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LE
DROIT INTERNATIONAL PUBLIC
DE L'EUROPE
PAR
A. -G. HEFFTER,
CONSEILLER A LA COUR SUPRÊME DR JUSTICE ET PROFESSEUR
A L'UNIVERSITÉ DE RERL1N.
TRADUIT
SIR LA III. ÉDITION DE L'ORIGINAL ALLEMAND
»
ET AUGMENTE
D'UN TABLEAU POLITIQUE DE L'EUROPE, DES NOUVEAUX
TRAITÉS ET DE LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE
PAR
JULES BERGSON,
DOCTEUR EN DROIT.
; *--
PARIS.
COTILLON, ÉDITEUR, LIBRAIRE
Unter dm Linden 23. DU CONSEIL D'ÉTAT,
loOl* *u coin de In rue SouflBot, 23.
BERLIN.
E.-H. SCUMEDER, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
^
AVANT-PROPOS.
L'année qui vient d'expirer, est venue ajouter une belle page
aux annales du droit maritime. La guerre sur mer était restée
sauvage et barbare. Les vieilles lois maritimes avaient sur-
vécu dans leur négation du droit de propriété privée. La
France, qui, la première, a donné l'exemple du respect dû aux
droits des peuples neutres si longtemps méconnus, qui, pendant
tout le xvnr siècle, a persisté dans la voie de la justice et
de l'équité où elle était entrée la première, est parvenue enfin
à faire inscrire dans le Code des nations les principes formulés
dans ses déclarations officielles, comme dans ses décrets les
plus célèbres. En faisant le sacrifice de- la course, dans laquelle
elle était sans rivale, elle a acquis incontestablement un titre
à la reconnaissance des peupl^, Déjà l'Europe presque tout
entière a adhéré aux nouvelles', .règles maritimes, consacrées
dans la déclaration du 15 avril. Il né resté qu'un pas à franchir
pour faire disparaître des lois internationales les derniers vestiges
d'une coutume barbare, et pour faire respecter la propriété sur
mer comme elle l'est sur terre.
Il y a une autre propriété qui, dans ces dernières années,
a obtenu une consécration solennelle. Le décret du 28 mars 1852,
en prohibant d'une manière absolue la contrefaçon, sur le terri-
toire français, d'ouvrages publiés à l'étranger, forme, pour la
France, un second titre à la reconnaissance des peuples. Dix-
sept conventions conclues avec les principaux États limitrophes,
ont déjà répondu à cette belle manifestation. La contrefaçon,
cette industrie interlope qui naguère encore s'exerçait ouverte-
ment aux portes mêmes de la France, à la honte du xix* siècle,
a enfin cessé d'exister. La propriété de la pensée, la plus
légitime peut-être, sera désormais respectée entre les nations.
IV AVANT -PROPOS.
Pendant que la France, fidèle à sa mission, a pris ainsi
Tinitiative des idées généreuses, l'Allemagne poursuit sa marche
progressive dans la voie de rapprochement de ses divers États.
La convention relative à un système monétaire uniforme, conclue
récemment à Vienne, complète l'ensemble des mesures destinées
à fonder l'unité industrielle de l'Allemagne, dont la Prusse, il
y a une trentaine d'années, a pris la glorieuse initiative. Ce
n'est pas sur ce terrain seulement qu'elle a obtenu de brillants
succès. Le sol si morcelé de la vieille Germanie a été en tout
temps 4e sol favori de la science diplomatique: cultivée avec
soin au sein des écoles universitaires, elle a trouvé, dans ses
nombreuses Cours souveraines, un champ fécond d'application
pratique. Chaque siècle a ajouté un riche contingent à la longue
suite de ses éminents publicistes. Le xvp siècle a produit le
grand Leibnitz, qui a éclairé du flambeau de son génie universel
plusieurs branches importantes de la diplomatie, et le savant
Pufendorf; le xvneWolf, le philosophe, les deux Cocceji, les
deux Moser, Ptitter, Schmaufs, Schmalz et Frédéric de Martens ;
le xix» Charles de Martens, Klttber, Sch<5ll, Saalfeld, P6litz etc.
Nous croyons donc faire une chose utile, en venant offrir
au public français le manuel très - estimé d'un professeur vénéré.
Dans un cadre restreint, il contient un résumé des principes
du droit public européen, tels qu'ils ont été formulés succes-
sivement par les travaux séculaires des écoles, et éclairés au
point de vue de la critique moderne. Au moment même où,
sous les auspices de l'auteur, nous préparions cette édition
française, une traduction de l'ouvrage fut annoncée par un
publiciste très -estimé, M. Ch, Vergé, de l'Académie. En cham-
pion loyal, il s'est retiré de la lice dès qu'il a eu connaissance
de notre entreprise, en nous évitant ainsi une sérieuse con-
currence. C'est un hommage tout spontané rendu aux droits
d'auteur, que nous aimons à enregistrer, un exemple qui trou-
vera de l'écho, nous l'espérons, de l'autre côté du Rhin !
Paris, février 1857.
BERGSON.
TABLE DES MATIÈEES.
INTRODUCTION.
I. Du droit international en général. P,ge
Existence d'un droit international: sa définition. § 1 .... 1
Fondement et sanction du droit international. § 2 2
Caractère des lois internationales. §3 4
Divisions du droit international: ses rapports avec la politique. § 4 5
Garanties accidentelles du droit international: l'équilibre des
États. § 5 ! 6
II. Le droit public européen.
Origines. § 6 8.
Limites territoriales du droit public européen. § 7 14
Sources du droit international: démêlés et traités politiques des
États européens. § 8 15
Théories et littérature du droit public. § 9 20
III. Droits réciproques spéciaux. des nations.
Caractère général de ces droits. § 10 26
Modes d'acquisition. § 11 27
La possession sert de règle subsidiaire aux rapports inter-
nationaux. § 12 29
LIVRE PREMIER.
DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX.
Chapitre Ier- %
DES PERSONNES ET DE LEURS RAPPORTS FONDAMENTAUX.
Observations générales. § 13 31
Section I. L'homme par rapport à l'État. § 14. 15 32
VI TABLE DES MATIERES,
Section H. États souverains. Page
I. Définition, nature et diverses espèces d'États. § 16 — 25 . . . 35
II. Droits fondamentaux des États dans leurs rapports mutuels.
§ 26 51
Égalité des États. § 27 52
Droits de préséance des États européens. § 28 53
Droits fondamentaux et individuels des États:
1. Droit d'existence libre et indépendante. § 29 56
2. Droit de souveraineté. § 30. 31 59
3. Droit de respect mutuel des États. § 32 63
4. Commerce mutuel des nations. § 33 67
III. Modifications des droits fondamentaux des États dans leurs rap-
ports mutuels.
1. Conflits des droits souverains de différentes nations. § 34 70
Conflits de juridiction de plusieurs États. § 35 .... 71
a. Conflits des lois pénales. § 36 72
b. Conflits des lois en matière civile. §37 — 39 . . . 76
2. Rapports des États avec le pouvoir spirituel. § 40. 41 . . 86
3. Exterritorialité. § 42 94
4. Servitudes internationales. §43 .... » 98
5. Droit d'intervention. §44— 46 106
IV. Droits internationaux accidentels. §47 107
Section ni. Des souverains et de leurs rapports personnels et de
famille. § 48 108
Acquisition de la souveraineté en général. § 49 109
Modes d'acquisition de la souveraineté. § 50 112
Entrée au pouvoir. § 51 114
Double personnalité du souverain. § 52 114
Rang international des souverains. § 53. 54 115
Rapports internationaux de la famille du souverain. § 55 . . 120
Rapports privés des familles souveraines. § 56 123
Perte de la souveraineté personnelle. § 57 124
Section IV. Rapports internationaux des sujets des différents
États.
Classifications. § 58 125
Caractère international des rapports de sujétion. § 59 . . . . 126
Droits des étrangers en général. § 60 ....*.... 128
Droits des forains. § 61 130
Rapports légaux des étrangers. § 62 131
Droit d'asile et d'extradition. § 63. 63 b- 134
TABLE DES MATIÈRES. VII
Chapitre IL
DES BIENS.
De la distinction des biens. § 64 140
Territoire d'un État. § 65 141
Limites des territoires. § 66 142
Étendue du territoire. § 67 144
Dépendances de l'État et colonies. § 68 145
Modes d'acquisition du domaine international. § 69 . . * . . . . 146
Droit d'occupation. § 70 148
Aliénation du domaine international. §71 150
Comment se perd le domaine international. § 72 152
Choses non susceptibles d'être possédées. — La mer. § 73 ... 153
Du domaine de la mer. § 74 155
La mer près des côtes peut être soumise à la propriété. § 75 . . 157
D'une mer enclavée dans les terres d'un État. § 76 159
Domaine des fleuves. § 77 161
Des navires et des droits de navigation. §78 — 80 163
Chapitre m.
DES OBLIGATIONS.
Section L Des traités publics.
Caractère obligatoire des traités internationaux en général. § 81 171
Division des traités publics. § 82 172
Conditions essentielles des traités publics.
1. Cause licite. § 83 174
2. Capacité des parties contractantes. § 84 176
3. Consentement libre. § 85 178
Sources des traités. § 86 179
Forme substantielle. § 87 180
Tierce -intervention lors de la conclusion d'un traité. § 88 . . 182
Modalités des traités. § 89 184
Objet et division générale des traités. § 90 184
Traités d'association. § 91 186
1. Traités d'amitié ou d'alliance. § 92 187
2. Traités fédéraux (confédérations). § 93 190
Effets généraux des traités. § 94 191
Interprétation et application des traités par voie d'analogie. § 95 193
Sûretés données pour l'observation des traités. § 96 .... 194
VIII TABLE DES MATIÈRES.
Garants des traités. § 97 196
Résiliation des traités. — Exceptions. § 98 198
Extinction des traités. § 99 201
Section II. Engagements qui se forment sans convention.
1. Faits licites. § 100 202
2. Faits illicites. § 101 — 103 203
Violations du droit international réprimées partout. § 104 . 207
LIVRE DEUXIEME.
DROIT IKTEMATIOML PENDANT LA GUERRE.
«r.
Chapitre I
DES CONTESTATIONS INTERNATIONALES ET DES MOYENS
DE LES VIDER.
Leurs causes. § 105 209
Différents modes dont peuvent être terminées les contestations. § 106 209
Tentatives amiables. § 107 210
Moyens d'entente particuliers sur certains points litigieux. § 108 . 211
Compromis. § 109 212
Actes de violence et représailles. § 110 215
Application de mesures de rigueur ou de rétorsion. § 111 .... 217
Embargo et blocus. § 112 219
Chapitre II.
DU DROIT DE GUERRE.
Définition de la guerre. § 113 221
Parties belligérantes. § 114 223
Puissances auxiliaires. § 115 — 117 224
Théâtre de la guerre. § 118 228
Droit de la guerre proprement dit; — usages, raison de guerre. § 119 228
Commencement des hostilités. § 120 231
Mesures qui précèdent ou accompagnent la déclaration de guerre. § 121 232
Effets directs du commencement des hostilités. § 122 234
Effets de la guerre sur le commence des sujets ennemis. § 123 . . 236
Lois personnelles de la guerre. § 124 238
Pirates; Corps francs; Corsaires. § 124 *• 239
Pratiques licites de la guerre. § 125 242
TABLE DES MATIÈRES. IX
Traitement des personnes ennemies et des prisonniers. 8 126 . . . 245
Captivité. §127— 129 248
Droits sur les choses qui appartiennent à l'ennemi. § 130. 131 . . 251
État de la jurisprudence moderne. § 132 255
Effets de la conquête sur la condition de la propriété immobi-
lière. § 133 256
Choses incorporelles (Créances). § 134 257
Acquisition de choses mobilières. § 135. 136 260
Occupation maritime. § 137 — 139 264
Droits des parties belligérantes sur les biens ennemis qui se trouvent
dans leurs territoires respectifs. § 140 269
Conventions de guerre. §141 — 143 271
Chapitre m.
DES DROITS DES NEUTRES.
Introduction. § 144 276
Causes et fin de la neutralité. § 145 277
Devoirs des neutres. § 146 279
Développement des règles précédentes. § 147 280
Devoirs des sujets des États neutres. § 148 284
Droits des neutres. § 149. 150 285
Liberté du commerce des nations neutres. § 151 . ; 288
Origines et développements de la jurisprudence relative aux devoirs
des neutres. § 152 289
Diverses questions relatives aux droits des neutres. § 153 .... 293
Droit de blocus. §154 — 156 295
Interprétation forcée du droit de blocus. § 157 301
Prohibition du commerce de contrebande. § 157 *■ 302
Origines de la contrebande de guerre. § 158 304
Définition légale de la contrebande de guerre. § 159 306
Objets de contrebande. § 160 307
Cas où il y a lieu de saisir pour contrebande de guerre. § 161 . . 311
Transport des propriétés des belligérants par les navires neutres. § 162 313
Le pavillon ne couvre pas la marchandise. § 163 315
Le pavillon couvre la marchandise. § 164 318
Cas controversés du commerce neutre. Cas licites. § 165. 166 . . 322
Droit de visite (Jus visitationis). §167 — 169 325
Convoi des navires neutres. § 170 330
Saisie des navires neutres. § 171 333
X TABLE DES MATIÈRES.
P*g«
Juge compétent pour prononcer la prise. § 172. 173 335
Mesures extraordinaires des belligérants à l'égard des neutres. § 174 338
Coup d'oeil rétrospectif sur les droits des neutres. § 17Ô .... 341
Chapitre IV.
FIN DE LA GUERRE — DE ^USURPATION ET DU DROIT
DE POSTLIMINIE.
I. Fin de la guerre. § 176 345
1. Cessation générale des hostilités. § 177 346
2. Soumission complète de l'un des États belligérants. § 178 346
3. Traités de paix. §179— 181 347
Clauses spéciales des traités de paix. § 182 352
A partir de quel moment les traités de paix produisent -ils leurs
effets? §183 353
Exécution des traités de paix; — leur suspension. § 184 . . . 354
II. Interrègne et usurpation. § 185. 186 355
m. Droit de postliminie. § 187 358
Droit de postliminie au profit des nations et de leurs sou-
verains. § 188 359
Droit de postliminie par rapport aux particuliers et aux droits
privés. § 189 362
Diverses applications du droit de postliminie en matière ci-
vile. § 190 364
Reprises ou recousses des navires. § 191. 192 367
LIVRE TROISIEME.
DES FORMES DU COMMERCE INTERNATIONAL
OU DE LA PRATIQUE DBS ÉTATS DANS LEURS RELATIONS RÉCIPROQUES
EN TEMPS DE FAIX ET EN TEMPS DE GUERRE.
Introduction. § 193 371
Chapitre Ier-
RÈGLES GÉNÉRALES DU CÉRÉMONIAL DANS LES RELATIONS
RÉCIPROQUES DES NATIONS ET DES SOUVERAINS.
Règles générales. § 194 371
Droit de préséance. § 195 374
De la courtoisie. § 196 376
Cérémonial maritime. § 197 376
TABLE DES MATIÈRES. XI
Chapitre IL
DU COMMERCE DIPLOMATIQUE DES ÉTATS. Paf#
Introduction. § 198 380
Section I. Des agents du commerce diplomatique.
Origine et principe naturel. § 199 381
Droit d'envoyer ou de recevoir des agents diplomatiques. § 200 382
Classification des agents du commerce diplomatique. § 201 . . 384
Condition légale des personnes diplomatiques en général. § 202 385
Des prérogatives dont jouissent en général les agents diploma-
tiques. § 203 386
Inviolabilité. § 204 387
Exterritorialité. § 205 389
Devoirs des agents diplomatiques en pays étranger. § 206 . . 391
Devoirs de l'agent diplomatique envers de tierces puissances. § 207 393
I. Différents ordres d'agents diplomatiques. § 208 394
Choix de la personne du ministre public. § 209 397
Expédition de l'agent diplomatique; — établissement de son ca-
ractère public. § 210 398
Droits des personnes diplomatiques en général. § 211 .... 400
Droits du ministre public qui découlent du principe d'exterri-
torialité.
1. Inviolabilité. § 212 401
2. Droit du culte privé ou domestique. § 213 403
3. Immunité de la juridiction criminelle dont jouit l'agent di-
plomatique. §214 404
4. Exemption de la juridiction civile et de police. § 215 . . 406
5. Juridiction exercée par le ministre étranger sur les per-
sonnes de sa suite. § 216 407
Quelques autres immunités du ministre public. § 217 .... 410
Cérémonial d'ambassade. § 218 411
Rang des agents diplomatiques entre eux. § 219 412
Prérogatives spéciales des ministres de première classe. § 220 . 413
De la famille et de la suite du ministre public. § 221 . . . 414
II. Agents et commissaires. § 222 417
Fin des missions diplomatiques. § 223 419
Effets de la suspension et de la fin des missions diplomatiques.
§224—226 420
Section IL De l'art diplomatique.
Définition. § 227 424
Origines et progrès de l'art diplomatique. § 228 426
XII TABLE DE& MATIÈRES.
Caractères diplomatiques. § 229 428
But de la,|Uplomatie. § 230 431
École de diplomatie. § 231 433
Capacité et responsabilité de l'agent diplomatique. § 232 . . . 434
Art de négocier. § 233 437
Section III. Des formes des négociations diplomatiques. § 234 . . 438
Langue diplomatique. § 235 439
Style diplomatique. § 236 441
Correspondance des souverains. § 237 442
Diverses espèces de compositions diplomatiques. § 238 . . . 444
Manière de négocier. § 239 444
Congrès. § 240 446
Chapitre m.
ÉTABLISSEMENTS PARTICULIERS DU COMMERCE
INTERNATIONAL.
Voies de communication internationales, voies postales, ferrées et
télégraphiques. — Établissements de quarantaine. § 241 . . . 448
Institutions internationales pour l'industrie. § 242 450
Traités et établissements de commerce et de navigation. § 243 . . 452
Des consuls. § 244. 245 457
Attributions des consuls actuels. §246—248 459
Chapitre IV.
DE L'ESPIONNAGE.
Règles générales. § 249 464
Espions de guerre. § 250 464
Espions politiques. § 251 465
APPENDICE.
I. Tableau des principaux traités constitutifs du système politique
moderne de l'Europe 467
II. Traité de paix et d'amitié, conclu, le 30 mars 1856, entre la
France, l'Autriche, le royaume -uni de la Grande-Bretagne et
d'Irlande, la Prusse, la Russie, la Sardaigne et la Turquie . . 476
III. Déclaration du 16 avril 1856, qui règle divers points de droit
maritime 487
INTRODUCTION.
s •• • ■ ' k
I.
DU DROIT INTERNATIONAL EN GÉNÉRAL.
EXISTENCE D'UN DROIT INTERNATIONAL:
SA DÉFINITION.
§ 1. lies jurisconsultes romains définissaient le droit des
gens (jus gentium), les usages des peuples qui servaient de
règle commune, uniforme à leur commerce international comme
à leurs institutions civiles et sociales, autant que ces dernières
n'avaient pas revêtu un caractère particulier et individuel.1 Il
représentait dès lors à la fois le droit public externe et le droit
commun de l'humanité. C'est le premier élément seulement, celui
d'un droit public externe, d'un droit international (jus inter gen-
tes) 2 qu'on retrouve dans notre droit des gens moderne. L'autre
élément du droit antique, celui d'un droit privé commun à tous
les hommes de la même culture s'est perdu ou du moins ne fait
partie de la Loi internationale qu'autant qu'elle a plaeé certains
droits individuels et certains rapports privés sous la sauvegarde
et la garantie des nations.
Existe-t-il un droit public externe reconnu partout? Cer-
tainement non. Un droit semblable n'a jamais existé chez toutes
les nations. Ce n'est que dans certaines contrées du globe qu'il
1) Voir sur cette définition Isidore, Origines V, 4. Dirksen, im Rheini-
schen Muséum fur Jurisprudenz 1, 1. Welcker, Encyclopàdie und Method.
Stuttgart 1829. p. 88. 123. v. Savigny, System des heutigen r&mischen
Rechtes I, p. 109. 413.
2) Zouch dans son Jus feciale, publié en 1650 s'est pour la première
fois servi de cette expression comme la seule vraie. d'Aguesseau l'ap-
pelait le droit entre les gens. Depuis Bentham le terme droit international
(international la%) est devenu le terme usuel. V. Wheaton, histoire du
droit des gens p. 45 et 46. (2* édit. p. 142.)
1
2 INTRODUCTION. § 2.
s'est développé: c'est surtout dans notre Europe chrétienne et
dans les États fondés par elle qu'il a obtenu l'assentiment uni-
versel, en sorte qu'avec pleine raison on lui a décerné le nom
de droit européen.1 Dans ce droit les divers États, c'est-à-dire
les souverains et leurs peuples, figurent comme personnes ou
êtres moraux.
FONDEMENT ET SANCTION DU DROIT INTERNATIONAL.2
§ 2. Le droit en général se manifeste dans la liberté ex-
térieure de la personne. L'homme individu pose son droit lui-
même lorsque par sa volonté il crée le fait et la modifie selon
les inspirations de sa conviction intime ou de ses intérêts du
dehors. Mais dans les rapports sociaux des individus, le droit
s'établit par leur volonté collective ou par celle de l'autorité à
laquelle ils obéissent : le droit alors c'est l'ordre social. Aucune
association permanente n'existe dépourvue de lois : Ubi societas
ibi jus est. Le droit néanmoins ne comporte pas toujours avec
lui la sanction qui le protège et l'impose d'une manière efficace :
à côté de ce droit obligatoire, il existe un droit libre que les
individus mêmes doivent protéger afin de le conserver entre eux.
Le droit international avec son caractère primordial appartient
à cette dernière catégorie. Chaque État commence par poser lui-
même la loi de ses rapports avec les autres États. Dès qu'il est
sorti de l'isolement, il s'établit dans son commerce avec les autres
une loi commune à laquelle aucun ne peut plus se soustraire,
*) Les peuples sauvages, les Musulmans etc. n'observent pas la même
loi internationale; ainsi que l'ont judicieusement observé Leibnitz, Codex
juris gentium, proœmium ; Montesquieu, Esprit des lois I. chap. 3 ; Ward,
Inquiry into the law of Nations I, 156; K. Th. Piitter, Beitrâge zur
Vôlkerrechts-Geschichte. Leipz. 1833. p. 50 suiv. Sur le droit international
des Chinois, des Indous et des Perses on peut consulter H. Ph. E. Hael-
schner, de jure gentium apud gentes Orientis. Halae 1842 ; sur celui des
peuples sauvages et demi- sauvages: Fallati, Tiibinger Zeitschrift fiir
Rechtswissenschaft 1850; sur celui de la Porte v. au § 7 ci-après.
2) Nous indiquerons au § 9 ci -après les diverses théories et la litté-
rature du droit international. M. Wheaton dans ses Éléments du droit
international. Leipzic 1848. 1. 1, p. 18 ne nous a compris que d'une ma-
nière imparfaite.
§ 2. DU DROIT INTERNATIONAL EN GÉNÉRAL. 3
sans renoncer en même temps ou du moins sans porter atteinte
à son existence individuelle et à ses rapports avec les autres.
Cette loi se rétrécit ou s'élargit avec le degré de culture des
nations. Reposant d'abord sur une nécessité ou sur des besoins
purement matériels, elle emprunte dans ses développements à la
morale son autorité et son utilité: elle trace à l'action un but
strictement moral, après s'être affranchie successivement de ses
éléments impurs. Fondée en effet sur le consentement général
soit exprès soit tacite ou présumée du moins d'une certaine
association d'États, elle tire sa force de cette conviction com-
mune que chaque membre de l'association dans des circonstances
analogues, éprouvera le besoin d'agir de même et pas autrement
pour des motifs soit matériels soit moraux. La loi internationale
néanmoins ne s'est pas formée sous l'influence d'un pouvoir
législatif, car les Etats indépendants ne relèvent d'aucune autorité
commune sur la terre.1 Elle est la loi la plus libre qui existe:
elle est privée même pour faire exécuter ses arrêts, d'un pou-
voir judiciaire organique et indépendant. C'est l'opinion publique
qui lui sert d'organe et de régulateur: c'est l'histoire qui sous
le nom antique de dtxfi (justice), confirme le juste en dernière
instance et en poursuit les infractions sous le nom de Némésis.
Elle reçoit sa sanction dans cet ordre suprême qui tout en créant
l'État n'y a pourtant proscrit ni parqué la liberté humaine, mais
a ouvert la terre tout entière au genre humain. Assurer au dé-
veloppement général de l'humanité dans le commerce réciproque
des peuples et des États une base certaine, telle est la mission
qu'elle est appelée à remplir: elle réunit à cet effet les États en
un vaste faisceau dont aucun ne peut se détacher.2
1) Les jurisconsultes anglais notamment, p. ex. Rutherforth, Insti-
tutes of national law H, 5. ont par suite nié le caractère positif du droit
international. Ils ont perdu de vue que le droit civil s'est pareillement
développé dans les États du moins en grande partie, en dehors de l'inter-
vention de l'autorité suprême: il constitue ce Jus non scriptum, quod
consensus fecit. C'est ce que M. Austin (Province of jurisprud. determ.
London 1832) a déjà entrevu.
2) L'Espagnol François Suarez (décédé en 1617) dans son ouvrage
nDe legibus etDeo législature" professait déjà ces idées élevées; v. aussi
v. Ompteda, Literatur des VOlkerrechts 1, 187.
1*
4 INTRODUCTION. §8.
CARACTÈRE DES LOIS INTERNATIONALES.
§ 3. Un grand nombre d'auteurs enseigne que l'accord for-
mel des États souverains, résultant tant des traités conclus entre
eux que des modes de conduite réciproque ou bien encore de
l'analogie des principes par eux adoptés, est la source con-
stitutive unique des règles du droit international. D'autres auteurs
les appuient surtout sur les usages des nations: d'autres encore
supposent une loi naturelle supérieure qui oblige tous les États
et dont ils découvrent les éléments par une espèce d'intuition
philosophique. La vérité ainsi que nous l'avons déjà observé,
est que les États n'admettent entre eux d'autres lois obligatoires
que celles résultant d'un consentement réciproque, lequel toute-
fois pour être valable n'a besoin ni de la sanction formelle des
traités ni de l'homologation de la coutume. Les traités comme
la coutume constituent uniquement des espèces formelles du droit
international.1 Nous devons en effet admettre les distinctions
suivantes, savoir:
I. Un droit réciproque des États, de ceux notamment placés
au même niveau de culture qui dérive d'une nécessité in-
térieure et qui par suite n'a besoin d'aucune sanction for-
melle. Car il existe certains principes qu'aucun État qui d'une
manière régulière et permanente veut participer au commerce
international ne saurait renier et dont il suppose la recon-
naissance chez les autres : il éviterait autrement ou romprait
ses relations avec eux. Tel est le droit de respect réciproque
de la personnalité, fondé sur le besoin de vivre ensemble
en paix. Telle est la loi des traités politiques et des am-
bassades, qui repose sur le besoin d'un commerce internatio-
nal régulier. Telle est encore la loi qui ordonne que les
guerres soient faites avec humanité: elle est le résultat de
la négation d'un état de guerre permanent. Vouloir méconnaître
l'existence de ce droit non écrit et nécessaire, ce serait ra-
baisser au dernier niveau la morale des États chrétiens.
l) Il est permis d'appliquer au droit international ce que Modestin
disait dans la loi 40. D. dé legib. „Omne jus aut nécessitas fecit aut con-
sensus constituit aut firmavit consuetudo."
§ 4. DU DROIT INTERNATIONAL EN GÉNÉRAL. 5
II. A côté de ce droit préexistant, on rencontre en outre dans
les associations d'Etats un droit fondé sur certains actes
volontaires, établi et constaté:
1° par la reconnaissance générale expresse ou tacite d'un
principe général dans une espèce déterminée sans y
être limité dans l'application;
2° par le contenu et l'esprit des traités publics;
3° par l'application et l'observation uniformes partout du
même principe dans des cas analogues, laquelle repose
d'une part sur l'opinion d'un engagement envers les
autres, d'autre part sur celle du droit d'en exiger l'exé-
cution; — les usages, les observances des États dont
la preuve résulte surtout de l'existence des mêmes in-
térêts réciproques et de la réciprocité de traitement.
De ces usages internationaux il faut distinguer ceux
unilatéraux, adoptés par un État particulier à l'égard
des États et des sujets étrangers, conformes à sa consti-
tution particulière ou bien commandés seulement par de
simples égards de politesse et d'humanité; les considé-
rations purement personnelles, qui forment la Courtoisie
des Etats ne créent aucun droit aux profits des autres.
A côté de ce droit commun ainsi établi des associations
d'États, il peut sans doute exister encore le droit spécial ré-
gissant les rapports internationaux de certains États, dont nous
expliquerons les modes d'origine ci -après au § 11.
DIVISIONS DU DROIT INTERNATIONAL: SES RAPPORTS AVEC
LA POLITIQUE.
§ 4. Aucune société ne peut compter sur une paix éter-
nelle. Les nations comme les individus pèchent elles-mêmes
et entre elles. La guerre est la voie d'expiation par laquelle
les nations se relèvent de la décadence. Supposer un âge d'or
sans la guerre et sans ses nécessités, c'est supposer un état
des nations exempt de péchés. H est certain que la guerre en
provoquant un certain mouvement moral raffermit des forces
qui pendant la paix dorment ou s'émoussent sans profit.1 En
x) „Nullum omnino corpus sive sit illud naturale sive politicum, aba-
que exercitatione sanitatem suam taeri queat. Reguo autom aufc rav
6 INTRODUCTION. § 5.
offrant une protection contre l'injustice et contre les violations
de la volonté libre et rationnelle des nations, elle conduit elle-
même au rétablissement de la paix troublée. Loin de vouloir
l'ignorer, le droit international doit donc au contraire lui tracer
ses lois. Par suite ce dernier se subdivise essentiellement en
deux sections distinctes, à savoir:
I. Le droit de paix qui expose les rapports fondamentaux
des Etats entre eux, à l'égard des personnes, des choses
et des obligations.
IL Le droit de guerre, analogue au droit des actions du droit
civil1 qui trace les règles de la justice internationale.
A ces deux sections se rattache ensuite comme une troisième
»
III. La pratique extérieure des Etats, notamment les lois et
les formes du commerce diplomatique.
A côté du droit international, comme la plus rapprochée de lui
parmi les sciences politiques, se place la politique externe des
États, la théorie de la sagesse de leur conduite réciproque. Une
contradiction entre le droit international et la politique, bien que
trop fréquente en réalité, ne doit pas exister naturellement:
il n'y a qu'une vérité, il n'y a pas de vérités contradictoires.
Une politique moralement correcte ne peut jamais faire et ap-
prouver ce que réprouve la loi internationale, et d'un autre
côté celle-ci doit admettre ce que l'oeil vigilant de la politique
a reconnu absolument nécessaire pour la conservation des États.
Car la propre conservation de l'État forme sans contredit la
condition tacite de son entrée dans une association internatio-
nale: il faut en dire autant de sa prospérité publique.
garanties accidentelles du droit international:
l'équilibre des états.
§ 5. L'histoire raconte les périls et les violations sans
nombre du droit international là même où il s'est établi d'une
manière certaine dans la conscience des nations. Exposé à un
publicae iustum atque honorificum bellum loco salubris exercitationis est,
Bellum civile profecto instar calons febrilis est, at bellum externum instar
caloris ex motu, qui valetudini imprimis conducit. Ex pace enim deside et
emolliuntur animi et corrumpuntur mores." Baco, Serai, fidel. t. X. p. 86.
l) „ Jus belli." Isidore, Orig. cap. 9. 10. D. 1. l'appelle „jus inilitare."
§ 5. DU DROIT INTERNATIONAL EN GÉNÉRAL. 1
degré éminent aux séductions de la force ambitieuse de dominer
les autres pour les asservir à ses desseins, il n'est protégé en
quelque sorte que par un certain équilibre politique des nations.
Cet équilibre consiste généralement en ce que l'État individu
qui voudra tenter une violation du droit international contre un
autre, provoquera une réaction non seulement du côté de l'État
menacé, mais aussi de tous les autres cointéressés au système
international commun, assez énergique pour empêcher toute
altération dangereuse des rapports politiques établis. Dans la
pratique il ne suppose pas précisément l'équilibre matériel des
États dont l'histoire ne fournit guère d'exemples, et s'il pouvait
jamais s'établir, il serait sujet à des transformations continuelles,
la loi qui préside au développement, au progrès et à la déca-
dence des forces nationales n'étant pas partout la même. Il
consiste surtout dans la garantie collective et morale d'une as-
sociation d'États inégaux, garantie qui a pour but d'obliger ses
membres de s'opposer à la suprématie d'un seul par la force réunie
de tous. En ce cas il va sans dire que la force physique ou
morale nécessaire pour repousser les agressions du plus fort
ne doit pas faire défaut, car autrement l'équilibre et la loi inter-
nationale deviendraient un vain mot. Mais considérée en elle-
même, l'idée d'un équilibre politique des États n'est nullement
une chimère, ainsi que plusieurs auteurs l'ont prétendu, mais
une idée éminemment naturelle aux États professant la même
loi. Ce sont les applications seulement qu'on en a faites, les
déductions qu'on en a tirées à certaines époques que nous de-
vons réprouver1.
l) Les ouvrages bibliographiques publiés par Ompteda (Lit. H, 484 suiv.)
et par Kamptz (N. Lit. 97. 99) contiennent des notices littéraires sur l'équi-
libre européen. V. Kliiber, droit des gens § 42. V. aussi Fichte, Reden
an die deutsche Nation. Berlin 1808. p. 411— 417. Sur l'influence de
l'idée d'équilibre dans le droit des nations on peut consulter le § suivant.
g INTRODUCTION. § 6.
H.
LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN.
ORIGINES.1
§ 6. Chez les peuples de l'antiquité déjà on rencontre dans
leurs rapports internationaux des usages uniformes, surtout en
ce qui concerne leurs modes de faire la guerre, de recevoir les
ambassades, de conclure des traités entre eux et d'admettre le
droit d'asile. L'observation de ces usages néanmoins ne repo-
sait nullement sur la sanction d'une obligation morale envers
les autres peuples, mais plutôt sur des idées religieuses et sur
les moeurs qu'elles avaient établies. Les ambassadeurs et ceux
qui venaient implorer la protection du peuple étaient réputés
inviolables, parce qu'il les considérait comme étant placés sous
la sauvegarde de la religion dont ils revêtaient les symboles
sacrés. Pareillement des solennités, des serments et des sacri-
fices plaçaient les traités politiques sous la protection divine.
Mais en dehors de ces idées religieuses on ne se croyait nul-
lement tenu envers les étrangers. „La guerre éternelle aux
barbâtes", fat le mot d'ordre, le „ schiboleth u de la nation la
plus civilisée du monde antique, les Grecs, dont les philosophes
aussi ne reconnaissaient d'autres rapports juridiques avec les
nations étrangères que ceux fondés sur des traités.9 Des liens
plus étroits existaient sans doute, même des rapports juridiques
*) Le principal ouvrage a été publié par R. Ward, Inquiry into the
foundation and history of the law of nations in Europe from the time of
the Greeks and Romans to the âge of H. Grotius. London 1795. 2 vols.
Ensuite H. Wheaton, histoire des progrès du droit des gens depuis la Paix
de Westphalie. Leipz. 1841. 2* édit. 1846. Mtiller-Jochmus, Geschichte des
Vôlkerrechts im Alterthum. Leipzig 1848. F. Laurent (professeur à Gand),
histoire du droit des gens. Paris 1851. T. I— m. 3e édit. 1853. de Wal,
Inleiding tôt v. W. d. h. Volkenregt. Groning. 1835. p. 124—171.
2) „Cum alienigenis, cum barbaris aeternum omnibus Graecis bel-
lum est." Liv. XXXI, 29. V. aussi ce que dit le philosophe Épicure dans
Diogène Laert. Apophthegm. XXXI, 34—36 et ce que disent Platon et
Aristote.
§ 6, LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 9
permanents entre les tribus de même race, mais ils tiraient leur
force surtout de la communauté du Culte religieux et des in-
stitutions politiques auxquelles elle servait de base.1
Les Romains ne professaient guère des idées plus libérales.2
Les auteurs qui à ces règles ont donné le nom de droit
des gens de l'antiquité, ne se sont pas écartés de la vérité:
néanmoins il faut convenir que ce droit si imparfait faisait en-
core partie du droit religieux sinon de toutes ces nations, du
moins des plus éclairées.3
La coutume internationale du moyen âge se présente en-
core sous des formes plus rudes, non dans les rapports des
peuples chrétiens avec les infidèles seulement, mais aussi entre
eux. Cette rudesse nous apparaît surtout dans les contrées ma-
ritimes du Nord, dans ces contrées d'où la race aventureuse et
hardie des Normands s'est répandue en essaims nombreux sur
toutes les côtes de l'Europe et y a fondé des royaumes prospères.4
Au Christianisme néanmoins échut la noble mission de di-
riger les peuples dans une nouvelle voie. Son amour de l'hu-
manité, son précepte: fais du bien aussi à tes ennemis, ne pou-
vaient guère s'accommoder avec un état d'hostilité permanente.
Les circonstances suivantes surtout méritent d'être remarquées
comme ayant contribué à rapprocher entre eux les États chré-
tiens de l'Europe et à faire admettre des droits communs réci-
proques, savoir:
l) Ce qu'on désignait sous le nom de xowoç vêpoç 'Eklyvay. Thucy-
dide IQ, 58. V. St. Croix, Gouvernements fédératifs p. 51. C'est là notam-
ment qu'il faut remarquer l'institution moitié religieuse, moitié politique de
la Ligue amphictyonique.
a) Nous rappelons cette maxime de la Loi des XII Tables: adversus
hostem aeterna auctoritas esto, maxime qui se retrouve encore dans les
collections Justiniennes, où elle est formulée ainsi: que tous les peuples
avec lesquels des pactes n'ont pas été conclus, sont réputés „hostes.a
L. 5. § 2. L. 24 Dig. de capt. L. 118 D. de Verb. Sign. V. Osenbrtiggen,
de jure belli et pacis Romanor. Lips. 1835.
8) Les conclusions se retrouvent dans les ouvrages suivants: W. Wachs-
muth, jus gentium quale obtinuit apud Graecos. Berol. 1822. et A. W. Heff-
ter, prol. acad. de antiquo jure gentium. Bonn. 1823.
4) V. le tableau intéressant publié dans l'ouvrage de Ptitter, cité p. 2
note 1 ci -dessus, p. 48 suiv.
10 INTRODUCTION. § 6.
I. La réunion de l'Église occidentale sous un chef spirituel.
Eome a eu le mérite de provoquer par son autorité mo-
rale la suppression de nombreux usages barbares dans le
commerce des peuples;1
II. La Chevalerie et les croisades;
ni. La propagande du droit romain avec son caractère de droit
commun de toute la Chrétienté.3
Sous cette triple influence s'est formé le droit public européen
dont les bases positives furent les principes du christianisme
et du droit romain, ce dernier dans les limites tracées par
TÉglise. Dès lors les règles de la loi civile considérée comme
loi naturelle et divine, et par suite comme infaillible, ayant été
appliquées aux rapports internationaux, ont formé le lien com-
mun que le schisme religieux du xvie siècle ne pouvait plus
dissoudre et qui Ait admis dans les doctrines de la réforme.
La consolidation intérieure des États qui avait lieu à cette
époque apporta en même temps au droit international une nou-
velle base sur laquelle il s'est développé depuis, à savoir celle
de la souveraineté territoriale et par suite de l'égalité politique
de tous les États.3
Bien autrement que le schisme religieux, une autre influence
allait entraver le développement de la jeune science. Je veux
parler de la propagande successive de l'art politique, cet art
qui en ne consultant que des intérêts égoïstes, méconnaît les
*) Walter, Kirchenrecht § 340. Piitter, loc. cit.
2) Les jurisconsultes du moyen âge, et encore André Alciat (sur le»
lois 118 et 225 D. de Verb. signif.) en donnaient l'explication suivante: La
loi d'Antonin Caracalla ayant déclaré citoyens romains tous les habitants
de l'empire, il s'ensuit que tous les chrétiens représentent actuellement
le peuple romain, tandis que les infidèles ne sont pas réputés Romains.
Les Romains seuls admettent entre eux des droits et des devoirs com-
muns: ils sont engagés dans une guerre permanente contre les Turcs et
les Sarrazins, état de guerre régi par les règles du droit romain. V. Leib-
nitz, praef. ad Cod. iur. gent.
8) M. Oppenheim, System des Vôlkerrechts p. 20 a bien expliqué ce
point de vue. M. Klûber (droit des gens § 12) a observé avec raison que
cette transformation a commencé lors du Concile de Baie qui a relâché
considérablement les liens de dépendance établis jusqu'alors entre les
États et le Saint Siège.
§ 6, LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. H
droits et les intérêts de tous les autres sans éprouver aucun
scrupule dans le choix de ses moyens ; cet art politique qui né
en Italie et cultivé avec un remarquable succès en Espagne,
s'est frayé un accès dans tous les cabinets en y provoquant
sinon des efforts positifs, du moins des contre -efforts sembla-
bles. Tout en se servant avec une apparence trompeuse des
formules légales consacrées, il reniait au fond tous les axiomes
du droit. Comme une réaction contre cette politique envahis-
sante, on imagina l'idée de l'équilibre européen, c'est-à-dire le
principe qui impose à chaque Etat le devoir d'empêcher, soit
seul soit au moyen d'une coalition, l'établissement de la supré-
matie d'aucun autre État, principe qui découle du droit légitime
de défense, mais qui à son tour a donné lieu à de fréquents abus.
La réalisation pratique de cette idée fat dès lors le principal
problème de la politique européenne1: autour de ce pivot com-
mun se sont concentrés les motifs et les solutions de tous les
démêlés politiques depuis le xvi0 siècle. H est vrai que les
droits des nations et des États n'y ont figuré que sur l'arrière-
scène, abandonnés presqu'exclusivement aux soins de la science.
Celle-ci toutefois sous les orages de la guerre de trente ans,
malgré les agitations du xvne siècle, comme précédemment
lors de la réforme religieuse, acquérait une autorité, à la-
quelle les puissances de cette époque ne pouvaient même se
soustraire entièrement. L'aurore en fut marquée par Hugo Gro-
tius (Huigh de Groot), enfant d'une petite république nouvelle-
ment née mais riche d'actions, où les principes de tolérance
religieuse et d'un libéralisme modéré avaient trouvé un asile et
l) A cette idée se rattache aussi le projet de Henri IV de former une
grande république des États européens, projet qui fut développé depuis,
lors du traité d'Utrecht, par l'abbé de St.- Pierre dans son pamphlet inti-
tulé: „ Projet de traité pour rendre la paix perpétuelle. Utrecht 1713."
V. là dessus Toze, aUgemeine christliche Republik. Gôtting, 1752. Buch-
holz, neue Monatsschrift. 1824. I, 28 suiv. Ortolan dans la Revue de
législation 1850. T. m. p. 345 suiv. Wheaton, histoire I, 317. Ces pro-
jets étaient rarement dépourvus de quelque but égoïste, et ne manquent
pas de nos jours. V. p. ex. G. Fr. Leckie, historical research into the
nature of the balance of power in Europe. Lond. 1817. Marchand, projet
de paix perpétuelle. Paris 1842.
12 DîTRODUCnON. § 6.
qui allait devenir en même temps le foyer de la diplomatie
européenne. Grotius a rappelé dans nn langage généralement
intelligible les maximes dn christianisme, les enseignements de
l'histoire, les sentences des philosophes sur le juste et l'injuste
à la mémoire des souverains: son traité est devenu successi-
vement le code européen des nations, adopté également par
toutes les confessions chrétiennes.1
Néanmoins le droit ne réussissait pas à reprendre entière-
ment la place usurpée par la politique, laquelle se servait plu-
tôt de la science du droit pour colorer ses prétentions qu'elle
ne se soumettait à ses décisions. Une certaine modération seu-
lement dans ses succès, des transactions équitables succèdent
aux décisions du droit strict du siècle précédent (§ 8). La
fin du xvm* siècle voit disparaître le droit public et l'équi-
libre européen sous le torrent de la Révolution qui fait place
à l'Empire et à son génie de conquête.2 La coalition générale
de l'Europe en faisant rentrer le torrent débordé dans son an-
cien lit, provoqua les traités de 1814 et de 1815, qui, après
avoir reconstitué du moins les États germaniques de l'Europe
dans leurs démarcations naturelles, ont rendu momentanément
possible l'équilibre politique des puissances continentales. Pour
en garantir la solidité ainsi que les créations nouvelles, il fal-
lait alors remettre en vigueur les principes du droit internatio-
nal.8 Dans cet esprit fut conclue la Sainte -Alliance: presque
tous les monarques chrétiens de l'Europe, lors de sa conclusion,
se sont donné personnellement la parole de se considérer entre
eux et de considérer leurs peuples comme membres de la grande
famille chrétienne et ils ont reconnu par là l'existence réelle
d'une association morale des États.4 Enfin les plénipotentiaires
1) Les excellentes observations publiées par Frédéric Schlegel, Vor-
lesungen iiber die neuere Geschichte. Wien 1811. p. 421 suiv.
2) Les nombreuses violations du droit international amenées par là ont
été développées par Kamptz, Beitr. zum Staats- und Vôlkerr. I, n. 4.
8) Le prince de Bénévent, dans une note du 19 décembre 1814 écri-
vait également: „que l'équilibre politique était synonyme avec les prin-
cipes de conservation des droits de chacun et du repos de tous."
4) Martens, Supplém. VI, 656. Pufendorf dans son Jus nat. et gent.
H, 2, chap. 11 contient une déclaration curieuse contre des traités de
§ 6. LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 13
des cinq grandes puissances européennes lors du Congrès d'Aix-
la-Chapelle en 1818 ont déclaré que leurs gouvernements étaient
fermement résolus à ne pas vouloir s'écarter de l'observation la
plus stricte du droit international tant entre eux que vis-à-vis
des autres États.1
Depuis lors et d'après les conventions arrêtées à cette
époque, les grandes puissances se sont érigées en aréopage poli-
tique appelé à délibérer et à statuer sur les affaires les plus
importantes non seulement de leurs propres États, mais aussi
sur celles des autres. Sous ses auspices commence dès lors
la réaction contre la révolution qui continue à couver sous les
cendres: loin de l'éteindre, elle l'a fait éclater avec une nouvelle
énergie en 1830. Ni le principe révolutionnaire, ni même le con-
stitutionalisme régularisé des nations ne peuvent naturellement
être satisfaits de cette autorité dictatoriale des grandes puis-
sances. Dès lors aussi le principe monarchique et le démocra-
tique commencent à se surveiller mutuellement dans la politique
générale de l'Europe. Ils ne renient ni l'un ni l'autre la loi
internationale, bien qu'ils l'interprètent d'une manière différente.
En résumé: les États de l'Europe de même que les États
transatlantiques issus de son sein obéissent à une loi commune.
Cette loi néanmoins sur bien des points n'est encore qu'une
simple doctrine des auteurs: n'ayant pas pénétré suffisamment
dans la conscience générale des nations, elle est privée d'une
certitude absolue dans l'application. Sa solidité croissante dépend
cette nature. V. toutefois Oke Manning, Comment, on the Law of na-
tions p. 85.
x) Martens, Supplém. VIQ, 560: „Les souverains ont regardé comme
la base fondamentale leur invariable résolution de ne jamais s'écarter ni
entre eux ni dans leurs relations avec d'autres États de l'observation la
plus stricte du droit des gens; principes qui, dans leur application à un
état de paix permanent, peuvent seuls garantir efficacement l'indépendance
de chaque gouvernement et la stabilité de leur association générale. Fi*
dèles à ces principes les souverains les maintiendront également dans les
réunions auxquelles ils assisteront en personne, ou qui auraient lieu entré
leurs ministres soit qu'eUes aient pour objet de discuter en commun leurs
propres intérêts soit qu'elles se rapportent à des questions dans lesquelles
d'autres gouvernements .auraient formellement réclamé leur intervention."
14 INTRODUCTION, § 7.
d'un équilibre durable des États qui repose autant sur une pon-
dération de leurs forces matérielles que sur leur respect réci-
proque. Cet équilibre existe jusqu'à un certain point entre les
puissances continentales; bien moins sur mer: aussi le droit
maritime continue -t- il à former la partie la plus faible du droit
international. Les traités de 1814 et de 1815 en outre tout
en rétablissant du côté du Rhin l'équilibre du continent euro-
péen , ne l'ont nullement du côté opposé assis sur des bases
solides et par là même ne l'ont pas mis à l'abri d'atteintes sé-
rieuses. Déjà notre Jean-Paul disait dans son langage humo-
ristique :
„ Un équilibre permanent suppose l'équilibre des quatre autres
continents que l'avenir annoncera sans doute au monde futur,
sous réserve des exceptions — u (Hesperus).1
Toujours est -il que le droit public européen se distingue
par un caractère d'humanité qui constitue sa supériorité sur
celui qui l'a précédé, notamment sur celui du monde antique.
Ce dernier avait la guerre pour base, tandis que la paix est
devenue l'état normal du droit moderne.
LIMITES TERRITORIALES DU DROIT PUBLIC EUROPÉEN.
§ 7. Le droit international né en Europe, s'est développé
d'une manière complète chez les nations chrétiennes de l'Europe
et du dehors. Elles entretiennent entre elles d'après les règles
traditionnelles de la société européenne et avec leur garantie
collective et morale (§5) un commerce politique permanent,
une véritable dikéodosie mutuelle, un „ commercium iuris prae-
bendi repetendique". A l'égard des États non- chrétiens,2 son
application est tout- à -fait libre et fondée sur une réciprocité
purement conventionnelle. Il faut en dire autant des États nou-
l) „Ein ewiges Gleichgewicht setzt ein Gleichgewicht der vier tibrigen
Welttheile voraus, welches man, wenige Libratîonen abgerechnet, der Welt
dereinst versprechen kann — .a
a) Les relations des États chrétiens avec la Porte étaient jadis réglées
d'après ce principe. Elles reposaient exclusivement sur les convenances
politiques et sur les traités conclus par cette puissance avec les Etats
chrétiens, même avec le St. Siège, qui remontent à plusieurs siècles. Les
observations que Mably (droit des gens t. H, p. 13) et Ricaut ont présen-
§ 8. LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. J5
Tellement établis qui n'ont pas encore été admis d'une manière
régulière dans le sein de la famille européenne ou n'ont pas
encore reçu leur caractère individuel. Les relations avec eux
sont réglées d'après les intérêts de la politique et ceux de la
morale. Les pirates exclus du droit européen sont traités en
ennemis communs du genre humain1: en se livrant aux exactions
de toute espèce contre les personnes et les propriétés , ils cessent
d'appartenir à aucune nation.3
SOUECES DU DROIT INTERNATIONAL: DÉMÊLES ET TRAITÉS
POLITIQUES DES ÉTATS EUROPÉENS.
§ 8. Le droit public européen est un droit non écrit dans
le sens juridique de ce mot: il attend encore sa codification
qui ne saurait être tentée de sitôt avec succès.3 La méthode
tées sur les difficultés de relations régulières avec cette puissance ont
encore aujourd'hui une certaine force. V. aussi Wheaton, intern. law § 10
(omis dans l'édit. franc.). Néanmoins on s'est rapproché beaucoup dans
les derniers temps de part et d'autre, et peut-être l'avenir de la Haute Porte
dépendra-t-il de son acceptation complète du droit des gens européen. Déjà
la paix de 1856 l'a reçue dans le concert politique européen. En aucun
cas les alliances avec les peuples musulmans ne sont plus des cas de
conscience comme autrefois. Ward I, 166. II, 321. Enfin ces peuples
sont accoutumés à observer religieusement les traités, pourvu qu'ils soient
rédigés en langue arabe.
*) Cicéron déjà, de officiis III, 6 les a qualifiés ainsi. V. aussi le
§ 104 ci -après.
*) „Qui nullius principis auctoritate sive mari sive terra rapiunt.a
Bynkershoek, quaest. iur. publ. I, chap. 19. Les barbaresques d'après la
plus récente jurisprudence, ne sont plus assimilés aux pirates. Bynker-
shoek, ibid. chap. 17. Nau, Vôlkerseerecht § 130. Les traités conclus avec
les barbaresques (Leibn., Cod. dipl. p. 13. 14. Ward H, 331) sont de fort
ancienne date.
8) L'assemblée Nationale décréta le 28 octobre 1792 la rédaction d'une
déclaration du droit des gens dont l'abbé Grégoire fut chargé. Le projet
en 21 articles fut présenté par lui en 1795 à la Convention. Cette der-
nière toutefois qui commençait à renoncer au système d'isolement rejeta
le projet. On le trouve avec les critiques de Bentham réfutées par Isam-
bert, dans les Annales politiques, publiés par ce dernier en 1823, Intro-
duction in fine. On peut consulter également là -dessus les observations
judicieuses de Martens, Einleitung in das europàische VOlkerrecht von
1796, préface p. V suiv.
16 INTRODUCTION. § 8.
historique seule continue à l'expliquer. Les démêlés politiques
et les traités internationaux forment les sources les plus im-
portantes du droit public: leurs textes et leur interprétation
témoignent de l'accord des nations et des gouvernements.
Dans le monde antique ces sources étaient la manifestation
unique d'un principe commun de droit. Les traités de l'antiquité
néanmoins présentent un intérêt médiocre : rarement ils dépassent
le cercle étroit des besoins momentanés. Tantôt ils révèlent les
malheurs des vaincus, tantôt ils ont pour but la conclusion d'un
armistice plus ou moins long, par fois aussi l'établissement de
relations commerciales ou bien même celui d'une espèce de
dikéodosie fondée sur des droits réciproques.1
Les traités conclus entre les États ou plutôt entre les princes
du moyen âge offrent encore moins d'intérêt. L'État lui-même
n'était alors qu'une agglomération de rapports et de besoins
privés: on disposait de pays et de peuples comme de son do-
maine particulier. La féodalité et l'église jouissaient seules
d'une certaine protection qu'elles accordaient à leur tour, et
encore fut -elle souvent insuffisante.2
Dès le xve siècle il commence à se former une juris-
prudence des traités politiques qui marquée au coin du progrès
et de la réaction, se lie aux commencements de la politique
européenne et en réfléchit l'esprit général.3 D'innombrables
*) Une collection précieuse des traités politiques de l'antiquité se
trouve dans Barbeyrac, Supplément au corps universel diplom. de J. du
Mont, la Haye 1739. 1. 1. Les cô/i^oXa neçi rov p>j âftxMr de la Grèce
et surtout les traités conclus entre Athènes et Sparte, entre Rome et Car-
thage et en 561 entre les empereurs Justinien et Cosroës, que contient cette
collection, sont du plus haut intérêt. V. Barbeyrac, part. H, p. 196.
2) Les traités de cette époque se retrouvent aussi dans Barbeyrac
loc. cit. part. H. V. là dessus les observations dans Ward H, p. 231 suiv.
8) V. les observations sur cette nouvelle politique et les affaires
politiques de cette époque dans J. F. Schmaufs, Einleitung zu den Staats-
wissenschaften. Leipzig 1740. 1747. 2 vol. Fr. Ancillon, tableau des ré-
volutions du système politique de l'Europe. Berlin 1803—1805. 4 vol.
Paris 1806. 6 vol. G. Fréd. de Martens, Cours diplomatique ou tableau
des relations extérieures des puissances de l'Europe. Berlin 1801 (t. I. H.
Guide diplomatique, t. in. Tableau.). Le même : Grundrifs einer diplo-
matischen Geschichte der europâischen Staatshândel und Friedensschliisse.
§ 8. LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 17
traités se concluaient alors qui souvent ne servaient qu'à mas-
quer passagèrement les véritables intentions des parties et que
rarement elles prenaient au sérieux. Elles les rompaient ensuite
avec la même facilité, pour les remplacer par des traités d'al-
liance avec les adversaires des alliés précédents.1 Là où il y
avait quelque chose à gagner ou à partager, chacun s'empres-
sait d'accourir et de saisir sa part („le système copartageant").
Les mariages et les dots y jouaient un rôle accessoire très-
considérable.2
Berlin 1807. Koch, tableau des révolutions de l'Europe. Paris 1807. 3 vol.
nouv. édit. Paris (1813) 1814. 4 vol. Abrégé de l'histoire des traités de
paix entre les puissances de l'Europe par Koch. Baie 1796. 1797. 4 vol.
refondu par Fr. Schoell. Paris 1817. 1818. 15 vol. C. D. Vofs, Geist der
merkwiirdigsten Bûndnisse des 18. Jahrh. Géra 1801. 1802. 5 vol. Geist
der merkwiirdigsten Biindnisse des 19. Jahrh., par le même. 1803. 1804.
2 vol. Histoire générale et raisonnée de la diplomatie française par M. Fias-
san. Paris et Strasbourg. 6 vol. nouv. édit. en 7 vol. 1811.
Nous allons indiquer les recueils généraux des traités politiques qui
ne s'appliquent pas uniquement à certains États particuliers: G. W. Leib-
nitz, Codex juris gentium. Hannov. 1693. 1727. Guelferb. 1747. Ejusdem
Mantissa. Hannov. 1700. 1724. Guelferb. 1727. Jacques Bernard, Recueil
des traités de paix etc. Amst. et la Haye. 4 vol. 1700. Jean Du Mont,
Corps universel diplomatique. Ibid. 1726—1731. 8 vol., avec les supplé-
ments par J. Barbeyrac, J. Rousset et J. Yves de St. Priest. F. A. Wenck,
Codex juris gent. recentiss. 3 vol. Lips. 1781. 1786. 1795. G. F. de Mar-
tens, Recueil des principaux traités d'alliance. 8 vol. et 7 vol. de supplé-
ments publiés par le même Auteur; puis les suppléments rédigés par
Saalfeld, Ch. de Martens, Sartorius et Murhard. Les principaux États
possèdent également leurs recueils particuliers qui ont été indiqués par
de Ompteda et par de Kamptz dans la Littérature du droit des gens.
Kltiber, bibliothèque choisie, insérée dans son droit des gens in fine, ainsi
que dans Mohi, Zeitschrift fîir Staatswissenschaft. 1846. I, p. 87. Nouveau
Cours de diplomatie ou recueil universel des traités, publié par MM.
L. B. Bonjean et Paul Odent. Paris (sous presse). Un choix des princi-
paux traités se trouve dans le Recueil manuel et pratique des traités de-
puis 1760 par M. Ch. de Martens et J. de Cussy. Leipz. 1846—1853. 5 vol.
Dr. F. W. Ghillany, diplomatisches Handbuch. Sammlung der wichtigsten
europâischen Friedensschlusse, Congrefsacten und sonstigen Staatsurkunden
vom Westph&l. Frieden bis auf die neueste Zeit. Mit kurzen geschicht-
lichen Einleitungen. (En 4 parties.) 2 vol. Nôrdlingen 1855.
1) H suffît de rappeler les guerres d'Italie provoquées par les préten-
tions de la France sur les couronnes de Milan et de Naples.
2) V. Buchholz, Geschichte Kaiser Ferdinands I. 1. 1, p. 60.
2
Jg INTRODUCTION. § 8.
Avec le schisme religieux du xvie siècle de plus nobles
intérêts firent leur entrée sur la scène du monde. Elles forent
agitées à l'intérieur des États d'abord, mais la politique du
dehors allait bientôt s'en emparer pour tirer profit des démê-
lés religieux, sans scrupule pour les intérêts de la propre reli-
gion d'État. Au xvie siècle encore la politique commerciale
acquit une influence prépondérante sur les affaires générales de
l'Europe: en y rattachant les intérêts coloniaux, elle transporta
depuis l'insurrection surtout des Provinces -Unies contre la mo-
narchie espagnole, le théâtre de la guerre dans les contrées les
plus éloignées du globe.
La première moitié du xvne siècle est remplie des luttes
sanglantes des intérêts religieux dont le congrès de Westphalie
vient enfin sceller la transaction définitive. Dans ce congrès la
diplomatie des grandes puissances célèbre ses triomphes. Long-
temps elle regardait avec orgueil son oeuvre qui néanmoins,
comme une nouvelle Pandore, laisse échapper de son écrin de
nombreux dons funestes. Cependant le traité de Westphalie
formera la base durable du statu quo et de l'équilibre poli-
tique de l'Europe occidentale et méridionale, en même temps
qu'il sera la ligne de démarcation entre l'ancienne et la nou-
velle diplomatie. Jusque-là elle s'est appuyée dans les négo-
ciations sur des droits au moins apparents: lors de la rédaction
des traités de Munster et d'Osnabruck elle se propose déjà bien
moins le rétablissement des droits violés, et en se réglant d'après
les convenances politiques, elle détruit de nombreux droits établis
par la voie des sécularisations, des médiations ou autrement.1
A la conclusion de la paix de Westphalie succède comme
une conséquence directe une politique extrêmement remuante,
dirigée tantôt vers l'acquisition de certains avantages matériels,
tantôt vers le maintien de cet équilibre rétabli au prix de tant
de sacrifices. La politique d'intervention arrive à sa maturité
complète et avec elle l'usage des congrès et des concerts euro-
péens : les gouvernements s'y trouvaient peu gênés depuis la sup-
l) Les ouvrages les plus importants qui ont été publiés sur la paix
de Westphalie ont été indiqués par Martens, Staatshândel, p. 55; on peut
consulter aussi: Die Urkunden und Friedensschliisse zu Osnabriick und
Munster, nach auth. Quellen. Zttrich 1848.
§ 8. LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 19
pression des états -généraux. La Haye devient le foyer neutre
de la diplomatie: c'est là qu'elle bat les cartes et qu'elle cherche
à terminer le jeu, car les adversaires engagés ailleurs sur les
champs de bataille peuvent s'y rencontrer librement.
Pendant tout le xvin6 siècle jusqu'à la révolution française,
la jurisprudence internationale de l'Europe continue à présenter
un système de combinaisons politiques, ayant pour but principal
d'écarter autant que possible toute prépondérance menaçante
pour l'équilibre général, aussi longtemps du moins que la for-
tune des armes ou la complication des événements n'avaient
pas livré l'une de ses parties sans merci à la discrétion des
autres. Ce ne iut pas précisément le droit strict, mais plutôt
une certaine modération qui présidait ordinairement à l'arran-
gement des affaires politiques : une diplomatie peu caractérisée
et pâle poursuivait surtout la conservation du statu quo.1
Cet esprit de modération disparut à son tour pour long-
temps dans le Nord d'abord lors du partage de la Pologne, et
dans l'Occident à la suite des victoires de la révolution. La ré-
volution victorieuse dictait les traités : les vaincus étaient obligés
d'implorer leur grâce pour obtenir de sages ménagements mo-
mentanés. Des senatusconsultes ou de simples manifestes an-
nonçaient à l'Europe les changements intervenus dans le statu
quo. Les traités conclus au commencement de notre siècle
jusqu'en 1814 pivotent tous autour de la politique Napoléo-
nienne, soit pour la consolider, soit pour préparer cette coalition
secrète qui, transformée en résistance ouverte, a créé le tissu
politique de 1815.
Les grandes matières de la diplomatie européenne qui ne se
rattachent quelquefois que d'une manière indirecte aux questions
du jour, ftirent dans la seconde moitié du siècle précédent les
droits maritimes des neutres, et dans notre siècle le système
continental Napoléonien, la suppression de la traite des noirs et
ensuite l'union douanière allemande, enfin le maintien des prin-
cipes monarchiques contre la révolution et l'esprit républicain.*
1) V. Friedr. Schlegel, Vorlesungen iiber neuere Geschichte. p. 509.
2) Nous complétons cette énumération en y ajoutant la solution
de la question d'Orient, suspendue depuis longtemps comme une menace
2*
I
20 INTRODUCTION. § 9,
THÉORIES ET LITTÉRATURE DU DROIT PUBLIC.
§ 9. Les traités des auteurs qui exposent sous une forme
doctrinale ou purement narrative le droit public européen et qui
appartiennent aux diverses époques de ses développements, con-
stituent une autre source aussi féconde de ce droit. Comme
ailleurs le rôle de la science et de la presse consistait ici tantôt
à approuver, tantôt à précéder la pratique et à lui frayer une
voie. L'esprit général et les fréquents tâtonnements de chaque
époque se réfléchissent dans cette source.1
L'Antiquité ne nous a légué aucun traité complet du droit
des gens. Au moyen âge les jurisconsultes cherchaient, à l'aide
des textes du droit romain et du droit canon, à résoudre les
questions internationales. Lors de la Renaissance la science du
droit céda la place à la science politique raffinée dont Nicolo
Macchiavelli devint l'interprète et le principal représentant. Son
traité du Prince est un chef- d'oeuvre de la politique person-
nelle et égoïste que n'arrêtait aucune barrière extérieure, néces-
saire à la vérité à certaines époques et à certains peuples, pour
les rappeler au sentiment de la dégradation dans laquelle ils
étaient tombés et pour les relever vers un nouvel essor.2 Depuis
lors les jurisconsultes pratiques du xvie siècle cherchaient à intro-
duire un système de droits mutuels chez les nations chrétiennes,
permanente sur l'Europe; elle vient de recevoir enfin une solution, espé-
rons-le définitive. Le Congrès de Paris a inauguré la politique européenne
de la seconde moitié du xixe siècle. Dans l'Annexe de l'ouvrage nous avons
retracé un tableau succinct des principaux traités politiques de l'Europe
moderne.
l) On peut trouver des essais d'une histoire littéraire dans la Biblio-
theca iuris imperantium (publiée par Burch. Geffroi Struv). Norib. 1727.
Isambert, annales politiques. Paris 1823. Introduction. V. G. de Wal,
Inleiding tôt de Wetensc. van het Europ. Volkenregt. Groning. 1835.
p. 1—123. 201 — 218. Les travaux les plus récents à ce sujet ont été
indiqués par M. Mohl, Zeitschriffc fiir Staatswissenschaft. 1846. I. p. 3 suiv.
Tiibinger Vierteljahrsschrift. 1854. V. aussi v. Kaltenborn, Kritik des
Vfflkerrechts. Leipzig 1847. p. 18 — 230.
2) Isambert, à l'endroit cité p. 76, a présenté d'excellentes observations
sur le vrai caractère de Macchiavel et de ses doctrines. V. aussi Th. Mundt,
Macchiavel und der Gang der europaischen Politik. Leipzig 1853. 2 éd.
§9. U3 DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 21
en vue d'abord des questions du jour surtout.1 Hugues de Groot
(né en 1583, décédé en 1645), en résumant l'ensemble des questions
qui jusqu'alors s'étaient présentées dans la jurisprudence inter-
nationale des États, l'érigé en science particulière et indépen-
dante, cultivée depuis lors jusqu'à nos jours sans interruption.
Dans son traité immortel du „ Droit de guerre et de paix"
achevé en 1625, il rétablit la double distinction du droit des
gens, celle d'un droit immuable ou naturel et d'un droit volon-
taire de toutes ou du moins de plusieurs nations.2 Son livre
manque d'une base plus profonde et n'explique nullement la
corélation intime qui existe entre le droit naturel et le droit
positif. Rédigé principalement dans le but de constater le droit
déjà usité du moins en certaines espèces, autant que ce dernier
répondait à la morale, il donne aux autres questions encore
non décidées des solutions tirées des règles générales du droit
ou des autorités respectables et conformes à la morale.3 C'est
cette transparence morale qui a assuré le succès le plus durable
de ce livre. Deux tendances se sont depuis produites tant dans
Fidée fondamentale que dans le mode d'explication du droit inter-
national, dont chacun à son tour offre des nuances particulières.
L'une de ces tendances en prenant pour point de départ
le droit naturel, suppose l'existence ou la fiction d'une loi ration-
nelle innée ou commandée à la nature humaine, et à laquelle
aucun individu ni aucune association humaine ne peuvent se
*) P. ex. le traitement des Indiens et l'introduction de l'esclavage
dans le Nouveau-Monde. L'Espagnol François Suarez (1538—1617), le pre-
mier auteur important du droit international, nomme dans son traité de
Legibus ac Deo législature les usages depuis longtemps observés dans les
relations réciproques des États européens la Loi coutumière des nations
chrétiennes. Alberico Gentile, Italien décédé à Oxford en 1611, peut être
considéré comme le plus considérable parmi les prédécesseurs de Grotius.
Les ouvrages publiés par lui sont les suivants : de legationibus — de jure
belli -— de justitia bellica. v. Kaltenborn , Die Vorlâufer des H. Groot.
Halle 1848.
*) V. sur les destinées de ce livre Ompteda § 120 suiv., et sur son
Contenu § 57 suiv.
8) V. pour les détails Gust. Hartenstein, Darstellung der Rechts-
Pfailosophie des H. Grotius. (Abhandlungen der phil.- histor. Klasse der
Konigl. Sachs. Gesellschaft der Wissenschaften.) Leipzig 1850.
22 INTRODUCTION. § 9.
soustraire. Cette tendance commencée déjà avant Grotius,1 ftit
la contradiction nécessaire pour renverser le règne précédent
des purs intérêts matériels dans la politique : mais à son tour
elle a prêté le flanc à la contradiction. D'un côté en effet plu-
sieurs auteurs ont nié complètement l'existence d'une loi posi-
tive, notamment d'une loi internationale, obligatoire par elle*
même. Suivant ces auteurs la seule vraie loi naturelle consiste
dans le pouvoir matériel de l'autorité; dans une mission divine
de domination dont la loi humaine est descendue elle-même.
C'est ce qu'enseignaient p. ex. l'Anglais Hobbes (né en 1588,
déc. en 1679) qui accordait à l'autorité une origine divine,2 et
naguère encore en France, bien que d'une manière différente,
M. de Bonald.8 Les règles éthiques de la justice communes à
tous les hommes, ont encore été considérées comme le fonde-
ment du droit naturel, d'abord par Samuel de Fufendorf (né
en 1631, déc. en 1694) dans son Jus naturae et gentium,4
ensuite par Chrétien Thomase (1655 — 1728) dans plusieurs
ouvrages. 5
Ces théories durent rencontrer une opposition d'autant plus
énergique qu'elles étaient en contradiction avec la réalité des
choses, ou qu'elles ouvraient le champ à l'arbitraire du pouvoir.
La plupart des auteurs préférèrent suivre la voie plus commode
et plus pratique tracée par Grotius, et en même temps qu'ils
accordaient aux lois positives une autorité absolue, ils admet-
taient néanmoins le droit naturel des individus et des nations
l) On comprend parmi les partisans de cette tendance J. Oldendorp
(déc. en 1557) dans son Isagoge juris natur. Col. 1539. et Nie. Hemming
(à Copenhague) dans sa Method. apodod. juris natur. Vitemb. 1562.
a) Son ouvrage principal furent les Elementa philosophica de
cive. 1642.
3) D'abord dans la théorie du pouvoir politique et religieux. Con-
stance 1796; ensuite dans sa Législation primitive etc.
4) Publié d'abord en 1672, après avoir été précédé des Elementa
jurispr. universalis. 1660. Il publia ensuite l'ouvrage intitulé De officiis
hominis et civis. 1673. V. sur Thomase et ses adversaires Struv, bibl.
juris imper. I, V.
B) Notamment dans ses Fundamenta juris naturae et gentium. Halae
1705 et 1708. V. Struv, loc. cit, I, VI.
§ 9. LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 23
comme une source directe, du moins comme une source subsi-
diairement obligatoire des lois positives. En ce sens enseignait
et écrivait le premier après Grotius, l'Anglais Richard Zouch
(1590 — 1660).1 Les philosophes se sont ralliés également à cette
opinion, notamment Chrétien Frédéric de Wolf (1679 — 1754) qui
dans les points fondamentaux a adopté les doctrines de Grotius.3
Ainsi encore pensaient et écrivaient Germain Frédéric Kahrel
(1719 — 1787), Adolphe Frédéric Glafey (1682— 1754)8 et sur-
tout Émeric de Vatel, Suisse d'origine (1714 — 1767) dont l'ou-
vrage écrit entièrement dans l'esprit du système professé par
Wolf, s'est frayé par sa manière élégante et pratique bien
que souvent superficielle, une entrée dans les bibliothèques des
hommes d'état à côté du livre de Grotius.4 Nous nommerons
encore T. Rutherford,5 J. J. Burlamaqui6 et Gérard de Rayneval.7
Les partisans du droit historico- pratique se sont montrés
encore plus hostiles aux idées de Fufendorf. Ils se sont à leur
tour divisés en deux fractions, savoir d'un côté les partisans du
pur droit positif qui admettent seulement le droit international
fondé sur les traités et les usages. Us nient d'une manière
absolue ou ils ignorent l'existence du droit naturel, notamment
du droit naturel international. D'un autre côté ceux qui en
même temps qu'ils regardent la volonté des nations comme la
1) Iuris et iudicii fecialis sive juris inter gentes et quaestionum de
eodem explicatio, publié d'abord à Oxford, 1650 et souvent réimprimé plus
tard. V. Ompteda, à l'endr. cité § 64. 130. Wheaton , Histoire des pro-
grès etc. p. 45 (I, 141).
2) Son ouvrage principal est: Jus gentium methodo scientifica per-
tractatum. 1749. V. Ompteda, § 93 suiv. Wheaton, Histoire des progrès.
p. 121 (I, 227).
8) Son livre intitulé: Vernunft- und Vôlkerrecht, parut en 1723 et un
autre ouvrage: Vôlkerrecht, en 1752.
4) Le droit des gens, publié pour la première fois en 1758 ; avec les
notes de Pinheiro Ferreira. Paris 1838. V. Ompteda, loc. cit. p. 39. Whea-
ton p. 127 (I, 236).
B) Institutes of natural law. 2 vol. Lond. 1754.
6) Principes ou éléments du droit politique, publiés d'abord à Genève
en 1747, puis à Lausanne 1784. Cet auteur est très-estimé en Angleterre.
7) Institutions du droit de la nature et des gens. Paris, an XI (1803)
et 1832.
24 INTRODUCTION. § 9.
source du droit commun et pratique, la retrouvent autant dans
les manifestations des actes internationaux , que dans la néces-
sité des choses ; dans la position et dans les rapports mutuels
des États. Bien qu'ils n'admettent point un Jus naturale" comme
une source obligatoire par elle-même, ils conviennent néanmoins
que la volonté présumée des nations implique la raison natu-
relle (ratio naturalis) des personnes, des choses et des rap-
ports ainsi que les préceptes de la justice en général.
A cette dernière fraction appartiennent Samuel Rachel (1628
— 1691), l'adversaire direct de Pufendorf,1 ensuite Jean Wolfgang
Textor (1637 — 1701) et plusieurs autres.2 Les partisans, du
pur droit positif, les hommes de la tradition, de l'histoire et de
la jurisprudence sont: Corneille de Bynkershoek (1673 — 1743),8
le Chevalier Gaspard de Real;4 en Allemagne J. J. Moser6 (1701
— 1786) qui n'admet que l'autorité des faits; ensuite la nouvelle
école des publicistes presque tout entière, depuis que Kant, en
renversant le droit naturel, après l'avoir détaché de l'éthique et
de la spéculation, a donné au droit la volonté positive pour base
unique. Dans cet esprit enseignait et écrivait Geo. Fréd. de
Martens6 (1756 — 1821) qui n'admettait dans le droit public
des nations d'autre autorité que celle des traités conclus entre
elles et les principes y établis, ensuite Ch. Théophile Gttnther
(né en 1772), Frédéric Saalfeld (à Gôttingue, 1809), Th. Ant.
Henri Schmalz (1760—1831), Jean Louis Kliiber (1762—1835),
Jules Schmelzing, Charles Henri Louis Pôlitz (1772—1834) et
1) V. sur lui et sur ses opinions Ompteda, loc. cit. § 73.
2) V. Ompteda, loc. cit. § 74. 75.
3) Son ouvrage principal sur la matière est le suivant: Quaestionum
juris publ. Libri H. Lugd. Bat. 1737, réimprimé depuis. V. Ompteda § 150.
Wheaton, Histoire I, 244 et intern. Law. § 7.
4) Dans son ouvrage publié en 1754, intitulé: La science du gouver-
nement. P. V.
5) Le principal ouvrage de cet infatigable publiciste est intitulé : Ver-
such des neuen europâischen Vôlkerrechts. 1777—1780. 10 vol. V. Ompteda
§ 103. Kamptz, Neue Literatur. § 35.
6) Ci -devant professeur et puis diplomate. Il a publié pour la pre-
mière fois ses idées dans un programme publié à Gôttingue en 1787 et
intitulé: Von der Existenz eines positiven europâischen V&lkerrechts. V.
la liste de ses publications dans Kamptz, Neue Literatur. § 35 suiv.
§ 9. LE DROIT PUBLIC EUROPÉEN. 25
Ch. Sal. Zachariae (1769 — 1843). Tous ces auteurs ne recon-
naissent l'existence d'un droit naturel ou philosophique entre
les nations qu'autant qu'il est capable d'influer sur la rédaction
des lois positives. Quelquefois ils le consultent au besoin à
titre de loi subsidiaire, sans s'expliquer aucunement pour quels
motifs ils lui accordent ce titre ni sur les fondements du droit
naturel. Les théories enseignées par ces auteurs sont elles-
mêmes dépourvues souvent d'une base positive. M. Pinheiro-
Ferreira s'est élevé naguère avec énergie contre cette école de
publicistes : dans ses commentaires sur Martens il s'est rapproché
de nouveau de l'école opposée qui, pour l'interprétation des lois
positives, appelle à son secours la spéculation et la critique
scientifique.1 M. Wheaton aussi tout en se plaçant du côté de
la pratique et des lois positives, n'a nullement fermé l'oreille
à l'équité et à la critique au point de vue élevé de la justice
universelle.2 C'est ce point de vue qu'ont embrassé en général
les publicistes français, anglais et espagnols les plus récents.8
Parmi ces théories si diverses dont nous venons d'esquisser
l'analyse rapide, on rencontre au point extrême celle qui donne
au droit international pour base unique l'intérêt des États, soit
l'intérêt individuel de chaque État en particulier,4 soit l'intérêt
l) Le droit des gens par G. Fr. de Martens, avec des notes par Pin-
heiro Ferreira. 1831. 2 vol.
*) Eléments of the intern. Law. Lond. 1836. 2 vol., traduit en franc,
sous le titre: Éléments du droit intern. Leipz. et Paris 1848.
8) Nous nommerons parmi les auteurs français: Du Rat-Lasalle, Droit
et législation des armées de terre et de mer, qui contient dans le 1. 1. p. 370
un précis du droit des gens; surtout Th. Ortolan, Règles internationales
de la mer. Paris 1845; parmi les auteurs anglais: Oke Manning, Comraen-
taries on the Law of Nations. Lond. 1839. James Reddie, Researches in
maritime intern. Law. Edinb. 1844. 1845. 2 vol. Wildman, Intern. Law.
Lond. 1849. 2 vol. l'auteur de l'Amérique du sud André Bello, Princi-
cipios de derecho de gentes, publié à Santiago de Chile, réimprimé à Paris
1840; parmi les auteurs espagnols José Maria de Pando (décédé en 1840),
Elementos del Derecho Intern. Madr. 1843. Ant. Riquelme, Elementos de
Derecho Publ. internacional, con explication de las reglas que constituyon
el derecho internacion. Espagnol. 1. 1. II. (appendice).
4) On peut reprocher surtout cet égpïsme national aux auteurs du
droit maritime dont nous parlerons ci-après, notamment aux auteurs anglais;
26 INTRODUCTION, § 10.
collectif de tous. Montesquieu d'abord1 et tout récemment Jéré-
mie Bentham3 ont professé cette théorie. Le vrai utile sans
doute s'identifie avec les commandements de la morale: néan-
moins il faut convenir en même temps que ce mot se prête
facilement à des malentendus.3
La philosophie la plus récente n'a pas réussi non plus à
mettre un terme à la contradiction des théories et des principes.
Tantôt, avec Schelling, elle suppose une révélation de la loi,
émanation de l'esprit divin, accordée aux nations: tantôt, avec
Hegel, elle revendique le droit international aussi au profit de
la liberté humaine, au profit de la volonté qui pose elle-même
le droit, soit individuellement soit dans la communauté sociale.
Nous avons déjà exposé notre propre opinion aux §§ 2 et 3
ci-dessus.4
m.
DROITS RÉCIPROQUES SPÉCIAUX DES NATIONS.
CARACTERE GENERAL DE CES DROITS.
§ 10. Le droit public européen est la source commune d'où
découlent les droits particuliers des nations: Ils reposent soit
sur les rapports naturels établis entre celles-ci, soit sur des
modes d'acquisition spéciaux dont nous parlerons au paragraphe
suivant. Ils ont pour objet soit la conservation des nations et
le développement de leurs intérêts matériels, soit l'observation
de ce respect, de ces convenances mutuelles connues dans le
langage diplomatique sous le nom de „ Droits de cérémonie,
Les auteurs français au contraire se sont rapprochés en ce dernier temps
du point de vue cosmopolitique des auteurs allemands et Scandinaves.
1) De l'esprit des lois. I, 3.
2) Jerem. Bentham, Principles of intern. Law. (Works, coll. u. s. of
J. Bowring. P. VIII. p. 535 et suiv.)
3) On trouve de bonnes observations dans Oke Manning p. 58 suiv.
4) Warnktfnig a donné un aperçu très -estimable des diverses théories.
Voy. Tûbinger Zeitschrift fiir Rechtswissenschaft. VII, 622 suiv.
§ 11. DROITS RÉCIPROQUES SPÉCIAUX DES NATIONS. 27
droits cérémoniaux." Ces droits eux-mêmes ont une existence
distincte et ne sont souvent que la manifestation formelle , ex-
térieure de rapports nécessaires. En les examinant nous ne dé-
passerons pas les limites rigoureuses du droit international, en
ce sens qu'il autorise les gouvernements d'exiger leur observa-
tion dans leurs rapports internationaux. Mais nous n'entendons
nullement nous livrer à l'examen du cérémonial intérieur des
cours et des autorités constituées dans leurs relations publiques
ou au dehors, dont les dispositions sont réglées par l'autonomie
de chaque État.1
MODES D'ACQUISITION.
§ 11. Les droits réciproques des États reposent en grande
partie sur les règles générales du droit international. Ils reposent
en outre sur certains modes d'acquisition que nous allons énu-
mérer:
1° les traités publics-,
2° l'occupation ou la prise de possession des biens sans maître.
A ces deux modes qui feront l'objet d'un examen spécial; il
faut ajouter encore:
3° la possession immémoriale;
4° les usages, les coutumes reçus entre plusieurs nations,
manifestés par des actes extérieurs et non contestés, lorsque
notamment ils ne sont pas l'effet de l'erreur ou de la vio-
lence;'
5° la prise de possession par suite d'une renonciation ex-
presse ou tacite.
Le droit public européen n'admet les conventions tacites ou
présumées qu'autant qu'elles reposent sur une prise de posses-
sion ou sur l'interprétation analogue des traités et des usages
l) Nous employons le mot n droits cérémoniaux" dans un sens syno-
nyme à celui qu'on attache au caractère cérémoniel des agents diplo-
matiques. Ompteda, loc. cit. § 206 déjà se plaignait des fréquents mal-
entendus de ce mot, malentendus qui ont fait considérer tous les droits
cérémoniaux comme une partie intégrante du droit international.
a) V. Gûnther, Europàisches Vôlkerrecht. I. p. 16—20. 28—31. Mar-
tens (§ 30) refuse aux usages toute autorité quelconque.
28 INTRODUCTION. § 11.
internationaux.1 Il n'admet non plus d'une manière générale
l'autorité de la „ prescription," bien que la prescription forme
une partie intégrante et nécessaire d'un système complet de lois.
L'école, la doctrine a longuement discuté cette question, sans
l'avoir aucunement résolue. En effet la pratique des nations s'est
toujours refusée à admettre la prescription d'une manière ab-
solue. On la rencontre comme une règle incontestée dans cer-
tains corps d'États fédéraux, notamment dans l'ancien empire
germanique, règle qu'il serait difficile d'appliquer aux rapports
établis actuellement entre les divers souverains de l'Allemagne.8
Il est donc constant que les traités publics auxquels des
clauses spéciales ou leur but n'assignent pas une durée limitée,
subsistent indéfiniment et aussi longtemps que les parties con-
tractantes n'y renoncent ou ne se trouvent pas dans l'impossi-
bilité de les exécuter. La renonciation peut faire l'objet d'une
convention expresse ou tacite, résultant d'un abandon volontaire
qui met le possesseur à l'abri de toute contestation. Il est con-
stant en même temps que l'abandon doit être présumé en cas
d'une très-longue possession non contestée et non interrompue ;
c'est toujours aux principes de la renonciation qu'il faut re-
courir en pareille occurrence.3
Il en est de même à l'égard de la prescription immémo-
riale (antiquitas, vetustas, cujus contraria memoria non existit),
c'est-àrdire la possession dont l'origine est inconnue et qui con-
tient une présomption de propriété. La possession immémoriale
est un titre approbatif du fait accompli, titre devant lequel doit
se taire l'autorité de l'histoire. A combien de contestations les
limites territoriales et les droits des États ne donneraient- ils
pas lieu si on prétendait leur demander leurs titres légitimes,
s'ils ne puisaient leur raison d'être dans la force de faits ac-
complis? Néanmoins il faut convenir en même temps, qu'un
*) Kliiber, Droit des gens. § 3. 4. Martens § 62. Gûnther I, 20.
2) Ompteda § 213. de Kamptz § 150. Pinheiro Ferreira sur Martens,
note 31, remarque à juste titre qu'il faut distinguer droit et loi de
prescription.
8) Grotius H, 4, 1 et suiv. Pufendorf IV, 12, 11. Vattel II, 11, § 149.
Wheaton H, 4, § 4.
§ 12. DROITS RÉCIPROQUES SPÉCIAUX DES NATIONS. 29
siècle de possession injuste ne suffit pas pour enlever à celle-ci
les vices de son origine.1
LA POSSESSION SERT DE RÈGLE SUBSIDIAIRE AUX RAPPORTS
INTERNATIONAUX.
§ 12. A défaut de lois clairement définies , les hommes
peuvent régler librement leurs rapports par la force seule de
leur volonté. C'est là que repose le caractère légal de la pos-
session qui, entre les nations comme entre les individus, sert de
règle du moins provisoire aux rapports réciproques. En effet
la possession exercée librement par une personne, est un acte
constitutif ou déclaratif de son droit individuel, lequel à la vé-
rité ne saurait prévaloir sur un droit préexistant, mais qui néan-
moins en suspend l'exercice et qu'il faut maintenir, en cas de
contestation, jusqu'à la décision du litige. Si l'État lui-même
protège la possession jusqu'à un certain point, à plus forte rai-
son sôus le nom de „uti possidetis" et de „ statu quou, la pos-
session s'applique aux rapports libres des États. Ce caractère
d'un fait tenant lieu du droit du moins provisoirement et con-
férant une espèce de sanction aux rapports nés sous son empire,
sauf les droits éventuels de propriété, la possession le conserve
également à l'égard des tiers. Dès qu'elle est reconnue illégitime,
personne n'est plus tenu de la respecter. Nous indiquerons par
la suite les conséquences pratiques des règles qui précèdent.2
Au surplus la nature de la possession en matière inter-
nationale est la même qu'en matière civile, sauf cette différence
que les dispositions de la loi civile relatives à la prescription
ne sont pas applicables en matière internationale.8 Là il suffit
qu'on possède pour soi, excepté les États fédéraux où l'autorité
centrale exerce une espèce de juridiction entre les divers
*) Grotius II, 4, §. 7. Vattel II, 11, § 143. Waechter, De modis
tollendi pacta inter gentes. Stuttg. 1779. § 39 suiv. de Steck, Éclair-
cissements de divers sujets. Ingolst. 1785. Gfinther, Vôlkerr. I, p. 116 suiv.
«) Grotius I, 4, 20. H, 4, 8, §3. Schmalz, Vôlkerr. 208. Klûber,
Droit des gens. § 6. Wildman, Intern. Law. I, p. 57 professent une
théorie analogue que nous retrouvons également dans la Déclaration du
Saint Siège du 9 août 1831. V. plus bas l'appendice du § 49.
8) V. Code Napoléon, livre III. titre XX.
30 INTRODUCTION. § 12.
membres. C'est ainsi que la diète germanique intervient quelque-
fois dans les contestations possessoires nées entre les souverains
de l'Allemagne, en se conformant dans ses arrêts aux disposi-
tions du droit commun de l'ancien Empire. Devant un tribunal
semblable il est permis aussi d'opposer les exceptions résultant
d'une possession vicieuse.1 De même qu'en matière civile, la
possession internationale comprend les choses corporelles et in-
corporelles (juris quasi possessio). La possession au surplus
suppose l'intention de posséder, elle ne s'applique qu'à une déten-
tion réelle. L'État est représenté à cet effet par les organes et
les délégués du pouvoir souverain.2
*) „Clam aut vi aut precario possidere." V. Code Napoléon, liv. m.
tît. XX. chap. II et m.
*) Grotius m, 21, 26.
LIVRE PREMIER.
DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX
Chapitre F*
DES PERSONNES ET DE LEURS RAPPORTS
FONDAMENTAUX.
OBSEEVATIONS GÉNÉRALES.
§ 13. Les personnes physiques ou morales dont le droit inter-
national peut s'occuper, sont les suivantes:
I. les hommes;
IL les nations ou États régis par un droit commun;
m. les souverains des États et leurs familles;
IV. les sujets d'un État par rapport aux États étrangers;
V. les agents diplomatiques.
Ces diverses personnes jouissent en leur qualité de membres
de l'association internationale de certains droits incontestés et
naturels, auxquels sont venus se joindre certains droits positifs,
consacrés par les usages et les traités publics. Ces derniers
sont eux-mêmes ou la réalisation et le développement de la
raison naturelle (naturalis ratio) ou de simples concessions arbi-
traires ne reposant sur aucune nécessité interne, appelés ^Droits
cérémoniaux u selon la définition que nous en avons donnée au
§ 10 ci-dessus.
D'un autre côté le droit international n'admet plus aujourd'hui
l'existence de ces associations purement privées, dépourvues de
caractère public, dont il existait autrefois de fréquents exemples.
Telles forent ces associations commerciales des villes qui ont
exercé une influence considérable sur les développements du droit
international, surtout maritime. La plus célèbre fut la Ligue
32 LIVRE PREMIER, § 14.
hanséatique nommée ainsi dès 1315 et transformée par la suite
en véritable corps politique. Les compagnies de commerce qui
ont joué également un rôle important dans la politique coloniale
des trois derniers siècles, en diffèrent essentiellement. Soumises
au contrôle permanent des gouvernements sous les auspices des-
quels elles s'étaient formées, elles ne sont jamais devenues des
personnes morales du droit international.1
SECTION L
L'HOMME PAR RAPPORT A L'ÉTAT.
§ 14. S'il y a certains droits primordiaux auxquels l'homme
peut prétendre par ce seul motif qu'il existe, ces droits doivent
être également respectés par tous, sans distinction à quelle na-
tion il appartient, les nations n'étant elles-mêmes que des per-
sonnalités collectives de l'association humaine. On a nié, il est
vrai, l'existence de ces droits généraux ou primordiaux de l'homtoe,
ou bien on n'a voulu les admettre qu'avec plus ou moins de
restrictions. Il est certain néanmoins que ces droits doivent être
d'une certaine vérité dans les États qui ont adopté pour règle
de leur conduite les lois de la morale.
Les droits que la morale accorde nécessairement à tous
les individus, se résument dans l'idée de la liberté externe.
