dépasser les limites de
la sévérité que de faire entrer en ligne de compte les maladies que l'on aura jugées,
à tort ou à raison, avoir été causées par l'exploitation d'une fabrique. Un médecin
lui-même ne peut toujours déterminer avec certitude les véritables origines des ma-
ladies des ouvriers. Que de causes latentes, en effet, ne faut-il pas faire entrer en
ligne de compte, la faiblesse de constitution, les privations continues, les excès,
l'hérédité, bien des causes qu'on ne peut toujours soupçonner et qu'on applique
bien souvent à l'industrie, qui n'y est pour rien ! » En définitive, la loi suisse, tou-
jours appliquée avec la plus grande rigueur, a certainement dépassé son but; et
c'est ici le cas de dire que le remède a été pire que le mal, car, depuis la mise en
pratique de cette nouvelle législation, l'exercice de certaines industries est devenu
absolument impossible: c'est là, on en conviendra, une singulière façon de défen-
dre les intérêts des ouvriers !
En Angleterre, une première loi, entrée en vigueur le 1'^'' janvier 1879, a refondu
en un seul texte les dix-neuf lois antérieures (jui s'étaient succédé depuis 1802. Dès
l'année suivante, fut volé un nouvel Ad, qui fut appliqué à partir du l'^' janvier
1881, qui étendit les cas où le recours de l'ouvrier peut s'exercer et qui régle-
mente actuellement la responsabilité des patrons. Nous allons faire connaître les
principales dispositions de cette nouvelle loi, qui doit rester en vigueur jusqu'au
31 décembre 1887.
Dans les cinq cas suivants, la responsabilité dy patron est engagée : 1° si l'acci-
dent est dû au vice de construction des chemins, ouvrages, machines ou matériel
mis en œuvre dans l'industrie du patron ; 2° s'il a été causé par la négligence d'une
personne employée au service du chef d'industrie, chargée de la direction ou de
l'inspection des travaux, et seulement pendant l'exercice de cette surveillance ;
3° s'il est résulté de la négligence d'une personne au service du patron, et sous les
ordres de laquelle se trouvait l'ouvrier, pourvu que la blessure soit la conséquence
de son obéissance; 4° s'il a eu pour cause l'exécution ou l'omission d'un fait de la
part d'une personne au service du patron, à la condition qu'elle se soit conformée
aux règlements généraux de l'établissement ou aux instructions spéciales d'une
— 2G5 —
autre personne fondée de pouvoirs du patron; 5" et, enfin, s'il peut être attribué à
la négligence d'une personne au service de l'industriel et chargée de la surveillance
d'un poste, d'un signal, d'une station, d'une machine à vapeur ou d'un train sur
une voie ferrée. Dans ces diverses circonstances, l'ouvrier blessé et, s'il est mort
des suites de l'accident, ses ayants cause ont le même droit à l'indemnité et au re-
cours contre le patron que si cet ouvrier n'avait pas été attaché à son service ni
employé à ses travaux.
Au contraire, il n'est dû aucune indemnité : 1" si l'état défectueux du matériel et
de l'inslallation n'est imputable à la négligence ni du patron ni d'une personne à
son service, chargée de la surveillance; 2" si l'accident n'est pas le résultat de l'im-
perfection ou des dispositions incomplètes des règlements, lesquels ne peuvent être
critiqués s'ils ont été approuvés et adoptés par l'un des secrétaires d'Etat, parle mi-
nistre du commerce, par tout autre département du Gouvei-nemenl, ou par un acte
du Parlement; S° enfin si l'ouvrier, ayant eu connaissance du défaut ou de la négli-
gence dont il a été victime, n'en a pas informé soit son supérieur, soit le patron
lui-même, à moins, toutefois, qu'il ail su que l'un de ceux-ci en était avisé.
La loi fixe le maximum de l'indemnité à une somme équivalente au total du sa-
laire des trois années ayant précédé l'accident. En outre, la victime ou ses repré-
sentants touchent le montant de toute assurance qui aurait été contractée en sa
faveur, même si les primes en ont été payées par le patron seul ; mais si des in-
demnités lui avaient été allouées en vertu d'une loi antérieure pour le même acci-
dent, elles ne feraient pas double emploi et seraient déduites de l'indemnité nou-
velle.