L'homme étant appelé à se développer physiquement et morale-
ment d'après les lois de la nature humaine, l'État, qui n'est
lui-même qu'une portion du genre humain, loin de troubler ou
d'entraver ce développement libre, doit au contraire le favoriser
par tous ses moyens. Mandataire de tous, l'État doit en outre
prêter son assistance aux membres qui, passagèrement ou d'une
manière permanente, sont incapables de jouir de la liberté com-
*) V. sur la ligue hanséatique les ouvrages de Sartorius et de Lap-
penberg; aussi Ward, Enquiryll, 276 suiv. Pardessus, Droit marit. t. H,
90, 453. III, 150. Piitter, Beitràge 137. Heinr. Handelmann, Die letzten
Zeiten hanseatischer Uebermacht in Scandinavien. Kiel 1853. Barthold,
Geschichte der deutschen Hansa. Leipz. 1854. 2 vol. Moser, Verhandl.
VII, 313. KMber, Droit des gens. § 70 d. Martens, Introduction. § 130.
not. g. de Kamptz § 260. Miltitz, Manuel des Consuls. II, 660.
815. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 33
mnne. En leur fournissant les choses les plus nécessaires à leurs
besoins, il les élève en même temps au niveau moral de la
société.
Il est constant également qu'un individu ne peut jamais
être la propriété d'un autre ni de l'État. Aucune nation qui se
dirige d'après les préceptes de la morale, ne doit tolérer chez
elle l'esclavage, ni admettre sur son territoire les conséquences
qui en découlent. L'esclave et le serf par rapport à l'État sont
des hommes libres. On ne rencontre plus aujourd'hui en Europe
que de rares exemples de l'esclavage, que l'égoïsme des maîtres
continue à maintenir. Le principe général que l'air rend libre
a été proclamé en France déjà par le roi Louis X (Ordonn.
V, 1. p. 1311), il Ta été également en Angleterre et en Prusse;
(V. v. Hymmen, Beitr. VI, 296.) L'acte du parlement 3. 4. Will. 4.
chap. 73, publié le 1er août 1834, a inauguré une nouvelle ère
en faveur de l'abolition de l'esclavage dans les colonies. Il est
inutile de combattre aujourd'hui une institution que les peuples
civilisés ont effacée successivement de leurs Codes.1
§ 15. L'analyse du caractère de la liberté individuelle ou
de l'existence rationnelle de l'individu nous permet de distinguer
les droits élémentaires suivants, savoir:
Premièrement, le choix libre du domicile. Aucun individu
n'est attaché irrévocablement à la glèbe de l'État, qui Ta vu
naître. La terre est la patrie commune de tous les hommes.
L'individu a la faculté de choisir son domicile là où il croit
pouvoir se mouvoir le plus librement. Bien plus il peut, pour
sauvegarder sa liberté, se trouver dans la nécessité de chercher
une nouvelle patrie dans une autre partie du globe. Le droit
d'émigration est donc un droit imprescriptible, limité seulement
par des engagements volontaires ou forcés, la patrie étant le
pays des liens moraux et non pas des liens physiques. L'an-
> * •
l) Aux États-Unis la question de l'esclavage continue à diviser le
Nord et le Sud. — V. Biot, L'abolition de l'esclavage ancien. Paris 1841.
Àgenor de Gasparin, Esclavage et traite des noirs. Paris 1838. Foelir,
dans la Revue étrangère, t. IV et. V. Warnkbnîg, Rechtsphilosophie. p. 286.
Gaz. générale d'Augsboùrg. 1847. No. 193. Append. Nous nous occuperons
de la traite des noirs au § 32.
3
34 LIVRE PREMIER. g 15.
cienne théorie de même que l'ancienne pratique des États
n'avaient qu'une intelligence très -imparfaite d'un principe, qui
aujourd'hui ne fait plus l'objet d'aucun doute. M. de Haller
même admet le droit d'émigration comme un droit fondamental.1
Quant aux restrictions de ce droit, nous les examinerons au
§ 59 ci-après.
Deuxièmement, conservation, protection et développement
de la personnalité physique. De là découlent la faculté d'assu-
jettir la nature aux besoins matériels de la vie, la propriété,
sa conservation et son accroissement par le libre échange, le
mariage comme moyen de reproduction de l'espèce humaine,
tous ces droits contenus dans les limites tracées par la loi
morale.
Troisièmement, droit d'existence et de libre développement
de la personnalité morale et par suite faculté d'acquérir et de
développer des connaissances par un libre échange intellectuel;
faculté enfin de se former des convictions religieuses sur le
monde invisible et d'y conformer sa conduite.
Tels sont les droits privés ou primordiaux de tous les
hommes, droits qu'on ne doit pas confondre avec les droits
politiques ou de citoyen. A l'égard de ces derniers il n'existe
aucun principe uniforme et généralement admis. Leurs formes
et leurs modifications dépendent de la condition du pouvoir et
de l'esprit publics. La déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, placée en tête de la constitution française du 3 septembre
1791, avait tâché de les réunir ensemble.
C'est à l'État à prescrire les formes ou les modes d'expres-
sion de ces droits qui existent indépendamment de lui, à en
tracer l'ordre et les limites, et à fournir les moyens de les
réaliser. C'est par là qu'ils entrent dans le domaine de la légis-
lation intérieure de chaque État. Néanmoins la Confédération inter-
nationale de l'Europe admet la présomption commune qu'aucune
nation ne refuse aux citoyens de l'autre la protection de leur
personne et de leurs biens. La nation qui, en leur refusant cette
l) V. sur l'ancienne théorie de Kamptz § 122. — V. sur M. de Haller
mon compte -rendu dans la Revue critique de législation t. VII. (1855)
p. 478. Il appelle le droit d'émigration „flebile beneficium.a
§ 16. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 35
protection les traiterait d'une manière arbitraire, se rendrait
indigne de l'association chrétienne et morale, et s'exclurait de
son sein. En effet, dans tous les États dont elle se compose,
les étrangers jouissent de la protection de leurs droits person-
nels et civils, indépendamment de leur qualité politique. Ces
rapports constituent le fondement du „ Droit privé international,"
dont nous aurons à nous occuper par la suite (§ 34 — 39. 60 — 63).1
SECTION n.
ÉTATS SOUVERAINS.
I. DÉFINITION, NATURE ET DIVERSES ESPÈCES D'ÉTATS.
§ 16. Une nation, un État est une association permanente
d'hommes réunis dans le but de pourvoir à leurs besoins phy-
siques et moraux. Le principe commun de toute société civile
est le développement rationnel de la liberté humaine, cette so-
ciété n'étant elle-même qu'une personnalité collective. Dès lors
on ne peut admettre l'existence d'un État universel. C'est dans
la diversité des États seulement que les forces humaines peuvent
se développer librement d'une manière régulière et permanente, et
l'État universel, s'il pouvait s'établir, provoquerait aussitôt l'in-
surrection de tous les éléments nationaux.
L'existence d'un État suppose les conditions suivantes,
savoir:
I. Une société capable de défendre son indépendance avec
ses propres forces et ses propres ressources;
H. une volonté collective régulièrement organisée ou une auto-
rité publique chargée de la direction de la société vers
le but que nous venons d'indiquer;
III. la permanence de la société (status), base naturelle d'un
développement libre et permanent, et qui dépend essentiel-
lement de la fixité et de la suffisance de la propriété fon-
cière, de l'aptitude intellectuelle et morale de ses membres.
Là où ces trois conditions ne se retrouvent pas entièrement,
il n'y a qu'embryon d'État ou un État transitoire, simple agré-
l) Comp. l'ouvrage distingué de Th. Piitter, Das praktische Euro-
pàische Fremdenrecht. Leipzig 1845.
36 LIVRE PREMIER. § 17.
gation d'individus dans certains buts. Ce sont des hordes, des
sociétés sauvages qui, dépourvues de tout élément de dévelop-
pement intérieur, sont condamnées à se dissoudre elles-mêmes.
La théorie ancienne est d'accord là-dessus avec la théorie mo-
derne, que des hordes et des tribus livrées au pillage sont
incapables de former des États.1
L'importance historique ou universelle des États établis est
elle-même tantôt transitoire et de circonstance ou de nature à
se dissoudre elle-même pour devenir le noyau d'États futurs,
tantôt naturellement permanente, lorsqu'ils reposent sur la sève
et sur l'unité nationales.
Nous regardons comme oisive la question agitée par l'école
et qui consiste à savoir : quel est le nombre de personnes né-
cessaires pour former un État? si une, deux, trois personnes
y suffisent? Les traits distinctifs de l'État que nous venons
d'indiquer, répondent suffisamment à cette question.
§ 17. Le poids plus ou moins considérable que la puis-
sance d'une nation jette dans la balance politique des États,
ne modifie nullement le caractère légal des rapports internatio-
naux. L'importance de la puissance réelle des nations se révèle
dans leur existence physique, dans la pratique et dans la poli-
tique des États. A cet effet on distingue entre les États de
premier, de second, de troisième et même de quatrième rang,
et cette distinction parfaitement fondée est d'une vérité incon-
testable, pourvu qu'on n'essaye pas de la réduire à de simples
chiffres de population.
Dans les rapports internationaux il faut considérer également
la constitution intérieure des États. Elle détermine notamment
la capacité des parties contractantes, bien que l'adoption d'une
constitution soit une affaire purement intérieure de chaque État
dans laquelle les autres n'ont rien à voir. A cet effet, on distingue
surtout deux espèces de gouvernement, la monarchie et la ré-
publique, offrant chacune des combinaisons diverses. Entre ces
deux espèces se placent les gouvernements bâtards appelés par
Aristote „parecbasesu et ceux mixtes.
*) V. aussi H. Groot m, 3. 1,1 avec les citations de Cic. Philipp.
IV, 15 et des jurisconsultes romains*
§ 17, DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 37
La vraie monarchie repose sur le principe de l'autocratie
entourée de lois et d'institutions légales et gouvernant d'après
des maximes rationnelles.
Dans la monarchie absolue la volonté du monarque se con-
fond avec la raison d'État (l'État c'est moi). Par une espèce
de fiction on suppose que le monarque ne peut faire aucun mal.
Enfin la monarchie restreinte assujettit le gouvernement lui-
même à certaines lois et le rend responsable envers la nation,
qui par suite est regardée comme un Être légal.
Les États monarchiques portent des noms différents, et ces
noms dépendent, d'après les traditions, des titres de leurs sou-
verains. A cet effet on distingue les titres d'empereur, de roi,
de prince et de duc.
Le titre de roi est plus ancien que celui d'empereur et en
quelque sorte le titre primitif. Il indique d'après l'étymologie
du mot, le chef (Herr1), tandis que le titre postérieur d'empe-
reur implique l'idée de commandement.
Le titre de prince, d'origine germanique et slave, s'appli-
quait en principe aux premiers sujets de l'État seulement;
plusieurs dénominations analogues sont empruntées au régime
féodal du moyen âge, telles que duc, prince, comte, etc.
Le titre de grand -duc est devenu depuis le xvie siècle un
titre intermédiaire entre celui de roi et de prince.2
La tyrannie, l'ancienne tyrannis ou l'usurpation, occupe une
place à côté de la monarchie. Elle gouverne non par le droit,
mais par la force et l'intimidation.
H y a un gouvernement populaire, lorsque le corps de la
nation retient à lui l'empire ou le droit de commander, s'il
commande et obéit à la fois. Cette dénomination comprend la
démocratie, l'aristocratie et l'ochlocratie.
Dans la démocratie pure tous les membres naturellement
capables de la nation participent à l'exercice du pouvoir sou-
verain.
*) Grimm, Deutsche Rechtsalterthûmer. 229.
*) Le titre de grand -duc a été créé d'abord au profit de la Toscane
par un décret du Saint Siège rendu en 1569, confirmé par une ordonnance
impériale de 1575. V. Pfeffinger, Vitr. illustr. I, 747. 748.
3g LIVRE PREMIER. 8 17.
Dans l'aristocratie l'exercice du pouvoir souverain appar-
tient à un certain nombre de citoyens privilégiés, et l'autonomie
populaire y est fondée sur l'inégalité. L'aristocratie se mani-
feste sous les diverses formes de timocratie, d'oligarchie et de
plutocratie.
L'ochlocratie, espèce bâtarde de la démocratie, est le règne
mobile des masses qui s'inspirent de leurs passions et de leurs
caprices passagers.
D'après l'ordre historique il faut distinguer l'État oriental
de l'État européen.
I. L'État oriental est celui de la résignation et du servage,
dans lequel le despotisme ou l'oligocratie s'est alliée à la
hiérarchie. L'État slave en est une forme ennoblie par
le christianisme et par la culture intellectuelle, auxquels
viennent se joindre quelquefois les institutions et le»
classes féodales.
II. L'État européen, savoir:
l'État classique de l'ancien monde, royauté héroïque
d'abord qui gouverne avec le concours des gérontes,
transformé par la suite en démocratie. Rarement il revêt
les formes de la monarchie pure, jusqu'au moment où il
se perdra dans l'empire romain qui, gouverné exclusive-
ment d'après les convenances politiques, absorbera l'ancien
monde tout entier;
l'État germanique primitif du moyen âge ou celui de
la propriété foncière et de la commune rurale;
l'État romano- germanique, calqué sur le type de l'em-
pire romain avec les modifications apportées par le régime
féodal et communal;
l'État absolu, compris aujourd'hui sous le nom d'ancien
régime;
enfin l'État moderne et constitutionnel, ou l'autorité pu-
blique basée sur l'accord de volonté, réel ou présumé, du
gouvernement et des gouvernés. Il repose soit sur l'idée
de la souveraineté du peuple (État populaire), soit sur
l'autorité souveraine du prince et sur les droits garantis
des sujets (État dynastique et constitutionnel), soit enfin
§ 18. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 39
sur le règne parlementaire de classes privilégiées qui ne
laisse subsister qu'une ombre des prérogatives de la
couronne.
Le principe constitutionnel a poussé des racines profondes
surtout dans l'Europe occidentale. Au milieu des États mo-
narchiques de l'Europe se trouvent disséminées plusieurs com-
munautés républicaines, d'une couleur tantôt démocratique, tan-
tôt aristocratique.
Le droit public interne indique les développements ulté-
rieurs de ces diverses formes de gouvernement.
§ 18. La souveraineté internationale des États repose es-
sentiellement sur l'organisation d'un pouvoir régulièrement con-
stitué et indépendant. Cette indépendance des États néanmoins
ne présente pas partout le même caractère absolu et exclusif,
ni légalement ni de fait A cet effet les auteurs distinguent
plusieurs catégories, notamment l'État simple, l'État composé
et l'État fédéral.
I. L'État simple, en possession de la souveraineté complète,
ne se rattache, en dehors des rapports internationaux ordi-
naires, à aucun corps politique d'une manière permanente ;
H. L'État composé ou, selon l'expression de l'école, le système
d'États (systema civitatum1). Sous cette dénomination
sont compris:
1° Les rapports politiques d'un État mi -souverain2 avec
celui dont il relève d'une manière permanente, du
moins dans ses affaires étrangères. Nous en parle-
rons au § 19 ci -après; et
2° la réunion de plusieurs États souverains sous un
chef commun (unio civitatum) : il en existe également
plusieurs espèces (§20 ci -après);
l) V. Sam. a Pufendorf , De systematibus civitatum dans ses dissert.
acad. sélect. Lond. Scand. 1675. p. 264. J. C. Wieland, De System, civit.
Lips. 1777 et dans ses Opéra acad. I, n. 2. Pôlitz, Jahrbûcher der Ge-
schichte und Staatskunst. 1829. I, 620. Ch. Lud. Stieglitz, Quaest. jur.
publ. specim. I. Lips. 1830.
') L'expression d'État mi -souverain a été employée pour la première
foi» par J. J. Moser, Beitr. zum VOlkerrecht in Friedenszeiten. I, 508.
40 LIVRE PREMIER. § 19.
m. Enfin la confédération perpétuelle de plusieurs États (con-
foederatio civitatum) pour leur défense et la garantie com-
mune de leurs droits (§ 21 ci -après).
En outre l'État complètement souverain peut, dans ses rap-
ports extérieurs, assujettir sa souveraineté à certaines restrictions,
que nous examinerons au § 22.
§ 19. Il faut convenir que ridée d'une mi- souveraineté est
très -vague et présente même une espèce de contre -sens, la sou-
veraineté étant exclusive de toute dépendance d'une puissance
étrangère. Il n'est pas même possible de ramener à un type unique
les restrictions nombreuses dont cette dernière est susceptible.
Néanmoins, comme le terme a une signification double: souve-
raineté extérieure par rapport aux puissances étrangères; sou-
veraineté intérieure par rapport au régime intérieur de l'État,
Tune étant au surplus la conséquence de l'autre, il est permis
de parler d'un État mi -souverain pour indiquer la nature bâtarde
d'un corps politique condamné à subir dans ses rapports exté-^
rieurs l'impulsion d'une puissance supérieure. Telle fut naguère
l'autorité des princes territoriaux de l'empire germanique avant
son extension démesurée, alors qu'elle était contenue encore par
la force du pouvoir central.1 Dans le monde ancien on peut
citer comme exemples les alliés sujets des Athéniens et les
populi liberi, alliés des Komains en vertu de la clause: „ut ma-
jestatem P. R. comiter servarent."3 Les princes de l'empire ger-
manique, médiatisés en 1806, au contraire, ne sont nullement
mi -souverains (art. 14 de l'acte de la confédération germanique).
De nos jours on pouvait citer comme exemple la seigneurie bizarre
de Kniphausen située dans l'Allemagne du nord. Elle jouissait
de tous les droits de souveraineté intérieure, notamment de sa
législation propre et du droit de pavillon pour la protection de
sa marine marchande, en même temps qu'elle relevait, sous la
garantie de la Diète fédérale, de la suzeraineté du duché d'Ol-
denbourg, suzeraineté qui avait succédé à celle de l'empire ger-
manique. Un traité conclu entre le comte de Bentinck, dernier
possesseur de cette seigneurie, et le duc d'Oldenbourg, sous la
médiation des cours d'Autriche, de Prusse et de Russie, (com-
*) Gûnther, Vfflkerrecht. I, p. 121. a) V. 1. 7. § 1. D. de captivîs.
§ 20. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 4\
promis de Berlin du 5 juin 1825) et garanti le 9 juin 1829 par
la Diète fédérale, avait scellé à cet État de choses particulier,
auquel maintenant une transaction du 13 avril 1854 a mis fin
au profit d'Oldenbourg. Restent encore les principautés électives
de Moldavie et de Vaiachie, la principauté héréditaire de Servie
et les États barbaresques qui relèvent de la suzeraineté de la
Porte, comme États mi- souverains.1 C'est au régime féodal qu'on
a emprunté l'expression suzeraineté (Oberhoheit) pour indiquer
ces rapports.3
§ 20. Une union d'États souverains (unio civitatum) peut
être le résultat de leur réunion accidentelle ou personnelle sous
le même chef (unio personalis). Dans ce cas chacun conserve
la plénitude de ses droits souverains. Bien qu'étrangers les uns
aux autres, ils ne pourront que difficilement se faire la guerre
entre eux, surtout lorsque leur chef commun les gouverne avec
l) Quel est le vrai caractère de la suzeraineté de la Porte sur les
principautés danubiennes? La solution de cette question est soumise en
ce moment aux délibérations du Congrès de Paris. Des capitulations d'Une
origine très -ancienne, car elles remontent pour la Vaiachie aux années
1393 et 1460, et pour la Moldavie à Tannée 1513, ont garanti aux prin-
cipautés leur autonomie et leur indépendance politiques, en les soumettant
au payement d'un tribut annuel et en accordant à la Porte le droit d'ap-
prouver l'élection de leurs „woïwodes." Mais il faut convenir en même
temps que des conflits perpétuels ont surgi par la suite sur l'interpréta-
tion de ces capitulations, et que, depuis le xva au xvni • siècle, après des
luttes sanglantes, la Porte s'est arrogé le droit de nommer directement
ces chefs parmi les Grecs phanariotes, en imposant aux Candidats un tribut
de plus en plus onéreux. Cet état de choses s'est conservé jusqu'au
traité de Eainardji, dont les 9 premiers articles stipulent le maintien de
tous les privilèges des principautés : l'article 10 consacre un droit d'inter-
cession en faveur de la Russie qui devient garante de ces privilèges.
Enfin le traité d'Andrinople (art. 5) établit le protectorat de la Russie
sur les principautés qui continuent à être soumises à la suzeraineté de la
Porte. La dernière guerre ayant mis fin au protectorat exclusif de la
Russie, il s'agit de concilier, dans la réorganisation des principautés, leurs
droits avec les intérêts de l'Europe et avec la suzeraineté de la Porte,
problème ardu et complexe.
*) Le district de Poglizza en Dalmatie fut considéré aussi naguère
comme État mi -souverain, sujet à la suzeraineté de l'Autriche. Il ne peut
plus en être question aujourd'hui. V. Neigebaur, Sûdslaven. Leipzig 1851.
p. 165.
42 LIVRE PREMIER. § 20.
un esprit d'égalité parfaite. Ou bien les diverses nations dont
se compose l'union, contractent des rapports qui préparent la
fusion totale ou partielle de leurs destinées (unio realis).1 A cet
effet on distingue l'État incorporé de l'union fondée sur l'égalité
politique des membres dont elle se compose.
I. L'État incorporé forme un accessoire de l'État principal
et en partage le sort politique. Les colonies modernes par rap-
port à leur métropole en sont un exemple.
II. L'union politique qui a pour base l'égalité des droits,
se présente sous des formes diverses. Tantôt elle a pour but
de faire jouir en commun les nations qui la composent, des bien-
faits de la paix et de partager entre elles les hasards de la
guerre: telle est celle de la Suède et de la Norwége. Tantôt
plusieurs nations sont réunies en un seul État et sont gouver-
nées par leur souverain commun, soit d'après les principes pure-
ment monarchiques, comme les États héréditaires de la monarchie
autrichienne et le royaume des Deux-Siciles (qui obéit à uhe
branche cadette des Bourbons), soit d'après des règles consti-
tutionnelles, comme les trois royaumes unis d'Angleterre, d'Ecosse
et d'Irlande ; enfin l'union peut avoir pour base l'État fédéral et
démocratique. L'ancien monde nous fournit un exemple de ce
dernier dans la confédération achéenne;2 le monde moderne
celui des États-Unis de l'Amérique et celui du Mexique.8
L'union politique n'est nullement exclusive de l'existence
individuelle des divers corps dont elle se compose, mais celle-ci
est limitée d'après les clauses du pacte d'union au profit du
pouvoir central. Ce pouvoir lui-même à son tour devient im-
puissant quelquefois en présence de la tendance centrifuge des
l) Kliiber, Droit des gens. § 27, a adopté une classification différente.
a) V. Polybe H, 37, 10. 11. Fr. W. Tlttmann, Griechische Staats-
verfassungen. 1822. p. 673. 667. Saint-Croix, Des anciens gouvernem. fédé-
ratifs. Strasb. 1800. A. E. Zinserling, Le système fédératif des anciens
mis en parallèle avec celui des modernes. Heidelb. 1809. Pôlitz, Die
Staatensysteme Europas und Amerikas. Leipzig 1826. 3 vol.
8) V. sur la Constitution des États-Unis Story, N. cours de droit po-
litique, trad. par Odent. Paris 1843. James Kent, Comment, on the Ame-
rican Law. New- York. éd. 2. 1832. (Trad. en allem. par Bissing. Heidel-
berg 1836.)
% 21. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 43
États de l'union, tendance qui peut avoir pour résultat de faire
succéder à l'État fédéral la confédération d'États.
§ 21. La confédération d'États diffère essentiellement de
l'État fédéral. Privée d'un pouvoir général et central, elle forme
pourtant une association politique permanente, ayant des organes
communs et des institutions organiques conformes aux stipula-
tions du pacte fédéral. Les divers États alliés conservent leur
pleine souveraineté sous tous les rapports, et n'obéissent aux
décisions du pouvoir fédéral, qu'autant qu'ils s'y sont soumis
volontairement, tandis que dans l'État fédéral les divers corps
dont il se compose, ont cessé d'être entièrement souverains. La
confédération n'est le plus souvent qu'un premier pas fait par de
petits États qui, pour sortir de leur isolement et remédier à leur
faiblesse, se rapprochent entre eux comme des tribus d'une souche
commune. Quelquefois aussi, ainsi que nous venons de le dire, la
confédération devient la dernière manifestation d'un État fédé-
ral. Dans l'ancien monde, elle a porté le caractère de simples
alliances de protection et de défense, comme dans les ligues
des villes grecques et latines. Dans le monde moderne c'est
la forme fédérale qu'ont adoptée les sept provinces unies des
Pays-Bas, à la suite de leur insurrection contre la couronne
d'Espagne, c'est encore aujourd'hui le lien politique qui unit et
la Suisse et l'Allemagne. l L'influence des rapports fédéraux sur
la constitution particulière des divers États peut varier natu-
rellement et rapprocher la confédération de la nature de l'État
fédéral. C'est surtout dans les relations avec les puissances
étrangères que se manifeste l'efficacité de la confédération : c'est
par là qu'à son tour elle devient une personnalité morale du droit
international. Il faut distinguer en outre la confédération dyna-
stique de celle politique ou populaire.
La confédération dynastique sanctionne la ligue des gou-
vernements, et met les forces fédérales à leur disposition . pour
fortifier et étendre leur autorité-,
l) Et peut-être celui qui devrait présider à la reconstitution de l'Italie.
Un tableau intéressant de la Confédération suisse a été tracé par Zschokke
dans: Rotteck und Welcker, Staats-Lexicon. Y, 625.
44 LIVRE PREMIER. §22.
La confédération politique des peuples a surtout pour but
l'unité organique des races gouvernées.
Cette dernière seulement peut compter sur une durée per-
manente. La pure alliance des gouvernements est un produit
éphémère des intérêts dynastiques.
§ 22. Ce ne sont pas seulement les rapports fédéraux qui
modifient l'autonomie souveraine des nations. Cette autonomie
peut subir encore d'autres modifications plus ou moins profondes,
sans faire renoncer les nations à leur souveraineté. Nous allons
en indiquer les principales.
I. Restrictions volontaires de certains droits souverains
au profit d'une puissance étrangère, telles que des servitudes
d'État que nous traiterons au § 43, ou concessions de certains
avantages et de certaines prestations permanentes, telles qu'une
rente ou un tribut proprement dit comme prix de rachat de-
stiné à faire cesser les vexations du plus fort;
IL Pactes de médiation et de garantie que nous explique-
rons au chapitre relatif aux contrats (§ 97);
m. Rapports féodaux: une puissance pouvant donner une
souveraineté en fief, des souverains se sont rendus volontaire-
ment feudataires d'un autre. La constitution d'un fief fait naître
certains droits privés et certains devoirs réciproques entre le
suzerain (dominus feudi) et le vassal, notamment celui d'une
fidélité mutuelle. Ainsi p. ex. ils ne doivent pas se faire la
guerre entre eux; la félonie donne lieu à la commise du fief.
L'hommage ne porte aucun préjudice aux droits territoriaux du
vassal ni à ses rapports avec les souverains étrangers,1 pourvu
que ces rapports laissent subsister le lien féodal.2 Les États
feudataires sont devenus de nos jours très -rares. Le lien féodal
du roi des deux Siciles par rapport à Naples a été dissous en
1818. 8 En Allemagne la confédération rhénane l'a fait cesser
presque partout. On regarde comme encore en vigueur la sùze-
l) Bodinus, De republ. I, 9. Textor, Synops. jur. gent. IX, 21.
H. G. Scheidemantel, De nexu feudali inter gentes. Jenae 1767.
a) Giinther, Vôlkerr. I, 135. Moser, Vers. I, 7.
8) V. cependant le décret de la Diète fédérale du 20 janvier 1848.
V. Heinse, Sâmmtliche Werke. IX, 203.
% 22. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 45
raineté de la Prusse sur la principauté de Waldeck au sujet de
Pjnrmont, ainsi que celle de la Hesse électorale sur les princi-
pautés de Schaumburg- Lippe et de Waldeck;
IV. Traités de protection, par lesquels un État faible se
soumet à la protection d'un plus puissant. L'histoire politique
à toutes les époques a été féconde en exemples de ce genre.
Les traités de soumission ont eu souvent pour effet de réduire
la condition de l'État inférieur à celle d'État mi- souverain ou
accessoire. Dans le système actuel de l'Europe, on regarde
comme États protégés les suivants:
Les îles ioniennes, républiques aristocratiques sous la pro-
tection perpétuelle du roi d'Angleterre (traité de Paris du 5 no-
vembre 1815 et acte constitutionnel du 29 décembre 1817);
les principautés danubiennes, soumises depuis le traité
d'Andrinople de 1829 au protectorat de la Kussie, protectorat
qui est sur le point d'être remplacé par celui collectif de
l'Europe;
la principauté de Monaco, propriété de la famille de Gri-
maldi-Valentinois: l'Espagne d'abord, la France depuis 1641
jusqu'à la révolution, aujourd'hui la Sardaigne (par le traité de
Paris de 1815) se sont succédé dans le protectorat de cette
principauté;1
enfin la Ville libre de Cracovie (art. 6 de l'Acte final du
Congrès de Vienne), incorporée depuis 1846 à la monarchie
Autrichienne.
Régulièrement le traité de protection a pour but de sauve-
garder l'indépendance de l'État protégé, incapable de se garantir
lui-même d'insulte et d'oppression. En reconnaissance de la
sûreté qu'on lui procure, l'État protégé doit, dans ses relations
extérieures, s'accommoder à la politique de l'État protecteur, et
régler en conséquence sa conduite à l'intérieur, afin d'éviter des
complications au dehors. Les traités et les usages fixent en
général les clauses de la soumission. Une soumission volon-
taire est essentiellement révocable.3
l) V. Moser, Ausw. Staatsr. V, 3. 399. de Real, Science du gouv.
IV, 2. 3. 21. Murhard, N. Suppl. t. IL 1839. p. 343.
*) V. surtout Vattel I, §§ 191—199. Gûnther, Vôlkerr. I, 131.
46 LIVRE PREMIER. § 23,
§ 23. L'origine des États est en général le résultat d'évo*
luttons historiques. Tantôt, comme l'État patriarchal primitif, tt
a été le produit de la vie de famille et de tribu, tantôt, comme
l'État hiérarchique, il s'est formé sous l'influence des idées re-
ligieuses, tantôt, comme l'ancien État héroïque, et plus tard
l'empire romain et l'État féodal, il a été fondé par la force
individuelle. Quelquefois la volonté collective d'un peuple ou
d'une majorité puissante a concouru à sa fondation: c'est ainsi
que dans l'ancien monde le peuple assemblé en comices décré-
tait la fondation de colonies. Au moyen âge l'usurpation, la
conquête, les partages, de nos jours l'émancipation, l'affran-
chissement de pays accessoires ou de colonies de leurs métro-
poles, ont été des sources fréquentes de l'origine de nou-
veaux États.
Un État existe de fait dès qu'il réunit les éléments néces-
saires, indiqués au § 16 ci -dessus, c'est-à-dire la volonté unie
à la force indispensable pour défendre son indépendance. De
là naît également l'obligation des autres de respecter cette indé-
pendance. Néanmoins les principes de la justice qui régissent
l'Europe chrétienne prescrivent en outre que l'existence d'un État
ne lèse pas les droits des autres (Neminem laede!), que du
moins la lésion cesse ou que l'État lésé renonce: c'est à cette
condition qu'un nouvel État devient légitime. Aussi longtemps
que l'État lésé n'a pas renoncé, qu'il s'oppose et qu'il a recours
à la force des armes pour rétablir l'ancien ordre de choses, les
puissances étrangères ne peuvent ni ne doivent reconnaître
l'existence du nouvel État, ni entrer en relations politiques avec
lui: il faut que l'État lésé, après avoir été indemnisé, recon-
naisse le nouvel ordre de choses, qu'il se trouve dans l'impossi-
bilité de recouvrer ses anciens droits. Jusque là il ne peut y
avoir que de ces relations naturelles, surtout commerciales, autant
que la guerre n'y met obstacle. H n'appartient nullement aux
puissances étrangères, parties non intéressées du litige, de décider
si l'admission d'un nouvel État constitue une lésion de droits
antérieurs: à leur égard cette création est un événement, une
évolution de l'histoire, que la politique et la morale conseillent
d'admettre ou d'empêcher. Elle forme au contraire une question
§ 23. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 47
légale à l'égard des nations réunies jusqu'alors sous un sceptre
commun , question qui doit être résolue d'après les règles du
droit public interne, et dont la solution exige en outre le con-
cours des puissances qui ont stipulé l'intégrité de l'union politique
précédemment établie, ou qui ont intérêt légitime et direct, et
non pas seulement celui d'une garantie accessoire. Dans tous
les cas le nouvel État doit remplir les engagements qui datent
de l'union précédente, à raison de la portion à lui échue lors
du partage.
D'un autre côté l'entrée du nouvel État sur la scène politique
ne dépend nullement d'une reconnaissance expresse et préalable
des puissances étrangères : elle s'accomplit de plein droit le jour
où il commence à exister. De même ce sont les convenances
politiques seules qui doivent décider ces dernières à le recon-
naître et à entrer en rapports directs avec lui. La reconnaissance
ne fait que confirmer ce qui existe légalement, en admettant un
nouveau membre dans la grande famille européenne.
La pratique et la théorie s'accordent en général avec les
principes qui viennent d'être énoncés. Ils ont reçu une appli-
cation fréquente, notamment lors de l'insurrection des sept pro-
vinces unies des Pays - Bas et de celle, survenue depuis du Por-
tugal contre la couronne d'Espagne, plus tard à la suite des
guerres d'indépendance de l'Amérique du Nord, de l'Amérique du
Sud, de la Grèce et naguère lors de la reconstitution de la Belgique.
Les négociations surtout qui ont eu lieu entre la France et la
Grande-Bretagne au sujet de la reconnaissance de l'indépen-
dance des États-Unis sont très -instructives.1 De même celles
échangées entre les cours de l'Europe au sujet de la reconnais-
sance des États de l'Amérique du Sud sont également très-
intéressantes. La question de savoir si et à quelles conditions
la portion d'un État peut s'en détacher, fut déjà traitée par les
anciens publicistes, notamment par Grotius et par Cocceji, son
commentateur; elle a reçu de nos jours des solutions différentes
*) Ch. de Martens, Nouv. causes célèbres. 1. 1. 1843. p. 370—498.
Moser, Versuch des neuen europâischeii Vôlkerr. VI, p. 126 suiv. Giinther,
Vôlkerr. I, 75. Schmalz, Vôlkerr. p. 36 suiv. Kliiber, Droit des gens. § 23.
Wheaton, Intern. Law. I, 1. 2. § 19. p. 96.
48 UVRE PREMIER. 8 24,
selon le point de vue auquel on s'est placé. x Nous aurons à
examiner par la suite le droit d'intervention des puissances étran-
gères à l'occasion de ces événements politiques.
§ 24. Les États naissent, croissent, vieillissent et périssent
enfin comme les individus. L'État n'est immortel que comme
principe et comme cause première : l'État particulier n'est immor-
tel qu'en ce sens tout au plus, qu'il ne dépend pas de l'existence
physique de ses membres, mais subsiste aussi longtemps que
la loi de reproduction fait succéder de nouveaux membres à
ceux qui s'éteignent.2 Au surplus il est condamné à périr
comme toutes les choses terrestres, et son autorité ne lui survit
en aucune manière. La question de savoir quand un État, a
cessé d'exister n'en est pas moins une question pratique, car
avec lui ont dû s'éteindre nécessairement les rapports légaux
qui dépendaient de son existence. Avant d'aborder cette question;
nous rappelons le principe suivant:
Tout État souverain subsiste aussi longtemps que, sous
une forme quelconque, il possède les éléments nécessaires
à l'existence d'un corps politique, conformément à la défi-
nition que nous en avons donnée au § 16; par suite aussi
longtemps que subsiste une association indépendante, ca-
pable de se protéger elle-même et de se reproduire, n'im-
porte d'ailleurs que la reproduction s'opère d'une manière
organique ou par voie d'immigrations.
En conséquence un État doit être considéré comme entière-
ment éteint dans les cas suivants:
1° lorsque tous les membres de la nation dont l'État se com-
posait, ont péri d'une manière naturelle ou violente;
2° lorsqu'ils ont cessé de former une association politique par
suite d'émigration ou d'expulsion de leur sol natal, ainsi
qu'il est arrivé au peuple juif et à d'autres peuples de
l'ancien monde;
*) Grotius m, 20. 41. 2. Cocceji H, 5. 24. 2. Pufendorf, J. N. et G.
VHI, 11. § 4.
2) Bespublica aeterna. Universitas non moritur sed conservatnr in
uno. On trouve des déductions savantes de ces maximes, dont nous n'avons
plus besoin, dans. Grotius, J. B. ac P. H, 9. 3 et Pufendorf, J. N. et G.
vm, 12. 7.
§ 25. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 49
3° lorsqu'une association politique se fond avec une autre (unio
per confusionem), de manière que chacune perd son caractère
individuel ou que Tune devient subordonnée à l'autre.1
Un État est réputé avoir cessé d'exister en partie seulement,
par suite d'une diminution de sa substance, c'est-à-dire, par suite
d'un partage ou d'un démembrement en plusieurs corps distincts,
— ou bien par suite de la perte d'une portion de son territoire
qui a été réunie à celui d'un autre, — enfin par l'incorporation
à un État étranger, ou après avoir été réduit à la condition
d'État mi -souverain (§ 19).
Un État, au contraire, continue à subsister, lorsqu'il subit
seulement des changements dans les formes de son gouverne-
ment ou dans les organes du pouvoir souverain. Il est vrai
qu'Aristote était d'un avis opposé ; mais tous les publicistes mo-
dernes s'accordent à repousser son avis. Ainsi p. ex. Bynker-
shoek disait: „ forma civitatis mutata non mutatur ipse populus.
Eadem ubique res publica est." a En effet les éléments de l'État
continuent à être les mêmes. Par suite un État subsiste lorsqu'il
est réuni à un autre à des droits égaux; ou bien lorsque le
siège en est transporté d'un territoire dans un autre avec renon-
ciation au territoire précédent, pourvu que l'association politique
continue à offrir le même caractère de liberté et d'indépendance.
Car ce n'est pas la glèbe qui forme l'État, bien que nous consi-
dérions des sièges fixés comme étant nécessaires à son existence.8
Dans tous ces cas, les rapports légaux de l'État ne subissent
d'autres modifications que celles résultant du maintien de l'ancien
état de choses, p. ex. relativement aux traités publics conclus
précédemment.
§ 25. Lorsqu'un État vient à se dissoudre en totalité ou
en partie, il naît la question de savoir: à qui est échue sa
*) Grotius, 1. cit. § 6. Pufendorf, 1. cit. § 9.
*) Aristote, Politique. III, 1. Bynkershoek, Quaest. juris publ. H, 25.
Grotius, 1. cit. § 8, 1. Pufendorf, 1. cit. § 1. Boeder, De actis civitat.
(Dissert. acad. vol. I, p. 881). Hert, De pluribus hominibus Unam personam
sustinent. §§ 7. 8.
8) Grotius, 1. c. § 7. Pufendorf § 9; et déjà Aristote 1. cit. p. 74 (édit.
Gôttling).
4
50 LIVRE PREMIER. § 25.
succession avec les profits et avec les charges qu'elle comporte?
On s'est demandé dans ce cas si la succession devait être con-
sidérée comme étant à titre universel ou à titre particulier?1
En mêlant ainsi les principes du droit privé avec ceux du droit
public, on a dû nécessairement troubler la simplicité et l'har-
monie de ces derniers.
Nous posons en effet, dans le cas d'une extinction com-
plète d'un État, la règle suivante, à savoir:
Tous les rapports publics de l'ancienne association politique,
ayant été exclusivement établis en vue de cette dernière,
doivent être considérés comme éteints, autant du moins
que leur maintien dans le nouvel état de choses n'est
pas possible et n'a pas été expressément stipulé;
Sont considérés, au contraire, comme continuant à subsister,
tous les droits et tous les engagements privés (jura et obli-
gationes singulorum privatae) qui datent des anciens rap-
ports politiques, sans qu'on puisse excepter la responsa-
bilité privée des particuliers relativement aux engagements
de l'État;2 peu importe que ces derniers grèvent les per-
sonnes ou les choses. Il suffit que leur exécution soit
possible d'une manière quelconque.
En effet les droits établis dont la durée n'a pas été limitée,
sont considérés comme existant toujours, aussi longtemps du
moins qu'existent les personnes et les choses à l'égard desquelles
ils peuvent recevoir leur exécution.
Il faudra en dire autant de la persistance des droits
privés, lors de la dissolution partielle d'un corps politique,
tandis que les rapports publics de ses membres subiront les
changements commandés par le nouvel ordre de choses, ou im-
posés par la loi du vainqueur, lorsqu'ils sont l'effet de la con-
quête.8
*) V. Klock, Consilia. vol. VIII, 152, n. 28. v. Cramer, Wtzl. Nbst.
110, p. 233.
2) Ainsi ils répondent notamment du payement des emprunts con-
tractés par l'ancien État.
3) V. les décisions portées par la députation de l'Empire de 1803,
§ 3 relativement à la constitution de la ci -devant principauté de MUnster.
§ 26. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 51
L'administration du domaine privé, avec les charges qui
le grèvent, appartient, après la dissolution d'un État, à celui
qui lui a succédé. C'est ce qui fait dire que le fisc nouveau
succède à titre universel aux droits et aux obligations de l'an-
cien. Il ne faut pas non plus perdre de vue cette règle: „Bonanon
intelliguntur nisi deducto aère alieno." Les partages s'opèrent
proportionnellement à la part de chacun.1 Quant aux immeubles
qui font partie du domaine privé, nous en parlerons au cha-
pitre II du présent livre.
IL DROITS FONDAMENTAUX DES ÉTATS DANS LEURS RAPPORTS
MUTUELS.
§ 26. Les droits généraux et mutuels des nations avec les
formes et avec les modifications consacrées par les règles du
cérémonial public et par les usages, doivent avant tout fixer
notre attention. Voici l'ordre dans lequel ils se présentent:
le droit de personnalité, c'est-à-dire celui de ne pas être
troublé dans son existence politique;
le droit de dignité, ou la considération et le respect qui
sont dus à toute nation comme personnalité collective;
le droit de commercer librement entre elles; enfin:
le droit de souveraineté et d'indépendance sur son propre
territoire
Les différents droits sont dominés par le principe fonda-
mental de l'égalité de toutes les nations souveraines, sauf les
modifications qu'il a reçues dans le droit positif.
Nous ne pouvons nous occuper ici que des droits mutuels
des nations, mais nullement de ceux qui sont exercés par chaque
nation sur son propre territoire, et qui forment l'objet du droit
public interne. Il est souvent question à la vérité, dans la pra-
tique des nations, d'un Droit de convenance, c'est-à-dire du droit
qui appartient à chaque nation, en cas d'une collision de ses
intérêts avec ceux des autres, d'agir de la manière la plus con-
l) V. le journal périodique Hermès XXX, 1. p. 113. Grotius H, 5. 9.
§ 9 et 10. Pufendorf, 1. cit. VIE, 12. § 5. Wheaton, 1. cit. § 20. p. 99.
Leonhardi, Austràgalverf. des deutschen Bundes. p. 645. Pinder, Das
Recht getrennter Landestheile auf gemeinschaftl. Legate. Weimar 1824.
4*
52 LIVRE PREMIER. § 27.
forme aux siens propres. Mais ce droit même suppose néces-
sairement l'absence d'un droit régulièrement consenti au profit
d'une nation étrangère et de nature à en empêcher l'exercice.
Le seul intérêt politique ne suffit pas pour motiver l'exercice
d'un droit semblable. La faculté d'agir selon les convenances
politiques est donc une faculté toute naturelle.
On a encore considéré comme des cas d'un droit de con-
venance les cas suivants, savoir:
premièrement, ce qui, en temps de guerre, est réputé la
raison de guerre;
secondement, ceux d'une nécessité effective, qui constituent
au profit des nations le droit suprême de sauvegarder leur
existence et leurs intérêts menacés par un péril imminent,
même aux dépens et en violant les droits d'autrui. La
convenance se confond dès lors avec la légitime défense.
Nous établirons par la suite qu'aucune de ces deux espèces
de convenances légitimes n'est affranchie de toute règle.1
ÉGALITÉ DES ÉTATS.
§ 27. Les nations étant souveraines ou indépendantes les
unes des autres, ainsi que nous l'avons dit ci -dessus (§ 18),
traitent entre elles sur un pied d'égalité complète. L'État le
plus faible a les mêmes droits politiques que le plus fort. En
d'autres termes, chaque État exerce dans leur plénitude les
droits qui résultent de son existence politique et de sa parti-
cipation à l'association internationale. De là il ne s'ensuit nulle-
ment qu'un État, à moins d'y être autorisé par un titre spécial,
puisse exiger d'un autre, lors de l'exercice des droits souverains
de ce dernier, et dans leurs rapports mutuels, l'observation des
règles de conduite qu'il a adoptées lui-même. Ainsi un État ne
peut empêcher un autre de favoriser ses propres sujets au dé-
l) Moser, Beitr. I, 5. F. H. Struben/ Abhandl. von der Kriegsraison
und dem Convenienzrecht (in der Sammlung auserlesener juristischer Ab-
handl. Leipz. 1768). p. 31 suiv. L. v. Dresch, Abhandlungen tiber Gegen-
stânde des ôffentlichen Rechtes. 1830. No. 1. Heffter, Beitr. zu dem Staats-
und Privât -Ftirstenrecht. p. 184. Klûber, Oeffentliches Recht des deut-
schen Bundes. § 175.
§ 28. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX, 53
triment de sujets étrangers, et d'accorder notamment certains
avantages aux premiers sur ces derniers, en cas de collision
d'intérêts réciproques. Ces faveurs ne constituent aucune illéga-
lité, mais une iniquité seulement qui autorisera des mesures
de rétorsion, ainsi que nous rétablirons au § 111 ci -après. De
même encore un État peut accorder à certaines nations étran-
gères des avantages et des droits spéciaux, sans que les autres
y puissent voir une lésion. Elles auront la faculté d'en faire
autant et de recourir à des mesures de rétorsion.1 Il ne faut pas
oublier non plus, ainsi que nous l'avons déjà dit, que l'idée de
souveraineté n'est nullement exclusive de certaines restrictions,
de certains rapports de dépendance et de soumission politiques.
Enfin l'inégalité politique des États et les traditions ont con-
sacré dans le système européen le droit de préséance.
DROITS DE PRÉSÉANCE DES ÉTATS EUROPÉENS.2
§ 28. Déjà aux conciles religieux du moyen âge les pré-
tentions rivales de rang et de préséance ont donné lieu à de
vives contestations entre les représentants des diverses nations.
Ces contestations et le commerce actif entre les puissances tem-
porelles et le Saint-Siège ont fourni aux papes l'occasion de
faire intervenir leur autorité, et les rangs des princes ont été
réglés par eux à diverses reprises. Un règlement publié en 1504
par le pape Jules II notamment a fixé les rangs dans l'ordre
suivant: l'empereur romain, le roi romain, les rois de France,
d'Espagne, d'Aragon, de Portugal, d'Angleterre, de Sicile, d'Ecosse,
de Hongrie, de Navarre, de Chypres, de Bohême, de Pologne et
de Danemark; la république de Venise, les ducs de Bretagne
*) Gunther, Vôlkerr. I, 316.
2) Les traités relatifs à cette matière, à laquelle on accordait autrefois
une importance minutieuse et exagérée, ont été indiqués par Ompteda
§ 195 suiv. et par Kamptz § 124 suiv. V. en outre Zach. Zwanzig, Thea*
tram praecedentiae. Frcfrt. 1706. 1709. Rousset, Mémoires sur le rang et
la préséance. Amst. 1746. Agostino Paradisi, Atteneo dell' uomo nobile.
Venet. 1731. Gottfr. Stieve, Europ. Hofcerimon. Leipz. 1715. 1723. Gtin-
ther, Vôlkerr. I, p. 199 suiv. Hellbach, Handbuch des Rangrechts. Ansp.
1804. Fr. A. Mosheim, Ueber den Rang der europâischen Machte. Sulz-
bach 1819.
54 LIVRE PREMIER. § 28.
et de Bourgogne; les électeurs de Bavière, de Saxe et de Brande-
bourg ; l'archiduc d'Autriche, le duc de Savoie, le grand-duc de
Florence, les ducs de Milan, de Bavière, de Lorraine etc. L'auto-
rité de ce règlement et d'autres semblables n'a jamais été re-
connue généralement. De même plusieurs conventions conclues
à cet effet entre divers gouvernements sont tombées dans l'oubli
par suite du changement des circonstances.1 — La franchise
chevaleresque du roi Gustave -Adolphe de Suède et de la ré-
gence qui lui a succédé, s'est pour la première fois opposée
ouvertement et avec hardiesse à ces vaines prétentions. Les
paroles prononcées par lui: que toutes les têtes couronnées
étaient égales, ont eu un retentissement général qui a produit
des changements importants.
Aujourd'hui les rangs des divers États sont réglés d'après
Tordre conventionnel suivant:
I. Les États qui ou dont les souverains jouissent d'hon-
neurs royaux (honores regii), ont des prérogatives d'honneur sur
d'autres Etats souverains. Sont considérées comme prérogatives
attachées aux honneurs royaux: l'usage du titre, de la couronne
et des armes royaux; le droit incontesté de pouvoir nommer
aux missions diplomatiques des ministres publics de première
classe, ainsi que d'autres faisant partie du cérémonial public,
dont nous parlerons ci-après. Les empereurs, les rois, les grands-
ducs régnants, et en vertu d'anciens usages, l'électeur de Hesse,
jouissent des honneurs royaux; enfin autrefois les ci -devant
Provinces -Unies des Pays-Bas et la république de Venise, et
aujourd'hui encore les confédérations libres, telles que la Suisse
et les États-Unis de l'Amérique, participent incontestablement
à ces prérogatives. Il va sans dire que la confédération ger-
manique y participe également, la plupart des souverains qui
la composent étant eux-mêmes en jouissance des prérogatives
royales.
H. Une égalité parfaite de rang est établie en principe
entre les souverains qui appartiennent à chacune des deux ca-
tégories principales d'États, c'est-à-dire celles de premier et de
l) V. les ouvrages cités dans la note précédente et un résumé chez
Gfinther § 18.
§ 28. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 55
second rang. Ce principe s'applique notamment aux titres d'em-
pereur et de roi, les empereurs romains d'Allemagne qui autre-
fois étaient considérés comme occupant le premier rang dans
la Chrétienté, ayant cessé d'exister. Le titre d'empereur n'a plus
eu depuis sur celui de roi de prérogatives quelconques. Plusieurs
rois se sont attribué la dignité impériale, ou du moins ont donné
à leur couronne et à leurs droits le nom d'impériaux. C'est
ainsi que les rois de France se donnaient le titre d'empereur
dans leurs négociations avec la Porte et les États Barbaresques.
De même la couronne d'Angleterre est qualifiée d'Impérial crown
dans les actes publics.1 Néanmoins les souverains qui jouissent
des honneurs royaux, sans cependant porter le titre d'empereur
ou de roi, accordent le pas à ces derniers. Ils ont également
le pas sur les républiques actuellement existantes, bien que le
rang de ces dernières, par rapport aux souverains qui jouissent
des honneurs royaux, ne soit pas clairement défini.
El. Les Etats mi-souverains ou d'une souveraineté incom-
plète cèdent en tout le pas, sinon aux États souverains en gé-
néral, du moins à celui dont ils relèvent. De même un État
protégé cède le pas à l'État protecteur, dès que le protectorat
porte un caractère général et qu'il ne s'agit pas d'affaires en
dehors de ce dernier. Cette infériorité toutefois n'est que relative
et ne se retrouve aucunement dans les rapports internationaux
avec les autres puissances.2 Il existait naguère tels États mi-
souverains, auxquels les usages européens accordaient la pré-
séance sur d'autres entièrement souverains. Ainsi les électeurs
du ci -devant empire germanique avaient le pas sur les souve-
rains qui ne jouissaient pas des honneurs royaux.
IV. Les traités publics et les usages règlent quelquefois
le rang des États. H existe un règlement semblable qui fixe le
rang des États de l'Allemagne par rapport à la confédération.
Ces conventions doivent être respectées par les autres puissances,
dès qu'elles sont portées à leur connaissance, pourvu qu'elles
1) V. (de Steck) , Échantillon d'essais. Halle 1789. p. 3. — Le par-
lement britannique porte aussi le nom d'impérial parliament.
2) Giinther I, 213. 214. Le caractère d'État souverain ne confère
pas nécessairement un droit de préséance à l'État suzerain.
56 LIVRE PREMIER. § 29.
ne leur causent aucun préjudice.1 En effet les conventions pu-
bliques ne peuvent profiter ni nuire aux puissances qui ne sont
pas parties contractantes. Il faut en conséquence que celles qui
ont pour objet de conférer à une puissance une priorité de rang
sur les autres, obtiennent l'assentiment de toutes les parties
intéressées. Autrement, en s'écartant des règles générales, elles
constitueraient un acte de lésion. En cas de conflit c'est tou-
jours aux règles générales qu'il faut recourir, et il ne faut ja^
mais y déroger. Des considérations de famille mêmes ne per-
mettront pas de s'éloigner des principes d'une stricte neutralité,
dès qu'il ne s'agit pas de purs rapports de famille.2
V. Lorsque la forme du gouvernement vient à changer chez
une nation, lorsque notamment les organes du pouvoir souverain
suprême cessent d'être les mêmes, elle n'en conserve pas moins
le rang et les honneurs dont elle a joui jusqu'alors. Le protectorat
exercé par Cromwell, durant le „common wealth", les dernières
aimées du Directoire et le Consulat en France en fournissent des
exemples éclatants.3 Toutefois si le changement opéré dans la
forme du gouvernement avait pour effet un changement du titre de
souverain , de nature à en modifier également le rang conformé-
ment aux usages reçus (alin. II ci -dessus), il en serait autrement.
VI. Aucun souverain ne peut prétendre que les autres puis-
sances reconnaissent les honneurs conférés par lui, si ceux-ci
sont égaux ou même supérieurs aux siens propres. Ainsi la
prétention d'un prince souverain ne jouissant pas des honneurs
royaux lui-même, qui voudrait créer un de ses sujets prince ou
duc, serait contraire aux usages reçus.4
DROITS FONDAMENTAUX ET INDIVIDUELS DES ÉTATS.
1. Droit d'existence libre et indépendante.
§ 29. Les États, comme les individus, ont le droit fonda-
mental d'exister et de se développer physiquement. Ce droit
comprend les éléments suivants:
l) Giinther I, 269.
a) Gtinther I, 269.
3) Art. 23 du traité de Campo Formio. V. Vattel II, 3, 39. Giinr
ther I, 208. Klûber § 99. Wheaton 1, 196. (Élém. du droit intern. 1, 152.)
4) V. Klûber, Oeffentl. Recht des Deutschen Bundes. § 497, 1 in fine.
§ 29, DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 57
premièrement, la faculté d'occuper d'une manière fixe et per-
manente un certain territoire (jus territorii);1
secondement , celle de faire usage de tous les produits na-
turels du sol, de même, que des choses communes au
genre humain;2
troisièmement, la protection et la défense de l'existence po-
litique contre tous les dangers qui la menacent, et l'adoption
des mesures de précaution propres à repousser toute agres-
sion du dehors.8
Les périls qui menacent l'existence des États sont nom-
breux. Tantôt ce sont des forces naturelles et surhumaines ou
des bouleversements qui changent la face du monde, tantôt c'est
la violence humaine. Les premiers par eux-mêmes ne justifient
aucunement des lésions faites à l'existence, aux propriétés et aux
droits d'États étrangers et de leurs sujets. Une extrême néces-
sité peut seule rendre légitime la défense, faite par une nation,
de ses propres droits aux dépens des droits d'autrui. Encore
faut -il, pour la légitimer, qu'elle ne l'ait pas provoquée elle-
même, et que le préjudice occasionné puisse être réparé au
moyen d'une indemnité.
Les principes du droit de légitime défense sont les mêmes
pour les nations que pour les individus, bien qu'ils soient d'une
application plus rare par rapport aux premières. Supposons
qu'une nation manque absolument de vivres, elle peut incon-
testablement, après avoir épuisé tous les moyens, contraindre
ses voisins qui en ont de reste, à lui en céder à juste prix, ou
même en enlever de force, sauf indemnité.4
Le droit d'une juste défense est le droit qui appartient à
chaque nation de repousser par la force toute agression quel-
conque. Les autres nations ont le devoir de la secourir, si seule
elle ne peut repousser l'agression. Mais il faut une lésion réelle,
1) V. §31 et 65 ci -après.
2) V. le droit de propriété ci -après.
3) Adversus periculum naturalis ratio permittit se defendere. L. 4. D.
ad legem Aquil.
4) Vattel n, 120. Bynkershoek, Quaest. jur. publ. H, 15. Grotius
n, 2, 9.
5g LIVRE PREMIER. § 29.
résultant de l'intention de léser. Tant qu'il n'y a pas de lésion,
il est permis seulement de prendre des mesures de précaution,
telles que des coalitions, des armements, des constructions de
forts etc. Dès que le danger existe, la nation menacée a le
droit d'opposer la force, et même d'aller au-devant de l'attaque
qui la menace en attaquant elle-même. C'est ce que conseil-
laient déjà les lois romaines: „melius est occurrere in tempore
quam post exitum vindicare."1
Il est évident que le point de vue étroit du droit privé ne
peut servir ici de règle aux rapports internationaux. Le secret
qui enveloppe les trames de la politique ne laisse guère deviner
très -souvent ses vues ni son but véritables. Une longue obser-
vation même du système politique poursuivi par un Cabinet ne
fournira souvent que des suppositions et rendra l'erreur excu-
sable. Toutefois on doit se prémunir contre des entraînements
inconsidérés et procéder dans les explications réciproques avec
une franchise complète.2
Une nation peut prendre un tel accroissement qu'il pourra
devenir par la suite un danger pour les autres nations. Néan-
moins cet accroissement seul ne constitue aucunement un cas
de juste défense et de guerre légitime, tant qu'il s'opère dans
les limites du droit et de la justice internationale. Mais le jour
où les agrandissements de cette puissance cesseront d'être fondés
sur des titres valables, tels que mariages, cessions etc., ce jour-là
les autres, sans commettre aucune offense, pourront s'y opposer.8
La question de savoir si des changements de l'équilibre po-
litique des Etats, prévus ou accomplis, autorisent les États me-
nacés à s'y opposer par la force, doit être résolue dans un sens
analogue. Tant que ces changements ont pour base des titres
actuels et valables, vouloir les empêcher, ce serait commettre
une insulte. Mais en dehors de ce cas, la politique conseille
la réunion collective de toutes les forces, pour prévenir ou pour
repousser le danger commun. C'est là surtout que la politique
1) Loi 1. Cod. quando liceat unicuique.
2) Nous examinerons le droit de demander des explications à l'occa-
sion du droit d'intervention aux § M et suiv. ci -après.
3) V. un résumé des diverses opinions chez Gûnther I, p. 362 suiv.
§ 30. DROIT INTERNATIONAL PENDANT JLA PAIX. 59
de coalition a obtenu ses plus beaux triomphes. Nous citons
comme exemples la coalition qui avait pour objet la succession
d'Espagne après le décès du roi Charles II, celle formée en 1785
par le grand Frédéric sous le nom de Ligue des princes alle-
mands, en vue de la succession de Bavière; enfin les coalitions
de la Révolution et de l'Empire.1
Il n'existe à la vérité aucun juge qui puisse déterminer
d'une manière exacte où s'arrête le droit, où commence la né-
cessité d'une juste défense. Cette nécessité, elle surgira incon-
testablement le jour où des indices irrécusables révéleront les
vues d'une puissance tendantes à établir sa suprématie sur les
autres et à fonder une monarchie universelle.
2. Droit de souveraineté.
§ 30. Un autre droit fondamental des nations est celui de
remplir leur mission avec une entière indépendance. Chaque
nation est libre de régler à son gré les formes de son gouver-
nement et les conditions de son administration intérieure. Nous
examinerons par la suite les restrictions que le droit d'inter-
vention apporte à la souveraineté des États.
H est encore incontestable que chaque nation est libre
d'adopter elle-même et d'accorder à ses autorités les noms, les
titres, les distinctions extérieures, les armes2 etc. qu'elle juge à
propos.3 En général les autres nations n'ont rien à voir dans
ces actes d'autonomie intérieure. Un droit d'intercession n'existe
à leur profit que dans les cas suivants, savoir:
premièrement si des traités en vigueur ou certains rapports
envers quelque puissance étrangère s'y opposent (§18
suiv. ci -dessus);
*) Tel était aussi le sens profond des paroles prononcées naguère
par l'Empereur dans une occasion solennelle: „Si l'Europe veut la paix,
il faut que l'opinion publique se prononce."
2) La pratique des États se dirige, à cet égard, d'après les règles de
l'art du blason. V. les écrits concernant cette matière, dans: Berend,
Allgem. Schriftenkunde der Wappenk. 1835. 3 vol. Lower, Curiosities
of Heraldry. London 1845. Pour l'histoire des armes v. Deutsche Viertel-
jahrsschrift. 1853. No. 64.
8) Vattel n, 3, §41 suiv. de Real, Science du Gouvern, V, 5, 6.
Gtinther, Vôlkerr. H, 4, 1.
60 . LIVBE PREMIER. § 30.
secondement, si les titres ou les honneurs appartiennent déjà
à une autre puissance;
enfin les puissances étrangères ne sont point obligées de
déférer aux volontés du souverain qui prend un titre et
un nom nouveaux, et de lui décerner les honneurs qui y
sont attachés.
En conséquence, le souverain qui veut prendre un nouveau
titre ou une nouvelle qualité, doit s'assurer d'avance le consente-
ment des autres souverains, du moins de ceux qui ont le droit
ainsi que le pouvoir de s'y opposer. Il en est de même quand
il s'agit du changement de titres, d'armes et d'autres distinctions
extérieures.1 Telle est la pratique constante des Etats. Sous ce
rapport les négociations qui ont précédé l'adoption du titre
royal par l'électeur de Brandebourg,2 et du titre d'empereur que
le czar Pierre I s'est décerné lui-même, sont utiles à consulter.
L'opposition peut avoir pour motifs l'affaiblissement du
prestige attaché au titre, si à ce titre ne correspondent pas des
moyens suffisants pour le soutenir dignement; elle peut encore
être fondée sur l'abaissement des autres souverains par suite
de l'élévation de l'un d'entre eux.3 Le droit revendiqué autrefois
par le Saint-Siège de conférer des titres politiques n'est plus
sérieusement soutenu aujourd'hui. Les écrivains politiques de la
Prusse surtout ont réduit à sa juste valeur cette prétention.
') Schmelzing, Europ. Vôlkerr. § 40. Schmalz, Vôlkerr. p. 182.
2) V. surtout de Ludewig, Opusc. miscell. I, p. 1 et 129.
3) Il existe un protocole du Congrès d'Aix-la-Chapelle (v. Meisel, Cours
de stile diplomat. Dresde 1824. t. H, p. 593), qui nous paraît très -curieux
sous ce rapport.
Protocole séparé. Séance du 11 Octbr. 1818 entre les cinq puissances.
„La conférence ayant été informée de l'intention de Son Alt. Royale
de prendre le titre de Roi, et ayant pris connaissance des lettres
adressées par ce prince aux souverains pour obtenir leur consentement
à cette démarche :u
„Les Ministres des ô Cabinets réunis à Aix la Ch. prenant en consi-
dération que le but de leur réunion est celui de consolider Tordre actuel
des choses, et non pas de créer de nouvelles combinaisons, considérant
de plus que le titre porté par un souverain n'est pas un objet de simple
étiquette, mais un fait tenant à des rapports essentiels et à d'importantes
§ 31. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LÀ PAIX. 61
§ 31. Le principe de la souveraineté externe comprend
également le droit des nations de se gouverner librement et avec
une entière indépendance de toute influence du dehors. Ce prin-
cipe comprend surtout celui de la souveraineté territoriale (jus
territorii), c'est-à-dire le droit de commandement et de juridiction
exclusive dans toute l'étendue du territoire, principe connu égale-
ment sous le nom „ d'intégrité et d'inviolabilité" des États.1
Par suite aucune nation ne peut, par ses lois ni par ses actes,
affecter directement, lier ou régler des objets qui se trouvent
hors de son territoire. Aucun acte de juridiction étrangère ne
peut non plus être exécuté dans le territoire d'une nation sans
son consentement exprès ou tacite. L'intégrité et l'inviolabilité
d'un État trouve ses limites naturelles dans celle des autres.
Voici les conséquences pratiques des principes qui viennent d'être
énoncés.
I. L'autorité de tout acte et de tout établissement public
expire aux limites du territoire. Ainsi l'administration des postes,
celle des loteries, les bureaux d'enrôlement militaires ne peuvent
pas fonctionner dans un territoire étranger. Les notaires ne
peuvent pas non plus y instrumenter, ni les autorités judiciaires
et de police y exercer des poursuites. Les fonctionnaires de l'État
n'y ont aucun caractère public. Les décorations accordées aux
sujets d'un État par un souverain étranger, ne peuvent être
questions politiques, sont d'avis qu'en leur qualité collective ils ne sau-
raient prononcer sur cette demande ; pris séparément, les Cabinets déclarent
qu'attendu que la demande de S. A. R n'est justifiée par aucun motif
satisfaisant, il n'y a rien qui puisse les engager à y accéder."
„Les Cabinets prennent en même temps l'engagement de ne recon-
naître à l'avenir aucun changement ni dans les titres des souverains ni
dans ceux de princes de leurs maisons, sans en être préalablement con-
venus entre eux."
„Hs maintiennent ce qui a été statué à cet égard jusqu'ici par des
actes formels. Les Ô Cabinets appliquent explicitement cette dernière ré-
serve au titre d'Altesse Royale, qu'ils n'admettront désormais que pour
les chefs des maisons Granducales, l'Électeur de Hesse y compris, et pour
leurs héritiers présomptifs."
Sig. Metternich. Richelieu. Càstlereagh. Wellington.
Hardenberg. Bebnstorff. Nesselrode. Câpo d'Istria.
*) Vattel H, § 78. 93.
62 LIVRE PREMIER. § 31.
portées sans une autorisation spéciale (placet, exequatur). Un
État n'a aucune juridiction sur un autre, même par rapport
aux engagements contractés envers les sujets de ce dernier.1
II. L'autorité publique d'un État ne peut faire aucun acte
de nature à porter atteinte, d'une manière directe ou indirecte,
à l'intégrité d'un autre dans ses éléments naturels. Ainsi elle
doit s'abstenir d'actes quelconques tendant à provoquer l'émi-
gration des sujets d'un autre État, ou à le dépeupler, ou à en
détacher une portion de territoire. Elle ne doit pas s'approprier
arbitrairement les enclaves de son territoire appartenant à un
État étranger. H est vrai que la politique n'a pas toujours re-
specté ce principe incontesté du droit international. Souvent
elle a provoqué ouvertement la révolte, ou du moins elle a fa-
vorisé dans un intérêt égoïste des conspirations et la propagande
révolutionnaire. Il a été constaté que telle a été la politique
constante de plusieurs cabinets de l'Europe. Mais elle n'a jamais
osé s'abriter des maximes du droit: c'est en secret qu'elle a le
plus souvent agi, et elle a toiyours rencontré l'opposition des
autres cabinets.2
D'un autre côté on ne peut empêcher un État de recevoir
sur son territoire les émigrants d'un autre pays, ou de leur
offrir en général certains avantages. On ne peut l'empêcher non
plus d'incorporer à son territoire les parties d'un territoire étran-
ger qui, après s'en être détachées, ont fait reconnaître leur
indépendance conformément aux règles du droit international
(§ 23 ci-dessus).8
m. Le pouvoir souverain d'un État ne doit refuser ni re-
tirer à un État étranger les droits qui lui appartiennent d'après
l'ordre naturel des choses. Les rapports naturels d'États limi-
trophes notamment, doivent être maintenus d'après leurs con-
*) V. Arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 1849 (Sirey 1849,
I, p. 81). Gaz. des Tribun, du 26 janv. 1849. Cet arrêt décide que les
tribunaux français ne sont pas compétents pour connaître des engagements
contractés par un gouvernement étranger envers un Français. Dec. conf.
Paris 7 janvier 1825. Havre 25 mai 1827 — trib. civ. de la Seine 2 mai
1828.
2) V. Gtinther, Vôlkerr. H, p. 276 suiv.
3) V. Moser, Vers. VI, p. 118. Gtinther, loc. cit. II, p. 298 suiv.
§ 32. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 63
ditions primitives; et un État ne peut revendiquer le domaine
exclusif de choses que la nature a réparties entre tous ou entre
plusieurs également. Ainsi on ne doit pas détourner le cours
d'une rivière ou d'un lac au préjudice d'un État voisin, mais
les États riverains peuvent l'utiliser dans son parcours sur leur
territoire, pourvu que son cours naturel ne soit pas changé.1
IV. Le pouvoir souverain d'un État ne doit pas non plus
autoriser sur son propre territoire la création d'établissements qui
sont de nature à nuire aux rapports naturels des États. A cet effet
on applique la maxime du droit privé : „ In suo quisque facere
non prohibetur dum alteri non nocet", en même temps qu'on
admet une distinction entre „damnumu et „lucrum cessans."2
Les autres restrictions de la souveraineté et de l'indépen-
dance des États découlent de leurs droits généraux que nous
indiquerons ci -après, des droits généraux de l'homme placés
eux-mêmes sous la protection des lois internationales, des règles
du droit privé, des rapports religieux établis entre les sujets
d'un État et une autorité spirituelle étrangère, des rapports d'ex-
territorialité et enfin des servitudes publiques.
3. Droit de respect mutuel des États.
§ 32. Les nations, à moins qu'elles ne prétendent vivre
dans un isolement complet, telles que la Chine, le Japon et
d'autres tribus de l'ancienne Asie, doivent reconnaître et respecter
mutuellement leur existence comme membres de l'association
humaine. De même qu'entre les hommes, le droit de respect
entre les nations résulte de leur existence physique. Le respect
dû à un État ne peut lui être refusé par un autre que dans
le cas où ce dernier contesterait sa légitimité et romprait les
relations avec lui. Et alors encore les devoirs commandés par
la morale et par l'humanité ne pourront pas lui être refusés.
Les devoirs qui correspondent au droit de respect, d'un
caractère tantôt positif, tantôt négatif, sont notamment le respect
*) Vattel I, 22, 271. 273.
*) Multum interest utrum damnum quis faciat, an lucro quod adhuc
faciebat, uti prohibeatur. L. 1. § 11. Dig. de aqua 1. 26. D. de damno.
infecto. V. Cocceji, De jure nocendi aliis, dans: Vol. dissert II, p. 1199.
64 LIVRE PREMIER. §32.
de la personnalité physique , celui de la personnalité morale et
celui de la dignité morale.
I. Le respect de la personnalité physique d'un État résulte
de sa qualité de membre de l'association humaine. Dès lors il
n'est permis à aucune nation d'entreprendre la destruction phy-
sique d'une autre, aussi longtemps du moins que son propre
salut ne le commande impérieusement (§ 29 ci -dessus). Ce serait
donc commettre une injustice que de fermer à un État enclavé
des débouchés de son commerce ou de l'imposer de droits
exorbitants qui équivaudraient à une prohibition, et de l'em-
pêcher par là de se procurer les moyens de subsistance néces-
saires et qu'il ne possède pas lui-même.1
IL Le respect de la personnalité morale des États, c'est-
à-dire de tous les droits généraux et spéciaux, sanctionnés par
leur constitution propre, tant que leur exercice ne dépasse pas
de justes limites, ou ne fait pas naître des conflits qui résultent
de l'existence de droits opposés;
Ainsi les États dans leurs relations réciproques se doivent
les égards et les honneurs consacrés par les règles du cérémo-
nial public. Ils doivent s'abstenir d'actes arbitraires qui sont
de nature à usurper sur les droits souverains d'un État étranger
ou à en empêcher l'exercice. Toute lésion ou toute usurpation
des droits et des établissements d'un souverain étranger, telles
que la contrefaçon de monnaies faite surtout avec une diminu-
tion du poids, l'emploi illicite d'armes ou d'un pavillon étran-
gers, et en général toute fraude, constituent des lésions.2
Mais d'un autre côté les États ne sont aucunement tenus
de s'aider et de s'assister réciproquement dans l'exercice de
leurs droits particuliers.
Les États doivent en outre, dans leurs relations réciproques,
respecter les institutions particulières de chacun. Ainsi il ne leur
est pas permis d'ignorer dans leurs négociations la constitution
d'un pays, à moins qu'ils n'aient le droit d'en contester la va-
lidité. De même lorsqu'un souverain fait poursuivre ses droits
x) V. Vattel H, 134. La simple perception des droits d'entrée ou de
transit ne constitue pas une lésion.
») V. Vattel I, § 108.
§ 32. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 65
devant des tribunaux étrangers, ou est appelé à s'y défendre,
il doit se conformer aux lois du pays, sans aucunement être
tenu de leur accorder par voie de réciprocité une autorité sem-
blable dans son propre territoire.1
m. Respect de la dignité morale des Etats, ces derniers
faisant partie de Tordre moral universel, pourvu que par leur
conduite ils ne se rendent indignes du respect des autres.
H n'est donc permis à aucune nation de traiter une autre
avec dédain ou d'une manière offensante. Mais en même temps
il suffit que dans leurs rapports les nations s'accordent mutuelle-
ment les honneurs dus à leur rang parmi les États. Ainsi, bien
que la gloire d'une nation tienne intimement à sa puissance,
elle ne peut pourtant exiger des autres qu'elles la traitent comme
la plus grande et la plus brave. 2 En général c'est une conduite
fondée sur le droit et sur la justice qui attire à une nation la
considération des autres peuples. H est vrai que si, passagè-
rement et par un acte isolé, elle venait à s'écarter de la ligne
étroite de la justice, cet acte seul ne devra pas lui faire
perdre la considération à laquelle elle peut prétendre. Le droit
de juger ces actes appartient à toutes les nations, selon l'adage
des lois romaines: „peccata nocentium nota esse et oportet et
expedit."8 Où s'arrêtera le mensonge le jour où les souverains
justiciables par le tribunal de l'histoire, dont ils sont pour ainsi
dire les organes vivants, refuseront d'accorder à la vérité l'accès
dans leurs conseils? Chaque souverain a donc le droit d'exiger
qu'une foi entière soit accordée à ses paroles et à ses expli-
cations, pourvu que ses actes attestent sa sincérité et sa
bonne foi.4
Les gouvernements doivent veiller en outre que les enga-
gements auxquels ils se sont soumis, soient exécutés également
9
x) Nous examinerons les cas de conflits des lois internationales aux
§ 34 et suiv. ci- après.
2) La gloire d'une nation est sans doute un bien très -réel et incon-
testable. C'est en ce sens que Vattel (I, § 190) a pu dire: attaquer la
gloire d'une nation, c'est lui faire injure.
3) L. 18 D. de injur.
4) V. les ouvrages cités par de Kamptz, Lit. § 93.
5
QQ LIVRE PREMIER. § 32.
par leurs propres sujets. Jusqu'à présent néanmoins les lois
spéciales des États de l'Europe ont gardé un silence à peu près
unanime sur la protection qui est due aux droits et aux intérêts
particuliers des gouvernements étrangers. La pratique égoïste
des États n'a pas hésité à nier la nécessité d'une protection
semblable. La contrebande à l'étranger, par exemple, d'après la
jurisprudence constante des tribunaux, continue à être considérée
comme une chose parfaitement licite dont personne n'a à rougir.1
*) Qu'il nous soit permis de rapporter ici les termes d'un arrêt rendu
en sens contraire par la Cour suprême dans laquelle nous avons l'hon-
neur de siéger.
„ Attendu que la Cour de cassation est compétente pour statuer sur
la question de savoir: si une convention est contraire aux bonnes moeurs?
Car cette question implique non pas des idées accidentelles, mais des
principes constants qui doivent être considérés comme faisant partie de
la loi à laquelle ils servent de base;
que les idées sur ce qui est moralement permis ou défendu, ne sont
pas des idées locales, circonscrites dans les limites du territoire d'un État;
que la volonté morale, qui est le fondement des bonnes moeurs, con-
siste essentiellement dans l'obligation de ne léser les droits de personne,
ni de s'enrichir aux dépens d'autrui;
que chaque État a le droit incontesté d'exiger une justification de
marchandises importées de l'étranger et d'en percevoir des droits;
qu'à la vérité les États ne sont pas tenus de s'entr'aider réciproque-
ment dans l'exercice de ce droit, mais qu'une violation à cet égard n'en
constitue pas moins une lésion et un acte incontestablement immoral de
la part de celui qui l'entreprend dans un but d'intérêt personnel, ou qui
le provoque;
que par suite la Cour d'appel rhénane a jugé avec raison que la con-
vention dont il s'agit, et qui avait pour objet l'introduction de marchan-
dises de contrebande dans un pays ami, était contraire aux bonnes moeurs
et aux lois etc.
La jurisprudence française professe des principes moins libéraux. Par
arrêt du 25 mars et du 25 août 1835 la Cour de cassation a jugé que la
contrebande à l'étranger n'est pas une cause illicite d'obligation; qu'elle
peut être notamment l'objet d'une société entre Français, ainsi que d'un
contrat d'assurance valable. Ces arrêts s'appuient sur les motifs que la
contrebande en pays étranger, à l'aide de ruse employée pour tromper
les préposés chargés de l'empêcher, n'est prévue ni réprimée par aucune
loi française; — qu'on viole les lois prohibitives qui n'obligent que les
sujets du prince qui les a établies (Sirey 1835, 1, 675 et 805). La juris-
prudence anglaise et américaine n'est guère plus libérale. V. dans le sens
§ 33. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 67
Chaque gouvernement, sur ce terrain, semble attendre de l'État
voisin l'initiative d'une réforme. Cette initiative on ne la ren-
contre jusqu'à présent que dans les États fédéraux : là du moins
les intérêts collectifs ont été. réglés d'une manière satisfaisante
pour tous. Nous reprendrons les détails de cette matière dans
le Chapitre relatif aux obligations qui naissent des délits.
4. Commerce mutuel des nations.1
§ 33. Le but suprême du droit international, ainsi que
nous l'avons expliqué (§ 2 ci -dessus), étant le rapprochement
mutuel des nations, il fournit par le commerce des moyens
d'échange de leurs ressources morales et matérielles, propres au
développement de la nature humaine. La liberté de commerce
à la vérité n'est pas un principe absolu. Il doit subir plusieurs
restrictions. La première résulte de cette justice distributive
qui, fondée sur l'égalité en nivelant les positions inégales, s'op-
pose à ce qu'un État entretienne avec un autre un commerce
dont seul il supporterait les charges et ce dernier les bénéfices.
Une autre restriction fondée sur des motifs tout aussi graves,
résulte de cette circonstance que l'intérêt de conservation ne
permet guère à un État de se placer dans une dépendance absolue
d'un autre, en lui accordant une liberté de commerce absolue.
La politique intérieure des États doit seule dicter les mesures
de précaution, de défense, de réciprocité et d'encouragement
qu'il convient de prendre à cet effet. C'est à elle à proscrire
du territoire d'un État les branches nuisibles du commerce, à
assujettir celui des étrangers au régime des passeports et aux
règlements de police, à favoriser les produits nationaux en grevant
les produite étrangers de droits protecteurs, en traçant les routes
que ces derniers, lors de leur entrée dans le territoire, doivent
suivre, et en les assujettissant à la nécessité d'entrepôt. C'est à
de notre opinion Pfeiffer, Prakt. Ausf. III, 83 et l'auteur espagnol Pando,
Elem. del derecho intern. p. 144; sur les contestations entre États pour
faits de contrebande, v. Moser VII, 756. V. aussi la loi prussienne du
22 août 1853 (Gesetzsammlung, 926).
l) Voir les écrits concernant cet objet dans: Ompteda, Lit. §277.
de Karaptz § 252. Kliiber, Droit des gens. § 69. Zachariae, 40 Bûcher. IV, 21.
5*
gg LIVRE PREMIER. §33.
elle. à décider s'il convient de favoriser le commerce étranger
par des traités, par la création de ports libres1 et d'établisse-
ments analogues, ou bien seulement celui de certaines nations
(§27); d'accorder même des monopoles, s'ils peuvent offrir
encore aujourd'hui de réels avantages. Enfin une nation peut,
par un traité de commerce, se soumettre à certaines restrictions,
pourvu qu'elles n'affectent ni son indépendance ni les progrès
de son développement intérieur.
On pourra résumer le droit public des nations civilisées
à cet égard dans les propositions suivantes:
I. une nation qui, par rapport à son commerce, adopte un
système d'isolement complet, renonce par là à la jouis-
sance du droit commun des nations;
H. une nation ne peut, sans commettre un acte d'hostilité,
priver une autre du commerce des objets qui sont pour
cette dernière d'une nécessité absolue, conformément à ce
que nous avons dit au § 29 ci-dessus;
m? une nation ne peut, sans commettre un acte d'offense et
de lésion, priver une autre de l'usage paisible de ses
routes de terre et d'eau, dont celle-ci a besoin pour tirer
d'un pays tiers ses moyens de subsistance. Les anciens
auteurs, qui désignent ce droit sous le nom de Jus transitas
ou Passagii innoxii, ne s'accordaient pas entre eux sur
la question de savoir s'il constitue une obligation parfaite
ou imparfaite. La seule nécessité des besoins humains
peut le justifier complètement ; le refus non motivé d'ob-
jets utiles ne constituera qu'un procédé peu amical. Gro-
tius et Vattel en font également l'objet d'un droit de
nécessité dont l'appréciation appartient naturellement au
propriétaire ; 2
IV. ui*e nation ne peut, sans offense ou sans lésion, prétendre
exclure le commerce rival d'une autre d'un territoire où
il est admis. Vainement quelques nations de l'Europe se
*) V. Moser VU, 730. Sur les ports libres de Païenne et de Messine
v. Martens, Nouveau Recueil. V, 530.
*) Comp. Gtinther I, 225, note c. Pufendorf, J. N. IH, 3, 6. Grotius
II, 2, 13. Vattel n, 123. 132—134.
§ 33. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. g9
sont réservées naguère le monopole du commerce surtout aux
Indes Occidentales et Orientales. Seulement les colonies ne
sauraient sous ce rapport être assimilées à des puissances
tierces. Elles relèvent de la métropole et sont gouvernées
par la politique qui tend à garantir à celle-ci leur com-
merce exclusif. Qu'il suffise de rappeler à ce sujet le
régime des droits municipaux des colonies françaises.
V. Toute nation, dans ses transactions avec les étrangers, est
tenue de se conformer aux règles de la bonne foi. Elle ne
doit pas abuser de la foi des nations étrangères : une néces-
sité rigoureuse peut seule lui servir d'excuse, lorsque, par
exemple, elle commet une violation du secret des lettres.1
VI. Aucune puissance ne peut refuser de recevoir sur son
territoire les sujets d'une puissance amie, dès qu'ils justi-
fient d'une manière régulière de leur individualité. Elle ne
peut, après les avoir reçus, les renvoyer de son territoire
sans des motifs qui doivent être communiqués à leur»
gouvernements respectifs. Dans tous les cas le renvoi ne
peut s'effectuer avec des formes blessantes, si la conduite
de l'individu renvoyé ne les justifie pas. C'est une consé-
quence du droit au respect.2
VU. Tout commerce contraire aux droits fondamentaux de
l'homme est illicite. Celui qui l'empêche ou le détruit, ne
commet aucun acte d'injustice.
La traite des noirs présente ce caractère. On connaît les
tentatives tendant à sa suppression qui ont été faites par les
nations européennes, surtout depuis le congrès de Vienne, ten-
tatives qui n'obtiendront de succès complet que le jour où l'équi-
libre général sera établi sur les mers, le jour surtout où les
États-Unis de l'Amérique auront renoncé à leur opposition au
système adopté par les puissances maritimes de l'Europe.3
') V. de Kamptz, Lit. § 94.
a) L'article relatif au renvoi de MM. Hecker et Itzstein de la Capitale
de la Prusse, inséré dans les Annales de jurisprudence prussienne (LXV,
p. 559) ne présente pas exactement ces principes.
3) Traité de Paris conclu avec l'Angleterre, art. addit. 1. Déclaration
des plénipotentiaires des cinq puissances de l'Europe du 8 février 1815.
70 LIVRE PREMIER, § 34.
IH. MODIFICATIONS DES DROITS FONDAMENTAUX DES ÉTATS DANS
LEURS RAPPORTS MUTUELS.
1. Conflits des droits souverains de différentes nations,
§ 34. Le principe de la souveraineté et de l'indépendance
de chaque nation n'a pas un caractère absolu et exclusif au point
de faire considérer des lois et des actes émanés des souverains
étrangers comme dépourvus de toute autorité hors du territoire.
Une pareille exclusion ne s'accorderait guère avec le respect
mutuel que les nations se doivent les unes aux autres. Il faut
ajouter en outre que certaines causes les obligent à avoir égard
aux rapports nés sous l'influence des lois étrangères. Nous allons
les indiquer.
I. Dans les relations internationales, le caractère politique
des personnes diplomatiques ainsi que leurs biens sont régis
exclusivement par les lois de l'État qu'elles représentent. Pour
lefuser d'admettre sur son territoire les conséquences de cette
exemption, il faudrait ou qu'elles fussent contraires aux usages
internationaux, ou de nature à porter quelque préjudice à l'État
qui les repousse. Ainsi, par exemple, un gouvernement ne peut
refuser de reconnaître les qualités, les titres etc. dont les agents
diplomatiques accrédités auprès de lui ont été investis par leurs
gouvernements respectifs.1
H. Lors de l'examen d'un acte reçu à l'étranger, il faut
recourir aux dispositions des lois étrangères. De même il faut
ajouter pleine foi aux communications émanées des autorités
Bulle du Saint-Siège du 3 décembre 1839 dans Martens-Murhard, N. R.
XVI, 1034. Décret de la Confédér. german. du 19 juin 1845, qui assimile
la traite des noirs à la piraterie et au rapt. V. Kluber, Droit des gens.
§ 72. Murhard, N. Suppl. m, p. 48. 238. Le journal „Auslanda de 1842.
No. 335. Traités conclus entre l'Angleterre, la France et les Pays-Bas
des 30 novembre 1831 et 22 mars 1833 (Martens, N. R. IX, 547. 555), aux-
quels ont accédé la Sardaigne, 8 août 1834, les villes hanséatiques, 9 juin
1837 et la Toscane (Martens Xm, 194. XV, 191 et 292). Traité conclu
entre l'Autriche, la Prusse, la Grande-Bretagne et la Russie, du 20 décembre
1841 (N. R. S. II, 392), entre la Grande-Bretagne et la France du 29 mai
1845 (Vin, 284).
*) V. Schmelzing, Vôlkerr. § 14.
§ 35. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 7J
étrangères; pourvu que leur compétence ni l'authenticité de l'acte
ne soient contestées. A cet effet il est d'usage de faire légaliser
par les agents diplomatiques les signatures des actes délivrés
par les autorités locales. Il est vrai que l'observation de ces for-
malités entraîne des lenteurs que Ton a cherché à abréger dans les
pays où la connaissance des institutions étrangères est tenue en
honneur. En Prusse notamment une circulaire concertée entre les
ministres de la justice et des affaires étrangères, datée du
22 mars 1833, a tracé à ce sujet des limites raisonnables.1
Les lois d'une nation peuvent encore accorder certains effets
aux actes émanés des autorités étrangères, bien entendu à la
condition expresse ou tacite d'une parfaite réciprocité.
Lorsqu'enfin les autorités publiques de plusieurs États sont
également compétentes pour statuer sur une affaire, chacune
peut procéder indépendamment de l'autre et décider l'affaire de
son côté, sans la concurrence de l'autre puissance.
Conflits de juridiction de plusieurs États.
§ 35. Les règles de l'équité et les convenances réciproques
des nations servent encore à faire résoudre les conflits de juri-
diction de différents territoires.2 Car le droit de juridiction, celui
de rendre des lois et d'en surveiller l'application par les tri-
bunaux, n'est qu'une portion de la souveraineté, et il est fondé
sur les mêmes bases.
Les principes généraux qui régissent la matière des con-
flits se résument dans les propositions suivantes:
I. L'État, qui n'est que l'idée incarnée de la liberté per-
sonnelle de ses citoyens, jouit du pouvoir incontesté de les sou-
») de Kamptz, Jahrb. XLI, 220.
a) Les ouvrages les plus complets sur cette matière sont ceux de
Story, Commentaries on the conflict of laws foreign and domestic. Boston
1841 (v. Krit. Zeitschrift des Auslandes. VII, 228); Foelix, Traité du
droit international privé. Paris 1843. Putter, Das praktische europâische
Fremdenrecht. Leipzig 1845. V. aussi l'article de Gunther, Rechts-Lexicon.
t. IV, p. 721. V. en outre la Note du §37 ci -après. — La Prusse et
d'autres États de l'Allemagne ont conclu récemment des traités à ce sujet,
qui pourront servir de base au droit commun de l'Allemagne. V. 0. Krug,
Das Internationalrecht der Deutschen. Leipzig 1851.
72 LIVRE PREMIER. § 36.
mettre à l'autorité de ses lois, de manière qu'ils sont tenus de
les respecter tant dans le pays qu'au dehors. Il est encore in-
vesti du même pouvoir à l'égard des étrangers, lors de leur
séjour sur son territoire.
II. Tout État a le droit de déterminer les conditions sous
lesquelles les actes reçus sur son territoire, ou entre ses sujets
à l'étranger, produiront leurs effets. De même il peut refuser
d'admettre sur son territoire les effets des actes reçus à l'étran-
ger, ou du moins les faire dépendre de l'accomplissement de
certaines conditions. D'un autre côté l'État ne peut prétendre
de soumettre aux dispositions de ses lois les personnes ou les
choses qui lui sont et qui continuent à lui être étrangères.
m. Tout État peut faire juger par ses propres tribunaux
les contestations civiles nées ou à vider sur son territoire, d'après
les règles de procédure en vigueur, et il faire exécuter les ju-
gements rendus.
IV. Aucun État enfin n'est tenu d'autoriser sur son terri-
toire l'exécution des actes et des jugements étrangers. Néan-
moins l'intérêt commun des nations leur conseille sous* ce rap-
port un rapprochement réciproque, et il a fait admettre certains
usages généralement reçus.
Les législations de l'Europe s'étendent plus ou moins sur
cette matière, où les convenances et les usages ne laissent
d'avoir une certaine influence. Néanmoins l'accord accidentel de
plusieurs législations sur certains points ne constitue aucunement
un principe d'une application générale, et c'est surtout à la
jurisprudence qu'il faut recourir.
a. Conflits des lois pénales.1
§ 36. Les questions de conflits des lois pénales des diffé-
rentes nations ont reçu en définitive les solutions suivantes:
*) V. les ouvrages de C. A. Tittmann, Die Strafrechtspflege in vôlker-
rechtlicher Hinsicht. Dresden 1817. Schmid, Lehrbuch des gemeinen deut-
schen Staatsrechts. § 87. 88. et A. F. Berner, Wirkungskreis des Straf-
gesetzes. Berlin 1853. p. 81. V. aussi le traité de l'instruction criminelle
par M. Faustin Hélie, tome H. — Il règne toujours entre les auteurs une
grande divergence d'opinions sur cette matière épineuse.
§ 36. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 73
I. La loi pénale est territoriale et personnelle à la fois.
Elle est territoriale en ce sens qu'elle saisit toutes les
personnes qui se trouvent sur son territoire, les regni-
coles comme les étrangers.
Elle est personnelle en ce sens qu'elle suit les regnicoles,
et qu'elle réprime les infractions qu'ils ont pu commettre
en dehors du territoire.1
Les auteurs sont loin d'être d'accord avec nous sur la
dernière partie de notre proposition: ils contestent à l'État le
droit de punir les infractions qui ont été commises en dehors
de son territoire. La plupart des législations criminelles vont
plus loin encore en autorisant les poursuites contre les étrangers
qui se sont rendus coupables, hors du territoire, de crimes at-
tentatoires à la sûreté de l'État et à ses institutions fondamen-
tales.* Quelques-unes de ces lois mêmes admettent la compétence
des tribunaux du pays pour la répression de tous les crimes,
en quelque lieu qu'ils aient été commis, pourvu qu'ils n'y aient
pas été poursuivis. Telles sont notamment les dispositions du
code pénal d'Autriche (art. 40) et du code d'instruction crimi-
nelle de Prusse (§ 97. 98).s On ne peut qu'approuver l'esprit
qui a présidé à la rédaction de ces dispositions, à savoir que
chaque État est tenu de prêter son concours pour la répression
des crimes, en quelque lieu qu'ils aient été commis. Néanmoins
tant que les lois pénales continueront à présenter des diver-
*) V. Heffter, Lehrbuch des Criminal-Rechts. §25—27, et ravis de
la faculté de droit de Halle, inséré dans: Neues Archiv des Criminal-
Rechts. XTV, p. 546. Je persiste toujours dans l'opinion précédemment
émise par moi à ce sujet.
Tel est aussi l'avis de M. Faustin Hélie (t. II, p. 563): „H nous paraît,
dit -il, que le principe qui déclare la loi pénale essentiellement territoriale,
a reçu en général une fausse application, que si la loi pénale est
territoriale en ce sens qu'elle ne peut être appliquée que sur le territoire,
elle peut néanmoins régir, dans une certaine mesure, les actions des citoyens
pendant leur séjour momentané à l'étranger, et réprimer à leur retour les
infractions qu'ils ont pu commettre."
*) V. de Kamptz, Jahrbuch der preufs. Gesetzgeb. XXIX, p. 19 suiv.
et les lois les plus récentes. V. aussi Foelix, loc. cit. p. 547.
8) La nouvelle codification du droit criminel en Prusse a abandonné
ce système.
74 LIVRE PREMIEB. § 36.
gences fondamentales entre elles, leur application à des espèces
qui ne sont pas nées sous leur empire ou en pays étranger,
offrira toujours de graves inconvénients.1
Le mandat émané d'autorités étrangères saisira-t-il valable-
ment la juridiction d'un tribunal à l'effet de procéder à la ré-
pression d'un délit?2 En thèse générale un mandat semblable
devrait être regardé comme licite, mais il est contraire au prin-
cipe constitutionnel, qui veut que personne ne puisse être sous-
trait à son juge naturel.
H. La loi du lieu de la poursuite est seule applicable à la
punition du fait incriminé.
Suivant l'opinion de plusieurs anciens auteurs la loi du lieu
où le fait a été commis, serait la seule applicable. Cependant
presque tous les auteurs modernes et les lois les plus récentes
ont établi le principe contraire, qui vient d'être énoncé.8 En
effet la peine n'est encourue qu'en suite d'une obligatio ex lege
contractée envers l'État qui fait exercer les poursuites,
in. Lorsqu'une infraction tombe sous l'application des lois
pénales de différents États, les poursuites commencées
dans un territoire ne constituent aucune espèce de priorité.
Les règles de la litispendance étant inconnues en matière
pénale, l'infraction qui a été l'objet d'une condamnation
ou d'un acquittement dans un territoire, peut encore être
poursuivie dans un autre. Du moins les dispositions plus
rigoureuses des lois pénales de l'un de ces territoires pour-
1) On sait que les art. 5 à 7 du Code d'instruction crim. rendent la
poursuite simplement facultative. Ils ne sont pas applicables aux délits
dont un Français s'est rendu coupable, hors du territoire de l'Empire,
contre un Français (Cass. 26 septembre 1839 DaUoz 1840, 1, 374). Us ne
s'appliquent pas non plus aux crimes dont un Français s'est rendu cou-
pable hors du territoire contre un étranger. Ainsi un Français, après avoir
commis un crime ou délit en pays étranger, peut, en se réfugiant en
France, se mettre à l'abri de toutes poursuites. Pour remédier du moins
en partie à cet état de choses, un projet de loi fut présenté en 1842 par
M. le Garde des Sceaux. Ce projet n'a pas été sanctionné ni repris depuis.
2) C'est la théorie de Martin, Lehrbuch des Criminal-Proz. § 20, et de
Kliiber, Vôlkerr. § 63. Contra Weigand, Erôrterungen des CriminaMtechts.
1836. p. 64. Oppenheim, Vôlkerr. p. 385.
3) Foelix, loc. cit. p. 571.
§ 36, DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 75
raient motiver une aggravation de la peine, si la maxime
chrétienne: „Non bis in idem" ne s'y opposait pas.1
IV. La loi pénale étant essentiellement territoriale, aucun État
n'autorise, dans son territoire, l'exécution des jugements
rendus en matière criminelle par les tribunaux étrangers,
contre la personne ou les biens d'un individu.2 Les auteurs
sont d'accord sur ce principe, auquel des traités seuls
peuvent déroger, et qui conserve toute sa force dans les
pays fédéraux mêmes. Les jugements ne produisent d'effets
en pays étranger, que quant aux incapacités civiles qui
en résultent. Nous en reparlerons plus loin.8 Néanmoins
la poursuite et la répression des infractions aux lois cri-
minelles étant d'un intérêt général, aucun État, sur une
réquisition régulière des autorités étrangères compétentes,
ne refuse de prêter son concours pour la recherche des
auteurs et la constatation des crimes. Mais il peut le refuser
aussi, en accordant aux inculpés sa protection, faculté qu'on
ne pourra lui contester, lui -seul étant juge de la justice
et de l'opportunité des poursuites.
V. La validité formelle des actes d'instruction reçus devant
un tribunal étranger, est régie par les lois du lieu où
ils ont été dressés. Ce principe est reconnu dans tous les
pays; un règlement pour les États pontificaux, du 5 no-
vembre 1831, lui a donné une expression très-juste. Il ne
*) V. Heffter, Lehrbuch des Criminal-Rechts. § 180. 181. note 2.
Schmid, loc. cit. § 90. H.
*) Plusieurs auteurs, à la vérité, prétendent que les États sont tenus
de s'entr'aider réciproquement dans l'exercice de la justice criminelle.
Schmid p. ex. (à l'endroit cité §87) dit: „que les États ont le devoir
commun de considérer comme leur mission principale le maintien de l'ordre
moral et légal entre les hommes, et par suite de s'assister mutuellement
pour faire respecter la justice criminelle." Mais c'est un point de vue
moral, qui n'est nullement exclusif de la faculté pour chaque État d'appré-
cier librement si les poursuites exercées dans l'autre sont fondées. Rien
ne peut, sous ce rapport, être exigé de lui.
8) V. cependant M. Foelix p. 572. — V. aussi Jul. Clari, Receptae Sen-
tentiae. V, § fin. p. 38. not. 10. Un traité récent, conclu entre les États
de la confédération germanique, règle le mode d'extradition en matière
de délits politiques.
76 LIVRE PREMIER. § 37.
resterait que la question de savoir si les tribunaux sont
obligés de tenir pour constant le fait admis par les tri-
bunaux étrangers , question qui a donné lieu à des discus-
sions sérieuses1 et qui cependant ne cessera pas d'être
contestée par les autorités des différents pays.
Quant au droit d'asile et d'extradition, nous en traiterons
au § 42 ci- après.
b. Conflit des lois en matière civile.2
§ 37. Les règles de juridiction des tribunaux des différents
États en matière civile diffèrent en partie considérablement de
celles consacrées en matière pénale.
Chez les Romains nous rencontrons quelques traces de ce
qu'on appelle aujourd'hui le droit international privé (jus gentium
privatum), qui cependant ne s'est pas développé ultérieurement
dans le nouveau monde (§ 1 ci -dessus). Le principe germanique
des lois personnelles du moyen âge, principe suivant lequel
l'étranger était régi, sous tous les rapports, par la loi de la nation
dont il faisait partie, n'offrait aucun mode de solution des nom-
breux conflits qu'il faisait naître, et dut être remplacé par celui de
la souveraineté territoriale. Le principe territorial, par cela même
qu'il s'impose à tous les rapports civils nés sur le territoire,
semble, au premier abord, peu favorable à l'application des lois
étrangères. La loi civile, de même que la loi pénale, étant
essentiellement territoriale, son autorité semble expirer aux li-
mites mêmes du territoire. Mais ce raisonnement repose sur
une erreur profonde. En effet l'État qui voudrait nier l'autorité
d'un droit civil en dehors de celui par lui établi, nierait en
même temps la liberté de la personnalité humaine: c'est ce
qu'il ne peut pas, n'étant lui-même qu'un organe spécial du
genre humain. Tous les hommes pouvant prétendre au même
titre, du moins moralement, à être admis à la jouissance du
1) V. Foelix p. 575.
2) V. les ouvrages de Schâffher, Entwurf des internat. Privatrechts.
Frankfurt 1841. de Wâchter, Ueber die Collision der Privatrechtsgesetze
(Archiv fur civil. Praxis. XXIV, XXV). de Savigny, System, t. VTH etc.
Mailher de Chassa, dans son traité des statuts, a adopté un système différent.
§ 87. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. ^^
droit civil, chaque État doit y contribuer. Mais comme le droit
civil, dans ces développements, a besoin de la sanction du pou-
voir souverain, une nation doit admettre l'autorité fraternelle
de l'autre, à laquelle cette sanction est échue, conformément
aux règles de l'égalité et du respect mutuel des nations. La
difficulté consiste seulement dans les modes de compétence que
nous essayerons d'analyser par la suite. Mais considérés en eux-
mêmes, les rapports nés sous l'empire des lois spéciales d'une
nation, se présentent partout avec la force de faits accomplis,
sans toutefois produire nécessairement partout les effets légaux
que leur accordent les lois du pays où ils ont pris naissance.
Ici l'autonomie des États reprend tout son empire. Le légis-
lateur d'un pays peut refuser d'admettre sur son territoire cer-
tains effets des lois étrangères, ou bien les faire dépendre de
l'accomplissement de certaines conditions accessoires. C'est à la
jurisprudence de chaque pays à examiner à ce sujet les disposi-
tions des lois particulières; mais, lorsqu'elles se taisent, elles
doivent être réputées vouloir laisser subsister les effets légaux des
rapports nés à l'étranger. Ce qui n'implique toutefois en aucune
manière l'obligation d'une nation d'admettre sur son territoire
des rapports réprouvés par ses propres lois. Ainsi un Musulman
ne peut, dans un État chrétien, invoquer les lois de sa patrie
relatives à la polygamie, pour contracter un second mariage.
De même un étranger divorcé valablement dans son domicile
d'origine, ne peut contracter un nouveau mariage dans le pays
où le divorce est aboli.1 Les lois étrangères ne peuvent non
plus produire dans un pays des effets contraires aux lois de
ce dernier, ni les effets que celles-ci seules peuvent produire.
Ainsi l'autorité paternelle, pendant le séjour en pays étranger,
subira les modifications prescrites par les lois du domicile actuel.
Les fictions légales tolérées dans un pays, ne peuvent être in-
voquées dans un autre où elles sont inconnues, bien qu'on n'y
puisse repousser les conséquences des rapports nés sous le ré-
gime de ces fictions. Ainsi, par exemple, les déclarations de
l) Arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 août 1824 (affaire de la
dame Bryan) Sirey t. 25, 2, 208, et du 28 mars 1843 (affaire Jackowski)
DaUoz 1843, 2, 566.
78 LIVRE PREMIER. § 38.
décès présumé, admises par les lois allemandes, ne peuvent
tenir lieu de preuves de décès dans les pays où ces déclara-
tions sont inconnues; ni la légitimation d'un enfant naturel non
plus de celle de la naissance légitime exigée par certaines lois.
D'un autre côté on maintiendra les partages de succession,
opérés à la suite de ces déclarations de décès. Mais le système
qui voudrait soumettre la validité même et les conditions des
rapports nés à l'étranger, aux dispositions des lois du territoire
où Ton en réclame l'exécution, donnerait au principe territorial
une interprétation exagérée, en même temps qu'une force rétro-
active, et par suite ne pourra obtenir aucune exécution.
§ 38. Nous allons indiquer maintenant les règles générales
qui servent communément à la solution des conflits nés en ma-
tière civile.
I. Tout ce qui concerne l'État civil des personnes, leur
capacité de contracter, de faire tels ou tels actes, de tester, de
succéder, est compris sous la dénomination de Statut personnel
(statutum personale) et régi par les lois de la nation à laquelle
elles appartiennent. Ce ne sont pas seulement les lois civiles
de leur nation qui les régissent, même pendant leur séjour à
l'étranger: elles continuent aussi à être soumises à sa juridiction
contentieuse et volontaire (jurisdictio voluntaria mixta). Ainsi,
pour parvenir à la nomination d'un tuteur, d'un conseil judiciaire
etc., il faut avoir recours aux tribunaux du domicile d'origine.
Les lois d'origine suivent la personne partout où elle se
trouve. Le séjour plus ou moins prolongé en pays étranger ne
fait pas cesser les effets des lois personnelles, qui continuent
à régir la capacité civile, tant qu'un changement de nationalité
n'est pas survenu. On est allé jusqu'à soutenir qu'un changement
de nationalité ne peut pas modifier l'état civil d'une personne, par
exemple l'époque de sa majorité. C'est aller évidemment trop
loin , bien que certains traités, notamment celui conclu entre la
Prusse et la Saxe, contiennent une disposition formelle à ce sujet.
Les lois particulières d'une nation peuvent à la vérité mo-
difier ce principe:1 mais tant qu'elles n'en ont pas disposé autre-
*) Ainsi le Code néerlandais, art. 9, dispose: „Le droit civil du
royaume est le même pour les étrangers et les Néerlandais, tant que la
§ 38. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 79
ment, il faut suivre les dispositions des lois personnelles.1 Elles
répondent le mieux à la stabilité et à l'indépendance des rap-
ports privés, ainsi qu'au respect mutuel que les nations se doivent
entre elles. Aussi ce principe a-t-il obtenu l'assentiment presqu'un-
anime des auteurs et de la jurisprudence, et il est admis par
la plupart des législations modernes. Supposé enfin qu'un indi-
vidu réunît en sa personne plusieurs nationalités distinctes, il
faudrait appliquer les lois qui s'accorderaient le mieux avec sa
position actuelle: autrement la question serait insoluble.8
II. Les lois de chaque État régissent les biens de toute
nature qui se trouvent dans le territoire (statut réel). Néan-
loi n'a pas expressément établi le contraire." Le Code des Deux-Siciles,
art. 5: „Les lois obligent tous ceux qui habitent le territoire du royaume,
qu'ils soient citoyens, étrangers domiciliés ou passagers." De même, d'après
les lois russes, l'étranger, pendant tout le temps de son séjour en Russie,
est soumis, quant à sa personne et à ses biens, aux dispositions des lois
russes. V. Foelix p. 48. 49.
x) V. Eichhorn, Deutsches Privatrecht. § 35.
a) Allgem. Preufs. Landrecht. Einl. § 35. — Cette question ne pourra
pas se présenter en France : la naturalisation d'un individu en France im-
plique la renonciation à son domicile d'origine. Qu'il nous soit permis
d'appeler à cette occasion l'attention sur la position précaire de la masse
d'individus qui, après avoir émigré de leur pays, se sont fixés en France.
Reniés par les autorités de leur pays d'origine, la loi française refuse de
les comprendre parmi ses enfants adoptifs, tout en les soumettant aux
contributions et aux charges publiques. Le faubourg St. Antoine est rempli
de milliers de ces individus, dont il serait difficile d'indiquer d'une manière
exacte les lois personnelles. On n'a qu'à compulser les registres des mairies,
pour se rendre compte des inconvénients qu'entraîne cet état de choses.
La succession d'un marchand d'estampes très -connu du boulevard des
Italiens, M. Rittner, a donné lieu à ce sujet, il y a quelques années, à
d'intéressants débats devant la Cour impériale. Enfant naturel, ayant quitté
très -jeune son pays natal, le Wurtemberg, établi depuis 25 ans à Paris,
sa veuve, Française d'origine, et ses collatéraux du Wurtemberg se dispu-
taient sa succession, en invoquant tour à tour les dispositions des lois
françaises et de celles du Wurtemberg relatives à la succession d'un enfant
naturel. Des certificats émanés des autorités locales constataient que
Rittner, ayant émigré sans une autorisation spéciale, avait cessé d'être
Wurtembergeois, mais il était constant en même temps qu'il ne jouissait
pas des droits civils en France. Quelles lois fallait -il appliquer? Cette
question fut discutée dans deux mémoires intéressants présentés par
M. Foelix à la Cour.
gO LIVRE PREMIER. § 38.
moins la plupart des législations modernes restreignent les effets
du statut réel aux biens immeubles, soit par leur nature, soit
par leur destination, soit par l'objet auquel ils s'appliquent.
C'est donc un principe constant dans toute l'Europe que les
immeubles sont régis par les lois du lieu de leur situation.1 Il
reste seulement à examiner s'il faut accorder à ce principe un
caractère absolu, au point que les étrangers qui possèdent des
immeubles dans un territoire, seraient régis, même quant à leurs
personnes, par les lois, et justiciables par les tribunaux du
pays? Le droit international, sans répondre d'une manière gé-
nérale à cette question, dont la solution varie selon les lois et
la jurisprudence de chaque pays, fournit cependant 'à ce sujet
les éléments suivants:
Si les lois locales n'en disposent pas autrement, elles sont
réputées admettre la validité des actes reçus à l'étranger, con-
formément aux dispositions des lois étrangères et ayant pour
objet des immeubles situés dans le territoire, pourvu qu'ils soient
revêtus des formalités nécessaires pour l'acquisition des im-
meubles dans ce pays.
Les meubles possédés par un étranger sont régis par les
lois de son domicile, à moins que des dispositions spéciales ne
s'y opposent, telles que la maxime: en fait de meubles la pos-
session vaut titre, et autres.
En effet les meubles n'ayant pas d'assiette fixe, on les a
toujours considérés comme devant suivre la personne, et comme
n'ayant pas d'autre situation que la sienne (mobilia ossibus in-
haerent, personam sequuntur). Plusieurs codes cependant sou-
mettent les meubles aussi au régime du statut réel.8
1) Wâchter, Arch. XXV, 200. 383. Foelix p. 54 suiv. de Savigny
vni, i8i.
2) P. ex. Code de Bavière, part. III, chap. 2, § 17; Canton de Vaud
(art. 3. 8) ; Canton de Berne (art. 4). — - Par application du principe sus-
énoncé il a été jugé que les tribunaux français sont incompétents pour
connaître d'une demande en liquidation et partage d'une succession d'un
étranger, quant aux meubles. D'un autre côté il a été décidé que la suc-
cession d'un étranger décédé en France sans parents au degré successible,
ni enfant naturel ni conjoint survivant, appartient non au souverain du
pays étranger, mais est acquis au gouvernement français (Cassation 28 juin
1852, Sirey 1852, 1, 537). V. Foelix p. 71.
|38. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. gl
El. La validité des actes licites de l'homme est régie par
les lois du lieu où ils doivent produire leurs effets, lorsque ces
lois ont adopté un système exclusif. Si la substance des actes
est régie par les lois du lieu de leur exécution, la capacité
des parties contractantes est régie par leurs lois personnelles.
Dans les contrats, il faut appliquer en outre les lois de do-
micile, lorsqu'elles posent certaines restrictions à la capacité des
contractants. Les actes s'interprètent d'après les lois du lieu
où ils ont été reçus.1 Quant à leurs formes, il est d'un usage
général de les revêtir de celles prescrites par les lois du lieu
de l'exécution. Cet usage repose sur le droit d'autonomie qui,
pour la validité des actes, n'exige que l'observation des formes
prescrites. La question de savoir cependant si l'observation des
formes locales est facultative ou nécessaire, est controversée.
Nous la résoudrons dans le premier sens, si les lois gardent
le silence. Les parties contractantes ont évidemment le droit de
choisir soit les formes prescrites par les lois locales, soit celles
du lieu d'exécution.* H est vrai que si, pour l'authenticité des
actes, les lois exigent qu'ils soient reçus par des officiers pu-
blics du pays, ils ne peuvent valablement être dressés par des
officiers publics étrangers, bien que connus sous une dénomi-
nation équivalente.3
IV. Les quasi -contrats sont régis à la fois par le statut per-
sonnel en ce qui concerne la capacité des parties intéressées, et
par la loi du lieu où s'est passé le fait qui a donné naissance au
quasi -contrat; à défaut d'un pareil fait, par la loi du domicile.4
V. Cette dernière doit aussi prévaloir en tout ce qui concerne
les actes illicites de l'homme. Car on ne peut admettre en thèse
générale que les actes illicites de l'homme soient régis exclusi-
vement par la loi du lieu de la poursuite, et que la loi du
domicile d'origine ne saurait les atteindre. Plusieurs législations
à la vérité ont adopté la règle : Lex loci ubi delictum commis-
1) Wâchter p. 365 suiv. Foelix p. 87 suiv. de Savigny VIE, p. 264.
2) Wâchter p. 377. 405. 406. 413. Foelix p. 87 suiv. de Savigny
, p. 348 suiv.
Vm, p. 348 suiv.
«) V. Foelix p. 498 suiv.
«ï Foelix d. 153.
4) Foelix p. 153
gj} LIVRE PREMTKR. § 39.
sum est. Mais comme elle ne repose sur aucune nécessité in-
terne, les jurisconsultes les plus célèbres Font rejetée presque
unanimement.1
Dans les différentes espèces qui viennent d'être indiquées,
il n'a été question que des effets purement civils des actes et
des contrats passés en pays étranger. Quant à la force exécu-
toire, à la constitution d'hypothèque, aux droits de privilège,
les lois n'accordent en général ces effets qu'aux actes authen-
tiques reçus dans le pays même, à moins que des traités inter-
nationaux ne contiennent des stipulations contraires.2
§ 39. Après avoir examiné la nature et les effets des actes
extrajudiciaires, nous allons nous occuper des actes et forma-
lités de justice, et notamment de la compétence des tribunaux.
Les règles généralement reconnues en cette matière sont les
suivantes : 8
I. Toute demande formée soit contre un regnicole, soit
contre un étranger, est portée devant les tribunaux du pays où
le jugement devra être exécuté. La compétence de ces tribu-
naux toutefois n'a aucun caractère exclusif. Elle n'a pas non plus
un caractère obligatoire, d'après cet axiome: Nemo invitus ad
agendum cogitur, qui forme la base de la procédure civile. Elle
ne l'a pas non plus en ce sens que les tribunaux seraient
tenus de statuer, du consentement même des parties, sur des
contestations auxquelles les lois du pays ne sont pas applicables.
Enfin les tribunaux d'un pays ne sont pas compétents pour
statuer sur les contestations entre un gouvernement étranger et
un particulier.4
II. La forme de procéder est régie par la loi du pays où
la demande est introduite. Suivant un usage adopté par toutes
les nations, les tribunaux de différents pays se prêtent une
assistance volontaire et réciproque, lorsque, pendant le cours
1) Wâchter, loc. cit. p. 388. de Savigny p. 247. 261. 278. V. aussi
plus haut § 36. 1.
2) V. Foelix p. 502.
3) V. Foelix p. 166. Kliiber, Vôlkerr. § 58. 59.
4) V. § 35, IV et § 37 ci -dessus. L. Hôpfher, Beitrâge zur civilisti-
schen Praxis. Leipzig 1841. No. I.
| 89. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 83
d'une instance, il devient nécessaire de procéder à un acte
quelconque d'instruction dans un lieu situé hors du ressort du
juge saisi de la cause (commissions rogatoires). Le juge requis
procède conformément aux dispositions des lois de son pays.
Il peut observer aussi les formes indiquées dans la commission
rogatoire, pourvu qu'elles ne soient point en contradiction avec
les lois prohibitives du territoire.1
ni. Les formalités à observer par des parties en litige,
pour introduire une demande en justice, celles relatives à la
preuve, ainsi que les règles suivies par les tribunaux pour rendre
une décision, tirent leur sanction de la loi du territoire où la
demande est intentée. Quant aux exceptions qui affectent le
fond même de la demande, et aux preuves, il faut suivre les
lois de la matière sus -mentionnées (§ 38).2
IV. Les jugements passés en force de chose jugée, sont
exécutoires dans le territoire où ils ont été rendus, et dans
les pays où leur exécution a été garantie par des traités
ou par des usages internationaux. Cependant dans aucun
État on ne devrait refuser d'accorder aux jugements rendus
par des tribunaux compétents à l'étranger, l'autorité d'un contrat
judiciaire intervenu entre les parties, et par suite ils devraient
être déclarés exécutoires après avoir été soumis à un examen
préalable. L'examen porterait sur la compétence du tribunal,
sur la régularité de la procédure, l'absence de toute disposition
contraire aux lois et aux institutions du pays, enfin sur la force
de la chose jugée acquise au jugement.
Il faut en dire autant des sentences arbitrales, des exceptions
de litispendance, de la chose jugée en pays étranger. Elles
l) Foelix p. 300 suiv.
■) Quant à l'exception tirée de la prescription, elle fait l'objet d'une
controverse sérieuse. Pour s'en rendre un compte exact , il faut avant tout
examiner les effets que les lois particulières de chaque pays accordent
à la prescription. Lorsqu'elles n'imposent pas au juge l'obligation d'avoir
égard à la prescription ex officio, en laissant au défendeur la faculté de
l'opposer, nous croyons que c'est la loi du contrat (locus contractas )
qui devient applicable. V. Foelix p. 140. Wâchter, Archiv. p. 408.
de Savigny p. 273. Contra: arrêt de la Cour suprême de justice de Berlin,
Entsch. X, 105.
6*
g4 LIVRE PREMIER. § 39.
présentent le même caractère de contrat judiciaire qui forme
la base de toute instance engagée devant les tribunaux.1
Sur le corps de doctrine né des conflits de statuts pro-
vinciaux et locaux du droit coutumier que l'ancienne jurispru-
dence avait légué aux temps modernes, la théorie est venue
greffer de nos jours la branche si jeune encore du droit inter-
national privé. Les problèmes de la théorie ont trouvé de nom-
breuses solutions dans les décisions des cours et tribunaux,
trésors précieux qui grossissent sans cesse. Les lois de leur
côté répondent - elles aujourd'hui en France au développement
prodigieux des rapports internationaux? Accordent -elles une
satisfaction suffisante à des besoins légitimes? En émettant des
doutes sérieux à ce sujet, nous ne faisons qu'adopter l'avis des
autorités les plus respectées. Notre Code des Étrangers compte
à peine encore quelques dispositions dont les textes remontent
en partie au xvne siècle. On y distingue surtout deux points
importants qui placent la législation française dans une in-
fériorité incontestable vis-à-vis de celle des nations voisines.
Qu'il nous soit permis de nous y arrêter pendant quelques in-
stants.
En Angleterre, aux États-Unis, en Autriche, en Prusse, et
généralement dans tous les États de l'Allemagne, dans les Pays-
Bas, en Espagne , en Eussie, ainsi que d'après le Gode de Po-
logne (art. 13) auquel le Code Napoléon a servi de base, les
étrangers, sans distinction, sont admis à citer en justice et à
porter leurs contestations devant les tribunaux du pays (v. Foelix,
p. 196 — 200). On sait qu'en France les tribunaux sont incom-
pétents pour statuer sur les contestations nées entre deux étran-
gers qui n'ont pas obtenu l'autorisation d'y établir leur domicile,
autorisation sujette à de nombreuses formalités, et que M. le
*) de Kamptz, Litt. § 140; idem, Beitrâge zum Staats- und VOlkerr.
I, n. 5. Schmid, Teutsches Staatsrecht. § 86. Wàchter, Archiv. p. 417.
Foelix p. 360. Kappler, Juristisches Promptuarium , art. „ auslândische
Urtheile." Pour la Belgique, v. arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles,
dans la Gaz. des tribunaux, 24 septembre 1844. V. aussi Foelix p. 446. 227.
Gaz. des tribunaux du 22 novembre 1851.
§ 39. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 85
Garde des Sceaux seul peut accorder. Il résulte de cet état de
choses que des milliers d'individus qui se sont établis sur le
sol de la France, qui depuis bien des années y exercent des
industries utiles, ayant perdu leur domicile d'origine, se trouvent
en fait privés de toutes les voies légales pour obtenir justioe, du
moins en matière civile. Ce fait anormal, la cour suprême Ta
compris. Dans un récent arrêt elle a décidé que les tribunaux
français étaient compétents pour connaître de la demande for-
mée par un étranger contre un autre étranger, si celui-ci réside
en France et ne justifie d'aucun domicile en pays étranger,
alors du moins qu'il s'agit d'un contrat passé en France et qui
doit y être exécuté.1
D est un autre point sur lequel la jurisprudence française
se trouve en désaccord avec celle des autres nations, lorsqu'elle
refuse aux jugements étrangers l'autorité de la chose jugée, et
par suite l'exécution sur les biens et la personne du débiteur
qui séjourne en France. Après avoir épuisé en pays étranger
tous les degrés de juridiction, les parties sont libres de débattre
à nouveau leurs droits devant les tribunaux français, comme si
le jugement étranger n'existait pas. Nous admettons que ce
dernier, pour recevoir son exécution en France, a besoin d'un
ordre émané d'une juridiction française. La nécessité de cette
déclaration repose sur le droit de souveraineté territoriale. Nous
admettons encore avec notre auteur, ainsi qu'il l'a établi ci-dessus,
la nécessité pour le tribunal, avant de déclarer le jugement
étranger exécutoire en France, de le soumettre à un examen
préalable, pour s'assurer qu'il ne contient rien de contraire aux
lois et à la morale publiques. Les salles d'audience de nos
justices de paix ne doivent pas certainement devenir des champs-
clos où tous les idiomes pourront se donner rendez-vous. Mais
permettre aux tribunaux français d'entrer dans l'examen du fond
comme si le jugement étranger n'existait pas, c'est porter une
grave atteinte à l'autorité de la chose jugée et au respect mu-
tuel des nations. Cet état de choses a provoqué des mesures
de rétorsion dans les pays limitrophes. Usant de représailles,
l) Cassation 8 avril 1851. V. Sirey 1851 et les intéressantes observa-
tions de l'arrêtiste.
gg LIVRE PREMIER. § 40.
les lois et les tribunaux de ces pays refusent également l'exé-
cution des jugements rendus en France. De pareilles me-
sures ont été adoptées en Autriche, en Prusse, dans les pro-
vinces rhénanes toujours régies par le Code Napoléon, et dans
les autres contrées d'Allemagne, en Belgique, en Toscane, dans
le royaume des deux Siciles, dans celui des Pays-Bas, en Rus-
sie, en Grèce, à Haïti (v. Foelix, p. 416). Nous citons encore
un arrêt du roi des Pays-Bas, du 7 septembre 1814 (art. 1)
où Ton rencontre le passage suivant: „Les arrêts et jugements
rendus en France et les contrats qui y auront été reçus n'auront
aucune exécution dans la Belgique." Art 2: „Les contrats y
tiendront lieu de simples promesses." Une ordonnance du grand-
duc de Hesse, du 21 juin 1817, est conçue dans des termes tout
aussi énergiques (§ 15): „Les jugements rendus en pays étran-
ger . . . dans les territoires où le principe de l'art. 14 du Code
civil français, principe que nous ne maintenons que par mesure
de rétorsion, n'est pas en vigueur etc."
Les principes rigoureux adoptés par la France à l'égard
des étrangers dans leurs contestations civiles tranchent singu-
lièrement avec l'hospitalité qu'elle leur accorde sur son sol gé-
néreux. Ils ne répondent guère à l'esprit du xix0 siècle ni au
développement qu'ont reçu les rapports internationaux. Les me-
sures de rétorsion adoptées entre nations voisines et amies, nous
ramènent involontairement vers des époques heureusement bien
éloignées, où les peuples se traitaient réciproquement en enne-
mis (barbari, hostes) et où, à la tête du Code international,
ils avaientt placé la célèbre maxime: „Adversus hostem aeterna
auctoritas esto." (Le traducteur.)
2. Rapports des États avec le pouvoir spirituel.
§ 40. Les rapports des États avec le pouvoir spirituel, et
surtout avec le chef de l'Église catholique et romaine, professée
soit par la majorité, soit par un grand nombre de leurs sujets,
sont d'une nature toute spéciale. Les conflits qui naissent entre
les deux puissances spirituelle et temporelle, présentent en effet
l'alternative suivante: Ou bien les États souverains, en se sou-
mettant d'une manière générale aux décisions de la puissance
§ 40. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. #7
spirituelle, et en lui accordant par là une autorité absolue sur
la direction de leurs affaires temporelles, se transformeront en
une vaste famille politique, gouvernée théocratiquement. Cette
théorie, les papes Font poursuivie avec une logique persévérante
pendant le moyen âge, mais ils n'ont jamais réussi à la réaliser
entièrement. De nos jours encore, bien que prêchée par quelques
champions ardents de l'Église, elle n'a trouvé qu'un écho très-
affaibli dans les pays purement catholiques mêmes, car elle est
destructive de l'indépendance nationale de l'Europe. Ou bien,
et c'est là la seconde partie de notre proposition, la puissance
spirituelle renoncerait à une existence politique distincte et à
toute influence sur la direction des affaires du monde matériel,
en se retirant dans le domaine du monde invisible.1
Les rapports entre l'Église et l'État, qui aujourd'hui co-
existent ensemble complètement indépendants l'un de l'autre,
sont régis par les mêmes principes auxquels obéissent en gé-
néral les États ou personnes morales dans leurs relations mu-
tuelles. Ils se résument dans les propositions suivantes:
I. En ce qui concerne le caractère des deux puissances
temporelle et spirituelle, aucun souverain qui commande à des
sujets catholiques, ne peut se refuser à reconnaître dans le pon-
tife romain le réprésentant de l'unité centrale et mystérieuse de
l'Église catholique, auquel elle se rattache par des liens in-
dissolubles. Rien ne peut s'accomplir dans le sein de l'Église
sans l'assentiment de son chef, qui prononce en dernier ressort
sur ce qui est vrai et ce qui est faux.2 Vouloir exclure son
l) Qu'il nous soit permis d'ajouter au dilemme posé ci -dessus par
l'Auteur, ces paroles de J.J.Rousseau: „De tous les auteurs chrétiens,
dit -il, le philosophe Hobbes est le seul qui ait bien vu le mal et le
remède, qui ait osé proposer de réunir les deux têtes de l'aigle, et de
tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais État ni gouvernement
ne sera bien constitué." (Contrat social IV, chap. 8.) (Le traducteur.)
a) Nous n'ignorons nullement que l'infaillibilité du Saint -Père n'est
point partout admise dans le monde catholique, qu'elle ne forme non plus
un article du dogme de l'Église et qu'il s'est formé même, dans le sein
de cette dernière, un système d'opposition qui tend à soumettre le pou-
voir de Févêque romain à une autorité ecclésiastique supérieure, et à ne
lui accorder que le pouvoir exécutif et le droit de législation suprêmes.
gg LIVRE PREMIER. § 40.
autorité, ce serait faire violence à la conscience des sujets ca-
tholiques. D'autre part l'Église romaine ne doit pas vouloir
ignorer l'existence de l'État et ses droits de se maintenir et de
se développer librement: elle doit au contraire éloigner tous les
obstacles de nature à le gêner dans le libre exercice de ses
prérogatives.
Aucune des deux puissances ne peut faire la loi à l'autre :
elles sont entièrement indépendantes l'une de l'autre. L'État n'est
qu'une partie de l'ordre divin des choses: l'Église, dans ses
rapports temporels, n'est pas plus infaillible que l'État. Si l'an-
tagonisme vient à éclater entre eux, la voie de la transaction
seule peut le terminer.
H. Les conventions et les concordats1 conclus avec le
Saint-Siège sont une autre source des rapports établis entre
l'Église et l'État, quelquefois également les conventions spéciales
arrêtées avec les prélats de l'Église dans les limites de leurs
fonctions. Souvent même le Saint-Siège n'a pas refusé de trai-
ter avec les puissances infidèles, tandis qu'envers les souverains
dits hérétiques il n'a jamais consenti à faire usage des formes de
traités publics. Ce n'est pas lui, mais ce sont certains organes
trop zélés à son service, qui quelquefois ont osé émettre des
doutes sérieux sur la nécessité de remplir fidèlement les enga-
gements contractés par lui envers les puissances non -catho-
liques.
ni. Les usages réciproques, ou l'observation uniforme de
certaines règles, par suite de leur vérité interne ou de leur
Cependant ce système n'a pas réussi à obtenir l'assentiment universel. Con-
sidéré au point de vue de l'état de choses actuel, le pape est un monarque
spirituel, auquel les fidèles sont soumis par la conscience, et qui lui-même
n'est lié que par certaines règles émanées du Christ ou du Saint-Esprit,
et conservées dans les Écritures et les traditions, ainsi que par des décrets
de concile acceptés spontanément, mais nullement par la volonté des
membres actuels de l'Église, pas même par celle des évêques qu'il con-
voque quand il le juge convenable. En un mot, il est l'image d'une mo-
narchie absolue entourée d'anciens états -généraux, dont les prérogatives
n'ont obtenu aucune garantie constitutionnelle!
l) Comp. Miinch, Vollstandige Sammlung aller Concordate. Leipzig
1830. 2 vol. Weiss, Corp. jur. eccles. hod. Giessen 1833.
§ 41* DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. §9
nécessité externe, forme une autre source des rapports légaux
entre l'Église et l'État. A cet effet elle reconnaît comme obli-
gatoires pour elle et pour tous ses membres, tous les usages
qui ne sont contraires ni à ses institutions, ni à ses doctrines
fondamentales, ni à son propre principe.1 Par là même qu'elle
se réserve le droit d'examiner à son point de vue l'admissibilité
d'un usage et d'émettre là- dessus un avis obligatoire pour le
clergé, l'État a incontestablement le droit analogue d'examiner
les prétentions temporelles qu'elle fonde sur de prétendus usages,
et il peut leur refuser l'autorisation d'exequatur dès qu'elles
sont en opposition avec ses institutions fondamentales.
IV. La jurisprudence actuelle relative aux rapports de
l'Église avec l'État, n'est pas fondée seulement sur des conven-
tions formelles, mais aussi sur des usages qui n'ont pour base
qu'une longue possession : une jouissance immémoriale, une tolé-
rance tacite, l'observation constante pendant qu'on avait le pou-
voir, et l'intérêt de s'opposer donnent à la possession un caractère
légal (§11 ci -dessus), que ni l'Église ni l'État ne peuvent,
sans injustice, venir contester par la suite. L'État a acquis par
cette voie plusieurs droits exercés ou du moins revendiqués
par l'Église au moyen âge. C'est ce qu'enseignait déjà l'arche-
vêque de Paris, Pierre de Marca, dans les termes suivants:
„Conniventia sedis Apostolicae id maxime praestat, ut bona fide
principes in eo negotio tractando versentur, quod ad se pertinere
non improbabili ratione putant, ita ut patientia illa, si necesse
sit, vicem privilegii et dispensationis subeat."2
§ 41. Nous allons indiquer à présent très -sommairement
les bases pratiques sur lesquelles s'appuient les rapports du
Saint-Siège avec l'État. Elles reposent tantôt sur l'histoire, tantôt
sur les sources sus -indiquées.
I. Le grand Évêque romain est à la fois l'autorité spiri-
tuelle des fidèles de l'Église, et l'autorité temporelle du pays
appelé d'abord le patrimoine de Saint -Pierre, agrandi ensuite
l) V. can. 7. Dist. 11, cap. 6. Dist. 12, cap. 4—9. Dist. 8, cap. 1 — 11.
X. de consuetud. Walter, Kirchenr. § 62. Richter, Kirchenr. § 181.
*) De concordia Imp. et sacerdot. III,. 9, 8.
90 LIVRE PREMIER. § 41.
par Pépin et par Charlemagne,1 qu'elle gouverne avec des formes
hiérarchiques, et elle jouit, par rapport aux autres puissances;
des droits d'État souverain et indépendant. Toutes les puis-
sances catholiques accordent au Saint-Siège la préséance, et lui
témoignent en filles fidèles de l'Église les honneurs dues. Celles
non catholiques, tout en lui contestant le droit de préséance,
le tolèrent cependant dans un intérêt de paix. Ainsi, au Congrès
de Vienne, les ministres des grandes puissances, ceux de la
Russie et de la Grande-Bretagne compris, cédaient le pas
aux nonces du pape.2
H. Comme puissance spirituelle, le pape exerce dans les
États où le culte catholique est reconnu, toutes les fonctions
qui découlent de son caractère traditionnel. D'après les règles
constantes de l'Église romaine, ces fonctions consistent dans le
maintien de l'unité de la doctrine et des institutions canoniques,
et en conséquence dans la direction, la représentation et la
surveillance des intérêts généraux de l'Église, conformément à
sa constitution et à ses dogmes.8 Lorsque la puissance spiri-
tuelle dépasse ses limites incontestées, l'État, en vertu de son
droit de police intérieure, peut lui résister et prendre à l'avance
des mesures contre des empiétements éventuels, „ne quid detri-
menti respublica capiat." Ces mesures sont tracées par le droit
public interne et par la politique. Dès le xv0 siècle la pratique
des nations admet à cet effet l'examen des bulles et des dispenses
émanées du Saint-Siège, leur suspension et le placet regium
ou le droit d'exequatur pour leur mise à exécution, et les
appels comme d'abus en cas d'excès de la puissance spirituelle ;
des mesures pénales et de police contre la propagation clan-
destine des règlements ecclésiastiques destinés à être soustraits
à l'examen de l'État; surveillance des relations de l'Église na-
tionale avec ses chefs étrangers.
*) V. Cenni, Monum. Dominât. Pontif. Romae 1760. Hasse, Vereini-
gung der geistlichen und weltlichen Obergewalt. Haarlem 1852. Sam. Sugen-
heim, Geschichte der Entstehung und Ausbildung des Kirchenstaates.
Leipzig 1854.
2) GUnther I, 221. Rousset, Mémoires. I, 1.
3) Marheineke, System des Katholicismus. II, 344. Clausen, Kirchen-
verf. ubersetzt von Fries. I, 27.
§41. DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 91
El. Les États pontificaux sont une monarchie élective,
l'élection, depuis le moyen âge, s'opère par le collège des car-
dinaux d'après la constitution de l'Église, Jure humano." En
général les nations catholiques et leurs souverains n'ont aucun
droit de participer à la direction de l'Église universelle, ni
aucune influence stipulée expressément sur l'élection du pape.
Dès le xv0 siècle néanmoins l'usage a consacré, au profit de
plusieurs souverains catholiques, le droit de nommer des car-
dinaux protecteurs (cardinales protectores nationum). Certaines
puissances (l'Autriche, la France, l'Espagne) jouissent en outre,
lors de l'élection du pape, du droit de récusation de certains
Candidats, droit toutefois dont les effets ne vont pas jusqu'à
faire annuler une élection.1 Les relations que Rome entretient
avec les États étrangers, sont établies sur le pied diplomatique
ordinaire.
IV. D'après un antique usage l'Église romaine et son chef
jouissaient du patronage du saint Empire romain, jusqu'à la
dissolution de ce dernier survenue en 1806, patronage qui datait
du règne de Pépin et de Charlemagne.2 Depuis la chute de
l'Empire germanique, aucun souverain n'a revendiqué ce droit
de protection, soit de plein droit, soit à titre électif.8
Le droit public de chaque État et le droit ecclésiastique
indiquent les autres rapports du Saint-Siège. A une certaine
époque Rome prétendait soumettre à son autorité les affaires
temporelles mêmes des nations. Elle s'arrogeait notamment la
sanction suprême des droits des empereurs, des rois et des
princes, la faculté de censurer leurs actes de gouvernement, de
lever des impôts sur leurs territoires etc. La France a la pre-
mière résisté victorieusement à ces prétentions exagérées, qui
depuis ne se sont plus reproduites.4 Il nous parait toutefois
digne et convenable pour le chef commun de l'Église universelle
1) de Kamptz, Litt. §103. Toze, Kleine Schriften. Leipzig 1791.
p. 412 suiv. Moser, Beitr. in Friedenszeiten. I, 307. Giinther II, 415.
2) Hiillmann, Kirchenverf. 167. 172 suiv.
3) Al. Mtiller, Die neu aufgelebte Schirmvogtei des ôsterreichischen
Kaisers ûber die rômisch-katholische Kirche. Erfurt 1830.
*) Gûnther, Vôlkerr. 1, 162 suiv.
92 LIVRE PREMIER. § 41.
que, dans un intérêt de paix générale, il pût être investi
d'une certaine mission conciliatrice, dès que des parties en
litige viendraient invoquer son arbitrage.
Concordat et loi organique du 18 germinal an X.
Les questions de conflits entre le pouvoir spirituel et l'État,
pour avoir beaucoup perdu de leur importance d'autrefois, n'en
cessent pas moins d'offrir un puissant intérêt. En ce moment
encore elles sont débattues avec ardeur à Turin, à Madrid,
à Lisbonne, au Mexique, à Naples. Les temps sont passés cer-
tainement où les foudres parties du Vatican remplissaient de
terreur les populations de l'Europe et faisaient le vide autour
des trônes), où le successeur des Césars, accouru au château
de Canossa, en faisant amende honorable devant le Saint -Père
irrité, subissait le châtiment du plus humble de ses sujets.
Aujourd'hui un descendant de Henri VII soutient avec difficulté
l'autorité chancelante du Saint -Père dans ses propres États. Ces
conflits ont naguère profondément influé sur la constitution po-
litique de l'Europe. Ils ont fait perdre surtout à l'Allemagne
cette unité qu'elle n'a plus retrouvée depuis, en même temps
qu'à l'Italie son indépendance. Ils ont dépouillé la couronne
impériale, lors de ces expéditions restées célèbres sous le nom
de romaines (Rômerzttge), de ses joyaux les plus précieux,
dont les grands vassaux territoriaux se sont emparés successi-
vement. Ils ont amené l'asservissement de l'Italie, cette belle
Italie qui, il faut l'espérer, n'a pas en vain imploré l'Europe
représentée au Congrès de Paris, pourvoir cesser une partie de
ses maux.
Plus heureuse, la France a échappé à leur funeste influence.
De bonne heure la royauté en France, en même temps qu'elle
consolidait son autorité affaiblie par l'arrogance des grands vas-
saux, en repoussant les prétentions ultramontaines, a fondé les
libertés et les franchises de l'Église gallicane. Elles forment l'un
des principaux éléments de l'admirable unité politique, issue
d'efforts séculaires, sur laquelle repose la grandeur de la France.
Saint-Louis déjà, dans la pragmatique sanction de 1268,
élève une digue contre les abus de la papauté, et maintient par
9 4L DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 93
les élections les libertés de l'Église gallicane. La lutte de la
puissance temporelle contre les progrès toujours croissants de
la juridiction cléricale donne naissance à l'institution de l'appel
comme d'abus (1329). La pragmatique de Charles VII, 1438,
renouvelle les dispositions de la pragmatique de saint Louis
sur la liberté des élections, sur les provisions et les collations
des bénéfices, sur l'abolition de la levée des tributs connus sous
le nom d'Annates. Repoussée par les bulles fulminantes de la cour
de Borne, elle est remplacée par le concordat de François I et
de Léon X (1516). Par cette transaction Léon X investit le roi
des libertés intérieures de l'Église, et François I rend au pape
l'immense revenu des annates avec son titre de juridiction. Au
concordat succède la déclaration du Clergé de France du 19 mars
1682, oeuvre immortelle de l'évêque de Meaux, que le décret
impérial du 25 février 1810 et un arrêt solennel de la Cour de
Paris (3 décembre 1825) ont proclamée être toujours loi de
l'État Les vérités fondamentales, énoncées dans la déclaration,
se résument dans les quatre articles suivants:
1° que le pape et l'Église elle-même n'ont reçu de puissance
de Dieu que sur les choses spirituelles et non temporelles
et civiles, maxime qui fonde l'entière indépendance du
pouvoir temporel;
2° que le pouvoir des conciles généraux est supérieur au
pouvoir du pape, suivant les décrets du concile de Con-
stance;
3° que les canons reçus généralement dans l'Église, que les
règles, les usages, les institutions, les libertés du royaume
et de l'Église gallicane doivent rester inébranlables;
4° que le jugement du pape n'est infaillible et irréformable
que lorsqu'il est confirmé par le consentement de l'Église.
Ainsi la théorie de l'ancien droit public ecclésiastique de
la monarchie française se réduisait à ces trois grands principes:
1° concours du pouvoir temporel aux effets de la puissance
législative de l'Église; 2° protection de l'Église par le pouvoir
temporel, et protection des citoyens contre les abus du ministère
ecclésiastique* ; 3° maintien de l'ordre public de l'État, conser-
vation des droits et libertés de l'Église gallicane.
94 LIVRE PREMIER. § 42.
De ces trois principes qui régissaient autrefois les rapports
de l'Église et de l'État, un seul, la protection exclusive en fa-
veur de FÉglise catholique, a subi, dans les décrets de rassem-
blée constituante, une modification profonde et durable: au prin-
cipe politique de l'unité de la foi a succédé le principe social
de la liberté de conscience et de religion.
Le concordat et la loi du 18 germinal an X, sous le point
de vue des libertés extérieures de l'Église gallicane, ne pou-
vaient que confirmer les règles de l'ancien droit La déclaration
de 1682 et redit du 23 mars 1695 redevenaient donc une loi
de l'État. La nécessité pour le pouvoir spirituel de soumettre
tous ses actes à l'autorisation du gouvernement avant leur publi-
cation, redevenaient, dans la loi de l'an X, une disposition fonda-
mentale. Le conseil d'État héritait de la prérogative du parle-
ment. Ainsi l'autorisation préalable est exigée par la loi organique,
1° pour la publication et exécution des bulles, rescrits., dé-
crets, mandats, provisions et signatures servant de provi-
sion ou autres expéditions de la cour de Rome, même
ne concernant que les particuliers;
2° pour l'exercice sur le sol français des fonctions de nonce,
légat, vicaire ou autres commissaires apostoliques, sous
quelque dénomination que ce soit;
3° pour la réunion des conciles nationaux ou métropolitains,
des synodes diocésains ou autres assemblées du clergé ;
4° quant aux décrets des synodes étrangers, même ceux
des conciles généraux, l'examen, avant toute publication,
de leur forme, de leur conformité avec les lois, droits et
franchises de l'État et de tout ce qui, dans leur publica-
tion, pourrait altérer ou intéresser la tranquillité publique,
est aussi maintenu, selon la tradition des anciennes ma-
ximes (art. 1 — 4 de la loi organique).1
3. Exterritorialité.2
§ 42. L'exterritorialité est une immunité de droit public
dont jouissent certaines personnes, immunité qui a pour objet
*) V. Laferrière, Cours de droit public et administratif. Iiv. I. chap. H.
2) Les ouvrages consacrés à cette matière traitent seulement de Fex-
§ 42. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 95
de les exempter de la juridiction civile du territoire dans lequel
elles résident effectivement. Par une espèce de fiction légale on
considère généralement ces personnes comme n'ayant pas quitté
le territoire de leur nation. C'est peut-être aller trop loin et
donner à ce droit un caractère trop absolu. Il en résulterait,
par exemple, cette conséquence singulière que tous les actes
passés par une personne exemptée dans le territoire étranger,
seraient régis exclusivement par les lois de son domicile d'ori-
gine, que la règle: „Locus régit actum" ne pourrait être in-
voquée contre elle, ce qui certainement ne serait pas admissible.1
Le privilège de l'exterritorialité en effet repose sur la considé-
ration unique que, dans un intérêt exclusivement international,
la juridiction d'un État cesse d'être applicable aux rapports ci-
vils de certaines personnes, et que son exercice est suspendu
à leur égard. Nous aurons à examiner par la suite quelles sont
les personnes qui jouissent de ce privilège, et dans quelle éten-
due elles sont appelées à en jouir. Nous nous bornerons dans ce
paragraphe à retracer les principes généraux et non contestés
de l'exterritorialité.
I. Les personnes exemptes conservent en général leur do-
micile d'origine, et par suite tous leurs rapports civils continuent
à être régis par les lois du domicile. C'est ce qui toutefois ne
leur enlève pas la faculté d'élire un domicile sur le territoire
de leur résidence réelle. De même elles peuvent conserver le
domicile qu'elles y avaient précédemment.2 Ainsi, par exemple,
un agent diplomatique accrédité auprès du souverain dont il
était le sujet avant sa nomination, peut ne pas renoncer à ces
rapports. Bien ne s'oppose non plus à ce qu'une personne
territorialité des agents diplomatiques, mais aucunement de celle des autres
personnes. Le traité le plus complet est toujours celui de Bynkershoek,
De jud. compétent, legati. Lugd.-Bat. 1721. traduit par Barbeyrac 1723.
1727, traduction qui se retrouve dans les éditions de l'Ambassadeur par
Wicquefort V. Foelix, Revue étrangère. 1845. I. p. 31. V. aussi son
droit international privé p. 266. Les recherches les plus récentes se trouvent
dans la dissertation d'Evertsen de Jonge, over de grenzen van de Regten
van Gezanten u. s. f. Utr. 1850.
*) V. sur l'origine de cette fiction Evertsen p. 158.
2) V. Bynkershoek c. XI, § 5 suiv.; c. XVHI, p. 6 in fine.
96 LIVRE PREMIER. §42.
exempte ne se soumette librement à la juridiction étrangère:
rien, par exemple, n'empêche qu'un souverain ne puisse avoir
un domicile en territoire étranger. Cette élection de domicile
entraîne la soumission de la personne exempte, dans tous les
rapports civils en dehors de son caractère public, à la juri-
diction des tribunaux étrangers.1
H. L'exterritorialité a pour effet direct l'exemption des
personnes et des objets privilégiés de toute espèce de juridiction
territoriale. Aucun acte de police, aucun acte du pouvoir judi-
ciaire ne peuvent les atteindre. Mais les autres droits souverains
de l'État subsistent dans toute leur force, tels que ceux de
sûreté et de défense intérieures, le droit de faire respecter ses
lois etc.
El. Lorsqu'il s'agit, pour la personne exempte, de l'ac-
quisition de certains droits qui ne sont accordés qu'aux regni-
coles, ceux, par exemple, de diriger une imprimerie ou d'exercer
le commerce, elle doit se conformer aux lois du territoire.
IV. La personne exempte n'est pas affranchie non plus des
charges qui grèvent l'usage de certaines choses faisant partie
du domaine public, par exemple des droits de péage des routes
de terre ou d'eau, à moins que le gouvernement étranger ne
consente à les en exonérer par courtoisie, ainsi que cela se
pratique quelquefois.
V. Il faut en dire autant quant à l'exercice de droits ci-
vils en pays étranger. Ainsi, pour l'acquisition d'immeubles y
situés, la personne exempte doit se conformer aux dispositions
des lois locales.2
VI. L'immunité de la personne exempte se communique
aux personnes de sa suite. Elle s'étend en même temps aux
effets et aux biens meubles qui lui appartiennent. Néanmoins
*) C'est ce que le traité de Westphalie (V, § 28) a sanctionné notamment
à Fégard des anciens chevaliers de l'Empire dans ces termes: „nisi forte
in quibusdam locis ratione bonorum et respectu territorii vel domitilii aliis
statibus reperiantur subjecti."
2) C'est un principe généralement adopté. V. Bynkershoek chap. XVI.
Merlin, Répertoire, m. ministre public. S. 5. § 4. art. 6 et 8. Wheaton I,
2, 3. § 16. Allgem. Preufs. G.-O. I, 2, 66.
§ 42. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 97
les personnes comme les biens qui précédemment étaient soumis
à la juridiction d'une puissance étrangère, ne peuvent, sans son
consentement exprès, être soustraits à sa juridiction; ils ne le
pourront pas non plus contrairement aux dispositions formelles
des traités internationaux.1
VII. La personne exempte est soumise à la juridiction ter-
ritoriale du pays où elle réside, dans toutes les affaires privées
pour lesquelles, lors même qu'elle n'y résiderait pas, elle serait
tenue de répondre en justice. En effet la juridiction territoriale
ne cesse d'être compétente dans le cas où la personne exempte
réside dans le pays même. La jurisprudence internationale
toutefois a posé à ce sujet certaines limites, à la vérité non
obligatoires;2 elle ne reconnaît en général la compétence des
tribunaux locaux qu'en matière réelle, ou lorsqu'il s'agit de de-
mandes reconventionnelles ou accessoires de la demande princi-
pale formée contre la personne exempte.8 Des mesures conser-
vatoires, telles qu'une saisie - arrêt , sont également autorisées.4
La soumission à la juridiction du territoire n'est pas volontaire,
du moins de la part d'un ministre étranger, sans le consente-
ment de son souverain.5 Enfin si la personne exempte a con-
servé d'une manière non contestée son précédent domicile dans
le territoire, conformément à ce que nous avons dit au n° I du
*) Wicquefort, l'Ambassadeur. 1, 28. p. 422. Bynkershoek chap. XV. § 6.
*) Ainsi en principe rien ne s'oppose à ce qu'on n'applique le prin-
cipe du forum contractais. Un mémoire de la Cour de Versailles de 1772
observe à ce sujet avec beaucoup de raison ce qui suit: „ L'immunité du
ministre public consiste essentiellement à le faire considérer comme s'il
continuait à résider dans les États de son maître. Rien donc n'empêche
d'employer vis-à-vis de lui les moyens de droit dont on userait s'il se
trouvait dans son domicile ordinaire." Flassan, Histoire de la diplom.
franc. VII, 22.
3) Bynkershoek chap. XIV. § 13. chap. XVI. § 2. Merlin , Répert.
Ministre public. V, 4. 10.
*) Bynkershoek chap. IV. § 5. 6. chap. XVI. § 6. V. cependant Foelix
p. 273 et 275. Un arrêt de la Cour imp. de Paris, du 5 avril 1813 (Sirey
1814. 2. 306) a jugé qu'aucune saisie ne peut avoir lieu dans le pays de
la résidence du Ministre étranger pour des dettes contractées avant ou
pendant le cours de sa mission.
B) Bynkershoek chap. XXIII. Ch. de Martens, Causes célèbres. 1, 229.
7
9g LIVRE PREMIER. § 43.
présent paragraphe, elle ne pourra décliner la compétence des
tribunaux du pays.
Il est inutile d'ajouter qu'en aucun cas les personnes ex-
emptes ne peuvent être l'objet d'une contrainte ou d'une me-
sure d'exécution quelconque, et qu'il faut observer envers eux
les égards qui sont dus à leur rang. Ainsi, par exemple, des
sommations ou des citations ne peuvent leur être signifiées que
par voie diplomatique.1
VIII. L'exterritorialité cesse avec les causes qui l'ont mo-
tivée. On ne reconnaît plus le droit d'asile dans l'hôtel d'un
ministre étranger, ni la franchise du quartier.2
4. Servitudes internationales.8
§ 43. Les rapports naturels des États qui sont appelés à
se développer les uns à côté des autres, portent avec eux la
nécessité de certaines restrictions des droits souverains, re-
strictions auxquelles aucun d'entre eux ne peut se soustraire sans
léser l'ordre des choses établi et les règles de bon voisinage.
Elles portent le nom de servitudes publiques naturelles (servi-
tutes juris gentium necessariae).4 Au nombre de ces servitudes
naturelles on comprend, par exemple, l'obligation de recevoir
les eaux qui découlent naturellement d'un territoire limitrophe,
la défense de construire sur une rivière des ouvrages tendant
J) V. A. G. 0. fur die preufsischen Staaten. I, 2, §. 66. Bynkershoek
chap. XVI. § 19 qui n'est pas tout -à- fait du même avis.
2) V. ci -après au livre m et au § 63 in fine.
3) V. les ouvrages indiqués par Ompteda, Lit. §214 et de Kamptz
§ 101, surtout ceux de Ph. J. Elwert, De servitutib. s. jurib. in alieno ter-
ritorio. Argent. 1674, de C. J. C. Engelbrecht, De servitutibus jur. publ.
Helmst. 1715. 1749. Nie. Thadd. Gônner, Entwicklung des Begriffs und
der Grundsàtze der deutschen Staatsrechtsdienstbarkeiten. Erlangen 1800.
Ces auteurs traitent surtout des rapports anciennement établis entre les États
de l'Empire germanique, appelés „ servitutes juris publici germanici" par
opposition aux „ servit, juris gentium." de Steck, dans ses Éclaircisse-
ments, traite la matière d'une manière plus générale.
4) V. Hert, Opusc. II. III. p. 103 suiv. Cet auteur, ainsi que Engel-
brecht, comprend au nombre des servitudes naturelles les cas de force
majeure et de légitime défense ; c'est aller trop loin. Kluber § 139. not. a.
au contraire, et d'autres nient l'existence des servitudes naturelles.
§ 43. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 99
à en détourner le cours,1 à les rejeter sur la rive opposée, et
en général de nature à causer quelque préjudice à un État
voisin (§ 33 ci-dessus). Les dispositions du droit romain s'ap-
pliquent incontestablement à ces sortes de servitudes.
A côté des servitudes naturelles, on reucontre des servitudes
positives consenties librement par les États (servitutes juris gen-
tium voluntariae). Elles ont pour objet rétablissement d'un droit
restrictif du libre exercice de la souveraineté territoriale au profit
d'un État ou d'un particulier étrangers. Autrefois elles étaient
d'une application plus fréquente, surtout en Allemagne, qu'elles
ne le sont aujourd'hui.2
Pour la validité de ces servitudes il faut d'une part: un
État souverain, quelquefois aussi, ce qui est plus rare, un parti-
culier étranger appelé à en jouir, et d'autre part un État in-
dépendant, obligé de les souffrir. Elles peuvent aussi être réci-
proques lorsque, par exemple, elles ont pour objet l'établissement
d'un impôt commun à plusieurs États. Le droit régalien des
postes garanti par le recès de l'Empire germanique de 1803 (§ 13)
et par l'acte de la confédération germanique (art. 17), à la maison
de Thurn et Taxis dans toute l'étendue du territoire fédéral, sauf
quelques traités spéciaux qui y dérogent, est une servitude inter-
nationale. Un droit régalien au contraire accordé par un État à
un regnicole ou, en dehors d'un traité public, à un étranger, ne
constituerait pas une pareille servitude. Ce seraient plutôt des
concessions régies par les principes du droit public interne.8
Ces servitudes ont pour objet exclusif des droits souverains
ou régaliens,4 et généralement le domaine public, non le domaine
privé de l'État, ni la propriété privée de ses regnicoles, bien
que celle-ci puisse se trouver indirectement atteinte par une ser-
vitude semblable.5
1) „Semper haec est servitus mferiorum praediorum, ut natura pro-
fluentem aquam recipiant" (Loi I. §22. Dig. de aqua). V. sur les déve-
loppements de ce principe Hert p. 135 suiv.
2) V. Moser, Nachbarliches Staatsrecht. p. 239. Engelbrecht II, 2.
Romer, Vôlkerrecht der Deutschen. p. 230.
8) V. Engelbrecht II, 1. 12.
4) Hohe und niedere Régalien.
*) Gonner, loc. cit. §27—36. Kluber §138.
7*
100 LIVRE PREMIER. § 48.
Les effets des servitudes publiques consistent tantôt à faire
jouir un État étranger de certains droits souverains dans un
autre territoire, tantôt à lui interdire sur son propre territoire
l'exercice d'un droit semblable. Il en résulte que la distinction
des lois civiles entre servitudes positives et négatives est ap-
plicable en matière internationale. Comme exemples de servi-
tudes négatives nous citons la défense de construire une for-
teresse, d'établir des forces militaires au - delà d'un chiffre déter-
miné sur la frontière etc.1 D'autres distinctions, telles que celle
de „servitutes continuae et discontinuae," nous paraissent peu
utiles. Peu importe d'ailleurs que ce soit l'État lui-même ou
ses nationaux qui soient appelés à jouir de la servitude* Ainsi,
par exemple, le droit de couper du bois de campêche dans
certaines contrées, au profit des sujets britanniques, formait une
clause expresse du traité de Paris de 1763 (art. 17).2
L'extrême limite de ces servitudes est indiquée par le respect
mutuel que les nations doivent à leur indépendance: elles ne
peuvent jamais avoir pour effet de rendre une nation entièrement
dépendante d'une autre. Du moins, tout en restreignant le libre
exercice des droits souverains, la laisseront-elles subsister comme
nation mi- souveraine. C'est au surplus le problème le plus
délicat de la théorie, problème que la pratique ne sera que
rarement appelée à résoudre.3
Les servitudes publiques s'acquièrent par voie de traités,
même sans tradition.4 Elles peuvent aussi être constituées
valablement par un usage immémorial (§11 ci-dessus). La seule
possession d'une servitude toutefois ne suffit pas pour imposer
à un État indépendant l'obligation d'en tolérer la jouissance:
il peut au contraire exiger en tout temps qu'il en soit justifié
par un titre régulier, et la présomption de la liberté militera
toujours en sa faveur. Klttber (§ 139), Engelbrecht et Gônner,
1) V. Engelbrecht II, 2. 27. — Une servitude semblable a été im-
posée à la France en 1815 par la défense de reconstruire Huningue.
2) de Steck, Essais. 1775. Gônner § 24. 25.
3) Une formule différente a été proposée par Schmelzing §239.
V. aussi Gônner § 37. 38.
4) Gônner § 67.
§ 43. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J()l
qui soutiennent la thèse opposée, s'appuient sur les rapports
tirés de l'ancien état de choses établi en Allemagne, et il est
incontestable qu'encore aujourd'hui l'acte fédéral (article 11)
maintient entre les Etats de la Confédération germanique l'auto-
rité légale de la possession. Toutefois, entre des souverains
entièrement indépendants les uns des autres, la simple pos-
session ne pourra jamais suffire pour établir un droit quelconque.
Les traités constitutifs de servitudes internationaux s'inter-
prètent d'après le sens clair et strict des termes y employés.
H n'est pas permis de tirer de la concession d'un droit de sou-
veraineté une induction en faveur d'un autre: dans le doute,
c'est seulement le droit le plus faible qu'il faudra admettre.1 —
L'usage immémorial s'établit par une jouissance constante et
uniforme, conformément à l'adage: „tantum praescriptum quan-
tum possessum." 2 Dans le doute, l'État obligé ne peut en aucune
manière être troublé dans la co -jouissance du droit concédé,
à moins que ce dernier ne soit naturellement exclusif ou de
nature à ne pouvoir être exercé que par un seul État, ou que
l'autre n'ait renoncé à cette co -jouissance.3 La jouissance d'un
droit souverain dans un territoire étranger ne peut s'effectuer
que de la manière la moins nuisible ou la plus convenable pour
l'État obligé.4 La concession d'un droit contraire à un droit pré-
cédemment établi serait nulle.
Toute servitude est regardée comme un droit réel perma-
nent, autant par rapport à l'État obligé que par rapport à celui
auquel elle est concédée.5 Elle se transmet activement et pas-
sivement aux successeurs et héritiers du pouvoir souverain. Elle
prend fin d'après les règles ordinaires de nullité ou de résolution
des traités internationaux.6 Elle s'éteint encore par voie d'aban-
don, de consolidation et de renonciation expresse. Ainsi p. ex.
l'acte de la Confédération du Khin (art. 34) semble avoir abrogé
*) Gônner §80— 82. Klûber § 139.
a) Sixtin., De regalib. I, 5. 171.
») Engelbrecht H, 1. 12. Gonner § 90.
*) Gtônner § 83. 84 suiv.
s) Engelbrecht II, 3. 14. Gônner § 78.
6) Gônner § 94 suiv.
102 LIVRE PREMIER. § 44.
dans les territoires qui faisaient partie de cette Confédération,
toutes les servitudes y établies anciennement. Cependant une
grande divergence d'opinions a éclaté sur ce point. Plusieurs
auteurs exceptent de l'abrogation tacite les servitudes négatives;
d'autres celles fondées sur des privilèges impériaux. Nous pen-
sons que quelques droits régaliens sans importance doivent seuls
être exceptés de cette abrogation générale.1
5. Droit d'intervention.2
§ 44. De tout ce que nous avons établi jusqu'à présent,
il résulte clairement qu'aucune puissance n'est en droit de s'im-
miscer dans les affaires intérieures d'un État étranger. Les na-
tions étant libres et indépendantes les unes des autres, chacune
peut régler à son gré sa constitution, son principe de gouverne-
ment avec les conséquences qui en découlent, de même que ses
rapports particuliers avec les autres. Aucune puissance ne peut
donc imposer à un État indépendant, quelque faible qu'il soit,
une constitution particulière, ni exiger l'introduction de change-
ments dans celle qu'il s'est donnée, ni s'opposer aux réformes
par lui projetées, ni régler les conditions du pouvoir souverain.
Aucune puissance ne peut dicter à un État indépendant ses
règles de conduite et de gouvernement, ni lui imposer certaines
institutions ou le faire renoncer à d'autres. Aucune puissance
*) V. Kliiber, Abhandlungen und Beobachtungen. I. 1830. p. 1—57.
de Kamptz, Beitràge zum Staats- und Vôlkerr. I, p. 140. Brauer, Beitrâge
zum Staatsrecht der Rheinbundstaaten. p. 264. Maurenbrecher, Deutsches
Staatsr. § 138 e. Medicus, Rhein. Bund. IV, p. 184. Schmelzer, Verhâltnifs
auswârtiger Kammergûter. 1819. p. 75.
2) L'examen des points principaux qui se rattachent à la question
du droit d'intervention, se trouve dans Moser, Vers. VI, p. 317 suiv.
Vattel II, 54. Giinther, Vôlkerr. I, 280 suiv. de Kamptz, Vôlkerrecht-
liche Erôrterung des Rechts der europàischen Mâchte, in die Verfassung
eines einzelnen Staats sich zu mischen. Berlin 1821. (V. la critique dans
Hermès XI, p. 142.) Traité sur le droit d'intervention par MM. D. etR.
Paris 1823. Krug, Dikâopolitik. Leipzig 1824. p. 322 suiv. Wheaton,
Histoire du progrès etc. p. 394 suiv. (H, 199). Heiberg, Das Princip der
Nicht- Intervention. Leipzig 1842. H. de Rotteck, Das Recht der Ein-
mischung. Freiburg 1845, et dans le Dictionnaire intitulé: Staats-Lexicon.
t. VII.
§ 44. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J()3
enfin ne peut prétendre vouloir tracer la ligne politique d'un
souverain indépendant. C'est donc le principe de non-intervention
qui est le seul vrai, tandis que celui d'intervention n'est qu'un
droit exceptionnel, fondé sur des raisons spéciales qui n'ont pas
toujours été, dans la pratique des nations, des raisons légi-
times et n'ont souvent eu d'autre fondement que des intérêts
égoïstes. Mais le droit des nations n'admet que des raisons
fondées sur la justice.
Pour être exacts nous distinguons, quant à l'objet:
L'intervention dans les affaires constitutionnelles d'un pays
de celle dans ses affaires de gouvernement. Les démêlés
politiques de gouvernements appartiennent à cette dernière
catégorie.
Quant à la forme, nous distinguons encore:
L'intervention proprement dite, ou le cas où une nation
intervenant comme partie principale dans les affaires in-
térieures d'une autre, cherche à lui imposer sa volonté
par la force même des armes,
de la simple coopération, ou du concours accessoirement
prêté à une autorité ou à un parti quelconque de la nation
dont les affaires intérieures l'ont motivé.
Nous distinguons enfin:
les simples mesures de précaution arrêtées en vue de dan-
gers éventuels, telles que la paix armée;1
de l'intercession officieuse, entreprise par une nation dans
son propre intérêt ou dans l'intérêt d'une autre.
Ces formes et ces dénominations diverses d'intervention ap-
partiennent à la pratique très-récente des États. C'est ce prin-
cipe qui est devenu la base du traité de la quadruple alliance
du 22 avril 1834 et de celui additionnel du 18 août de la même
année. Cependant longtemps avant déjà il avait obtenu une
place considérable dans les affaires générales de l'Europe.2
*) Mot inventé en 1840 par M. Thiers.
2) V. Martens (Murhard), Nouveau Recueil, t. XI. 1837. p. 808 et
t. XII. p. 716. — Qu'il nous soit permis de rappeler à cette occasion les
observations suivantes de Wheaton (histoire du progrès du droit des gens)
p. 394: „Les efforts des coalitions formées par les grandes monarchies
104 LIVRE PREMIER. §45.
Ces diverses espèces d'intervention reposent sur cette idée
commune qu'il appartient à une nation d'apprécier l'opportunité
d'une ingérence dans les affaires intérieures d'une autre, dans
le but d'y provoquer un changement voulu. La nature différente
des gouvernements ne modifie en rien le caractère des principes
internationaux, bien que dans l'ancienne pratique la nature spé-
ciale des États électifs et fédéraux ait fourni une vaste carrière
à toute espèce d'intercession politique.1
§ 45. Une intervention proprement dite , par laquelle une
puissance, comme partie principale, intervient dans les affaires
intérieures de constitution ou de gouvernement d'un État indé-
pendant, ne peut être justifiée que dans les cas suivants:
I. Lorsque l'intervention s'opère avec le consentement formel
de cet État, ou en vertu d'une clause expresse d'un traité public
qui a pour objet la garantie de sa constitution ou de certains
droits, dès que cette clause a été invoquée par l'une des parties
contractantes. Des liens fédéraux ou de protection indissolubles
peuvent encore motiver le droit d'opposition à des changements
projetés ou bien faire provoquer, dans un intérêt de conserva-
tion, certains changements à introduire, ou certaines mesures
à prendre que le maintien de ces liens rend nécessaires. Ainsi
la Diète germanique jouit du droit d'intervention dans les États de
européennes contre la France depuis la révolution de 1789, se sont fina-
lement résumés dans la formation d'une alliance dite perpétuelle entre ces
quatre puissances, à laquelle la France adhéra ensuite au Congrès d'Aix-
la-Chapelle en 1818. Cette alliance constitua une espèce d'autorité suprême
des dites puissances pour les affaires internationales de l'Europe, sans
que cependant l'étendue et l'objet en aient jamais été déterminés avec
précision. Cette alliance a été interprétée par celles des parties con-
tractantes qui furent également les fondateurs de l'union appelée Sainte-
Alliance, c'est-à-dire l'Autriche, la Russie et la Prusse, comme ayant pour
but de former un système perpétuel d'intervention entre les États euro-
péensj afin de prévenir tout changement dans la forme intérieure de leurs
gouvernements respectifs etc."
l) La Confédération germanique, dans un arrêt du 18 septembre 1834,
a adopté un système très -prononcé contre toute intervention étrangère.
Martens (Murhard) , N. Suppl. Gottingue 1842. p. 56. — Il est inutile de
rappeler que c'est sous la forme d'une intervention que se sont accomplis
les premiers actes relatifs au partage de la Pologne.
§ 45. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 105
la Confédération, par rapport aux affaires qui touchent aux in-
stitutions fondamentales et aux garanties de cette dernière.
IL Lorsque les changements intérieurs survenus dans un
État sont de nature à porter préjudice aux droits légitimes
d'un État voisin; lorsque, par exemple, les changements auraient
pour effet de dépouiller un souverain étranger de ses droits de
succession éventuels ou de ceux seigneuriaux.
ni. Les nations qui admettent entre elles l'existence d'un
droit commun et qui se proposent l'entretien d'un commerce réci-
proque fondé sur les principes de l'humanité, ont incontestable-
ment le droit de mettre, d'un consentement commun, un terme
à une guerre intestine qui dévore un ou plusieurs pays. S'af-
franchir, même par une intercession armée, d'un état d'in-
quiétude prolongé, et chercher en même temps à en prévenir
autant que possible le retour, c'est resserrer des liens interna-
tionaux relâchés.
IV. Une intervention peut enfin avoir le but légitime d'em-
pêcher l'ingérence non justifiée d'une puissance dans les affaires
intérieures d'un pays, lorsqu'elle est de nature à créer un pré-
cédent attentatoire à l'indépendance de plusieurs ou de tous
les États. Nous en reparlerons dans la section relative aux
obligations qui naissent d'actions illicites.
En dehors des cas qui viennent d'être indiqués, il n'existe
aucune autre cause d'intervention. Ils en déterminent en même
temps le but et le moyen. Le but, c'est l'exercice d'un droit
établi, c'est la réparation d'une lésion qui y porte atteinte. Le
moyen, l'extrême remède, c'est la guerre, après que les voies
pacifiques ont été épuisées.
Les événements et les changements survenus dans un pays
qui sont de nature à menacer l'existence ou les intérêts des
États limitrophes, autorisent seulement l'emploi de mesures pré-
ventives, de précaution et des négociations amiables. Ainsi
lorsqu'une révolution a éclaté dans un pays, lorsqu'une propa-
gande s'y est formée dans le dessein manifeste de répandre
au dehors des théories subversives, les gouvernements intéressés
peuvent avoir recours à des mesures de police ou à l'établis-
sement d'un cordon militaire, destinés à les contenir dans
106 LIVRE PREMIER. § 46.
des limites étroites, ou bien encore à une demande de garanties.
Ils peuvent en outre, si leurs intérêts ont été lésés, employer
des mesures de rétorsion. De même des armements extraordi-
naires, sans un but clairement avoué, les autorisent à demander
des explications catégoriques qui ne peuvent leur être refusées
sans offense (§ 30 et 31 ci-dessus).1
Des hostilités qui ont éclaté entre deux États, donnent aux
autres le droit d'arrêter les mesures nécessaires pour prévenir
le dérangement de l'équilibre politique; soit que, par une inter-
cession amiable, ils réussissent à circonscrire le but et les limites
des hostilités, soit que, par une alliance défensive, ils établissent
un contrepoids suffisant, ou qu'ils arrêtent des armements suf-
fisants au besoin pour la protection des intérêts individuels ou
communs (la paix armée). Dans la pratique des nations l'inter-
vention réelle a souvent pris la place d'une intercession ou de
simples mesures de sûreté. La révolution française, les Congrès
de Troppau, de Laibach et de Vérone, ainsi que les affaires
belges, ont provoqué des délibérations incessantes sur cette grave
question, sans que les opinions divergentes aient toujours réussi
à se mettre d'accord.2 — Nous avons déjà observé que la pré-
tention hautement avouée de fonder une monarchie universelle
équivaudrait à une déclaration de guerre faite à l'indépendance
de l'Europe (§ 30).
§ 46. La conduite d'un souverain, quelque blâmable qu'elle
soit, tant qu'elle ne porte aucune atteinte ni aucune menace aux
droits des autres souverains, ne donne à ces derniers aucun
droit d'intervention. Car aucun souverain ne peut s'ériger en
juge de la conduite de l'autre. Néanmoins il est du devoir des
autres de tenter auprès de lui les voies d'une intercession amiable,
et si, malgré ces avis, il persévère dans sa conduite, s'il con-
*) V. J. J. Moser, Vers. VI, p. 398. Fr. Ch. de Moser, Vom Rechte
eines Souverains, den andern zur Rede zu stellen. Kl. Schriften VI,
p. 287. Gunther I, p. 293. On y trouve de nombreux exemples empruntés
à la jurisprudence du siècle précédent. Le nôtre en offre également un
grand nombre.
2) V. Wheaton, Internat. Law. H, 1. 4. Heiberg et de Rotteck, aux
endroits cités. Pando, Derecho intern. p. 74.
§ 47. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 107
tinue à fouler aux pieds les lois de la justice, il faudra rompre
toutes les relations avec lui.
Il en sera autrement, et Ton pourra intervenir d'une manière
effective, chaque fois que les choses en viennent à une guerre
civile. En ce cas les puissances étrangères pourront assister
celui des deux qui leur paraîtra fondé en justice, s'il invoque
leur secours. La loi en effet est la même pour les États que
pour les individus. Si elle permet à l'individu de voler au secours
de son prochain menacé dans son existence ou dans ses droits
fondamentaux, à plus forte raison le permettra-t-elle aux États
souverains.1 Il faut seulement que ces derniers n'usent pas lé-
gèrement de ce droit, car les notions de juste et d'injuste
étant sujettes à erreur, sont d'une application difficile. L'inter-
vention impose en outre des sacrifices en hommes et en argent:
elle peut créer à la partie intervenante des périls et des ré-
sultats désastreux. Dans tous les cas elle ne doit pas dépasser
les limites naturelles, réglées d'avance, d'une coopération pure-
ment accessoire: elle ne doit pas non plus être imposée, et il
faudra qu'elle cesse, dès que la partie qui l'a provoquée a cessé
d'exister ou s'est soumise.
Ces principes s'appliquent en outre aux cas d'intervention
dans les affaires religieuses d'une nation étrangère. Us président
notamment à la solution de la question de savoir s'il est per-
mis à une nation d'intervenir en faveur de ses frères en religion
qui sont l'objet de mesures d'intolérance et de persécutions dans
un pays étranger.2 Ils expliquent en quelque sorte l'intervention
des trois grandes puissances en Grèce et la légitimité de la
bataille de Navarin.
IV. DROITS INTERNATIONAUX ACCIDENTELS.
§ 47. En examinant les droits fondamentaux des nations,
nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer en partie plusieurs
1) Vattel, loc. cit. §56. J. G. Marckart, De jure atque obligatione
gentium succurrendi injuste oppressis. Harderov. 1748. V. aussi le § 30
ci -dessus.
2) V. les développements chez Vattel, loc. cit. §58—62. Schmel-
zing § 190.
108 LIVRE PREMIER. § 48.
droits accidentels qu'un État peut acquérir envers un autre par
titres valables (§ 11 et 26). Ils retrouveront naturellement leur
place dans les sections suivantes du présent livre, où nous trai-
terons des biens, des obligations et des actions. Le droit public
de l'Europe n'admet pas une loi générale sur les successions.
Mais rien ne s'oppose à ce que des traités spéciaux garantissent à
un souverain étranger la succession éventuelle d'un territoire. Aa
moyen âge "les pactes successoriaux furent assez fréquents.
Ainsi, par exemple, ce fut en vertu d'un pacte successorial
conclu en 1016 et 1018 que le royaume de Bourgogne (Arélat)
échut en 1032 à l'Empire germanique.1 On rencontre encore
aujourd'hui en Allemagne plusieurs de ces pactes d'une origine
très-ancienne, et qui ont continué à être en vigueur jusqu'à ce jour.
En général le droit de succession qu'ils établissent, est personnel
en ce sens qu'il profite seulement à la famille régnante d'un
pays, non au pays même. Ils portent en général le nom d'unions
héréditaires (uniones hereditariae), quelquefois aussi celui de
confraternités héréditaires (confraternitates hereditariae). La réu-
nion des territoires respectifs en un seul domaine a pour effet
l'adoption d'un nom commun, en même temps l'obligation de
prêter hommage au nouveau souverain.2 La validité de ces
pactes dépend de l'époque de leur origine: les révolutions ré-
centes ont toutefois rendu souvent leur exécution impossible.
SECTION m.
DES SOUVERAINS ET DE LEURS RAPPORTS PERSONNELS ET DE FAMILLE.
§ 48. Les souverains avec leurs familles et leurs repré-
sentants forment la seconde catégorie des personnes dont le
droit international doit s'occuper.
Le Souverain d'un État est la personne physique ou mo-
rale réunissant les diverses fonctions du pouvoir suprême, et
qui par suite forme une partie intégrante de l'État même. Les
1) Mascov., De regni Burgund. ortu etc. I, § 10.
2) V. Gunther n, 106. Beseler, Vergabungen. I, 215 suiv.; II, 3. 90.
Reichard, Monarchie, Landstande und Bundesverfassung in Deutschland.
Leipzig 1836. p. 149. 150. V. aussi l'Acte du Congrès de Vienne, art. 99.
§ 49. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 109
fonctions dont il est investi, ont un double caractère tant interne
qu'externe, selon que leur action se fait sentir en dedans ou
au dehors du territoire. La souveraineté a tantôt un caractère
absolu, tantôt un caractère limité constitutionnellement, tantôt
elle ne se présente que sous la forme de la mi -souveraineté.
Elle peut être déléguée à une ou à plusieurs personnes. Lorsqu'elle
est exercée par plusieurs personnes, et que celles-ci se réunissent
pour délibérer en commun sur les affaires de l'État, elle porte
le nom de Sénat. Quelquefois une souveraineté collective n'est
établie que par rapport à certains objets ;* d'autres fois elle s'exerce
individuellement et solidairement, dans les cas par exemple, où
un souverain, tout en continuant à régner, s'adjoint un co-régent;
il en est de même dans les gouvernements consulaires où les
fonctions du pouvoir souverain ne sont pas divisées. Dans ces
cas on applique la maxime du droit romain ainsi conçue: „Ma-
gistratus (plures) cum unum magistratum administrent, etiam
unius hominis vicem sustinent."2 Chaque membre exerce alors
un droit d'intercession et de „veto" sur les actes de ses col-
lègues, tant que ces actes ne sont pas des faits accomplis.
ACQUISITION DE LA SOUVERAINETÉ EN GENERAL.
§ 49. Un souverain est regardé comme légitime, s'il est
entré en possession du pouvoir conformément à l'ordre légal
des choses établi, et sans opposition des parties intéressées;
comme illégitime, si son règne repose sur une violation de
*) C'est une espèce assez rare pour laquelle on peut citer comme
exemple, d'après le droit public de l'Allemagne, les successions dites
„Ganerbschaften", les communautés de domaine exercées par plusieurs
princes, (v. §65 ci -après), le gouvernement exercé en commun par plu-
sieurs princes allemands dans certaines affaires, p. ex. par les princes
de Mecklembourg, ceux de la maison ducale de Saxe, et de la maison cadette
de Reuss dans le duché de Lippe. V. Kluber, Oeffentliches Recht des
deutschen Bundes. § 81. Heffter, Beitràge zum Staats- und Fùrstenrecht.
p. 311. Dans les républiques on rencontre d'autres restrictions du pouvoir
souverain.
*) L. 25. D. ad municip. V. Moser, Staatsr. XXIV, p. 236. Hert,
De pluribus hominibus personam unam sustinentibus, dans: Comment, et
Opusc. m, p. 61.
UO LIVRE PREMIER. § 49.
droits antérieurs : d'illégitime il peut devenir légitime par suite
du consentement ou du décès des parties intéressées. C'est à
ces simples propositions que peut être ramenée la controverse
relative à la souveraineté légitime ou illégitime. Nous reparle-
rons au surplus de la souveraineté usurpée dans le livre H, qui
traite du droit de la guerre.
Tant que l'origine ou la légitimité du pouvoir souverain
est contestée, le seul fait de sa détention réelle tient lieu du
droit, non seulement dans les rapports avec le peuple soumis,
mais aussi dans les relations internationales. C'est que la sou-
veraineté réelle, lors même qu'elle serait illégitime, est une con-
tinuation de l'État, elle le représente et elle crée des droits et
des obligations pour l'avenir, sauf les droits particuliers du sou-
verain légitime. Car l'État ne peut changer de nature. En Angle-
terre ce principe a été sanctionné par un ancien acte du parle-
ment (2, Henry VII) dans les tenues suivants : „That he, who
is actually King, whether by élection or by descent, yet being
once King, ail acts done by him as King, are lawful and justi-
ciable, as by any King." Aussi Cromwell pouvait -il concevoir
la pensée sérieuse de prendre le titre de roi.1
Le souverain non légitime, à la vérité, ne peut valablement
imposer aux nations étrangères l'obligation de le reconnaître
comme légitime, ni prétendre aux honneurs y attachés, ni exiger
le maintien des rapports internationaux. Mais à un refus il peut
répondre par un refus semblable d'une continuation des rapports
avec le gouvernement offenseur.
Dans tous les cas, tant que se prolongent les contestations
relatives à la souveraineté d'un territoire, le droit international
et la politique conseillent l'observation d'une stricte neutralité.
Nous nous sommes déjà expliqué sur la question de savoir dans
quelles limites ces contestations peuvent donner lieu à l'inter-
vention d'une puissance étrangère (§44). Il n'appartient en
aucune manière aux autres nations de se prononcer sur leur
valeur intrinsèque, mais pendant le temps qu'elles continuent,
il ne leur est pas défendu d'accorder leurs sympathies plutôt
à l'un qu'à l'autre prétendant , sans que Ton puisse y voir une
l) Oliv. Cromwell and his times, by Coxe. p. 328.
§49. DROIT INTEKNATIONAL PENDANT LA PAIX. JU
atteinte portée au droit international. Dès le moment où l'un
des prétendants est entré en possession du pouvoir, c'est à lui
seul que les États étrangers ont affaire, et c'est avec lui qu'ils
reprendront de fait les relations interrompues, sans qu'il puisse
en résulter un préjudice ou une offense quelconque envers les
autres prétendants.1
J) V. §23 ci -dessus. Gttnther II , 421. Vattel II, 12. 198. Moser,
Vers. I, p. 185 suiv. Comp. aussi le texte conforme d'une décrétale de
Grégoire XVI, dont voici un extrait:
Grregorius JEpiscopus Servus Servorum Dei ad futuram rei memoriam.
Solicitudo Ecclesiarum, qua Romani Pontifices ex commissa sibi divi-
nitus Christiani Gregis custodia assidue urgentur, eos ipsos impellit, ut
quod in terrarum gentiumque omnium orbe ad rectam rei sacrae procu-
rationem, atque ad animarum sainte m magis expédiât, nitantur impense
conciliare. Ea tamen identidem est temporum conditio, eae in imperio
statuque Givitatum vicissitudines, commutationesque, ut inde propediantur
ipsi haud raro, quominus spiritualibus populorum necessitatibus prompte
libereque'subveniant. Posset enim ab iis potissimum, qui secundum ele-
menta mundi sapiunt, rapi in invidiam auctoritas eorundem, quasi studio
partium permoti judicium quodammodo de personarum juribus ferant, si
pluribus de Principatu contendentibus quidpiam ipsi pro illarum regionum
Ecclesiis, ac praesertim ad earum Ëpiscopos adsciscendos décernant, re
cum iis collata, qui actu ibidem summa rerum potiuntur. Infestam hanc
perniciosamque suspicionem omni fere aetate insectati sunt Romani Pon-
tifices, quorum tanti interest, ipsius fallaciam patefieri, quanti stat aeterna
illorum salus, quibus ob id causae opporturna denegentur, vel saltem diu-
tius, ac par est differantur auxilia.
[Vient ensuite Ténumération de déclarations antérieures du Saint-
Siège, principalement de Clément V: Clemens si summus Pontifex, de sent.
exe; de Jean XXII, de Pie H, de Sixte IV, de Clément XI. Le Saint-
Père continue ainsi:]
Quare audita selecta Venerabilium Fratrum Nostrorum S. R. E. Car-
dinalium Congregatione , de Apostolicae potestatis plenitudine, motu pro-
prio, ac de matura deliberatione, praedictam Constitutionem felicis Recor-
dationis démentis V Praedecessoris Nostri, quam occasione non absimi-
lium super aliquo Principatu contentionum ceteri Praedecessores Nostri
JoannesXXII, PiusII, Sixtus IV et Clemens XI approbarunt et innova-
runt, exemplis eorundem inducti, iisque prorsus inhaerentes, similiter
approbamus, ac denuo sancimus, déclarantes pro futuris quoque tempo-
ribus, quod si quis a Nobis vel a Successoribus Nostris, ad spiritualis
Ecclesiarum Fideliumque Regiminis negotio componenda, titulo cujuslibet
dignitatis etiam regalis ex certa scientia, verbo, constitutione, vel literis,
112 LIVRE PREMIER. § 50.
MODES D'ACQUISITION DE LA SOUVERAINETÉ.