L'avis de la blessure doit être donné dans un délai de six semaines ; la demande
d'indemnité doit être formée dans les six mois qui suivent l'accident, et, en cas de
mort, dans l'année du décès. Enfin, la loi détermine les formalités à remplir pour
la déclaration des accidents, règle les questions de compétence et accorde aux par-
ties la faculté d'appel.
En résumé, comme on le voit, la législation anglaise ne difîère guère, sur ce
point, de la législation française; elle ne met pas l'accident fortuit à la charge du
patron, et elle oblige l'ouvrier à prouver la responsabilité de ce dernier. « Elle rend
justice à l'ouvrier, mais elle ne met pas le patron à sa merci. Elle permet à celui-ci,
en fixant l'indemnité par avance, d'apprécier l'étendue du risque qui peut lui in-
comber et de se garantir contre ce risque. Elle oblige les parties à réfléchir avant
l'attaque ; car, en accordant l'appel, elle permet de faire traîner les procès en lon-
gueur et d'appliquer à la partie qui succombe les frais définitifs, qui dépassent, en
Angleterre, tout ce qu'on peut imaginer. »
En Autriche, l'article 93 de la sixième section du Règlement industriel porte que
tout chef d'industrie est tenu d'entretenir et de réparer à ses frais toutes les instal-
lations d'ateliers, de machines ou d'instruments de travail nécessaires «î la protec-
tion de la vie et de la santé des ouvriers ; il doit spécialement veiller à ce que les
machines ou leurs parties, les roues motrices, transmissions, arbres de couche,
courroies ou autres, soient entourés ou pourvus d'enveloppes protectrices, et à ce
((ue, durant les heures de travail, les ateliers soient éclairés, propres et exempts
de poussière, que le renouvellement de l'aii' y réponde toujours au nombre des ou-
vriers, et enfin à ce que la diffusion des vapeurs nuisibles ne puisse, autant que
possible, s'y produire.
18
— 26(3 —
D'après l'arlicle 94 du même Bèglement, la responsabilité à établir doit êlrepiou-
\ée par l'ouvrier demandeur contre le patron. Le tribunal ne doit instruire une de-
mande que si l'on n'a pu arriver à une transaction devant le juge arbitral en matière
industrielle, si l'affaire implique une procédure qui ne puisse se traiter oralement,
et si l'intérêt civil représente plus de 60 florins. Il n'est pas astreint, d'ailleurs, aux
règles légales en matière de preuves, et, suivant sa libre conviction formée par
l'examen consciencieux des moyens de preuve produits, il doit statuer sur la ques-
tion de droit, l'étendue et le montant des prétentions. En cas d'assurance, les som-
mes provenant du contrat sont déduites de l'indemnité, si le patron a contribué
pour un tiers au moins au paiement de la prime. Toute réduction ou suppression
sur celte indemnité, stipulée d'avance par le chef d'industrie, est nulle.
C'est encore là, sauf en ce qui concerne l'assurance, à peu près la législation fran-
çaise actuelle.
Nous devons ajouter que le Reichsrath autrichien a été saisi, par le Gouverne-
ment, d'un projet de loi relatif à l'assurance des ouvriers contre les accidents et les
maladies. Conformément aux vœux exprimés par la majorité de la commission par-
lementaire, ce projet ne s'appliquerait ni aux ouvriers de la petite industrie, ni aux
ouvriers agricoles, sauf quelques exceptions soigneusement spécifiées. D'une façon
générale, l'assurance ne serait pas applicable là où il n'y aurait ni chaudière à va-
peur ni machine à engrenage. La loi proposée viendrait seulement en aide aux tra-
vailleurs dont les gages n'atteignent pas annuellement 2,000 fr., et qui sont oc-
cupés dans les mines, fabriques ou usines, carrières et chantiers de construction.
Les ouvriers travaillant dans les champs ou dans les forêts ne bénéficieraient des
dispositions de la loi que s'il existait dans l'exploitation des machines à vapeur ou
des métiers à engrenage. L'assurance serait obligatoire pour les entrepreneurs
comme pour les ouvriers. Les assurances privées seraient totalement exclues. Cha-
que province de l'Empire aurait sa caisse d'assurances; les caisses seraient dirigées
par des comités composés des représentants des patrons pour un tiers, des délé-
gués des ouvriers pour un autre tiers, et de membres nommés par le Ministère
pour le troisième tiers. Enfin, les primes à payer seraient acquittées à concurrence
de 10 p. 100 par les ouvriers et de 90 p. 100 par les entrepreneurs.