§ 50. La souveraineté ou l'autorité suprême de l'État n'est
pas un pouvoir matériel, exercé soit par un seul membre de
la société, soit par celle-ci tout entière. Considérée comme fait
et non comme idée abstraite, la souveraineté du peuple, de
même que celle dynastique, est un fait moral. C'est le pouvoir
moral dont l'existence organique et indépendante est le produit
spontané d'un acte de volonté collectif, en vertu duquel il est
exercé par une ou par plusieurs personnes. Les modes de con-
aut legatis quoque hinc inde oratoribus nominetur, honoretur, seu quovis
alio modo actuve, quo talis in eo dignitas facto agnoscatur, aut si easdem
ob causas cum iis, qui alio quocumque Gubernationis génère reipublicae
praesunt, trac tari, aut sanciri aliquid contigerit, nullum ex actibn» ordi-
nationibus et conventionibus id generis jus iisdem attributum, acquisitum,
probatumque sit , ac nullum adversus ceterorum jura et privilégia ac pa-
tronatus discrimen, jacturaeque et immutationis argumentum illatum cen-
seri possit ac debeat; quam quidem de jurium partium incolumitate con-
ditionem pro adjecta actibus istiusmodi habendam semper esse edicimus,
decernimus et mandamus, illud iterum Nostro ac Romanorum Pontificum
Successorum Nostrorum nomine denunciantes, in hujuscemodi temporum,
locorum personarumque circumstantiis ea tantum quaeri, quae Christi
sunt, atque unice, veluti susceptorum consiliorum finem, ea ad oculos
versari, quae ad spiritualem aeternamque Populorum felicitatem facilius
conducant.
Decernentes, hasce literas semper firmas validas et efficaces existere
et fore, suosque plenarios et integros effectus sortiri et obtinere, atque
ab eis ad quos spectat et pro tempore quandocumque spectabit invipla-
biter observari debere : in contrarium facientibus etiam expressa spécifie*
et individua mentione dignis non obstantibus quibuscumque. Nulli ergo
omnino hominum liceat hanc paginam nostrae approbationis, Sanctionis,
declarationis , denunciationis, decreti, mandati, ac voluntatis infrigere vel
ei ausu temerario contraire; si quis autem hoc attentare praesumpserit,
indignationem Omnipotentis Dei ac Beatorum Pétri et Pauli Apostolorum
ejus se noverit incursurum. Datum Romae apud Sanctam Mariam Majorem
Anno Incarnationis Dominicae Millésime* octingentesimo trigesimo primo
Nonis Augusti Pontificatus Nostri Anno primo.
B. Card. Pacca Pro-Dat. — Th. Card. Bernettus.
Visa de Curia.
D. Testa. V. Cugnonius.
Loco f plumbi.
§ 60. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. U3
stitution de la souveraineté sont donc d'une part le résultat du
développement organique des États, que ce développement abou-
tisse d'ailleurs à la souveraineté populaire, ou à celle dynastique.
D'autre part ils obéissent à des influences du dehors ou inter-
nationales, car le sort des batailles et la conquête peuvent détruire
l'autonomie d'une nation en lui substituant la loi du vainqueur.
De même la transmissibilité du pouvoir souverain n'est aucu-
nement une qualité inhérente à son principe. Elle dépend de
la loi constitutive, en l'absence de celle-ci de la volonté gé-
nérale, et lorsque cette dernière se tait également, de la volonté
du détenteur actuel du pouvoir et de ses moyens pour s'y main-
tenir. H en résulte que la loi de succession peut circonscrire
la transmission du pouvoir souverain dans le cercle d'une seule
famille (successio gentilitia), ou bien y appeler éventuellement
d'autres. Ainsi, par exemple, les constitutions de la Bavière,
de la Hesse, de la Saxe et d'autres ont établi entre plusieurs
souverains de l'Allemagne ces confraternités héréditaires dont nous
avons parlé au § 47 ci -dessus. Mais en principe la transmissi-
bilité du pouvoir n'implique en aucune manière la faculté de le
transmettre à une famille étrangère : il n'implique pas non plus une
idée de domaine, c'est-à-dire, la faculté de disposer librement
du pays et de ses habitants, à moins que cette faculté n'ait été
accordée ou réservée expressément. A ce sujet les anciens publi-
cistes distinguaient entre „ régna usufructuaria u et „ régna patri-
monialia".1 Nous ne pouvons donc admettre, même par rapport
aux souverains de l'Allemagne, l'opinion professée par Mauren-
brecher, qui, contrairement à l'origine de la souveraineté, pose
comme principe général son caractère essentiellement transmis-
sible, du moins en ce qui concerne l'Allemagne. En France aussi,
à l'époque déjà où Louis XTV voulait assurer à ses descendants
naturels et légitimés la succession éventuelle de sa couronne, le
parlement a maintenu avec énergie le principe opposé.2 En effet
le pouvoir réservé exclusivement à une seule famille constitue pré-
cisément le principe de la transmissibilité de l'autorité souveraine.
*) Grotius, De J. B. I, 3. 11 suiv. V. là -dessus Klûber §. 31.
2) Maurenbrecher, Die deutschen Fiirsten und die Souverainetàt.
Frankf. 1839. p. 109. 119. Struvii Jurisprudentia heroica. t. IV. p. 544 seq.
8
H4 LIVRE PREMIER. § 51. 52.
ENTRÉE AU POUVOIR.
§ 51. La souveraineté internationale reprend, dès Ventrée
au pouvoir, ses droits ou l'acquisition matérielle de la souve-
raineté interne. Elle ne suppose en aucune manière une recon-
naissance préalable par les puissances étrangères, et le seul fait
d'une détention du pouvoir, conformément aux règles générales
ou spéciales du droit public interne, est considéré comme suf-
fisant. Toutefois les usages et les convenances politiques exigent
une notification du changement de règne aux nations amies et
alliées ou à leurs représentants, notification qu'on fait suivre
ordinairement de la promesse d'une continuation de bons pro-
cédés et de l'expression du désir d'en obtenir de semblables en
retour.1 Lorsque le pouvoir est nouveau, lorsqu'il n'est pas le
résultat d'un droit de succession garanti, lorsqu'il est douteux ou
contesté, il est aussi d'usage de demander une reconnaissance
expresse aux puissances étrangères.2 Cette reconnaissance ne
peut être valablement exigée à aucun titre que comme condition
de la continuation des rapports internationaux.
DOUBLE PERSONNALITÉ DU SOUVERAIN.
§ 52. Le souverain réunit en sa personne un double ca-
ractère légal, savoir le caractère public et par suite le caractère
international, et celui civil. Ce dernier toutefois dépend toujours
du premier et ne peut jamais lui préjudicier, suivant l'ancien
axiome que le droit public déroge toujours au droit privé. Ainsi
rien ne s'oppose à ce que le souverain d'un État acquière et
exerce des droits civils, ou consente à une restriction de ceux
par lui possédés en pays étranger; à ce qu'en qualité de par-
ticulier, il devienne vassal ou sujet d'un souverain étranger, qu'il
entre au service civil ou militaire d'une puissance étrangère, et
y jouisse de droits politiques ou parlementaires. Ainsi l'évêque
souverain de la principauté d'Osnabrtick, le duc d'York, siégeait
*) Giinther II, 430. Le Saint-Siège regarde comme un devoir des sou-
verains catholiques, l'envoi d'ambassades d'obédience dès leur entrée au
pouvoir. Ibid. note e. Buder, De legationibus obedientiae. Jenae 1737.
2) Giinther II, 432.
§53. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. H5
comme pair d'Angleterre dans la chambre des lords (1787). l
Le duc de Cumberland, feu roi de Hanovre, fournit un exemple
plus récent. L'incompatibilité de ces différentes fonctions ne com-
mencerait que le jour où leur exercice simultané serait en con-
tradiction avec les règles constitutionnelles de l'un des deux États,
ou serait de nature à compromettre l'honneur et la dignité du
souverain. Il faudra alors sinon renoncer aux fonctions étran-
gères, du moins en faire suspendre l'exercice. C'est dans ce
sens que la Cour de Chancellerie à Londres a décidé par un
arrêt en date du 13 janvier 1844, la cause du duc Charles de
Brunswick contre S. M. le roi de Hanovre. Pour éviter de pareils
conflits, il faut que le souverain, en renonçant à ses rapports
privés, recouvre tout l'éclat de son caractère public.
RANG INTERNATIONAL DES SOUVERAINS.
§53. Les droits de souveraineté, lorsqu'ils se confondent
avec la personne qui en est investie, régis d'ailleurs par les
principes de la réciprocité et de l'égalité, peuvent être résumés
dans les règles suivantes:
I. Les souverains représentent leurs États d'une manière
absolue (jus repraesentationis omnimodae), autant du moins
que les constitutions particulières n'y apportent pas certaines
restrictions, en sorte qu'en dehors de celles-ci toute manifestation
du souverain est considérée comme étant celle de l'État dont
il est l'organe. Les engagements contractés par un souverain
au nom de l'État, obligent ce dernier, en même temps qu'ils
lui profitent. C'est un principe du droit constitutionnel, adopté
en Angleterre, en France, énoncé dans les lois fondamentales
de plusieurs États d'Allemagne,2 et qui n'est nullement exclusif
ni de celui de la responsabilité ministérielle, ni du concours
parlementaire des corps législatifs, lorsqu'il s'agit de la mise en
exécution des traités contractés. Mais le souverain ne peut pas
disposer directement de la personne et des biens de ses sujets,
1) Giinther II, 271.
2) Acte constitutionnel du Wurtemberg, § 85; Const. du duché de
Brunswick, § 7; Const. du duché d'Altenbourg § 6 etc.
8*
116 LIVRE PREMIER. §53.
excepté dans les cas où les règles générales ou spéciales du
droit public en autorisent le sacrifice au profit de l'État.
H. Le souverain comme chef ou représentant suprême de
l'État, a droit au respect.
III. Les souverains sont égaux entre eux : lorsque leurs
droits sont transmissibles par voie de succession, leurs familles
jouissent entre elles d'une égalité de naissance absolue, égalité
toutefois qui laisse subsister les rangs que le droit cérémonial de
l'Europe , les règlements et les traités ont consacrés entre les
différents souverains (§ 28. 41).
IV. Le souverain peut prétendre aux titres et aux honr
neurs que les usages internationaux leur accordent par rapport
aux différentes catégories d'États, ou dont elles ont toujours
joui sans contestation.
Les titres consacrés sont:
pour le chef de l'Église romaine, celui de Sanctitas Sua
(Sanctissimus Pater), titre accordé autrefois aussi aux
évêques en général. Summus Pontifex, usité dès le troi-
sième siècle. Papa dès le cinquième siècle, employé dans
un sens exclusif depuis Grégoire VII ; x
pour les empereurs et les rois le titre de Majesté, accordé
d'abord exclusivement à l'empereur romain (d'Allemagne)
et depuis le xve siècle aux rois également, mais que
depuis le xvrae siècle seulement l'empereur d'Allemagne a
consenti à partager avec eux. A l'empereur de Turquie
(padischah) la plupart des souverains ne donnaient autre-
fois que le titre d'Altesse; aujourd'hui on lui accorde éga-
lement celui de Majesté;2
pour les grands -ducs et l'électeur de Hesse le titre $ Altesse
Royale (Celsitudo Begia) a été consacré, titre dont jouissait
aussi le duc de Savoie, par rapport au royaume de
Chypre possédé autrefois par ses ancêtres;8 le duc de
Holstein-Gottorp l'a obtenu en 1736 ;4
J) Richter, Lehrbuch des Kirchenrechts. § 110.
2) Fr. Ch. de Moser, Kleine Schriften. VI, 20. Moser, Versuche. I, 238.
3) V. ci - dessus page 37, note 2 et page 54. Lettre touchant le titre
d'Altesse roïale du Duc de Savoye. à Cologne 1701.
4) Moser, Staatsrecht. IV, 193; idem, Versuche. I, 242.
§ 53. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. JJ7
les ducs et les princes portent le titre $ Altesse1 Sérénissime
(Serenitas), auquel les ducs d'Allemagne préfèrent celui
d'Altesse: ainsi les ducs régnants de Saxe, d'Anhalt, de
Brunswick et de Nassau ont adopté en 1844 le titre
d'Altesse.2
Quant aux États fédéraux et aux républiques, leurs titres
sont moins constants. La confédération germanique, dans ses
relations diplomatiques, reçoit le titre de Sérénissime Confédé-
ration germanique? De même les républiques de Pologne, de
Venise et de Gênes étaient qualifiées de Sérénissimes Républiques.*
Les monarques ont conservé en outre, en suite de leurs anciennes
relations avec l'Eglise, certains titres honorifiques: le roi de
France celui de Rex Christianissimus ou de fils premier» né de
l'Eglise; le roi d'Espagne, depuis 1496, celui de Rex Caiholicus\
celui d'Angleterre depuis 1521 celui de Defensor fidei\ celui de
Pologne le titre de Rex Orthodoxus] le roi de Portugal, depuis
1748, celui de Rex fidelissimus; le roi de Hongrie, depuis 1758,
celui de Rex Apostolicus. Le Pape lui-même se donne le nom
de Servus Servorum Dei.6
Les monarques jouissent de la prérogative de parler d'eux-
mêmes au pluriel et d'employer cette formule: Nom par la Grâce
de Dieu, formule usitée chez les évêques dès le rve siècle, et à
laquelle ils ajoutaient postérieurement les termes suivants: et
apostolicae Sedis gratia. Les princes laïques n'ont commencé à
s'en servir qu'au Xe siècle.6 Nous en reparlerons dans le Livre III.
Quant aux changements de titres, les règles expliquées au § 28
leur sont applicables.
1) Fr. Ch. de Moser, Kleine Schriften. VII, 167 suiv. Heumann, Progr.
de tit. Serenissimi. Goetting. 1726.
2) Décret de la Diète fédérale du 16 août 1844, et la brochure in-
titulée: Pradicatsfrage (par Wahlkampf). Giessen 1845.
8) Klûber, Oeffentliches Recht. § 144.
4) Moser, Vers. I, 241.
5) J. C. Becmann, Syntagma dignitat. I, n. 2 et 3. Moser, Vermischte
Schriften. Abh. I, p. 63.
6) Pfeffinger, Vitr. illustr. I, 4. 9. Heumann, Progr. de tit. Dei Gratia.
Allendorf 1727. B. Tilesii, Comment, de titulo: Nos Dei Gratia. Regio-
mont. 1751.
HQ LIVRE PREMIER. §53.
V. Les souverains, tant dans un but de prestige du pou-
voir suprême, que pour leur service personnel et pour celui de
leur famille, jouissent de la prérogative de tenir une cour, pré-
rogative qui découle d'anciens usages, ainsi que de l'antique
droit de créer des charges ministérielles. La cour au moyen
âge se composait d'abord d'officiers ministériels, plus tard de
grands vassaux. La cour moderne est surtout un produit du
règne des ducs de Bourgogne et de Louis XIV.1
VI. Les souverains, pendant leur séjour dans un pays
étranger, sont exempts de la juridiction territoriale (§, 54),
par application de cette maxime: „par in parem. non habet
imperium."2 Mais il n'est pas défendu d'interdire à un souve-
rain étranger l'entrée ainsi que le séjour dans le territoire, et
de prendre à cet effet les mesures de sûreté nécessaires. C'est
ainsi, par exemple, que le roi Henri IV interdisait au duc
Charles -Émanuel de Savoie le séjour en France.3 Dans ses
rapports privés en outre, et surtout en ce qui concerne les im-
meubles possédés, les successions recueillies et les engagements
civils, ceux de vasselage ou de service contractés, ou enfin le
domicile élu par lui en pays étranger, le souverain est soumis
à la juridiction étrangère. Toutefois la personne souveraine étant
inséparable de la personne civile, elle ne peut jamais être
atteinte directement ou être l'objet d'un acte d'exécution. La
soumission volontaire du souverain à la juridiction étrangère ne
pourrait guère produire d'effets analogues, car elle impliquerait
une renonciation aux droits de souveraineté, et par là même
elle léserait la dignité de sa position. Quelques auteurs qui
soutiennent la thèse contraire, ont cité il est vrai, à l'appui
de leur opinion, trois exemples célèbres, savoir la conduite du
roi Henri VII envers Robert, roi de Naples, celle de Charles
d'Anjou envers le malheureux Conradin, enfin celle d'Elisabeth
') Fr. Ch. de Moser, Hofrecht. 1754. C. E. de Malorti, Der Hofmarschall.
Hannover 1842.
2) Pour les crimes, v. § 102.
3) d'Aubigné, Histoire univ. ni, 5. 5. Stephanus Cassius, De jure et
judice legator. H, 18. Pufendorf VIII, 4. 21. Bynkershoek, De jud. légat.
m, 3.
§54. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. HQ
envers Marie Stuart.1 Mais qu'est-ce que ces exemples, dont au
surplus il serait facile de grossir le chiffre, prouvent, sinon
que les notions du droit international n'étaient que trop souvent
méconnues dans les anciens temps, et qu'il recevait alors
des atteintes continuelles? C'est donc par une juste appréciation
que le tribunal de première instance de la Seine, dans un juge-
ment en date du 17 avril 1847, a proclamé le principe suivant:
„ Attendu que selon les principes du droit des gens, les tribu-
naux français n'ont pas juridiction sur les gouvernements étran-
gers, à moins qu'il ne s'agisse d'une action à l'occasion d'un
immeuble possédé par eux en France comme particuliers" etc.2
§ 54. Le souverain étranger, lors de son entrée dans un
territoire, y jouit des droits d'hospitalité. Ces droits consistent
d'abord dans les cérémonies traditionnelles d'une réception so-
lennelle et d'un traitement conforme à son rang, à moins qu'il
n'y ait renoncé par l'adoption de l'incognito, ou par l'entrée au
service du pays, ou par l'entrée dans le pays contre la volonté
du gouvernement.3 De là la nécessité d'une demande préalable.
Mais le droit le plus éminent consiste dans l'exterritorialité, tant
au profit du souverain étranger que de sa suite et des objets
destinés à leur usage personnel. Elle comprend en outre son
exemption de tous les impôts personnels, la juridiction conten-
tieuse sur ses sujets, bien entendu dans les limites tracées par
les lois de son propre pays et dans des cas urgents seulement, et
enfin la juridiction gracieuse (volontaire). En effet un souverain
étranger ne saurait exercer dans le pays où il séjourne passa-
gèrement, plus de droits sur ses propres sujets qu'il n'en possède
chez lui: ce séjour dépend d'une autorisation préalable, qui en
même temps en détermine les conditions. Il en résulte que les
*) Zouch, De jure fec. II, 2. 6. V. la loi Clément. 2. De sent, et re
judic. Herm. Conring, De finibus imperii german. H, 22. Bynkershoek,
De jud. leg. m, § 16. 17.
a) Aff. Solon contre Mehemed Ali. Sirey 1847. Dans le même sens
C. roy. Paris 16 janvier 1836 (Sirey 1836, 2. 70. — Contra Foelix p. 498).
s) On distingue à cet effet entre l'incognito strict et l'incognito simple
sous un nom d'emprunt. Moser, Grundsàtze des Vôlkerrechts in Friedens-
zeiten. p. 128 suiv. Dresler, De jurib. principis incognito peregrinantis
odiosis. Martisb. 1730. GUnther I, 478.
120 LIVRE PREMIER. § 55,
autorités du pays peuvent protester contre l'exercice d'une juri-
diction qui leur déplaît et exiger qu'il y soit sursis instantané-
ment. L'exterritorialité est un produit du droit moderne. Rien
de semblable n'existait chez les souverains du moyen âge.
L'emprisonnement et les mauvais traitements de princes étran-
gers étaient alors à l'ordre du jour, et c'est par là qu'on dé-
butait souvent lors d'une déclaration de guerre.1 Longtemps
même les auteurs ont contesté l'existence de ce droit,2 qui est
néanmoins une conséquence du principe de l'égalité des souve-
rains (§ 53 ci - dessus). Au reste, on est d'accord que l'exterrito-
rialité n'implique en aucune manière un droit d'asile au préju-
dice du gouvernement étranger.
RAPPORTS INTERNATIONAUX DE LA FAMILLE DU SOUVERAIN.
§ 55. Les membres de famille du chef de l'État jouissent
incontestablement, dans les monarchies héréditaires, d'une partie
des prérogatives dont celui-ci est investi. Ainsi l'épouse
mariée au souverain par mariage égal, partage son rang et
ses titres, et les conserve pendant son veuvage, tout en cédant
le pas, en ce cas, dans les occasions solennelles, à l'épouse du
souverain régnant.8 Dans les États où les femmes ne sont pas
exclues de la succession au trône, les lois constitutionnelles
déterminent les droits de l'époux de la souveraine, et servent
de base dans les rapports internationaux, à défaut de traités.4
1) Ward, History. I, 279. Piitter, Beitr. zur Vôlkerrechts-Geschichte,
p. 115.
2) Ainsi par exemple Cocceji, De fundata in territorio et plur. con-
curr. potestate. II, § 12. Leibnitz, De jure supremat. cap. XXV. Contra
J. Tesmar, Tribunal principis peregrinantis. Marp. 1675. Stephan. Cassius,
De jure et jud. legator. H, 18. Bynkershoek, De jud. comp. leg. in, 3 seq.
Franz Joach. Christ, de Grape, Unters., ob der Souverain eines Staates der
Souverainetat dessen unterworfen sei, wo er sich befindet. Frankfurt,
Leipzig 1752, et les Auteurs les plus récents. Giinther I, 480, laisse en-
core la question indécise.
8) Moser, Vers. I, p. 316. Staatsr. XX, 352. Kltiber, Oeffentl. Recht
des deutschen Bundes. § 248. de Neum. in Wolffsfeld, J. principis privât,
t. H. tit. 29. § 361.
4) Schwertner, De matrimonio feminae imperantis cum subdito. Lips.
1686. Parthenius, Dissert. II. de marito reginae. Gryphisw. 1707. Moser,
§ 55. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX, J21
Tous les autres membres de la maison régnante ont droit à des
titres et à des honneurs correspondants à leur position, mais
qui en général, du moins dans les maisons impériales et celles
royales, sont inférieurs à ceux du souverain. Ainsi les princes
et les princesses des maisons impériales portent le titre à'Al-
tesse impériale, ceux des maisons royales le titre & Altesse royale,
pourvu qu'ils descendent les uns et les autres d'empereurs ou
de rois, ou qu'ils aient acquis ce titre d'une manière expresse.
Ceux des maisons grand -ducales et de la maison électorale
de Hesse portent le titre à! Altesse, tandis que l'héritier présomptif
du trône, qui descend du grand-duc régnant, prend souvent celui
de son père ou ft Altesse royale} — Tous les membres des fa-
milles ducales et princières, lorsqu'ils sont d'une origine prin-
cière, portent le titre S! Altesse sérénissime, mais depuis 1844 les
premiers, du moins leurs descendants directs ainsi que leurs
héritiers présomptifs, reçoivent également celui d'Altesse.2
Ces titres ne subissent aucune modification par l'usage établi
dans plusieurs pays, d'accorder à certains membres des maisons
régnantes des titres particuliers, en dehors de ceux auxquels ils
peuvent prétendre par leur naissance, usage en vigueur notam-
ment en France et en Angleterre. En Allemagne également les
princes puînés portent quelquefois des titres supérieurs de
noblesse.8 Les princesses mariées, suivant leur rang, conservent
leurs titres de naissance, auxquels elles ajoutent ceux de leurs
époux, en commençant par les plus élevés.4
Vers. I, 314. Surland, Vom Gemahl einer KOnigin. Halle 1777. De Steck,
Vom Getnahl einer Konigin. Berl. 1777.
J) V. plus haut, page 61.
s) Ainsi arrêté par les statuts des maisons ducales de Saxe, du
10 avril 1844, et depuis dans d'autres maisons ducales. Les autres puis-
sances n'ont pas encore reconnu généralement ce titre. Pour la Prusse
v. la Circulaire minist. en date du 9 janvier 1845 (de Kamptz , Jahrb.
LXV, p. 126). V. aussi p. 117 ci -dessus.
8) Eichhorn, Rechtsgeschichte. H, §301, not. c. Liinig, Thés. jur.
Comitum. p. 390. Huld. ab Eyben. de tit. nobilis. Giess. 1677. § 7. Pfef-
finger, Ad Vitriar. I, 17. 3. 6. p. 575. t. II.
4) Ludolf, De jure feminarum illustr. p. 28. Moser, Staatsr. XX,
p. 353. Schmid, Beitràge zur Geschichte des Adels. 42.43. Cocceji, De
lege morganatica. III, 12. Ch. Fréd. de Moser, Hofrecht. I, p. 593.
122 LIVRE PREMIER. § 55.
Les membres de toutes les maisons souveraines, pourvu
qu'ils soient successibles ou du moins de la même origine que
les successibles, sont, quant au rang, égaux entre eux et de
naissance égale. Cette règle toutefois n'a rien d'obligatoire, et les
traités et les statuts des familles souveraines en ont souvent
élargi les limites. C'est le manifeste impérial de Russie du
20 mars 1820 qui maintient avec le plus de rigueur les règles
de l'égalité de naissance.1
Tous les membres de la famille souveraine,2 de même que
Tépouse du chef de l'État, sont ses sujets. Ce dernier point était
autrefois très -controversé, surtout en Allemagne, à cause de la
constitution spéciale de l'Empire germanique.3 Mais en thèse
générale, la question ne peut recevoir d'autre solution légale
que celle que nous venons d'indiquer. L'époux même d'une
souveraine, dès qu'il a établi son domicile dans le territoire de
celle-ci, devient sujet de l'État, à moins qu'il n'ait droit à une
position exterritoriale. — Les rapports légaux des membres des
familles souveraines étant exclusivement régis par l'autorité du
chef de l'État, et subsidiairement par les statuts et les usages
particuliers, ils ne peuvent devenir l'objet d'une intervention
étrangère que par voie d'une simple intercession, ou lors-
qu'elle s'appuie sur la violation de droits stipulés. En effet les
liens de famille, qui reposent sur la nature et la morale, con-
tinuent à subsister malgré le mariage, et ils créent le droit
comme le devoir d'assistance réciproque: une maison souveraine
peut donc intercéder d'une manière efficace en faveur de ses
membres mariés à l'étranger, lorsqu'ils sont l'objet de mauvais
traitements.4
D'après les usages reçus , les membres d'une famille souve-
raine ne jouissent pas de l'exterritorialité en pays étranger, bien
qu'ils y soient reçus avec les égards dus à leur rang. Toutefois
les héritiers de trône sont l'objet d'une attention spéciale et
*) V. sur les usages des différentes maisons régnantes de l'Europe:
Hallische AUg. Lit.-Zeit. 1829, Mai No. 96 suiv.
2) Moser, Familien-Staatsr. H, 338. 471. Kiuber, Oeffentl. Recht. § 249.
8) Moser, Staatsr. XX, p. 388 suiv. Struvii Imper, heroic. H, 438.
4) de Martens, Vôlkerr. § 170. Giinther U, p. 491.
§ 56. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 123
honorés même quelquefois, bien que non d'une manière générale,
des privilèges d'exterritorialité.1
Le Co- régent régnant, ainsi que le régent souverain^
jouissent, à l'exception des titres, des mêmes droits que les
souverains.
RAPPORTS PRIVÉS DES FAMILLES SOUVERAINES.
§ 56. Dans leurs rapports privés, les membres des familles
souveraines, à l'exception du prince régnant, sont régis, comme
les autres regnicoles, par les lois générales du pays, à moins
que celles-ci n'établissent des exceptions en leur faveur, ou qu'ils
ne jouissent d'un droit spécial de famille, ainsi que cela se
pratique en Allemagne. On y rencontre même un droit privé
commun des princes, qui, il est vrai, se confond souvent avec
le droit public du territoire.2
Quant au souverain, bien qu'il ne relève pas directement de
l'autorité des lois civiles en ce sens qu'il ne peut faire l'objet
d'aucune espèce de poursuite personnelle, il n'en est pas moins
vrai que, quant aux modes d'acquisition et de poursuite des
droits purement civils, il est tenu de les observer, et ne peut
s'en dispenser que dans les cas où il pourrait en affranchir ses
propres sujets. Ce qui sera vrai alors surtout que, par une vio-
lation des lois civiles, il viendrait à froisser les sentiments de
justice du pays. Car les lois d'une nation forment sa morale, et
il n'est dans le pouvoir de personne de rendre moral ou légal ce
qui est profondément immoral ou contraire aux lois de la justice.
Le droit romain, déjà tout en établissant la maxime cé-
lèbre: „princeps legibus solutus est", y a ajouté cependant ce
tempérament qu'il était plus digne du prince de se soumettre
aux lois dans les affaires privées.3 Et c'est la règle générale-
ment admise dans la pratique moderne des nations, là du moins
où le caprice du souverain ne forme pas la loi exclusive. Car
') Schmelzing § 211.
*) Les ouvrages qui traitent de cette matière sont indiqués par
Maurenbrecher, Grundrifs des deutschen Staatsr., avant le § 227.
8) L. 23. Dig. de légat, m. 1. 4. Cod. de legibus § fin. J. quemadm.
testam. infirm.
124 LIVRE PREMIER. § 57.
les nations modernes n'admettent d'autre droit que celui des
lois. C'est ainsi que la jurisprudence anglaise interprète cette
autre maxime: „the king is not bound by any statute unless
expressly named therein." Il en est encore de même dans les
monarchies absolues de l'Allemagne. L' inviolabilité du souverain
s'oppose seulement à toute espèce d'exécution personnelle.
PERTE DE LA SOUVERAINETÉ PERSONNELLE.
§ 57. La souveraineté du prince cesse par son décès: car
le prince décédé ne peut avoir de droits, mais bien sa famille,
qui a ceux de respecter sa mémoire et de la faire respecter
par les autres.1 La souveraineté se perd encore par suite d'une
déchéance ou d'un dépouillement de l'autorité suprême, déchéance
qui peut être soit définitive, lorsqu'elle est l'effet d'une cause
légitime, politique ou internationale, soit seulement temporaire,
lorsqu'elle est la conséquence d'une violence illicite (sedes impe-
dita), non exclusive de l'esprit et du droit de retour (postliminium.
Voir livre H. § 185 et suivants ci -après). Les convenances
seules peuvent guider les autres souverains s'ils doivent continuer
à accorder au souverain déchu les titres et les honneurs précé-
dents, tandis qu'ils ne doivent pas le refuser au souverain empêché
temporairement dans l'exercice du pouvoir, alors surtout qu'ils
reconnaissent expressément ses droits d'y rentrer. L'histoire
fournit des exemples nombreux de souverains auxquels des
honneurs royaux ont continué à être accordés, même après leur
abdication: citons celui de la reine Christine de Suède (1654 — 89)
qui, pendant son séjour en France, réclamait non seulement le
droit d'exterritorialité, mais aussi celui de juridiction;8 ensuite
celui du roi Stanislas Lescinski (1709 — 1766), tandis que d'autres,
p. ex. le roi Charles IV d'Espagne (depuis 1808), Gustave IV
de Suède, enfin le roi Louis de Hollande se sont retirés tout-à-
fait dans la vie privée.
Il est inutile d'ailleurs d'observer que dans les relations
internationales les actes souverains du prédécesseur rendus con-
*) L. 1. § 4. 6. D. de injuriis.
a) V. Bynkershoek, De jud. légat, chap. III, 4 et 16. de Martens,
Nouv. Causes célèbres, t. II. Append. no. IV.
§ 58. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAU. 125
fermement aux lois fondamentales d'un pays obligent ses suc-
cesseurs.1
SECTION IV.
RAPPORTS INTERNATIONAUX DES SUJETS DES DIFFÉRENTS ÉTATS.
CLASSIFICATIONS.
§ 58. Les personnes sont soumises aux lois d'un État soit
d'une manière absolue (membres ou sujets de l'État), soit sous
certains rapports seulement:
Sont considérés comme membres ou sujets de l'État, d'après
le droit international:
1° Les regnicoles, c'est-à-dire tous ceux qui sont établis dans
le territoire d'un État à demeure perpétuelle, peu importe
qu'ils y soient nés ou qu'ils y aient fixé leur domicile;
2° les personnes qui, d'une manière définitive, y sont entrées
en service, soit dans les armées de terre ou de mer, soit
dans l'administration civile;
3° les femmes de ces personnes, de même que les enfants
légitimes d'un père, les enfants naturels d'une mère, et
les enfants nés à l'étranger de parents regnicoles, tant
qu'ils n'ont pas la capacité civile nécessaire pour choisir
leur domicile.2 Jusqu'alors l'enfant doit être regardé comme
étant régi par les lois du pays auquel appartiennent ses
parents, quoique les tribunaux du pays où l'enfant réside,
ne prennent pas toujours en considération la nationalité
de ses parents;
4° enfin les enfants trouvés dans un pays, si leur vrai do-
micile n'a pu être constaté.
Le droit public interne indique les droits politiques et ci-
vils dont jouissent ces différentes classes de personnes, ainsi
que celles qui, en dehors de ces catégories, jouissent également
des droits de cité. Il est évident d'ailleurs que l'extension donnée
*) L'indication des auteurs qui ont traité cette question dans toute
son étendue, se trouve dans Maurenbrecher, Staatsr. § 243 b et Zachariae,
Staats- und Bundesr. § 58.
2) Vattel 1, 19. § 215. Quant aux enfants nés sur mer v. § 78 ci-après.
126 LIVRE PREMIER. § 59.
par les lois d'un État à la qualité de sujet, ne peut porter aucun
préjudice aux dispositions des lois établies ailleurs.
Sont considérés comme sujets d'un État sous certains rap-
ports seulement (subditi secundum quid) les personnes ci-après
dénommées, savoir:
les étrangers possédant des immeubles dans un territoire ou
y exerçant certains droits qui les font assimiler aux regni-
coles (forenses, foranei, cives qui foras habitant), sujets
mixtes quant aux propriétés;1
les étrangers qui font un séjour plus ou moins prolongé sur
le territoire (albini, alibi nati, aubains).2
CARACTÈRE INTERNATIONAL DES RAPPORTS DE SUJÉTION.
§ 59. L' État qui dans ses limites concourt à l'œuvre gé-
nérale du développement du genre humain, ne doit pas mécon-
naître le caractère essentiellement libre des rapports de sujétion,
auxquels les regnicoles ont la faculté de renoncer en s'expa-
triant.3 Le droit d'émigration, une fois reconnu, peut sans doute
être réglementé par l'État. Les lois peuvent notamment imposer
l'obligation d'en donner un avis préalable aux autorités locales,
avis qui fournira à ces dernières le moyen de s'assurer si rémi-
grant a satisfait à tous ses engagements, et d'exiger de lui une
caution destinée à assurer l'accomplissement de ceux qu'il doit
remplir encore. Autrefois il était d'usage d'exiger des émigrants
le sacrifice d'une portion de leur patrimoine. Les traités inter-
nationaux n'ont pas encore aboli tous les restes de cette coutume
barbare.
A la question d'émigration vient se rattacher naturellement
une autre. Le sujet d'un État peut-il être à la fois sujet d'un
autre ou sujet mixte? Cette double nationalité, bien que tolérée
dans une grande partie de l'Europe, a été proscrite expressé-
1) V. l'article de Jordan, inséré dans le Staats-Lexicon. "VT, 361.
2) Une dissertation complète sur ces diverses catégories se trouve
dans Schilter, De jure peregrinorum, dans ses Exercitatt. ad Digesta.
Gaschon, Code des Aubains. Paris 1818.
3) V. ci -dessus § 15. Merlin, Répert. m. Souveraineté. § 14. Zacha-
riae, 40 Bûcher vom Staate. Liv. IV, 1. 258.
§ 59. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 127
ment par plusieurs législations, qui dans ces cas exigent que
la personne choisisse entre son domicile actuel et celui de son
origine.1
Tant que les rapports de sujétion n'ont pas été dissous par
Fémigration, la loi internationale accorde à l'État certains droits,
en même temps qu'elle lui impose certaines obligations. Ces droits
et ces obligations se résument dans les règles suivantes:
I. L'État doit appuyer les justes réclamations de ses regni-
coles à l'étranger, défendre ses sujets par les voies internationales,
lorsqu'ils sont l'objet de poursuites arbitraires, et exiger la ré-
paration des lésions commises à leur préjudice (jus protectionis
civilis, in specie jus repraesentationis omnimodae). Aussi la
confédération germanique s'est -elle chargée expressément d'une
représentation solidaire des différents États qui la composent.2
H. L'État peut rappeler ses sujets établis à l'étranger,
dès qu'il le juge convenable (jus avocandi). Néanmoins, pour
obtenir leur retour, il ne dispose d'aucun mode de coercition,
et il ne peut réclamer à cet effet l'assistance des autorités étran-
gères. C'est une conséquence du droit de cité universelle. Aussi
un gouvernement n'est- il pas même tenu d'autoriser sur son
territoire la publication des lettres de rappel envoyées par un
gouvernement étranger.3
ni. Le sujet d'un État continue, pendant son séjour à
l'étranger, à être soumis à la juridiction et aux lois de sa pa-
trie. C'est en observant ces lois seulement qu'il y conserve ses
droits civils et politiques.
l) Zouch, De j. fecial. II, 2. 13, qui nie la possibilité d'être sujet
de plusieurs États, va trop loin. Car tout dépend des dispositions des
lois des divers pays. Déjà les lois de l'ancien monde variaient sur ce
point. V. Cicéron pro Baibo chap. 12: „Sed nos (Romani) non possumus
et hujus esse civitatis et cujusvis praeterea; ceteris omnibus concessum
est.a V. Moser, Vers. VI, 52. Giinther H, 326. Gaschon (Disc, préi.) p. 73.
Les lois françaises n'admettent pas la double nationalité d'un individu.
a) Provisorische Competenz-Bestimmungen, du 12 juin 1817. § 5. 3, c.
Schlufsacte, art. 37. 50 4. V. Kliiber, Oeffentl. Recht. § 173 a.
3) Moser, Nachbarliches Staatsrecht. p. 118. 687. Idem, Versuch des
VOlkerrechts. VI, chap. 4. 6. Les anciens auteurs admettaient cette espèce
de revendication d'un Gouvernement étranger, p. ex. Moser, Grundsâtze
in Friedenszeiten. V, 1, § 27. Gunther II, 309 suiv.
128 LIVRE PREMIER. § 60.
Néanmoins la juridiction souveraine d'un État sur ses regnî-
coles ne peut empêcher que les engagements contractés par eux
à l'étranger ne produisent leurs effets, pourvu qu'ils ne soient
pas contraires aux lois de la mère -patrie ou qu'ils ne soient
destinés à y recevoir leur exécution.1 Ainsi les lois fiscales d'un
pays ne sont pas applicables aux immeubles situés dans un
autre, bien que les anciens traités et usages n'aient pas toujours
suivi cette règle, notamment lors de l'établissement d'un impôt
sur les revenus.2
IV. Le sujet d'un État ne peut invoquer l'intervention d'un
gouvernement étranger, et le rendre juge des démêlés avec son
propre gouvernement. Tout au plus le premier pourra-t-il inter-
céder en sa faveur par des voies amiables.8 Autrefois il n'était
pas rare de voir les sujets porter plainte contre leurs princes
devant le Saint-Siège: c'est ce qu'on appelait „denunciatio evan-
gelica". Cette voie de recours est aujourd'hui rejetée partout.
DROITS DES ÉTRANGERS EN GENERAL.4
§ 60. Les sujets d'un État ne relèvent d'aucune puissance
étrangère, et ils ne peuvent, sans une autorisation de leur gou-
vernement, exercer des droits politiques ou publics dans un autre
territoire. Us ne sont justiciables par les tribunaux de ce der-
nier que lorsqu'ils y acquièrent des droits civils ou qu'ils y
possèdent des immeubles, et pendant qu'ils y séjournent6
Aucun doute n'existe sur le droit d'une nation de déter-
miner les conditions de l'admission des étrangers sur son terri-
toire, de régler leurs rapports civils pendant leur séjour et de
les exclure des fonctions politiques. Mais il est constant aussi
1) V. plus haut § 35 suiv.
2) Recès german. de 1544 § 45. Mynsinger, Cent. obs. V, 22. Klock,
De contribution, chap. 13.
3) F. Ch. de Moser, Kl. Schriften. VI, 287. Giinther, Vôlkerr. I, 280.
4) V. l'article de Jordan dans le Staats-Lexicon. VI, 360 suiv. Pûtter,
Fremdenrecht. Leipzig 1845.
5) V. §33 ci- dessus. C'est une conséquence de l'indépendance des
États. V. Giinther, Vôlkerr. II, p. 262. 315. 323. de Martens, Vôlkerr.
§ 80. 87. Schmelzing § 142. Les brevets délivrés dans un pays ne sont
pas valables dans un autre. V. Foelix, Droit international, p. 575 suiv.
§ 60. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J29
qu'aussi longtemps qu'elle continue à entretenir des relations
régulières avec les autres, elle doit admettre leurs sujets sur
le pied d'une complète égalité, et qu'elle ne doit point, à ce sujet,
établir des distinctions qui ne seraient pas motivées par la
nécessité de représailles ou de mesures de rétorsion. C'est un
principe généralement adopté aujourd'hui. Le développement des
rapports internationaux ne permet pas non plus de leur appliquer
la distinction romaine entre „jus civile" et „jus gentium", entre
le droit civil d'une et celui de toutes les nations, à moins que
les lois particulières d'un pays ne fassent dépendre l'exercice
de certains droits civils de la jouissance des droits politiques.
Les législations modernes de l'Europe s'accordent là -dessus et
ne diffèrent que sur quelques points. Ainsi la position exception-
nelle des étrangers justifie pleinement la disposition générale-
ment admise qui soumet l'étranger demandeur à la nécessité
de fournir caution; tandis que celle qui assujettit les succes-
sions et les legs échus à des étrangers à certains droits (jus
detractus, traite foraine), est une pratique empruntée à des
siècles où l'on regardait ces derniers presque comme des ennemis.
Hostile au principe de la liberté des rapports internationaux,
cette pratique a été abrogée par des traités, du moins en grande
partie.1
S'il est constant que l'État n'a aucune juridiction sur les
étrangers ne résidant pas sur son territoire ou n'y possédant
pas des biens meubles ou immeubles, il n'en est pas de même
relativement à ceux qui y ont établi leur résidence, alors sur-
tout que la demande serait recevable, dans le cas où elle
serait formée contre un regnicole devant un tribunal du pays.
Sous ce double rapport la jurisprudence française s'est éloignée
de celle des autres États. En effet la disposition de l'article 14
C. Nap. nous paraît contraire au principe qui s'oppose à ce que
personne puisse être soustrait à son juge naturel, contraire à
la maxime: „actor rei forum sequitur" et à cette autre: „ extra
territorium jus dicenti impune non paretur."2 En même temps,
*) V. de Martens, Vôlkerr. § 79. 93. Schmelzing § 132. 146. Foelix
p. 169 suiv. Gaschon, Code diplomat. des Aubains. 1818.
2) V. sur les mesures de rétorsion adoptées par les États de i'Alle-
9
130 LIVRE PREMIER. § 61.
d'après la jurisprudence française, il est défendu à un étranger
de poursuivre un autre étranger pour une dette contractée soit
dans sa patrie, soit en France, ce qui est contraire au caractère
cosmopolite de l'homme qui doit être protégé par les lois par-
tout où il réside. — Les questions d'état civil ne peuvent être
jugées que par les tribunaux du pays d'origine. Toutes les autres
actions personnelles et mobilières peuvent être portées devant les
tribunaux du domicile réel. Quant aux actions ayant pour objet
des immeubles, elles sont, sans aucun doute, de la compétence des
tribunaux des lieux où ils sont situés.
D'un autre côté les engagements contractés par un gouver-
nement envers les sujets d'une autre puissance, loin d'être régis
par les lois étrangères, sont soumis exclusivement aux règles
du droit international. De tels engagements sont les emprunts
contractés à l'étranger, dont nous traiterons dans le Chapitre
consacré aux contrats. Enfin un autre cas où les tribunaux
d'un pays ne seront pas compétents pour statuer sur des con-
testations civiles concernant des sujets étrangers, est celui où,
par suite de certains rapports établis entre ces sujets et leur
gouvernement, celui-ci a le droit d'intervenir par voie inter-
nationale, et où en conséquence la contestation cesse d'être
purement civile. Cette question a été traitée pour la première
fois entre la Grande-Bretagne et la Prusse, à l'occasion des
prises faites par des corsaires anglais.1
DROITS DES FORAINS.2
§ 61. On appelle forains (forenses) les étrangers qui sont
soumis aux lois et tribunaux du pays à l'égard de leurs im-
meubles situés dans le territoire. Ces immeubles sont sujets aux
taxes et aux contributions comme les autres immeubles,8 ainsi
magne au sujet de l'art. 14. C. N. Kappler, Juristisches Promptuarium.
2 édit. v. „ Auslànder" p. 88 suiv. Foelix p. 221 et 249 note 1.
*) V. Ch. de Martens, Causes célèbres. H, p. 1—88. de Martens, Vôlkerr.
§ 95. Kluber, Droit des gens. § 58.
2) J. Ch. Limbach, De forensibus. Giess. 1669.
3) Quant aux taxes, aucun doute ne subsiste plus aujourd'hui. V.
§59. III. ci -dessus, de Martens, Volkerr. §88. Kltiber, Oeffentl. Recht.
§ 407 h., ainsi que les ouvrages indiqués par de Kamptz, Literat. § 113.
§ 62. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J3J
qu'aux règlements de la police locale, et le propriétaire ne peut
décliner à leur égard la compétence des tribunaux du territoire.
Dans plusieurs contrées de l'Allemagne on va plus loin.
Les étrangers qui y possèdent des immeubles, sont regardés
comme sujets et soumis, même pour leurs personnes, aux lois et
tribunaux du pays: à cet effet ils doivent prêter le serment de
sujétion (landsassiat1). En même temps leur famille et leurs
autres biens continuent à être régis par les lois du domicile
d'origine. Il est constant du reste que ni ces dernières ni celles
des autres États n'accordent nécessairement à ces rapports les
effets d'une sujétion réelle; en faisant cesser ces restes du
régime féodal, elles imposent la nécessité du choix entre ce
domicile accidentel et celui d'origine.2
RAPPORTS LÉGAUX DES ÉTRANGERS.
§ 62. Chaque État est maître de fixer les conditions aux-
quelles il permet aux étrangers l'entrée et le séjour sur son
territoire. Il peut, dans un intérêt de sûreté publique, les ren-
voyer individuellement ou en masse, à moins que les disposi-
tions des traités conclus avec d'autres puissances ne s'y op-
posent. De même un État ne peut refuser de recevoir ses
propres sujets expulsés d'un territoire étranger, réception d'ail-
leurs qui n'a apcun caractère obligatoire, à moins que des traités
spéciaux ne l'exigent, comme ceux relatifs à l'extradition réci-
proque des vagabonds.8 Toutefois l'exclusion complète d'une
nation de tout commerce international, ainsi que le renvoi non
motivé, ou fait d'une manière blessante, de ses nationaux serait
*) C. H. Geisler, De landsassiatu. Marp. 1781. et Klûber, loc. cit.
§ 269. 466 a. H n'est pas douteux que cette sujétion n'ait pour effet de
soumettre l'étranger à la juridiction des tribunaux du lieu où les im-
meubles sont situés, par rapport à toutes les contestations purement per-
sonnelles. V. Eichhorn, Deutsches Privatr. § 75. Mais originairement cette
compétence était plus étendue, et elle s'est conservée en partie dans les
contrées de l'ancienne Saxe.
2) Giinther H, p. 426.
8) de Martens, Suppléments. VIII, p. 282. Sur la définition v. Tho-
masius, De vagabundis. Lips. 1681. van Haesten, De vagabundis. Ultraj.
1773. Giinther II, p. 259.
9*
132 LIVRE PREMIER. § 62.
regardé, d'après le droit public européen, comme une injure
(§ 33 ci -dessus).1
Chez les peuples de l'ancien monde les renvois en masse
des étrangers (ÇeviiXaclcu) étaient assez fréquents. Dans nos
États modernes on n'y a recours qu'en temps de guerre.2 Le
discours prononcé au parlement, le 3 avril 1824, par lord Can-
ning, pour la défense de l'ancien bill des étrangers, présente à
ce sujet un puissant intérêt. Aujourd'hui un système plus doux a
prévalu également en Angleterre: il consiste dans un enregistre-
ment des étrangers qui est renouvelé de six à six mois (Stat.
George IV chap. 54).
En dehors de ce que nous avons déjà indiqué au § 60
ci -dessus, les étrangers, pendant leur séjour sur un territoire,
sont soumis aux règles fondamentales suivantes:
I. Tous les étrangers jouissent de la protection de l'État
Ce principe cosmopolite est consacré généralement dans les lois
civiles modernes. Le droit public de l'ancien monde ne l'admet-
tait guère d'une manière absolue, et au moyen âge les étran-
gers étaient regardés régulièrement comme étant privés de la
protection des lois (ontlaws). Depuis on l'a refusée encore
quelquefois à certaines classes d'étrangers.8
Les étrangers, en même temps qu'ils jouissent de la pro-
tection des lois, sont soumis à l'autorité des dois pénales et
de police, ainsi qu'à la juridiction criminelle du territoire où
ils résident.4 Ils sont sujets à ses lois civiles et peuvent
être poursuivis à l'occasion des engagements contractés par eux
(§ 37. 39). L'exterritorialité, les traités et les usages, il est vrai,
établissent des exceptions : en matière de procédure et de juri-
2) A. Contostaulos, De jure expellendi peregrinos diss. Berol. 1849.
Cet auteur prend pour point de départ l'obligation de l'État de recevoir sur
son territoire tous les étrangers.
2) V. ci -dessus § 33. Schmelzing § 168. Gûnther II, 219. 223. 314.
Martens § 74. Schilter, loc. cit. § 52.
3) Piitter, Beitr. p. 115. Wilda, Strafrecht der Germanen. p. 672.
Abegg, Untersuchungen aus der Strafrechtswissenschaft. p. 369. de Real,
Se. du gouv. IV, 7. 1. 1. Vattel n, 1. 19 suiv.; 6. 17. Gûnther n, 344.
4) Les lois de sûreté et de police obligent tous ceux qui habitent
le territoire (art. 3. C. N.)
§ 62. . DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J33
diction , les étrangers peuvent encore obtenir des faveurs spé-
ciales. De telles faveurs sont, par exemple, la juridiction con-
sulaire (livre in ci -après), le droit d'hospitalité du moyen âge,1
la maxime du droit anglais que l'étranger est justiciable par
un jury, composé pour moitié d'étrangers (de medietate linguae).
H. Les étrangers ne sont pas soumis aux lois concernant
les impôts et la conscription militaire, établies dans le territoire
où ils séjournent. Les autorités du pays ne peuvent mettre en
réquisition leurs personnes ou leurs biens meubles qu'en cas
de nécessité urgente, et sous la réserve d'une indemnité future.
Mais ils sont tenus de payer les impôts qui grèvent l'usage ou
la consommation de certains objets et l'exercice de certaines
industries ; par exemple, les droits de péage des chaussées, ceux
de concession ou de patente, les contributions mobilières, les
droits de timbre et d'enregistrement.2
El. L'étranger conserve l'état civil de son domicile d'ori-
gine (§ 37 ci- dessus). Les fonctions publiques dont il est revêtu
dans son pays, ne peuvent être invoquées ni par lui ni contre
lui, pendant son séjour dans le territoire étranger, à moins qu'il
n'y soit chargé d'un mandat de sa patrie (§ 34). 8 Néanmoins
les rangs et titres d'un individu sont, d'après les usages des
nations, respectés en pays étranger, pourvu qu'ils ne soient pas
contraires atutlois de ce dernier.4
IV. L'étranger qui a rempli tous les engagements con-
tractés par lui dans un territoire, peut le quitter librement
et ne peut être retenu sous aucun prétexte.6 Tous les usages
contraires, tels que droits de retrait, d'aubaine (jus albinagii),
*) V. Pûtter, Beitr. p. 148.
2) de Martens, Vôlkerr. § 88. Schmelzing § 187. 188. Sur le casus ne-
cessitatis, v. Schilter, loc. cit. § 46.
8) Ainsi, par exemple, la dégradation civile (infamie) prononcée
contre un individu n'aura pas d'effets à son égard en pays étranger.
V. Ch. Thomasius, De cxistimatione, fama et infamia extra rempubl.
Hal. 1709.
*) Gunther II, p. 315. de Martens § 85. Schmelzing § 141. Kliiber
§ 84. V. aussi Vitriar. illustr. Pfeffinger III, p. 112. Putter, Erôrterungen
des deutschen Staats- und Furstenrechts. I, p. 10.
5) V. de Martens § 78. Schmelzing § 179.
134 LIVRE PREMIER, § 63.
celui qui était établi dans le Palatinat sous le nom de „Wild-
fangrecht"1 ont successivement disparu, ou sont sur le point de
disparaître. En France, où le droit d'aubaine s'est conservé le
plus longtemps, un décret de l'assemblée constituante, en date
du 6 (18) août 1790, l'avait déjà réprouvé: mais ce fut seulement
une loi du 14 juillet 1819 qui l'abolit d'une manière définitive.2
DROIT D'ASILE ET D'EXTRADITION.
§ 63. Tout État indépendant offre sur son territoire un
asile naturel non seulement aux nationaux, mais aussi aux étran-
gers, contre les poursuites dirigées au dehors contre eux. Mais
c'est une question controversée depuis longtemps, de savoir si
cette protection a un caractère obligatoire, si au contraire un
État n'est pas tenu de satisfaire à une demande d'extradition
formée par un autre gouvernement, à l'occasion d'un crime ou
délit commis sur le territoire de ce dernier.3
Le droit public des peuples anciens n'autorisait guère l'ex-
tradition des individus qui, réfugiés chez un peuple, invoquaient
la protection des dieux nationaux: tout au plus autorisait-il celle
d'un étranger qui, dans le pays même où il s'était réfugié, s'était
rendu coupable d'un crime envers un autre étranger: du moins
on regardait en ce cas l'emploi de représailles comme licite.4
Mais pour qu'un citoyen fût livré à un peuple étranger, il fallait
que son crime envers ce dernier fût assez énorme pour que son
extradition ne pût être refusée à la juste vindicte du peuple offensé.6
2) Moser, Nachbarl. Staatsr. 406. Giinther H, 361. Jordan, Staats-
Lex. VI, 368.
2) Les ouvrages indiqués par de Kamptz § 121. Putter, Beitr. p. 128.
Schilter, loc. cit. § 32. 39. Mittermaier, Grundsâtze des gemeinen deut-
schen Privatrechts. 6. éd. § 106.
3) V. Provô-Kluit, De deditione profugor. Lugd. Bat. 1829 , surtout
Berner, Wirkungskreis des Strafgesetzes. 1843. §40—45. Rob. deMohl,
Revision der vôlkerrechtl. Lehre vom Asyle. Tiibingen 1853. A. Bulme-
rincq, Das Asylrecht. Dorpat 1854. Sur les lois les plus récentes v.
Foelix, Droit intern. p. 578 et Faustin Hélie dans la Revue de législation
et de jurisprud. par Welowski. 1. 1, 2. p. 220. Pour la littérat. antérieure
v. de Kamptz § 111.
4) V. Heffter, Athenische Gerichtsverfassung. p. 428.
5) Abegg, Untersuchungen der Strafrechtswissenschaft. p. 133.
§ 63. dboit international pendant la paix. 135
Au moyen âge l'Église ouvrait de nombreux lieux d'asile,
en même temps qu'elle exerçait la juridiction pénale d'une ma-
nière très -étendue:1 en dehors de l'Église, les puissances laïques
n'admettaient d'autres règles que celles du plus fort. Depuis
l'établissement de rapports plus réguliers entre les États mo-
dernes d'après le principe de leur indépendance réciproque,
l'usage a consacré partout les règles suivantes:
L Chaque État est maître de refuser l'entrée sur son terri-
toire aux étrangers réfugiés et aux étrangers en général, ainsi
que nous l'avons déjà expliqué (§ 62). Cependant des considé-
rations d'humanité font accorder facilement l'autorisation de séjour
sur un territoire, en imposant l'accomplissement de certaines
conditions (§ 63). H est vrai que l'opinion opposée, celle qui
oblige l'État de recevoir chez lui les réfugiés, surtout politiques,
a été soutenue avec énergie, mais on n'a réussi aucunement à en
établir le fondement. La diète suisse elle-même, après l'avoir
défendue pendant deux ans, en imposant aux cantons l'obliga-
tion de recevoir les réfugiés étrangers, a dû y renoncer (25 fé-
vrier 1851).
H. L'extradition ne s'applique pas aux nationaux rentrés
dans leur patrie.2 H n'existe en effet aucune nécessité pour faire
consentir leur extradition, pourvu que l'État ne laisse pas im-
punis les crimes commis par ses nationaux à l'étranger, à moins
qu'ils n'aient été commis par des étrangers naturalisés ensuite.
Néanmoins, dans les pays où, sous ce dernier rapport, un
système différent a prévalu, le Gouvernement consent quelque-
fois à livrer un individu réfugié qui a commis un crime d'une
atrocité extraordinaire.3
x) Walter, Kirchenrecht. § 270. 345. Grinim, Deutsche Rechts-Alter-
thûmer. p. 886.
2) Ce principe a été reconnu expressément en Prusse, en Bavière,
en Wurtemberg, dans les grands -duchés de Bade, de Hessc et d'Olden-
bourg, dans les duchés de Brunswick et d'Altenbourg, indirectement
aussi par la loi belge du 30 décembre 1836. — Pour la France voir la
circulaire de M. le Garde des Sceaux du 5 avril 1841. Dalloz, Dictionn.
m. Extradition ; Foelix p. 588.
3) Décret impérial du 23 octobre 1811. La légalité de ce décret a
été contestée. V. Foelix no. 573 suiv.
136 UVBE PREMIEE. § 63.
m. En l'absence de traités formels, toute extradition d'un
étranger est subordonnée à des considérations de convenance et
d'utilité réciproques. L'intérêt de la société commande que les
crimes ne restent pas impunis, et l'extradition pourra avoir lieu
alors surtout qu'il n'y a à redouter aucune injustice de la part
des autorités qui la réclament. Les auteurs sont divisés sur
cette question. Les anciens auteurs, Grotius, Vattel, se pro-
noncent pour l'affirmative: mais la négative est soutenue par
les auteurs modernes, et elle a prévalu dans la pratique. Pin-
heiro-Ferreira qui repousse toute extradition, va évidemment
trop loin, et son opinion extrême n'a trouvé jusqu'à présent
aucun partisan.
Le principe de l'extradition une fois admis, y a-t-il lieu
d'établir une distinction tirée de la nature différente des crimes?
Régulièrement non. Néanmoins une exception a été admise en
faveur des crimes politiques, et régulièrement on refuse aujour-
d'hui l'extradition d'individus prévenus exclusivement de crimes
politiques. La crainte d'une peine disproportionnée a motivé
sans doute cette dérogation à la règle générale. En Allemagne
un arrêté fédéral du 18 août 1836 rend obligatoire entre tous
les États de la confédération l'extradition réciproque des indi-
vidus accusés de cette espèce de crimes.1
*) V. Tittmann, Strafirechtspflege in vôlkerrechtlicher Beziehung. p. 27.
Kluit p. 73. Allgem. Augsb. Zeitung. 1824. Append. no. 32. Contra Jour-
nal des Débats, 20 février 1824. Quant à la France v. Foelîx p. 584. —
L'arrêté fédéral du 18 août 1836 a été complété par une loi générale
en date du 26 janvier 1854. (V. ma traduction dans la Revue critique de
législ. 1855. p. 95. Le traducteur.) En voici les dispositions principales:
9
„Les Etats de la Confédération s'obligent à livrer les individus arrêtés,
prévenus ou condamnés par les tribunaux du pays où ils ont commis
un crime ou un délit, pourvu que les faits soient qualifiés crimes ou
délits par les lois du pays où l'extradition est demandée, et que la peine
n'y soit pas prescrite (art. 1). Lorsque l'individu poursuivi a été arrêté
pour d'autres crimes ou délits, l'extradition n'a lieu qu'après l'acquitte-
ment, après que la peine a été subie ou que l'arrestation a cessé (art. 2). —
On remet avec l'individu arrêté les objets trouvés en sa possession (art. 3).
— L'extradition a lieu à la réquisition du tribunal compétent. La demande
énonce le crime ou délit pour lequel le prévenu est poursuivi (art. 4). —
Si l'extradition est demandée par plusieurs États à la fois, celui qui a
§ 63. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J37
IV. Les demandes d'extradition se font par voie de com-
mission rogatoire. Elles énoncent les faits et les motifs sur les-
quels elles sont fondées. Lorsque l'extradition est requise par
plusieurs gouvernements à la fois, elle devra être accordée à
celui qui semble être le plus intéressé à la poursuite et offrir
le plus de garanties d'une juste répression. Quelquefois on prend
aussi en considération la priorité de la demande.
V. Si l'individu inculpé est sous le coup de poursuites di-
rigées contre lui à raison de délits commis par lui dans le pays
même où il s'est réfugié, il peut être jugé à raison de ces faits,
avant qu'on procède à son extradition. Dans ce cas l'extradition
peut aussi être faite conditionnellement et à la charge d'une
restitution.1
VI. L'examen d'une demande d'extradition est une affaire
de haute police. Le gouvernement seul a le droit de prononcer
sur les demandes d'extradition formées par les autorités étran-
gères. Quelquefois il délègue l'examen des pièces relatives à la
demande à certaines autorités inférieures.2
VII. L'extradition s'effectue ordinairement par la remise de
l'inculpé sur les frontières contre le remboursement des frais,
si des conventions particulières n'en disposent pas autrement.
Lors de la remise on dresse un procès verbal, et lorsque l'ex-
tradition n'a pas lieu en vertu d'un traité, on a soin de réserver,
le cas échéant, des services analogues. Pour faire traverser à
un inculpé le territoire d'un autre gouvernement, il faut que ce
dernier y consente.
fait la première demande l'obtient (art. 5). — Les frais d'arrestation et
d'entretien sont comptés du jour de l'arrestation et sont remboursés par
le tribunal qui a demandé l'extradition (art. 6). — Les individus livrés
sont transportés librement d'un État dans l'autre (art. 7). — L'entretien
des individus livrés est réglé d'après les dispositions des lois du pays où
l'extradition est demandée (art. 8). — Les autorités chargées de l'extra-
dition remettent, avec l'individu livré, un certificat de transport. Les
frais sont remboursés intégralement (art. 9). — Sont abrogées les dispo-
sitions des traités précédemment conclus, en ce qu'elles ont de contraire
à la présente loi (art. 10).a
*) Kluit p. 65.
2) Le même p. 113 suiv.
138 LIVRE PREMIER. § 63.
VIH. L'individu dont l'extradition a été consentie, ne peut
être poursuivi ni jugé qu'à raison du crime pour lequel elle a
été obtenue. En agir autrement, et le faire juger à raison
d'autres crimes ou délits, ce serait violer le principe mutuel
d'asile et la clause tacite comprise implicitement dans toute
extradition.1
IX. Nous avons déjà vu (au § 42 ci-dessus) que l'exterri-
torialité n'implique aucun droit d'asile. Par suite l'extradition
d'un inculpé qui s'est réfugié, par exemple, dans l'hôtel ou dans
la voiture d'un ministre étranger, en cherchant ainsi à se placer
sous la protection de ce dernier, ne peut être refusée. Seulement,
pour l'extraire de l'endroit où il s'est réfugié, il faudra procéder
avec tous les ménagements dus au caractère public de la per-
sonne exempte. — Le Saint-Siège, d'après une déclaration du
mois de septembre 1815, accorde encore aujourd'hui un droit
d'asile à la demeure des ministres étrangers, pourvu qu'il s'agisse
de simples délits.2
X. Aucun gouvernement n'est tenu de recevoir les indi-
vidus inculpés dont l'extradition lui est proposée, s'il n'a pas
contracté un engagement formel à ce sujet.3 Il peut seulement
contraindre un étranger qui l'incommode, à quitter le territoire
et même le faire conduire jusqu'aux frontières de sa patrie,
sans toutefois pouvoir imposer aux autorités l'obligation de le
recevoir.
Dans plusieurs pays on n'accorde l'extradition des réfugiés
qu'en vertu de conventions expresses. Quelquefois, dans des cas
spéciaux, les autorités de ces pays fournissent aux gouverne-
ments étrangers la faculté de s'emparer des personnes pour-
suivies. Ainsi la loi de la Grande-Bretagne* n'accorde jamais
l'extradition ni d'un regnicole ni d'un étranger accusé d'un crime
commis hors du royaume uni. Dans les traités d'extradition con-
1) Kluit p. 87. Foelix p. 580. 586.
2) Kluit p. 94. V. de Martens, Manuel diplom. §31; idem, Causes
célèbres. 1827. I, p. 326.
3) Une convention semblable a été conclue entre la Russie et la
Prusse, le 25 mai 1816. — Kluit p. 91.
4) Foelix p. 605.
§ 63 ^ DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 139
clus par ce gouvernement il spécifie ordinairement un nombre
restreint de crimes comme étant de nature à donner lieu à
l'extradition. Le traité le plus récent est celui conclu avec la
France, le 13 février 1843.1
§ 63 ** L'Etat qui accorde à des réfugiés, et notamment à
des réfugiés politiques, l'hospitalité sur son territoire, ne fait
que remplir les devoirs de bon voisinage et d'une puissance
alliée, en leur imposant comme condition de leur séjour l'obli-
gation de s'abstenir de toute tentative hostile ou coupable à l'égard
de leur propre gouvernement ou d'un autre. Pour prévenir les
conflits et les complications qui peuvent résulter de tentatives
semblables, les autorités locales arrêtent les mesures comman-
dées par les circonstances, soit en interdisant aux réfugiés le
séjour sur la frontière, soit en fixant le lieu de leur séjour dans
l'intérieur du pays (internement), soit en les plaçant sous la
surveillance de la haute police, soit enfin en les expulsant
du territoire. Dans les Etats d'une faible étendue territoriale
surtout, cette dernière mesure sera à peu près la seule appli-
cable. D'un autre côté un gouvernement a la faculté d'user en-
vers certains individus de mesures moins énergiques, et de se
contenter à leur égard de simples garanties morales ou maté-
rielles. H peut même, en leur conférant le droit de cité ou de
naturalisation, les placer sous l'égide et la protection de ses
lois. En général les États n'obéissent à cet égard qu'à leurs
propres inspirations et ne sont tenus les uns envers les autres
à aucune obligation positive. Celui qui a offert un refuge aux
sujets de l'autre, doit seulement prêter l'oreille aux justes récla-
mations de ce dernier, les examiner et prendre des mesures en
conséquence. Il n'encourra une responsabilité que le jour où,
de connivence avec les menées hostiles des réfugiés, en favorisant
leurs entreprises coupables, il aura provoqué ou fomenté des
troubles dans des États amis.
Si l'Angleterre et l'Amérique du Nord ont adopté sous ce
rapport des principes différents de ceux suivis sur le continent
européen, cela ne prouve rien contre l'exactitude des propositions
') Gazette des tribun., 21 mars 1843. N. R. S. V, 20.
140 LIVRE PREMIER. § 64.
»
sus -énoncées. A certaines époques l'Angleterre elle-même a ré-
clamé contre la conduite politique adoptée par des gouverne-
ments continentaux en faveur de réfugiés anglais, et peut-être
ces réclamations se renouvelleront -elles un jour.1
Chapitre II
DES BIENS.
DE LA DISTINCTION DES BIENS.
§ 64. Les distinctions du droit civil entre biens meubles
et immeubles, corporels et incorporels, se retrouvent dans le
droit international. Il distingue encore les biens qui sont la pro-
priété d'un certain État et ceux qui ne le sont pas (res nullius),
et il subdivise ces derniers en biens vacants (adespota) et en
ceux dont personne ne s'attribue la propriété et qui demeurent
communs à tous (res communes). C'est surtout le domaine inter-
national qu'il importe de définir d'une manière exacte.2 On en-
tend par là les droits exclusifs de l'Etat sur certains biens qui
se trouvent sur son territoire et dont il dispose librement, con-
formément aux règles du droit public interne.8 Ce domaine
possède, par rapport aux États, les qualités du domaine privé,
savoir celles d'une disposition libre et exclusive. S'il protège
le domaine privé, cette protection pourtant n'a pas pour effet
d'en rendre l'État maître au point que ce dernier puisse se
l'approprier en dehors d'une nécessité ou d'une réserve ex-
presse. „Omnia rex imperio possidet, singuli dominio." Les
anciens publicistes ont appelé le droit de l'État sur les biens
1) V. un article très -instructif où les propositions indiquées ci-dessus
ont été développées avec autant de tact que d'énergie, dans le recueil
intitulé : Europa, par G. Kuhne. 1853. no. 95. 96.
2) V. Ortolan, Du domaine international dans la Revue de législation
par Welowski. 1849. II, p. 289. III, p. 5. IV, p. 61.
3) Les personnes ne peuvent faire l'objet du domaine dans des États
libres. V. § 14 ci -dessus in fine. Grotius H, 9. 1.
§ 65. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 141
privés de ses sujets le „ domaine éminent u (dominium emînens).1
L'État et le souverain peuvent en outre acquérir ou posséder
des biens à titre particulier, soit dans le pays, soit à l'étranger:
dans ce dernier cas ces biens sont soumis aux lois et aux juri-
dictions étrangères, à moins qu'ils n'aient la nature de servi-
tudes d'État. Les biens possédés ainsi par un État à l'étranger,
lorsqu'ils n'ont pas un caractère patrimonial comme propriété
de la famille souveraine, forment une véritable portion de son
domaine public.2 Néanmoins aucune nation n'est obligée d'auto-
riser sur son territoire l'acquisition d'immeubles par une nation
ou un souverain étrangers: elle peut exiger encore l'aliénation
des immeubles possédés par eux, si cette possession est de
nature à porter atteinte à l'indépendance ou à la constitution
du pays.»
TERRITOIRE D'UN ÉTAT.
§ 65. Le domaine international comprend surtout le terri-
toire ou le pays occupé par une nation dans les limites qui la
séparent des nations voisines.4 Peu importe qu'il soit arrondi,
morcelé ou enclavé : les droits de souveraineté et d'indépendence
sont toujours les mêmes. Quelquefois un ou plusieurs terri-
toires enclavés dans un autre, relèvent de la suzeraineté de
ce dernier, tout en obéissant à leur propre souverain et à une
administration distincte (territoria subordinata) ; en même temps
que, vis-à-vis des puissances étrangères, ils ne figurent que
comme portions accessoires du territoire principal. Telle fut,
par exemple, la condition de la principauté de Bar dans l'an-
cienne France: telle est celle de plusieurs principautés d'Alle-
magne.6 — Deux ou plusieurs États peuvent encore exercer la
l) Seneca, Orat. 31. Les ouvrages indiqués par Struve, Biblioth. jur.
imp. H, 11 et par Piitter, Litter. des Staatsr. III, p. 378. V. aussi Vattel
I, 20. 235. 244. H, 7. 81. Rutherford, Instit. II, 9. 6.
*) V. surtout Schmelzer, Das Verhàltnifs auswârtiger Kammerguter.
HaUe 1819. p. 48. 179 suiv. •
3) Des dispositions semblables existent dans plusieurs États , p. ex.
en Mecklembourg. V. Gtinther II, 216. Klûber, Droit des gens. § 124. 128.
4) Moser, Grands, in Friedenszeiten. 361. Idem, Versuche. V, 58. 164.
B) V. Heffter, Beitr. zu dem Staats- und Fûrstenr. I, p. 289 suiv.
142 LIVRE PREMIER. § 66.
souveraineté divise ou indivise d'un territoire étranger (condomi-
nium): à ce titre, par exemple, la Prusse et la principauté de
Lippe possédaient en commun la ville de Lippstadt.1 — Autrefois
on admettait encore, surtout en Allemagne, une distinction entre les
territoires clos et non clos (territ. clausa, non clausa), selon que la
souveraineté était exercée par un pouvoir central et unique, ou
qu'elle rencontrait des interruptions fréquentes dans les exemptions
et les privilèges locaux. Les révolutions du commencement de
notre siècle et l'acte de la Confédération rhénane (art. 34) ont
mis fin à cet état de choses, qui d'ailleurs existait plutôt en
théorie que dans la pratique.2
lies limites territoriales de tous les États actuels reposent
sur une base essentiellement artificielle. Jusqu'à ce jour la science
politique n'a pas encore réussi à découvrir les limites naturelles
des nations. Quelquefois le séjour prolongé d'une race dans une
autre contrée et sous un nouveau climat, suffit pour la dénatio-
naliser. Des États intermédiaires se placent naturellement et
forment des transitions entre les nations fortement caractérisées
de l'Europe: c'est ainsi que la Belgique et la Suisse forment
des barrières naturelles entre l'Allemagne et la France, les Pays-
Bas entre l'Allemagne et l'Angleterre. Le génie de Montesquieu
a le premier aperçu les rapports profonds qui rattachent les
nations aux territoires par elles occupés.8
LIMITES DES TERRITOIRES.4
§ 66. Les limites d'un territoire ou d'un État sont physiques
ou intellectuelles. Les limites physiques sont la mer, les hautes
montagnes, les terrains incultes ou inoccupés. Les rivières, loin
d'être des barrières naturelles, forment au contraire de vraies ar-
M. H. Griebner, s. C. H. Drewer, De jure territorii subordinati. Diss. I et II.
Lips. 1727. Merlin, Répert. univ. m. Bar.
1) J. A. Frommann, De condominio territorii. Tttb. 1682. G. J. Wag-
ner, De condominio territorii dissertât. Mogunt. 1719.
2) V. Hildebrand, De territ. clauso e*t non clauso. Altorf. 1715.
Kluber, Oeffentliches Recht des deutschen Bundes. § 277.
s) V. aussi Ideen tiber das politische Gleichgewicht. Leipz. 1814.
chap. IV.
4) V. les ouvrages indiqués par de Kamptz. § 106. Gttnther II, p. 170.
§ 66. DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 143
tères de communication des différentes nations. Lorsque les
bords d'un fleuve ont été fixés comme limites, il n'est pas permis
de les étendre jusqu'à la moitié du lit, et lorsqu'un fleuve ap-
partient entièrement à un pays, les deux rivages en font in-
contestablement partie. Cependant plusieurs auteurs ont soutenu
la thèse contraire.1
Les limites artificielles consistent dans des lignes purement
conventionnelles, ordinairement faciles à reconnaître par des
signes extérieurs placés à certaines distances, tels que palis-
sades, fossés, tonnes, digues. Elles reposent tantôt sur des traités
formels, tantôt sur une possession immémoriale et non contestée.
Des frontières contestées sont réglées par des commissions spé-
ciales ou par des traités:2 s'il devient impossible de retrouver
les véritables limites, le terrain contesté est partagé ou déclaré
neutre, et occupé en commun jusqu'au règlement définitif. C'est
le mode adopté, par exemple, à l'égard du district des mines
de Moresnet, situé entre la Prusse rhénane et la Belgique.8 Si
un fleuve sépare deux États, l'empire de l'un et de l'autre s'étend
jusqu'au milieu du fleuve. Quelquefois le lit dit „ Thalweg " sert
de limite, comme le lit du Rhin*, ce mode a encore été adopté
dans le traité conclu en 1809 entre la Russie et la Suède.4
Si un fleuve se détourne entièrement de son cours et se jette
dans un territoire voisin, le lit qu'il abandonne reste alors pour
limite. Les droits de navigation de l'État exclu du nouveau lit
deviennent en ce cas l'objet d'un nouveau règlement.5 H en sera
de même quant aux lacs situés entre deux territoires : il faudra
appliquer également les dispositions du droit civil.6 Nous traite-
rons plus loin des limites maritimes d'un territoire (§ 75).
1) V. Gûnther H, 20. 21.
2) Gûnther H, 176. 184 suiv. Bielefeld, Institut, polit. II, 6. § ,22. 2&
») Moser, Vers. V, 25. 354. Giinther E, 17. 181.
*) Grotius H, 3. 18. Vattel I, 22. 266. de Martens § 121. Gûrittogr-.
H, 20. Schmelzing § 220. Klûber § 133.
6) Grotius H, 3. 17. Pufendorf IV, 7. 11. Vattel § 270. Gûnther
II, 25. 198.
6) Gûnther II, 55. 203. Des dispositions spéciales règlent le lac de
Constance. V. déjà Buder, De dominio maris Suevici. Jen. 1742. Moser,
Nachbarl. Staatsr. 440.
144 LIVRE PREMIER. § 67.
ÉTENDUE DU TERRITOIRE.
§ 67. Le territoire, avec tout ce qu'il renferme ou ce qui
s'y passe, est soumis à la juridiction de l'État. „Quidquid est
in territorio, est etiam de territorio." La vérité de cet axiome
ne pouvait être contestée qu'à une époque où la souveraineté terri-
toriale n'était pas encore complètement développée.1 — La souve-
raineté s'arrête aux limites du territoire qu'il ne lui est pas
permis de franchir. Elle ne peut donc pas disposer des objets
qui se trouvent en dehors de ses limites, lors même qu'ils ne
seraient pas occupés. Ainsi l'exploitation d'une mine concédée
ne peut jamais s'étendre sur le territoire étranger sans une
autorisation spéciale.2 — Tout ce qui se trouve sur les fron-
tières de pays limitrophes leur appartient en commun.8 L'ex-
territorialité, les servitudes publiques constituent des exceptions
au principe exclusif de la souveraineté territoriale (§ 42, 43 ci-
dessus). Il est certaines choses sans maître, mais qui sont sus-
ceptibles d'être possédées à titre particulier. Les bêtes sauvages,
par exemple, tant qu'elles errent sur le territoire d'un pays,
deviennent sa propriété passagère (dominium transiens) qui
cesse dès qu'elles le quittent. Elles ne sont donc pas suscep-
tibles d'une revendication. D'après Grotius, elles sont la propriété
commune du genre humain et des États.4
Ces diverses distinctions ont beaucoup préoccupé les an-
ciens auteurs : aujourd'hui elles ne présentent qu'une importance
secondaire. Les législations civiles des différentes nations et les
traités publics indiquent les choses qui sont susceptibles d'être
possédées à titre particulier, ainsi que les droits de l'État à
leur égard.
1) C'est ainsi que Thomase écrivait la thèse ainsi intitulée: De inu-
tilitate brocardici: Quidquid est in territorio est etiam de territorio.
2) Comp. aussi Vattel H, 7. 86 suiv.
3) Ainsi suivant Ch. A. Menius, Dissert, de finib. territ. Lips. 1740.
§ 20 les arbres plantés sur la frontière appartiennent au territoire du
côté duquel se trouvent les bornes indicatives de la frontière.
4) Grotius, De J. B. ac P. H, 3 in fine; H, 4. 14. Pufendorf IV,
6. 4 suiv.
§ 68. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 145
DÉPENDANCES DE L'ÉTAT ET COLONIES.1
§ 68. Sont considérés comme dépendances d'un État les
droits réels qu'il possède dans un territoire étranger, tels que
des servitudes actives, des immeubles, des droits de suzeraineté
et d'usufruit (§ 43 et 64 ci-dessus) qui, par le seul fait de leur
acquisition, obtiennent un caractère réel. Sont encore considérés
comme dépendances les terres, les districts, les pays expressé-
ment annexés, qui, bien que situés hors du territoire principal,
étant dépouillés cependant de leur autonomie, sont régis par
la même constitution, et qu'une administration commune fait
comprendre sous une dénomination générique (§ 20. 1). Régu-
lièrement la qualité de dépendance d'un territoire peut être l'effet
seulement d'un titre formel. Elle ne résulte pas notamment de
cette circonstance qu'à une certaine époque un gouvernement
y jouissait de certains droits qui ont cessé par la suite. C'est
ainsi que la politique de réunion de Louis XIV, en s'appuyant
sur quelques dispositions du traité de Mttnster de 1648 (XI, 70)
prétendait au xvne siècle faire revivre des droits depuis long-
temps éteints. — Le chef d'un État ne transmet aux succes-
seurs du pouvoir que ce qu'il possède en sa qualité de souve-
rain, non pas à titre privé ou patrimonial; lorsque la transmission
s'opère en vertu d'un acte de cession, les stipulations de l'acte
déterminent les limites des droits souverains transférés. En cas
de doutes il faut interpréter ces droits comme étant restés com-
muns entre le cédant et le cessionnaire. Ces doutes se pré-
sentent souvent dans l'interprétation des traités de cession, et il
est prudent d'éviter à ce sujet des termes trop génériques.
Les colonies fondées par un État dans un territoire étranger
ne peuvent pas toujours être considérées comme dépendances
de cet État ou comme domaines de son souverain.2 Quelquefois
v
l) S. Stryck, De probatione pertinentiarum. Frcf. Viadr. 1668. H. Engel-
brecht, De reunione pertinentiarum. Helmst. 1715. Gunther H, p. 178.
*) Pour l'histoire des colonies chez les anciens voir Hegewisch, Nach-
richten die Colonien der Griechen betreffend. Altona 1808. Raoul-Rochette,
Histoire critique des colonies etc. Paris 1815. Heeren, Ideen zur Ge-
schichte der Menschheit. — L'histoire des colonies modernes est disséminée
10
146 LIVRE PREMIER. § 69.
les citoyens d'un pays, en renonçant à leur mère -patrie, sont
allés s'établir sur un sol vierge, libre encore de toute autorité
souveraine, et y ont fondé, avec leurs propres ressources et
avec leurs seuls moyens, de nouveaux États. Telle ftit en gé-
néral la politique coloniale de la Grèce, politique qui permettait
aux colonies de se développer avec une entière liberté et
d'atteindre la haute prospérité dont jouissaient plusieurs d'entre
elles. De nos jours on peut citer à ce sujet l'exemple du Para-
guay. Mais le plus souvent la politique moderne n'a vu dans
les colonies que des voies commodes pour remplir les caisses du
trésor de la métropole, en les soumettant à un régime d'ex-
ploitation par des compagnies privilégiées et à une administration
conçue dans l'esprit de monopole.1
Les colonies placées sous le gouvernement direct de la
métropole en forment une dépendance naturelle. Quelquefois une
colonie relève de l'autorité suzeraine du territoire où elle a été
fondée, en même temps que les colons conservent les droits de
cité dans leur mère-patrie et jouissent de sa protection.2 Dans
des contrées dépourvues de toute autorité souveraine, les rap-
ports légaux des colonies peuvent présenter des difficultés sé-
rieuses entre les diverses puissances, comme, par exemple, dans
les colonies européennes établies sur les côtes occidentales de
l'Afrique. Le maintien seul du status quo permettra, dans ces
cas, de prévenir des conflits fréquents.
MODES D'ACQUISITION DU DOMAINE INTERNATIONAL.8
§ 69. Le droit international admet comme modes d'acqui-
sition réguliers les actes et les événements seulement qui, sans
violation de droits préexistants, ont pour objet de garantir d'une
manière permanente la disposition directe et exclusive de cer-
encore dans quelques ouvrages spéciaux. Quelques notices se trouvent
chez Moser, Beitr. zum neuesten europâischen Vôlkerr. V, 398 suiv., et
dans l'art, de Roscher, Ueber Colonialwesen, inséré dans Rau, Zeitschrift
der politischen Oeconomie. Neue Folge VI, 1.
*) V. Giinther n, 132.
2) V. Grotius II, 9, 10 et le comment, de Cocceji; Vattel I, 18, § 210.
8) Ortolan, dans la Revue de législation. Paris 1849. HL p. 5 suiv.
§ 69, DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 147
taines choses, et notamment de certains territoires, à un ou à
plusieurs États. Ces modes sont la cession ; les accroissements
naturels et l'occupation.
I. La cession ou succession conventionnelle de droits souve-
rains peut être obtenue par des voies pacifiques ou par la guerre.
Elle n'opère la transmission de la propriété à l'égard de tiers,
que du moment où l'acquéreur réunit en lui la volonté et la
faculté de disposer de la substance physique de la chose d'une
manière directe. Jusque-là il ne jouit que d'un droit à la pro-
priété, droit dont l'exercice, pourvu que le titre réunisse les condi-
tions prescrites, ne rencontrera aucune entrave, mais qui n'ex-
clura pas les effets intermédiaires d'une possession tierce. Il faut
en conséquence, si l'acquéreur ne se trouve pas déjà saisi, qu'une
mise en possession ou tradition s'opère à son profit. C'est cette
faculté de disposer librement de la substance de la chose, qui
est le signe incontesté de la propriété à l'égard des tiers: les
fictions légales et l'exécution forcée sont des remèdes de droit
civil, impraticables en matière internationale. Tout au plus la
volonté clairement exprimée et rendue publique peut être re-
gardée comme translative de la propriété. Les anciens auteurs,
et en partie encore les modernes, sont peu d'accord sur cette
question.1
II. Les accroissements et les transformations naturels des
objets, la naissance de nouvelles îles dans les limites territoriales
ou maritimes d'un État, les alluvions constituent un second mode
d'acquisition. Les principes du droit romain, qui répondent si
bien à la nature des choses et à l'équité, sont d'une application
incontestable dans cette matière et ont été adoptés par toutes
les nations.9 Il est encore incontesté que tout ce qui se trouve
en dehors des terres d'alluvion, ne peut s'acquérir que par voie
d'occupation. Il y aurait une prétention arbitraire à vouloir re-
vendiquer, au profit d'un territoire, comme ses dépendances, de
nouvelles îles qui se sont formées en dehors de ses limites;
telle serait celle qui regarderait la Hollande comme une simple
alluvion du Rhin. Tant qu'une alluvion peut être ramenée à son
1) V. Gttnther n, 86. Ortolan, loc. cit. no. 120. 55. (m, 38.)
2) de Cancrin, Wasserr. m, 2. Gtinther n, 57 — 62.
10*
148 LIVRE PREMIER. § 70.
état primitif, elle ne constitue pas un objet d'acquisition.1 —
Quant aux fruits, le droit international n'admet pas la règle du
droit civil que le possesseur fait les fruits siens. Il peut en dis-
poser de fait, il peut s'approprier des fruits industriels, mais il ne
peut pas refuser au propriétaire la restitution des fruits naturels.2
m. L'occupation des biens sans maître dont nous allons
parler au paragraphe suivant, forme un troisième mode d'ac-
quisition.
Quant à la prescription et à la possession immémoriale,
nous avons déjà vu qu'elles peuvent, jusqu'à un certain point,
tenir lieu d'un titre d'acquisition valable. On rencontre surtout
en Allemagne un grand nombre de droits souverains qui ne re-
posent sur aucun autre fondement que sur une longue posses-
sion (§ 11).
DROIT D'OCCUPATION.
§ 70. Pour occuper valablement, il faut que les biens soient
sans maître, et qu'à l'intention d'en acquérir le domaine, vienne
se joindre le fait de la prise de possession effective. Examinons
chacune de ces trois conditions.
I. L'occupation ne s'applique qu'aux biens qui, quoique
susceptibles d'être possédés, n'ont pas de maître. Elle ne s'étend
pas aux personnes3 qui ne peuvent être l'objet que d'une sou-
mission soit volontaire soit forcée. L'occupation s'applique no-
tamment aux contrées ou aux îles non habitées ou non occupées
entièrement, mais aucune puissance sur la terre n'a le droit
d'imposer ses lois à des peuples errants ou sauvages mêmes.
Ses sujets peuvent chercher à nouer des relations commerciales
avec ces derniers, séjourner chez eux en cas de nécessité, leur
demander les objets et vivres indispensables, et même négocier
avec eux la cession volontaire d'une portion de territoire destinée
à être colonisée. — La nature, il est vrai, ne défend pas aux
nations d'étendre leur empire sur la terre. Mais elle ne donne
Â) Wheaton, Intern. Law. I, p. 216. V. aussi § 72, II, a.
2) V. Grotius II, 8, 23 et 10, 4. Pufendorf IV, 7. 23. Comp. cependant
§ 73 in fine.
3) Grotius II, 9. 1. Ortolan, Du dom. internat. 75 suiv.
§ 70. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J49
pas le droit à une seule d'entre elles d'établir sa domination
partout où cela lui convient. La propagande de la civilisation,
le développement des intérêts commerciaux et industriels, la
mise en activité de valeurs improductives, ne le justifient pas
non plus. Tout ce qu'on peut accorder à ce sujet, c'est que, dans
un intérêt de conservation du genre humain, il sera permis aux
nations de se réunir, pour se faire ouvrir d'un commun accord
les ports d'un pays fermé hermétiquement à leur commerce.1
H. Toute occupation suppose une volonté bien arrêtée de
s'approprier d'une manière permanente des biens sans maître.
Personne ne peut acquérir à son insu et involontairement.
El. La volonté d'appropriation doit être suivie d'une prise
de possession effective, et être constatée par des mesures propres
à établir une domination permanente. Le domaine ainsi acquis
ne se perd pas par une interruption momentanée et transitoire.
De simples déclarations verbales au contraire, des signes incer-
tains d'une appropriation projetée, lorsqu'ils sont contredits par
les faits et qu'ils rendent l'intention douteuse, ne pourront pas
être regardés comme un titre valable, bien que la pratique des
nations ait quelquefois autorisé des mesures semblables.2
On peut d'ailleurs prendre possession au nom d'un tiers,
en vertu d'un pouvoir général ou spécial, et le domaine lui sera
acquis dès le moment de la prise de possession.8 On peut éga-
lement, par une ratification subséquente, valider l'occupation
effectuée par un „negotiorum gestor" et acquérir ainsi la pos-
session ou le domaine dès l'instant de la ratification et après
en avoir pris connaissance, en vertu de cet axiome „ignoranti
non acquiritur possessio."4 La prise de possession qui a lieu
au nom de plusieurs États les rend copropriétaires par indivis,
*) V. Vattel I, 18, § 205 suiv. Gtinther II, 9. Wildman, I, 70. Z.
*) Grotius. Vattel 1, 18. 207. 208. Gtinther II, 11. Ortolan no. 68 suiv.
Wildman I, 69. Sur la controverse engagée à l'occasion de l'ouvrage de
Bynkershoek intitulé: De dominio maris, cap. 1. V. Klttber, Droit des
gens. § 126.
8) V. les exemples dans Wheaton, Intern. Law. I, p. 209. Un pouvoir
tacite, qui serait donné à tous les sujets d'un État, est inadmissible. Il
n'y a que l'esclave qui puisse acquérir de plein droit pour son maître.
4) V. de Savigny, Besitz. p. 365.
150 LIVRE PREMIER. § 71,
à moins qu'il n'ait été procédé à une délimitation de leurs por-
tions respectives. Autrefois ce fut le pape qui statuait sur les
contestations nées à l'occasion de découvertes de nouvelles terres.
Le partage des Indes, opéré par lui entre l'Espagne et le Por-
tugal, en est un exemple célèbre.1
ALIÉNATION DU DOMAINE INTERNATIONAL.
§ 71. Les modes d'aliénation du domaine public sont en
général ceux du droit civil. En dehors de la vente et de l'échange
(§ 72), nous distinguons surtout ceux de constitution de rente,
de fief et d'hypothèque.
I. La constitution d'une rente perpétuelle au profit d'un État
ou d'une personne étrangère, était un mode très -usité autrefois.