« En Italie, il n'y a pas de loi sur la question ; mais un projet qui la concerne a
été, en mars 1883, déposé par M. Berti au Parlement italien. Ce projet a en vue les
Compagnies de chemins de fer, les propriétaires ruraux, les propriétaires ou con-
cessionnaires de mines, de carrières et d'usines. Il stipule d'abord que les patrons
seront toujours solidairement responsables, sauf toute action de reprise entre eux
ou contre qui de droit, du préjudice qui peut être causé au corps ou à la santé des
travailleuis occupés par eux, par le fait même de leurs travaux; mais que leur res-
ponsabilité cessera quand il sera prouvé que l'accident aura été le fait d'une négli-
gence de l'ouvrier même, ou lorsque ce sera un cas fortuit ou de force majeure.
Le montant de l'indemnité sera fixé par l'autorité judiciaire en tenant compte des
circonstances dans lesquelles a eu lieu l'accident et de la situation économique des
personnes sur lesquelles pèse la responsabilité. Dans tous les cas, cette indemnité
devra toujours comprendre, outre la réparation du préjudice, les frais faits pour
obtenir la guérison, el, en cas de mort immédiate, les frais d'enterrement. La future
loi italienne stipule qu'en cas d'assurance les sommes payées par les Compagnies
viendront en déduction de l'indemnité, si le patron a payé au moins un tiers des pri-
— 207 —
mes. Tout ouvrier aura droit à l'assistance judiciaire; les tribunaux devront procé-
der par voie sommaire ou d'urgence; la sentence devra être exécutoire, nonobs-
tant tout appel ou opposition, et sans caution. »
Quant à la loi du 7 juillet 1883, qui a créé une caisse d'assurance au moyen du
syndicat de plusieurs j^rands établissements (inanciers de la Péninsule, elle n'a dé-
rogé en rien, ni explicitement, ni implicitement, aux principes du droit commm),
(jui sont les mêmes dans la législation italienne que ceux actuellement en vigueur
en France.
Enfin, d'après la loi allemande du 7 juin 1881, le patron est seulement respon-
sable s'il ne peut prouver que l'accident provient de la force majeure, d'un cas for-
tuit, ou de la faute de la personne tuée ou blessée; ce n'est donc pas à la victime
ou à ses ayants cause à établir la responsabilité. L'indemnité est fixée arbitraire-
ment par les tribunaux. Toutefois, en cas de mort, elle doit comprendre les frais
médicaux, les frais d'enterrement et le dommage matériel éprouvé; dans les autres
cas, elle porte seulement sur les frais de traitement médical et sur le préjudice causé
à la victime par l'incapacité temporaire ou permanente de travail ou par la diminu-
tion de l'aptitude au travail qui en est résultée pour elle. La prescription est fixée
à deux ans à partir de l'accident ou du décès. Enfin, la loi ne s'applique qu'aux
chemins de fer, mines, carrières, sablières, et établissements industriels ana-
logues.
(Juant à l'assurance, elle est régie par une loi du juillet 1884, qui ne concer-
nait, dans le principe, que les ouvriers employés dans les établissements industriels,
mais qui, depuis, a été étendue aux employés des postes, des télégraphes, des che-
mins de fer, à ceux dépendant de l'administration de la marine ou de l'armée, aux
ouvriers employés aux travaux de curage, au camionnage, à la navigation inté-
rieure, au flottage, à l'exploitation des bois, aux aqueducs, au halage, enfin aux per-
sonnes exerçant le métier d'expéditeur, emmagasineur, metteur en cave, empa-
queteur, facteur, trieur, peseur, mesureur, inspecteur et arrimeur. Tous ces ou-
vriers et employés, quand leur salaire ou traitement annuel ne dépasse pas 2,000
marcs, doivent être assurés; pour les autres, l'assurance est facultative. En cas
d'incapacité de travail résultant d'un accident, l'indemnité comprend les frais de
traitement à partir de la treizième semaine (jusque-là, ils sont à la charge des cais-
ses d'assurance contre la maladie), et une rente variant suivant le degré d'incapa-
cité ; en cas de mort, la famille reçoit les frais funéraires, et il est alloué une rente
à la veuve, aux enfants, et, dans certaines conditions, aux ascendants. Le maximum
des rentes réunies est déterminé par la loi; ces rentes et indemnités sont calculées
d'après le salaire de la victime pendant l'année qui a précédé l'accident. Des syn-
dicats industriels obligatoirement organisés entre les patrons, sur la base de la mu-
tualité, soit de leur propre initiative, soit par le Conseil fédéral, sont chargés de
pourvoir à l'assurance; chacun d'eux comprend les industries similaires d'un même
rayon. La loi fixe leur mode d'organisation et les détails de leur fonctionnement.
Les ressources de ces syndicats sont fournies par des cotisations annuelles ré|)ar-
ties entre leurs membres et basées sur le chiffre des salaires payés dans chaijue éta-
blissement, et sur la classification des risques d'accidents; il est créé un fonds do
réserve au moyen d'un supplément de cotisation dû pour les onze premières an-
nées, et successivement décroissant. Bien que les cotisations soient payées par les
patrons seuls, il est accordé aux ouvriers, dans tout syndical, une part de repré-
— 2G8 ~
sentation comptant autant de membres qu'en compte la direction formée par les
patrons. Des tribunaux d'arbitres sont institués pour trancher les différends, mais
c'est, en principe, la direction du syndicat qui fixe le montant de l'indemnité. Les
syndicats sont placés sous la surveillance de l'Office impérial des assurances, qui a
son siège à Berlin ; il se compose de trois membres permanents nommés par l'Em-
pereur et de huit membres extraordinaires, dont quatre sont choisis par le Conseil
fédéral dans son propre sein, et les quatre autres sont élus par la direction des
syndicats et par les délégués des ouvriers assurés. Enfin, la loi autorise les pa-
trons qui ont avec des Compagnies des contrats en cours pour l'assurance de leur
personnel contre les accidents, à exiger que ces contrats soient repris par les syn-
dicats.
IV.
Il nous reste maintenant à conclure, après avoir successivement exposé les di-
vers éléments de la question. Nous croyons avoir fait ressortir d'une manière suf-
fisante les inconvénients et les dangers que présentent les divers projets de loi
conçus par le Gouvernement ou dus à l'initiative de plusieurs membres delà Cham-
bre des députés. Les uns posent sans hésiter le principe de la responsabilité illimi-
tée et absolue du patron en matière d'accidents du travail; ce n'est pas seulement
le bouleversement de toutes les règles de notre droit privé, c'est encore, nous
n'hésitons pas à le dire, une iniquité qui conduirait, au détriment même des ou-
vriers que l'on entend protéger, aux plus graves conséquences. Les autres vont
jusqu'à édicter l'assurance obligatoire, sans se rendre compte des difficultés que
présenterait l'application d'un semblable système ; et il est, disons-le en passant,
assez singuHerde voir des hommes qui se réclament sans cesse de leurs sentiments
libéraux adopter de gaîté de cœur, et sans paraître y songer, des résolutions frap-
pées au coin du plus pur autoritarisme. D'autres encore se déclarent les partisans
résolus de l'assurance par l'Etat, comme si la preuve n'était pas déjà surabondam-
ment faite que l'Etat est un détestable assureur, ainsi que le démontre l'insuccès
complet des Caisses d'assurances créées en 1868, pour ne point parler ici du sys-
tème désastreux qui régit la question des pensions de retraite des fonctionnaires
civils. En outre, ne voit-on pas que, si l'on admet l'État assureur en matière d'ac-
cidents, il n'y a aucune raison pour qu'il ne devienne pas aussi assureur maritime,
assureur sur la vie, assureur contre l'incendie, etc. ?
Enfin, plusieurs projets établissent une tarification des accidents ; si choquant
que puisse paraître le mot, il faut bien cependant appeler les choses par leur nom.
C'est absolument inadmissible ; c'est la négation de toute équité, de toute justice
distributive ! Accorder, par exemple, une indemnité identique à tous les ouvriers
célibataires, quels que soient leur âge, leur valeur personnelle, leur moralité;
frapper d'une condamnation identique tous les patrons, sans se préoccuper de leur
situation de fortune, de l'importance de leur industrie, du soin qu'ils apportent à la
surveiller, des précautions qu'ils prennent, sans leur donner la possibilité et le droit
de se défendre et de prouver la faute de la victime, c'est là, nous le répétons, un
procédé trop radical pour èire juste.