Le recès de l'Empire germanique de 1803, dont les dispositions
à ce sujet ont été reproduites par l'Acte de la Confédération rhé-
nane et par celui de la Confédération germanique, stipule de
nombreuses rentes au profit des princes médiatisés et non mé-
diatisés. A défaut de stipulations contraires, elles grèvent la
totalité des biens susceptibles de porter des fruits et affectés à
leur payement, et elles ne s'éteignent que par la destruction
complète de ces biens ou par l'impossibilité d'en tirer des
fruits. Si leur perte n'était que partielle, le montant de la rente
serait réduit proportionnellement jusqu'à leur rétablissement in-
tégral. C'est ce qu'a déjà décidé une bulle rendue par le pape
Pie V en 1569: „Census omnes in ftiturum creandos re in totum
vel pro parte perempta, aut infructuosa in totum vel pro parte
effecta, volumus ad ratam perire."3
*) V. les bulles de 1454, 1481 et 1493 dans Du Mont, Corps univ.
m, 1, 200. m, 2, 302. Schmauss, Corp. jur. gent. I, 112. 130. Gûnther
II, 7. Walter, Kirchenr. § 342.
2) Une rente ne peut être constituée que sur les fruits d'une chose.
V. Multz, De censibus. Altorf 1659. th. 11 et 13. Martini, De jure censuum.
Colon. 1660. IV. no. 1. Grusemann, De censu reserv. Rinteln 1705. § 12.
8) Magn. Bullar. Rom. t. H, p. 295. G. Frantzke, Var, résolut. IV, no. 9.
Multz I, c. th. 69. Cette règle néanmoins n'est pas admise généralement.
V. Censius, S. Rotae Rom. decis. ad tract, de censib. Lugd. 1658. deo. 1.
Martini, loc. cit. chap. VIII. no. 224 suiv. Zoll, De censu reserv. Rinteln
1705. § 21.
§ 71. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J5J
H. La constitution d'un fief au profit d'étrangers est un
second mode de transmission.1 La validité de cet engagement et
ses effets légaux sont jugés d'après les lois particulières de
chaque État, excepté les fiefs situés dans un territoire étranger
(feuda extra curtem) lesquels sont régis par les lois et les usages
de ce dernier.2
El. Enfin le territoire d'un État peut, en entier ou en partie,
être engagé, hypothéqué, ou donné en nantissement à un créan-
cier, avec le droit de juridiction souveraine. Des engagements
semblables très-usités autrefois,8 sont devenus très-rares aujour-
d'hui La Corse engagée, du moins en apparence, en 1768 à la
France par la république de Gênes, la ville de Wismar hypo-
théquée en 1803 encore par la Suède au duché de Mecklem-
bourg, en sont des exemples récents.4 Mais en général les usages
internationaux ont remplacé ces sortes d'engagements par l'af-
fectation spéciale de certains biens ou revenus au payement des
emprunts contractés par l'État, affectation qui, pour être efficace,
doit être faite conformément aux lois de cet État. Le langage
diplomatique comprend même sous la dénomination de „ dettes
hypothéquées" celles contractées au profit d'un pays ou de
certains districts, et il n'entend par là que l'engagement per-
manent qui les grève, sans y attacher aucunement la significa-
tion d'une hypothèque civile.5
La question de savoir si un souverain peut, pour la ga-
rantie des emprunts par lui contractés, engager valablement les
*) Gûnther H, 152. 159.
*) Griebner, De domino directo in territorio alieno. (Jenichen, Thés,
jnris feud. H, 206.) de Cramer, Observ. juris univ. 741, § 14. Du Moulin,
sur la coutume de Paris. § 12. no. 4 et sur Chassaneul , De feudis. III,
§ 7. Cujac. lib. I. feud. cap. 2.
3) J. P. 0. V, 26. 27. de Senkenberg, De reluitione territ. oppignor.
Halae 1740. N. H. Gundling, De jure oppignorati territorii. Halae 1706.
rec. 1741. de Neumann in Wolffsfeld, Jus reale principum. (t. IV.) m,
3, 400 seq.
*) de Martens, Recueil. VIH, 1. 229; VIE, 54.
6) D. Haas, Ueber das Repartitions-Princip der Staatsschulden. Bonn
1831. § 24 suiv. Pour ce qui est du § 80 du recès de l'Empire germanique
de 1803, voy. Leonhardi, Austrâgalverfahren. n, 161. 314. 405; I, p. 640.
Emminghaus, Corp. jur. germ. acad. p. 930.
152 LIVRE PREMIER. § 72.
biens particuliers de ses sujets, ne peut être résolue, d'après
les principes du droit public interne, que négativement, les cas
de nécessité seuls exceptés.1
COMMENT SE PERD LE DOMAINE INTERNATIONAL.
§ 72. Le domaine international se perd dans les cas
suivants :
I. Quant aux choses qui ne se trouvent que temporaire-
ment sur un territoire (§ 67), qui n'y ont pas été occupées ré-
gulièrement ou qui ont recouvré leur liberté naturelle, dès le
moment qu'elles en sont sorties.
IL En ce qui concerne le territoire et ses différentes par-
ties, il faut encore distinguer:
1° Dans les cas assez rares qu'on appelle avulsions, si la
pièce de terre qui s'est détachée d'un terrain et s'est jointe
à un autre, n'est pas revendiquée en temps utile par l'an-
cien maître (§69. II), elle cesse de lui appartenir;
2° le domaine se perd encore à la suite d'un abandon et
d'une possession immémoriale;
3° la perte du domaine peut être le résultat d'une cession
volontaire, conventionnelle ou forcée des droits particu-
liers et souverains d'un État au profit d'un autre.
Les charges qui grevaient un territoire cédé, continuent à
subsister sous le nouveau maître (§ 25). Personne en effet ne
peut conférer à un autre plus de droits qu'il ne possède lui-
même, ni porter préjudice aux droits d'un tiers, suivant l'ancien
adage: „Id enim bonorum cujusque esse intelligitur quod aeri
alieno superest." 2 Si la cession ou l'aliénation a pour objet une
portion du territoire, les charges qui grevaient le territoire entier,
sont réparties, à défaut de stipulations contraires, entre ses dif-
férentes parties ,3 à l'exception des charges indivisibles parmi les-
L) Grotius III, 20. 7. Simon, Quomodo jure gent. bona subdit. pro
debitis principis obligari possunt. Jen. 1675. (Praesid. acad. I, no. 20.)
de Neumann in Wolffsfeld, De pact. et contract. Princ. I, 3. 86.
3) L. 31. § 1. D. de Verb. Sign. L. 11. D. de j. fisc.
8) Ainsi jugé par la Cour d'appel de Celle dans l'affaire des Obli-
gations d'Etat du Palatinat rhénan, dans Leonhardi, Austrâgalverfahren.
p. 550. Dans le même sens Cour d'appel de Jena. p. 888. 897.
§ 73. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J53
quelles l'usage diplomatique ne comprend pourtant pas les dettes
dites hypothéquées (§ 71).
Le domaine international peut être revendiqué contre tout
possesseur, même contre celui de bonne foi, sans qu'on soit
tenu de lui rembourser le prix d'acquisition. Il est vrai que les
auteurs ne sont pas tout-à-fait d'accord entre eux sur ce point,
sur lequel la jurisprudence n'est appelée à se prononcer qu'en
de rares occasions. En adoptant à ce sujet l'opinion de Grotius
et de Pufendorf, nous ne faisons que constater les principes de
la justice adoptés par toutes les nations. Car la possession ne
peut, du moins d'une manière absolue, prendre le caractère légal
du domaine. Les irais utiles faits par le possesseur de bonne
foi dans l'intérêt de la chose, et qui ne sont pas compensés
par les fruits perçus, doivent lui être remboursés ; il profite des
fruits par lui perçus avant la demande, lorsque le propriétaire
a gardé le silence. Car par là même ce dernier est censé avoir
ratifié la possession, et il ne peut plus attaquer les actes ac-
complis en conséquence.1
CHOSES NON SUSCEPTIBLES D'ÊTRE POSSÉDÉES. — LA MER.
§ 73. H est des choses qui de leur nature ne peuvent
faire l'objet du domaine privé; tels sont l'air, l'eau courante et
notamment la mer qu'il est impossible d'occuper d'une manière
exclusive et permanente. D'une importance égale pour tous les
hommes, ils ont tous le même droit d'en jouir librement, droit
qui cesse avec l'occupation même.2 Il n'est pas tout aussi con-
stant si l'État ne peut pas acquérir le domaine de ces choses,
et notamment de la mer et de ses différentes portions?8 Cette
') Gûnther II, p. 214. Grotius H, 10. 1. Pufendorf IV, 13.
2) L. 13. §. 7. D. de injur. : „Et quidem mare commune omnium est
et litora sicuti aër. — Usurpatum tamen et hoc est, tametsi nuîlo jure, ut
quis prohiberi possit ante aedes meas vel praetorium meum piscari; quare
si quis prohibeatur, adhuc injuriarum agi potest." L'action injuriarum du
droit romain s'accordait dans le cas où quelqu'un était empêché dans la
jouissance d'une chose commune. On disait alors: Qui priorvenit, potior
jure. V. Klûber, Droit des gens. § 47.
8) V. les ouvrages indiqués par d'Ompteda § 218 suiv. de Kamptz
§172 suiv.; surtout de Cancrin, Abhandlungen von dem Wasserrechte.
154 LIVRE PREMIER. § 73.
question a divisé les nations à toutes les époques. Le moyen
âge encore imbu des idées romaines , en se fondant sur la loi
9 Dig. de 1. Rhodia: „Ego quidem mundi dominus," attribuait à
l'empereur Romain le domaine éminent de la mer/ quoiqu'il
ne soit guère à présumer que les Romains eux-mêmes aient
accordé à leur empereur un droit semblable. Aussi Venise se
regardait -elle à cette époque comme le souverain de l'Adria-
tique, en même temps que Gênes revendiquait l'empire ex-
clusif de la mer de Ligurie.2 Lorsque plus tard l'Espagne et
le Portugal entrèrent en lice pour se frayer de nouvelles routes
vers les Indes, elles s'arrogèrent le domaine des mers par
elles découvertes. La Grande-Bretagne de son côté prétendait
jouir de la souveraineté des quatre mers qui entourent les îles
britanniques (the narrow-seas), sans toutefois jamais en indiquer
les limites exactes.8 C'est contre toutes ces prétentions que Gro-
tius écrivit son célèbre traité intitulé: „Mare liberum," publié
pour la première fois à Leyde en 1609, et qu'il ouvrit ainsi
la lice à cette question de droit politique. Ces prétentions ont
été abandonnées successivement, et c'est le droit au salut du
pavillon qui seul a continué à être revendiqué jusqu'à nos
jours par la Grande-Bretagne dans ses mers intérieures, droit
toutefois qu'on ne saurait regarder absolument comme un signe
de domaine.4 On s'accorde en outre généralement à reconnaître
que le domaine, ou ce qui est synonyme, l'empire de chaque
État s'étend:
Halle 1789. Gilnther II, 25. Kltiber § 130. Wheaton, Intern. Law. I, 4.
§ 10 et Histoire des progrès, p. 99 suiv. (I, p. 198. 2.) Pôls, Seerecht.
IV, §495. Ortolan I, p. 109 suiv. Hautefeuille, Des droits des nations
neutres. Paris 1848. 1. 1, p. 175 suiv. et surtout la dissertation de B. D. H. Tel-
legen, Disp. de jure in mare, impr. proximum. Gron. 1847.
l) V. F. G. Pestel, De dominio maris mediterranei. Rinteln 1764.
*) V. Tellegen p. 9.
8) Wheaton, Progr. p. 101 (I, 200). L'ouvrage principal dans lequel
les anciennes prétentions de l'Angleterre ont été discutées, est celui de
J. Borough, Imperium maris Britannici. Lond. 1686. V. aussi Tellegen
p. 36 suiv.
4) Wheaton, Intern. Law. 1. c. § 9. Edinburgh Review XL, p. 17 suiv.
Hautefeuille I, p. 212.
§ 74. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 155
aux cours des rivières qui coulent sur son territoire;
aux baies, aux détroits , aux ports et aux havres que les
terres environnantes semblent enclore et dont on peut,
par des ouvrages extérieurs, défendre les approches contre
des entreprises ennemies;
aux eaux de la mer qui coulent le long des côtes, aussi
loin que la possession en peut être protégée par la portée
du canon ou par une marine suffisante (quousque mari
e terra imperari potest). La jurisprudence des nations,
d'accord sur le principe, diffère seulement sur la distance
des limites maritimes. Les auteurs italiens avaient pro-
posé d'abord celle de cent, plus tard celle de soixante
lieues. Depuis on a adopté généralement l'opinion de
Grotius. C'est Bynkershoek, son compatriote célèbre, qui
Ta fixée en ce sens que tout l'espace de la mer qui
est à la portée du canon le long des côtes, est regardé
comme faisant partie du territoire. „Terrae dominium
finitur, ubi finitur armorum vis."1 Nous y reviendrons
au § 75.
DU DOMAINE DE LA MER.2
§ 74. En considérant seulement les rapports naturels des
hommes entre eux et avec le monde physique, on ne saurait
nier qu'une ou plusieurs nations ne puissent réunir les forces
nécessaires pour exercer l'empire d'une mer intérieure ou même
du vaste Océan, et dicter les lois sous lesquelles il sera
permis aux autres d'y naviguer. Mais cet empire ou cette supré-
matie, en dehors des difficultés qu'il présenterait et qu'aucune
nation ne pourrait surmonter dès que les autres résisteraient
à ses prétentions, serait en même temps illicite et contraire
à la liberté et à la mission du genre humain, avec quelque
modération d'ailleurs qu'il pût être exercé. Il aurait pour effet
l) V. TeUegen p. 11. 13. 35. Don Carlos Abreu, Tratado sobre las
prisas maritimas. Cadix 1746. Bodin. de republ. I, 9 (corn p. TeUegen
p. 15). Gûnther II, 52. Voy. aussi plus bas § 76.
*) On peut consulter avec fruit Ortolan, Règles internat, de la Mer,
I, p. 116 suiv. Hautefeuille I, 190. Wildman I, p. 72.
156 LIVRE PREMIER. § 74.
d'imposer aux nations indépendantes des conditions relatives à
l'usage d'un élément qui forme la seule voie de communication
entre les diverses parties du globe, voie qu'il est impossible de
réglementer. Il impliquerait la faculté de priver le genre hu-
main de la pêche des poissons, de fossiles et de tant de ri-
chesses naturelles; des efforts gigantesques suffiraient à peine
pour en assurer à un peuple la possession exclusive dans
un seul district maritime. La loi naturelle qui s'oppose à ce
que l'homme en possession de la plénitude de sa volonté mo-
rale, puisse être soumis aveuglément aux commandements d'un
autre, s'oppose à plus forte raison à ce qu'une nation, en s'em-
parant d'une chose commune à toutes, vienne dicter aux autres
des lois obligatoires qu'elles n'auront pas librement acceptées.
Elles devront au contraire les combattre avec toutes leurs
forces. Aussi l'idée d'un empire semblable a-t-elle rencontré
toujours une opposition énergique. Le droit public de l'Europe
n'admet donc aucune espèce de domaine sur l'Océan et ses
différentes parties, aussi loin que leurs eaux sont accessibles à
la navigation des peuples et des individus, à moins que des
traités ou une tolérance tacite ne dérogent au principe de la
liberté des mers, dérogation qu'un auteur célèbre regarde
comme non obligatoire.1 C'est ainsi que la police et la sur-
veillance de certains districts maritimes, dans un intérêt de
commerce et de navigation, ont été confiées à l'État le plus
voisin, en même temps que, pour indemnité des charges qui
résultent de cette police, ce dernier perçoit certains droits de
péage souvent fort lucratifs. L'intérêt de la conservation peut
en outre conférer à un État certains droits sur un district mari-
time (§ 75 ci -après).
L'acquisition exclusive d'une portion quelconque du vaste
Océan par voie d'occupation au contraire est juridiquement im-
possible. L'endiguement d'un district maritime par des travaux
de défense de toute espèce, dès qu'il n'aura pas obtenu le con-
sentement des autres nations, ne constituerait jamais qu'un simple
fait, qui disparaîtra avec la destruction de ces travaux. De
même le long usage, lorsqu'il ne résulte pas d'une manière in-
*) Hautefeuille I, p. 222.
§ 75. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 157
contestée d'un acquiescement tacite et général des nations, ne
conférera aucun droit exclusif sur la mer dont l'usage est une
„res merae facultatis." l
LA MER PRÈS DES CÔTES PEUT ÊTRE SOUMISE
A LA PROPRIÉTÉ.8
§ 75. Les États maritimes ont le droit incontestable, tant
pour la défense de leurs territoires respectifs contre des attaques
imprévues, que pour la protection de leurs intérêts de commerce
et de douanes, d'établir une surveillance active sur les côtes
et leurs voisinages, et d'adopter toutes les mesures nécessaires
pour fermer l'accès de leurs territoires à ceux qu'ils refusent
d'y recevoir, ou qui ne se seront pas conformés aux dispositions
des règlements établis. C'est une conséquence naturelle de ce
principe général: „Nam quod quisque propter defensionem sui
fecerit, jure fecisse videtur."3 Chaque nation est donc libre
d'établir une surveillance et une police de ses côtes, comme
elle l'entend, à moins qu'elle ne soit liée par des traités. Elle
peut, d'après les conditions particulières des côtes et des eaux,
fixer la distance convenable. Un usage commun a établi à cet
effet la portée du canon comme la distance qu'il n'est permis
de franchir qu'en des cas exceptionnels, ligne de limite qui non
seulement a obtenu les suffrages de Grotius, de Bynkershoek,
de Galiani, de Kliiber, mais qui a été consacrée également dans
les lois et les règlements de beaucoup de nations.4 Mais certaine-
ment on peut soutenir avec Vattel que la domination de l'État sur
•la mer voisine s'étend aussi loin qu'il est nécessaire pour sa
sûreté et qu'il peut la faire respecter; et l'on pourra regarder
avec Bayneval la distance de l'horizon qui peut être fixée sur les
x) Vattel I, 23. § 285. 286. Wheaton n'admet pas ici un consen-
tement tacite (Intern. Law § 10 in fine).
*) Hautefeuille I, 234.
s) L. 3. Dig. de just. et jure. V. Vattel I, 23. § 288.
4) V. les indications dans Tellegen p. 46. Ortolan, Règl. intern. I,
p. 176. Hautefeuille I, p. 239. Wildman I, p. 70, b. Traité entre la France
et la Russie du 11 janv. 1787, art. 28; entre l'Angleterre et l'Amérique
du Nord de 1794, art. 25. — Jacobsen, Seerecht. p. 580 fait remarquer que
par suite de la marée, la limite de la côte est variable. Un traité conclu
158 LIVRE PREMIER. § 75.
côtes, comme limite extrême des mesures de surveillance.1 La
ligne de la portée du canon elle-même, bien qu'elle soit re-
gardée comme de droit commun, ne présente aucune base in-
variable et peut être fixée par les lois de chaque Etat, du moins
d'une manière provisoire. Autrefois elle comptait deux lieues:
aujourd'hui elle comprend ordinairement trois milles marins.
C'est ce qu'établissent les traités anglo-américain du 28 octobre
1818 (art. 1) et anglo- français du 2 août 1839 (art. 9 et 10),
ainsi que la loi belge du 7 juin 1832.a
Tout navire qui franchit les limites maritimes d'une nation
doit se conformer aux dispositions des règlements établis, peu
importe qu'il soit entré volontairement ou par suite d'une force
majeure. A cet effet les États souverains jouissent de certains
droits incontestés, qui sont:
1° le droit de demander des explications sur le but du
voyage du navire: si la réponse est refusée ou si elle
paraît inexacte, les autorités des lieux peuvent, par des
voies directes, prendre connaissance du véritable but du
voyage et, en cas d'urgence, prendre des mesures pro-
visoires commandées par les circonstances;
2° le droit d'empêcher que la paix ne soit troublée dans
leurs eaux intérieures et d'y intervenir de facto;
3° celui de faire des règlements relatifs à l'usage des eaux
qui baignent les côtes, par exemple, le droit de régler les
différentes espèces de pêche;
4° le droit de mettre l'embargo et d'établir des navires croi-
seurs pour empêcher la contrebande (§ 112);8
5° enfin le droit de juridiction.4
entre la France et l'Angleterre le 2 août 1839 et relatif à la pêche dans
le Canal, prend pour base la marée basse.
*) Vattel I, 23. § 289. Rayneval, Instit. du droit des gens. H, 9. § 10.
2) Jacobsen, Seerecht. p. 586. 590. Tellegen p. 50. En Espagne on
prend pour limites six lieues (millas). Riquelme I, p. 253.
8) Moser, Vers. VU, p. 801 suiv.
4) Dans les deux éditions précédentes nous avons émis des doutes
relativement à ces deux derniers points, qui cependant sont la consé-
quence naturelle des autres et admis en outre par l'usage, ainsi que par
les auteurs de cette matière spéciale. Y. Ortolan, Régi, intern. I, p. 175.
Tellegen p. 54.
| 76. DEOIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 159
Le simple passage d'an navire étranger dans les eaux qui
forment les limites maritimes d'un État, n'autorise pas ce dernier
à l'assujettir à certains droits de péage, excepté ceux qui grèvent
l'usage des établissements de navigation ou des pêcheries.
Des concessions volontaires des nations peuvent seules faire
naître d'autres droits que ceux que nous venons d'indiquer. Le
péage du Sund qui appartient à la couronne de Danemark, pré-
sente sous ce rapport un exemple unique en son espèce.1
D'UNE MER ENCLAVÉE DANS LES TERRES D'UN ÉTAT.8
§ 76. D'après le principe établi ci-dessus (§ 74), le terri-
toire commun à toutes les nations sur la haute mer, la mer
libre, n'a d'autres limites que les côtes; et les portions de ce
grand système maritime, qui, bien qu'enclavées dans les terres
d*un État, communiquent par des détroits avec la haute mer,
ne forment aucune exception de la règle fondamentale. Les
dépendances d'un pays en sont seules exceptées, et sont re-
gardées comme telles:
1° Les canaux artificiels qui communiquent avec la mer;3
2° les ports et les havres, soit artificiels soit naturels, qui
forment l'accès d'un territoire;4
3° les mers intérieures entièrement enclavées dans le ter-
ritoire d'un Etat et sans communication directe avec
l'Océan.
Toutes les autres parties de la haute mer, et les détroits
qui forment des voies de passage naturelles, sont complètement
l) Y. là -dessus les ouvrages indiqués par de Kamptz § 176. de Steck,
Vers. p. 39. Moser, Kleine Schriften. IX, p. 290 suiv. Vattel I, 23. § 292.
Wheatou, Histoire des progrès, p. 105 suiv. Cette question est traitée d'une
manière étendue dans les Mémoires du Gouvernement Suédois relatif au
péage cft Sund. Stockh. 1839. Réplique du Gouvernement Danois. Ibid. 1840.
W. Hutt, On the Sund -dues. London 1839. Lemonius, Verhâltnisse des
Sundzolles. Stettin 1841. H. Scherer, Der Sundzoll. Berlin 1845. Traité
conclu entre la Grande-Bretagne et le Danemark en 1841, dans Murhard,
N. Bec. gen. H, p. 151.
*) Hautefeuille, Droit des nations neutres. I, 241.
*) Grotius II, 3, § 10, n. 1. 2.
4) L. 15. D. de publicanis. Vattel I, 23. § 290.
160 LIVRE PREMIER. § 76.
libres et les eaux seulement qui baignent les côtes sont sou-
mises à la souveraineté des États riverains. Une mer ne peut
offrir le caractère territorial qui l'assujettit à la domination ex-
clusive d'un seul État, que lorsque ses voies de communication
se sont fermées et ne peuvent plus être rétablies, ou en vertu
d'un consentement, soit exprès soit tacite, de toutes les nations
(§ 74). Plusieurs nations, tant par une extension de leurs droits
sur les eaux des côtes, que par d'autres raisons, et à la faveur
de circonstances particulières, se sont arrogé une espèce de do-
maine ou du moins l'usage exclusif de certaines portions de la
haute mer. Ainsi en Angleterre on comprend sous le nom de
„Kings chambers" les baies situées entre deux promontoires dans
le domaine de l'État. Une interprétation analogue semble avoir
prévalu en France, où l'on excepte seulement les golfes d'une
certaine dimension.1 Elle s'applique encore aux eaux peu éten-
dues qui sont protégées par un territoire ou par ses îles, par
exemple celles appelées l'ancien et le nouveau Haff et celui de
Courlande, celles formées par les irruptions de la Mer du Nord
dans les terres Frises, ainsi que le Zuidersée, qui couvrent
d'anciennes terres fermes. — On a regardé également jusqu'à
une époque fort récente, du moins par rapport à certaines na-
tions, comme mers fermées les suivantes : les mers Noire, d'Egée
et de Marmara, soumises à la suzeraineté de la Turquie, et le
golfe de Bothnie dans la Baltique dominé longtemps par la Suède.2
Le traité de Friedrichsham (-£- septembre 1809), par suite de. la
cession de la Finlande à la Russie, a fixé ce golfe comme li-
mite, et il a prescrit en même temps le partage des îles y situées,
d'après leur proximité des côtes respectives de la Suède et de
la Russie:3 le golfe a donc cessé d'appartenir à la Suède. Quant
à la mer Noire, le traité d'Andrinople et la convention des dé-
troits du 13 juillet 1841, tout en ouvrant ses eaux et self ports
à la marine marchande de toutes les nations, ont maintenu la
1) Wheaton, Elem. I, 1. 4. 7. Hautefeuille I, p. 240.
2) Giinther II, 53. En ce qui concerne la mer du Nord d* Amérique
et le traité y relatif conclu entre la Russie et les États-Unis, v. Wheaton,
Intern. Law. § 5.
8) Martens, Nouv. Rec. 1. 1, p. 19; t. IV, p. 33.
§ 77. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J61
clôture des détroits du Bosphore et des Dardanelles à l'égard
du pavillon de guerre des puissances étrangères.1
Tous les hommes ont un droit égal de jouir librement et
de se rendre maîtres par voie d'occupation de ce que renferme la
mer. Mais la souveraineté d'un territoire s'étend à ce qui se trouve
sur les côtes, sur les bancs et les rochers voisins de ses côtes.2
DOMAINE DES FLEUVES.
§ 77. La juridiction d'un État s'étend sur le cours des
fleuves qui parcourent son territoire, jusqu'à leur embouchure,
c'est-à-dire, jusqu'au point extrême où leurs eaux se confondent
avec celles de la mer. Si le fleuve sépare deux territoires, il
appartient à chacun dans la proportion indiquée ci-dessus (§ 66).8
Privés de cette liberté élémentaire qui caractérise la haute mer,
lés fleuves forment une dépendance naturelle des terrains où ils
coulent. Les États riverains peuvent par suite, jusqu'au point
où ils entrent dans un autre territoire, les affecter à leurs propres
usages et à ceux de leurs regnicoles, et en exclure les autres. Ce
serait dans le cas tout au plus où le fleuve deviendrait une voie
de communication indispensable pour la subsistance d'une autre
nation qu'il ne pourrait lui être fermé (§ 32. Hf). Les anciens
auteurs supposaient à cet effet un droit beaucoup plus étendu,
appelé „jus usus innocui", au profit de toutes les nations, en
même temps qu'ils reconnaissaient la nature imparfaite d'un droit
qui, pour exister, avait besoin de la sanction des traités. Grotius,
Pufendorf et Vattel ont professé cette théorie, qui de nos jours
a été défendue encore par Wheaton.4 Les traités de Paris et de
*) Martens, Nouv. Rec. t. Vin, p. 143. van Hoorn, Dissert, de navi-
gatione et mercatura in mari nigro. Amsterd. 1834. L'histoire de la mer
noire y est fort bien racontée. — Le traité de Paris du 30 mars 1856
(art. lf*i. 14) a neutralisé la mer Noire : ses eaux et ses ports sont for-
mellement et à perpétuité interdits au pavillon de guerre soit des puis-
sances riveraines, soit de toute autre puissance.
a) P. ex. les pêcheries dans les eaux anglaises. Vattel I, 23. § 287.
Jouffroy p. 27 suiv.
3) Jacobsen, Seerecht. p. 583.
4) Wheaton, Intern. Law. II, 4. § 12. V. ibidem § 18. 19 et dans son
Histoire du droit des gens. II, p. 191 suiv. les discussions intéressantes
au sujet de la navigation du Missisippi et du St. Laurent.
Il
1 62 LIVRE PREMIER. § 77.
Vienne ont sanctionné à ce sujet des règles communes à toutes
les nations de l'Europe et qui se résument dans les propositions
suivantes:1
1° La navigation sur tous les fleuves qui, dans leur cours
navigable, séparent ou traversent plusieurs États, est libre
jusqu'à leur embouchure dans la mer, et ne peut être in-
terdite au commerce d'aucun de ces Etats.2
2° Les États riverains exercent les droits de souveraineté
des rivières qui parcourent leurs territoires; sans porter
le moindre préjudice à la liberté de la navigation. En
conséquence on ne peut plus établir des entrepôts et des
lieux de transbordement forcés, et ils ne peuvent être
conservés qu'autant qu'ils sont utiles à la navigation et
au commerce.
3° La fixation des droits de navigation est indépendante de
la valeur et de la qualité particulière des marchandises:
le montant de ces droits ne doit jamais dépasser le „ma-
ximum" fixé au mois de juin 1815;
4° La police de la navigation des fleuves doit être réglée
d'une manière uniforme, et fixée d'un commun accord,
sans pouvoir être changée par un. seul des États riverains.
*) Traité de Paris de 1814, art. 5. Acte final du Congrès de Vienne
art. 108—117 et 118. Décret de la Diète Germanique du 3 août 1820.
V. l'historique des négociations dans Kliiber, Actes du Congrès de Vienne,
t. ni. On y voit quelle influence considérable Guillaume de Humboldt
a exercée sur ces négociations. V. aussi Wheaton, Histoire des progrès,
p. 388 suiv. (II, 184). Cremer van den Bergh, Historia novarum legum de
fluminum communium navigatione. Lugd. Bat. 1835.
2) On peut lire dans Kliiber, Oeffentl. Recht des deutschen Bundes.
§ 571. not. d., et dans Wheaton, Histoire, p. 189 , le récit du litige qui a
surgi entre le Gouvernement des Pays-Bas et les autres États irfÉêressés
dans la navigation du Rhin, sur l'interprétation de l'expression „ jusqu'à
la mer" insérée dans l'Acte final de Vienne, litige qui fut enfin décidé
par la convention conclue à Mayence entre tous les États riverains. La
navigation du Rhin y fut déclarée libre depuis le point où il devient
navigable jusque dans la mer „bis in die See." Martens, Nouv. Rec.
IX, 252.
V. aussi l'article intitulé: la Hollande depuis 1815, publié par moi
dans la Revue des deux Mondes 1851, octobre, p. 45. (Le traducteur.)
§ 78. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J63
Ils sont tenus de veiller à l'entretien des rivages et du
lit des rivières, des chemins de halage etc.
Ces principes généraux ont été, par des conventions spé-
ciales, appliqués à plusieurs des fleuves principaux de l'Europe.1
Le traité de Paris de 1856 statue ce qui suit:
L'acte du congrès de Vienne ayant établi les principes
destinés à régler la navigation des fleuves qui séparent ou tra-
versent plusieurs États, les puissances contractantes stipulent
entre elles qu'à l'avenir ces principes seront également appli-
qués au Danube et à ses embouchures. A cet effet il établit une
commission européenne et une commission riveraine permanente.
La première est chargée de désigner et de faire exécuter les
travaux nécessaires pour dégager les embouchures du Danube,
ainsi que les parties de la mer y avoisinantes, des sables et
autres obstacles qui les obstruent, afin de mettre cette partie
du fleuve et les dites parties de la mer dans les meilleures con-
ditions possibles de navigabilité. La seconde, composée des dé-
légués de l'Autriche, de la Bavière, de la sublime Porte et du
Wurtemberg,
1° élaborera les règlements de navigation et de police fluviale,
2° fera disparaître les entraves, de quelque nature qu'elles
soient, qui s'opposent encore à ce que les dispositions du
traité de Vienne soient appliquées au Danube,
3° ordonnera et fera exécuter les travaux nécessaires sur tout
le parcours des fleuves, et
4° veillera, après la dissolution de la commission européenne,
au maintien de la navigabilité des embouchures du Danube
et des parties de la mer y avoisinantes (traité du 30 mars
1856, art. 15—18).
DES NAVIRES ET DES DROITS DE NAVIGATION. -
§ 78. Les navires d'une nation naviguant sur la haute mer,
sont regardés comme des portions flottantes de leur territoire
*) Acte du Congrès de Vienne art. 14. 96. 109. 118 et Annexe. Sur
les fleuves allemands v. Klttber, loc. cit. § 567 suiv. La navigation de la
Vistule a été réglée par un traité conclu entre la Russie, l'Autriche et
la Prusse, du 3 mai 1815.
11*
164 LIVRE PREMIER. § 78.
ou, pour nous servir de l'expression des jurisconsultes français,
comme la continuation ou le prolongement du territoire. Les
publicistes anglais combattent pour la plupart cette idée comme
étant une fiction arbitraire, et peut-être aussi parce qu'elle est
peu favorable à la jurisprudence de la Grande-Bretagne con-
cernant la navigation des neutres. Nous en reparlerons dans
le livre suivant.1
L'équipage d'un navire forme une société spéciale jouissant
de la protection de l'État auquel elle appartient, et continuant
à être régie par ses lois, même pendant son séjour dans les
eaux étrangères. Les enfants des regnicoles nés à bord d'un
navire sont regardés comme sujets de l'État. Sur ce point encore
la jurisprudence anglaise s'est éloignée du principe généralement
suivi, et ne regarde comme sujets que les enfants nés dans les
eaux britanniques.2 — Les lois particulières de chaque État
règlent le mode de constatation de la nationalité des navires.3
La juridiction que tout État souverain exerce sur la navi-
gation dans les limites de son territoire, comprend les droits
suivants, savoir:
I. Le droit de faire des règlements qui déterminent les modes
d'usage des voies de communication maritimes et fluviales
au profit de la navigation et du commerce nationaux;4
IL le droit de législation et de juridiction sur les nationaux,
tant dans les eaux de l'État que dans celles de la haute mer ; 5
III. la faculté de prendre les dispositions et les mesures né-
1) Les conséquences de ce principe ont été discutées notamment à
l'occasion de l'affaire du Carlo Alberto. V. ci -après § 79, V.
2) Vattel I, 19. 216. Gûnther II, 258. Moser, Vers. VI, 8. — Code
Napoléon art. 59 — 61.
8) Un résumé de ces dispositions a été donné par Ortolan I, p. 193 suiv.
de Kaltenborn, Seerecht. § 44. 45. Pour la jurisprudence anglaise v. Mur-
hard, N. R. G. V, p. 624 et Wildman H, p. 83.
Code de Commerce art. 226. L'acte de francisation est délivré par la
Douane et il est signé par le Ministre des finances (Loi du 27 vendémiaire,
an II, art. 10; arrêté ministériel du 30 juin 1819). (Note du traducteur.)
4) Jouffroy, Droit maritime, p. 29 suiv. Les traités spéciaux de la
liberté de navigation sont indiqués par de Kamptz § 190.
6) Wheaton, Intern. Law. I, 2. § 11.
§ 79. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. \QQ
cessaires pour la protection de la navigation nationale, no-
tamment celle d'établir des consulats dans les ports et les
places de commerce étrangers, avec l'approbation des gou-
vernements respectifs;1
IV. enfin la faculté de régler le pavillon des navires natio-
naux et d'en conférer les immunités à des navires étran-
gers par une autorisation spéciale, laquelle toutefois ne
peut avoir pour effet de faire participer ces derniers aux
immunités réservées exclusivement par les traités ou par
les usages aux nationaux: elle ne peut non plus porter
aucun préjudice aux droits des tiers.
Tout usage illicite d'un pavillon étranger est un acte repré-
hensible, tant par rapport à l'État lésé qu'à l'égard des tiers
intéressés. Néanmoins il est passé en usage que le capitaine
d'un navire de commerce peut naviguer sous les couleurs qui
lui conviennent le plus.2
§ 79. En ce qui concerne les rapports des navires étran-
gers et de leurs équipages avec l'Etat dans le territoire duquel
ils séjournent, la loi internationale a adopté les principes géné-
raux suivants:
I. Chaque nation a la faculté de déterminer les conditions
sous lesquelles elle consent à ce que les nations étrangères
exercent le commerce sur son territoire et dans ses eaux. Ce-
pendant elle doit éviter de lui créer trop d'entraves et de le
rendre par là impossible. En général on a observé que la po-
litique commerciale d'une nation est en raison inverse de sa
puissance maritime: mieux celle-ci sera établie sur les mers,
plus sa politique deviendra ombrageuse et exclusive. L'acte de
navigation britannique en a été longtemps un exemple frappant:
il est vrai que depuis 1850 il a subi des modifications pro-
fondes.3 — H est encore une règle à laquelle une nation civilisée
l) Ibid. § 12. V. aussi ci -après livre m.
a) Moser, Vers. V, p. 303. Enschede, Dissert, de tutelis et insignibus
navium. Lugd. Bat. 1770. Sur les abus de pavillon v. Hautefeuille, Nat.
neutr. ni, 433, et la Revue critique de législ. 1854. t. V. p. 64.
3) Jouffroy, loc. cit. p. 41. Alexandre de Miltitz, Manuel des Consuls.
I, p. 182. 331 suiv. et Statut 3 et 4. William 4. chap. 54. 56. de Rot-
\QQ LIVRE PREMIER. § 79.
ne doit guère déroger: c'est de ne jamais refuser aux navires
en détresse et à leurs équipages tous les secours nécessaires
et l'usage libre de ses établissements de secours.1
IL Aucune nation ni aucun individu ne doivent s'approprier •
des navires étrangers abandonnés par leurs équipages, à moins
que l'abandon fait par les armateurs du navire, n'ait été régu-
lièrement constaté, ou qu'une prescription de la propriété ne soit
survenue. Les lois et les usages maritimes diffèrent beaucoup
sur ce point. Les juges anglais regardent un navire comme dé-
laissé lorsque l'équipage l'a abandonné sans esprit de retour.
Plusieurs législations prennent plutôt en considération la volonté
manifeste des armateurs. D'autres laissent la question indécise,
tout en la soumettant aux principes généraux relatifs au délaisse-
ment de la propriété.2
IQ. H est défendu aux nations et aux particuliers de com-
mettre des actes de pillage sur les personnes ou sur les
biens naufragés. L'usage qualifié de droit d'épave remonte à
une époque de barbarie. Les lois d'une nation civilisée n'ad-
mettent que le remboursement des frais de sauvetage et de
garde des objets naufragés, mais elles s'opposent à ce que
la propriété en puisse être acquise autrement que par voie de
prescription.3 Déjà les lois romaines protégeaient les naufragés
et leur accordaient une prompte justice : de même le code visi-
goth d'Alaric. Mais au moyen âge le droit d'épave fut introduit,
et il subsista malgré les bulles des papes et les décrets impé-
riaux, royaux et autres; ce n'est que de nos jours qu'il a dis-
paru enfin des codes d'à peu près toutes les nations. Néanmoins
de temps en temps des plaintes se font encore entendre sur
teck et Welcker, Staats-Lexicon, art. Navigationsacte , et Ortolan à l'en-
droit cité.
*) Jouffroy p. 47.
2) V. Mittermaier, Deutsches Privatr. § 162 in fine. Jouffroy, loc. cit.
p. 55. de Kamptz, Jahrb. LXVI, 27. Stovin, Analyse on the Law on
abandonment of ships. London 1801. Kaltenborn, Seerecht. II, § 144 suiv.
Code de Commerce art. 216. 369 — 396. V. mon article sur la respon-
sabilité des propriétaires de navires, dans la Revue étrangère et française,
1840. t. VII, p. 275. (Note du traducteur.)
8) Jacobsen, Seerecht. p. 774.
§ 79. DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J67
des actes contraires à ces règles dont les habitants des côtes
continuent à se rendre coupables.1
IV. Tout navire étranger admis dans les ports ou dans
les eaux d'un État, peut se servir des voies et des établisse-
ments destinés à la sûreté de la navigation, ainsi que des moyens
de communication avec la terre.3
V. Tout navire entré dans les ports ou dans les eaux d'un
Etat, est assujetti à la police et aux droits de navigation, ainsi
qu'à la juridiction territoriale de ce dernier.3 Sont exceptés seule-
ment de cette juridiction:
1° les navires qui portent des souverains étrangers ou leurs
représentants, ou qui sont affectés exclusivement au ser-
vice de ces personnes;
2° les vaisseaux de guerre de nations étrangères, lorsqu'ils ont
reçu l'autorisation d'entrer dans un port, autorisation qui,
en temps de paix même, ne s'accorde que difficilement;4
L) V. le rapport de la commission du parlement anglais de 1843.
De même en France. Ptttter, Beitr. p. 118—128. Jouffroy p. 51. Kltiber,
Droit des gens. § 77. de Miltitz, loc. cit. I, p. 144 suiv. Les lois et les
usages varient encore sur les frais de recouvrement. V. Jacobsen, See-
recht. p. 745 suiv. M. Pôhls, Seerecht. t. III, p. 968 suiv. de Kaltenborn,
Seerecht. H, § 145 suiv.
a) Jouffroy p. 47. Wheaton, Intern. Law. I, 4. § 13 et 18. Grotius
II, 2. 15. Pufendorf III, 3. 8.
s) Ce point a été contesté par rapport aux navires de commerce, dans
la Gazette des tribunaux du 28 janvier 1843. Cependant les publicistes
et les tribunaux Font résolu jusqu'à présent dans un sens conforme à
notre solution. V. Wheaton I, 2. §10. Jouffroy p. 28. Ortolan, Régi,
intern. I, 274. Riquelme I, 245. Le conseil d'État, dans un avis du 22 no-
vembre 1806, a statué ce qui suit: que la protection accordée aux
vaisseaux neutres ne saurait dessaisir la juridiction territoriale pour tout
ce qui touche à l'État. Cet avis a été développé par Dupin dans un ex-
cellent réquisitoire relatif à l'affaire du Charles -Albert. On le trouve avec
les arrêts rendus dans cette affaire, dans Sirey, Rec. gén. des Lois et des
Arrêts. 32, 1. 577 suiv.; 33, 2. 238.
4) Ortolan, R. intern. I, p. 213. Un témoignage plus ancien est donné
par Casaregi, Discursus légales de commercio. Florent. 1719. (dise. 136.)
V. Wheaton, Histoire, IIe périod. § 16. p. 293 de la 2e édit. Kluber, Droit
des gens. §136, notée, cite plusieurs traités relatifs à l'admission con-
ditionnelle de bâtiments de guerre. V. aussi Ortolan, R. intern. I, p. 156
et Riquelme I, 205.
168 LIVBE PREMIER. § 80.
3° les navires ne faisant que traverser les eaux qui coulent
en avant d'un port, ainsi que ceux qui ont été obligés d'y
chercher un refuge par suite d'une force majeure, en sont
exempts en tant qu'il s'agit de la juridiction civile.1 Dans
les autres cas, lors même qu'il existerait un intérêt pour
faire retenir l'équipage, l'honneur national peut quelquefois
commander de le relâcher, comme les tribunaux français
l'ont décrété dans l'affaire des naufragés de Calais; ou
bien la question sera décidée strictement d'après le droit,
comme dans l'affaire du Carlo Alberto.
§ 80. En temps de paix, les nations n'ont aucun droit sur
les navires étrangers qui voguent sur la haute mer. Le droit
de défense légitime en cas d'attaques illicites ou de dommages
causés arbitrairement, constitue une exception à ce principe,
exception fondée sur la raison que sur la haute mer il n'existe
aucune loi commune ni aucune autorité capable de la faire
respecter.2
Les inconvénients qui résultent de l'absence d'une loi com-
mune, se trouvent atténués par les règles suivantes:
1° Les lois de chaque État obligent ses sujets, même sur
mer, dans leurs rapports avec des étrangers, et elles
admettent les droits et les devoirs qui en découlent;
2° les étrangers dans leurs contestations avec les regnicoles,
sont traités sur le pied d'égalité avec ces derniers. Le
juge du lieu applique les lois de son territoire;
3° d'après la plupart des législations maritimes, les tribu-
naux sont compétents pour statuer sur les contestations
nées entre -étrangers, dès que leur intervention est invo-
quée par l'une des parties;
4° enfin les lois maritimes des différentes nations ont tou-
jours présenté entre elles une grande analogie dans leurs
dispositions.
!) V. déjà la L. 19. § 2. D. de judic.
2) V. Arrêt de la Cour supérieure d'appel de Lubeck, en date du
30 janvier 1849. Auswahl handelsrechtlicher Streitfâlle. Bremen 1851.
p. 37 suiv. Seuffert, Archiv der Entscheidungen der obersten Gerichtshofe.
IV, p. 60 suiv.
§ 80. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J69
En conséquence les nations n'admettent plus sur la haute
mer le droit de la force, sauf les cas de légitime défense ou
de refus de se conformer aux règles du droit international;
et elles déclarent hors la loi (outlaws) ceux qui refusent de se
soumettre à la loi commune, comme les pirates (V. ci -après cha-
pitre III du présent livre).
En dehors de ses eaux particulières où elle exerce la police
de mer, aucune nation n'a le droit de faire arrêter les navires
étrangers, de les faire visiter et d'en faire ordonner la saisie
dans un but même licite, à moins qu'elle n'ait conclu avec une
autre nation une convention expresse à ce sujet. Cette question
fut discutée avec beaucoup de vivacité à l'occasion de l'abolition
de la traite des noirs, et elle n'a pas encore reçu sa solution
définitive. La distinction qu'on a essayé d'établir entre le droit
de visite et le droit de perquisition (right of search) ne résout
aucunement la question. Accorder quelque chose sous ce rapport,
c'est s'enchaîner irrévocablement. Néanmoins, dans un intérêt
d'humanité, les nations devraient s'entendre sur les concessions
à faire réciproquement au sujet de navires suspects de faire la
traite, tout en imposant une responsabilité rigoureuse et suffi-
sante pour prévenir des abus.
Le traité anglo- français de 1845 (art. 8) contient à ce sujet
des instructions convenables ayant pour but la recherche de la
nationalité des navires suspects „ prima facie."1
D'un autre côté la loi internationale autorise la poursuite
sur la haute mer d'un navire dont l'équipage s'est rendu cou-
pable de crimes dans les ports d'un territoire : telle est du moins
la jurisprudence américaine.2 De même elle autorise des pour-
suites dirigées contre les auteurs de crimes commis sur la haute
mer, dès leur retour dans le pays, pourvu que ses lois pénales
répriment les crimes commis à l'étranger (§ 36).
Le droit maritime et commercial ne se développera libre-
ment et d'une manière uniforme chez toutes les nations que le
*) V. Wheaton, Enquiry into the validity of the British claim to a
right of Visitation and search of American vessels. London 1842. Haute-
feuille, Droit des nat. neutres. III, 471. 477.
a) V. Wheaton, Enquiry. p. 148.
170 LIVRE PREMIER. § 80.
jour où, conformément à l'exemple donné par l'ancien monde,
elles consentiront dans leurs différends à s'en rapporter à la
décision impartiale de tierces puissances.1
Jusqu'à ce jour les lois maritimes et commerciales des na-
tions civilisées ont conservé leur caractère spécial et individuel,
à l'exception de quelques principes généralement adoptés que
nous avons essayé de résumer. Une analyse complète de ces
lois n'est donc pas du ressort du droit international, mais fait
plutôt partie du droit public et privé des différents pays. Dès
le moyen âge toutefois plusieurs de ces lois locales ont servi
de base commune au développement progressif des autres, et
ont acquis une autorité reconnue. Nous citons à cet effet:
Les assises des bourgeois du royaume de Jérusalem;
le droit d'Oleron;
les jugements de Damme et les lois de Westkapelle;
les coutumes d'Amsterdam;
le droit maritime de Wisby;
le „consolato del mare";
le guidon de la mer;
le droit maritime hanséatique;
enfin le droit d'Amalfi,2 ainsi que plusieurs autres d'une impor-
tance moindre, ayant toutes des rapports directs avec celles que
nous venons de nommer.
Pour les étudier, il faut surtout consulter l'excellente col-
lection des lois maritimes antérieures au xvur siècle, publiée par
Pardessus. Paris 1828. 5 vol. 4. Pour la connaissance des lois
maritimes et commerciales les plus récentes on peut consulter avec
fruit le Manuel des Consuls, 1. 1. H, par Alex, de Miltitz. V. aussi :
1) Le 23e protocole des dernières conférences contient l'expression d'un
voeu conçu dans un sens analogue, auquel ont accédé les plénipoten-
tiaires de toutes les puissances représentées. Voici les termes de la fin
de ce protocole: Les plénipotentiaires n'hésitent pas, au nom de leurs
gouvernements, à émettre le voeu que les États entre lesquels s'élèveraient
des dissentiments sérieux, eussent recours, avant d'en appeler aux armes,
si les circonstances l'admettent, aux bons offices d'une puissance amie.
2) Carlo Troya, Capitula et ordinationes maritimae civitatis Amal-
pbitanae. Vienne 1844. V. Holtius, Abhandl. civilistischen Inhalts, von
Sutro. 1852.
§81. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 171
de Kamptz, Lit. § 160 — 171. 252 — 255. Mittermaier, Grands,
des deutschen Privatrechts. § 26. 44. de Kaltenborn, Seerecht.
Berl. 1851. 2 vol. Enfin: Henrichs, Archives du commerce. II éd.
Paris 1838. 39. 21 vol., et Nouvelles archives du commerce, par
Ternante et Colombel. Paris 1838. suiv.
Chapitre m
DES OBLIGATIONS.
SECTION I.
DES TRAITÉS PUBLICS.1
CARACTERE OBLIGATOIRE DES TRAITÉS INTERNATIONAUX
EN GÉNÉRAL.
§ 81. A toutes les époques les traités, en l'absence même
d'une loi commune, ont servi aux peuples sauvages comme aux
nations civilisées, de liens légaux, bien qu'on ait souvent refusé
de leur accorder une foi exclusive. Anciennement, pour les rendre
plus solides, on avait recours à la puissance de la religion et à
la crainte des choses surnaturelles. Ces moyens ayant été trouvés
à leur tour trop peu suffisamment efficaces pour le même but,
la seule foi dans la validité intrinsèque des traités survécut, et
elle puisa de nouvelles forces dans le christianisme, dans le
droit positif et dans la philosophie. Trop souvent néanmoins la
pratique des États l'a regardée avec dérision, et jusqu'à présent
on n'est pas encore tombé d'accord sur la question de savoir
si, pourquoi et jusqu'à quel point un traité signifie quelque chose
ou oblige par lui-même?2
Il faut convenir qu'un traité ne fait naître des droits que
par l'accord des volontés (duorum vel plurium in idem consen-
1) V. les auteurs cités par Ompteda § 269 suiv. de Kamptz § 239 suiv.
Entre les systèmes on distingue notamment ceux de Moser, Vers. VIII.,
de Neumann in Wolffsfeld, De pactib. et contractib. Principum. 1752, et
Vattel II, chap. 12.
2) V. les différentes explications dans Warnkônig, Rechtsphilosophie,
§176.
172 LIVRE PREMIER. § 82.
sus), que par suite il ne subsiste qu'avec celui-ci, et dès qu'un
changement de volonté survient du côté de Tune des parties
contractantes, l'autre peut exiger seulement le rétablissement de
l'ancien état de choses et des dommages -intérêts à raison du pré-
judice par elle éprouvé. C'est la volonté collective fondée sur la
communauté d'intérêts et de sentiments moraux, qui rend l'en-
gagement individuel plus solide, en exigeant l'exécution directe
et continue de ce qu'on a promis. L'Etat possède à cet effet
des moyens de contrainte suffisants à l'égard des individus: le
droit international en est privé, et par suite les traités publics
peuvent recevoir seulement l'autorité et la signification naturelles
dont nous avons parlé. D repose surtout sur le besoin commun
d'un intermédiaire destiné à créer des relations permanentes et
des droits nouveaux entre les différents États. Il trouve une ga-
rantie plus puissante encore dans le système politique européen,
basé lui-même sur la réciprocité et l'accord des volontés, et
dont par suite on ne peut faire partie qu'autant qu'on reconnaît
les principes relatifs à la force obligatoire de traités. En dehors
de ces principes, aucune confiance, aucun commerce ne sont
possibles, car ils répondent aux intérêts de tous. Les traités
internationaux signifient donc certainement quelque chose, bien
qu'ils soient privés des garanties du droit civil. „Pacta sunt
servanda", telle à été toujours la règle fondamentale du droit
public.1 C'est par leur objet seulement que ces engagements
offrent certaines particularités, en même temps qu'ils jouissent
d'une plus grande latitude d'exécution, ainsi que nous allons
l'expliquer.
DIVISION DES TRAITÉS PUBLICS.
§ 82. Si par le droit des gens, dans le sens étendu ex-
pliqué au § 1er ci-dessus, nous entendons le droit naturel commun
à tous les hommes libres, il régit en général les conventions
*) Les anciens publicistes se servaient aussi du lieu commun: La
parole d'un prince vaut un serment. V. p. ex. de Neumann, loc. cit. § 83.
Il est inutile de recourir à de pareilles distinctions, car le principe
moral du droit ne permet pas de distinguer entre les engagements des
grands et ceux des inférieurs.
§ 82. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 173
qui ne sont pas soumises aux lois et à la juridiction particu-
lières des différents États. Par suite sont du domaine du droit
des gens:
toutes les conventions conclues par des personnes qui
n'obéissent à aucune autorité, à aucune volonté souve-
raine, par exemple dans les contrées où aucune associa-
tion politique ne s'est établie, conventions qui ne doivent
obtenir aucune autre sanction que celle de la volonté in-
dividuelle;
ensuite, jusqu'à un certain point, les pactes constitutionnels
relatifs à certains objets de droit public interne, convenus
entre les souverains et leurs propres peuples.
La moralité de chaque nation et l'intérêt de stabilité qui lui
est inhérent sont une garantie de l'observation de ces conventions
jusqu'au moment où elles sont abrogées d'un commun accord.
Sans nous arrêter ultérieurement aux deux catégories pré-
cédentes qui sont d'un domaine différent, nous nous occuperons
exclusivement de celles qui font partie du droit international
proprement dit. Tels sont:
I. Les traités conclus entre plusieurs États ou leurs repré-
sentants, par lesquels ces derniers s'obligent réciproque-
ment, ou par voie unilatérale, de manière à restreindre la
libre disposition de leurs droits et possessions souverains,
ou par lesquels l'un s'engage d'une manière générale en-
vers l'autre — traités publics proprement dits — ;
H. les traités réciproques des souverains, relatifs à des objets
à l'égard desquels ces derniers ne sont soumis à aucune
loi politique ni à aucun juge intérieurs (v. § 52), par
exemple ceux qui ont pour objet l'assistance et la garantie
réciproques de leurs droits, ou leurs biens propres et
indépendants situés en dehors des territoires par eux
gouvernés.1
Les conventions conclues par un souverain avec un parti-
culier, ou qui ont pour objet des choses régies par les lois
civiles d'un État, sont d'une nature mixte. C'est à ces lois qu'il
faut recourir, lorsqu'il s'agit de statuer sur les engagements de
l) Vattel II, 12. § 195. 196.
174 LIVRE PREMIER. § 83.
la partie contractante non souveraine ou sur la nature des droits
réels ou des engagements régis par les lois étrangères. Mais
quant aux obligations du souverain, à moins qu'elles ne tombent
elles-mêmes sous l'application des lois civiles de son pays, elles
sont régies par les règles du droit international.1
CONDITIONS ESSENTIELLES DES TRAITÉS PUBLICS.
1. Cause licite.
§ 83. Une cause licite est la première condition essentielle
d'un traité public. Nous entendons par là la possibilité de l'en-
gagement contracté:2 Un traité n'existe qu'autant que son objet
est physiquement et moralement possible.8 Ainsi, par exemple,
toute convention contraire à l'ordre moral des choses et notam-
ment aussi à la mission des États de contribuer au développe-
ment de la liberté humaine, est regardée comme impossible;
ainsi l'introduction ou le maintien de l'esclavage ne pourra jamais
valablement être stipulé dans un traité. Il faudra en dire autant
de la clause qui aurait pour but de faire cesser le commerce
entre plusieurs nations, au détriment de leurs besoins mutuels
moraux ou physiques. Ainsi encore un manque de foi aux
engagements contractés envers des tiers ne pourra être valable-
ment stipulé: dans ce cas la partie coupable sera tenue à des
dommages-intérêts envers l'innocente.
*) D'anciens publicistes à la vérité, en exceptant les souverains de
l'application des lois civiles, n'ont voulu les soumettre qu'à celle du droit
naturel ou des gens. V. les auteurs indiqués par Moser, Staatsr. XXTV,
p. 194, et surtout Hellfeld, Dissert, de fontib. juris quo iUustres utuntur,
§37 (en tête du t. I. Jurispr. heroic); mais la jurisprudence moderne
l'entend autrement, ainsi que nous l'avons indiqué au § 56. En général
toutefois on ne rencontre pas de règles précises à ce sujet dans la plupart
des systèmes. V. cependant Vattel H, 12. 214. Riquelme I, p. 176.
2) Sur les différentes significations de la cause des contrats. V.
de Neumann à l'endroit cité § 217 suiv. et Cocceji, sur Grotius n, p. 610.
3) de Neumann § 177 suiv. Pufendorf (III, 7. 2) ainsi que Schmalz
(p. 64) et Schmelzing (§ 383) soutiennent qu'il n'y a pas lieu à la resti-
tution de ce qui a été donné. Mais il serait difficile de démontrer l'ex-
actitude de cette proposition dans sa généralité. La partie qui a reçu
quelque chose, doit la restituer, et tout doit être rétabli dans l'ancien
état de choses.
§83. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 175
Un traité ne peut pas non plus porter préjudice aux droits
incontestés d'un tiers ni à ceux qui lui ont été accordés précé-
demment:1 on ne peut s'engager ni stipuler au nom d'un tiers sur
lequel on n'a aucun pouvoir.2 Néanmoins on peut se porter fort
pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci, soit par l'emploi de
bons offices (bona officia) de nature à le déterminer en faveur
du but projeté, soit par une intercession proprement dite, en
employant toutes les voies licites selon les circonstances, à
l'exception de la force, à moins que l'éventualité d'une interven-
tion armée n'ait été également prévue. Une indemnité toutefois
en cas de non -réussite du but projeté, n'est due que lorsqu'elle
a été convenue.8 Les parties peuvent s'entendre encore sur des
mesures à prendre à l'égard de tiers. En dehors des espèces
que nous venons d'indiquer, une convention internationale ne
peut produire d'effets qu'entre les parties. Elle ne profite ni ne
nuit à des tiers,4 à l'exception des cas suivants:
lorsqu'il y a mandat;
lorsque le tiers, par suite de rapports de protection, se trouve
d'une manière conditionnelle ou relative dans la dépendance
de l'une ou de plusieurs des parties contractantes;
lorsqu'il a été stipulé au profit du tiers ce qu'il a le droit
d'exiger en vertu d'un titre précédent, lequel acquiert par
là un accroissement de force;
enfin dans le cas où une tierce adhésion a été réservée, où
elle a été la condition d'une stipulation qu'on faisait pour
soi-même, condition comprise implicitement dans toute
convention passée au nom d'autrui.
Dans ces circonstances la validité du traité est suspendue
jusqu'au moment où le tiers aura déclaré son intention d'en
profiter. Jusque là l'engagement peut être révoqué à moins qu'on
ne soit convenu d'attendre cette déclaration.5
*) V. Moser, Vers. VI, p. 420 suiv. Vattel § 165—167. Klttber, Droit
des gens. § 144. Pufendorf III, 7. 11. Mably, Droit des gens. I, p. 27.
2) V. la loi 83 prim. D. de verb. oblig. de Neumann § 187.
3) Pufendorf loc. cit. § 10. de Neumann § 146 suiv. § 187 suiv.
4) Fr. Lang, De nonnullis fundamentis obligationum ex pacto tertii
quaesitarum. Goetting. 1798.
6) Les anciens auteurs présentent sur ce point une grande divergence
176 LIVRE PREMIER. §84.
D'ailleurs le droit international n'admet pas les distinctions
du droit civil relativement aux contrats nommés ou innommés,
à ceux qui donnent ou qui ne donnent pas lieu à une action
en justice. C'est encore sans motif qu'on a prétendu que tout
traité public supposait une cause (causa debendi) spéciale, en
d'autres termes, qu'il devait avoir pour but des prestations ré-
ciproques, par le motif que tout engagement reposerait sur un
équivalent. En effet la faculté de disposer librement du domaine
implique celle d'y renoncer, même à titre gratuit, au profit d'un
tiers.1 Le défaut d'utilité apparente, ni la lésion ne peuvent non
plus vicier ces sortes de contrats, pourvu qu'il n'existe pas
d'autres causes de rescision.2
Toutefois il en serait autrement de la convention par la-
quelle un État, en temps de paix, consentirait à se soumettre
d'une manière permanente à l'autorité d'un autre, alors surtout
que cette soumission, en dépassant les limites du protectorat,
aurait pour conséquence de le dépouiller irrévocablement de son
indépendance politique. C'est à cette simple proposition que
nous croyons pouvoir réduire la théorie des anciens publicistes
sur les traités égaux et inégaux, théorie professée depuis Gro-
tius qui l'a puisée dans certains passages d'Aristote.8
2. Capacité des parties contractantes.
§ 84. La seconde condition essentielle de la validité des
traités c'est la capacité des parties contractantes. Sous ce rapport
nous admettons les distinctions suivantes:
de vues, née du conflit des lois romaines avec les théories du droit na-
turel. V. Grotius II, 11. 18 et le Comment, de Cocceji; Pufendorf ni,
9. 4 suiv.; de Neumann § 151; Runde, Beitr. 1799. I, p. 137. Les codes
modernes reproduisent les principes ci -dessus énoncés, qui sont les plus
simples et les plus naturels. V. Allgem. Preufs. Landr. I, 5. § 74. Code
Nap. art. 1121. 1165.
*) Grotius II, 14, 4 et 12. de Neumann, De pactis principum I, 3. 90;
I, 5. 219. Giinther, Vôlkerr. II, p. 95.
2) de Neumann, loc. cit. I, 5. p. 220. Vattel § 158. de Martens, Europ.
VOlkerr. § 45 in fine. Schmelzing § 381.
3) Vattel § 172 suiv. Cocceji Comment, sur Grotius II, 12. p. 8 suiv.
Martens, Europ. Vôlkerr. § 46 in fine et § 55.
§84. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J77
I. Les représentants ou détenteurs actuels du pouvoir
souverain7 même usurpé (§ 49), possèdent seuls la capacité
nécessaire pour conclure des traités proprement dits (§ 82, 1),
pourvu que, dans leurs relations extérieures, des liens de dé-
pendance1 ni les termes incontestés de la constitution de l'État
n'y apportent d'entraves.2 Le prince légitime au contraire, dé-
pouillé du pouvoir souverain, ne peut valablement contracter
pour l'État qu'après avoir recouvré le pouvoir. — Le souverain
peut disposer aussi des droits de ses sujets,8 à moins que leur
inviolabilité ne soit sauvegardée par la constitution particulière
de l'État ou par les principes de la morale, tels que ceux qui
ont pour objet la garantie de la liberté de conscience.* Le droit
public interne trace les limites des sacrifices personnels et réels
que l'État peut imposer à ses sujets moyennant ou sans indemnité.
IL Les souverains ont la faculté exclusive de traiter de
leurs droits propres et individuels, sans que toutefois ils puissent
disposer des droits particuliers de leurs familles, à moins d'y
être autorisés par les statuts de famille. Les actes du souverain
ne doivent donc pas préjudicier aux droits des membres de sa
maison, hors les cas d'une nécessité urgente, où ils doivent,
dans les conventions publiques, être sacrifiés à la raison d'État,
comme ceux des autres sujets. Telle est du moins la règle in-
contestée de la constitution de famille des maisons souveraines
d'Allemagne.5
En ce qui concerne les particuliers intéressés dans un traité
public, on doit leur appliquer les dispositions des lois du domi-
cile d'origine.
*) V. § 19 ci -dessus. Wheaton, Intern. Law. III, 2. 1.
*) „ Incontestés." Dans les relations internationales en effet, la pos-
session seule peut être prise en considération. V. § 12. 23 et 49 ci -dessus.
Sur les restrictions de la constitution anglaise et de celle des Etats-Unis,
v. Wheaton, loc. cit. § 5. 6. D'autres constitutions modernes contiennent
aussi des restrictions analogues, mais la présomption milite en faveur du
Chef de l'État; cependant il ne peut pas seul sacrifier la constitution même.
8) Grotius HI, 20. 7. de Neumann § 86. 159. 467.
4) V. Vattel § 161.
*) Moser, Familienstaatsr. 910. 1065. Henr. Hersemeyer, De pact.
gentilit. Mog. 1781. p. 109.
12
178 LIVRE PREMIER, § 85.
Des mandataires munis de pouvoirs suffisants, peuvent seuls
traiter au nom des personnes ci-dessus dénommées. Tout ce qu'un
mandataire qui a dépassé ses pouvoirs, ou un „negotiorum ge-
stor" aura fait, ne deviendra valable que par une ratification
subséquente. Cela s'applique notamment à ce qu'on appelait
autrefois „sponsio" ou accord conclu par le sujet d'un État avec
un gouvernement étranger, sans autorisation du sien.1 Aucune
obligation n'en résulte ni pour le gouvernement non dûment
représenté, ni pour celui qui a traité ainsi, à moins qu'il n'ait
promis de le faire ratifier ou exécuter: en ce cas il est tenu à
des dommages-intérêts.2 Le gouvernement représenté ainsi d'une
manière irrégulière, doit en outre, en temps de paix, restituer
des avantages qu'il a retirés de la convention. En temps de
guerre il se dirigera d'après les lois de l'honneur- et de la
politique. — Un mandat tacite ne peut être que le résultat de
certaines fonctions conférées par l'État et ayant pour objet une
mission à accomplir auprès d'une puissance étrangère, avec une
certaine latitude d'appréciation. Tout ce qui dépasse les instruc-
tions données, a besoin d'une ratification ultérieure, à défaut de
laquelle il deviendrait caduc. C'est notamment lors de l'examen
du droit de guerre, que nous rencontrerons quelques applications
de ce principe.
3. Consentement libre.
§ 85. La liberté du consentement, ainsi que l'absence des
circonstances qui l'empêchent, sont une troisième condition essen-
tielle de la validité des traités publics. L'erreur, la fraude
et la violence produisent à leur égard les mêmes effets que
dans les contrats privés. On ne doit cependant pas regarder
comme véritable empêchement toute espèce de pression qui influe
sur la liberté de la résolution. Il faut au contraire que la vio-
lence soit de nature à ébranler un caractère fort et énergique,
*) Les nombreux ouvrages qui ont traité cette matière ont été indiqués
par Ompteda II, p. 585 et de Kamptz, N. Lit. § 244. Vattel, L. II, § 209 suiv.,
s'est le plus rapproché de la vérité sur ce point.
2) Grotius II, 15, 3 et 16 trompé par l'usage connu sous le nom de
wdeditio," soutient que celui qui avait traité était personnellement tenu.
§ 86. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. \ 79
ce qui aura lieu chaque fois que l'existence physique ou morale
sera menacée, au point que la nécessité de la conservation
commande la soumission, alors surtout qu'un devoir supérieur
ne fait pas taire ce sentiment. Un danger semblable se produit
pour un État, lorsque son existence ou son indépendance est
mise en question: pour un Souverain ou ses représentants of-
ficiels, lorsque leur vie, leur santé, leur honneur ou leur liberté
sont sérieusement menacés, alors surtout que l'agresseur a assez
de puissance pour mettre ses menaces à exécution. Le traité
néanmoins qui a pour but -de faire cesser un état de contrainte
ou de violence légale, n'est entaché d'aucun vice, celui par
exemple qui est destiné à faire cesser une captivité ou l'éva-
cuation d'un pays conquis.1
SOURCES DES TRAITÉS.
§ 86. Toutes les conventions, et les internationales aussi,
supposent en premier lieu l'accord des volontés à la suite d'une
promesse et d'une acceptation, après qu'il a été clairement
expliqué ce que chacune des parties est tenue d'exécuter ou
est en droit d'exiger. De simples pollicitations, non suivies
d'acceptation, ne confèrent aucun droit, lors même qu'il y a eu
un commencement d'exécution, à moins qu'il n'implique une
acceptation: la sanction d'une promesse religieuse (votum) ou le
serment ne pourra pas non plus suppléer au défaut d'acceptation.
Un traité n'a pas d'existence légale tant que continuent les
négociations ou les arrangements préliminaires, alors même qu'on
serait tombé d'accord sur certains points destinés à figurer dans
la convention définitive, à moins qu'il n'ait été convenu qu'on
se regarderait mutuellement engagé par les points déjà arrêtés.
Cela s'applique notamment à ce qu'on appelle „pacta de con-
trahendo" qui contiennent tout ce qui concerne l'affaire, sauf
seulement la rédaction complète et formelle.3
*) Ces questions sont traitées dans les ouvrages cités par de Kamptz
§ 249; voir aussi Pufendorf m, 6. de Neumann § 192 suiv. Schmelzing § 382.
*) Cocceji, Comment, sur Grotius H, 11. 3.
8) H serait difficile de formuler cette règle d'une manière plus pré-
cise. V. aussi Cocceji ibid. II, 11, § 1, p. 600 suiv.
12*
a
180 LIVRE PREMIER. § 87.
En aucun cas, le simple acquiescement d'une partie à des
actes faits par une autre, n'équivaut à un consentement con-
tractuel. Tout au plus constate-t-il la disposition, mais nullement
l'intention bien arrêtée d'une renonciation à des droits au profit
d'autrui. — Les conventions dites présumées ne constatent pas
non plus d'une manière régulière et sûre l'unité des volontés
(§11 ci -dessus): souvent, il est vrai, dans les rapports interna-
tionaux, une partie procède d'après certaines règles de conduite
dans la prévision unique de les faire agréer par l'autre. Si celui-ci
les adopte, il se forme une convention présumée, fondée fré-
quemment sur les usages du cérémonial public des États, sans
qu'il en résulte aucun engagement permanent pour les parties.
De ces conventions diffèrent les conventions tacites ou les clauses
qui découlent implicitement, comme conditions ou comme consé-
quences nécessaires d'un traité; il faut en dire autant des cir-
constances sur lesquelles on a gardé le silence lorsqu'il fallait
s'expliquer là -dessus.1 Nous en reparlerons plus loin.2
FORME SUBSTANTIELLE.
§ 87. Aucune forme précise n'est prescrite pour la consta-
tation de la volonté dans les traités internationaux. Us existent
dès le moment que l'une des parties s'est engagée à faire quelque
chose avec l'intention de se regarder comme liée par l'acceptation
de l'autre, et que cette acceptation est suffisamment constatée.8
*) V. de Leonhardî, Austrâgalrecht. II, 449.
a) V. sur ces distinctions Ad. Fr. Reinhard, Sammlung jurist. philos,
und crit. Aufsatze. 1775. I, 5, n. 1, p. 307. Kliiber, Droit des gens. § 3.
de Neumann § 52.
3) Il faut remarquer à ce sujet ce que le jurisconsulte romain Gaius
déjà enseignait dans ses Commentaires m, § 94: „Dicitur uno casu hoc
verbo (Spondesne? Spondeo) peregrinum quoque obligari posse, velut si
Imperator noster Principem alicujus peregrini populi de pace ita inter-
roget: Pacem futuram spondes? vel ipse eodem modo interrogetur: nquod
nimium subtiliter dictum est"; quia si quid adversus pactionem fiât, non
ex stipulatu agitur, sed jure belli vindicatur." Ainsi liberté complète de
la forme. Cependant trois formes étaient usitées dans le droit public des
Romains, savoir de simples pactiones, sponsiones et foedera solennels.
Tite-Live 34, 57. Cic. pro Balbo 12, pro Rabir. 16. Sigonius de antiquit.
juris. Hal. p. 465 suiv.
§ 87. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. JgJ
La prudence, il est vrai, et l'usage conseillent la rédaction
par écrit, laquelle notamment est une conséquence naturelle des
traités conclus par procuration. Mais de ce que les parties auront
adopté une autre forme de rédaction, il ne résultera aucune
nullité du traité.1
Lorsqu'un traité a été conclu par mandataires, il est d'usage
aujourd'hui entre les États souverains d'en regarder la ratifica-
tion et l'échange comme un complément nécessaire pour sa
validité, lors même que la ratification n'a pas été expressément
réservée.2 Elle constate que le mandataire n'a pas dépassé les
limites de son mandat, constatation à laquelle aucun juge ne
peut suppléer. Elle suspend l'exécution du traité conclu, et elle
lui donne, dès qu'elle est intervenue, une force rétroactive, sauf
une stipulation contraire.3 Elle ne peut à la vérité être refusée
moralement, si le traité conclu est conforme aux termes des
pouvoirs présentés à la partie co- contractante. Mais lors même
qu'il a été ratifié, l'usage n'autorise pas l'emploi de la force
pour contraindre la partie qui refuse l'exécution du traité.4 Le
1) Neyron, De vi foederum inter gentes. Goett. 1788. § 23, et Schmalz,
Europ. Vôlkerr. p. 52 suiv., soutiennent que les traités, pour être obli-
gatoires, doivent être rédigés par écrit. Mais pourquoi rengagement
sérieux, après avoir été accepté, et lorsqu'il peut être prouvé, serait -il
moins obligatoire, quand même il n'eût pas été rédigé par écrit? C'est
ce qu'admettent Martens, Europ. Vôlkerr. § 45. Schmelzing § 377. Klûber
§ 141*. 143, ainsi que de Neumann § 226. 238. Peu importe d'ailleurs que
le traité soit compris dans un instrument ou dans des explications réci-
proques: c'est ainsi qu'ont été conclus les concordats entre le Saint-Siège
et les puissances non catholiques; il suffit que l'intention de s'obliger
mutuellement soit établie. L'une des parties peut s'engager par écrit et
l'autre l'accepter par des actes ou par des signes incontestables. V. Mar-
tens, à l'endroit cité, et Vattel § 234. Wheaton m, 2. 3.
2) Cet usage est très -ancien. On trouve l'exemple de la ratification
d'un traité intervenu entre Justinien et Chosroës dans Barbeyrac, Suppl.
au Corps Univ. de Du Mont. H, p. 197. Les anciens auteurs sur cette
matière sont cités par de Kamptz § 249; Kliiber, Droit des gens. § 142.
La dissertation la plus récente est celle de Wurm, Vierteljahrsschrift. 1845. 1,
p. 168. Sur une ratification conditionnelle, v. Martens, N. Rec. gen. XII, p. 391.
3) de Neumann § 213. Klûber, loc. cit. note e. Martens § 42.
4) C'est ce qui est confirmé par d'anciens et de nouveaux exemples.
Tel est aussi l'avis des auteurs les plus distingués. Vattel H, 12, 156.
182 LIVRE PREMIER. § 88.
refus non motivé est une insulte faite à la bonne foi de l'autre,
de nature à le mécontenter et même à provoquer, suivant les
circonstances, une demande en indemnité du préjudice occasionné.
La ratification est essentiellement nécessaire dans le cas où elle
a été réservée, ou lors d'une „ sponsio u (§ 84) pour qu'elle puisse
devenir obligatoire pour la partie intéressée. Dans ces cas encore
elle fait remonter les effets du traité jusqu'au moment de sa
conclusion. Kelativement aux pouvoirs tacites, (84 in fine), la
ratification seule fournit la certitude complète de leur étendue.
Mais il est constant en même temps qu'elle peut être suppléée
par des actes équivalents et notamment par l'exécution tacite
des stipulations arrêtées.1
TIERCE - INTERVENTION LORS DE LA CONCLUSION D*UN TRAITÉ.
§ 88. Sont regardés comme non essentiels pour la validité
des traités publics, ou comme choses accidentelles:
1. Les bons offices (bona officia) employés par une tierce
personne ou une tierce puissance, soit dans le but d'ouvrir
la voie aux négociations des parties intéressées, soit dans
celui de les faire reprendre après qu'elles ont été inter-
rompues. Ils peuvent être proposés soit par une initiative
spontanée, soit par suite d'une demande ou d'un engage-
ment contracté (§83). Ils n'emportent aucune responsa-
bilité des conseils donnés (consilium), à moins qu'elle n'ait
été expressément stipulée;
2. la médiation proprement dite (mediatio), lorsqu'une tierce
puissance, avec le consentement des parties intéressées,
participe d'une manière régulière aux négociations jusqu'à
Bynkershoek, Quaest. jur. publ. II, 7. Kliiber, loc. cit. Wheaton, loc. cit. § 4.
Wildman I, 172. Riquelme 1, 176. Les opinions des anciens auteurs sont
résumées dans Wicquefort, l'Ambassad. II, 15. — Martens § 42 ne diffère
qu'en ce qu'il pense que la ratification d'une partie entraine celle de
l'autre. Une opinion analogue qui repose tout entière sur des considéra-
tions tirées du droit privé, se trouve dans Leonhardi, Austrâgalverfassung.
p. 319 suiv. Des exemples de traités non ratifiés se trouvent dans Martens
et Klùber, aux endroit» cités, et dans Pôlitz, Vôlkerr. p. 158. La ratifi-
cation d'un traité est surtout un point important du droit constitutionnel.
J) Grotius H, 15. 17. Wheaton § 3 in fine.
§ 88. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J83
leur conclusion, en sorte que les explications réciproques
ne peuvent être données qu'en sa présence et par son
intermédiaire.1 Personne ne peut imposer une médiation:
mais dès qu'elle a été acceptée, le gouvernement médiateur
doit faire des propositions équitables, donner son avis sur
celles faites par l'une des parties et repousser celles qui
lui paraissent injustes. Il lui est interdit d'employer la
force: une médiation armée serait contraire au droit libre
des traités et constituerait un commencement d'hostilités.8
Les fonctions du médiateur cessent avec la conclusion d'un
traité, dont il n'a ni le pouvoir ni le devoir de garantir
l'exécution. Elles cessent encore par la rupture des né-
gociations du côté de l'une des parties intéressées.
Une tierce puissance peut en outre, par un acte formel, dé-
clarer son adhésion à un traité précédemment conclu, tant à la
suite qu'en dehors d'une invitation préalable des parties princi-
pales.8 A cet égard on distingue les espèces suivantes:
1° Accession d'une tierce puissance comme partie principale,
lorsque le traité contient des stipulations à son égard, ou
est de nature à modifier ses rapports internationaux. Par
là elle devient partie co- contractante directe;
2° accession d'une tierce puissance à l'effet de faire ap-
prouver par elle les dispositions qui peuvent lui nuire, et
par laquelle elle renonce notamment aux exceptions contre
sa validité;
3° accession solennelle par pure convenance, afin de donner
au traité plus de solennité ou une espèce de témoignage
de sa valeur. Ce qui a lieu surtout dans le cas où l'on
fait approuver un traité par une tierce puissance supé-
rieure ou envers laquelle on doit observer certains devoirs
1) V. là -dessus des observations étendues dans Bielfeld, Institutions
politiques. H, 8, § 17. Vattel § 328. de Steck, Essais sur plusieurs ma-
tières, n. 1. Martens, Vôlkerr. §172. Kltiber, Droit des gens. § 160.
Wheaton, Intern. Law. III, 2, §16. Des exemples nombreux sont cités
par Wicquefort, l'Ambassadeur. II, 11. Moser, Vers. VIII, p. 421 suiv.
2) V. Vogt, Europ. Staatsrelationen. V, n. 1.
8) Moser, Vers. VTQ, p. 306 suiv. 314. de Steck, Ausfuhrung politi-
scher und rechtlicher Mater, no. 2, p. 49. Kltiber § 161.
Jg4 LIVRE PREMIER. § 89. 90.
de déférence. Celle-ci ne contracte par là aucun engage-
ment: seulement elle ne pourra plus invoquer son ignorance
du contenu du traité.
MODALITÉS DES TRAITÉS.
§ 89. En ce qui concerne leur contenu, les traités publics,
de même que les conventions privées, peuvent dépendre de cer-
taines conditions, de certains délais et de certaines modalités.
Par rapport à leur importance, on les distingue en traités pré-
liminaires et définitifs. Les premiers ne constituent le plus sou-
vent que des „pacta de contrahendo", ou n'établissent qu'un
état provisoire.1 Les seconds se subdivisent encore en traités
principaux et accessoires, dont les derniers sont conclus quelque-
fois entre d'autres parties que les premiers. Lors de la rédac-
tion des traités on adopte ordinairement celle par articles, et
Ton distingue quelquefois les articles principaux des accessoires.
Souvent la teneur du traité proprement dit est accompagnée
d'additions ou d'articles additionnels, publics ou secrets, sans que
toutes ces circonstances influent en aucune manière sur la vali-
dité des diverses stipulations.
OBJET ET DIVISION GÉNÉRALE DES TRAITÉS.
§ 90. Les traités internationaux ont pour objet soit cer-
taines prestations de droit ou réelles d'une durée limitée, soit
des rapports permanents d'alliance. Ce double but peut natu-
rellement, d'une manière principale ou accessoire, être combiné
dans la même convention.2
A la première catégorie appartiennent les innombrables
traités relatifs à des intérêts politiques, par lesquels les États sou-
verains s'accordent certains droits, d'après les modes usités en
matière civile, par voie unilatérale ou réciproque, avec ou sans
1) Moser, Vers. Vin, 55. X, 2. 356.
2) A ce sujet Martens, Klfiber et d'autres auteurs divisent d'une
manière analogue les traités en transitoires, en alliances et en traités
mixtes. On ne peut contester tout au plus que ces dénominations. Mais
la distinction de Pôlitz, Vôlkerr. § 50 suiv. entre traités politiques et privés,
nous paraît très -peu heureuse.
§ 90. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. Jg5
un équivalent correspondant; quelquefois ils ont aussi pour objet
de déterminer, de préciser plus exactement, ou de faire cesser des
rapports de cette nature déjà établis. Tels sont notamment
les traités de cession ou de renonciation moyennant vente,
échange ou donation;
les traités de limites;
ceux de partage;
ceux de prêt;
l'établissement de servitudes publiques;
les traités qui ont pour objet de constituer une souveraineté
en fief, pourvu qu'ils ne portent par là aucun préjudice
à un droit de suzeraineté déjà établi (jus curiae);
les traités de succession.
Ces différentes espèces sont régies en général par les mêmes
principes qui, fondés pour la plupart sur le droit romain, se
sont développés d'une manière uniforme et se retrouvent dans
les lois de tous les États de l'Europe chrétienne. Il faudra
seulement excepter ceux que les intérêts particuliers d'un État
ont introduits dans son droit privé, par exemple ceux qui con-
cernent les formes des actes ou qui, par égard pour les moeurs
d'une nation, prohibent certains autres.1 Ainsi il est incon-
testable que dans les traités commatatifs, où l'une des parties
s'engage à donner ou à faire quelque chose moyennant un équi-
valent, une garantie est due pour cause d'éviction et à raison
des défauts cachés dont l'absence a été une clause tacite de la
convention.2 Mais la perte ou les détériorations, survenues depuis
par force majeure ou par accident, ne sont pas une cause de
résiliation des traités.3
l) Ainsi les pactes successoriaux relatifs à la souveraineté d'un prince
régnant, ne doivent pas être regardés comme illicites par cela seul que
le droit romain et quelques Codes modernes (Code Nap. art. 791) les
proscrivent en matière civile.
a) Souvent elle est stipulée expressément; v. Gtinther, Vôlkerrecht.
n, p. 135.
*) De même en cas de partage de biens communs. L. 11. pr. Dig. de
éviction. Les auteurs du droit naturel sont toujours très -divisés sur la
question de savoir qui supporte la perte de la chose aliénée mais non
livrée. V. Grotius n, 12. 15. Pufendorf V, 5. 3.
186 LIVRE PREMIER. §91.
Il nous paraît inutile de nous livrer à de plus amples déve-
loppements sur les rapports qui, dans ces diverses espèces,
existent entre le droit international et le droit privé d'un État,
tant à cause de leur grande rareté, que des précautions em-
ployées aujourd'hui dans la rédaction des traités.
TRAITÉS D'ASSOCIATION.
§ 91. Les traités d'association des États et des souverains,
qui ont pour objet une réunion permanente dans un but déter-
miné, sont d'une portée bien supérieure à celle des associations
privées. Le droit public de l'ancien monde distinguait à cet
égard entre „ amicitia, hospitium, foedus." l La pratique moderne
des États distingue entre alliances et confédérations.2
Les traités d'alliance, dans l'acception la plus large, sont
ceux qui règlent la conduite politique de plusieurs États ou
souverains, soit entre eux, soit envers d'autres, dans un intérêt
commun ou individuel, d'une manière générale ou dans des cas
déterminés, et leur imposent des charges égales ou inégales.
Les Confédérations ou traités d'associations proprement dits,
qui sont conclus en vue d'une réalisation de buts communs par
des institutions communes et durables.
Nous traiterons de ces deux espèces par la suite. Serait
regardé comme entaché de nullité le traité qui accorderait à
l'un des associés la totalité des bénéfices, ou qui l'affranchirait
de toute contribution aux pertes.8 L'idée d'une société léonine
étant contraire au principe de la société, il faut seulement ex-
cepter le cas où l'une des parties, après avoir pris connaissance
de cette inégalité, a consenti, par voie de donation, à affranchir
l'autre de toute contribution aux charges communes.4
1) L. 5. § 2. Dig. de captiv.
2) D'autres distinctions se trouvent dans Pufendorf VIII, 9.
3) Code Nap. art. 1855.
4) Tous les Codes s'accordent sur le principe, ainsi que les anciens
auteurs. Grotius II, 12. 24. Pufendorf V, 8. 3. Cependant la restriction
que nous avons ajoutée, est incontestable à l'égard des personnes capables
de contracter. Stryk, De diversis sociorum pactis. Hal. 1708. p. 26.
de Neumann, loc. cit. § 731. V. aussi Allgem. Landrecht fîir die preufs.
Staaten. I, 17. 245.
§ 92. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. J87
1. Traités d'amitié on d'alliance,
§ 92. Parmi les traités d'amitié ou d'alliance dans l'acception
la plus large, on comprend les suivants:1
I, Les traités qui stipulent seulement des rapports paci-
fiques et d'amitié, et qui comportent l'obligation expresse ou
tacite d'une justice réciproque (dikéodosie), conformément aux
principes internationaux.
Tels étaient, chez les peuples de l'ancien monde, les traités
par lesquels on s'engageait simplement à s'abstenir envers ses
alliés de toute espèce d'offenses, et, en cas de lésion, à leur
accorder une satisfaction.2 La jurisprudence moderne comprend
dans cette catégorie les traités de reconnaissance qui ont pour
objet l'admission de nouveaux corps politiques dans la famille
des nations, ou celle de nouveaux titres, pour servir de base
à leurs rapports futurs. Nous citons comme exemples d'un
caractère spécial la Sainte -Alliance3 et la déclaration du Congrès
d'Aix-la-Chapelle, indiquées ci- dessus, p. 12. 13.
*) Piittmann, De obligatione foederum. Lips. 1753.
a) Comme chez les Grecs les cô/upola mçî rov pt} àâixêïv. V. Heffter,
Athen. Gerichtsverf. p. 89 suiv. et les notes ; et son Prolus. acad. de antiquo
jure gent. p. 7 suiv. Des traités semblables forment le premier pas vers
des rapports internationaux, et ne se rencontrent plus sous cette forme
générale. V. aussi Vattel II, 12, § 171.
8) Art. I. „Les trois monarques contractants demeureront unis par
les liens d'une fraternité véritable et indissoluble, et se considérant comme
compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et en tout lieu assistance,
aide et secours; se regardant envers leurs sujets et armées comme pères
de famille, ils les dirigeront dans le même esprit de fraternité, pour pro-
téger la religion, la paix et la justice." Art. 2. „En conséquence le seul
principe en vigueur soit „ entre les dits gouvernements," soit „ entre leurs
sujets" sera celui de se rendre réciproquement service, de se témoigner
par une bienveillance inaltérable l'affection mutuelle dont ils doivent être
animés, de ne se considérer que comme membres d'une même nation
chrétienne etc." Des stipulations semblables ne peuvent avoir d'autres con-
séquences légales que celle d'exclure toutes hostilités autant que possible,
et en cas de dissentiment d'opinion, de faire admettre des observations
amicales et des négociations, de ne consentir à aucune intervention illicite
et de se prêter mutuellement assistance.
188 LIVRE PREMIER. § 92.
II. Traités par lesquels on règle les conditions du com-
merce réciproque, ou par lesquels on s'accorde certaines faveurs
ou certains droits communs.
A cette catégorie appartiennent, dans l'ancien monde, les
concessions du droit de cité et de „ connubium u entre des peuples
alliés,1 ainsi que les traités de commerce et de navigation de
l'ancien monde, comme du monde moderne,2 traités qui quelque-
fois ont continué à subsister pendant la guerre même éclatée
entre les puissances contractantes. Ensuite les conventions qui,
dans le but de faciliter le commerce international, établissent
un système uniforme de monnaies, de mesures et de poids.
m. Traités ou alliances relatifs à la conduite politique à
observer à l'égard de tierces puissances.8 Ils peuvent avoir
pour but:
le maintien de la paix vis-à-vis des parties belligérantes,
* ou le rétablissement de la paix entre elles, en vertu d'un
droit d'intervention-,
le maintien de la neutralité dans la prévision d'une guerre
imminente;
la protection de certaines frontières (traités de barrière);
les moyens de défense concertés dans la prévision d'attaques
illicites (alliances défensives);
une guerre offensive entreprise pour la défense de droits
légitimes (alliance offensive).
Les engagements sont bilatéraux ou unilatéraux; ils sont
égaux cm inégaux, sans que la validité des traités en dépende
en aucune façon (§ 83 in fine). Us ne s'appliquent qu'aux cas
*) Des exemples de l'histoire grecque et romaine se trouvent dans
Barbeyrac , Supplém. au Corps univ. I, p. 282. 286. 288. 300. 355 et dans
Heffter, Prolus. academ. p. 8 et 9.
2) Y. sur l'importance politique et les différentes espèces de ces
traités: Mably, Droit public de l'Europe. H, 12, p. 287. éd. 1761. Bou-
chaud, Théorie des traités de commerce. Paris 1777. de Steck, Versuch
tiber Handels- und Schifffahrtsvertrâge. Halle 1782. Klttber, Droit des
gens. §152. Saalfeld, Europ. Vôlkerr. §95. Lampredi, Remarques histo-
riques. Londres et Paris 1788. t. H. de Kamptz, Lit. § 255 suiv. et B. de
Miltitz, Manuel des Consuls.
3) V. surtout Vattel ni, chap. 6 et Klûber § 149.
§ 92. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 189
expressément stipulés (casus foederis), qui tantôt n'ont en vue
que certaines éventualités ou certains événements, tantôt sont
d'une portée plus étendue.1 Les bénéfices et les pertes se par-
tagent à raison des ressources mises à la disposition de l'oeuvre
commune, et, en cas de doute, par moitié entre les parties con-
tractantes.3 Si toutefois l'alliance a pour but l'intérêt exclusif
d'une seule partie, elle jouit seule des profits, de même qu'elle
supporte en entier les pertes. Les profits obtenus accessoirement
se partagent entre les alliés, en cas d'action commune, pro
rata; en cas d'action isolée, ils appartiennent à une seule partie
qui supporte aussi les pertes, sauf stipulation contraire.