Si, d'autre part, nous nous reportons aux législations étrangères, que voyons-
nous? Les unes sont, à peu de chose près, la reproduction de la législation fran-
çaise en matière de responsabilité de droit commun ; et rien n'établit, en somme.
— 269 —
que les ouvriers soumis à ce régime s'en trouvent plus mal. Ailleurs, en Suisse par
exemple, le législateur, après avoir adopté les mesures les plus radicales, a été
obligé de revenir sur ses pas, et il est permis de dire qu'il n'a pas encore trouvé
une solution approchant de la perfection. En Allemagne, enfin, un système absolu-
ment nouveau a été mis en pratique, comportant l'ingérence absolue et constante
de l'administration; c'est le triomphe, en cette matière, du socialisme d'Elal. Quels
résultats produira cet essai ? Il est de date trop récente pour qu'on puisse encore
se prononcer avec quelque certitude. Toujours est-on autorisé à prétendre, et c'est
là notre avis, que, puisque, dans ce grajid pays industriel, l'expérience est tentée, il
serait bon, pour les nations voisines, d'en attendre un peu les effets, de façon à
pouvoir mettre à profit les enseignements qu'elles en pourront tirer. Si l'expé-
rience réussit, rien ne s'opposera à ce que, dans un avenir plus ou moins prochain,
on se rallie au système adopté par l'Empire allemand et qu'on édicté des réformes
qui s'en rapprochent plus ou moins. Mais il faut, croyons-nous, ne pas se presser
et ne pas s'exposer à faire une « école » comme celle qu'a faite la Suisse.
Est-ce à dire, toutefois, qu'il n'y ait rien à faire? Est-ce à dire que tout soit, chez
nous, parfait, et qu'aucune amélioration ne soit possible à l'état de choses actuel ?
Telle n'est pas notre pensée, nous l'avons déjà dit, et, à cet égard, nous trouvons
d'excellentes idées dans la brochure de M. Alfred Mayen, dont nous avons parlé
plus haut ; nous ne saurions mieux faire que de nous inspirer de ce travail, rédigé
avec une connaissance approfondie de la question.
La responsabilité du patron étant actuellement limitée aux cas où son impru-
dence ou sa négligence ont été les causes d'un accident, la première réforme à
adopter consisterait à étendre cette responsabilité aux accidents qui résultent de la
profession même, de l'outillage, du cas fortuit ou de la force majeure, et qui ne
donnent droit à aucune indemnité. Comme complément de cette extension de res-
ponsabilité, nous voudrions qu'il fût établi contre le patron une présomption légale
en vertu de laquelle il serait, en principe, tenu d'indemniser ses ouvriers de tout
accident dont ils seraient victimes dans son usine ou sur ses chantiers, à moins
qu'il pût administrer la preuve que l'accident est dû à la faute de l'ouvrier. Ce se-
rait, en définitive, suivant l'expression consacrée, « renverser le fardeau de la
preuve ». Celte double réforme étant admise, nous pensons qu'il y aurait lieu de
laisser aux tribunaux une assez grande liberté d'appréciation, au point de vue de
l'impoilance de l'indemnité à allouer; néanmoins, pour éviter d«s abus toujours
possibles, on pourrait fixer un maximum qu'ils ne devraient point dépasser, et qui
leur permettrait, dans leurs allocations, de tenir compte de toutes les circonstances
et de prendre en légitime considération la situation respective des parties. Nous
considérons, d'ailleurs, comme absolument inutile et comme dangereuse la création
de tribunaux d'exception chargés de juger les affaires d'accidents : il n'y a aucune
raison pour s'arrêter dans une pareille voie, et rien ne s'opposerait à ce qu'on en
vînt peu à peu à demander des juridictions spéciales pour toute espèce de conflits,
pour les questions de sociétés, pour les questions de brevets d'invention, pour les
divorces, etc. Nous estimons que les tribunaux actuels sont tout à fait en état et en
mesure de juger tous les différends qui peuvent naître à l'occasion des accidents ;
qiielques réformes de détail suffiraient pour faire cesser des lenteurs dont on se
plaint avec juste raison : par exemple, l'extension de la compétence des juges du
premier degré, l'abréviation des délais, la simplification des procédures d'enquête,
— 270 —
l'assimilalion de tontes les affaires d'accidents aux « affaires sommaires », l'obliga-
tion pour les tribunaux de se prononcer dans un délai maximum de deux ou trois
mois, toutes mesures destinées à donner aux victimes et à leurs familles une prompte
satisfaction.