IV. Traités qui ont pour objet le maintien d'un certain
état de choses légal ou de la possession.
Ici l'on rencontre d'abord les traités de protection librement
consentis, par lesquels un État se met sous la protection d'un
autre, avec les effets expliqués au § 22 ci- dessus;
ensuite ceux de garantie, par lesquels une partie promet
à l'autre la conservation ou l'acquisition de certains droits ou
choses, ou bien d'une universalité de biens et de choses.8 Ils
ont pour effet de mettre à la disposition de l'allié, sur sa réqui-
sition, toutes les forces de la partie obligée, autant que l'exige
la défense des droits garantis contre des prétentions et des
attaques injustes. Néanmoins l'État garant ne répond pas du
préjudice souffert par son allié malgré ses efforts, à moins qu'il
n'ait promis également de le garantir en cas d'éviction.4
H est inutile d'ajouter qu'un traité peut réunir en même
temps les traits caractéristiques de plusieurs des catégories in-
diquées ci - dessus ; le traité de famille des Bourbons du 15 août
1761, en fournit un exemple remarquable.5
') V. Vattel, à l'endroit cité §88 et Wheaton, Intern. Law. III, 2,
§ 13 suiv. On applique les règles générales de l'interprétation des traités.
Nous y reviendrons dans le livre II, chap. 2, en traitant du droit de guerre.
a) Grotius II, 12. 24. Pufendorf V, 8. 2. Piittmann, à l'endroit
cité % 21.
8) Neyron, Essai historique et politique sur les Garanties. Gôtting.
1777. Moser, Vers. V, p. 455, et surtout Gttnther II, p. 243 suiv.
4) Wheaton, Intern. Law. § 10. de Neumann § 259.
*) de Martens, Recueil. I, p. 16. éd. 2.
190 IJVRE PREMIER. § 93.
2. Traités fédéraux (Confédérations).
§ 93. Les traités d'union fédérale ou Confédérations con-
tiennent cette particularité qu'ils se proposent non seulement
les intérêts spéciaux de différents États, mais aussi un but
commun, qui doit être atteint par des institutions communes
et permanentes, but qu'à la vérité les intérêts individuels font
souvent perdre de vue. Leur efficacité s'étend aux affaires ex-
térieures comme aux intérieures dans le domaine tout entier des
intérêts moraux et internationaux. Leur légitimité repose sur la
nature sociale de l'espèce humaine, sur l'obligation de l'État de
favoriser le bien-être de ses membres par le développement et
l'association la plus complète des forces physiques et morales.1
Aussi ces unions, pour être valables, n'ont -elles nullement besoin
d'être reconnues par les États étrangers: la Confédération, qui
n'est pour ainsi dire qu'une conséquence des États reconnus déjà
dont elle se compose, existe par elle-même: de tierces puis-
sances ne peuvent refuser de recevoir ses représentants communs,
ses déclarations communes sans commettre d'offenses, et le droit
international regarderait un refus de ce genre comme non avenu.
A cette catégorie appartiennent les Confédérations d'États
proprement dites, plus ou moins étendues (§21), la Confédé-
ration douanière allemande et toute autre union fondée en vue
de l'adoption d'un système commercial et industriel commun,
soutenu par des mesures communes. La volonté expresse des
souverains contractants forme la loi fondamentale de ces unions:
à son défaut on a recours aux principes généraux de droit
international, notamment au principe suprême de la justice, à
savoir l'égalité 'et la suppression des inégalités, ainsi qu'aux
règles sociales qui en découlent. Ce sont surtout les sui-
vantes :
Les droits et les obligations des membres fédéraux sont
égaux. La part de chacun dans les profits et les charges de
l'union se détermine à raison des ressources et des forces par
lui apportées.
l) Suivant l'ancien proverbe: nUbi societas ibi et jus est.a V. Cocceji
ad Proleg. Grotius § VIII.
§M, DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 191
La majorité ne peut introduire aucun changement dans la
constitution fédérale dès qu'un seul membre s'y oppose. Mais
aucun ne peut empêcher non plus par son opposition l'exécution
constitutionnelle des principes fédéraux, tant que l'union subsiste.
Plusieurs membres de l'union peuvent aussi, sans violation de
leurs devoirs, concerter entre eux et mettre à exécution des
mesures qui ne sont pas contraires à la constitution fédérale et
ne portent aucun préjudice aux autres membres. Tel est le sens
de la maxime applicable également aux associations politiques :
„in re pari potiorem esse prohibentis causam."1
Dans les cas mêmes où l'on applique le principe de la
majorité des voix, les résolutions par elle décrétées ne peuvent
obliger les membres qu'autant qu'elles sont comprises dans les
devoirs fédéraux. A plus forte raison elle ne peut, sans le con-
sentement libre des co-intéressés, prendre des résolutions relatives
aux rapports internationaux et indépendants de l'union. Ces der-
niers sont compris sous la dénomination de „jura singulorum,u
dont la définition, depuis la paix de Westphalie (Instr. Osnabr.
V, 52) surtout, a toujours présenté des difficultés sérieuses.2
EFFETS GÉNÉRAUX DES TRAITÉS.3
§ 94. Tous les traités internationaux sont des contrats
„bonae fidei." Us obligent non seulement à tout ce qui a
été stipulé expressément, mais aussi à ce qui convient le
mieux à la matière du contrat et à la commune intention des
parties contractantes (esprit des conventions).4 — Les engage-
ments contractés par le souverain au nom de l'État, dans l'exer-
*) L. 28. D. cominuni divid. V. Ludolph. Hugo, De statu regionum
German. (Fritsch, Exercit. juris. t. El, p. 1 suiv.) chap. 6. § 17. H dit
toutefois, avec l'opinion commune, ce qui suit: Quando aliquid commune
est ut universis, id ratum est, quod major pars statuent; quando vero
commune est ut singulis tune potior est causa prohibentis. Gail, De
pignor. chap. 20 ; Anton Faber in Cod. HI, 26, defin. I, n. 7.
2) Ab Ickstadt, Opusc. t. H, 1 — 5. Une définition semblable a été
faite pour la Confédération german. par l'Acte final de 1820, art. 15.
V. Klûber, Oeffentliches Recht des deutschen Bundes. § 129.
8) Neyron, De vi foederum inter gentes. Goetting. 1778.
4) V. Code Nap. art. 1156 — 1158.
X92 LIVRE PREMIER. § 94.
cice de ses fonctions, même ceux d'une nature mixte, obligent
ce dernier en entier et sont d'une nature réelle. Ils continuent
à être valables tant que l'État subsiste, même sous une forme
et sous une constitution différentes (§ 24), sauf les modifications
qui résultent du changement des rapports : la cessation complète
de ces rapports entraîne leur abrogation (§ 98). Les engage-
ments contractés par le chef de l'État et relatifs à ses droits
souverains, se transmettent régulièrement à tous ses successeurs,
car ils grèvent l'État lui-même: ses engagements privés se trans-
mettent à ses successeurs privés seulement, à moins que, dans
l'un comme dans l'autre cas, il n'ait promis qu'un fait purement
personnel.1 Les traités publics réels qui concernent les sujets et
leurs rapports individuels, ont la même autorité que les lois de
l'État, s'ils ont été contractés et publiés régulièrement.1
Un traité public ne peut jamais avoir pour effet d'imposer
aux États ou aux souverains, représentants ou organes de la
justice, des obligations contraires à la morale, au droit et aux
principes de la religion. Lors de son exécution il faut procéder
avec modération et avec équité, d'après la maxime qu'on doit
traiter les autres comme on voudrait être traité soi-même. Il
faut en conséquence accorder des délais convenables, afin que
la partie obligée subisse le moins de préjudice possible ni aucune
lésion de ses droits. A moins qu'il ne s'agisse de prestations
assujetties à certains termes fixes, l'exécution doit être précédée
d'une sommation préalable: c'est à partir de ce moment que la
partie obligée est mise en demeure et qu'elle est tenue à des
*) Les anciens auteurs, tels que Grotius et Pufendorf (VHI, 9, 6), et
leurs disciples se sont livrés à ce sujet à de longues recherches. Depuis
lors les rapports entre le souverain et l'État ont été beaucoup éclaircis.
Vattel déjà (H, 12, § 183 suiv.) professe des notions -exactes. La simple
mention du souverain, sans celle de l'État, ne change rien à l'affaire. On
pourrait demander avec raison si la sainte Alliance est un traité réel ou
personnel? V. ci -dessus p. 187, note 3, art. 2. D'après les explications
données dès le commencement par plusieurs gouvernements, l'idée d'un
traité public devait en être exclue. V. Wiener Jahrbttcher de 1822.
t. IV. p. 93.
2) Grotius H, 14. 9; H, 22. 5. de Neumann § 333. Pufendorf VU 4. 1.
Hert, Opusc. H, 3, p. 82.
§ 95. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 193
dommages - intérêts qui, en matière internationale, ont le même
caractère qu'en matière civile.
Dans le livre II, qui traite du droit des actions, nous ex-
pliquerons quels sont les effets de la non - exécution des contrats
internationaux. Un traité ne peut par lui-même ni profiter ni
nuire à de tierces puissances. Celles-ci, s'il leur fait éprouver
un préjudice direct ou indirect, peuvent prendre des mesures
conservatoires et réserver provisoirement leurs droits par une
protestation, laquelle toutefois ne préjudiciera ni à la validité
ni à l'exécution d'un traité régulièrement conclu entre les parties
intéressées.1
INTERPRÉTATION ET APPLICATION DES TRAITÉS
PAR VOIE D'ANALOGIE.
§ 95. En cas de doute, les traités s'interprètent d'après
l'intention présumée des parties:2 d'après ce que, aux termes de
la convention, l'une est présumée avoir promis à l'autre, selon
les règles de la bonne foi et de la raison. Ainsi celui qui a
stipulé n'a pas le droit d'exiger ce qui ne lui a pas été promis
expressément:8 ce qui n'a pas été rédigé clairement, ne peut pas
s'interpréter contre le souverain et la nation obligés. Lorsqu'une
clause est susceptible de deux sens, on doit l'entendre dans le
sens le moins onéreux.4 Lorsqu'on a stipulé une chose générique
(genus), on ne prendra dans le doute qu'une qualité ordinaire
et moyenne, ainsi qu'il a été généralement établi en matière
*) L'Église romaine et ses membres ont quelquefois protesté contre
les traités qui lui étaient nuisibles; p. ex. l'évêque d'Augsbourg contre
la paix de religion de 1555. Rome contre le traité de Westphalie, et
plus tard. Les États n'y ont pas toujours eu égard: car l'Église aussi est
assujettie aux nécessités de ce monde.
2) V. Grotius II, 16 et le commentaire de Cocceji; Pufendorf V, 12,
surtout Vattel II, 17, qui s'étend longuement sur l'interprétation des con-
ventions. V. aussi de Neumann, Jus princ. loc. cit. fit. 6. § 221. Ruther-
ford, Instit. H, 7. Crome et Jaup, Germanien. II, 2. 161. Pando p. 230 suiv.
Riquelme I, p. 192. Wildman I, p. 177. Les propositions par nous déve-
loppées s'expliquent par ce qui a été dit au paragraphe précédent.
8) Mably, Droit public. I, p. 59.
4) de Neumann § 226. Vattel § 277.
13
194 LIVRE PREMIER. § 96.
civile d'après les dispositions du droit romain.1 Ce qui découle
des termes précis de l'engagement comme une conséquence
nécessaire, peut être exigé comme y étant compris tacitement.
Un traité s'applique par voie d'analogie à des rapports nouveaux
essentiellement identiques, à moins que les parties, en con-
tractant, n'aient eu exclusivement en vue ceux précédemment
établis, ou que, ces rapports ayant été changés, le traité n'ait
perdu son efficacité légale ou physique.2 — Les parties inté-
ressées seules ou l'arbitre par eux choisi peuvent naturelle-
ment donner aux traités publics une interprétation forcément
obligatoire: toutes les règles d'interprétation ne peuvent servir
qu'à l'appui des prétentions et des explications réciproques.
SURETES DONNÉES POUR L'OBSERVATION DES TRAITÉS.3
§ 96. Afin de donner aux conventions internationales plus
de force et de solidité, différents moyens ont été employés tant
dans le monde ancien que dans le monde moderne. En dehors
des solennités religieuses usitées autrefois, auxquelles on a re-
noncé de nos jours,4 et des actes de reconnaissance destinés
à faire maintenir entre les parties contractantes ou leurs suc-
cesseurs l'autorité des traités, nous indiquerons notamment les
moyens suivants:
L Le serment, qui a pour but de consacrer, par la
sanction religieuse, un engagement conclu.6 D'un caractère pure-
*) L. 37. D. de legatis I.
2) Grotius II, 16, § 20. 25. Pufendorf V, 12. 17. 20. Vattel H, 17, § 290.
296. 304. 305. H. Cocceji, De clausula: Rébus sic stantibus. La règle ci-
dessus expliquée s'appuie surtout sur la Loi 40 in fin. Dig. de pactis.
8) F. L. Waldner de Freundstein, De firmamentis conventionum publ.
Giess. 1709 et 1753. C. F. Woller, De modis qui firmandis pactionibus
publicis proprii sunt. Vindob. 1775. Vattel H, 16. § 235 suiv. de Neu-
mann I, tit. VIT.
4) de Neumann § 241. 242.
6) Grotius H, 13. Pufendorf IV, 2. de Neumann tit. Vm, se sont
livrés à de longues dissertations sur l'autorité du serment. Les principes
que nous adoptons sont ceux du droit canon, qui accorde au serment
le plus d'effets. Ils se retrouvent dans les traités des auteurs et dans
les codes. V. Vattel § 225 suiv. Sur le serment employé accessoirement
lors de la conclusion des traités > depuis celui de Verdun de 843 jusqu'à
§ 96. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 195
ment personnel, en ce qu'il ne lie que la conscience de la partie
obligée, il ne confère à l'autre partie d'autres droits que ceux
résultant de l'engagement même. Il ne peut pas non plus légi-
timer des rapports illicites, ni faire cesser les droits acquis
d'un tiers.
H. La constitution d'hypothèque, suivie ordinairement d'une
mise en possession réelle (§ 71).1
m. La stipulation d'une clause pénale en cas de non-
exécution, clause qui ne rencontre d'autres restrictions positives
que celles qu'imposent les principes généraux des contrats.1
IV. Le mode anciennement usité et connu sous le nom
de „jus obstagii."8
V. Les cautions, qui garantissent le remboursement de
créances.4
VI. La remise d'otages, c'est-à-dire, de personnes livrées
au créancier et qu'il peut retenir jusqu'au moment où l'engage-
ment contracté envers lui sera rempli. Les otages sont volon-
taires ou forcés: ils ne répondent pas de l'engagement, mais
tant que continue ce dernier, ils sont privés de leur liberté
personnelle, sans que toutefois, même après l'échéance de la
créance, le créancier puisse, d'après les lois des nations civi-
lisées, se livrer à leur égard à des actes arbitraires. — L'otage
volontaire pourvoit lui-même à son entretien, tandis que celui
de l'otage forcé est à la charge du débiteur. S'il s'enfuit, il est
restitué au créancier, et si l'on ne peut le retrouver, il faut le
remplacer par un autre; cette obligation toutefois n'existe pas
à l'égard de celui qui est décédé. L'engagement principal une
fois éteint, il n'est permis de retenir l'otage sous aucun pré-
texte, si ce n'est à raison de ses propres faits ou engagements.6
celui intervenu en 1777 entre la France et la Suisse, v. Klûber, Droit
des gens. § 155.
0 V. des exemples dans Gtinther II, 153. Kltiber § 156.
a) Autrefois on connaissait encore les traités contractés sous la foi
d'honneur etc. de Neumann § 256 suiv.
») de Neumann § 770.
4) de Neumann § 779 suiv.
5) L'usage de constituer des otages s'est perdu dès le xvi« siècle:
on en rencontre quelquefois encore de rares exemples en temps de guerre
13*
198 LIVRE PREMIER. § 98.
premier comme partie co-intéressée.1 De même la garantie d'un
traité récognitif et approbatif, conclu par les mêmes parties,
n'entraîne pas celle des dispositions particulières du traité
antérieur: elle ne porte que sur la validité de la reconnais-
sance, à moins que les parties contractantes n'en soient con-
venues autrement.2
3
RÉSILIATION DES TRAITÉS. — EXCEPTIONS.
§ 98. D'après le droit international, un traité peut être
attaqué comme étant entaché de nullité, s'il manque d'une des
conditions essentielles indiquées au § 83; notamment:
pour cause d'impossibilité absolue ou même relative, connue
des deux parties, de l'engagement au moment où il a
été contracté;
pour cause d'erreur de fait, de nature à rendre impossible
une entente réelle entre les parties, soit que l'erreur porte
sur la substance de l'affaire, soit sur la personne de l'un
des contractants, soit sur l'objet même.4
Dans ce cas le traité n'a pas d'existence légale. — Un
traité peut en outre être attaqué par l'une des parties:
pour défaut de capacité;
pour cause de violence arbitraire, personnelle, exercée par
une puissance quelconque et qui a eu pour résultat la
conclusion du traité;6
*) Wildman I, p. 169.
a) Une question de cette nature a été provoquée par la paix de
Teschen. V. les ouvrages en sens contraire cités par de Kamptz, Liter.
p. 81. no. 5 suiv.
3) Chr. Otto van Boeckelen, De exceptionibus tacitis in pactis publicis.
Groen. 1730. van Bynkershoek, Quaest. jur. publ. II, 10. Fr. Platner, De
exceptionibus necessariis juris publ. Lips. 17(54. Rofsmann, dans : Sieben-
kees, Juristisches Magazin. I, no. 4. C. H. Breuning, De causis juste soluti
foederis. Lips. 1762. C. E. Wàchter, De modis tollendi pacta inter gentes.
Stuttg. 1779.
4) V. les observations de Savigny, System des heutigen rômischen
Rechts. m, § 115. 135 suiv. et p. 354. V. aussi de Neumann § 183.
5) N. H. Gundling, De efficientia metus in promissionibus liberarum
gentium etc. Hal. 1711 et Exercitat. acad. H, no. 2. Le traité obtenu le
§ 98. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. \QQ
pour cause de fraude pratiquée par Tune des parties et qui
a déterminé le consentement de l'autre.
Dans ces cas, la validité du traité ne peut être attaquée
que par la personne même qui en a été la victime.
La partie obligée peut également refuser l'exécution de
l'engagement contracté:
dans le cas d'une impossibilité survenue et durable, bien
que relative, de le remplir, notamment dans le conflit
avec ses propres devoirs, avec les droits et le bien-être
du peuple ou les droits de tiers, alors surtout que ces
droits qui existaient déjà avant le traité se trouveraient
lésés. Mais elle sera tenue à des dommages -intérêts, si,
lors de la conclusion du traité, elle avait connaissance
de cette impossibilité.1 Elle peut refuser encore l'exécution
de l'engagement contracté,
à cause d'un changement des circonstances survenu depuis
la conclusion du traité et facile à prévoir, lorsque, d'après
l'intention évidente des parties, elles en formaient la con-
dition tacite. Les nations et les souverains ne sont pas
maîtres de leurs destinées au même point qu'ils le sont
de celles de leurs membres ou sujets. Il est donc indispen-
sable d'admettre la condition implicite: „ rébus sic stan-
tibus," dans le sens qui vient d'être indiqué.2
H faut regarder comme un changement semblable celui qui
ne permettrait pas à l'État obligé de maintenir sa position po-
litique antérieure et qui le placerait dans une condition d'in-
fériorité vis-à-vis des autres, infériorité qui n'existait pas lors
du traité et qui n'était pas dans l'intention des contractants.
Un changement pareil a lieu encore lorsque l'événement ou
les circonstances qui ont motivé l'engagement contracté, ne
se sont pas réalisés ou ont cessé d'exister ; lorsque, par exemple,
19 août 1742 par la flotte anglaise à Naples, fournit un exemple d'un
traité arraché par la violence.
*) V. de Neumann § 177. Klûber § 144. 164. note c. Breuning à l'en-
droit cité § 4. 10.
2) V. surtout Sam. Cocceji, De clausula: Rébus sic stantibus, et Kluber
§ 165. note a.
200 LIVRE PREMIER. § 98.
l'alliance de famille qui a formé la condition tacite d'une al-
liance politique, a été rompue.1
Lorsque l'impossibilité d'exécution ou le changement des
circonstances ne concerne qu'une partie du traité, on peut en
exiger seulement une modification partielle, mais aucunement
la résiliation entière. Les cas où il faudra appliquer ce prin-
cipe, sont les suivants: l'union réelle d'un État jusqu'alors
indépendant avec un autre, sa soumission à un autre sous
la forme d'un protectorat; la perte d'une partie de son terri-
toire etc.2
Il est enfin incontestable que si l'une des parties con-
tractantes refuse positivement de remplir ses engagements, en
dehors d'un des motifs indiqués ci -dessus pour faire modifier
le traité, il est permis à l'autre de s'en affranchir également,
lors même que le refus ne porterait que sur un seul point ou
sur une seule disposition. Car l'accord complet sur tout ce qui
a été convenu forme la base de tout traité, et la violation d'une
seule disposition fait craindre celle de toutes les autres et en-
traîne un état d'incertitude.8
Toutes les exceptions indiquées ci- dessus peuvent au sur-
plus être écartées soit par une renonciation préalable, soit par
une confirmation expresse ou tacite d'un traité naturellement
possible, et surtout par son exécution volontaire après que l'ob-
stacle qui s'opposait à sa validité a cessé.
1) V. aussi Schmelzing § 403.
2) V. Vattel II, § 204.
3) V. dans le même sens Grotius II, 15. 15. Mably, Droit des gens.
I, p. 164. Vattel II, 200 suiv. Klttber § 165, note c, où l'on trouve l'indi-
cation des principaux ouvrages; Schmelzing §407. Wildman I, p. 174.
Martens distingue entre les articles principaux et accessoires (droit des
gens § 59). Cette distinction est arbitraire et elle est laissée à l'appré-
ciation individuelle. V. Vattel, à l'endroit cité. Quelquefois il est réservé
expressément dans les traités qu'en cas de violation il faudra faire une
tentative de conciliation amiable. Traité de Westphalie art. 17, § 5. Traité
d'Oliva art. 35, § 2. Traité conclu en 1756 entre le Danemark et Gênes.
Wenck in, p. 103; celui conclu en 1843 entre la France et l'Ecuador.
N. R. S. V, p. 415.
§ 99. DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 201
EXTINCTION DES TRAITÉS.1
§ 99. Les traités s'éteignent de plein droit:
par leur exécution complète, lorsqu'ils n'ont pas pour objet
des prestations permanentes, mais des actes qui s'accom-
plissent d'une seule fois;2
par l'accomplissement d'une condition résolutoire et par l'ex-
piration du terme prescrit;
par une renonciation expresse de la partie intéressée;3
par la résiliation mutuelle d'un traité bilatéral, pourvu qu'elle
ne puisse pas être empêchée par un tiers;4
par l'anéantissement complet de la chose qui forme l'objet
du traité, pourvu qu'il n'ait été occasionné par la faute
d'aucune des parties;
par le décès de la partie intéressée ou obligée, sans que
personne succède de plein droit ou d'après les règles de
l'analogie des traités dans leurs prétentions et leurs obli-
gations respectives.5
Enfin une guerre générale, non partielle, survenue entre les
parties contractantes, est une cause sinon entièrement extinctive,
du moins suspensive des effets d'un traité, à moins qu'il n'ait
été conclu expressément en prévision et pour la durée de la
guerre. Nous justifierons cette proposition dans le livre suivant,
lorsque nous examinerons le caractère légal de la guerre.6
*) Outre les ouvrages cités au §98 on peut consulter les suivants:
Leonh. de Dresch, Ueber die Dauer der Vôlkervertrâge. Landshut 1808.
E. W. de Trôltsch, Versuch einer Entwickelung der Grundsâtze, nach wel-
chen die Fortdauer der Vôlkervertrâge zu beurtheilen. Landshut 1809.
Mably, Droit public. I, p. 165 suiv.
2) Si le traité n'est pas valable et qu'il n'ait pas été librement exé-
cuté, il y a lieu à restitution. V. Vattel II, 192.
8) Le contractant n'est pas toujours libre de renoncer à ses droits,
ainsi que l'observe très -bien de Neumann § 395.
*) Vattel II, 205.
6) A cet effet on distingue entre les traités réels et personnels.
V. § 24. 25. 53.
6) V. en attendant les ouvrages cités par Kliiber § 165. note a, ainsi
que Wheaton, Intern. Law. III, 2. § 8. Wildman I, p. 176 et § 122 et 181
ci- après.
202 LIVRE PREMIER. § 100.
Un traité éteint peut être renouvelé par le consentement
commun, exprès ou tacite des parties contractantes. Le traité
ainsi renouvelé devient seul obligatoire pour l'avenir, et il est
soumis en général aux règles et aux conditions des traités ordi-
naires. Le renouvellement tacite ne peut donc résulter que d'actes
manifestes établissant d'une manière incontestée l'intention des
parties de faire revivre l'ancien traité dans toutes ses disposi-
tions. En dehors de ce cas l'exécution continuée d'un engagement
éteint, du consentement du créancier, n'est regardée que comme
un fait isolé.1
SECTION H.
ENGAGEMENTS QUI SE FORNHT SANS CONVENTION.
1. FAITS LICITES.
§ 100. Certains actes et certains rapports produisent dans
le droit public, en dehors des conventions et d'une manière ana-
logue aux quasi-contrats du droit civil, des effets pareils à ceux
des traités.2 Nous les comprenons dans les deux catégories
suivantes :
I. Obligation unilatérale,
laquelle résulte de l'acceptation volontaire d'un payement ou
d'une prestation faite par erreur dans un but déterminé
et licite qui n'a pas été atteint, et en général dans les
cas où le droit civil admet une condiction „sine causa" ;s
*) V. Frédéric de Martens, Ueber die Erneuerung der Vertrâge in den
Friedensschltissen der europâischen Mâchte. Goett. 1797.
2) La plupart des auteurs gardent le silence sur cette matière. Plu-
sieurs anciens auteurs ont nié tout- à -fait l'existence d'engagements sem-
blables. Mais il est impossible de regarder dans le droit public comme
une chimère ce que les Codes et la jurisprudence des nations civilisées
admettent comme valable dans les engagements privés. V. de Neumann,
Jus Princ. Priv. de pact. et contract. § 824 suiv. H ne peut y avoir aucun
doute sur les principes, mais seulement sur les points où les Codes varient
entre eux. H est vrai que les cas d'application se présentent assez rare-
ment dans la pratique des nations.
s) C'est une application des principes du droit romain. V. de Savigny,
System. § 218 suiv.
§ 101, DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 203
H. Obligation bilatérale de reddition de compte et d'in-
demnité réciproques. Elle résulte:
1° de toute gestion d'affaires faite utilement pour un autre,
sans opposition de son côté;1
2° de l'acceptation et de la gestion d'une tutelle de personnes
souveraines, lorsque, par exemple, la régence d'un pays,
par suite de la minorité ou de l'incapacité de son souve-
rain, a été déférée à un prince ou à une république
étrangers ;
3° d'une communauté accidentelle (communio rei vel juris),
par exemple, lors d'une succession échue à plusieurs États
ou souverains, ou lors de l'acquisition d'une chose en
commun, sans que lp dispositions des lois civiles d'un
pays puissent être appliquées. Il faut recourir dans ces
cas aux principes expliqués ci-dessus, relatifs aux traités
d'association, savoir à celui de l'égalité des droits et des
charges, à moins que la proportion n'ait été réglée d'avance ;
à celui de la jouissance libre de la chose par chacun des
coïntéressés, pourvu qu'ils ne s'entrenuisent pas ; enfin au
principe qui défend de disposer arbitrairement de la chose
entière sans le consentement des autres, en restreignant
cette faculté à la portion respective de chacun. La disso-
lution de la communauté ne peut s'opérer que par voie de
traité ou accidentellement.
2. FAITS ILLICITES.2
§ 101. Le droit international n'admet pas à la vérité l'exis-
tence de crimes dans la signification expliquée par le droit public
*) Non pas de ce qu'on appelle un emploi utile, ayant eu pour effet
d'enrichir une partie aux dépens de l'autre, ainsi qu'on l'a déduit de la
disposition de la Loi 206. D. de Reg. juris; v. p. ex. Toullier sur le Livre ni,
tit. 4. chap. 1. § 20. 112.
*) La plupart des auteurs gardent encore le silence sur cette matière
importante. Grotius H, 20.21 s'est renfermé dans des généralités, ainsi
que Pufendorf III, 1. Monographies : J. P. de Ludewig, De juris gentium
laesionibus. Hal. 1741. (Observât, selectae Halenses Vm, observ. 6. 7.)
de Neumann i. W., De delictis et poenis principum. Frcf. ad M. 1753, ne
s'occupe que des rapports du ci-devant Empire germain. Wildman I, p. 199.
204 LIVRE PREMIER. § 101.
interne, c'est-à-dire, celle de faits ou d'omissions que puissent
atteindre les lois répressives et dont il faille répondre devant
les autorités compétentes. Mais il regarde comme faits illicites
ou comme lésions les atteintes portées sans motifs légitimes
aux droits fondamentaux des personnes par lui sauvegardées,
notamment à leur liberté, à leur honneur et à leur propriété.
Toute lésion semblable oblige Fauteur à la réparer: car les
lois de la justice prescrivent que l'équilibre social soit rétabli
chaque fois qu'il a été dérangé par une iniquité quelconque.
La réparation consiste dans l'indemnité offerte à la partie
lésée dans les limites de l'équité. Le premier élément de son
appréciation est le dommage ou préjudice matériel, c'est-à-dire,
celui qu'on peut extérieurement reconnaître et apprécier; le se-
cond est le préjudice moral souflfere par le lésé dans sa dignité
et sa considération. L'atteinte portée aux droits de la personne
lésée du moins aura toujours besoin d'être réparée par des actes
ou prestations équivalents, qui lui serviront d'indemnité du pré-
judice souffert dans l'intégrité de ses droits: des explications
suffisantes, une amende honorable, des garanties pour l'avenir
sont des moyens usités en pareils cas.1 Autrement l'offensé
pourra se faire justice lui-même et chercher à obtenir par la
força une satisfaction équitable, proportionnée à la lésion subie
par lui.2 A l'exception de plusieurs actes également hostiles aux
droits généraux des nations et de nature à être réprimés par
toutes (§ 104 ci -après), la partie lésée ou ses successeurs ont
ordinairement seuls le droit d'exiger une réparation de l'offense.
Le caractère des personnes et les rapports généraux établissent
à ce sujet les distinctions suivantes.
1) V. le paragraphe suivant.
2) Le droit de talion qui forme l'extrême limite de la justice, n'est
pas approuvé par la morale. Sous ce rapport, les principes du droit public
sont ceux du droit criminel. V. déjà Augustinus Exposit. Psalmi 108
(c. 1. C. 23. qu. 1) „reddere mala pro malis propinquum malis; convenit
tamen et bonis. Unde et lex modum ultionis statuit: Oo«lum pro ooulo.
Quae, si dici potest, injustorum justitia est, non quia iniqua est ultio
quam lex statuit, sed quia vitiosa est libido ulciscendi." V. Vattel H,
51. 52. 339. Le talion ne peut être regardé comme représaille nécessaire
que vis-à-vis des peuples sauvages ou barbares.
§ 102. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 205
§ 102. Lorsqu'un État ou son souverain a été lésé dans
ses droits personnels et internationaux par une autorité étran-
gère placée en dehors de sa juridiction, il peut exiger non seu-
lement, par voie de réclamation, une satisfaction, mais encore il
pourra, si elle lui est refusée, chercher à l'obtenir par la force.
Cette satisfaction les Etats puissants mêmes ne la refusent
ordinairement pas à de plus faibles, auxquels ils ont causé des
torts réels. La réparation consiste soit dans une indemnité du
dommage matériel, soit dans l'envoi d'ambassades et dans des
explications solennelles.1
Le principe d'exterritorialité s'oppose à la vérité à ce que
les infractions commises par un souverain étranger aux lois du
territoire où il se trouve passagèrement, puissent être déférées
à la juridiction criminelle ordinaire. Néanmoins l'État offensé
est en droit non seulement d'arrêter au besoin par la force des
tentatives criminelles, mais encore, lorsqu'elles sont devenues
des faits accomplis, de s'emparer de l'offenseur et de le retenir
jusqu'au moment où il aura obtenu une réparation. H pourrait
même répondre à un attentat dirigé contre son existence et son
intégrité, par une déclaration de guerre.2
1) L'histoire moderne fournit des exemples nombreux de réparations
accordées pour injures ou lésions. En voici quelques-unes:
1662 entre l'Espagne et la France, pour droits de préséance violés.
Ch. de Martens, Causes célèbres. II, p. 391. Schmauss, Corp. Jur. Sent.
I, p. 760. Giinther I, p. 233. 235.
1685 entre Gênes et la France, de Martens, loc. cit. II, p. 399.
1687 entre l'Angleterre et l'Espagne, de Martens, Nouv. Caus. cél. II,
p. 497.
1702 entre Venise et la France, de Martens, Caus. cél. II, p. 405.
1709 entre l'Angleterre et la Russie, après que l'Ambassadeur russe eut
été offensé à Londres. Ibid. I, p. 47.
1752 entre la Suède et la Russie. Ibid. II, p. 414.
1785 entre les Pays-Bas et l'empereur d'Allemagne, le pavillon de ce
dernier ayant été offensé sur l'Escaut. Ibid. II, p. 271.
V. aussi Wicquefort, l'Ambassadeur. I, sect. XXVII. Dans les temps les
plus récents ce sont les violations des droits des neutres sur mer qui
sont les causes les plus fréquentes de réclamations.
2) V. surtout Bynkershoek, De jud. comp. leg. chap. III. Huber, De
jure civitatis. I, 3. 3. 1. Thomasius, Jurisprud. divina. ni, 9. 76. Ward,
Enquiry. II, p. 485.
206 LIVRE PREMIER. § 103.
Cela s'applique également aux représentants diplomatiques
d'une puissance étrangère qui, à l'abri de leur caractère exter-
ritorial, commettent des crimes dans le territoire de l'État où
ils sont accrédités,1 peu importe d'ailleurs que ces crimes soient
le résultat d'un mouvement spontané ou d'un ordre de leurs
gouvernements.2
S'il existe entre deux États des rapports de suzeraineté,
les infractions commises par l'État inférieur envers le suzerain
peuvent en outre présenter le caractère de félonie. Il faut néan-
moins convenir que les progrès des moeurs et l'influence de
l'opinion publique ont en général ôté aux questions de cette
nature une grande partie de leur intérêt pratique.
§ 103. En cas de lésions commises envers un État ou ses
sujets, soit par un particulier, soit par l'agent d'un gouvernement
étranger, sans l'aveu de ce dernier, il faut distinguer encore si
elles se sont passées sur son territoire ou au dehors.8 Dans le
premier cas elles tombent sous l'application des lois pénales et
sont déférées aux tribunaux de ce pays, pourvu que le coupable
ait continué à y résider ou y ait été arrêté (§36). Dans le
second cas le gouvernement offensé peut seulement former une
réclamation auprès de celui auquel est soumis le coupable, pour
obtenir soit une réparation suffisante par des voies civiles ou
criminelles, soit son extradition, soit toute autre satisfaction con-
forme à ses intérêts.4 Car il est impossible que des États amis
qui reconnaissent entre eux l'existence d'un droit commun (ce
que nous avons appelé une „dikéodosie"), refusent, en cas de
1) V. des exemples nombreux de l'histoire des siècles précédents
dans Wicquefort, l'Ambassadeur. I, sect. 27 — 29; Ward; Merlin, Réper-
toire, m. Ministre public. V, § 4, n. XII. XIII. Sur les affaires des comtes
Ghillenborg, de Goertz, de Cellamare (1717. 1718) Ch. de Martens, Causes
célèbres. I, p. 75. 179. Bynkershoek, loc. cit. chap. XVII— XX.
2) Thomasius à l'endroit cité: „Illud autem absurdum, quod quidam
arbitrantur impune licere legato exequi quidquid sibi a principe est man-
datum." cet.
3) Autrement il faudrait comprendre le cas sous le § 102. Le gouverne-
ment devra toujours manifester sa désapprobation d'une manière expresse.
Vattel n, p. 338 cite une exemple relatif à la France et à la Sardaigne.
4) V. Vattel n, 71 — 78. Grotius II, 17. 20. Wildman loc. cit.
§ 104. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA PAIX. 207
violations de leurs droits fondamentaux, soit politiques soit civils,
de s'accorder mutuellement une réparation suffisante. Autrement
si une demande semblable et bien établie pouvait être arbitraire-
ment repoussée, le droit lui-même serait dépourvu de toute
réalité ou raison d'être. Il est vrai, ainsi que nous l'avons déjà
observé plusieurs fois, qu'une obligation commune à tous les
États de réparer les offenses commises entre eux, ne peut être
soutenue qu'à l'égard de ces droits primordiaux auxquels on
attribue partout la même valeur et la même nécessité; — non pas
de ces rapports accidentels auxquels les lois particulières des diffé-
rents États seulement donnent leurs formes et leur signification,
peu importe d'ailleurs l'analogie l qu'elles présentent à ce sujet.
VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL RÉPRIMÉES PARTOUT.
§ 104. Toute négation réelle et absolue des droits des
hommes et des nations, tout attentat d'un caractère général ou
spécial dirigé contre eux, lorsqu'il s'est manifesté par des actes
extérieurs et par des moyens propres, constitue une violation
du droit international, une offense envers tous les États qui
obéissent aux mêmes lois morales, de nature à être réprimée
par leurs efforts communs. Parmi ces violations on comprend
notamment les cas suivants:
une tentative sérieuse d'établir un empire universel sur les
ruines des États particuliers ou sur le territoire commun
à tous, la haute mer (§ 16. 29 in fine, 74 ci -dessus):
des violations des droits sacrés d'ambassadeurs, dont le main-
tien est une base essentielle des rapports internationaux;2
le refus de faire droit à des prétentions universellement ad-
mises;3 l'adoption de principes contraires aux droits de
tous et mis en avant vis-à-vis d'un seul État;4
*) V. § 32 ci -dessus, ainsi que la proposition contenue dans la note 4
du § 39.
') Lors de violations semblables tous les membres du corps diplo-
matique prennent fait et cause pour le membre offensé, soit spontanément,
soit après y avoir été invités. Des exemples dans Ch\ de Martens, Causes
célèbres. I, p. 83. 220.
*) Vattel II, § 70.
4) Vattel II, § 53.
208 LIVRE PREMIER. § 104.
les empêchements et troubles apportés au commerce libre
des nations sur la haute mer et sur les routes de terre
généralement accessibles.
La piraterie est une espèce particulière qui consiste dans
l'arrestation et dans la prise violente de navires et des biens
qui s'y trouvent, dans un but de lucre et sans justifier d'une
commission délivrée à cet effet par un gouvernement respon-
sable.1 Elle est regardée comme un acte d'hostilité flagrante
contre l'humanité entière, dès qu'elle a reçu un commencement
d'exécution ou dès qu'elle a été constatée d'une manière suffi-
sante. Les pirates qui sont surpris en flagrant délit et qui ont
fait usage de leurs armes, encourent la peine capitale et sont justi-
ciables d'après les lois de l'État par lequel ils ont été arrêtés.2
Les navires et les sujets des États barbaresques et d'autres
pays ottomans, ne sont pas compris dans cette catégorie: par
suite de leurs rapports avec la sublime Porte, on s'est mis k%
leur égard sur un pied de défense, ou l'on s'est assuré leur
amitié par des traités et des dons (§ 7 ci- dessus). Nous espérons
que les tristes temps de connivence avec ces pirates sont passés.
En supposant que l'abolition de l'esclavage des nègres ffit
un principe adopté par toutes les nations Européennes, et qu'il
eût cessé de jouir de toute protection, le transport maritime des
noirs deviendrait un crime attentatoire aux droits communs de
l'humanité. En attendant ce résultat, les nations qui ont pro-
scrit l'esclavage, ne peuvent qu'offrir un asile aux esclaves ré-
fugiés sur leurs territoires, en refusant leur extradition à des
maîtres dénaturés et en leur restituant un bien dont ils ne pou-
vaient être dépouillés.
L) Sur la définition de la piraterie v. Wheaton, Intern. Law. II, 2. § 16.
Wildinan I, p. 201. Riquelme I, p. 237. Loi française du 10 avril 1825.
V. Ortolan, Régi, internat. I, p. 250 suiv.
2) Déjà dans le monde ancien la peine capitale était la peine régu-
lièrement prononcée. Cicéron, Verrines. V, 26. Au moyen âge on noyait
les pirates. Leibnit., Cod. jur. gent., document 124. Sauf le cas d'attaque,
les sujets d'un État n'ont pas le droit de procéder à l'exécution de pirates.
Loccenius, De jure marit. II, 3. 9. Valin (ordonn. de 1681) III, 9. 3* p. 236.
Ortolan I, p. 254.
LIVRE DEUXIEME.
DROIT INTERNATIONAL FENDANT LA GUERRE.
Chapitre Ier-
DES CONTESTATIONS INTERNATIONALES ET DES
MOYENS DE LES VIDER.
LEURS CAUSES.
. § 105. Les contestations naissent en général entre les na-
tions des prétentions hostiles dont la solution n'est pas de la
compétence des tribunaux ordinaires ou éprouve des difficultés
suscitées arbitrairement par les parties en litige. Elles ont tantôt
pour objet des réclamations réciproques de souverains, tantôt
des prétentions formées par des particuliers contre un gouver-
nement ou contre des sujets étrangers. A cet effet l'État, dé-
fenseur des intérêts violés de ses sujets qu'il représente natu-
rellement, doit en poursuivre la réparation auprès du gouver-
nement intéressé. Mais s'il peut intervenir ainsi en faveur de
ses regnicoles, il ne jouit pas d'une faculté semblable à l'égard
des sujets étrangers. Il ne pourra intervenir régulièrement en
leur faveur que dans les cas indiqués aux §§ 45 et suiv.
DIFFÉRENTS MODES DONT PEUVENT ÊTRE TERMINÉES
LES CONTESTATIONS.
§ 106. Les contestations internationales sont privées en
général de toute autre garantie que celle que donnent la
force de la vérité et la puissance matérielle des parties en
litige. Elles n'ont d'autre „forum" que la bonne foi et l'opinion
publique. C'est donc aux parties elles-mêmes à s'entendre sur
le mode le plus convenable pour le règlement de leurs différends,
14
210 LIVRE DEUXIÈME. § 107.
et si elles n'y réussissent pas, à aviser aux moyens les plus
propres pour soutenir ou pour faire triompher leurs prétentions
respectives. Le dernier ou le moyen extrême, propre à sauve-
garder des droits méconnus ou violés, c'est la force et la légitime
défense. Tantôt d'un caractère purement passif, elle cherchera
à repousser l'agression ; tantôt, agressive à son tour, elle s'ef-
forcera d'obtenir la réparation refusée.1 Dans le premier cas
elle se contentera de repousser l'attaque et d'en empêcher le
retour, dans le second elle ne déposera les armes qu'après avoir
obtenu une pleine satisfaction. Pour atteindre ses fins plus sûre-
ment, il lui est permis de détruire l'ennemi; mais c'est une
extrémité qu'il ne faut jamais regarder comme le but direct de
la guerre. Elle doit s'appuyer en même temps sur des causes
légitimes, et, sous aucun prétexte, elle ne pourra dépasser son
but. Autrement la défense cesse d'être juste et légitime, lorsque
surtout, au lieu de formuler ses griefs et de les justifier, elle
recourt immédiatement à l'emploi de la force, sans qu'il existe
aucun péril imminent. Car c'est la nécessité seule qui est
son excuse.
TENTATIVES AMIABLES.
§ 107. Comme des moyens propres à convaincre la partie
adverse de ses torts et à l'amener à la conciliation, auxquels
il faut recourir dès qu'il n'existe aucun danger imminent, on
regarde les modes suivants:
premièrement, des négociations diplomatiques entamées avec
la partie adverse ou avec une puissance tierce qui peut
réussir à faire entendre sa voix médiatrice dans le litige.
A cet effet les pièces et les titres de nature à éclaircir
les débats, lui seront communiqués;
secondement, un appel directement fait à l'opinion publique,
à laquelle sont livrés les documents et les pièces justi-
ficatives qui concernent le litige, après que les négocia-
tions n'ont abouti à aucun résultat satisfaisant et qu'elles
ont été rompues;
*) V. l'article de Wurm dans le Staats-Lexioon, t. XII, p. 111 suiv.
§ 108. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 211
troisièmement, l'acceptation des bons offices d'une tierce
puissance intervenante.
Cette dernière espèce est plus étendue que les deux autres.
Car l'intervention d'une puissance médiatrice fait de plein droit
suspendre les hostilités, tant que ses fonctions ne sont pas ter-
minées. De simples offices d'amitié au contraire n'ont qu'une
importance purement morale.
Lorsque les droits d'une partie ne sont nullement menacés
d'une manière sérieuse, une protestation ou de simples réserves
suffiront pour garantir contre toute fausse interprétation ses actes
ou le silence gardé par elle, pourvu qu'ils ne soient pas en
opposition avec la situation réelle des choses ou avec les propres
actes de la partie (protestatio facto contraria).
MOYENS D'ENTENTE PARTICULIERS SUR CERTAINS POINTS
LITIGIEUX.
§ 108. Lorsque certains rapports, quoique établis d'une
manière générale, ont cependant besoin d'être fixés d'une manière
définitive, comme par exemple, lorsqu'il s'agit de la délimitation
des terres restées dans l'indivision, il faudra, dès que les parties
ne peuvent se mettre d'accord sur leur partage, recourir à la
voie impartiale du sort ou de l'arbitrage. Le sort surtout se
prête parfaitement à certaines éventualités, soit que, par la
division de l'objet litigieux, il en attribue leur part aux divers
intéressés, soit qu'à un état de choses incertain et contesté il
fasse succéder une situation définitive ou seulement temporaire.
Souvent on l'a employé pour mettre un terme aux contestations
nées du partage des souverainetés ou des questions de pré-
séance.1 Tout ici dépend naturellement des conventions des par-
ties. Même le duel, qui n'est autre chose que le sort des armes,
a été quelquefois proposé, mais rarement accepté à ce titre, et
sans que par là on ait réussi toujours à terminer le litige.2 Rien
*) V. Ch. Fr. de Moser, dans: Schott, Jurist. Wochenblatt. Jahrg. III,
p. 615 suiv.
*) V. des exemples empruntés à l'histoire ancienne dans Pet. Miiller,
De duellis principum. Jenae 1702. Ward, Enquiry. II, p. 216 suiv. On se
rappelle le cartel que le roi Gustave IV de Suède envoya à l'empereur
14*
212 LIVRE DEUXIÈME. § 109.
en effet ne peut le justifier. C'est la soumission à un arbi-
trage qui restera toujours la voie la plus équitable, quoiqu'elle
ne réussisse pas toujours à mettre un terme aux contestations
internationales.
compromis.1
§ 109. Les contestations entre deux États peuvent être
soumises à la décision d'une tierce puissance par un compromis
régulièrement intervenu entre les parties intéressées, d'après les
règles des conventions publiques. Le compromis a tantôt pour
objet l'exécution d'une mesure antérieurement arrêtée entre les
parties (arbitratio), telle qu'une délimitation ou partage d'après
certaines règles proportionnelles;2 tantôt il a pour but la déci-
sion d'une affaire au fond suivant les principes de l'équité et
de la justice. — L'acte de compromis énonce le mode dont il
sera procédé, mais il ne contient pas nécessairement une clause
pénale en cas de non-exécution.
Les arbitres choisis sont ou des personnes privées, mode
autrefois d'une application très -fréquente, ou des souverains.3
Celles-là ne peuvent pas régulièrement se faire représenter dans
l'exercice de leurs fonctions, tandis que ces derniers délèguent
ordinairement l'examen de l'affaire à des juges spéciaux ou à
leurs conseils privés, en sorte qu'ils n'interviennent d'une ma-
nière directe que pour prononcer la sentence définitive.4
Napoléon I. Il est inutile d'examiner ce moyen au point de vue légal:
il ne mérite d'ailleurs aucune confiance, puisqu'il peut se prononcer en
faveur de la partie coupable. Sur le duel proposé par François I à
Charles -Quint en 1528 v. Vehse, Geschichte des bsterreichischen Hofes.
1852. I, p. 168 suiv.
1) V. en général Abr. Gerh. Sam. Haldimund, De modo componendi
controversias inter aequales et potissimum de arbitris compromissariis.
Lugd. Bat. 1738. Welcker, Staats-Lcxicon. t. XI, p. 778.
2) Les auteurs du droit de procédure civile établissent une distinction
entre le cas mentionné ci -dessus et celui d'arbitrage proprement dit,
distinction qu'ils regardent comme étant fondée sur la nature des choses.
V. de Neumann, Jus principum privât, t. VIII, § 1 et suiv.
a) Hellfeld dans Struv., Jurispr. heroica. chap. I, § 21 suiv. 77. de Neu-
mann, loc. cit. chap. 12 et 13.
4) de Neumann, loc. cit. t. Vm, § 18.
§ 109| DBOÎT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 213
Lorsque plusieurs arbitres ont été nommés, sans que leurs
fonctions respectives aient été déterminées d'avance, ils ne
peuvent, suivant l'intention présumée des parties, procéder sé-
parément.1 En cas de désaccord entre eux, l'avis de la majo-
rité doit prévaloir, conformément aux principes de la procédure
ordinaire. Si les voix venaient à se partager ou à offrir une
divergence absolue de vues, il faudrait, pour vider la difficulté,
faire intervenir les parties. Le droit romain à la vérité autorisait
les arbitres élus à nommer un tiers arbitre: mais cette dispo-
sition positive purement civile n'a pas été admise d'une ma-
nière générale dans les codes modernes.2
Lorsque le mode de procéder n'a pas été déterminé d'avance,
les arbitres ont la faculté de fixer un délai pendant lequel les
parties seront tenues de produire leurs moyens et leurs défenses
respectifs. Après que cette production a eu lieu, ils peuvent pro-
céder à la prononciation de la sentence.3
Néanmoins l'arbitre ne dispose d'aucun moyen pour con-
traindre les parties à l'exécution de la sentence par lui rendue.
Le compromis finit par de nouveaux engagements intervenus
entre les parties en litige, par l'expiration du délai stipulé, par
le décès ou l'empêchement de l'arbitre, enfin par la sentence
même, qui a, entre les parties, l'autorité d'une transaction régu-
lière. Sous ce rapport les dispositions du droit romain, relatives
à la validité des sentences arbitrales, conçues dans un esprit
trop étroit, ont fait place aux règles plus larges du droit mo-
derne. C'est ce qu'il faut dire notamment de la disposition
romaine qui, dans le cas où une clause pénale avait été stipulée,
affranchissait la partie défaillante des effets de la sentence,
lorsqu'elle payait la somme promise.4
La décision arbitrale est susceptible d'être attaquée dans
les cas suivants:
!) V. Loi 17 in fine. Loi 18 D. de receptis. En matière internatio-
nale la disposition contraire du droit canon, contenue au chap. 2 de arbi-
trio in VI, est inadmissible.
2) Loi 27. § 3. D. de receptis. Contra Code de proc. français
art. 1012. 1017.
8) Loi 27. prim. 1. 49. § 1. D. de receptis.
4) V. Grotius in, chap. 20. 46.
214 LIVRE DEUXIÈME. § 109.
1° Si elle a été rendue sans compromis valable ou hors des
termes du compromis;
2° si elle Ta été par des arbitres absolument incapables;
3° si l'arbitre ou l'autre partie n'a pas agi de bonne foi;
4° si les parties ou l'une d'elles n'ont pas été entendues;
5° s'il a été prononcé sur choses non demandées;
6° si ses dispositions sont contraires d'une manière absolue
aux règles de la justice, et ne peuvent par conséquent
former régulièrement l'objet d'unç convention (§ 83).
De simples omissions au contraire qui peuvent être repro-
chées au contenu de la sentence, lorsqu'elles ne sont pas le
résultat d'un esprit partial, ne constituent point une cause de
nullité.1 Néanmoins, dans l'engagement décrit ci- dessus et connu
sous le nom d' „ arbitratio u, la preuve d'une erreur de fait con-
stituera une nullité toujours sous -entendue.8
L'arbitrage se présente sous des formes très -variées dans
l'histoire. Chez les Grecs nous le rencontrons sous la forme d'un
recours auprès d'une ville tierce ou alliée (néhç sxxltizoç).*
Chez les Romains de la première époque il porte le nom de
„reciperatio."4 Dans les confédérations ou les unions d'États,
l'institution de tribunaux fédéraux a reçu un certain caractère
fixe et en quelque sorte politique, qu'avaient déjà, dans les
confédérations grecques,5 notamment dans la ligue Àchéenne, les
réunions amphictyoniques, bien que leur importance ait été sans
doute exagérée. Une institution toute moderne de cette nature
est celle dite austrégalienne,6 chargée de la mission de statuer
*) V. Grotius, loc. cit. Vattel H, chap. 18. §. 329. Wildman I, p. 186.
2) C'est ce qui est appelé „reductio ad boniviri arbitrium" dans les
lois 76. 78. 79. D. pro socio et loi 9. D. qui satisd. coguntur.
3) V. Hefffcer, Athen. Gerichtsverf. p. 340.
4) Gallus Aelius dans Festus: „Reciperatio est, cum inter populum
et reges, nationesque ac civitates peregrinas lex convenit, quomodo per
reciperatorem reddantur res reciperenturque, resque privatas inter se per-
sequantur." V. Cari Sell, Die Recuperatio der ROmer. Braunschw. 1837.
5) Polybe II, 37. 10. Tittmann, Griechische Staatsverfassung. p. 687.
6) de Leonhardi, Das Austràgalverfahren des deutschen Bundes. Frkf.
1838. Jordan dans Weiske, Rechts-Lexicon. I, p. 474. Zachariae, Deut-
sches Staatsrecht. II, p. 719. Zôpfl, Allgemeines und deutsches Staats-
recht. I, p. 359.
§ 110. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 215
sur les contestations nées entre les Souverains de la confédé-
ration germanique et qui, suivant l'arrêté fédéral du 30 octobre
1834 (article 12), peut être remplacée par une cour arbitrale
dont la Diète elle-même fait exécuter les arrêts.
ACTES DE VIOLENCE ET REPRÉSAILLES.
§ 110. Le droit de légitime défense commence au moment
même où les tentatives faites pour arranger un conflit à l'amiable,
ont échoué, ou lorsque des circonstances urgentes ne permettent
pas de recourir à cette mesure préliminaire. En ce cas , s'il s'agit
de sommes ou de créances liquides, on les saisit partout où
elles se trouvent, et l'on cherche à s'assurer un gage et à s'em-
parer de biens appartenant à la partie adverse. On répond
aussi par des représailles à des offenses commises par un gou-
vernement étranger, soit en entrant en état d'hostilités ouvertes
(dont nous nous occuperons au chapitre suivant), soit en usant
d'abord de représailles spéciales. Par représailles on entend
l'emploi de la force auquel un gouvernement a recours en
s'emparant provisoirement de sujets étrangers1 ou de leurs biens,
dans le but d'obtenir une juste satisfaction ou de se faire au
besoin justice lui-même. Anciennement les représailles consis-
taient surtout en des commissions ou des lettres de marque
délivrées par un gouvernement à ses sujets ou à des étrangers,
par lesquelles il les autorisait à commettre toutes sortes d'ex-
actions et de violences sur la nation ennemie.2 Des traités
ont successivement modifié cet usage, qu'aujourd'hui on ne ren-
contre plus dans le code des nations que sous la forme de la
course, pratiquée exclusivement sur mer (§ 137). Les moyens
usités encore à présent sont les suivants:3
*) Les nombreuses monographies sont indiquées par d'Ompteda § 288.
de Kamptz §270. Le mot représailles dérive de reprendre, anglosaxon
withernam.
2) V. sur les anciennes formes Hullmann, Stadtcwesen. 1. 1, p. 197.
Martens, Caperei. I, §4. Piitter, Beitrâge zur Vôlkerrechtsgeschichte. I,
p. 49. P. Frider., De process. I, cap. 46 suiv. Valin III, 10. p. 414.
8) Oke Manning p. 108. Sur l'abolition de ces usages v. Ortolan I,
p. 396. Wildman I, p. 192.
216 LIVBE DEUXIÈME. § 110,
Le talion ou l'application de mesures semblables, repro-
chées à la partie adverse, pourvu qu'elles puissent se
concilier avec les lois de l'humanité. Ainsi, par exemple,
si un gouvernement, contrairement au droit des gens, re-
fuse d'accorder une réparation suffisante des mauvais
traitements qu'il aura fait subir au représentant d'une
autre puissance, celle-ci usera de représailles, afin d'obtenir
une satisfaction de l'insulte et une garantie pour l'avenir.1
Secondement, la séquestration de sujets et de biens enne-
mis. Simple mesure de précaution, elle a exclusivement
pour but d'offrir un gage, sans conférer aucun droit quel-
conque sur la vie des personnes ni sur les biens séquestrés.
Ces derniers toutefois, si la satisfaction exigée continuait
à être refusée, pourront incontestablement servir à la ré-
paration des intérêts lésés. De même la partie offensée
pourra retenir les sujets ennemis comme otages. Ainsi les
anciens auteurs et encore Cocceji (sur Grotius) se trompent
évidemment lorsqu'ils soutiennent qu'il est permis d'attenter
à la vie de ces malheureux.2
Tout refus et tout retard qu'une partie oppose arbitraire-
ment aux justes réclamations de l'autre, donnent à celle-ci le
droit incontesté de recourir à des mesures semblables ou à des
représailles, peu importe d'ailleurs sous quelles formes elles se
manifestent. Tantôt elles prendront le caractère d'un acte légis-
latif, tantôt celui d'une décision judiciaire ou d'un arrêté admi-
nistratif.3 Mais il appartient aux gouvernements seuls de faire
1) Sur l'usage moderne des nations voir Grotius m, 2. de Neumann,
Jus principum priv. t. VM, § 35. de Steck, Essais, p. 42. Vattel H,
§ 342 suiv. Whcaton IV, 1. § 2 et 3. Wurm, Staats-Lexicon. XII, p. 124.
La distinction entre représailles générales et spéciales nous paraît peu
heureuse. Par les premières on entend une autorisation de commettre
toute espèce d'hostilités envers des sujets et des biens ennemis. Cette
autorisation, suivant l'observation faite déjà par le grand -pensionnaire
de Witt, n'est autre chose que l'ouverture d'un état de guerre.
2) Schilter, De jure obsidum, considérait déjà des sujets arrêtés par
mesure de représailles comme des otages. V. aussi Vattel II, § 351.
3) Des exemples sont cités par Ch. de Martens , Causes célèbres. H,
p. 1. 151 suiv. Pour le principe v. Grotius in, 2. § 4. 5. Bynkershoek,
§ 111, DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 217
usage de mesures semblables d'une manière soit directe soit
indirecte; par exemple, en délivrant des commissions ou des
lettres de marque à leurs sujets, ainsi que cela se pratiquait
autrefois en France, en Angleterre, dans les Pays-Bas et
ailleurs, pratique qui a cessé de nos jours.1
Des puissances tierces au contraire ne sont tenues en aucune
manière de donner suite aux réclamations qui leur sont adres-
sées à ce sujet par les parties intéressées. Elles ne peuvent
faire usage d'actes de représailles dans l'intérêt de l'une des par-
ties, qu'autant que les traités leur imposent un devoir d'inter-
vention. Ce devoir se manifeste surtout avec une certaine force
dans le sein des États fédérât ifs, et l'article 37 de l'acte final
de Vienne l'a consacré expressément au profit de la Diète ger-
manique. En Suisse il a été reconnu également, qu'un Canton
a le pouvoir d'exercer des représailles dans l'intérêt d'un autre
Canton.3 Il ya encore un cas où une tierce puissance peut
intervenir légalement dans une guerre engagée: c'est lorsque
l'intervention aura pour but de mettre un terme aux violations
du droit international, à des procédés contraires à l'humanité
et à la justice. En ce cas les États ne font que remplir une
mission qui leur est tracée naturellement. Organes suprêmes et
multiples de l'humanité, ils sont appelés à en faire respecter les
lois partout où elles sont violées.
APPLICATION DE MESURES DE RIGUEUR OU DE RÉTORSION.3
§ 111. Quelquefois un gouvernement, sans porter atteinte
aux stipulations des traités existants, se livre pourtant envers
Quaest. jur. I, 24. Oke Manning, Law of nations p. 107. Wurm à l'endroit
cité p. 125. Wildman p. 195.
x) V. de Martens, Piltter et Wheaton aux l'endroit cités.
*) de Martens, Vôlkerr. § 256 (261). Bynkershoek (de foro legator.
chap. 22) admet la faculté d'un gouvernement d'exercer des actes de re-
présailles dans l'intérêt d'un autre ; contra Oke Manning p. 111 et Wild-
man 1. 1, p. 193.
8) V. les ouvrages indiqués par d'Ompteda § 287. de Kamptz § 269.
Moser, Vers. Vm, p. 485. Vattel H, § 341. de Martens, Vôlkerr. § 250.
Mittermaier, Deutsches Privatr. § 110. Wurm à l'endroit cité p. 111. 116.
218 LIVRE DEUXIÈME. § 111,
un antre on envers ses sujets à des actes contraires à l'équité.
Telle sera une inégalité de traitement de sujets étrangers. L'in-
égalité consistera tantôt dans leur exclusion absolue de certains
avantages accordés aux nationaux, tantôt dans des faveurs ac-
cordées à ceux-ci au détriment des premiers. Quelquefois elle
résultera également, même par rapport aux nationaux, de l'appli-
cation de certains principes contraires à ceux reçus chez les
autres nations et de nature à produire pour celles-ci des con-
séquences matérielles fâcheuses.1 Dans ces différents cas ce
n'est pas à des représailles, mais à la voie de rétorsion qu'on
aura recours ; c'est-à-dire, dans un esprit d'égalité et afin d'obtenir
le redressement de ces iniquités, on emploie envers la puissance
qui s'en est rendue coupable, des mesures analogues, jusqu'à ce
qu'elle consente à y renoncer. Ce qui distingue la rétorsion
(retorsio juris) de représailles, c'est que celle-là a pour but
de faire cesser des actes d'iniquité (jus iniquum), tandis que
celles-ci ont pour objet de faire obtenir une réparation des lé-
sions commises. Elle s'appuie sur cette maxime: „quod quis-
que in alterum statuent ut ipse eodem jure utatur." C'est par
là qu'elle fait ressentir à la partie adverse le caractère égoïste
et exclusif de ses procédés.8
La rétorsion peut avoir lieu non seulement dans les cas
où un gouvernement a déjà fait l'application d'un principe pré-
judiciable à un autre dans certaines espèces, mais aussi dès le
moment où il l'a proclamé. Néanmoins une simple divergence
de dispositions dans les lois de deux pays, lorsqu'elles ont pour
effet d'exclure les sujets étrangers de certains avantages dont
ils jouissent dans leur propre pays, ne suffira jamais pour
justifier des mesures de rétorsion. Il faudra seulement que ces
dispositions ne soient pas dirigées spécialement ou d'une ma-
nière expresse contre les sujets étrangers. Ainsi il est évident
que les dispositions d'un code qui établissent des modes ou des
ordres de successions particuliers, différents de ceux sanctionnés
dans d'autres codes, ne suffiront jamais pour motiver des mesures
semblables.
*) Wurm insiste avec raison sur cette dernière espèce de rétorsion.
8) J. Gothofr. Bauer, Opusc. 1. 1, p. 157 seq.
§112, DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 219
D'ailleurs la rétorsion est une mesure essentiellement po-
litique, dont les particuliers ne peuvent faire usage qu'en vertu
d'une autorisation de leur gouvernement, rendue dans les formes
légales, qui détermine en même temps le mode et les condi-
tions de la rétorsion, ainsi que les personnes qui sont appe-
lées à en profiter.1 Les règles particulières à cette matière sont
du domaine du droit public interne.
Si les circonstances ne permettent pas d'appliquer à un
gouvernement étranger des mesures identiques sur les mêmes
objets, la rétorsion s'effectuera par voie d'analogie et selon
les circonstances données. Ainsi, par exemple, si le commerce
d'un certain pays venait à être frappé dans un autre de droits
exorbitants ou qu'il y éprouvât des difficultés sérieuses, le gou-
vernement lésé y répondrait en imposant les produits similiaires
de droits analogues.
EMBARGO ET BLOCUS.
§ 112. Les états maritimes ont encore introduit l'usage
de simples mesures d'embargo et de blocus.
L'embargo („embargaru en espagnol, arrêter) est un acte
conservatoire ou préparatoire qui consiste à faire arrêter pro-
visoirement les navires trouvés dans les ports ou dans les mers
intérieures d'un territoire, dans le but d'en empêcher la sortie.
Invention d'origine britannique, elle a passé successivement
dans les lois des autres nations.9
Appliquée avant le commencement d'un état de guerre,
cette mesure n'est appelée qu'après la déclaration de la guerre
à prendre un caractère définitif et à produire les effets que nous
retracerons au chapitre suivant.3 Quelquefois encore l'embargo
est un simple acte de sûreté intérieure ordonné par un gouver-
x) Dav. Gr. Struben, Rechtl. Bedenken. V, no. 47 (éd. Spangenberg
t. n, p. 32i).
a) Les ouvrages relatifs à cette matière sont indiqués par de Kamptz
§276. V. notamment de Real, Science du gouvern. V, p. 630. Jouffroy,
Droit maritime, p. 31. Nau, Vôlkerseerecht (1802). § 258 suiv. M. Poehls,
Seerecht. IV, § 526. Karseboom, De navium detentione, quae vulgo dicitur
Embargo. Amsterd. 1840.
») Wheaton IV, 1. § 4.
220 LIVRE DEUXIÈME. § 112,
nement, notamment dans le but d'empêcher que certaines nou-
velles sur la situation du pays ne soient portées au dehors ; ou
bien encore pour faciliter des recherches de police ou judiciaires.
Un gouvernement peut en outre, en cas de nécessité urgente,
s'emparer de navires étrangers, de leurs équipages et de leurs
cargaisons pour en faire usage, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un
but hostile à leur nation, et sous réserve d'une pleine indemnité
(§ 150 in fine). Enfin des représailles peuvent se produire sous
la forme d'un embargo. Il suffit toutefois que cet acte préventif
ne soit pas suivi d'une déclaration de guerre, pour que le pré-
judice résultant de la détention arbitraire doive être réparé.1
Le blocus ou l'emploi de forces régulières suffisant pour
empêcher toute communication d'une côte, d'un ou de plusieurs
ports avec le dehors, peut avoir en vue des fins différentes.
Quelquefois c'est un acte de coercition qui accompagne l'ouver-
ture des hostilités, ainsi que nous l'expliquerons au chapitre
suivant (§ 121). D'autres fois il précède une déclaration de
guerre régulière, comme mesure de représailles destinée à pré-
venir le danger d'une violation de l'état de paix, qui résulterait
par exemple du départ d'une escadre, de l'introduction de troupes
dans une place forte au moment même où le gouvernement suspect
a été mis en demeure de s'expliquer sur ses véritables intentions.
L'histoire la plus récente est féconde en exemples de cette es-
pèce de blocus tout nouveau, qu'on emploie sans déclaration de
guerre comme acte de représailles (blocus pacifique). Nous nous
contentons de rappeler le blocus exécuté en 1827 par les forces
combinées de l'Angleterre, de la France et de la Russie sur les
côtes encore turques alors de la Grèce; le blocus du Tage (1831),
de la Nouvelle -Grenade (1836), du Mexique (1838), blocus qui
par suite de la déclaration du gouvernement mexicain s'est
transformé en guerre formelle.2 La légalité de cette mesure
x) de Steck, Essais. 1794. p. 7. Jacobsen, Seerecht. p. 531. M. Poehls,
loc. cit. p. 1170. Plusieurs traités, tels que ceux conclus le 11 juillet 1799
entre la Prusse et les États-Unis (art. 16), le 30 mai (11 juin) 1801 entre
la Russie et la Suède (art. 32) proscrivent l'embargo comme mesure spé-
ciale et ne l'admettent qu'à la suite d'une déclaration de guerre.
2) Nouv. Supplém. au Recueil. III, p. 570. Nouv. Recueil t. XVI,
p. 803 suiv. Les cas assez rares où cette mesure avait été pratiquée
| 113. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 221
ne peut faire l'objet d'aucun doute, et les États neutres doivent
respecter un blocus régulièrement proclamé, conformément aux
règles expliquées au chapitre m ci -après. Mais une confiscation
des objets saisis ne peut être prononcée qu'à la suite d'une
déclaration de guerre.1
Chapitre IL
DU DROIT DE GUERRE.2
DEFINITION DE LA GUERRE.
§ 113. La guerre se manifeste extérieurement comme un
état d'hostilités existant entre plusieurs puissances, pendant lequel
elles se croient autorisées à faire réciproquement usage entre
elles de violences de toute espèce. C'est la définition matérielle
de la guerre. Mais considérée au point de vue légal, la guerre
n'est un état régulier de violences et de destruction qu'autant
qu'elle se propose un but légitime, et elle continue à l'être jus-
qu'au moment où ce but sera atteint. La guerre, en d'autres
termes, est un acte extrême de légitime défense. Tantôt, comme
cette dernière, d'un caractère purement défensif, elle cherchera
à repousser une agression injuste, et à cet effet elle préviendra
des menaces suspendues au-dessus d'elle.8 Tantôt réellement offen-
jusqu'alors, avaient suscité d'abord quelques doutes sur sa légalité. V. néan-
moins Wurm, dans le Staats-Lexicon XII, p. 128; ainsi que Hautefeuille,
Droits des nations neutres, m, p. 176. Ce dernier regarde le blocus comme
une mesure de guerre. L'humanité d'ailleurs n'a qu'à s'applaudir de cette
nouvelle institution internationale.
*) Avis du Conseil d'État du 1 mars 1848. Gaz. des Trib. 28 mars 1848
p. 54. L'Angleterre a adopté une jurisprudence différente, mais c'est celle
de la France qui doit prévaloir si le blocus ne constitue pas un cas de guerre.
2) Les monographies relatives à cette matière, notamment celles pu-
bliées par Alberic Gentile, J. Gottl. Fréd. Koch et Joach. E. de Beust, sont
indiquées par d'Ompteda § 290. 291. de Kamptz § 271. 272. — de Clause-
witz, dans son ouvrage intitulé: Vom Kriege. Berlin 1832. 1. 1. p. 105,
retrace une histoire générale de la guerre.
8) V. ci -dessus page 58 et Guil. Schooten, De jure hostem immi-
nentem praeveniendi. Specim. jurid. Lugd. Bat.
222 LIVRE DEUXIÈME. § 113.
sive, elle exigera le redressement des offenses ou des injures
éprouvées par une juste et pleine satisfaction. C'est ce qui con-
stituera la justice de sa cause. Car une guerre ne sera juste
que dans les cas et dans les limites de la légitime défense.
Le grand Frédéric déjà écrivit en ce sens dans son Anti-
Macchiavel (chapitre 26) ces paroles remarquables: „Toutes les
guerres qui n'auront pour but que de repousser des usurpateurs,
de maintenir des droits légitimes, de garantir la liberté de l'uni-
vers et d'éviter les violences et les oppressions des ambitieux,
sont conformes à la justice."
Il est vrai que si Ton ne voulait juger que d'après les ré-
sultats matériels, il deviendrait souvent très - difficile de se rendre
compte de la justice d'une guerre. Les auteurs sont d'accord
là- dessus. Ceux-là même en conviennent qui ont cherché mi-
nutieusement de faire une analyse des différentes causes d'une
juste guerre, et ont inventé une espèce de responsabilité juridique
à l'égard de celui qui prend les armes sans sujet légitime.1 H
n'existe en effet sur terre aucun juge qui puisse, d'une manière
infaillible, prononcer sur la justice d'une guerre. Celle-ci est
dirigée par le hasard, sans qu'il soit possible de prévoir d'avance
ses nombreuses péripéties. En faisant succéder à l'ordre le chaos,
elle fait sortir souvent de ce dernier un ordre de choses nou-
veau. Néanmoins les résultats moraux d'une guerre injuste ne
seront certainement pas ceux d'une guerre légitime. Des intérêts
purement politiques, des intentions moralement bonnes même,
dès qu'elles ne sont motivées par aucune lésion imminente ou
déjà accomplie, ne suffiront jamais pour enlever à une guerre
son caractère illégitime. Nous regardons comme oiseuses toutes
les discussions abstraites sur la légitimité des guerres de reli-
gion, de vengeance, d'équilibre politique. Cette question puise
ses éléments de solution dans les circonstances particulières à
chaque espèce et dans les principes internationaux que nous
avons retracés dans les pages précédentes.3
*) Parmi ces auteurs figurent Grotius et Vattel III, § 183 suiv. 190.
Déjà Cocceji dans son commentaire sur Grotius m, 10, 3 suiv. a montré
jusqu'à quel point la distinction entre le droit naturel et le droit positif
est insuffisante sur ce point.
a) V. d'Ompteda § 294. 298. 299. de Kamptz § 274. 280. 281.
f 114. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 223
PARTIES BELLIGÉRANTES.
§ 114. Un état de guerre ne peut exister régulièrement
qu'entre parties qui ont le droit d'avoir recours dans leurs con-
testations aux différentes voies par lesquelles se manifeste la
légitime défense. Ces parties sont d'abord les corps qui jouissent
d'une indépendance absolue et ne relèvent d'aucune puissance
supérieure ou les États souverains;1 puis les individus vivant
isolément en dehors des conditions sociales, tels que les flibus-
tiers, les pirates et autres. Une guerre civile née entre les
diverses fractions du même corps politique, ne constituera jamais
un état de guerre régulier, produisant les effets d'une guerre
politique entre plusieurs États: la nécessité seule suffira pour
lui servir d'excuse. En ce sens le jurisconsulte romain Ulpien
écrivait déjà:3 „In civilibus dissensionibus, quamvis saepe per
eas respublica laedatur, non tamen in exitium reipublicae con-
tenditur: qui in alterutras partes discedent, vice hostium non sunt
eorum, inter quos jura captivitatum aut postliminiorum fuerint."
Des guerres privées et des guerres entreprises par des
particuliers pour leur propre compte, peu importe qu'ils soient
sujets de la même ou de différentes puissances, ont également
disparu dans l'état moderne de l'Europe.3 Des sociétés formées
de la réunion d'un certain nombre de particuliers, telles que
les compagnies commerciales, ne sont pas non plus en droit
de faire la guerre sans une autorisation de leurs souverains.
H faut naturellement excepter le cas où, protégées par leurs
murailles de pierre ou de bois, elles ont cessé, comme autrefois
la Ligue hanséatique, d'obéir à aucune puissance souveraine.4
l) de Kamptz § 273.
*) Loi 21. § 1. D. de captivis.
8) V. sur les moeurs féodales du moyen âge Ward, Enquiry. I, p. 344.
H, p. 209 suiv. La guerre de trente ans encore fournit quelques curieux
exemples à ce sujet: nous nous contentons de citer les ducs deMansfeld
et Bernard de Saxe. Ward II, p. 312. L'expédition de Schill a été désap-
prouvée par le roi de Prusse.
4) Sur le caractère éminemment politique de cette Ligue on peut
lire Ward H, p. 276 suiv. Ptitter, Beitr. zur Vôlkerrechtsgesch. p. 141.
La question de savoir si des compagnies de commerce ont le droit de
224 UVRE DEUXIÈME. § 115.
Parmi les parties belligérantes nous distinguons encore les
parties principales des auxiliaires qui ne prennent part à la
lutte principale que d'une manière indirecte.
PUISSANCES AUXILIAIRES.1
§ 115. Par parties auxiliaires on entend en général celles
qui portent des secours à Tune des parties belligérantes. Les
secours, tantôt d'une nature générale et non limitée, comprennent
toutes les forces ou les ressources dont dispose la puissance
auxiliaire; tantôt, d'une portée spéciale et restreinte, ils consistent
en prestations ou fournitures déterminées d'avance par rapport
au nombre et à l'étendue, notamment dans l'envoi de troupes,
de subsides, dans l'autorisation d'occuper une place d'armes ou
un port. Sous cette dénomination on comprend en général tout
avantage qui a pour but de rendre plus solide le système d'at-
taque ou de défense de l'une des parties belligérantes vis-à-vis
de l'autre, et qu'on doit continuer à fournir jusqu'au moment où
le but, commun de la guerre sera obtenu. C'est là le point
décisif qui distingue l'état de guerre ouverte de la stricte neu-
tralité (chapitre HI ci -après).
Il arrive rarement que le secours fourni soit l'effet d'une
intervention spontanée : le plus souvent il a été convenu et sti-
pulé d'avance. C'est ce qu'on appelle les cas d'alliance (casus
foederis), énoncés dans un traité de garantie qui a pour objet
une guerre soit offensive soit défensive, et qui ne repose pas
nécessairement sur la réciprocité. Si le traité de garantie est
d'une portée générale, le „ casus foederis" se déploie dès que
le territoire allié est envahi ou menacé d'invasion.2 Les principes
relatifs aux conventions publiques s'appliquent à ces sortes de
traités: mais leur application rencontre très -souvent des diffi-
déclarer la guerre, a été examinée spécialement par CL Fr, Pauli, De
jure belli societatum mercatoriar. Hal. 1751.
l) d'Ompteda § 318. de Kâmptz § 287. La théorie de cette matière
est expliquée par J. J. Moser, Versuche. X, 1. Vattel HI, § 78 suiv. Mar-
tens, Vôlkerr. § 292 suiv. Klttber § 268 suiv. Schmalz p. 269. Wheaton
m, 2. il.
*) Vattel m, § 91.
§ 116. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 225
cultes et fait naître des conflits sérieux. Souvent des circon-
stances résultant de la situation particulière de la puissance
alliée, ou des engagements antérieurement contractés envers
l'ennemi, s'opposent d'une manière absolue à ce que le secours
promis puisse être fourni.1 En tous cas l'allié peut, avec une
pleine liberté, apprécier la justice de la guerre, à laquelle il
est appelé à prendre part.2 Il n'y a donc rien de si incertain
et de si peu fréquent que la bonne foi dans l'exécution des traités
d'alliance, lorsque surtout ils ne reposent pas sur des intérêts
homogènes et permanents, tels qu'ils existent dans les unions
ou les confédérations d'États.
§ 116. Lorsque les clauses du traité d'alliance n'ont pas
déterminé les obligations réciproques des alliés, la nature des
choses et la pratique des Etats ont consacré à l'égard de ces
dernières les principes suivants:
I. Aux traités d'alliance d'un caractère général on applique
la règle fondamentale du contrat de société, suivant laquelle
la part de chaque associé dans les bénéfices ou pertes est en
proportion de sa mise dans le fonds de la société et du but
à atteindre en commun (C. Nap. art. 1853). Si les parties ne
réussissaient pas à se mettre d'accord sur l'entreprise commune,
ni sur la part des sacrifices à faire par chacune, les unes ne
pourraient à la vérité entreprendre une guerre, conclure la paix
ou un armistice, ni faire un acte quelconque de nature à causer
quelque préjudice aux alliés, tant que ces derniers persistent
dans leur refus. Il faudra néanmoins excepter les mesures né-
cessitées par le but de l'alliance, lorsqu'il ne pourrait être ob-
tenu autrement: de même les cas où le maintien de l'alliance
deviendrait impossible ou que ses clauses auraient été violées
par les parties elles-mêmes. Les annales de l'histoire fournissent
*) Relativement au cas où des secours ont été promis à la fois aux
deux parties belligérantes, v. Grotius H, 15, 13 et le commentaire de Coc-
ceji. Il est difficile d'établir sur ce point des règles fixes.
2) Les auteurs sont d'accord à ce sujet. On trouve de nombreuses
observations sur le moment d'appliquer les „casus foederis" dans Moser,
loc. cit. p. 43 suiv. Wheaton III, 2, § 13 en donne aussi de nombreux
exemples.
15
226 LIVRE DEUXIEME. $ 117.
des exemples trop nombreux de guerres entreprises en com-
mun , et qui ont été terminées par des traités de paix conclus
séparément!
Enfin aucune des parties alliées ne peut s'enrichir aux dé-
pens des autres. Chacune doit restituer ce qui a été enlevé à
la partie alliée par l'ennemi, après l'avoir recouvré sur lui,
conformément aux règles du droit de recousse. De même on
devra procéder au partage des bénéfices obtenus en commun,
en proportion des ressources fournies par chacune. Les pertes
accidentelles au contraire que les vicissitudes de la guerre en-
traînent nécessairement après elles, sont supportées exclusive-
ment par la partie qui en a été frappée, à moins que ses alliés
ne les aient occasionnées par leur conduite peu conforme aux
lois de la guerre.
II. Si le secours stipulé entre les alliés est d'une nature
spéciale, la partie principale en a la disposition exclusive, sauf
convention contraire. L'allié obligé de fournir des troupes, doit
les équiper et les tenir constamment au complet,1 tandis que
leur nourriture et leur entretien sont à la charge de la partie
principale. En exposant leur vie pour ménager celle de ses
propres troupes, elle commettrait un acte déloyal et contraire
au traité. Elle doit généralement éviter à ses alliés tout pré-
judice qui peut résulter de l'exécution de leurs engagements,
et aller à leur secours, si l'ennemi commun venait à les attaquer.
Elle ne doit pas non plus conclure la paix sans eux, et elle
pourvoira à leur sûreté ultérieure, dont elle fera l'objet d'une
clause spéciale dans les stipulations de paix.
Tout acte contraire aux clauses du traité d'alliance donne
à la partie lésée le droit de la dissoudre. En ce cas celle-ci
cesse de pouvoir prétendre au partage des avantages qui ont
été obtenus en commun, à l'exception du butin antérieurement
fait et des droits de revendication sur les objets recouvrés sur
l'ennemi, ainsi que nous l'expliquerons au chapitre IV.
§ 117. En ce qui concerne la position des puissances al-
liées par rapport à l'ennemi, il est évident que ce dernier n'est
l) Quelquefois l'allié pourra fournir de l'argent etc. au lieu de troupes.
V. J. J. Moser, Vermischte Abhandl. I, 84.
$ 117. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 227
aucunement tenu de souffrir la coalition des forces réunies contre
lui, et qu'il peut s'y opposer par tous les moyens dont il dis-
pose, sans attendre la déclaration de guerre. Il cherchera à se
débarrasser d'une coalition avant qu'elle ne devienne trop redou-
table, et afin de s'assurer la liberté de ses mouvements.
Les auteurs sont d'accord à ce sujet, lorsqu'il s'agit de se-
cours stipulés pendant le cours d'une guerre ou en prévision
d'une guerre imminente. Mais leur accord cesse dès que le
traité d'alliance est d'un caractère général et qu'il n'est pas
dirigé d'une manière formelle contre une certaine puissance,
que son but d'ailleurs ait été énoncé ou non: de même lorsqu'il
a pour objet une guerre défensive.1 Cependant, permettre aux
parties alliées de garder leur neutralité, pour ne les traiter
en ennemies qu'après qu'elles se seront prononcées d'une manière
ouverte, ce serait méconnaître les droits légitimes de la partie
menacée, à moins que ses intérêts ne lui conseillent une conduite
semblable. Elle devra chercher au contraire à rompre une coa-
lition dangereuse, et à cet effet elle posera aux alliés l'alternative
suivante: ou de renoncer à la coalition, ou bien d'avoir à
subir les conséquences d'une déclaration de guerre. Tel fut
par exemple, le mode de conduite qu'au printemps de l'année
1813, la Russie a adopté envers la Prusse, par rapport à
l'alliance de cette puissance avec l'empereur Napoléon. — Une
pareille alternative, à la vérité, ne peut être proposée aux par-
ties alliées qu'autant qu'elles se disposent à fournir les secours
stipulés. Tant qu'elles ne se sont pas ainsi prononcées, il est
permis seulement de leur adresser des questions, conformément
à ce qui a été dit aux paragraphes 29 et 45 ci -dessus. Une
Téponse évasive ou retardée malgré la gravité des circonstances,
fournira en ce cas à la partie menacée une raison suffisante
pour prévenir le complot en le déjouant. C'est ainsi que le
grand Frédéric, par l'invasion de la Saxe électorale et par
de glorieuses campagnes, réussit à sauver son royaume des
projets des puissances qui s'en étaient partagé d'avance les
dépouilles.
*) V. de Beulwitz, De auxiliis hosti praestitis more gentium hodierno
hostem non efficientibus. Hal. Sax. 1747.
15*
228 LIVRE DEUXIEME. § 118. 119.
THEATRE DE LA GUERRE.
§ 118. Le territoire des parties belligérantes, les eaux
intérieures et les hautes mers forment le champ de bataille
naturel. La nécessité seule justifie l'entrée dans un territoire
neutre, à la condition qu'on n'y commette aucun acte d'hosti-
lité : il faut au contraire y observer strictement les règles de la
loi de neutralité. Néanmoins les troupes alliées qui ont pris
part aux hostilités, peuvent être poursuivies sur leur propre
territoire, lors même que, sous d'autres rapports, la neutralité
a été accordée à son gouvernement. Les autres puissances
alliées, dès qu'elles sont entrées ouvertement en état de guerre,
en supportent toutes les conséquences.
Des conventions ou des motifs politiques peuvent limiter
le théâtre de la guerre. L'histoire est féconde en exemples de ce
genre; toutes les fois que les puissances sont intervenues au
nom de l'équilibre européen menacé, elles ont consenti sponta-
nément à circonscrire le théâtre de la guerre. Nous rappelons
l'expédition en Grèce opérée par les trois grandes puissances; le
siège d'Anvers, à la suite de la convention conclue le 22 octobre
et le 10 novembre 1832 entre la France et la Belgique; enfin
l'intervention en Syrie, par suite des différences entre le Sultan
et Mehemet-Aly.1
DROIT DE LA GUERRE PROPREMENT DIT; — USAGES,
RAISON DE GUERRE.
§ 119. La guerre, comme la paix, a ses lois et ses for-
malités déterminées qui constituent la nature externe du droit
de guerre (jus belli). Un droit pareil était déjà connu dans
*) V. Nouveau Recueil t. XII, p. 1 suiv.; XIII, p. 39. 57. Flassan,
dans son Histoire de la diplom. franc. V, 146, en cite un autre exemple
remarquable: pendant l'armistice conclu dans le cours de la guerre de
sept ans, le siège de la forteresse de Neisse en Silésie devait être con-
tinué sans interruption. Nous aimons à ajouter à cette liste la guerre
récente d'Orient. Rien ne fait mieux ressortir son caractère de haute
justice et de modération que le champ étroit auquel les puissances occi-
dentales ont consenti à la limiter dès le principe. Circonscrite dans la
mer Noire et la Baltique, son issue, par une espèce d'accord tacite, devait
dépendre de l'issue du siège de Sebastopol.
§ 119. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 229
l'ancien monde, quoique, à la vérité, la volonté arbitraire et désor-
donnée des parties belligérantes y rencontrât peu de limites.1
Il acquit plus de consistance au moyen âge, sous l'influence
tant du christianisme que de l'esprit de chevalerie, en même
temps qu'il s'est dépouillé de certaines rigueurs. Mais c'est de
nos jours seulement, et après avoir flotté longtemps entre plu-
sieurs systèmes contraires, qu'il s'est assis enfin sur les principes
d'humanité et de respect de l'espèce humaine.2 Les nations ci-
vilisées admettent la guerre comme un état de choses forcé,
comme un mal inévitable, qui ne doit pas dépasser les limites
de la stricte nécessité. La guerre qui arme les hommes les uns
contre les autres, n'a pas pour but la destruction de l'espèce
humaine: elle fait descendre les nations dans l'arène du champ
de bataille avec toutes les forces dont elles disposent, pour la
défense ou le triomphe de leur indépendance. La raison et
l'humanité, comme le propre intérêt des nations, ont consacré
cette maxime fondamentale: „Ne causez pas plus de mal à
votre ennemi, pendant la guerre même, que la nécessité de le
ramener à la raison ne l'exige." L'ancienne maxime de guerre
au contraire disait qu'il fallait faire à l'ennemi le plus de mal
qu'on pouvait et qu'on jugeait convenable.3
x) Tite-Live liv. H, 12. XXXI, 30: Esse enim quaedam belli jura,
quae ut facere ita pati sit fas.
2) V. les développements dans Ward, Enquiry. chap. X et suiv. V.
aussi page 7 ci -dessus.
3) Ainsi dans son discours d'inauguration du Conseil des prises, du
14 floréal an Vin, Portalis disait ce qui suit:
„Le droit de la guerre est fondé sur ce qu'un peuple, pour l'intérêt
de sa conservation ou pour le soin de sa défense, veut, peut, ou doit faire
violence à un autre peuple. C'est le rapport des choses et non des per-
sonnes, qui constitue la guerre ; elle est une relation d'État à État, et non
d'individu à individu. Entre deux ou plusieurs nations belligérantes, les
particuliers dont ces nations se composent, ne sont ennemis que par ac-
cident: ils ne le sont point comme hommes, ils ne le sont même pas
comme citoyens; ils le sont uniquement comme soldats."
Talleyrand écrivait à l'empereur Napoléon, en date du 20 novembre
1806, dans le même esprit:
„ Trois siècles de civilisation ont donné à l'Europe un droit des gens
que, selon l'expression d'un écrivain illustre, la nature humaine ne saurait
assez reconnaître.
230 LIVRE DEUXIÈME. § 119.
La véritable manière de faire la guerre, que les usages inter-
nationaux ont sanctionnée et dont les parties belligérantes ont
le droit d'exiger entre elles la stricte observation, trace les voies
légales dont elles ne doivent en aucune manière franchir les
limites. C'est celle qui proscrit et frappe de l'anathème de
l'histoire tous les procédés cruels ou barbares ; qui punit de la
rupture des relations internationales l'Etat qui a violé ses pre-
scriptions. Des circonstances exceptionnelles, tirées de l'extrême
nécessité ou du besoin de rétablir l'égalité du combat, permettent
seules de s'en affranchir.1 Ainsi des guerres entreprises contre
des hordes ou des bandes sauvages qui ne respectent aucune
loi humaine, sont exceptées des règles communes. Au reste
les guerres navales, plus cruelles et plus meurtrières que les
guerres sur terre, dont elles n'ont pas acquis les règles pré-
cises,2 ont au contraire, faute d'équilibre entre les puissances
maritimes, conservé jusqu'à nos jours leur caractère essentiel-
lement spoliateur.
Ce droit est fondé sur le principe que les nations doivent se faire
dans la paix le plus de bien, et dans la guerre le moins de mal qu'il
est possible.
D'après la maxime que la guerre n'est point une relation d'homme à
homme, mais une relation d'État à État, dans laquelle les particuliers ne
sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes, non pas
même comme membres ou sujets de l'État, mais uniquement comme ses
défenseurs, le droit des gens ne permet pas que le droit de guerre et
le droit de conquête qui en dérive, s'étendent aux citoyens paisibles et
sans armes, aux habitations et aux propriétés privées, aux marchandises
du commerce, aux magasins qui les renferment, aux chariots qui les
transportent, aux bâtiments non armés qui les voiturent sur les rivières
ou sur les mers, en un mot à la personne et aux biens des particuliers.
Ce droit né de la civilisation en a favorisé les progrès. C'est à lui
que l'Europe a été redevable du maintien et de l'accroissement de prospé-
rité, au milieu même des guerres fréquentes qui l'ont divisée etc.a (Moni-
teur univ. du 5 décembre 1806.)
l) F. H. Struben, Abhandlung von der Kriegsraison und dem Conve-
nienzrecht (Sammlung auserlesener juristischer Abhandl. Leipzig 1768).
Grotius m, 1, 19. 18, 4. Pufendorf H, 3. 23. J. J. Moser IX, 1. 111 suiv.
Bynkershoek, Quaest. 1, 3, et les écrits cités par d'Ompteda § 300. de Kamptz
§ 282 suiv.
a) Hautefeuille, Droits des nations neutres. I, p. 318.
§ 120. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 231
COMMENCEMENT DES HOSTILITÉS.
§ 120. A la veille de se livrer à des actes d'hostilités ma-
térielles, il faut adresser une déclaration de guerre à la partie
adverse avec laquelle on avait entretenu jusque-là des relations
d'amitié réciproques. Car la bonne foi disparaîtra, pour faire place
à un système d'isolement et de crainte mutuelle, le jour où les
nations, sans avis préalable et régulier, auront à redouter le
fléau de la guerre. A cet effet les peuples de l'ancien monde
se servaient de différentes formalités. Comprises sous la déno-
mination commune de droit fécial, la tradition romaine les fai-
sait descendre des usages antiques du peuple des Équicoles.1
L'esprit de la chevalerie au moyen âge inventa des règles
analogues dont il exigeait la stricte observation, tant dans les
guerres des États que dans les duels privés.2 Jusqu'au milieu
du xvme siècle ces formes solennelles ont été maintenues. C'est
à partir de ce moment qu'elles ont commencé à tomber dans
l'oubli. Dès lors les gouvernements ennemis se sont contentés
d'interrompre les relations diplomatiques entre eux, en même
temps qu'ils faisaient connaître leurs griefs par des manifestes
et d'autres voies de publicité. Quelquefois aussi ils procèdent
de fait aux hostilités, sans se prévenir mutuellement par des
déclarations, qui toutefois seront toujours la voie la plus régu-
lière.8 Le rappel de l'ambassadeur ne constitue pas nécessai-
rement un acte de commencement des hostilités : il est vrai que
c'est à ce moment que plusieurs traités ont fait remonter les
effets de la guerre.4
Il résulte de la nature des choses qu'il n'est pas indispen-
sable qu'une guerre défensive soit précédée d'une déclaration
préalable: des hostilités déjà ouvertes par l'ennemi, ou sur le
1) Tite-Live liv. I, chap. 32.
2) Ward, Enquiry. t. H, p. 207 suiv.
8) Bynkershoek, Quaest.jur. publ. 1, 2. d'Ompteda § 295. deKampte
§275. Vattel m, § 51. Emerigon, Traité des assurances. I, 12. 35. Mar-
tens § 262. Schmalz p. 223. Klttber § 238. Wildman II, 5. Contra Haute-
feuille, Droits des nations neutres. I, p. 295.
4) de Martens, Manuel. § 262. note g. Martens, Supplém. VII, p. 213.
X, p. 870. XI, 471. 483. 613.
232 LIVRE DEUXIÈME. § 121.
point de l'être, la rendent superflue. La justice et l'équité exigent
seulement en pareil cas qu'une brusque levée de boucliers ne
cause aucun préjudice aux particuliers , à la propriété privée
ni aux gouvernements neutres, qu'elle ne devienne pas non
plus un prétexte pour s'assurer des avantages que l'état de
guerre seul peut donner aux belligérants. A cet effet aucun
gouvernement ne doit, sans manquer à la foi publique, se dis-
penser de l'observation de certains délais destinés à donner aux
intéressés la possibilité de prémunir leurs personnes et leurs
propriétés contre des pertes imprévues. La pratique la plus
récente même des États, il est vrai, n'est pas entrée dans cette
voie d'une manière assez franche. Trop souvent encore les pu-
blicistes ont à enregistrer des actes qui constatent un empres-
sement blâmable de s'approprier, dès le commencement des
hostilités, des avantages ou des profits qui constituent en réa-
lité une vraie spoliation.1 Il est évident au surplus que des
cas isolés, où Ton s'est dispensé d'une déclaration de guerre
préalable, ne constituent point une règle de nature à être toujours
invoquée par les belligérants. Nous aurons l'occasion d'in-
diquer quelques applications du principe qui vient d'être établi
(§ 139).
La déclaration de guerre entre les parties principales pro-
duit également ses effets par rapport aux alliés, dès qu'ils sont
appelés à remplir leurs engagements, d'après les distinctions
établies au § 117.2
MESURES QUI PRÉCÈDENT OU ACCOMPAGNENT LA DÉCLARATION
DE GUERRE.
§ 121. L'embargo et le blocus sont des mesures qui ne
constituent pas nécessairement un état de guerre régulier, c'est-
à-dire un état de choses qui met en question l'existence des
États. Souvent ils précèdent l'ouverture des hostilités et ils
n'ont d'abord pour objet qu'une saisie provisoire, devant prendre
*) Vattel III, § 56. Martens à l'endroit cité. Ortolan H, 17. —
Okc Mannlng, Comment, p. 120 les regarde comme des mesures ex-
ceptionnelles.
a) Grotius in, 3. 9. Vattel III, § 102.
§121. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 233
un caractère définitif et permanent par suite d'une déclaration
de guerre.1
Notons encore plusieurs autres mesures préliminaires:
1° Publication de manifestes énonçant d'une manière solen-
nelle les causes de la guerre, et suivis de pièces justi-
ficatives pour servir à l'appui des principaux faits relatés
et des prétentions qui en résultent. La dignité des États
impose à ce sujet une certaine réserve et notamment un
langage modéré sur le compte du souverain et de personnes
ennemis. Les faits seuls doivent parler par eux-mêmes;
2° des lettres de rappel adressées aux sujets résidant en
territoire ennemi;2
3° publication de lois martiales; des défenses faites par
chacune des parties belligérantes à ses sujets, d'entretenir
avec les sujets ou le gouvernement ennemi des relations
commerciales, ou bien des restrictions faites à ce sujet;
4° notification de l'état de guerre imminent ou commencé;
5° expulsion des sujets ennemis du territoire, afin d'éviter
les inconvénients qui peuvent résulter de la continuation
de leur séjour.
De pareilles expulsions (xénélasies) étaient très -fréquentes
dans l'ancien monde comme dans les temps modernes. Encore
en 1755 les Anglais furent expulsés du territoire de France au
son du clairon et du tambour. On doit toutefois accorder aux
sujets ennemis un délai raisonnable et suffisant pour quitter le
territoire avec leurs biens. Il serait sans doute plus conforme à
l'esprit de notre époque, d'accorder aux sujets ennemis non suspects
et paisibles l'autorisation de continuer à résider dans le territoire.8
*) C'est ainsi que, lors du blocus de Vera Cruz par l'escadre fran-
çaise (1838), les navires mexicains furent d'abord séquestrés; après la
déclaration de guerre seulement ils furent regardés comme capturés.
Aussi la question arbitrale, conformément aux dispositions de la conven-
tion du 9 mars 1839, a-t-elle dû être posée ainsi: S'ils devaient être con-
sidérés comme légalement acquis aux capteurs? V. de Martens, Nouv.
Recueil. XVI, p. 610. Wildman II, p. 9 et plus haut § 112.
2) de Kamptz, Litt. § 277.
3) J. J. Moser, Vers. IX, p. 45. Vattel III, § 63. — On se rappelle
que pendant la dernière guerre les sujets de la Russie ont continué à
234 LIVRE DEUXIÈME. § 122.
L'opportunité de ces différentes mesures dépend exclusive-
ment de l'appréciation politique des parties belligérantes.
EFFETS DIRECTS DU COMMENCEMENT DES HOSTILITÉS.
§ 122. La rupture réelle des relations diplomatiques est
la conséquence la plus directe de la déclaration de guerre. Pri-
vées désormais des voies régulières pour applanir leurs diffé-
rends, les puissances belligérantes, en réunissant les ressources
et les forces dont elles disposent, vont remettre au sort des
batailles le soin de prononcer entre elles. Il ne faudra toutefois
pas conclure de là, du moins d'après les principes modernes,
que la guerre fait cesser nécessairement tous les liens légaux
entre les États et que la paix seule peut les renouer. Les auteurs
qui soutiennent la thèse contraire, disent que la guerre remet
en question l'existence même des Etats. Mais autre chose est
l'éventualité, autre chose l'accomplissement d'une catastrophe
qui met fin à l'existence d'un État: c'est ce que ces auteurs
semblent avoir oublié.1
En premier lieu il est certain que les conventions stipulées
ou renouvelées expressément en prévision des hostilités, conti-
nuent à subsister tant que l'une des parties belligérantes ne les
aura pas violées. Car en ce cas l'autre devra se dispenser égale-
ment de leur observation par voie de représailles, soit provisoire-
ment, soit d'une manière définitive. Jusque là le fondement des
conventions, l'accord des volontés, subsiste. Citons comme exemple
séjourner paisiblement en Angleterre et en France. On se rappelle éga-
lement que, pendant le cours de cette guerre, les gouvernements alliés
n'ont pas cessé un seul instant, dans leurs actes comme dans la presse
officielle, de se servir d'un langage courtois et plein d'urbanité à l'égard
du souverain auquel elles avaient déclaré la guerre. La théorie aime à
enregistrer de pareils faits qui sont une espèce d'hommage rendu à ses
enseignements.
*) C'est ce que soutiennent p. ex. Schmalz, Vôlkerr. p. 69 et jusqu'à
un certain point Mably, Droit public. I, p. 169. Contra Wheaton in, 2.
7 — 9. La question est discutée par Fréd. Ch. Wâchter, De modis tollendi
pacta inter gentes. Stuttg. 1780. § 53 suiv. Leopold, De eflfectu novi belli
quoad vim obligandi pristinarum pacification. Helmst. 1792. J. J. Moser,
Vcrmischte Abbandl. I. Klttber § 165,
§ 122. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 235
le délai de six mois stipulé par les belligérants au profit des
sujets respectifs, pour mettre en sûreté leurs personnes et leurs
biens.1 De même les rapports légaux nés de traités antérieurs
et qui ont acquis l'autorité de faits accomplis, continuent à pro-
duire leurs effets : de nouvelles stipulations intervenues dans le
traité de paix futur peuvent seules y mettre un terme.
En second lieu les rapports généraux et permanents des
États ne cessent d'être en vigueur entre les belligérants qu'autant
que la volonté de ces dernières ou les besoins de la guerre
l'exigent. Ainsi, d'après les usages modernes, les parties ennemies
ne négligent pas d'observer entre elles, et notamment à l'égard
des souverains respectifs, les lois de l'honneur et du respect
La bonne foi encore impose des devoirs dont il n'est pas permis
de s'affranchir sous les armes.
Les conventions contractées antérieurement à la guerre
cessent nécessairement de produire leurs effets, lorsqu'elles
supposent un état de paix. D'autres doivent être considérées
comme étant abolies de plein droit par la guerre qui a mis un
terme à leur cause ou à la possibilité d'un consentement libre
et permanent. Les usages internationaux d'ailleurs n'exigent
nullement l'accomplissement des engagements contractés anté-
rieurement envers l'ennemi, et les regardent comme suspendus.
Reste à savoir si la paix les fait renaître et jusqu'à quel point?
Nous examinerons cette question au chapitre IV. Il est encore
incontestable que, si le terme stipulé dans une convention venait
à échoir, soit avant, soit pendant la guerre, la partie victorieuse
pourrait se mettre en possession des avantages qui lui ont été
assurés par la convention. Mais cette possession devra être ra-
tifiée par les clauses de la paix.
Enfin la guerre ne fait point cesser les droits communs
et individuels de l'homme:2 ils subissent seulement toutes les
conséquences d'un fléau qui frappe sans discernement. Il est en
outre évident que les sujets des parties belligérantes doivent
') Mably à l'endroit cité, de Steck, Essais sur div. sujets. 1785. p. 5.
Voir un autre exemple dans Wheaton § 8, 3. Klttber § 152, Martens § 263,
Vattel ni, § 175. Oke Manning p. 125.
2) Pufendorf, J. univ. IV, obs. 206, 2,
236 LIVRE DEUXIÈME. § 123.
subir les effets des restrictions que ces dernières jugent à propos
déposer expressément au commerce ennemi ou neutre.1 A dé-
faut de restrictions semblables, les lois modernes de la guerre
défendent de porter aucune atteinte aux droits individuels des
sujets ennemis: elles ne s'opposent pas non plus à ce que ces
droits puissent être régulièrement poursuivis devant les tribu-
naux compétents.2
EFFETS DE LA GUEBEE SUR LE COMMERCE DES SUJETS
ENNEMIS.3
§ 123. L'homme a naturellement le droit de faire un usage
libre des voies de communication et de commerce établies entre
les nations, et la guerre devrait respecter ce droit comme les
autres droits privés. Son exercice toutefois sera toujours sub-
ordonné aux convenances des parties belligérantes et aux con-
ditions sous lesquelles elles continuent à l'admettre. En effet
le commerce, ce levier puissant, si, libre de toute surveillance,
il était abandonné à ses propres ressources, se rendrait indé-
pendant et deviendrait lui-même une puissance redoutable, dont
les annales de l'histoire fournissent un exemple mémorable dans
la Ligue hanséatique. En même temps qu'il dicterait des lois
aux gouvernements, il étoufferait par son esprit étroit et exclusif
beaucoup d'éléments généreux. Il gênerait surtout les opérations
des belligérants et donnerait à leurs positions nettement définies
une certaine couleur équivoque. Affranchi de toute surveillance,
il portera souvent des secours à l'ennemi: car pour lui, cosmo-
polite qu'il est, il n'existe d'autre ennemi que celui qui arrête la
liberté de ses mouvements. La force même des choses indique
par conséquent clairement que les relations réciproques des
sujets des parties belligérantes, loin d'être affranchies de toute
*) Dans le paragraphe suivant nous traitons des restrictions com-
merciales.
a) Zachariae, 40 Biicher vom Staat. XXVIII, 7. 2. (tome IV. p. 103.)
Wurm dans le journal: Zeitschrift fur Wissenschaft. VII, p. 350 suiv.
8) Les monographies, celles notamment relatives au commerce des
neutres, sont indiquées par de Kamptz § 257.
§ 123. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 237
surveillance, doivent au contraire être contenues dans des limites
étroites.1 Ainsi tout gouvernement pourra interdire à ses sujets
le commerce général ou partiel avec l'ennemi, en édictant des
amendes et la peine de confiscation contre les contrevenants.
Il peut encore arrêter les sujets ennemis livrés au commerce,
et user à cet effet de représailles, dont nous parlerons dans le
chapitre relatif aux prises maritimes. Il peut également priver
de leurs effets sur son territoire les contrats commerciaux, comme,
par exemple, les contrats d'assurance, qui ont pour objet des
biens ennemis.2 D'un autre côté les parties belligérantes ont la
faculté d'autoriser certaines branches du commerce et d'accorder
des licences que, bien entendu, elles ne sont nullement tenues
de respecter entre elles.8 Mais en thèse générale il n'est pas
permis de soutenir qu'une déclaration de guerre emporte toujours
une interdiction absolue de commerce entre les belligérants, bien
que souvent il en soit ainsi. Ces derniers doivent au contraire
s'expliquer clairement à ce sujet, lorsque surtout il s'agit d'une
interdiction générale.4 En effet le droit de commerce est essen-
tiellement individuel et ne dérive pas de l'État, qui ne fait qu'en
régler les conditions et qui ne peut pas non plus le frapper
d'une manière absolue.6 Ainsi une puissance ne peut pas obliger
ses alliés à se soumettre sous ce rapport à une défense générale,
dès qu'elle ne résulte pas des clauses du traité d'alliance. Il
doit se contenter d'exiger qu'ils ne favorisent pas ouvertement
*) Autrefois l'interdiction était la règle commune. Pufendorf, loc. cit.
obs. 207. Quelquefois néanmoins on admettait des exceptions. Ainsi en
1675 les États généraux, lors de la guerre avec la Suède, proclamèrent
la continuation du commerce entre les parties belligérantes.
2) de Steck, Essais sur div. sujets, p. 14 suiv. Wurm à l'endroit cité
t. VII, p. 340 suiv.
3) Jacobsen, Seerecht. p. 423 suiv. 719 — 731. Wheaton, Intern. Law.
IV, 1. § 22. Oke Manning p. 123. Wildman II, 245.
4) Nau, Volkerseerecht. § 263. Contra Bynkershoek, Quaest. jur. publ.
I, 3. Wurm, loc. cit. p. 282 suiv.
5) V. pour la jurisprudence passablement rigoureuse suivie en Angle-
terre, en Amérique et en France, Wheaton, loc. cit. § 13. — Valin, Com-
mentaire sur l'Ordonnance de 1681. ni, 6. 3. Oke Manning p. 123, observe
avec raison qu'il s'agit ici plutôt de mesures politiques que commerciales.
V. aussi Massé, Droit commercial. 1. 1. 1844. no. 335. Wildman II, p. 15.
238 LIVRE DEUXIÈME. § 124.
l'ennemi, et il s'y opposera au besoin par voie de saisie ou
autrement.1
LOIS PERSONNELLES DE LA GUERRE.
§ 124. D'après les usages internationaux de l'Europe mo-
derne; les effets actifs et passifs de la guerre ne se produisent
dans toute leur rigueur qu'à l'égard des souverains des parties
principales ou alliées, et des armées de terre ou de mer entrées
en campagne. Sous la dénomination d'armée sont compris les
troupes et les équipages réguliers, ainsi que les irréguliers con-
voqués par des voies extraordinaires. Outre les soldats armés,
on y comprend encore les personnes non combattantes attachées
au camp, telles que les aumôniers, les médecins, les vivandiers
et les intendants militaires. A l'égard de ces derniers toutefois
on admet cette particularité qu'ils ne jouissent pas des lois
actives de la guerre et qu'ils ne peuvent faire usage des armes
qu'en cas de nécessité et pour leur défense personnelle. — Les
autres sujets des parties belligérantes remplissent dans le cours
de la guerre un rôle purement passif et n'y interviennent que
par leurs rapports avec les troupes, en même temps qu'ils su-
bissent nécessairement les conséquences de la guerre et de ses
diverses vicissitudes.2 Il leur est défendu de commettre aucune
espèce d'hostilités sans un ordre formel du souverain, qui peut
appeler certaines classes ou la population valide tout entière à
prendre les armes. A ce sujet le code général de Prusse (In-
troduct. § 81) contient la disposition suivante: „Le chef seul de
l'État prend les mesures nécessaires pour la défense du terri-
toire contre des ennemis étrangers." — Aux termes d'une an-
cienne formule, le souverain, lors de la déclaration de guerre,
ordonnait à tous les sujets de „ courir sus aux ennemis." Cette
formule toutefois, suivant l'explication fournie déjà par Vattel,8
l) V. là -dessus Bynkershoek, Quaest. jur. publ. I, 10. Wheaton, loc.
cit. § 14. Wurm, loc. cit. p. 294 professent une opinion plus rigoureuse.
On doit néanmoins se demander à quel titre un gouvernement pourrait
s'arroger le droit de tracer à ses alliés leur voie de conduite et d'exercer
sur leurs sujets une espèce de juridiction.
a) Vattel in, 15, § 226.
*) Loc. cit. § 227.
§ 124 *• DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 239
ne signifiait autre chose qu'une autorisation accordée aux sujets
d'arrêter les personnes et les choses appartenant à l'ennemi.
Elle a cessé depuis d'être en usage.1
Les sujets des puissances belligérantes ont naturellement
le droit de s'opposer directement aux tentatives de destruction
ou de dévastation manifestées par les troupes ennemies et de leur
résister par tous les moyens, dès qu'elles s'écartent de l'obser-
vation des lois de la guerre. Il est encore incontestable que les
actes d'hostilité commis sur les personnes ou sur les biens privés
ne constituent pas seulement une infraction aux lois de la guerre,
mais en même temps aux lois pénales protectrices des per-
sonnes et de la propriété, et que par suite elles sont justiciables
soit des tribunaux ordinaires, soit des cours martiales.2
PIRATES; CORPS FRANCS; CORSAIRES.
§ 124b* Ceux qui font la guerre pour leur propre compte,
la pratiquent tantôt collectivement et en vertu des commissions
ou lettres de marque délivrées par un gouvernement, comme
les corps francs3 et les corsaires, tantôt isolément et sans com-
1) V. aussi Pufendorf, Jur. univ. IV, obs. 206.
2) Abegg, célèbre criminaliste, observe là -dessus dans son ouvrage
intitulé: Untersuchungen aus dem Gebiet des Strafrechts, p. 86: La raison
apparente pour résoudre la question dans un sens contraire, serait, que
l'État dont le territoire, par suite des vicissitudes de la guerre, a été
occupé par des troupes ennemies, n'a le devoir ni l'intérêt de les protéger
contre des attaques du dehors, après qu'un état de violence a succédé
à la situation légale. A l'exception de ces guerres à outrance (bella in-
ternecina) dont nous ne verrons sans doute plus le retour, la guerre ne
met pas un terme à l'état des choses légal, au point d'affranchir les citoyens
de l'observation des lois envers certaines personnes. Il faut surtout re-
noncer à l'opinion qui ne fait consister la valeur des lois criminelles que
dans l'efficacité de leur protection. Une question différente sera celle de
savoir, jusqu'à quel point la légitime défense ou d'autres motifs de guerre
sont de nature à modifier le caractère du droit criminel, au point d'assurer
l'impunité ou une atténuation de la peine, ou même la grâce du coupable*
V. aussi Frisius Rinia van Nauta, De delictis adv. peregrinos, maxime
adv. milites hostiles. Groning. 1825. Heflfter, Lehrbuch des Criminal-
Rechtes. § 37.
8) J. J. Moser, Nachtrag zu den Grundsâtzen des Volkerrechts in
Kriegszeiten. 1750. Idem, Vers. IX, 2. 49.
240 UVRE DEUXIÈME. § 124 b<
missions, comme les pirates. Ces derniers sont placés en dehors
des lois communes de la guerre, ainsi que nous l'avons déjà
expliqué, tandis que tous ceux qui ne prennent part aux hosti-
lités qu'en vertu d'ordres formels de leur souverain, dont ils
sont en état de justifier, sont protégés par les dispositions de
leurs mandats, aussi longtemps qu'ils n'en dépassent pas les
termes. A cette catégorie appartiennent surtout les armateurs
(privateers)1 et les câpres qui équipent des navires pour aller
en course, en vertu des lettres de marque qui leur ont été dé-
livrées par leur propre gouvernement ou par un gouvernement
étranger. Ils obéissent aux ordres de l'amirauté et font partie
de la marine militaire.
Les lettres de marque sont un legs du moyen âge et de
son système de représailles.2 Les nations s'accordent sans doute
depuis longtemps sur le caractère barbare de cet usage, mais
aucune n'y a renoncé jusqu'à présent, du moins en principe.
Nous aimons à rappeler à ce sujet la disposition d'un traité de
commerce conclu en 1785 entre la Prusse et les États-Unis
(art. 23), qui déclare la course abolie entre ces puissances, dis-
position qui à la vérité n'a pas été reproduite dans les traités
de 1799 et de 1828.3 La Russie donna un autre exemple de
s'abstenir de lettres de marque, dans la guerre qu'elle soutint
de 1767 à 1774 contre la Turquie, guerre connue par la
victoire navale remportée par Orloff sur la flotte turque à
Tschesmé.4
*) V. l'ouvrage classique, intitulé : Versuch tiber Caper, par G. Fr. de
Martens. Gôtt. 1795. (Traduct. franc, ibid.) Hautefeuille, Droits des neutres.
I, p. 327. de Kaltenborn, Seerecht. II, § 217.
2) de Kaltenborn dans Politz-Bulau, Jahrbucher fîir Geschichte und
Politik. 1849. t. II.
3) Nau, Volkerseerecht. 1802. § 279 cite encore le traité entre l'Angle-
terre et la Russie, mais il contient seulement quelques modifications dans
le régime des lettres de marque. Des clauses analogues se retrouvent
dans une foule d'autres traités, sans avoir jamais été exécutées. Haute-
feuille p. 338.
4) Franklin (Works t. II, p. 448) a condamné la course. V. Wheaton,
Histoire, p. 233 (éd. 2. II, 371). Hautefeuille I, p. 339. Wurm (Zeitschrift
fttr Staatswissensch. t. VII, p. 344 suiv.) cite plusieurs autres exemples
de guerres qui n'ont pas vu de lettres de marque.
$124b- DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 241
Les puissances belligérantes seules ont le droit de délivrer
ces commissions: il est défendu à un gouvernement allié d'en
faire usage, aussi longtemps qu'il veut faire respecter sa neu-
tralité. La commission toutefois peut être accordée aussi à des
étrangers et à des sujets neutres, pourvu que les traités ne s'y
opposent pas. De même elle peut être donnée à des navires
marchands qui par là obtiennent la faculté de capturer des
navires ennemis.1 Le gouvernement qui délivre des lettres de
marque, en détermine en même temps les clauses et les conditions.2
Les corsaires qui sont en mesure de justifier de leur mandat
d'une manière régulière et qui se sont conformés à leurs in-
structions, jouissent seuls de la protection des lois internationales.
Ceux qui ont accepté des commissions des deux parties enne-
mies, sont traités en pirates.8
La déclaration du 16 avril 1856 proclame la course abolie
pour toujours. Déjà la plupart des gouvernements ont adhéré
à cette déclaration qui peut être regardée désormais comme la
loi générale de l'Europe. Le cabinet de Washington proteste
contre la loi maritime nouvelle, mais par des motifs dont il est
impossible de méconnaître la justesse. Empêcherez -vous la cap-
ture de la propriété privée sur mer? demande M. Marcy dans
sa réponse. Nullement. Vous ne l'interdisez pas à vos vaisseaux
de guerre. Quelle inconséquence d'abolir la course par ce motif,
quand la propriété privée reste exposée à être prise par les
vaisseaux de ligne! Car il n'y a qu'un morceau de papier qui
distingue le corsaire du pirate. L'argument américain acquiert
une nouvelle force quand il arrive à la différence des effets de
la règle relativement à des pays qui ont une marine régulière
et à ceux qui n'en ont pas. Et, par exemple, pourrait -on admettre
l) Hautefeuille I, p. 350. 351. t. IV, p. 252 en cite plusieurs exemples.
Ibid. t. I, p. 345. Martens § 12.
*) Pour la France v. le règlement des prises du -§■ mai 1803. Mar-
tens, Recueil, t. VIII, p. 9. Ortolan, Règles internat. II, p. 354. Surtout
de Pistoye et Duverdy, Tr. des prises. I, p. 157. Riquelme I, p. 266. 267.
3) Martens (§ 14) et Valin contestent qu'on puisse prendre des com-
missions de plusieurs gouvernements alliés: les neutres auraient de quoi se
plaindre. Hautefeuille I, p. 351.
16
242 LIVRE DEUXIÈME. § 125.
que la règle, telle qu'elle a été proposée par le congrès de Paris,
sans aucune addition pour en contrebalancer les effets, serait
juste vis-à-vis d'une nation comme celle des États-Unis, dont
les navires marchands seraient partout exposés au canon des
vaisseaux anglais, sans avoir une marine pour rendre la pareille
au Royaume -Uni? Et quand M. Marcy propose à cette règle une
addition sous la forme d'une prohibition de toute attaque sur
la propriété privée, on refusera difficilement de s'entendre avec
lui. Il propose d'ajouter au premier paragraphe de la déclaration
du 16 mars les mots suivants: „Et que la propriété privée des
belligérants sur la mer ne sera pas exposée à la capture de la
part de la marine de leurs adversaires."
Le cabinet de Washington est prêt à accepter le principe
ainsi amendé qui abolit la course, et son offre mérite sans doute
la considération la plus sérieuse. Comme principe il est incon-
testable que la propriété privée a autant de droit à être pro-
tégée sur mer que sur terre, bien qu'il puisse y avoir quelque
difficulté relativement à la mise en pratique de cette proposition,
parce que la propriété du gouvernement n'est pas aussi facile
à distinguer sur mer que sur terre. Toutefois, en faisant ex-
ception pour quelques difficultés, le principe est indubitablement
le même dans les deux cas. Une semblable règle serait certaine-
ment une grande innovation, et l'on pourrait être tenté de dire
que la guerre serait privée de sa vigueur légitime et qu'elle
serait affaiblie comme moyen de justice internationale. Mais
de grands moyens existeraient encore, et il n'y a pas de doute,
par exemple, que le simple blocus des principaux ports des
États-Unis ne puisse être d'un grand effet.
Quel que soit le sort réservé à la proposition du cabinet
de Washington, il défend évidemment une cause très -juste et
très-équitable, plus conforme aux intérêts de la civilisation que
la déclaration du 16 mars. (Le traducteur.)
PRATIQUES LICITES DE LA GUERRE.
§ 125. Comme pratiques licites ou conformes au but de
la guerre on regarde non seulement la force ouverte, mais aussi
des ruses. L'honneur et l'humanité toutefois imposent à ce sujet
§ 125. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 243
aux nations des limites que la raison de guerre permet quelque-
fois de franchir exceptionnellement.
Est réputée comme pratique absolument illégale et con-
traire à l'esprit de l'humanité l'empoisonnement des sources et
des eaux du territoire ennemi, proscrit également par les lois
musulmanes.1 L'emploi d'armes empoisonnées fut déjà défendu
au moyen âge par l'Église: jusqu'au xvie siècle on rencontre
cependant des exemples de cet usage barbare.2 Nous compre-
nons dans la même catégorie en général toutes les armes qui
occasionnent des douleurs inutiles ou des blessures difficiles à
guérir, telles que des boulets à pièces, ceux mêlés de verre et
de chaux, doubles ou taillés, et sans doute aussi les fusées
à la congrève lorsqu'elles sont tirées contre des hommes. Enfin
le carnage causé parmi des personnes qui n'opposent aucune
résistance et qui en sont incapables, est l'objet d'une réproba-
tion universelle. Une guerre à outrance même qui a été déclarée
contre un gouvernement, ne lui permet pas d'avoir recours à
des procédés semblables.
Les usages de la guerre proscrivent également, lorsqu'il
ne s'agit pas d'actes de représailles ou de précaution ten-
dant à prévenir des désastres irréparables, les ravages du ter-
ritoire ennemi et les destructions des récoltes et des habitations.
Quelquefois les belligérants ont recours à ces pratiques dans le
but de faciliter certaines opérations de guerre. Ainsi, d'après
un ancien usage anglais, suivi encore pendant la guerre d'indé-
pendance, on regardait comme licites les dévastations du terri-
toire ennemi, dès qu'elle^ avaient pour but de faire obtenir des
contributions des habitants, de contraindre les troupes ennemies
à quitter des positions occupées par elles pour couvrir le pays,
enfin de nuire à l'ennemi et de le ramener à la raison, en cas
de révolte et de rébellion.3
Les lois de la guerre proscrivent encore l'usage des moyens
de destruction qui, d'un seul coup et par une voie mécanique,
abattent des masses entières de troupes, qui, en réduisant
1) Piitter, Beitr. p. 54.
2) Chap. 1. X. de sagittar. Ward 1. 1, p. 252. 253.
3) de Martens, Vôlkerr. § 274 (280).
16*
244 LIVRE DEUXIEME. § 125.
l'homme au rôle d'un être inerte, augmentent inutilement l'effu-
sion du sang. Citons l'emploi de boulets rames dans une bataille
sur terre, de boulets rouges ou de couronnes foudroyantes dans
une bataille navale, projectiles qui souvent suffisent pour anéantir
d'un seul coup des navires entiers avec leurs équipages.1
Les lois de la guerre réprouvent également les ruses ou
stratagèmes qui constituent des violations de la foi jurée à
l'ennemi. Les conventions violées par l'une des parties belli-
gérantes cessent d'être obligatoires pour l'autre.2 L'honneur ainsi
que le propre intérêt repoussent pareillement l'assassinat, la pro-
vocation à ce crime, l'excitation des sujets ennemis à la révolte
contre leur souverain légitime. La nécessité toutefois d'épargner
l'effusion inutile de sang ou d'atteindre plus promptement le but
de la guerre doit en quelque sorte légitimer l'emploi de moyens
de corruption et les pratiques mises en oeuvre pour corrompre
certains individus et provoquer la trahison.3
C'est ainsi que chacune des parties belligérantes peut ac-
cepter les offres volontaires qui lui sont faites par des sujets
ennemis et en profiter, pourvu qu'elles n'aient pour but aucun
acte repréhensible, tel que l'assassinat. Il lui est incontestable-
ment permis de recevoir des transfuges, des déserteurs, d'ac-
cueillir les propositions d'un traître et d'envoyer des espions.4
Chacune peut se servir de doubles intelligences et se garantir
des ruses et de la trahison par les moyens les plus énergiques.5
Toutefois la dissimulation devra cesser avec l'emploi de la force
1) Sur ces différentes propositions v. Vattel III, § 155— 157. 166. 167.
de Martens § 268 suiv. Kltiber § 244. 262. 263. d'Ompteda § 301. de Kamptz
§ 289. Bynkershoek (Quaest. jur. publ. : De rébus bellicis chap. 1) n'admet
aucune restriction. Contra Ortolan II, 27. 5. Oke Manning p. 149. Wild-
man H, p. 24.
2) Macchiavel (dei discorsi III, 40) se prononce également contre
cet emploi des ruses de guerre. V. aussi Vattel III, § 176.
3) Pufendorf VIII, 6. 18. Vattel III, § 180. Kltiber § 243 note a.
Grotius (III, 1, 21) a manifesté des doutes à ce sujet. d'Ompteda § 303.
de Kamptz § 291.
4) Il sera question de Pespionnage à la fin du livre III. V. aussi
Vattel m, § 181. Kltiber § 266.
6) Vattel ni, § 182.
§ 126. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 245
ouverte. Ainsi au commencement du combat d'escadres ennemies,
chacune devra arborer son véritable pavillon.1
L'ennemi qui, pendant le combat; fait usage d'armes illi-
cites, se place en dehors des lois de la guerre. La loi du talion
le frappera impunément, lorsque surtout elle atteindra les vrais
coupables.
TRAITEMENT DES PERSONNES ENNEMIES ET DES
PRISONNIERS.
§ 126. Les lois de la guerre de l'ancien monde n'ont établi
aucune barrière contre le traitement arbitraire des prisonniers.
Livrés à la merci du vainqueur, ils n'avaient qu'à choisir entre
la mort et l'esclavage. Les lois modernes des nations chr&
tiennes, avec leurs principes pleins d'humanité, ne dépassent
pas à ce sujet les limites de la stricte nécessité, ainsi que
nous l'avons déjà observé. Elles distinguent les personnes
ennemies selon leurs conditions en différentes catégories, dans
l'ordre suivant:
I. Le droit de la guerre proprement dit, celui de vie et
de mort, n'est applicable qu'aux personnes ennemies qui portent
des armes, aux combattants ou aux troupes régulières. A leur
égard il est permis de faire usage de tous les moyens de des-
truction.2 Le devoir d'épargner la vie humaine peut prévaloir
dans certains cas individuels, mais il devra toujours céder devant
la raison de la guerre qui est le point fondamental. Dès que
celle-ci le permet, il ne faut pas refuser d'accorder pardon aux
troupes ennemies, pourvu qu'elles aient toujours observé une
conduite analogue, à moins que la nécessité de rétablir l'égalité
du combat n'exige l'emploi de représailles.
Les individus non combattants qui forment le train ou la
suite de l'armée, tels qu'aumôniers, chirurgiens, vivandiers,
quartiers -maîtres, sont à la vérité l'objet de ménagements indi-
viduels, mais dans la mêlée générale ils subissent le sort com-
mun. Us n'échappent pas au traitement de prisonniers, à moins
1) Bouchaud, Théorie des traités de commerce, p. 377. Ortolan H,
p. 33. Wildman II, p. 25.
2) Zachariae, Vom Staat. XXVHI, 7. 2. (t. IV, 1. p. 99).
246 LIVRE DEUXIÈME. § 126.
que des traités ou des capitulations ne leur assurent un traite-
ment différent.1
Les lois de la guerre, qui sont celles de la légitime défense,
s'opposent également à ce qu'on se porte à des excès envers
un ennemi terrassé ou blessé, qui d'ailleurs n'échappe pas au
sort de prisonnier. Les soins dus aux blessés de l'ennemi
dépendent à la vérité de la générosité du vainqueur: mais un
intérêt de réciprocité lui conseille de ne pas refuser leur ces soins,
après avoir assuré la position de ses propres blessés et malades.
Jamais il ne devra se permettre de les tuer: dans un seul cas
un acte aussi féroce trouverait une explication, celui où il serait
démontré que les soldats mis à mort s'étaient rendus coupables
d'un forfait semblable.
Une certaine inviolabilité est assurée aux parlementaires
qui observent les signaux conventionnels en s'approchant du
camp. On leur accorde les délais et les sûretés nécessaires pour
rentrer librement dans leur camp.
H. Les individus qui n'appartiennent pas à l'armée, ceux-
là mêmes qui sont chargés du maintien de la sûreté et de l'ordre
intérieurs, jouissent de la protection des lois de la guerre. Ils
ne peuvent être soumis à un traitement violent que lorsqu'ils ont
commis des actes d'hostilités. La seule condition d'ennemi ne
justifie pas des procédés semblables. Mais on peut naturellement
prendre envers les personnes sus -indiquées des mesures de
sûreté de toute sorte, les désarmer, les arrêter et en exiger
des otages.2
Les sujets ennemis qui, lors de l'ouverture des hostilités,
se trouvent sur le territoire de l'une des puissances belligérantes
ou qui y sont entrés dans le cours de la guerre, devront ob-
tenir un délai convenable pour le quitter. Les circonstances
néanmoins peuvent aussi rendre nécessaire leur séquestration
provisoire, pour les empêcher de faire des communications et
de porter des nouvelles ou des armes à l'ennemi.
1) Kluber (Droit des gens § 247), par de singuliers motifs, avoue ne
pas comprendre pourquoi les non- combattants ne seraient pas assujettis
au traitement ordinaire des prisonniers.
2) Grotius El, 4. 19.
§ 126. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 247
Ces principes, il faut l'avouer, n'ont pas toujours été re-
spectés par les belligérants pendant les fureurs de la guerre.
La grande Charte anglaise (Magna Charta, art. 41) contient
déjà de sages prescriptions à cet égard. Plus tard des traités
ont stipulé d'une manière solennelle une protection au moins
temporaire au profit des sujets ennemis. Qu'il suffise de citer
les dispositions du traité d'Utrecht, conclu d'une part entre la
France et l'Angleterre (art. 19), et d'autre part entre cette puis-
sance et l'Espagne (art 6); celles du traité anglo- russe de 1766
(art. 12).1 Enfin, avons -nous besoin de rappeler les règles géné-
reuses adoptées dès le principe de la guerre d'Orient par les
puissances occidentales et par la Russie?
III. Conformément aux usages modernes, les souverains
et les princes qui appartiennent à la famille souveraine, lors
même qu'ils auraient pris part aux opérations de la guerre, ne
sont pas soumis aux lois communes, et on leur accorde des
ménagements particuliers. Ainsi on évite de faire tirer sur eux:
mais ils peuvent être faits prisonniers. Aucun excès ne peut
être commis sur des femmes et des enfants : ils ont au contraire
droit à. être protégés contre toute molestation. Les troupes enne-
mies ne négligent pas non plus d'observer entre elles les règles
consacrées de la politesse. Cela n'empêche en aucune manière
de prendre des mesures de précaution et de recourir au besoin
à des représailles.
IV. Sont exceptées de la protection des lois et des usages
de la guerre les personnes suivantes:
1° Les individus qui, à leurs risques et périls, et sans aucun
ordre de leur souverain, se sont livrés à la petite guerre.
Nous distinguons de ces derniers, bien entendu, les corps
francs régulièrement formés (§ 124. b.);
2° les militaires et les individus non -militaires qui, par leur
conduite, enfreignent les lois de la guerre, comme les
maraudeurs non régulièrement autorisés;
3° les déserteurs retrouvés dans le camp ennemi.
Le commandant militaire, entre les mains duquel sont
x) Ward (I, p. 356. 357) cite de déplorables exemples du contraire.
Contra Ortolan II, p. 281. V. aussi page 235 note 1 ci -dessus.
248. LIVRE DEUXIÈME. § 127.
tombés les individus appartenant à Tune des catégories qui
viennent d'être indiquées, possède à leur égard un pouvoir dis-
crétionnaire.
CAPTIVITÉ.
§ 127. D'après les règles de l'ancien droit des gens, toutes
les personnes tombées au pouvoir du vainqueur subissaient le
sort de la captivité. Lorsqu'il n'avait pas promis de les traiter
avec ménagement, il disposait d'eux arbitrairement et selon ses
caprices: encore les engagements pris par lui à ce sujet ne
suffisaient- ils pas toujours pour les protéger. Il les tuait, les
accablait de mauvais traitements, les livrait en esclavage.1 Cer-
tains peuples à la vérité avaient des lois moins barbares: mais
les observaient -ils strictement? Ainsi une loi adoptée par la
Ligue amphictyonique proscrivait le meurtre d'un prisonnier qui
s'était réfugié dans un temple.3 Pareillement une loi qui, à ce
qu'on prétend, était respectée dans toute la Grèce, assurait le
pardon aux ennemis qui s'étaient rendus volontairement en im-
plorant leur grâce.8 Il paraît encore qu'un usage romain garan-
tissait la vie sauve aux assiégés qui s'étaient rendus avec leur
matériel de défense.4
Au moyen âge l'Église proposait aux classes privilégiées
livrées sans cesse entre elles à des guerres privées, une voie
de paix et de conciliation par l'établissement des trêves de
Dieu.5 C'est ce qui n'empêchait en aucune manière les parties
belligérantes de soumettre les sujets et les prisonniers ennemis
aux traitements les plus violents et les plus cruels.6 A peine le
désir d'obtenir une riche rançon ou l'esprit de chevalerie ap-
portait-il quelquefois de légers adoucissements à ces procédés
barbares. L'Église parvint en même temps à supprimer gra-
duellement l'esclavage des prisonniers chez les nations chré-
*) Grotius in, 11, 7 suiv.
2) Saint -Croix Gouv. fédér. p. 51.
3) Thucydid. III, chap. 52.
4) Caesar, De bello gallico. H, 32. Cicero, De offic. I, 12.
6) V. c. 2. X. de treuga.
6) Ward dans plusieurs endroits. Pûtter, Beitr. p. 47 suiv.
§ 128. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 249
tiennes. Dans l'occident, ce fut par une décrétale rendue sous le
pape Alexandre III par le troisième concile latéran (1179), que
l'esclavage et la vente des prisonniers chrétiens furent abolis.
En Orient une défense analogue existait dès Tannée 1260, d'après
le témoignage de Tévêque grec Nicéphore Grégoire.1
§ 128. Nous avons déjà dit que le souverain et les princes
des familles souveraines, dès qu'ils ont pris du service dans
Tannée active ou qu'ils sont capables de porter les armes, enfin
tous ceux qui font partie de l'armée active, peuvent, d'après les
lois modernes, être traités comme prisonniers de guerre.2 Les
sujets ennemis au contraire ne peuvent qu'exceptionnellement
être traités comme prisonniers (§ 125. IL).
Les effets de la captivité commencent à courir, à l'égard
des prisonniers de guerre, dès le moment où, réduits à l'im-
possibilité d'opposer de la résistance, ils se sont rendus volon-
tairement, soit conditionnellement soit sans condition, et qu'ils
ont obtenu la grâce de leur vie.
Les lois de la guerre défendent d'ôter la vie aux prison-
niers sous aucun prétexte: car l'ennemi incapable de nuire a
droit à des ménagements. Il est permis seulement de prendre
à son égard des mesures de précaution et de s'assurer de sa
personne. Si toutefois les circonstances rendaient l'application
de ces mesures trop difficile, la nécessité de la légitime défense
et les fins suprêmes de la guerre feraient repousser la reddition
offerte. Ainsi les prisonniers qui, après avoir été désarmés,
menacent de reprendre les armes, pourront être tués impuné-
ment. Le meurtre sera moins excusable s'ils se sont rendus sur
parole, à moins qu'ils n'y aient manqué les premiers, ou que
leur présence dans le camp ne présente des dangers sérieux.
De même le vainqueur a incontestablement le droit de faire
appliquer au prisonnier qui s'est livré sans condition, la peine
d'un forfait énorme contraire aux lois de la guerre, dont il s'était
rendu coupable, d'après les règles de la vindicte sociale. Toute
l) Piitter, Beitr. p. 69. 86.
a) d'Ompteda § 311. de Kamptz § 305. Grotius m, chap. 7. Moser,
Vers. EX, 2, p. 250. 311 suiv. Bynkershoek, Quaest. jur. publ. I, 3. Vattel
ni, § 139 suiv. Kltiber § 249. Wheaton IV, 2. 2. Oke Manning p. 155.
250 LIVRE DEUXIÈME. § 129.
vengeance néanmoins exercée sur un ennemi qui n'a fait que
remplir les devoirs militaires, doit être réprouvée:1 telle sera,
par exemple, l'exécution du brave commandant d'une forte-
resse assiégée, lors même que sa défense courageuse aurait pro-
voqué pendant le siège la menace de cette punition. Espérons
que les annales de l'Europe n'aient plus à enregistrer de pareils
forfaits.
§ 129. Le traitement du prisonnier de guerre consiste
dans la privation effective et temporaire de sa liberté, pour
l'empêcher de retourner dans son pays et de prendre de nou-
veau part aux opérations de la guerre. Les membres des familles
souveraines, lorsqu'ils ont été faits prisonniers, sont traités avec
les égards dus à leur rang. Détenus souvent sur leur simple
parole, ils sont affranchis de toutes les mesures vexatoires de
sûreté personnelle. De même les officiers, dès qu'ils ont engagé
leur honneur, jouissent aussi d'une plus grande liberté. Les
sous-officiers et les soldats au contraire, soumis à une surveil-
lance active, sont employés à des travaux convenables pour
gagner une partie des frais d'entretien fournis par le gouver-
nement qui les détient. Ce dernier pourra exiger le rembour-
sement ou en exiger la compensation lors de la conclusion de
la paix.
Les prisonniers de guerre sont, pendant toute la durée
de leur captivité, incontestablement justiciables des tribunaux
du pays où ils se trouvent détenus, notamment à raison des
crimes qu'ils y ont commis. Les lois de la guerre réprouvent
de mauvais traitements, des procédés arbitraires, des violences
de toute espèce, lorsqu'elles ne sont pas justifiées par la néces-
sité. Ce ne serait que dans le cas où, contrairement aux con-
ditions de leur détention, ils conspireraient contre la sûreté inté-
rieure de l'Etat, que ce dernier pourrait user valablement à leur
égard de moyens de correction ou de répression énergiques.
Ceux qui sont restés étrangers aux faits reprochés, ne devront
pas subir les conséquences des représailles, quoi qu'en disent
certains auteurs anciens qui, sous le nom de pratiques de guerre,
ont cherché à justifier des procédés semblables, ne fût-ce que
*) Vattel ni, § Ul. 143. Wildman H, 25. 26.
§ 130. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 251
comme de simples menaces.1 — Les lois de la guerre défendent
encore de contraindre des prisonniers d'entrer dans l'armée de
l'État où ils sont détenus.
La captivité finit dans les cas suivants:
par la paix;
par une soumission volontaire acceptée par le gouverne-
ment ennemi;
par le renvoi conditionnel ou sans condition;
par le rachat ou la rançon.
Les prisonniers qui, après avoir été rendus à la liberté
par suite d'une promesse de payer une rançon qu'ils n'ont pas
remplie, viennent à être repris une seconde fois, ne sont pas-
sibles d'aucune peine, car ils n'ont fait qu'obéir à la voix na-
turelle de la liberté et de la patrie. Mais s'ils ont manqué en
même temps aux conditions acceptées de leur mise en liberté,
à celle, par exemple, de ne plus servir contre le gouvernement
qui les a renvoyés, ils seront passibles de peines sévères.
DROITS SUR LES CHOSES QUI APPARTIENNENT A L'ENNEMI.2
§ 130. Par une conséquence naturelle des anciennes lois
de la guerre qui avait pour but exclusif la destruction de l'ennemi,
le vainqueur pouvait s'approprier, par une simple prise de pos-
session, les biens appartenant à ce dernier, ces biens étant re-
gardés comme caducs et sans maître.8 Les lois regardaient
même le domaine des biens enlevés à l'ennemi comme le plus
légitime et le plus solide.* Ceux que le vainqueur n'avait pas
l'intention de garder étaient impitoyablement voués à la destruc-
tion. Rien n'était excepté de la ruine universelle : les campagnes
l) Vattel III, § 142. Le traité conclu en 1799 entre la Prusse et les
États-Unis contient, dans Fart. 24, quelques dispositions curieuses sur le
traitement des prisonniers.
*) Grotius III, chap. 5 et 6. Vattel III, 9 et 13. Martens, Vôlkerr.
p. 274 suiv. d'Ompteda p. 308. de Kamptz p. 306.
3) Loi 1. § 1. 1. 5. § 7 pr. D. de acquir. rer. domin. I, 20, § 1. D. de
captivis et postliin. Gajus, Comment. II, 69, § 17. J. de divis. rerum.
4) Gajus (Comment. IV, § 16) dit des anciens Romains: Omnium
maxime sua esse credebant quae ex hostibus cepissent, Unde in oentum-
viralibus judiciis hasta praeponitur,
252 LIVRE DEUXIÈME. § 130.
et les villes, les édifices publics et privés, les temples même
n'y échappaient pas. Encore dans l'époque romano- chrétienne
les tombeaux ennemis, dont la religion avait placé le culte si
haut, n'étaient pas respectés.1 Tout ce qui, dès le commencement
de la guerre, se trouvait sur le territoire ennemi, était la proie
du vainqueur.2
Les lois présentaient cependant certaines différences entre
elles par rapport à la personne de Facquéreur. Ainsi les lois
romaines admettaient cette distinction fondamentale que la prise
de possession des terres ennemies (occupatio bellica) en rendait
maître l'État vainqueur, tandis que les biens meubles devenaient
la propriété des particuliers qui s'en étaient emparés, de manière
que les meubles conquis en commun furent partagés proportion-
nellement entre les coïntéressés, après certains prélèvements
opérés au profit du fisc et des temples publics.3
Les lois modernes de la guerre ont consacré des principes
différents, ainsi que nous l'avons déjà observé. La guerre n'est
plus regardée comme un état de choses normal: elle ne dissout
les rapports régulièrement établis qu'autant que la nécessité
l'exige. Elle n'est pas un état d'hostilité étemelle entre les nations
civilisées: elle ne perd surtout jamais de vue son véritable but,
qui est le retour de la paix. Accident essentiellement transitoire,
elle suspend seulement le règne de la paix. C'est un accident
dont chacune des parties belligérantes profite avec une entière
liberté pour conserver les avantages que lui procurent les suc-
cès de ses armes, sans qu'elle ait à en rendre compte devant
une autorité quelconque. Mais toujours est- il constant que l'état
de possession, résultant des succès de guerre, ne produit tous
ses effets que par rapport aux États belligérants: par rapport
à leurs sujets au contraire dans les limites seulement de la
stricte nécessité. Depuis Grotius cette idée moderne de la guerre
s'est fait jour avec une énergie persistante: sortie des ombres
*) Loi 4. Dig. de sepulcro violato. Loi 36. Dig. de religiosis: sepulcra
hostium nobis religiosa non sunt.
2) Loi 51. Dig. de acquir. rer. domin. Loi 12 pr. Dig. de captivis.
3) Grotius m, 6. 14 suiv. Cujas, Observât. XIX, 7. Vinnius ad § 17.
Inst. de rer. divis. J. J. Barthélémy, Oeuvr. div. Paris 1798. 1. 1, p. 1.
§ 131. • DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 253
de la théorie, elle est appelée désormais à prendre place au sein
des nations civilisées de l'Europe.1
§ 131. Du principe moderne de la guerre que nous venons
d'énoncer, découlent naturellement les propositions suivantes:
I. La conquête totale ou partielle d'un territoire n'a pas
pour effet direct de remplacer le gouvernement vaincu par le
vainqueur, aussi longtemps que la lutte peut se continuer avec
quelque chance. C'est seulement après avoir fait subir au peuple
vaincu une défaite complète (debellatio, ultima Victoria), après
lui avoir enlevé la possibilité d'une plus longue résistance, que
le vainqueur peut établir sa domination sur lui en prenant pos-
session du pouvoir souverain, domination à la vérité usurpatrice,
ainsi que nous l'expliquerons au chap. IV. Jusque là il ne pourra
que séquestrer les domaines du gouvernement dépouillé provi-
soirement et de fait de ses prérogatives. Il pourra tirer parti
de toutes les ressources dont disposait ce dernier et qui sont
d'une réalisation facile, pour se dédommager de ses pertes.
Ainsi il saisira les revenus de l'État; il prendra des dispositions
nécessaires pour se maintenir en possession du territoire conquis.
Mais on ne saurait prétendre que la conquête opère de plein
droit une subrogation du vainqueur dans les droits du gou-
vernement vaincu.2
l) Nous citons les Annales politiques et diplomatiques par Isambert,
Paris 1823. Introd. p. CXV: „Nous pensons avec Grotius qu'on acquiert
par une guerre juste autant de choses qu'il en faut pour indemniser com-
plètement les frais de la guerre; mais il n'est pas vrai que par le droit
des gens on acquière le droit de la propriété entière des biens des sujets.
On n'admet plus aujourd'hui le principe que la conquête engendre des
droits. U n'y a d'immuable, dans la pratique des nations, que les prin-
cipes qui dérivent immédiatement du droit de la nature." Zachariae,
40 Bûcher vom Staate. IV, 1, p. 102: „Le droit des gens protège les biens
des sujets ennemis: il n'est permis d'y toucher que par exception autant
qu'il faut pour atteindre le but de la guerre. Car les biens particuliers
des sujets ne font partie des forces de guerre des États que dans les
limites du pouvoir qui appartient aux gouvernements sur les biens de
leurs sujets."
8) Les monographies sur cette importante matière sont indiquées par
de Kamptz § 307. La théorie de la plupart des auteurs est erronnée en
ce sens qu'ils confondent la simple occupation avec la prise de possession
264 LIVRE DEUXIÈME. ' § 131.
H. Une simple invasion ne produit aucun changement dans
la condition de la propriété civile: mais il est évident que
celle-ci ne pourra se soustraire aux conséquences de l'invasion
ni aux exigences du vainqueur. Ces exigences porteront à la
fois sur le fond du litige et sur les sacrifices déjà faits ou à
faire encore pour le faire vider.
Les particuliers répondent en outre de l'exécution des en-
gagements contractés par l'État, tant envers leur propre gou-
vernement qu'envers l'ennemi vainqueur. En conséquence ce
dernier pourra exiger des contributions, requérir des prestations
en nature ou personnelles, et au besoin, s'il rencontre de la
résistance, il emploiera la force et se mettra en possession des
objets requis, sauf l'indemnité à fixer par voie de compensation
ou autrement, lors de la conclusion de la paix. Il est impossible
de tracer des règles précises sur l'étendue de la faculté dont
jouit chacune des puissances belligérantes, de saisir les biens
des sujets ennemis; car pendant la guerre les nations ne recon-
naissent entre elles aucun juge supérieur. L'emploi d'actes de
représailles et l'aggravation des conditions de la paix, lorsqu'un
retour de la fortune permet de les imposer, sont les seuls
remèdes aux excès dont l'une d'entre elles s'est rendue cou-
pable à cet égard.
III. Les biens possédés dans le territoire de l'une des
parties belligérantes par des sujets de l'autre, continuent à y
être protégés par les lois et ne peuvent leur être enlevés sans
une violation de la foi internationale. La partie qui s'en est
emparée, pourra tout au plus les mettre sous séquestre, si cette
mesure était de nature à lui faire obtenir plus facilement les fins
de la guerre, et, pendant l'intervalle, en percevoir les fruits. —
On observera moins de ménagements à l'égard des biens dont
ou s'est emparé pendant la guerre même: ils seront assimilés
à ceux trouvés en pays ennemi.
IV. La partie vainqueur doit éviter de commettre des ra-
vages ou destructions de biens ennemis, dès que la raison
de guerre ne les justifie pas, ainsi que nous l'avons déjà dit
définitive. Cocceji, dans son Comment, sur Grotius III, 6, et dans sa
dissert. De jure victoriae a indiqué la véritable théorie.
§ 182. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 255
(§ 124). Les nations civilisées devraient même éviter en pareil
cas l'emploi de représailles.
ÉTAT DE LA JURISPRUDENCE MODERNE.
§ 132. La pratique moderne de la guerre est entrée, il
faut en convenir, dans une voie conforme aux principes ci-dessus
expliqués, sans que toutefois elle en ait tiré les dernières con-
séquences. Elle a au contraire maintenu quelques restes des
anciens usages, dont les théoriciens de l'école historique surtout
se sont constitués les ardents défenseurs.
En effet, en ce qui concerne Sabord le domaine des biens
appartenant au gouvernement vaincu, la pratique du dernier
siècle a souvent confondu la simple invasion avec la conquête
définitive (ultima Victoria), et elle a fait découler de la pre-
mière des conséquences qu'il faut attribuer à la seconde seu-
lement. D'après un usage presque constant, le souverain victo-
rieux, après s'être emparé de l'intégrité ou d'une partie du
territoire ennemi, se faisait rendre par ses habitants l'hommage
de sujétion. De nombreux auteurs continuaient à professer
l'ancienne théorie, suivant laquelle les biens appartenant à
l'ennemi étaient réputés sans maître (res nullius), et ils en con-
cluaient que la conquête devait avoir pour effet une confiscation
provisoire ou une dépossession temporaire au préjudice du gou-
vernement vaincu. Le vainqueur disposait donc des terres par
lui occupées comme de son domaine privé. C'est ainsi que
George I, roi d'Angleterre, par un acte de cession ratifié le
17 juillet 1715, se fit transmettre le domaine des duchés de
Brème, de Verden et de Stade par le roi de Danemark qui
venait de les enlever en pleine paix à la Suède ; car ce fut quel-
ques mois après seulement que la guerre fut déclarée à ce dernier
pays ! l Cette pratique s'est perdue pendant les guerres de l'Em-
pire au commencement de notre siècle. Nous voyons alors une
déclaration solennelle de déchéance précéder toujours la prise
l) Martens § 277 note b. a cité d'autres exemples. Les auteurs anglais
défendent avec opiniâtreté le système par nous condamné. V. Oke Man-
ning § 277 note 6. Wildman H, 9. H est vrai qu'ils ont en leur faveur
l'autorité de Grotius et de Bynkershoek.
256 LIVRE DEUXIÈME. §133.
de possession définitive du territoire conquis, et, jusqu'à ce
moment, le vainqueur se contenter de tirer partie de nombreuses
ressources abandonnées par le gouvernement vaincu. De même
à l'égard des biens privés des sujets ennemis, il se bornait à
leur imposer des contributions et des réquisitions qui suffisaient
en même temps aux besoins momentanés d'une maraude disci-
plinée. Les commandants de troupes ont tçujours cherché à
éviter autant que possible des ravages de propriétés ennemies,
en ne les autorisant qu'en des cas exceptionnels.
Si l'on a réussi ainsi dans les guerres de terre à cir-
conscrire le droit de butin (praeda bellica) dans des limites
raisonnables, un système différent, profondément attentatoire au
principe de la propriété privée, a prévalu dans les guerres
maritimes, ainsi que nous aurons l'occasion de l'expliquer. Les
auteurs les plus récents, nous le disons avec regret, professent
encore sur les changements que produit la guerre dans les con-
ditions du domaine public et de la propriété privée, certaines
théories inconciliables avec sa véritable nature. Nous aurons à
discuter une à une les propositions qui découlent de ces théo-
ries erronnées.
EFFETS DE LA CONQUÊTE SUR LA CONDITION DE LA PROPRIÉTÉ
IMMOBILIÈRE.
§ 133. Quant aux immeubles, on est depuis longtemps
d'accord sur ce point que l'invasion ou l'occupation ennemie ne
produit aucun changement dans leur condition légale et qu'ils
ne passent plus, comme dans les anciens temps, entre les mains
du vainqueur. Sous ce rapport, les auteurs modernes ne pré-
sentent aucune divergence d'opinion. Ils s'accordent à dire
qu'une prise de possession a besoin d'être ratifiée lors de la
conclusion de la paix, ce qui veut dire en d'autres termes que
l'occupation est un fait insuffisant.1
Il en résulte que toutes les dispositions arrêtées par le
vainqueur relativement à la propriété immobilière du territoire
*) Meermann, Von dein Recht der Eroberung. Erfurt 1774. Pufendorf
Vin, 6. 20. Vattel ni, § 195. 196. Klttber § 256. de Martens § 277.
Wheaton IV, 2, § 16.
§ 134. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 257
par lui occupé, n'ont aucune valeur légale, qu'elles ne produisent
que des conséquences de fait qui, lors de la reprise, par une
application du droit de „postliminie", deviennent caduques. Si
néanmoins le vainqueur réussissait à se maintenir dans le nou-
veau territoire, ses dispositions obtiendraient une certaine force
légale, et les aliénations opérées par lui seraient valables jusqu'à
un certain point.
Ce que nous venons de dire sur la condition de la pro-
priété privée des sujets, s'applique également aux biens privés
du souverain dépossédé temporairement. Aussi longtemps que
le vainqueur n'aura pas pris possession, ne fût-ce que d'une
manière provisoire, du pouvoir suprême, il ne pourra disposer
valablement de ces biens,1 pas plus que de ceux qui font partie
des domaines de l'Etat. Mais il pourra incontestablement dis-
poser toujours à titre provisoire des fruits et des revenus qu'il
aura fait saisir.
CHOSES INCORPORELLES ( CREANCES).3
§ 134. L'occupation des choses incorporelles avait autrefois
fourni aux auteurs l'occasion d'une controverse importante.
Peuvent-elles être occupées ou saisies valablement? La plupart
des auteurs4 se sont prononcés pour l'affirmative, en ce sens
que, le débiteur une fois valablement libéré par le vainqueur,
le créancier primitif ne pourrait plus se prévaloir à son égard
*) Ainsi jugé par la Cour de Cassation de Paris (Sirey XVII, 1. 217):
„Le droit de conquête n'a d'effet au préjudice des princes que sur les biens
qu'ils possèdent en qualité de princes, et non sur les biens qu'ils possèdent
comme simple propriété."
2) Jugement de la même Cour (Sirey XXX, 1, 280): „La conquête
et l'occupation d'un État par un souverain n'autorisent pas ce souverain
à disposer par donation ou autrement du domaine conquis ou occupé."
V. aussi Allgemeines Landrecht fur die preufs. Staaten. I, 9, § 198.
3) Chr. Gottl. Schwartz, De jure victoris in res divictor. incorporales.
Alt. 1720. de Kamptz, Beitràge zum Staats- und Vûlkerrecht. no. 9.
B. W. Pfeiffer, Das Recht der Kriegseroberung in Beziehung auf Staats-
Capitalien. 1823. Ferd. Ch. Schweikart, Napoléon und die kurhessischen
Capitalschuldner. Kônigsberg 1833. de Kamptz, Litt. § 307.
4) V. encore Wildman II, 11, qui n'en excepte que les créances d'un
État envers des particuliers.
17
258 LIVRE DEUXIÈME. § 134.
des conséquences résultant du droit de postliminie. Les mêmes
auteurs disaient en outre que la libération était valablement
faite par le vainqueur, lors même que les débiteurs avaient leur
domicile en territoire tiers ou neutre. A l'appui de leur théorie,
ils ont invoqué la maxime romaine qui donnait à l'occupation
de guerre (occupatio bellica) un caractère absolu. Us en fai-
saient descendre une sorte de droit de confiscation, dont on
s'est prévalu pendant plusieurs guerres du dernier siècle, pour
se faire rembourser le montant des sommes qui étaient dues
au gouvernement vaincu. Ils se sont prévalus des dispositions de
différents traités de paix qui ont également sanctionné des spo-
liations semblables.1 Enfin, comme si tant d'arguments ne suf-
fisaient pas, on a encore eu recours à un prétendu arrêt de la
Cour amphictyonique. Il s'agissait alors d'une demande formée
par la ville de Thèbes contre le peuple thessalien et dont elle
avait été déboutée après qu' Alexandre le Grand eut fait re-
mettre à ce peuple le document original, lors de la destruction
de la ville.2
Quoi qu'il en soit, nous croyons, au point de vue légal,
devoir combattre cette doctrine, ainsi que la jurisprudence à
laquelle elle a servi de base. C'est en effet un principe élémen-
taire que le payement fait à un autre qu'au vrai créancier, ou
que la libération d'un tiers ne fait pas régulièrement cesser les
droits du créancier. Pour se rendre compte d'une manière suf-
fisante de l'état de la question, il faut distinguer premièrement
des créances purement personnelles celles qui ont pour objet
x) Schweikart, loc. cit. p. 74. 82 suiv. cite un grand nombre de traités
pareils. V. aussi Bynkershoek, Quaest. jur. publ. I, 7, p. 177. de Kamptz,
Beitr. § 5 note 4. En général les exemples cités par ces auteurs con-
tiennent des conventions faites en prévision de cas spéciaux et qui n'ont
aucun caractère général.
2) Cette histoire est racontée par Quintilien, Instit. orat. V, 10. 111 suiv.
Les auteurs ont traité cette question avec une certaine prédilection; v.
Schweikart p. 53 suiv. L'arrêt en question n'est probablement qu'une pure
fiction. V. Saint -Croix, Des anciens gouvernements fédératifs. p. 52.
F. W. Tittmann, Ueber den Bund der Amphictyonen. 1812. p. 135. On
ignore jusqu'aux termes de ce jugement, qu'on a essayé de recomposer
d'après le passage sus -indiqué.
§ 134. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 259
des droits réels, sans en former précisément une partie acces-
soire. Elles participent de la nature des immeubles et elles en
partagent le sort pendant la guerre, conformément aux règjes
précédemment retracées par nous.
Parmi les créances d'un caractère personnel, nous remar-
quons d'abord celles qui ont pour but de fournir un équivalent
de certains immeubles concédés à titre d'usage, comme les loyers
et les fermages. Ces derniers appartiennent incontestablement à
l'ennemi dès qu'il s'est mis en possession des immeubles. C'est
à lui de décider s'il veut maintenir les baux: dès qu'il n'en a
pas disposé autrement, ces baux sont censés être tacitement
renouvelés entre lui et les fermiers précédents.1 — Mais d'un
autre côté ce serait peu conforme à la vraie nature des créances
personnelles, que de les regarder comme étant susceptibles d'une
possession réelle, par suite d'une occupation de guerre (occu-
patio bellica). La simple détention d'un titre ne confère aucune-
ment le droit d'en poursuivre l'exécution: c'est une règle con-
stante.2 Une créance, chose essentiellement incorporelle ou per-
sonnelle, ne fait naître des rapports qu'entre le créancier et le
débiteur; le créancier seul peut céder valablement ses droits à
un tiers, à moins que la cession ne soit l'effet d'une autorisation
donnée en justice. La guerre, avec ses chances incessantes de
succès et de défaite, ne peut pas conférer aux belligérants un
droit semblable. Le débiteur qui avait été obligé de payer à la
partie qui momentanément avait le dessus, supportera seul les
conséquences de cet accident de guerre, conformément aux dis-
positions du droit civil.8 Il ne pourra opposer le payement à
son créancier: ce dernier lui tiendra seulement compte des dé-
penses utiles. Celui qui a payé indûment a encore le droit d'exiger
le remboursement de ses dépenses de celui qu'il a libéré valable-
ment de poursuites ennemies. Mais ce sera seulement lors de
la conquête définitive et en vertu des clauses formelles du traité
de paix, que la question recevra une solution définitive, notam-
ment dans le cas où le débiteur est à la merci de l'ennemi qui
*) Ziegler, De juribus majest. I, 33, § ult.
2) de Kamptz, loc. cit. § 8.
3) Schweikart p. 94 suiv. 105. 109.
17*
260 LIVRE DEUXIÈME. § 135.
s'est emparé du territoire. Toutefois les actes accomplis par ce
dernier ne peuvent jamais nuire à une tierce puissance.1
Enfin, chacune des parties belligérantes refusera, par voie
de représailles ou de rétorsion, d'admettre les réclamations
formées contre ses sujets par des sujets ennemis, à moins qu'elle
ne se trouve liée à cet égard par des conventions précédentes.2
ACQUISITION DE CHOSES MOBILIERES.3
§ 135. Le butin est un mode d'acquisition régulier et gé-
néralement admis dans les guerres terrestres. Sous ce nom on
comprend ordinairement toutes les choses mobilières et corpo-
relles, enlevées à l'armée ennemie ou à quelques personnes qui
en font partie, ou bien encore, par exception, à des individus
étrangers à l'armée; comme, par exemple, lorsqu'une forteresse
ou une place d'armes, à la suite d'une défense opiniâtre, a été
livrée au pillage par ordre des chefs.
Le butin repose sur cette idée fondamentale que les armées
ennemies sont réputées abandonner aux chances de la guerre
tout ce qu'elles portent avec elles lors de leur rencontre. Le
pillage de particuliers, autorisé dans certains cas exceptionnels,
a au contraire pour but d'offrir aux troupes une espèce de ré-
compense de leurs efforts extraordinaires. D'ailleurs rien n'em-
pêche les personnes pillées d'exiger de leur gouvernement la
réparation du sinistre dont elles ont été frappées. Sans doute
il serait plus généreux, plus conforme aux préceptes de l'huma-
nité, de ne permettre aucune dérogation semblable à la loi
commune. L'indemnité à accorder en pareil cas offrira toujours
les plus grandes difficultés d'appréciation. Le plus souvent ces
actes de brutalité frappent des innocents, ainsi que la pratique
elle-même l'a constaté.
*) Les auteurs qui prétendent que les choses incorporelles peuvent
faire l'objet d'une occupation, professent dans cette matière une opinion
différente de la nôtre. V. de Kamptz, loc. cit. § 6. 7.
2) Dans le traité conclu en 1794 entre l'Angleterre et les États-Unis,
on rencontre une disposition semblable. Wheaton IV, 1, § 12.
8) d'Ompteda § 309. de Kamptz § 308. Grotius III, 6. Vattel
in, 196.
§ 136. DROIT INTERNATIONAL .PENDANT LA GUERRE. 261
Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que tout ce qui, en
dehors du cas qui vient d'être indiqué, a été enlevé par des
troupes aux sujets du pays qu'elles occupent, doit être restitué
aux propriétaires légitimes, conformément aux prescriptions de
la discipline militaire. Mais les objets enlevés qui n'ont pas été
ainsi régulièrement restitués, prendront, dès la conclusion de la
paix, la nature d'un vrai butin de guerre. Les choses au con-
traire appartenant aux sujets ou aux troupes ennemies, lesquelles
leur ont été enlevées par des particuliers, ne peuvent être l'objet
d'une possession valable.1
Quant à la personne de l'acquéreur, la pratique des États,
sans s'appuyer à la vérité sur des textes positifs, distingue
entre les choses qui forment le matériel d'une armée ou qui
sont destinées aux opérations de campagne, et celles qui le
sont exclusivement aux besoins des troupes, comme l'argent, les
objets précieux, les objets d'équipement. Ces derniers échoient
aux militaires ou aux corps de troupes qui les ont enlevés,
tandis que l'artillerie, les munitions de guerre, les provisions de
bouche appartiennent au souverain, qui ordinairement accorde
une indemnité aux troupes qui s'en sont emparées.2 On ap-
plique en pareil cas les dispositions particulières des règle-
ments militaires. Suivant un ancien usage assez bizarre, les
cloches d'une place conquise appartenaient au chef d'artillerie,
lorsqu'elles avaient servi pendant le siège.8
§ 136. En examinant de plus près la nature du domaine
qu'on appelle le butin de guerre, on s'aperçoit aisément qu'il
n'a aucunement pour base la fiction qui regarde comme étant
sans maître (res nullius) les biens conquis, car en réalité ils
*) Struben, Rechtliche Bedenken. II, no. 20, professe une opinion
différente. V. cependant Pufendorf VUE, 6. 21. Le Code général de
Prusse I, 9, § 193. 197 prescrit également que l'État seul peut accorder
l'autorisation de faire du butin, et que le pillage des sujets ennemis
étrangers à l'armée ne doit avoir lieu qu'en vertu d'une autorisation du
chef de l'armée.
2) AUgemeines Landrecht fïir die preufs. Staaten. I, 9, §195 suiv.
V. aussi les anciennes lois militaires allemandes, par exemple celle dite
Artikelsbrief de 1672, art. 73. ^r"w>>,v
8) Moser, Vers. IX, 2, p. 109.
• ♦
262 LIVRE DEUXIÈME. § 136.
ne cessent d'appartenir à leurs maîtres précédents. L'absence
d'une justice commune entre les parties belligérantes ne suffit
pas non plus, comme nous l'avons dit, pour expliquer comment
une possession essentiellement arbitraire peut se transformer en
domaine.1 Si, comme dans le monde ancien, les États chrétiens
n'admettaient entre eux aucune loi commune, la conquête serait
toujours le mode d'acquisition le plus solide. Mais ce point de
vue ne s'accorde plus avec la nature essentiellement transitoire
de nos guerres actuelles. D'après nos idées, le pillage ne de-
viendra jamais un mode d'acquisition régulier. Il donne seule-
ment la faculté matérielle de disposer librement des fruits et
de la substance de la chose, autant que les circonstances ne
s'y opposent pas. L'occupant ou celui auquel il a cédé l'objet,
n'est pas non plus tenu d'en rendre compte, tant que la guerre
continue ou que le détenteur actuel de l'objet se trouve à l'état
d'ennemi vis-à-vis du propriétaire précédent. Ce dernier toute-
fois reprendra librement sa chose partout où il la retrouvera,
soit sur le territoire neutre, soit dans une partie de son propre
territoire non occupée par l'ennemi. Il la reprendra encore libre-
ment après la conclusion de la paix, à moins que les disposi-
tions du traité ne contiennent une renonciation formelle aux
réclamations à ce sujet. En un mot, la guerre n'a fait que sus-
pendre temporairement les effets de la propriété privée qui con-
tinue à être placée sous la sauvegarde individuelle et collective
des États. Le fait de la détention matérielle remplace provisoi-
rement le droit, pour passer tour à tour entre les mains de
l'une ou de l'autre des parties belligérantes. Les lois particu-
lières des États déterminent les conditions sous lesquelles elles
admettent la demande en revendication de l'ancien propriétaire
des choses enlevées contre le détenteur actuel soumis à leur
juridiction. Mais nulle part le butin ne porte le caractère d'un
domaine irrévocable en faveur du détenteur actuel et de ses
successeurs. Du moins aucun principe général n'a consacré un
domaine que le traité de paix ou des traités préexistants peuvent
seuls consacrer.
*) Pando p. 389.
§ 136. DROIT INTERNATIONAL FENDANT LA GUERRE. 263
C'est encore aux lois particulières à déterminer le moment
où la propriété commence à être acquise à l'occupant: il n'existe
aucune loi générale à ce sujet.1 Anciennement, suivant les dispo-
sitions du droit des gens romain alors en vigueur chez la plupart
des nations , le moment de l'appropriation de guerre fut celui
où la prise de possession ou la détention exclusive ne pouvait
plus être troublée ou empêchée par le propriétaire précédent ni
par les camarades de guerre ; en d'autres termes, dès le moment
où les biens enlevés avaient été placés dans un lieu sûr et ne
pouvaient plus être repris qu'à la suite de nouveaux efforts
ou par des circonstances accidentelles. Aussi longtemps au con-
traire que Faction de combat se continuait en réalité et que,
par un retour de la fortune, les choses enlevées pouvaient
être reprises, le butin n'était pas regardé comme un fait
accompli.2 Cette distinction se retrouve dans plusieurs codes
modernes.3
La difficulté de déterminer d'une manière exacte le moment
de la prise de possession, a fait admettre encore le terme d'une
occupation de vingt- quatre heures. Ce terme est également en
usage dans les guerres terrestres et maritimes.4 Toutefois il ne
laisse pas de présenter certaines difficultés dans l'application,
et il ne saurait être regardé comme une règle commune du
droit international. Dans les pays régis par le code Napoléon
la disposition de l'article 2279 est décisive, laquelle répond
éminemment à l'état de guerre : „En fait de meubles la posses-
sion vaut titre."
l) Cocceji sur Grotius III, 6. 3 in fine.
a) Y. sur les difficultés d'interprétation des lois romaines Ziegler,
De juribus majestatis. I, 33, § 79. Les lois ne laissent subsister aucun
doute sur le moment de l'occupation. L. 3. § 9. Dig. de vi.
8) V. par exemple AUgemeines Landrecht flir die preufs. Staaten. I,
9, § 201. 202. Le bntin eBt regardé comme acquis, s'il a été rapporté par
les troupes qui s'en sont emparées, dans leur camp, dans leurs quartiers
de nuit ou autrement en lieux BÛrs. Tant que l'ennemi est poursuivi,
Ira objets enlevés peuvent être repris par l'ancien propriétaire.
4) De Thou rapporte que cet usage date de la reprise de la ville de
Lierre en Brabant en 1595. Grotius III, 6. 3.
264 LIVRE DEUXIÈME. § 137.
OCCUPATION MARITIME.
§ 137. Pendant une guerre sur mer, les navires armés des
puissances belligérantes, comme les navires privés de leurs sujets,
avec les cargaisons, sont susceptibles d'une occupation et d'une
saisie valables.1 Par esprit d'humanité on a excepté seulement
les canots, les ustensiles des pêcheurs des côtes, ainsi que les
biens naufragés. En France notamment la jurisprudence, suivant
d'anciens usages, s'est refusée constamment à valider la saisie
de canots pêcheurs, même par voie de représailles.2
Les guerres maritimes, comme nous l'avons déjà observé,
avaient, jusqu'aux traités de 1815, principalement pour but la
destruction du commerce ennemi. Tant que les intérêts d'un
commerce avide continueront à peser exclusivement, ou du moins
d'une manière prépondérante sur leurs causes et leur direction,
il ne faudra pas s'attendre à les voir changer de caractère.
Le principe pratiqué jusqu'à ce jour a été le suivant: tous
les biens qui se trouvent sur mer, qu'ils appartiennent au gou-
vernement ou à des particuliers, sont regardés comme une bonne
prise échue à la partie ennemie, dès qu'elle parvient à s'en
emparer. Nous expliquerons par la suite jusqu'à quel point les
licences et les droits des neutres dérogent à ce principe. H
produit ses effets, dès le moment de l'ouverture des hostilités,
par rapport aux navires, avant même que leurs capitaines en
1) Biisch, Ueber das Bestreben der Vôlker neuerer Zeit, einander in
ihrem Seehandel recht wehe zu thun. Hamburg 1800. Jouffroy, Droit
maritime, p. 57 suiv. Zachariae, 40 Bûcher vom Staat. IV, 1, p. 111. Weil,
Constitut. Jahrbûcher. 1845. 1, p. 260. — Pour la jurisprudence v. N. Carlos
Abreu, Tratado jurid. politico sobre las presas marit. Cadix 1746. Tra-
duct. franc. 1758 et 1802. R. J. Valin sur l'Ordonnance de 1681, et son
Traité des prises ou principes de la jurisprud. franc, concernant les prises.
A la Rochelle et Paris 1782. de Steck, Versuch iiber Handels- und Schiff-
fahrtsvertrâge. Halle 1782. p. 171. G. Fr. de Martens, Essai concernant les
armateurs. 1795. Merlin, Répert. univ. mot: „ Prise maritime." Nau, Vôlker-
seerecht. § 265 suiv. Wheaton, Intern. Law. IV, 3, § 9 suiv. Wurm dans
Rotteck et Welcker, Staats-Lexicon. V. Prise. Pando p. 412. Ortolan II,
p. 39. Wildman II, p. 118 et surtout de Pistoye et Duverdy, Droit des
prises maritimes. Paris 1855.
2) Sirey, Rec. gén. I, 2, 331 et 296. Merlin, loc. cit. Ortolan II, 49.
§ 138. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 265
aient été informés, ainsi que la jurisprudence anglaise moderne
l'a décidé constamment.1 Quelquefois néanmoins un certain délai
est accordé à cet effet: Ainsi, dans la dernière guerre, les puis-
sances occidentales ont, par une déclaration des 27 et 29 mars
1854, permis aux navires russes de quitter, pendant un délai
de six semaines, leurs ports respectifs, pour retourner dans leur
patrie. A ce sujet les parties belligérantes exercent leurs droits,
tant sur la haute mer que dans leurs eaux ou dans celles de
l'ennemi, soit directement par des navires d'État armés en course,
soit par des commissions ou des lettres de marque délivrées
régulièrement à des corsaires ou armateurs privés.2 Des troupes
de terre même, lors de l'occupation d'un port ennemi, s'empare-
ront valablement des navires de guerre qui y sont stationnés,
et en ce cas les règles restrictives, relatives au butin ordinaire,
ne sont point appliquées.3 Sont considérées comme illicites les
prises faites sur le territoire neutre, de même que celles faites
dans un port neutre, lorsqu'elles constituent une violation de
l'autorisation d'entrée dans ce port.4
§ 138. Pour fixer le moment où une prise sur mer doit
être réputée accomplie, on suivait autrefois les dispositions du
droit romain relatives au butin de terre, que nous avons déjà
expliquées. Plus tard les lois et les traités publics ont pris
souvent pour base le terme d'une détention de vingt -quatre
heures : ils en faisaient dépendre les droits du capteur et ceux
de recousse au profit du précédent propriétaire.6 Ce terme néan-
L) V. de Steck, Ueber Handelsvertrâge. p. 171. Faber, Neue europ.
Staatscanzlei. VI, p. 426. Nau, Vôlkerseerecht. §257. Wheaton, Intern.
Law. IV, 1, § 10. 11. de Pistoye et Duverdy II, p. 89.
2) Autrefois l'entrée de corsaires dans une rivière ennemie, pour y
faire une prise, fut regardée comme un acte illicite et criminel. Cette
défense n'a aucun caractère général et cesse d'être obligatoire, dès que
la commission n'en fait pas mention, de Pistoye et Duverdy I, p. 112.
Wildman II, p. 361.
3) Martens, Versuch iiber Caperei. § 34. de Pistoye et Duverdy
I, p. 111.
4) Wildman II, p. 147. Wheaton, Eléments. IV, 2, § 14. Oke Man-
ning p. 385.
5) Martens § 55 suiv. Wheaton, Intern. Law. IV, 2, §12. (Eléments
H, p. 27.)
266 LIVRE DEUXIÈME. § 138.
moins a cessé également de former une règle du droit commun.
Ainsi le Code général de Prusse (I, § 208) dispose à ce sujet
ce qui suit: „Les biens et les navires capturés par des cor-
saires ne sont regardés comme perdus que du moment où ils
ont été conduits dans un port ennemi ou neutre." — D'après un
ancien usage,1 en vigueur en France dès le règne de Charles VI
(1400), le capteur doit justifier de la légalité de la capture
devant le Conseil des prises compétent, en faisant approuver
par ce dernier son titre d'acquisition. Les formalités prescrites
à ce sujet doivent être observées par les corsaires privés comme
par les navires de l'État.2 Le capteur doit avant tout conduire
le navire capturé dans un port du territoire auquel il appar-
tient, et tant que ses droits n'ont pas été régulièrement con-
statés, il lui est défendu de disposer arbitrairement des objets
saisis (§ 142. c.).8
Sont regardés comme étant compétents pour statuer sur la
validité des prises, d'après la pratique constante des Etats,
tantôt les tribunaux ordinaires, tantôt les Conseils de prise et
les commissions spéciales du pays auquel appartient le capteur.
Un État neutre ne possède aucune espèce de juridiction en
matière de prises, alors même que des navires capturés ont
été conduits dans ses ports. Les consuls établis par l'une des
parties belligérantes dans le territoire neutre, ne sont pas non
plus regardés comme compétents.4 A plus forte raison on ne
pourra, à ce sujet, accorder aucune autorité aux ministres pléni-
potentiaires.6 Cependant il suffit pour la validité de la saisie,
quoique les objets capturés se trouvent encore sur le territoire
neutre, qu'elle soit reconnue par la suite.6
l) Valin sur l'Ordonnance de 1681. in, 9. 1. Cette institution se re-
trouve chez les autres nations. V. sur son principe Wildman H, p. 354.
a) Valin, sur l'Ordonnance de 1681. II, p. 309.
3) Wildman H, p. 168.
4) Jouffroy p. 282. Hautefeuille IV, p. 294. Nous indiquerons dans
le chapitre suivant les développements théoriques auxquels se sont livrés
ces auteurs sur les principales questions des prises maritimes.
5) Martens § 37. Wheaton § 15. Oke Manning p. 380.
«) Wheaton, Intern. Law. IV, 2, § 13 in fine (édit. franc. II, p. 44).
Oke Manning p. 382.
§ 139. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 267
La procédure des Conseils de prise, lorsque l'origine ennemie
du navire ne peut pas être contestée, est très -sommaire. Dépour-
vue d'un débat contradictoire,1 elle a exclusivement pour but de
faire constater la régularité de la prise et il ne pourra y avoir un
procédé formel sur la validité de la capture que dans le cas où
le capitaine conteste la nationalité ennemie de son navire, ou
qu'il invoque un privilège ou une immunité particulière, afin d'en
obtenir l'élargissement.* Les Conseils de prise d'ailleurs ap-
pliquent exclusivement les lois et les règlements de leur pays,
et c'est d'après leurs dispositions que se fait le partage des
biens capturés. Ils devront respecter pourtant le principe du
pavillon légitime.8
Quelque incohérence que présentent les règles relatives à
la procédure et à la juridiction en matière de prises, la pra-
tique, pendant les dernières guerres, s'est habituée à ne regarder
la propriété de navires capturés comme perdue ou comme con-
fisquée, qu'après que la légitimité de la prise a été prononcée
par les tribunaux compétents. L'Angleterre elle-même, intéressée
sans doute à voir se perpétuer un usage dont elle retire le
plus de profit, continue à respecter à ce sujet les droits égaux
des autres nations.4
§ 139. L'aperçu qui précède suffit pour montrer qu'inuti-
lement on chercherait à retrouver au fond des règles consacrées
en matière de prises maritimes, un principe fixe et à l'abri
de toute controverse. En supposant même que les différentes
nations dont se compose la grande famille européenne, adoptent
sans la moindre divergence des maximes uniformes, il n'en résul-
terait autre chose que, faute de s'être entendues sur les vrais
principes, elles continueraient à n'observer que le principe tout
matériel et individuel de la réciprocité, qui ne s'appuie sur
1) Jouffroy p. 86. 296 suiv. Pour la jurisprudence anglaise v. Wild-
man H, p. 352 ; pour celle française v. de Pistoye et Duverdy. V. aussi
les observations de Wurin, Staats-Lexicon. XI, p. 145.
2) Wheaton, Intern. Law. IV, 1. 21. Édit. franc, p. 22.
3) Portalis a observé avec raison que ces règlements devraient reposer
sur une base commune. Wheaton, Histoire. I, p. 152.
*) Wheaton, Intern. Law. IV, 2, § 12. 13. Jouffroy p. 209 suiv. Oke
Manning p. 382.
268 LIVBE DEUXIÈME. § 139,
aucune base morale. Ce principe manque surtout du consentement
libre des nations, qui ne sauraient se rallier à un système pure-
ment arbitraire. Comment justifier autrement la disposition qui
regarde la détention des objets saisis pendant quelques, voire
même pendant vingt-quatre heures, ou leur entrée dans un port
du territoire, comme un titre suffisant pour en conférer le do-
maine, alors surtout qu'il s'agit d'objets privés? Quelle autorité
faut-il accorder à une sentence qui a été rendue par des juges
nommés par le gouvernement intéressé à voir maintenir la capture
à son profit, lorsqu'ils sont tenus de prononcer conformément aux
dispositions arrêtées par le même gouvernement? Il y a long-
temps que des hommes regardés à la vérité comme théoriciens,
ont proclamé que ce système était indigne d'une époque chré-
tienne et civilisée. Cette idée pénétrera davantage dans la
conscience des nations, à mesure que leur propre dignité leur
fera une loi du maintien des règles de la justice. Elles les
défendront surtout contre ceux qui jusqu'à présent ont trouvé
dans la continuation de ce système arbitraire la satisfaction de
leurs intérêts égoïstes, et qui par là même sont très-disposés à
le perpétuer. On ne prétendra certainement jamais contester à
une puissance engagée dans une guerre, la faculté de s'emparer
de navires qui appartiennent soit à l'État, soit à des sujets
ennemis, ainsi que de leurs cargaisons. Aucune nation n'est
tenue de laisser ouvertes les routes de mer qui peuvent faciliter
à ses ennemis les moyens de prolonger la lutte, ni de permettre
la continuation d'un commerce préjudiciable au sien. Soutenir
le contraire, ce serait défendre une chimère. Néanmoins il suffira
qu'on admette la nécessité de principes moraux à la place d'in-
térêts purement politiques ou de simples fictions, pour qu'on
tombe d'accord sur les conclusions suivantes:
que la prise d'un navire n'emporte jamais au profit du capteur
la propriété du bâtiment et des biens qui s'y trouvent; —
qu'il ne confère qu'un droit de saisie ou la faculté de
disposer des objets qui continuent à être occupés pendant
la durée de la guerre, en sorte que ces objets serviront
au besoin à fournir une indemnité ou une réparation.
C'est seulement la paix qui pourra donner aux actes
§ 140. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 269
passés à leur égard un caractère définitif et permanent,
dans les cas, bien entendu,. où leur restitution intégrale
ou partielle ne forme pas une clause du traité de paix.
Jusqu'au moment de la conclusion de la paix le navire et
les biens capturés peuvent être repris valablement au profit
de leur vrai propriétaire par voie de recousse, dont nous aurons
à nous occuper au chapitre IV du présent livre.
DROITS DES PARTIES BELLIGÉRANTES SUR LES BIENS ENNEMIS
QUI SE TROUVENT DANS LEURS TERRITOIRES RESPECTIFS.
§ 140. Suivant les dispositions du droit des gens ancien,
chaque citoyen pouvait valablement s'emparer de biens trouvés
dans le territoire conquis, car ces biens étaient regardés comme
butin de guerre. „Et quae res hostiles apud nos sunt, non pu-
blicae sed occupantium fiunt."1 La théorie moderne plus humaine
ne peut plus admettre une théorie semblable. Il n'en est pas
moins vrai que jusqu'à présent la pratique des États, par des
voies détournées, a réussi à obtenir des résultats analogues.
En commençant, dès l'ouverture des hostilités, et souvent avant
la déclaration de guerre, par faire saisir les biens ennemis
à titre de représailles, elle procédait ensuite à leur séquestre.8
On commençait par frapper d'embargo les navires ennemis que
des intérêts de commerce retenaient dans les ports du territoire.
La mesure fut étendue ensuite aux marchandises, achetées ou
consignées pour compte de négociants, sujets ennemis. Elle
s'appliquait enfin même aux biens et aux marchandises apparte-
nant à des sujets ennemis qui, jusqu'au moment de la décla-
ration de guerre, avaient résidé paisiblement dans le territoire.
Dans tous ces cas, les Conseils de prise n'ont jamais manqué
de faire examiner de la manière la plus scrupuleuse par leurs
délégués savants la question du domicile d'origine, et dès qu'il
s'élevait le moindre soupçon à ce sujet, on traitait les commer-
l) Loi 51. Dig. de acquir. rer. dom. Loi 12. princ. Dig. de captivis.