Car, en celte matière, tout en sauvegardant les divers intérêts en cause, il est
indispensable qu'on arrive à une solution rapide; et, à cet égard, nous trouvons
dans l'étude de M. Mayen une idée qui, au point de vue de l'instruction prépara-
toire des affaires, nous semble de nature à produire d'excellents résultats prati-
ques. « Dans les 48 heures de l'accident, à peine de perdre tout recours, la victime
ou son représentant en fera la déclaration au maire de sa commune. Le maire pro-
cédera à une enquête sommaire pour s'assurer que l'accident s'est bien produit au
cours du travail. Nous croyons devoir expliquer pourquoi nous confions au maire
et non au juge de paix le soin de recevoir les déclarations et de faire la première
enquête. La centralisation au chef-lieu de canton de toutes les déclarations d'acci-
dents produirait, dans bien des cas, un encombrement, et, par conséquent, des re-
tards que nous voulons prévenir. Au contraire, dans chaque commune, il y a un
maire qui s'acquittera facilement de la tâche que nous proposons de lui confier, et
les intéressés ne seront pas obligés de se rendre au chef-lieu de canton, souvent
éloigné Dans les villes où les accidents pourront être fréquents, le personnel
des mairies sera toujours assez nombreux pour faire le travail. Rappelons ici qu'il
n'y a que 2,863 juges de paix en France, tandis qu'il y a 36,000 maires, auxquels
on peut fort bien imposer la simple constatation dont il s'agit Enfin, il ne serait
pas sans inconvénient de charger les juges de paix de la première instruction d'af-
faires dont ils pourraient avoir à connaître plus tard. » Si, après cette enquête, les
parties se mettaient d'accord, le maire en dresserait simplement procès-verbal, et
tout serait terminé ; sinon, l'affaire serait aussitôt renvoyée devant le tribunal com-
pétent.
A ces réformes principales peuvent s'ajouter quelques autres modifications, telles
que l'obligation, dans tous les cas, pour le patron, de fournir à la victime d'un acci-
dent les premiers secours indispensables, l'assistance judiciaire accordée de droit
dans toutes les affaires de cette nature, la dispense de tous droits de timbre et d'en-
registrement. Voilà ce qui, selon nous, pourrait et devrait être fait; aller plus loin
serait aller trop loin. 11 faut surtout qu'on se garde d'étendre outre mesure les attri-
butions de l'Etat. En dehors de l'initiative qu'il déviait prendre des différentes ré-
formes que nous venons d'énumérer, son rôle doit être, sinon tout à fait passif, au
moins très discret. Qu'il favorise par tous les moyens la création et le développe-
ment des sociétés de secours mutuels, qu'il encourage le système de la participation
des ouvriers aux bénéfices, qui a déjà produit les meilleurs résultats, qu'il soutienne
les associations d'industriels créées dans le but de prévenir les explosions de ma-
chines à vapeur et les accidents en général. « Voilà ce que doit faire l'Etat; voilà les
points sur lesquels doit porter sa constante sollicitude Mais l'Etat doit savoir ré-
sister à la tendance, malheureusement trop prononcée en France, de s'en rappm'-
ter à lui pour toutes choses, de le charger de tout faire et de lui laisser toutes les
responsabilités. »
Henry Duhamel.
i
— S7l —
IV.
l'enseignement commercial et les écoles de commerce en FRANCE
ET DANS LE MONDE ENTIER (1).
Nous avons déjà annoncé en quelques mots ronvrage que M. Eugène Léautey,
chef de bureau au Comptoir d'Escompte de Paris, a fait paraître sous ce litre. Ce
livre a été signalé au monde enseignant par une série d'articles remarquables de
M. Jacquemart, inspecteur général de l'enseignement technique, dans la Revue pé-
dagogique, et au monde économique par M. Levasseur, de l'Institut, qui l'a pré-
senté avec de grands éloges à l'Académie des sciences morales et politiques (mai,
SMivraison des séances et travaux de l'Académie). Nous croyons devoir, à notre
tour, signaler, d'une façon plus complète, l'ouvrage de M. Léautey à l'attention des
lecteurs du Journal de la Société de statistique de Paris.
Cet ouvrage est, selon M. Levasseur, le manuel le plus complet et le plus métho-
dique que nous possédions sur l'enseignement commercial. Il vient d'être l'objet
de souscriptions importantes des ministères du commerce et de l'instruction publi-
que, des chambres de commerce, des conseils municipaux de nos grands centres
et de plusieurs sociétés d'enseignement, parmi lesquelles la Société philolechnique,
la Société philomathique de Bordeaux, etc.
M. E. Léautey s'était déjà fait connaître par une publication intitulée: Questions
actuelles de comptabilité et d'enseignement commercial^ qui eut pour elTet d'en-
courager nombre de conseils municipaux à multiplier les créations de cours com-
merciaux pour les adultes des deux sexes. Celivre, qui n'était que le développement
d'une longue campagne poursuivie par son auteur dans la presse et notamment dans
l'Evénement, avait eu aussi pour résultat de déterminer la formation de nombreux
groupements dans la corporation des comptables de Paris et de province, tels que
sociétés d'études, cercles, chambres syndicales, etc. dont l'action utile s'est déjà fait
sentir au point de vue de la propagation des connaissances professionnelles et de
l'idée d'association.
*
* *
Les faits économiques, dit M. Jacquemart, sont venus montrer dans ces dernières
années, l'urgence de l'enseignement réclamé avec tant d'insistance par M. Léautey,
et l'on sait que les faits, en agissant directement sur les intérêts de chacun, consti-
tuent le meilleur moyen de persuasion. La concurrence étrangère dont souffre de
plus en plus notre commerce, les krachs successifs, les révélations de l'enquête
poursuivie naguère par une commission de la Chambre, l'exemple de ce qui se
passe dans les pays voisins, toutes ces causes et d'autres encore ont éclairé l'opinion
sur l'urgence de l'enseignement commercial, objet d'un délaissement inconcevable
chez une nation qui aspire à maintenir son rang commercial.
Le moment actuel est donc favorable à la publication d'un travail d'ensemble
sur cette question de l'enseignement utilitaire. L'auteur a mis des années à réunir
les matériaux de son livre, à les classer, à les condenser, à les comparer, à en
1) Librairie comptable et chez Giiillaumln et C".
— 272 —
dégager les enseignements utiles, les conclusions nratirniP. Cm,. /, a
f.ui.s dans un avenir p.-ochain, ...ce à l'orga:- ItCT en ~ ^S;::
enlrepnse par le rainislére du commerce el de l'industrie " '"' '"«'''"'que
.ir:x t- -ion^S'^^ " '"'' '" '"""'''''' '~ ^- --^- *
1° L'enseignement commercial et les écoles de commerce en France ■
2 L enseignement commercial et les écoles de commerce à Vétranaer ■
3 Appreamons sur cet enseignemmX; m,oyen de V améliorer el de ledévelorwrr
Nous allons faire connaître les faits saillants et les principales données Î^tZe^
contenus dans cet ouvrage ainsi que les conclusions générales. ^^^^^'^"^f"^^'
1° L'enseignement commercial en France.
Cette première partie, consacrée aux écoles françaises, en indique les détails de
leur fonctionnement financier, administratif et pédagogique
.^olre enseignement commercial comprend trois groupes d'écoles Le premier
groupe (enseignement secondaire et supérieur) compte sept école de Lm^me"
dont deux a Pans et cinq en province. tu.nmerce,
Le nombre de leurs élèves se répartit comme suit en 1886 :
École supérieure de commerce de Paris, fondée en 1820 un -u
Ecole des hautes études commerciales, fondée en 1881 JJ» ^^'•
Ecole supérieure de Rouen, fondée en 1871 ,^ ~
Ecole supérieure de commerce et de tissage de Lyon," fondée en 1872 " ' OQ I
Ecole supérieure de commerce de Marseille, fondée en 1872 " ' " ll^ _
Ecole supérieure de commerce du Havre, fondée en 1871 lO J
Ecole supérieure de commerce de Bordeaux, fondée en 1874 ". '. ' ' '. '. u\ _
Au total, 618 élèves, chiffre vraiment insuffisant pour une population de M mil-
nons d habitants, dont le sixième est adonné au commerce. M Léautev fa t rem r-
quer que la seule Académie de commerce de Vienne, en Autriche, possède nomb e
r ;:;^t;:';: rdl:" ^^^ '''-- '- " '-'-- ^ '-^-^^^- ^- ^^
Mais s. la France a élé devancée en malièredenseignemen