*) On peut trouver des développements de cette théorie dans de Real,
Science du gouvern. V, chap. II, V, 3. de Steck, Versuche tiber Handels-
und Schifffahrtsvertrâge. p. 168. Moser, Vers. IX, 1, p. 45. 49. Son in-
justice est évidente.
270 LIVRE DEUXIÈME. S 140.
çants étrangers en ennemis, après avoir prononcé la confiscation
de leur propriété.1 Des maisons de commerce et des comptoirs
qui avaient été établis par des sujets ennemis, ne pouvaient
naturellement pas échapper au sort commun.3 Les stipulations
formelles, telles que les contiennent la plupart des traités de
commerce modernes de quelque importance, suffisaient seules
pour sauvegarder les personnes et les biens contre les consé-
quences de cette jurisprudence, et leur permettaient de quitter
librement le territoire ennemi.3
D'un autre côté les biens immeubles appartenant à des
sujets ennemis n'étaient pas ordinairement compris dans les
mesures de séquestre. On s'en abstenait afin d'éviter des repré-
sailles de nature à attirer aux sujets de pareilles ou de plus
grandes calamités.4
On voit donc aisément que ce sont surtout les intérêts
commerciaux, le désir de détruire le commerce ennemi au profit
du commerce national, qui dirigent les actes des parties belli-
gérantes. Pourquoi dès lors chercher à y retrouver un principe
juridique et des applications logiques? Il est permis sans doute,
ainsi que nous Pavons observé plusieurs fois, de chercher à
réduire l'ennemi, en faisant teyir ses ressources et en frappant
au coeur son commerce extérieur. Mais il n'en résulte aucune-
ment, dès qu'on admet au fond du droit moderne de guerre un
principe moral, qu'il faille confisquer les navires et les mar-
chandises appartenant aux sujets ennemis, pour leur en faire
perdre la propriété d'une manière irrévocable. Les représailles
au contraire devraient se borner à une simple saisie et à l'ap-
plication provisoire des biens saisis aux besoins de la guerre.
Dès lors tout ce qui n'aura pas servi pour cette destination, ce
qui subsistera encore lors de la conclusion de la paix, devra
être restitué ou entrer en compensation d'une manière expresse
x) Wheaton, Intern. Law. IV, 1, § 16—18 et les observations de Pando
p. 412— 424.
2) Wheaton à l'endroit cité § 19. L'ancienne jurisprudence anglaise
est développée par Wildman, Instit. of intern. Law. 1. 1, chap. 1. 2.
8) Des exemples sont cités par Nau, Vôlkerseerecht. § 258.
4) Wheaton, loc. cit. § 12.
§ 141. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE, 271
ou tacite. — Il se peut que nous touchions au moment où les
principes internationaux à ce sujet subiront une transformation
fondamentale. Car c'est la première puissance maritime, la
Grande-Bretagne elle-même, qui éprouverait le plus grand pré-
judice du maintien de la pratique actuelle. En effet, dans quelle
partie du globe ses intérêts commerciaux ne se trouvent-ils pas
engagés ?
CONVENTIONS DE GUERRE.1
§ 141. Toutes les nations civilisées admettent aujourd'hui
le principe que les traités et les promesses obligent même en
guerre et entre ennemis, et qu'on doit, tant qu'il y a possibilité,
les exécuter de bonne foi. H est défendu surtout d'abuser, au
préjudice de l'ennemi, de la confiance par lui témoignée. Violer
la foi donnée, c'est l'autoriser à exiger une satisfaction éclatante,
c'est encourir une flétrissure devant l'aréopage international de
l'opinion publique. Déjà saint Augustin proclamait cette vérité:
„Fides etiam hosti servanda est", qu'aucun publiciste n'a osé
encore contredire.2
Les conventions conclues pendant la guerre ont pour objet
tantôt des rapports permanents, tantôt seulement certaines presta-
tions temporaires. Dans la première catégorie nous rangeons les
espèces suivantes:
Premièrement, les cartels conclus entre les belligérants et
relatifs aux communications des postes;3 aux signaux des
parlementaires et à la réception de ces derniers, aux
courriers et aux passeports, à l'emploi ou non -usage
de certaines armes, au traitemant des prisonniers de
guerre etc.
*) V. d'Ompteda, Lit. § 314. de Kamptz § 298 suiv. E. C. Wieland,
Opusc. acad. III, no. 1. Grotius m, 20. Vattel ni, chap. 16. Martens,
Vôlkerr. VIII, 5. Kluber, Droit des gens. § 273 suiv. Pufendorf VIH, 7.
2) Augustinus c. 3. C. 23. quaest. 1. Bynkershoek, Quaest. jur. I, 1,
qui admet d'ailleurs la fraude entre ennemis, ne le contredit pas. Whea-
ton IV, 2, 17. V. les monographies dans d'Ompteda § 302. de Kamptz
§ 290.
3) Des exemples intéressants sont cités par Wunn, Zeitschrift ftir
Staatswissenschaft. 1851. p. 296.
272 LIVRE DEUXIÈME. § 142.
Secondement, les traités de neutralité, ayant pour but
d'exempter de l'état de guerre certains territoires, cer-
taines places, certaines personnes ou même certaines
classes de sujets, avec les effets résultant d'une neutra-
lité absolue ou restreinte. Comme exemple nous citons les
conventions conclues entre la France et l'Angleterre, rela-
tives aux pêcheries des côtes.1
§ 142. Parmi les conventions de guerre spéciales nous
remarquons les suivantes:
1° Des lettres de protection, notamment celles de sauve-
garde (salva guardia), par lesquelles la partie qui les délivre,
prend, par écrit et d'une manière solennelle, l'engagement de
protéger des personnes ennemies contre de mauvais traitements.
Quelquefois elle accorde une escorte militaire, chargée des ordres
nécessaires. Cette dernière, tant qu'elle remplit paisiblement sa
mission et jusqu'à son retour dans le camp, est regardée comme
sacrée et à l'abri de toute attaque;2
2° des sauf - conduits , par lesquels on accorde à quelques
personnes la faculté de pouvoir circuler librement dans des en-
droits défendus;8
3° des licences délivrées au profit de navires et de leurs
cargaisons, dont il a déjà été question;*
4° des conventions conclues avec les sujets ennemis, par
lesquelles ils promettent de payer des contributions de guerre
ou de fournir certains objets en nature: les engagements con-
tractés à cette occasion remplacent souvent des sommes fixes
payées à forfait. Il est vrai que ces engagements ne peuvent
être poursuivis devant les tribunaux du territoire occupé que
pendant la durée de l'occupation. Mais il est évident en même
temps que leur exécution peut être imposée par la force.
Nous examinerons au chapitre IV la question de savoir si ces
l) Moser, Vers. X, p. 154 suiv.
a) G. Engelbrecht, De salva guardia. Jen. 1743. Vattel IV, § 171.
Moser, Vers. IX, 2, p. 452 suiv.
8) Grotius ni, 21, § 14 suiv. Vattel § 265 suiv.
4) La jurisprudence anglaise est indiquée par Wildman II, p. 245 suiv.
Wheaton IV, 2, 26.
§ 142. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 273
engagements continuent à subsister après que l'occupation
a cessé;
5° des conventions relatives à la rançon ou au rachat d'un
navire capturé, ou qui ont pour objet l'élargissement de ce der-
nier au moyen d'un billet de rançon souscrit par le capitaine,
ou de la remise d'un ou de plusieurs otages. Ces conventions
ont commencé à être en usage dès la fin du dix- septième siècle.
Leurs effets généraux, lorsqu'ils n'ont pas été limités par des
lois particulières, consistent d'une part dans l'obligation de payer
intégralement le prix de rançon, dès que la légalité de la prise
a été maintenue et que l'exécution peut être poursuivie devant
les tribunaux compétents; — d'autre part, dans la protection
accordée au navire relâché par le gouvernement capteur contre
des attaques ultérieures jusqu'à sa destination, pourvu qu'il ne
quitte pas la route qui lui est tracée. Le billet de rançon peut
à son tour être déclaré de bonne prise, par suite de la capture
du corsaire. Si, en ce cas, le corsaire capteur se trouve être
sujet du même État que le souscripteur du billet, la question de
savoir s'il faut regarder ce dernier comme valablement libéré, se
décidera d'après les dispositions légales relatives à la recousse;1
6° des conventions relatives à l'échange des prisonniers,
également assez fréquentes depuis la seconde moitié du dix-
septième siècle.8 A cet effet on distingue entre les diverses car
tégories de troupes, et l'on établit certains chiffres proportionnels,
en compensant les différences par des sommes d'argent ou
autrement;8
7° des capitulations4 consenties par des corps de troupes ou
par des places assiégées, conditionnellement6 ou sans conditions.
l) Wheaton, Intern. Law. IV, 2, § 27 (édit. franc. § 28). Martens,
Vers, ûber Caper. § 23. Wildman E, 270—275.
a) Du Mont, Corps univ. t. VII, 1, p. 231 donne le plus ancien Cartel
de cette espèce, qui porte la date de 1673.
3) Moser, Vers. IX, 2, 388 suiv. Wheaton IV, 2, § 3. Ward, Enquiry.
1, 298 suiv.
4) J. Fr. Ludovici, De capitulationibus. Hal. 1707. Moser, Vers. IX,
2, 155. D'autres monographies sont indiquées par d'Ompteda § 315.
de Kamptz § 300.
s) Souvent on stipulait autrefois d'attendre l'arrivée de renforts pen-
18
274 LIVRE DEUXIÈME. § 142.
Elles se présentent le plus souvent sous la forme de proposi-
tions rédigées par la partie qui offre de faire sa soumission,
auxquelles l'autre partie répond d'une manière analogue;
8° des armistices ou trêves1 ayant pour objet une suspen-
sion des hostilités. Elles sont ou universelles, lorsqu'elles font
cesser les hostilités sur tous les points à la fois, ou particulières,
lorsqu'elles les font cesser sur quelques points ou en certains
lieux seulement. De même elles peuvent être conclues pour un
temps déterminé ou indéterminé. L'armistice devient obligatoire
dès le jour où il a été conclu: toutefois les commandants mi-
litaires chargés de son exécution n'en répondent que du jour
où ils en ont reçu l'avis. C 'est à leurs gouvernements respectifs
à réparer le préjudice qui pourrait résulter d'une communica-
tion tardive.
L'effet ordinaire de l'armistice est le maintien du statu quo
des parties belligérantes dans leurs positions respectives, sans que
l'une puisse en reculer les limites aux dépens de l'autre. Il est
d'ailleurs loisible à chacune d'exécuter dans les lieux occupés
par elle pendant l'armistice, tout ce qui peut contribuer à fortifier
sa position et à la rendre plus solide. Réduite à ces termes notre
proposition nous paraît préférable à celle formulée par M. Pin-
heiro-Ferreira dans les tenues suivants: Qu'il ne faut rien faire
de ce que l'ennemi aurait été intéressé d'empêcher et que, sans
la trêve, il aurait probablement empêché.2 — Il est encore évi-
dent que, pendant cet intervalle, les sujets des belligérants peuvent
entrer ensemble en relations de commerce, pourvu qu'elles ne
dant un certain espace de temps, et de s'en remettre ensuite à la déci-
sion des armes. Ward II, 226 suiv.
1) Grotius IU, 21. Pufendorf VIII, 7, 3. J. Strauch, Dissert. acad.
no. 5. Moser, Vers. X, 2. 1. Vattel III, § 233 suiv. Kiquelme chap. XIÏÏ.
2) Pinheiro-Ferreira sur Vattel III, p. 245. La question de savoir
si, pendant l'armistice, l'ennemi assiégé peut réparer ses brèches et cour
struire de nouvelles défenses, est controversée. Soutenue d'abord dans
un sens affirmatif par Grotius (§ 7) et surtout par Pufendorf (§ 10) , elle
a été résolue négativement par Cocceji sur Grotius (§ 10), par Vattel
(III, § 246 suiv.) et par Wheaton (IV, 2, 20). Il est généralement admis
qu'il est défendu à l'assiégeant de continuer pendant la trêve les travaux
de siège. V. Riquelme p. 163.
§ 143. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 275
nuisent pas aux opérations ultérieures de la guerre.1 — D'après
les usages, lorsque l'armistice n'a pas été conclu pour un terme
très -rapproché, la réouverture des hostilités est régulièrement
précédée d'une dénonciation,2 nécessaire surtout quand il s'agit
d'une trêve générale et de longues années. On se dispense,
bien entendu, d'une dénonciation de la trêve qui, par suite de
circonstances imprévues, a été privée de ses effets.
§ 143. Les principes qui président à la conclusion des
traités pendant la paix, régissent également les conventions de
guerre, dont l'honneur militaire exige la stricte exécution avec
plus de rigueur encore. Tout commandant supérieur de troupes
se trouve implicitement investi de pouvoirs suffisants pour la
conclusion de ces sortes de conventions, dès que la nécessité
des circonstances les justifie ou qu'elles se rattachent d'une
manière quelconque à ses fonctions, et sans qu'elles aient besoin
de la ratification du souverain. Mais si elles excèdent le cercle
de ses attributions, elles ne sont plus regardées que comme des
promesses personnelles (sponsio) et ne deviennent valables qu'à
partir du moment de la ratification3 (§84).
Pour garantir ou pour faciliter l'exécution de ces conventions,
on a recours aux voies précédemment indiquées. Sont exceptées
seulement celles d'un caractère purement civil ou d'une réalisa-
tion difficile en temps de guerre. Nous indiquons comme exemples
la remise d'otages, qui doivent être traités d'après les mêmes
principes que ceux envoyés en temps de paix: la cession provi-
soire de places fortes, ainsi que la livraison de gages, afin de
permettre à l'autre partie, en cas de non -exécution des stipula-
tions arrêtées, d'user de représailles.
Toute infraction commise par l'une des parties contractantes
permet à l'autre de résilier immédiatement, sans aucune dénon-
ciation préalable, les conventions arrêtées.* Il est donc évident
que la rédaction de ces actes exige des soins particuliers et que
*) C'est à quoi se réduisent les observations de Pufendorf, Jur. univ*
IV, observ. 207.
2) Pufendorf, J. N. et G. VIII, 7. 6.
8) Kiquelme p. 165.
4) Grotius HI, 21. 11. Pufendorf VIII, 7. 12.
18*
276 LIVRE DEUXIÈME. § 144.
leur exécution doit s'effectuer avec une prompte exactitude.
Nous aimons à rappeler à ce sujet les observations suivantes
de M. Wlieaton: „In thèse compacts, time is material: indeed
it may be said to be of the veiy essence of the contract. If
any thing occurs to render its immédiate exécution impraticable,
it becomes of no effect, or at least is subject to be varied by
fresh negotiation." Au surplus les exemples de conventions de
guerre non ratifiées abondent dans l'histoire. Qu'il suffise de
rappeler celles de Zeven (1757), d'El Arisch (1800) et du ma-
réchal de Saint-Cyr (1814), qui sont devenues célèbres.1
Chapitre HL
DES DROITS DES NEUTRES.2
INTRODUCTION.
§ 144. Des principes bien définis et constants sur la neu-
tralité sont du plus haut intérêt pour la conservation des États.
On entend par nations neutres (mediae in bello), dans
l'acception la plus large, celles qui ne figurent point dans une
guerre comme parties principales. On peut définir la neutralité
d'être la continuation de l'état pacifique d'une puissance ou son
abstention de tout acte d'hostilité directe ou indirecte envers
*) Wheaton IV, 2. 23.
2) Les ouvrages relatifs à cette matière sont indiqués par d'Ompteda
§319 et deKamptz §315. Les principaux en sont les suivants: H. Cocceji,
Disputât, de jure belli in amicos. 1697. (Exercitat. curios. t. IL) J. Ph. Vogt,
Sammlung auserlesener Abhandl. Leipzig 1768. No. III. J. Fr. Schmidlin,
De juribus et obligation, gentium mediarum in bello. Stuttg. et Ulm. 1780.
Ferd. Galiani, Dei doveri dei principi guerregianti verso i neutrali. Napolî
1782. Trad. en allem. par C. Ad. Caesar. Leipzig 1790. (L'abbé Galiani
est décédé à Naples en 1787.) Samhaber (ou Stalpf), Abhandl. tiber einige
Rechte und Verbindlichkeiten neutraler Nationen in Zeiten des Krieges.
Wiirzburg 1791. Aug. Henning, Abhandl. tiber die Neutralitàt, dans son
livre: Sammlung von Staatsschr. I. Hamburg 1784. de Real, Science du
gouvernement. V, 2. J. J. Moser, Versuche. X, 1, 147 suiv. Bynkershoek,
§ 145. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 277
les belligérants. Nous admettons à cet égard avec les principaux
publicistes plusieurs subdivisions.
Nous distinguons d'abord la neutralité complète ou stricte
de la neutralité incomplète. La première a lieu lorsqu'on s'ab-
stient d'une manière absolue de favoriser aucune des parties
belligérantes. La seconde a lieu lorsqu'un peuple se relâche un
peu de la rigueur du principe ci-dessus exposé. C'est ce qui a
lieu notamment dans les suivants:
Premièrement: lorsqu'une puissance, avant le commencement
des hostilités, et non pas en vue même d'une guerre actuelle,
a promis à l'un des belligérants des secours, pourvu que, pure-
ment défensifs, ils ne présentent aucun caractère agressif, que
l'autre partie ne s'y oppose pas et qu'au surplus les conditions
de la neutralité soient observées par elle (§117 ci-dessus);1
Secondement: lorsqu'une puissance accorde les mêmes
faveurs à toutes les parties belligérantes ou seulement à l'une
d'entre elles, soit en vertu de conventions antérieures, soit avec
le consentement des autres parties, soit enfin d'une manière
passagère et de bonne foi dans des cas urgents.
On distingue en outre la neutralité générale du territoire
entier d'une nation de la neutralité partielle qui n'embrasse
qu'une portion de ce territoire.2
CAUSES ET FIN DE LA NEUTRALITÉ.
§ 145. La neutralité est un droit naturel qui résulte de la
liberté et de l'indépendance des nations. Mais elle peut également
être réglée librement et garantie par les traités, ou bien encore
elle peut avoir un caractère de nécessité permanente.8 C'est
Quaest. 1, chap. 8—15. de Martens, Vôlkerr. VIQ, 7. Kliiber, Droit des
gens. § 279 suiv. Wheaton, Intern. Law. IV, chap. 3. Oke Manning p. 166.
Pando p. 455. Ortolan n, p. 65. Hautefeuille, Droits des nations neutres
en temps de guerre maritime. Paris 1848. 4 vol. Riquelme p. l'41. 270.
*) Exemples: Le traité des Pyrénées (7 novembre 1659) art. UL
Du Mont, t. VI, part. II, p. 265; la politique des Provinces -Unies lors
de la guerre de 1658 et de 1659 entre le Danemark et la Suède. Nau,
Vôlkerseerecht. § 233. 234. Schmidlin § 10. Hautefeuille I, 382—393.
2) Moser, 1. c. p. 154.
3) Hautefeuille 1. 1, p. 393.
278 LIVRE DEUXIÈME. § 145.
ainsi que les traités de Vienne ont proclamé la neutralité per-
pétuelle de la Suisse et de la ville libre de Cracovie, et les
traités de 1831 celle de la Belgique.1 Les États ne sont pas
toujours libres de garder la neutralité. Divers motifs les obligent
souvent à prendre le parti de l'un des belligérants. Ainsi les
États liés entre eux par des pactes de famille refuseront diffi-
cilement de se prêter mutuellement des secours, soit que l'un
d'entre eux vienne à être attaqué, soit qu'il se dispose à prendre
l'offensive. Il faut en dire autant des pays qui font partie d'une
confédération politique investie du droit de déclarer la guerre;*
ou bien des pays liés entre eux par une union réelle, peu im-
porte d'ailleurs que les rapports qui servent de base à leur
union, reposent sur le principe d'égalité ou non.3 Par contre
l'union purement personnelle de deux territoires distincts sous
un souverain commun n'est en aucune manière exclusive de la
faculté pour chacun de maintenir sa neutralité, pendant que
l'autre est engagé dans une guerre.
Chaque nation a le droit incontesté de défendre avec les
armes la neutralité par elle proclamée et de repousser par la
force toute atteinte de nature à la troubler. Elle prendra à cet
effet les mesures qui lui paraîtront les plus convenables, à la
seule condition de ne pas dépasser le but proposé. Ces mesures
portent le nom de neutralité armée. De puissantes alliances se
1) Déclaration des puissances alliées du 20 mars 1815, suivie de
l'acceptation du Conseil fédéral du 27 mai. Acte du Congrès de Vienne
art. 84. 92. Acte d'approbation du 20 novembre 1815. de Martens, Suppl.
t. VI, p. 157, 173, 740. La neutralité d'une partie de la Sardaigne est
garantie par l'art. 92 de l'Acte du Congrès de Vienne, et par le protocole
du 3 novembre 1815. Martens, Nouv. Recueil, t. IV, p. 189.
Pour Cracovie v. la convention du 3 mai (21 avril) 1815 art. 6 et
Acte du Congrès art. 118. de Martens, à l'endroit cité p. 254. 429.
Pour la Belgique traité séparé du 15 novembre 1831 art. 1. Nouv.
Recueil, t. XI, p. 394. Traité du 19 avril 1839 art. 7. Nouv. Recueil, t. XVI,
p. 777. V. l'excellente brochure de Arendt, Essai sur la neutralité de
la Belgique. Brux. et Leipz. 1845.
2) Pour la Diète germanique v. l'Acte final de Vienne art. 41.
8) Pour la Suède et la Norvège v. le traité d'union du 31 juillet et
du 6 août 1815 art. 4. de Martens, Nouv. Recueil, t. II, p. 612. V. en gé-
néral Galiani 1. 1, chap. 3.
§ 146. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 279
sont formées sous cette bannière, et l'histoire moderne en a
enregistré plusieurs de très -célèbres.
La neutralité prend fin par une déclaration de guerre faite
soit à la puissance neutre par l'un des belligérants, soit par
celle-ci en faisant cause commune avec l'une des parties; ou
bien encore par une ouverture directe des hostilités. Mais l'ex-
piration du délai fixé pour la neutralité d'une puissance n'a
nullement pour effet d'y mettre un terme, en lui faisant succéder
un état de guerre.1
DEVOIRS DES NEUTRES.
§ 146. La neutralité entraîne avec elle certaines obliga-
tions, certains devoirs, que les nations doivent remplir si elles
veulent jouir de ses bienfaits. Ces devoirs sont principalement
au nombre de trois qui renferment tous les autres:2
Premièrement, intervention contre des actes d'hostilité tentés
par l'un des belligérants contre l'autre sur le territoire neutre.
Deuxièmement, abstention de tout acte de nature à gêner
les opérations militaires de l'un des belligérants en dehors du
territoire neutre.
Troisièmement, impartialité complète dans les relations avec
les deux belligérants et abstention de tout acte ayant un rapport
direct aux hostilités. Par conséquent le neutre ne doit fournir
à l'un des belligérants aucun secours propre à augmenter ses
forces, ou à donner à l'attaque ou à la défense des chances plus
grandes de succès. Peu importe d'ailleurs qu'on offre à l'une des
parties les secours qu'on a donnés à l'autre. Cette prétendue
impartialité, dont plusieurs anciens publicistes ont fait une sorte
de sauvegarde, est une formule insignifiante, un faux semblant
d'impartialité incapable de changer la face des choses.3
Le souverain qui viole l'un de ces devoirs, perd ses droits
à la neutralité et peut être traité en ennemi. Il s'expose non
seulement à des représailles, mais aussi à une déclaration de
guerre immédiate de la part du belligérant lésé.
*) Moser, loc. cit. p. 491.
2) Kliiber § 287.
) M. Pôhls, Seerecht. IV, p. 1076 (§ 513 in fine). Arendt, 1. c. p. 108.
3
280 LIVRE DEUXIÈME. § 147.
La neutralité incomplète ou limitée s'interprète de la ma-
nière la plus stricte. Chacun des belligérants a incontestablement
aussi le droit de s'opposer de toutes ses forces à l'envoi de
secours à l'autre partie, quel qu'en soit le motif, à moins
d'une renonciation expresse de sa part.1 Mais il ne peut se
prévaloir de ce que ces secours ont été fournis, pour en exiger
de semblables.2
DÉVELOPPEMENT DES RÈGLES PRÉCÉDENTES.
§ 147. Conformément à la règle première indiquée au
paragraphe précédent, le neutre doit s'opposer de toutes ses
forces à ce que l'un des belligérants commette sur son territoire
des actes d'hostilité sur les personnes ou les biens de l'autre.8
S'il est trop faible pour résister au belligérant, s'il n'a concédé
le passage de son territoire que lorsqu'il y a été contraint et
forcé, il doit du moins s'abstenir de tout acte approbatif de
nature à légitimer des violations ultérieures. Il ne refusera
pas un asile aux troupes poursuivies par l'ennemi, pourvu
que cet acte d'hospitalité puisse se concilier avec sa position
de neutre.4
Par une application analogue, un gouvernement neutre ne
doit pas permettre à ses tribunaux de statuer sur la validité
des prises faites par les belligérants ou par l'un d'entre eux,6
sauf les cas où la compétence de ces tribunaux résulte de la
nature particulière des faits et des circonstances, ainsi que nous
l'indiquerons au § 172.
Les secours fournis par humanité, soit isolément soit en
masse, aux victimes de la guerre de l'une ou de l'autre partie
ont toujours été considérés comme des actes inoffensifs et
exempts de tout reproche. Pareillement le passage dans les
*) Nau, Vôlkerseerecht. § 233 in fine.
2) Les contestations qui à ce sujet ont eu lieu entre l'Angleterre et
les États-Unis, sont racontées par Wheaton IV, 3, § 3.
3) Hautefeuille 1. 1, p. 444. Pour le droit d'asile v. § 149.
4) Bynkershoek, Quaest. jur. publ. I, chap. 8. de Martens, Caper. § 18.
Wheaton IV, 3, § 4. 6. 7. 9. Bouchaud, Théorie des traités de commerce,
p. 183. Pando p. 462. Hautefeuille 1. 1, p. 429. 454.
6) Wheaton, Elem. II, 94. Ortolan H, 266. Pando p. 467, 17.
§ 147. DBOIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 281
eaux qui longent les côtes d'un territoire, n'est pas réputé con-
stituer une violation de la neutralité.1
Suivant la règle troisième du paragraphe précédent, le
neutre doit s'abstenir de fournir à l'un des belligérants aucun
secours de nature à augmenter ses forces, de donner à l'attaque
ou à la défense des chances plus grandes de succès. Il ne peut
céder à Tune des parties aucune place fortifiée ni aucun port
de guerre. Le souverain qui fournit directement et gratuitement
à l'un des belligérants des armes, des munitions de guerre, des
•vivres, de l'argent, enfin tout ce qui peut servir à faire ou à
soutenir la guerre ou à augmenter ses forces et ses ressources,
cesse d'être neutre.2 Il ne doit pas permettre dans ses États
des enrôlements de soldats. Autrefois on voyait assez souvent
des princes louer ou céder en quelque sorte leurs troupes, non
pas en vertu de traités d'alliance antérieurs à la déclaration de
guerre,3 mais dans un pur esprit de fiscalité. Pour l'honneur
de l'humanité nous espérons ne plus voir ce trafic honteux se
renouveler. Bien d'ailleurs n'empêche la puissance qui se croit
lésée par un marché semblable, de prendre des mesures éner-
giques pour en arrêter l'exécution. L'usage de ces marchés,
connus souvent sous le nom de conventions militaires, s'est
maintenu jusqu'à nos jours dans la confédération suisse. Néan-
moins nous osons émettre quelques doutes sur la légalité de
pareilles conventions, lorsqu'elles ont été passées avec Tune des
parties belligérantes. Comment en effet la confédération pourra-
t-elle en concilier l'exécution avec la neutralité perpétuelle qui
lui a été garantie par les grandes puissances?
Il y a une autre question sur laquelle les anciens auteurs
sont tombés dans une grave erreur. Ils ont prétendu que le
belligérant avait le droit absolu d'exiger le passage de ses ar-
mées sur le territoire neutre toutes les fois qu'il en avait besoin
ou qu'il le jugeait à propos, et que le souverain neutre ne pou-
vait le refuser sans commettre une injustice. Non seulement le
1) Wheaton, Elem. I, p. 252. Ortolan H, p. 241.
2) Arendt p. 105. Hautefeuille I, p. 450. 462.
3) Une excellente dissertation historique et théorique sur la question
se trouve dans Oke Manning p. 170. Y. aussi Hautefeuille 1. 1, p. 433.
282 LIVRE DEUXIÈME. § 147.
passage de troupes armées sur le territoire neutre n'est pas un
droit, mais encore la concession du passage est; de la part du
neutre, une violation de ses devoirs qui donne à l'autre partie
un juste motif de lui déclarer la guerre et de le traiter en en-
nemi. Le neutre ne doit pas non plus permettre que ses ports,
ses rades ou ses mers territoriales servent de champ de bataille
aux bâtiments des puissances belligérantes, ni que ces dernières
y embarquent de l'artillerie ou des munitions de guerre. Il doit
veiller avec soin à ce que l'un des belligérants n'arme dans ses
ports aucun bâtiment de guerre, ni aucun corsaire. Il doit dé-*
fendre à ses sujets d'accepter des lettres de marque, de faire
la course sous le pavillon d'une autre nation et de s'engager
sur ses corsaires. Ces diverses concessions ne peuvent se con-
cilier avec les lois d'une stricte neutralité.1 Car il est difficile
d'empêcher qu'elles n'exercent quelque influence sur le sort de
la guerre. Presque toujours elles augmenteront les forces de
l'un des belligérants, lui donneront des chances de succès et, par
conséquent, nuiront dans la même proportion à l'autre. Presque
toujours la situation du territoire neutre se prête plus facilement
aux opérations de guerre de l'une que de l'autre partie. Leur
en accorder simultanément le passage, c'est en réalité faire un
acte direct d'hostilité contre l'une d'entre elles. Le souverain
neutre doit donc s'abstenir en général des actes qui, dans les
circonstances au milieu desquelles ils se produisent, ne se pré-
sentent pas avec le caractère d'innocuité parfaite. En ce cas
la bonne foi et la prudence exigent de lui une entente préa-
lable avec l'autre belligérant*
l) La plupart des publicistes allemands se sont prononcés avec Vattel
(III, § 119 suiv.) en faveur d'un droit de passage innocent (passaginm
innocuum) , p. ex. Martens dans son Précis du droit des gens § 310. 311.
L'auteur lui-même du présent ouvrage, bien que convaincu du peu de
fondement de cette opinion, ne s'est peut-être pas exprimé sur ce point
d'une manière assez nette dans la première édition. Aujourd'hui il n'hé-
site pas à adopter sans réserve une opinion qui a trouvé d'excellente défen-
seurs dans Hautefeuille (t. I, p. 424. 4471, Oke Manning (p. 182) et Arendt
(p. 121). Pando au contraire (p. 461) soutient encore l'ancienne théorie.
*) Moser (Yersuche t. X, p. 23$) disait déjà dans le même esprit:
a On ne doit pas permettre le passage d'armées ou de corps d'année
l
§ 147. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 283
L'autorisation accordée aux sujets des belligérants de sé-
journer dans le territoire neutre, rentrée des bâtiments de
guerre et des navires de commerce dans ses ports et rades,
les fournitures faites à ces derniers en bois, agrès et ob-
jets nécessaires pour réparer les avaries qu'ils ont souffertes,
soit par accidents de mer, soit dans un combat, ne présen-
tent pas un caractère aussi dangereux. Néanmoins le neutre
doit exiger que ces bâtiments quittent ses ports dès que leur
séjour prolongé paraîtra se rattacher à quelque combinaison de
guerre.1
La validité des aliénations en pays neutre des biens con-
quis par l'un des belligérants, par une de ces voies connues
sous le nom de butin ou de prise, après que la prise de pos-
session est devenue inattaquable d'après les règles internatio-
nales, ne peut faire l'objet d'aucun doute. Plusieurs traités con-
tiennent une stipulation expresse à ce sujet. Car rien n'oblige
le neutre à autoriser ces aliénations. Aussi, tandis que certains
traités les admettent, d'autres les proscrivent -ils formellement.2
D'un autre côté la création sur le territoire neutre d'un lieu
d'entrepôt destiné à recevoir ces sortes d'objets, devra certaine-
ment être regardée comme un acte d'hostilité. H faut en dire
autant de la mise en possession d'un neutre dans des terres
conquises, dont le vainqueur ne peut disposer valablement
qu'après la conclusion de la paix (§ 132).
entiers sur le territoire neutre. Autrement on s'expose, selon les circon-
stances, à perdre la qualité de neutre. Accorder le passage à l'une des
parties et le refuser à l'autre, c'est évidemment un acte de partialité.
Lorsque le libre passage profite seulement à l'une des parties, sans pou-
voir profiter à l'autre, celle-ci peut exiger certainement que le neutre
le refuse au premier."
1) Jouffroy (Droit marit. p. 92) et HautefeuiUe (t. I, p. 461) regardent
comme illicite la fourniture d'armes et de munitions de guerre. Pando
(p. 467) professe la même opinion. Ne serait -il pas cruel de livrer des
combattants désarmés à l'ennemi? D'ailleurs la vente en territoire neutre
a toujours été considérée comme un acte parfaitement licite.
2) Vattel III, 7, 132. Bynkershoek, Quaest. 1, 15. de Steck, Handels-
und Schifffahrtsvertr. p. 176. Pando p. 467. Ortolan (H, p. 270) se pro*
nonce pour la négative.
284 LIVRE DEUXIÈME. § 148.
DEVOIES DES SUJETS DES ÉTATS NEUTRES.
§ 148. Nous venons de retracer les lois rigoureuses qui
doivent présider aux relations des Etats neutres avec les belli-
gérants. Ces règles obligent les particuliers comme les gouver-
nements, mais elles ne les obligent pas au même degré. Les pre-
miers peuvent se livrer à une foule d'actes plus ou moins hostiles
qui ne constituent pas cependant des violations de la neutralité.
Il est en effet impossible de demander compte à un gouverne-
ment, de ce que plusieurs de ses sujets ont pris part d'une
manière quelconque aux hostilités, de ce qu'ils ont passé des
marchés de fourniture avec l'un des belligérants ou lui ont
avancé des fonds, de ce qu'ils ont pris du service dans ses
armées, en cédant à certains motifs belliqueux ou autres. Il
y a en effet dans toutes les nations, grandes ou faibles, des
époques où certains individus, mus par un sentiment guerrier
et honorable, vont chercher à le satisfaire partout où l'occasion
s'en présente. Quelquefois un gouvernement hésite à s'engager
dans les périls d'une guerre même en faveur d'une cause juste,
tandis que la morale fait un devoir aux particuliers d'y prendre
part. Autrefois la faculté d'entrer dans des armées étrangères
formait un des éléments fondamentaux de la bonne liberté alle-
mande.1
En pareil cas, le gouvernement neutre peut tout au plus
être obligé d'appliquer à ses sujets désobéissants les lois rela-
tives à l'émigration. Il n'en sera plus de même, si les sujets
d'une puissance neutre venaient à s'enrôler en masse au service
de l'un des belligérants, au point d'attirer l'attention de l'autre
belligérant et de faire craindre de sa part des représailles ou
une déclaration de guerre. En ce cas, le souverain neutre sera
dans son propre intérêt contraint à prendre à leur égard des
mesures énergiques.2
D'après les usages internationaux modernes, un souverain
1) „Zur lôblichen Gestalt deutscher Freiheit," c'est ainsi que s'ex-
prime le recès de l'Empire de 1570 § 4.
2) Hautefeuille 1. 1, p. 439. 459 a adopté en partie un point de vue
différent.
§ 149. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 285
neutre doit défendre à ses sujets d'accepter des lettres de marque
de l'un des belligérants et de se livrer à la course sous le pa-
villon de ce dernier. Ce principe est presque généralement ad-
mis aujourd'hui. Autrefois au contraire il était très -controversé.
On ne l'admettait que dans les cas où il avait été formellement
stipulé dans les traités.1
DROITS DES NEUTRES.
§ 149. L'état de guerre survenu entre deux nations apporte
aux droits fondamentaux des autres certaines restrictions, que
nous avons comprises sous la dénomination générale des devoirs
spéciaux de la neutralité. Ces droits ainsi modifiés, diminués
par les devoirs résultant de l'état de guerre, se résument dans
les propositions suivantes:
Premièrement. Inviolabilité du territoire neutre, — plein exer-
cice des droits de souveraineté dans le territoire neutre avec une
entière liberté et sans aucune restriction.
Le territoire neutre est un asile naturellement ouvert aux
sujets des belligérants, pourvu qu'ils s'y présentent isolément2
et que leur présence n'implique pas une faveur accordée à l'un
des belligérants au détriment de l'autre. De même le souverain
neutre doit accorder aux bâtiments de guerre des belligérants
les secours dont ils pourraient avoir besoin, et les admettre
dans ses ports. Nous devons toutefois faire remarquer ici une
différence importante entre les forces de terres et celles de mer
qui viennent chercher un asile sur le territoire neutre. Lors-
qu'une armée fuyant devant son ennemi vient se réfugier dans
un pays neutre, elle y est reçue et est traitée avec humanité,
mais les troupes sont désarmées et éloignées du théâtre de la
guerre ; en un mot on remplit les devoirs d'humanité à l'égard
des individus, mais on n'accorde pas un asile à l'armée prise
comme un corps. Lorsqu'au contraire des navires des puissances
1) de S teck, Versuche tiber Handels- und Schifffehrtsvertr&ge. 173.
de Martens, Ueber Caper. § 13. Hautefeuille I, p. 440.
2) Wheaton, Intern. Law. IV, 3, 11. Ortolan II , 239. Hautefeuille
I, 473. Principalement: Lud. Ern. Piittmann, De jure recipiendi hostes
alienos. Lips. 1777.
286 LIVRE DEUXIEME. 3 150.
en guerre se présentent devant un port neutre, ils y sont ad-
mis; on leur permet d'acheter les vivres nécessaires, de faire
les réparations indispensables et de reprendre la mer pour se
livrer de nouveau aux opérations de guerre. Les bâtiments belli-
gérants peuvent recevoir ainsi de la part des neutres un accueil
plus ou moins favorable, des secours plus ou moins complets,
sans que le souverain neutre viole par là les devoirs de la neu-
tralité, pourvu qu'il traite les deux parties belligérantes avec
une impartialité et une égalité parfaite. C'est une conséquence
de l'immunité du pavillon et du principe que les navires sont
considérés comme une portion du territoire de la nation à la-
quelle ils appartiennent. Un corps de troupes, au contraire, qui
vient chercher la protection d'un souverain étranger, cesse de
faire partie de la force armée de la nation à laquelle il appar-
tient. Les lois de la neutralité imposent ainsi aux peuples pa-
cifiques le devoir d'empêcher tous les actes d'hostilité commis
sur le territoire et dans leurs eaux. Les actes d'hostilité com-
mis sur le territoire n'ont aucun caractère régulier ou légal. Le
souverain neutre doit ordonner le désarmement des troupes bel-
ligérantes qui sont venues lui demander un asile,1 faire relâcher
les prisonniers qu'elles ont amenés et faire restituer le butin
fait par eux (§ 147).2 Il doit s'opposer de toutes ses forces à
ce que les contrées par lui gouvernées deviennent le théâtre
de la guerre. S'il fournit à l'un des belligérants des troupes
auxiliaires, celles-ci peuvent incontestablement être attaquées
et poursuivies sur le territoire neutre (§ 118).
§ 150. Deuxièmement. Le souverain neutre qui se conduit
avec loyauté à l'égard des belligérants, a le droit d'exiger d'eux
qu'ils continuent à respecter ses déclarations et ses actes comme
pendant la paix. Il est toujours présumé vouloir observer entre
les parties une stricte impartialité, à moins que les faits mêmes
*) Moser, Vers. X, 1, 159. 311. de Martens, Vôîkerr. § 307. Kliiber
§ 258. note b. Ortolan II, 248. de Pistoye et Duverdy, Prises maritimes.
I, 108. Hautefeuille I, 474. II, 91. 137.
2) Wheaton, Intern. Law. IV, 3, 6 et 7. de Martens, Caper. §18.
Nau, Vôlkerseerecht. § 235. Ortolan H, 255. 278. Pando p. 465. de Pistoye
et Duverdy I, 22.
§ 150. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 287
ne viennent donner tort à ses déclarations, et prouver qu'elles
ont uniquement pour objet de tromper l'une des parties et de
dissimuler sa partialité en faveur de l'autre. Cette règle acquiert
une certaine importance lorsqu'il s'agit de déterminer la validité
des passeports, des lettres de commission et des certificats
délivrés par un gouvernement neutre.
Troisièmement. Il résulte du principe de l'égalité et de
l'indépendance des Etats que les belligérants ne doivent pas
soumettre les peuples avec lesquels ils sont en paix, à des lois
et à des juridictions qui ne sont pas fondées sur les disposi-
tions formelles des traités ou sur les principes généraux du
droit international. Le souverain qui n'est pas lié par de pa-
reilles stipulations, procède sur son territoire comme bon lui
semble. Pourvu qu'il s'abstienne de fournir à aucune des puis-
sances en guerre des moyens propres à faciliter ses opérations,
il ne . saurait être empêché en aucune façon de protéger les
troupes réfugiées sur son territoire, auxquelles il a accordé un
asile. Rien surtout ne doit l'empêcher de prendre les mesures
qu'il croit nécessaires pour la protection efficace de son terri-
toire et de ses sujets contre les actes arbitraires et les empié-
tements des belligérants.
Quatrièmement. L'État neutre continue à jouir de la dispo-
sition exclusive des biens meubles et immeubles qu'il possède
dans le pays des belligérants ou de l'un d'entre eux, lors
même que ces biens se trouveraient sur le théâtre des hostilités.
Le droit au butin ne s'applique pas dans ces cas. Les usages
de la guerre ont consacré une exception à l'égard des objets
qui ont été mis à la disposition de l'un des belligérants et qui
servent directement à ses opérations de guerre. C'est ce qui a
lieu notamment en matière de contrebande, dont nous essaye-
rons plus loin de donner une définition exacte. En ce cas la
propriété neutre, pas plus que la propriété ennemie, ne peut
échapper à la saisie et à l'occupation ennemies.
Les biens immeubles appartenant au souverain neutre ou
à ses sujets, et situés dans le territoire de Tun des belligérants,
ne peuvent naturellement pas se soustraire aux charges de la
guerre. Les biens meubles des neutres au contraire qui se
288 LIVRE DEUXIÈME. § 151.
trouvent sur le territoire de l'un des belligérants ou sur la
haute mer, ne peuvent être saisis par lui, pour être appliqués
à ses propres besoins, qu'en cas de nécessité urgente (jus
angariae, angarie). Les belligérants toujours portés à abuser de
la force qu'ils ont entre leurs mains, ont imaginé d'employer
des navires neutres dans leurs expéditions maritimes. L'angarie
a été pratiquée surtout sous Louis XIV qui l'a considérée comme
Tune des prérogatives de la souveraineté. Dans les traités mo-
dernes ce prétendu droit a été ou supprimé entièrement, ou
accordé seulement moyennant une indemnité complète. H faut
en dire autant du prétendu droit de préemption réclamé par
l'un des belligérants sur les marchandises neutres destinées
pour les ports de son adversaire.1
LIBERTÉ DU COMMERCE DES NATIONS NEUTRES.
§ 151. Bien que les principes qui viennent d'être exposés
aient obtenu à peu près l'assentiment général, leur application
à la liberté du commerce et de la navigation des nations neutres,
tant entre eux qu'avec les belligérants, éprouve des difficultés
sérieuses.
La liberté absolue du commerce des neutres entre eux n'a
pas été contestée à la vérité; cependant les difficultés de faire
reconnaître ce commerce, et les nombreuses mesures vexatoires
dont il a été l'objet, font regretter l'absence de règles fixes et
précises à son égard. Celles-ci se rattachent elles-mêmes à la
solution de la question principale, à savoir: Quelles restrictions
doivent subir le commerce et la navigation des peuples neutres
avec les belligérants? Depuis plusieurs siècles les nations sont
divisées sur une question, où l'absence d'un code et de tribunaux
internationaux se font surtout sentir. Il est vrai que, dans la
pratique des Etats, sa solution dépendait surtout du droit du
plus fort, ou plutôt elle était le résultat de l'absence d'un droit
quelconque au profit des plus faibles.
Ce n'est pas seulement la pratique qui fournissait un vaste
champ à des discussions ardentes: la théorie elle-même est loin
l) de Real, Science du gouv. V, 2 in fine. Nau, Vôlkerseerecht. § 260.
Grotius III, 17, 1. de Steck, Essais, p. 7. Hautefeuille IV, p. 434.
I
§ 152. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 289
d'avoir dit son dernier mot. En attendant elles sont parvenues
à s'entendre quelquefois et à se produire avec une espèce d'auto-
rité sous la forme de certaines lois intérieures et de certaines
décisions judiciaires intervenues dans plusieurs pays, qui ont
acquis une grande autorité. Mais il ne faut pas se le dissimuler:
ces lois, ces jugements ne sont que des actes purement politiques
émanés de gouvernements isolés qui n'obligent les autres peuples
qu'autant qu'ils leur sont imposés par la force et qu'ils sont exé-
cutés malgré leur injustice.
D^ns aucune branche de la science du droit international
l'absence de voies régulièrement tracées ne se fait sentir plus
vivement. Nulle part on ne découvre un accord quelconque entre
la pratique, les traités et la doctrine! Et pourtant il est impos-
sible de méconnaître la nécessité de règles précises et générale-
ment applicables entre les nations, dès qu'on admet entre elles
l'existence d'un droit quelconque, dès qu'on convient que les
rapports entre elles établis, que nous avons essayé de retracer
dans les pages précédentes, sont exacts et répondent à la réalité
des choses. C'est dans ces rapports que nous allons puiser les
éléments de solution des diverses questions controversées. A cet
effet nous considérerons comme lois communes les règles de
réciprocité généralement admises dans la pratique des États,
et là où elles se taisent, nous chercherons à nous aider des
principes déjà expliqués.1
ORIGINES ET DÉVELOPPEMENTS DE LA JURISPRUDENCE RELATIVE
AUX DEVOIRS DES NEUTRES.
§ 152. L'histoire de notre question 2 commence surtout vers
le milieu du xvie siècle. Le commerce maritime ayant cessé
alors d'être le monopole de quelques peuples, de quelques com-
l) Le traité intitulé: Researches historical and critical in maritime
internat. Law. By James Reddie, Esq. Edinb. 1844, 45. II Vols, contient
un exposé approfondi de la théorie et de la pratique sur cette matière.
Quoiqu'en définitive ce soit un plaidoyer en faveur des prétentions bri-
tanniques, il admet cependant quelques concessions. V. là -dessus les ob-
servations d'Ortolan t. H, p. 430. Les auteurs cachent ici difficilement
leur nationalité.
3) Hautefeuille I, 26 suiv.
19
290 LIVRE DEUXIÈME. § 152.
pagnies ou cité» privilégiées, commençait alors d'exercer
force attractive immense sur tontes les nations de l'Europe et
à être encouragé par les gouvernements qui y voyaient nue
source inépuisable de richesses et de puissance. D'ardente*
rivalités surgirent aussitôt: en même temps quelles contribuant
à l'accroissement de la marine tant militaire que marchande^
elles donnèrent le signal de luttes sanglantes. Une seule natio»
réussit par des efforts héroïques à triompher de toutes ces
rivalités et à asseoir sur les ruines des marines secondaires
un empire comme le monde n'en avait pas encore vu de sem-
blable. Aux yeux de cette nation, le droit international maritime
se trouvait tout entier dans son intérêt, et c'est aux exigences
de ce dernier que les usages des autres peuples durent se plier.
Fidèle en apparence aux anciens principes si simples, dont eBe
jurait souvent la stricte exécution dans ses traités, ce fut lors
de leur application qu'elle se réservait d'en éluder les disposi-
tions et de faire sentir aux faibles sa supériorité. Ses préten-
tions suivent la progression ascendante de sa puissance et
provoquent souvent des résistances énergiques. La réaction
commence dès la seconde moitié du xvn* siècle pendant les
guerres continuelles de l'Angleterre contre la France et l'Espagne.
Louis XIV renonce au système général si funeste au commerce
qui était en vigueur alors, et donne à la France, dans l'Ordon-
nance de la marine de 1681, un nouveau code maritime, vrai
chef-d'œuvre de rédaction qui a reçu un succès à peu près
universel. Bien qu'au fond elle ne soit qu'un résumé d'anciens
règlements, d'anciennes coutumes, cette ordonnance présente
cependant dans sa rédaction une forme éminemment originale
et systématique. Il se peut que le droit maritime y ait été trop
particularisé. Mais ne fallait- il pas que, dans l'antagonisme des
théories et des doctrines, il traversât cette voie, pour arriver
à des règles fixes et invariables?
Le traité de Fontainebleau (1763) allait consacrer la pré-
pondérance maritime de la Grande-Bretagne. Elle était alors
au faite de sa puissance: aucun contrepoids n'existait, elle
dominait senle les mers. Non contente de sa suprématie, elle
oulait régner seule, s'enrichir seule et ruiner les autres nations.
§ 152. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 291
Une réaction dut dès lors se manifester, réaction qui, dès le
début, se manifesta avec une certaine énergie. La France en
donna le signal. Elle conclut dès 1778 avec les provinces in-
surgées de l'Amérique un traité, dans lequel elle reconnut so-
lennellement leur indépendance politique. Dans la même année
elle publia un nouveau règlement sur le commerce des neutres.
Catherine n, surnommée par ses flatteurs la Minerve du Nord,
conclut avec le Danemark d'abord, ensuite avec la Suède, une
alliance ayant pour objet de forcer les belligérants au respect
et à l'exécution des règles fondamentales du droit maritime à
•
l'égard des peuples pacifiques. Bientôt la Prusse, l'Autriche, le
Portugal, les Deux-Siciles et la Hollande accédèrent à la nou-
velle alliance préparée par Panin, qui prit le nom de neu-
tralité armée.1 Quoiqu'elle ne réussît pas à maintenir dans leur
intégrité les règles par elle proclamées,2 elle arracha pourtant
1) On raconte que Catherine elle-même l'appelait „la nullité armée."
Était-ce seulement pour faire un jeu de mot, ou à cause du peu de con-
fiance qu'elle avait dans le succès de sa propre oeuvre, — c'est ce que
nous n'osons décider.
2) Les principes contenus dans la première déclaration de la Cour
de Russie du 28 février 1780 peuvent se résumer dans les termes suivants:
1° Les vaisseaux neutres peuvent naviguer librement de port en port
sur les côtes des nations en guerre;
2° les effets appartenant aux sujets des dites puissances en guerre,
sont libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises
de contrebande;
3° l'Impératrice se tient, quant à la fixation de celles-ci, à ce qui est
énoncé dans l'art. X et XI de son traité de commerce avec la Grande-
Bretagne, en étendant ces obligations à toutes les puissances en
guerre (ces articles limitaient la prohibition aux armes et aux muni-
tions de guerre);
4° pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde
cette dénomination qu'à celui où il y aura, par la disposition de la
puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment
proches, un danger évident d'entrer;
5° ces principes servent de règle dans les procédures et dans les juge-
ments sur la légalité des prises.
V. de Martens, Rcc. t. III, p. 158. A ces dispositions sont venues s'ajouter
plusieurs autres, inscrites dans des conventions postérieures. L'histoire de
la neutralité armée et de ses nombreuses vicissitudes a été très-bien racontée
par Kliiber, Droit des gens § 303— 309 ; Wheaton, Histoire p. 223. 311 suiv.
ta*
292 LIVRE DEUXIÈME. § 152.
à l'orgueil britannique quelques concessions consacrées par la
convention du -£-juin 1801, à laquelle adhérèrent le Danemark
(23 octobre 1801) et la Suède (-& mars 1802).1
La résistance aux prétentions britanniques prit enfin des
proportions gigantesques dans la lutte héroïque dont les pre-
mières années du xixa siècle furent les témoins. Kappelons-en
en quelques mots les phases mémorables. Far un ordre du
conseil du 16 mai 1806, le cabinet de St. James notifie aux
puissances neutres le blocus de tous les ports, rades, côtes,
rivières, compris depuis l'embouchure de l'Elbe jusqu'au port
de Brest inclusivement. L'empereur Napoléon y répond par le
décret de Berlin (21 novembre 1806). Les îles britanniques sont
déclarées en état de blocus. Tout commerce et toute correspon-
dance avec ces îles sont interdits. Tout sujet anglais dans les
pays occupés par la France est déclaré prisonnier de guerre.
Toute propriété anglaise est déclarée de bonne prise. Tout
commerce des marchandises anglaises est défendu ; tout vaisseau
ayant touché l'Angleterre est exclu des ports. Un nouvel ordre
du conseil (7 janvier 1807) déclare de bonne prise tous les navires
faisant route pour un des ports de la France, déclare en état
de blocus tous les ports et places de la France et des États
ses alliés. Le décret de Milan (17 septembre 1807) prononce
alors la confiscation de tout navire ayant souflfert la visite d'un
vaisseau anglais et le blocus des îles britanniques sur mer et
sur terre.
Considéré en lui-même, le blocus continental établi parles
décrets de Berlin et de Milan, était une idée juste et féconde,
digne du héros de notre siècle.2 Maintenu avec une sévérité
rigoureuse au dehors, avec une sage modération au dedans, ce
(I, 358. n, 83 éd. 2). Sur le point de vue américain dans la question on
peut consulter Trescot, The diplomacy of the révolution. New-York 1852.
p. 75. V. aussi les auteurs cités par de Kamptz § 258.
*) La convention du -£-juin 1801 se trouve dans Martens, Recueil,
t. VII, p. 260. Elle a été regardée en quelque sorte comme l'ultimatum
de l'Angleterre. Wheaton ibid. p. 314 suiv.
2) Le système continental est aussi très -bien expliqué par Klûber,
à l'endroit cité § 310—316. Oke Manning p. 330. M. Pôhls p. 1147. Les
auteurs sont indiqués par de Kamptz § 257. no. 113 suiv.
§ 153. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 293
système qui tendait à réunir tous les États du continent dans
une puissante ligue, fut sans doute le moyen le plus efficace
pour combattre avec succès les exigences britanniques. Ce fat
plutôt par son exécution pleine de partialité, par les nombreuses
licences, par les violations portées à l'autonomie des nations
continentales, qu'il a laissé parmi elles de si tristes souvenirs.
L'idée néanmoins fut celle d'un génie! H n'existait peut-être
aucun autre moyen aussi efficace pour réduire à leur juste
valeur les prétentions de la Grande-Bretagne à l'empire des mers.
Maintenant le concert Européen vient d'amener des trans-
actions plus équitables.
DIVERSES QUESTIONS RELATIVES AUX DROITS DES NEUTBES.
§ 153. La liberté du commerce et de la navigation des
nations neutres, tant entre elles qu'avec les belligérants, n'a
jamais été contestée en principe. Les auteurs l'ont reconnue,
les traités ont proclamé que le commerce et la navigation des
peuples neutres étaient complètement, absolument libres. Les
divergences des publicistes et les contestations des États n'ont
éclaté que lorsqu'il s'est agi de déterminer les restrictions que
cette liberté doit subir dans l'intérêt des belligérants. A cet
égard il faut distinguer principalement les trois questions
suivantes :
I. Quels sont les droits des neutres en cas de blocus des
côtes et des ports de Tune des puissances en guerre par
les escadres de l'autre?
IL Quelles sont les branches spéciales du commerce que les
belligérants peuvent interdire aux gouvernements et aux
sujets neutres?
ni. Quels sont les moyens que les belligérants peuvent em-
ployer licitement, à l'égard des neutres, dans la poursuite
du but légitime de la guerre?
Ces questions sont étroitement liées entre elles, de sorte
qu'il nous paraît nécessaire de les traiter successivement dans
l'ordre ci- dessus établi.
On peut reprocher généralement aux publicistes de s'être
attachés, dans l'examen de ces questions, à des points de
294 LIVRE DEUXIÈME. § 153.
vue trop exclusifs, en partant des principes établis a priori.
A la liberté absolue du commerce des États neutres ils ont
opposé un droit de nécessité créé au profit des belligérants.
Le conflit entre ces deux prétendus droits a dû donner lieu
aux solutions les plus contradictoires. Il nous semble qu'il n'est
nullement nécessaire d'avoir recours à ces diverses théories, et
nous sommes d'avis que les règles précédemment exposées sur
les rapports respectifs des États, peuvent suffire pour résoudre
les nombreux problèmes dont cette matière est hérissée.
Addition. H existe sur cette matière une infinité de monographies,
pour la plupart des écrits de circonstance et des pamphlets qui ont pour
objet tantôt la défense des belligérants, tantôt celle des neutres. Elles
sont indiquées par de Kamptz § 257. Les anciens auteurs déjà : Albéric
Gentile (De jure belli. I, chap. 21); Grotius (III, 1, 5. 9, 4. 17, 3), Henri
Cocceji (De jure belli in amicos — Exerc. curât, t. II, p. 19) ; Bynkershoek
(Quaest. juris publ. I, chap. 10 suiv.) se sont occupés des questions rela-
tives aux droits des neutres. Il faut faire remarquer ensuite les nom-
breux ouvrages qui sont consacrés à l'examen de la jurisprudence anglaise
antérieure aux traités de Paris et de Hubertsbourg (1763), et expliquée
dans le Discourse on the conduct of Great Britain in respect to neutral
nations during the présent war, by Charles Jenkinson (depuis Lord Liver-
pool). Londres 1757 (2e édit. 1794; 3e édit. 1801); — les pièces et les
documents relatifs aux contestations entre l'Angleterre et la Prusse en
1752 et indiqués par de Kamptz no. 17 — 21; — le traité déjà mentionné
ci- dessus, publié par l'Espagnol Don Carlos Abreu en 1758 et surtout
l'ouvrage du publiciste danois Martin Hiibner, intitulé:
De la saisie des bâtiments neutres etc. A la Haye 1759. Trad. aile m.
ibid. 1789. C'est un plaidoyer en faveur de la liberté des neutres (v. là-
dessus les observations de Wheaton, Histoire, p. 159 suiv. — 2e édit. I,
p. 273). Jean Ehrenreich de Bohmer (f 1777) , dans ses Observations sur
le droit de la nature et des gens touchant la capture et la détention des
vaisseaux et effets neutres. Hambourg 1771, et en latin dans son Novum
jus controv., est entré dans la même voie. — La controverse a été re-
prise avec une énergie redoublée pendant la guerre de l'indépendance
américaine. Les principaux ouvrages de cette époque, écrits dans l'esprit
de la neutralité armée ou dans un esprit plus libéral encore, sont les
suivants :
Ferd. Galiani, Dei doveri etc. (v. ci -dessus § 144. n. 2).
Lampredi, Del commercio dei popoli neutrali in tempo di guerra. Fio-
renze 1778. Trad. en français par Penchet. Paris 1802.
et en Allemagne:
Totze, La liberté de la navigation. Londres et Amsterdam 1780.
§ 154. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 295
A l'époque de la révolution française appartiennent les publications sui-
vantes:
de Steck, Essais sur divers sujets. 1799.
D. A. Azuni, Sistema universale dei Principii del diritto marit. 1795;
en français 1805.
Btisch, Ueber das Bestreben der Vôlker neuerer Zeit, einander in ihrem
Seehandel recht wehe zu thun. Hamburg 1800.
Prof. Schlegel , Sur la visite des bâtiments neutres. Copenhague 1800,
et les pamphlets opposés des publicistes anglais Alexandre Croke et
Robert Ward.
Rayneval, De la liberté des mers. Paris 1801.
J. N. Tetens, Considérations sur les droits réciproques des puissances
belligérantes et des puissances neutres. Copenhague 1805 (en alle-
mand déjà en 1802).
Jouffroy, Le droit des gens maritime. 1806.
Et à la fin de cette période:
(Biedermann) Manuel diplomatique sur le dernier état de la controverse
concernant les droits des neutres. Leipz. 1814.
V. aussi Jacobsen, Seerecht p. 521 suiv. et pour l'état actuel de la que-
stion principalement les ouvrages de Reddie (p. 289 ci -dessus) et de
Hautefeuille.
DROIT DE BLOCUS.1
§ 154. Nous avons déjà dit quelques mots sur le droit de
blocus (§ 112 et 121 ci -dessus). C'est le droit du belligérant
de s'emparer des abords d'une forteresse, d'un port, d'une rade
et même de toutes les côtes de son ennemi, et d'y exercer
les droits de souveraineté, pendant tout le temps qu'il se main-
tient dans la possession réelle de cette partie du territoire en-
nemi.2 On occupe le territoire ou la mer territoriale environnant
une place ennemie, à l'effet d'empêcher toute communication
avec le dehors (§ 73). Le pouvoir du belligérant de dicter des
*) Grotius El, 1. 5. Bynkershoek, Quaest. 1, § 11. de Steck, Handels-
vertr. p. 188 suiv. Nau , Vôlkerseer. § 200 suiv. Jouffroy, Droit marit.
p. 159. Jacobsen, Seerecht. p. 677 suiv. Wheaton, Intern. Law. IV, 3. 25.
et son Histoire des progrès, p. 84. Pôhls, Seerecht. IV, p. 1142. § 523 suiv.
Oke Manning p. 219. Pando p. 497. Ortolan H, p. 287. Hautefeuille IH,
p. 1. Wildman H, p. 178.
2) HautefeuiUe m, p. 54. 55 et p. 14. 21. Ortolan H, p. 291 qualifie
à tort le blocus une substitution d'une souveraineté à l'autre. H ne saurait
être question d'une souveraineté sur la mer libre.
296 LIVRE DEUXIÈME. § 154.
lois dans le territoire momentanément soumis à sa juridiction,
n'a jamais été contesté. Les nations neutres Font toujours re-
specté, et n'ont pas refusé d'exécuter les ordres donnés par le
nouveau possesseur.1
Le blocus n'existe qu'autant que le belligérant qui veut le
former place devant l'endroit bloqué, quel qu'il soit, une force
réelle, des troupes de terre ou des bâtiments de guerre en
nombre suffisant pour se trouver réellement les maîtres du ter-
ritoire ou de la mer territoriale par eux occupée. En interdisant
à tous les étrangers de communiquer avec la place assiégée ou
bloquée, le belligérant empêche l'arrivée de secours en troupes
et en vivres, en même temps qu'il empêche des nouvelles d'y
pénétrer.
Toute violation des lois du blocus fait craindre que son
but ne soit manqué et qu'il ne devienne illusoire.2 La saisie
du navire coupable ou des autres moyens de transport, la con-
fiscation de la cargaison ou des objets prohibés, quels que soient
leur nature et leur propriétaire, constituent la sanction pénale
des défenses portées par les belligérants.3 Le capitaine et ses
complices peuvent en outre être soumis à des pénalités sévères.
Les usages actuels des nations sont généralement d'accord sur
ce principe, qui néanmoins, dans l'application, a donné lieu à
des complications nombreuses et à des contestations ardentes,*
1) Le gouvernement anglais a même déclaré en état de blocus des
rivières neutres, notamment, lors de l'occupation du Hanovre par des
troupes françaises en 1803, le fleuve d'Elbe. En pareil cas toutefois des
modifications aux rigueurs du blocus devraient être admises en faveur
des neutres, ce qui n'a pas eu lieu toujours. Y. Jacobsen p. 707. Haute-
feuille HI, p. 50.
2) Jouffroy p. 160 a retracé les divers buts du blocus: mais ses
distinctions ne sont ni admises dans la pratique, ni assez nettement
définies.
8) Wildman H, p. 200. — La jurisprudence anglaise la plus récente
autorise le propriétaire des marchandises à fournir la preuve de sa non-
complicité. Oke Manning p. 320.
4) Un document assez ancien mais très -important pour le droit de
blocus moderne est l'édit hollandais de 1630, dans lequel on rencontre
déjà les éléments de la jurisprudence anglaise postérieure avec toutes ses
prétentions extravagantes. H est vrai que depuis que la suprématie du
§ 155. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 297
§ 155. La première question très -controversée est celle de
savoir: A partir de quel moment le blocus est -il réputé réelle-
ment établi à l'égard des neutres?1 La nature des choses, il
est vrai, semble l'indiquer. Du moment où, devant le lieu blo-
qué, des bâtiments de guerre sont stationnés en permanence et
en assez grand nombre pour empêcher toute espèce de commu-
nication avec la place ou le port investi. Plusieurs traités con-
tiennent des dispositions formelles à ce sujet. Ainsi le traité
de neutralité armée (article 3) s'exprime en ces termes: „Pour
déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on donne cette
dénomination à un port où, par suite de la disposition prise
par la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suf-
fisamment proches, il y a un danger évident d'entrer." L'Angle-
terre consentit à insérer cette définition dans la convention de
juin 1801, en substituant toutefois la particule alternative ou
à la conjonctive et.2 — Quelques traités vont jusqu'à fixer le
nombre des vaisseaux qui doivent stationner devant un port
pour qu'il soit réputé être réellement bloqué. La plupart de
ces traités appartiennent au xvme siècle: celui de 1818 entre
le Danemark et la Prusse exige (article 18) la présence de deux
vaisseaux pour le moins.8
La distance à laquelle les bâtiments de guerre doivent se
trouver du port bloqué, dépend naturellement des circonstances.
Il suffira certainement qu'ils soient stationnés de manière à pou-
voir surveiller l'entrée du port et en retenir tout navire qui ten-
terait de passer à leur insu.
pavillon néerlandais commençait à baisser, le langage des États-Généraux
a aussi singulièrement baissé. Cet édit a été commenté par Bynkershoek
dans ses Quaest. jur. publ. 1, 11. V. aussi Wheaton, Hist. p. 86 suiv. (1, 163).
1) V. surtout Wheaton, Intern. Law. H, p. 232 suiv. édit. fr. H, 172.
2) Martens, Recueil. "VU, p. 176. Cette définition se trouve dans le
Code général de Prusse (Allgem. Preufs. Landrecht) partie I. tit. 9. § 219 :
„Le lieu bloqué est celui dont des batteries de terre ou des vaisseaux
ennemis stationnés au dehors ferment l'accès." — V. Wheaton, Histoire,
p. 326 (II, 86). de Steck p. 188. 189. Nau, VSlkerseerecht. § 202 suiv.
8) Kliiber, Droit des gens. § 297 donne par erreur le chiffre de vingt.
Le traité de 1753 entre la Hollande et les Deux-Siciles (art. 22) exige
que six vaisseaux au moins soient arrêtés devant le port. Y. de Steck
p. 188. Martens, Nouveau Recueil. IV, p. 532. Hautefeuille III, p. 60.
298 LIVRE DEUXIÈME. § 155.
Suivant un usage généralement admis, qui repose sur la
position indépendante des nations neutres, la seule présence de
forces ennemies devant une place ne suffit pas pour la faire
considérer comme en état de blocus. Cela est vrai surtout
lorsqu'il s'agit d'un blocus maritime. H faut que l'existence du
blocus soit portée à la connaissance des puissances neutres,
soit par une notification diplomatique, soit par un acte moins
solennel. Ainsi la déclaration faite par le commandant de
l'escadre chargée du blocus au capitaine d'un navire neutre, que
le port dans lequel il veut entrer est bloqué, équivaut à une
notification faite par la voie diplomatique. On distingue à cet
égard entre la notification générale et spéciale ou de fait1
Après que la notification a été faite, le blocus continue
d'exister alors même que les vaisseaux chargés de le former,
ont été forcés de s'éloigner momentanément par suite de coups
de vents, de tempête ou autres accidents de mer. Dans ce cas
le blocus notifié produit les mêmes effets que le blocus de fait.
Cette interprétation est conforme à la pratique constante des
nations comme aux règles de l'analogie. Enfin l'état de blocus
régulièrement publié par un gouvernement neutre sur son terri-
toire, a pour les sujets l'autorité d'une loi intérieure.2
Le blocus est réputé levé et privé de ses effets à l'égard
des neutres, lorsque les vaisseaux bloquants se sont éloignés
volontairement pour réparer les avaries, pour ravitailler, ou
lorsqu'ils ont été chassés par les forces de l'ennemi. H en est
de même du siège d'une place: il est levé dès que l'armée as-
siégeante se retire volontairement ou forcément.8 Il n'a jamais
été question d'une notification de la fin du blocus: il ne con-
tinue à l'égard du commerce neutre, qu'autant qu'il est réel et
effectif: c'est une règle fondamentale.4
i) V. surtout Hautefeuille El, p. 61 — 92.
2) La simple notification du blocus dans les ports voisins n'est pas
considérée comme un acte suffisant. C'est ce qui du moins a été observé
lors du blocus des côtes du Chili par l'escadre française. Martens, Nou-
veau Recueil. XV, p. 507. — V. Jouffroy p. 165. Jacobsen p. 680. Whea-
ton, Intern. Law. p. 233. Pôhls IV, p. 1145.
8) Jacobsen p. 683. Wheaton p. 241. Pôhls à l'endroit cité.
4) Oke Manning p. 324. Ortolan p. 310. Hautefeuille III, p. 114.
§ 156. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 299
§ 156. Aux observations précédentes sur le caractère et
les diverses espèces de blocus, nous devons ajouter quelques
mots sur la question de violation du blocus.
Le cas de violation n'existe que par la réunion des deux
circonstances suivantes:
1° Il faut d'abord que le blocus soit réel et effectif,
qu'il ait été précédé ou suivi d'une notification spéciale ou
de fait.1
Nous ne prétendons pas tracer à cet égard des règles fixes
et d'une application générale. Le juge équitable prendra toujours
en considération les circonstances particulières à l'espèce.2
2° Il faut qu'il y ait infraction ou du moins une tenta-
tive d'infraction. La simple intention, de simples présomptions,
quoique éloignées, ne suffisent pas: „Actus aliquis, non solum
consilium." Ainsi, par exemple, le navire neutre arrivant du
large qui, après avoir reçu la notification spéciale, entre ou
tente d'entrer dans le port bloqué, pendant que le blocus existe
réellement, peut être saisi et confisqué. Le navire au contraire
sorti d'un port neutre, après la notification diplomatique du blocus,
qui fait voile vers le lieu bloqué, n'est pas par cela seul sai-
sissable sur la haute mer. De même le navire qui, malgré les
signaux et la semonce, ne s'est pas arrêté immédiatement, n'est
pas par cela seul présumé avoir tenté d'enfreindre le blocus,8
Ces interprétations sont conformes aux dispositions des lois
internationales. La neutralité armée de 1800 portait: que tout
bâtiment naviguant vers un port bloqué ne pourra être regardé
comme contrevenant, que lorsque, après avoir été averti par le
commandant du blocus de l'état du port, il tâchera d'y péné-
trer en employant la force ou la ruse.4
*) Pôhls p. 1160. Pando p. 497.
2) Wheaton p. 233. F. F. L. Pestel, Selecta capita juris marit. § 11.
Les traités récents entre la France et les États de l'Amérique du Sud
ont introduit un mode spécial d'authenticité des notifications de blocus.
V. Ortolan H, p. 303.
3) Le décret précité de la république de Chili qui contient une dispo-
sition contraire, a été vivement critiqué.
4) La convention britannique de 1801 a effacé de nouveau cette dispo-
sition. — V. aussi Vattel III, § 177.
300 LIVRE DEUXIÈME. § 156.
Nous disons que le navire neutre qui fait voile vers le port
bloqué, n'est pas par cela seul saisissable sur la haute mer. Il
est facile d'en expliquer les motifs. Il se peut que le navire
espère trouver à son arrivée l'entrée du port libre, par suite de
la levée du blocus. Rien ne prouve non plus qu'il n'ait changé
de direction pendant la traversée. Enfin la saisie d'un navire
en dehors du territoire des belligérants, constituerait un attentat
à l'indépendance du peuple auquel il appartient, une usurpa-
tion sur la liberté de la mer.1 La jurisprudence anglaise, il est
vrai, ne l'entend pas ainsi. Selon les juges anglais, la notifica-
tion diplomatique d'un blocus a pour effet d'interdire aux neutres
toute expédition commerciale pour le port déclaré bloqué, et à
faire déclarer coupable de violation du blocus tout navire ayant
mis à la voile postérieurement à la notification. Ils ont déclaré
de bonne prise les navires et leurs cargaisons qui n'avaient fait
que passer devant les vaisseaux chargés du blocus; ou bien les
navires qui s'en retournaient; ou encore ceux que les vents
avaient jetés sur les plages ennemies. C'est ce qu'ils appellent:
faire justice?
La sortie ou la tentative de sortie d'un bâtiment d'un port
bloqué où il était entré avant l'investissement, pourra constituer
une seconde espèce de violation de blocus. Tout dépend ici des
circonstances. Ainsi il y aura culpabilité de la part du navire
qui tentera de sortir à la faveur de la nuit, en profitant d'un
gros temps, en longeant la côte, malgré la présence des bâti-
ments bloquants. Il y aura encore violation de la part du navire
qui tente de sortir du port avec une cargaison prise à bord,
après le commencement de l'investissement. Mais généralement
x) Les traités récents se montrent en général très -indulgents: ils
permettent aux navires qui arrivent de loin, de s'approcher de l'escadre
du blocus. V. traité entre la Suède et les États-Unis du 4 septembre
1816 art. 13, et celui du 4 juillet 1827 art. 18. Martens, Recueil. IV,
p. 258. Nouveau Recueil. VII, p. 280. Le traité entre l'Amérique du Nord
et les État» de l'Amérique du Sud de 1824, 1825, 1831, 1832, 1836 et le
traité entre les villes hanséatiques et le Mexique du 15 septembre 1828
art. 20. Nouv. Suppl. I, p. 687.
2) Hautefeuille m, p. 131. Ortolan II, p. 320. Jacobsen p. 682.
687. 698. Pando p. 500 — 503.
§ 157. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 301
les navires neutres sont libres de sortir du port bloqué sur lest
ou avec une cargaison embarquée à bord avant l'ouverture du
blocus.1 Toujours la confiscation du navire ne peut être pro-
noncée que lorsque la violation est bien établie. De simples
soupçons ne devraient entraîner qu'une saisie provisoire. Cepen-
dant la pratique accorde ici aux tribunaux une certaine latitude.
INTERPRÉTATION FORCÉE DU DROIT DE BLOCUS.
§ 157. Il y a des peuples maritimes dont la pratique ne
s'est pas renfermée dans les limites que nous venons de tracer
et qui, à diverses époques, ont cherché à donner au droit de
blocus une extension peu conforme à son caractère naturel et
généralement adopté. Ils ont prétendu mettre de vastes côtes
en état de blocus par un simple ordre de cabinet, en établis-
sant quelques croisières dans leur voisinage et en portant le
blocus à la connaissance des peuples neutres. Déjà en 1560 la
Suède, dans sa guerre contre la Russie, se servait d'un pareil
blocus. Plus tard ce furent les Hollandais qui en firent usage
contre la Grande-Bretagne (1652), et ces deux puissances réu-
nies en 1689 contre la France. Depuis c'est la coalition qui
a déclaré toutes les côtes de la France en état de blocus, sous
prétexte que les lois internationales ne pouvaient pas être
appliquées à ce pays dans la situation où il se trouvait. En
1798 la Grande-Bretagne déclare en état de blocus tous les
ports et les embouchures de la Belgique.2 Ces mesures répu-
tées d'abord exceptionnelles, ont causé aux États neutres des
pertes considérables et ont provoqué en partie le système de
la neutralité armée. H ne restait qu'un pas à franchir: on com-
mençait à déclarer en état de blocus des territoires, des îles
entières, sans disposer en aucune manière des forces nécessaires
pour le maintenir; et l'on appliquait aux contrevenants sur les-
quels on pouvait mettre la main, les dispositions relatives au
*) Jacobsen p. 697. Wheaton, Eléments. H, p. 245. Oke Manning
p. 329. Pôhls p. 1162. Le traité précité entre les villes hanséatiques et
le Mexique du 15 septembre 1828 autorise expressément ces espèces.
2) Dumont, Corps diplom. VU, part. 2. p. 238. Wheaton, Histoire,
part. I, § 16 et n, § 31 (p. 284 suiv.). Nau, Vôlkerseerecht. § 209—213.
Ortolan II, p. 325.
302 LIVRE DEUXIÈME. § 157 *•
blocus réel. Les exagérations de ce système qui s'est produit
sous des noms variés, — blocus fictif; de cabinet; sur papier;
par croisière, per notificationem — ont donné le jour à une
conception profonde, savoir au système continental, qui marque
le point de départ de la réaction commencée contre les préten-
tions de l'ambition britannique. Comme spécimen de la juris-
prudence anglaise en matière de prises, qu'il nous soit permis
de transcrire ici le passage d'un jugement rendu en 1780 par
James Mariott contre des navires neutres néerlandais: „Vous
êtes confisqués dès que vous êtes pris. La Grande-Bretagne,
par sa position insulaire, bloque naturellement tous les ports
de l'Espagne et de la France. Elle a le droit de tirer parti
de cette position comme d'un don qui lui a été accordé par
la Providence."1
Nous devons ajouter toutefois que ces prétentions outrées
n'ont à aucune époque obtenu le consentement des peuples pa-
cifiques. Issues d'un esprit étroit et d'une situation exception-
nelle, ces prétentions sont contraires à tous les principes, car
elles créaient des entraves à l'indépendance des peuples et leur
imposaient des lois obligatoires.2 Les neutres, par conséquent,
ont le droit incontestable de leur résister de toutes leurs forces.
La loi de blocus dépourvue des moyens nécessaires d'exécution
n'est qu'un prétexte destiné à couvrir des prohibitions arbitraires
de commerce, une guerre clandestine faite au commerce ennemi
et neutre.
Déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856 § 4:
Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c'est-
à-dire, maintenus par une force suffisante pour interdire réel-
lement l'accès du littoral de l'ennemi.
PROHIBITION DU COMMERCE DE CONTREBANDE.
§ 157 b* C'est un devoir général pour les peuples restés
spectateurs tranquilles de la lutte, de n'y prendre aucune part
1) de Martens, Causes célèbres. H, p. 35.
2) V. les réflexions sur les représailles auxquelles une partie belligé-
rante peut recourir, lorsque les lois de la guerre sont violées par l'autre,
dans Pando p. 519 suiv.
§ 157 b* DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 303
active, ni de participer directement aux actes de la guerre.
Les gouvernements, les sujets étrangers qui fournissent à l'un
des belligérants des secours directs, commettent une violation
du devoir de la neutralité, un acte d'immixtion dans les hosti-
lités auquel l'adversaire est en droit de s'opposer par tous les
moyens. Dans la pratique on regarde comme de tels actes
d'hostilité :
1° Le transport volontaire des soldats, matelots et autres
hommes de guerre;
2° la construction dans les ports neutres de vaisseaux de
guerre ou de commerce pour le compte de l'un des
belligérants ;
3° le transport frauduleux de dépêches de l'un des belli-
gérants.
Ces diverses contraventions, lorsqu'elles sont régulièrement
constatées, entraînent la saisie et la confiscation du navire
employé au transport. La confiscation s'étend également à la
cargaison, s'il est établi que les propriétaires avaient connais-
sance du but illicite du voyage. Toutefois cette pénalité n'est
pas toujours exécutée à leur égard avec la même sévérité.1
En réalité elle constitue un acte de légitime défense auquel le
neutre qui se rend complice de l'un des belligérants, ne saurait
échapper du côté de l'adversaire.
En dehors des cas qui viennent d'être énumérés, il existe
encore un certain nombre d'objets dont le commerce est regardé
d'une manière plus ou moins générale dans la pratique des
États comme prohibé. Il constitue la contrebande de guerre
proprement dite.2
*) Les cas ci -dessus indiqués sont compris sous la dénomination
commune, peu convenable peut-être, de „ contrebande par accident." En
réalité ils ne sont autre chose qu'une contrebande de guerre, ainsi quô
les puissances neutres l'ont reconnu naguère pendant la guerre d'Orient.
V. Jacobsen p. 667 — 672. Jouffroy p. 136. Wheaton, Intern. Law. IV,
3. 22 et 23 (édit. franc, p. 25). Ortolan p. 197. Pando p. 540. Hautefeuille
II, p. 399. 450. 462. de Kaltenborn II, p. 424. Wildman II, p. 234 (à con-
sulter surtout relativement à la question du transport des dépêches). —
Ascher, Beitrâge zu einigen Fragen neutraler Schifffahrt. Hamburg 1854.
2) V. les ouvrages indiqués au § 154, ainsi que Bynkershoek, Quaest.
304 LIVRE DEUXIÈME. § 158.
ORIGINES DE LA CONTREBANDE DE GUERRE.
§ 158. La jurisprudence relative à la contrebande de guerre
est née des défenses faites depuis un temps immémorial par
les souverains à leurs sujets de se livrer à certaines branches
de commerce avec l'ennemi.1 Déjà dans les collections justi-
niennes on trouve plusieurs dispositions à cet égard.2 Plusieurs
décrets rendus par les papes et les conciles du temps des croi-
sades, interdisaient tout commerce avec les Sarrasins.3 Plus tard
la ligue hanséatique, pendant ses guerres fréquentes, prohibait
les objets de contrebande et quelquefois elle prétendait interdire
aux gouvernements neutres toute espèce de commerce avec leurs
ennemis.4 C'est sous l'influence de l'école de Bologne que paraît
s'être établie la théorie d'après laquelle les neutres, par le trans-
port des objets de contrebande, commettent une infraction envers
la partie belligérante qui en souffre, et que les contrevenants
peuvent être saisis et punis. Cette théorie, il est vrai, ne s'est
complètement développée et n'a été généralement reconnue que
depuis l'établissement de marines militaires considérables et
jur. publ. I, chap. 10. Joh. Gottl. Heineccius (resp. Kessler) , De navibus
ob mercium illicitarum vecturam commissis. Hal. 1721 et 1740. de Justi,
Historische und juristische Schriften. I, p. 141 suiv. Christ. Gottl. Schmidt,
Auserlesene Abhandlungen, das deutsche Staatsrecht betreffend. 1768. I.
no. 1. Schmidlin, De jurib. gent. mediar. § 38 suiv. Robert Ward, Essay
of Contraband. Lond. 1801. de Steck, Handels- und Schifffahrtsvertràge.
p. 190 suiv. ; Essais (1785) p. 68 suiv. Nau, Vôlkerseerecht. § 153 suiv. et
§ 192 suiv. Jouffroy, Droit des gens marit. p. 102 suiv. Wheaton, Intern.
Law. IV, 3, § 21. Idem histoire des progrès, p. 75 suiv. Pôhls, Seerecht.
IV, § 516. p. 1096. Oke Manning p. 281. Pando p. 486. Ortolan II, p. 154.
de Kaltenborn, Seerecht. H, p. 413. Wildman H, p. 210. Hautefeuille II,
p. 297 et pour l'histoire de la question 1. 1, p. 34.
x) „ Contra bandum," id est „ contra bannum." Déjà au moyen âge
le mot contrabannum était synonyme de marchandise prohibée et con-
fisquée. V. Carpentier, Glossarium novum. I, col. 1123.
2) Le passage principal est la constitution de Valens et de Gratien
1. 2. Cod. quae res exportari non debeant.
3) Concil. Lateran. ni de 1179 sous Alexandre III. Can. 24 et Lat. IV.
de 1215 (Innocent III); cap. 6 et 17. X. de Judaeis et Sarac, chap. 1. X.
vag. comm. V, 2.
4) Sartorius, Hanseat. Bund. II, p. 663.
§ 158. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 305
l'introduction du système de course, car par là les belligérants
acquéraient les moyens nécessaires pour faire respecter leurs
prétentions par les peuples pacifiques. Cependant la ligue han-
séatique, dans ses jours de grandeur, lorsqu'elle jouait encore
un certain rôle politique, réussissait quelquefois à maintenir
contre les belligérants la liberté absolue du commerce, même
à Fégard des objets de contrebande, et à assurer en même
temps à ses alliés la libre navigation dans les eaux des puis-
sances en guerre.1
Pendant les trois derniers siècles les États maritimes ont
adopté, dans un intérêt commun et réciproque, la règle que les
belligérants ont le droit de restreindre la liberté du commerce
neutre, en ce qui concerne la contrebande de guerre, et de
réprimer les infractions commises à cet égard. Un nombre infini
de traités a consacré ce principe d'une manière expresse ou
implicite.2 Les lois intérieures des nations l'ont sanctionné égale-
ment. Nous nous contentons de citer l'ordonnance de la marine
de 1681 (IU. 9. 11), celle de Louis XVI de 1778 et le Code
général de Prusse (IL 8. § 2034 et suiv.; I. 9. 216 suiv.).8
Jamais ce droit n'a été sérieusement contesté aux belligérants.
Les nations se sont refusées seulement à reconnaître les con-
séquences arbitraires et violentes, que certaines puissances ont
essayé d'en tirer. En effet on ne saurait contester aux autres
un droit, dont on entend à l'occasion se prévaloir soi-même.
C'est donc à tort que certains publicistes ont prétendu nier
l'existence d'une loi commune internationale, relative à la contre-
bande de guerre, ou qu'ils l'ont fait découler exclusivement des
dispositions formelles des conventions publiques.4 Ce point de
1) Pûtter, Beitr. p. 154.
2) On les trouve dans de Steck, loc. cit. p. 194—204 et dans Nau,
Vôlkerseerecht. § 156 suiv. Les traités de commerce et de navigation de
notre siècle qui contiennent ce principe, seront indiqués par la suite.
3) V. de Pistoye et Duverdy I, p. 392. HautefeuiUe II, p. 337. La juris-
prudence anglaise est indiquée par Wildman II, p. 210.
4) V. notamment Sam. Cocceji dans son Novum systema prudent,
nation. § 789, et les auteurs qui ont adopté sa théorie. Jouffroy p. 111.
Kliiber § 288 suiv. — Les déclarations de la neutralité armée de 1782 et
de 1800 ne contiennent aucune disposition à l'appui de cette théorie, ainsi
20
SOC LIVRE DEUXIÈME. § 159.
rue est en contradiction avec la vérité historique. Qnoi qu'il en
soit, il est nécessaire, pour que la contrebande de guerre existe,
que la guerre soit régulière, c'est-à-dire qu'elle ait été dénoncée
au souverain neutre.1
DÉFINITION LÉGALE DE LA CONTREBANDE DE GUERRE.
§ 150. Il est impossible de donner, au point de vue na-
turel des choses , une définition a priori de la contrebande de
guerre , reconnue par toutes les nations qui appartiennent au
grand système Européen.2 La définition doit nécessairement
avoir pour base des données historiques. En effet il s'agit de
lois positives qui imposent des restrictions à la liberté du
commerce des peuples restés spectateurs pacifiques d une lutte
qui leur est étrangère. Ces lois ne sauraient être le résultat
que du consentement libre des parties contractantes.
Les développements historiques très -sommaires que nous
venons de retracer, les textes des lois intérieures et la juris-
prudence des nations s'accordent dans cette idée commune, à
savoir: que le fait de fournir à l'un des belligérants des objets
de première nécessité pour la guerre, est un acte repréhensible
à legard de l'autre.3 En conséquence, les objets de contre-
bande peuvent valablement être confisqués, les coupables arrê-
tés en flagrant délit peuvent être punis. Toutefois il n'est per-
mis à une nation de s'arroger une juridiction sur des sujets
étrangers, qu autant qu'ils se trouvent sur son propre territoire
ou sur le territoire ennemi provisoirement occupé par elle. Pour
exercer une pareille juridiction sur un territoire essentiellement
qu'on Ta prétendu. Ces déclarations ne s'opposent pas au principe de la
contrebande, mais seulement à ses interprétations arbitraires, et elles
émettent à cet égard le voeu d'une entente commune entre les Etats.
l) Arrêt du Conseil d'État du 1 mars 1818. Gazette des tribunaux,
28 mars 1848 p. 533.
*) Sur les tentatives de donner une définition exacte de la contre-
bande naturelle v. Jouffroy, Droit raarit. p. 102suiv., où il critique les
opinions des anciens publicistes.
3) Ainsi le traité d'alliance entre l'Angleterre et la Suède de 1661
art. 12 qualifie la contrebande de crime punissable, „ qualis (poena) summis
criminibus delietnr."
§ 160. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 307
libre, tel que la haute mer, il lui faut le consentement de la
nation à laquelle appartiennent ces sujets. À défaut de con-
sentement, le belligérant ne peut faire usage envers des sujets
étrangers que de certaines mesures de contrainte ou de repré-
sailles, qui ne pourront jamais prendre un caractère pénal, des
actes de régime intérieur, susceptibles d'être critiqués et con-
testés par les parties lésées, lorsqu'ils dépassent les justes li-
mites de la nécessité de guerre. Néanmoins, dès qu'il s'agit
d'un droit de juridiction, son exercice appartient exclusivement
au belligérant qui se prétend lésé : l'intervention d'une puissance
étrangère ne serait admissible que tout au plus dans les cas
d'injustice manifeste ou de cruautés barbares.
Il résulte encore de l'aperçu historique que nous venons
de retracer, que le droit des belligérants de prohiber aux neutres
le commerce de la contrebande de guerre, a toujours été con-
sidéré comme un principe général du droit public européen, et
qu'il n'a pas besoin d'être démontré spécialement par rapport
aux diverses nations. Par conséquent nous n'aurons qu'à exa-
miner les deux questions suivantes:
1° Quels sont les objets qui doivent être considérés comme
contrebande de guerre?
2° Quels sont les moyens de contrainte tendant à la répres-
sion de ce commerce?
OBJETS DE CONTREBANDE.
§ 160. Il règne une gfande diversité d'opinions entre les
publicistes sur la définition de la contrebande de guerre. De
nombreuses classifications ont été proposées, mais aucune n'en
a obtenu l'assentiment général.1 En effet, les usages interna-
tionaux sont loin de répondre à toutes les questions qui peuvent
se présenter à ce sujet.2 Ils ont établi seulement d'une manière
1) Les classifications proposées par Jouffroy p. 130, 134 nous pa-
raissent trop vagues: elles ont besoin d'être longuement expliquées à
chaque cas de guerre.
2) Les distinctions proposées par Grotius (III, 1, 5) sont insuffisantes.
Il est vrai qu'elles ont été adoptées par la plupart des publicistes. V.
Wheaton, Histoire, p. 75 (2° édit. I, p. 169).
20*
30g LTVRE DEUXIÈME. § 100.
générale la règle suivante, à savoir: que les peuples qui veulent
rester neutres, doivent s abstenir de fournir aux belligérants ou
à l'on deux, les objets de première nécessité, dont l'emploi est
an moyen direct de faire la guerre, e est -à -dire de nuire à
l'ennemi, de le combattre. Or il y a des objets dont l'usage est
exclusivement possible pendant la guerre. Ce sont les armes,
les munitions de guerre, l'artillerie. Il y en a d'autres qui sont
également utiles et nécessaires pour la guerre et la paix, tels
que les chevaux. Il y a des matières premières propres i la
fabrication des armes et des munitions de guerre, à l'habillement
des militaires, à la construction, au radoub et à l'armement des
vaisseaux. Enfin l'or, l'argent et le cuivre, monnayés ou en barres,
peuvent être considérés comme des instruments propres pour
se procurer des objets de première nécessité.
Il faut remarquer encore qu'à certains moments et dans
certaines circonstances des objets peuvent acquérir pour les
belligérants une importance qu'ils n'auront pas dans d'autres.
L'idée de la contrebande, on le voit, est une idée complexe,
variable selon les temps et les circonstances, et qu'il est dif-
ficile de déterminer d'une manière absolue. D'un autre côté,
comme il s'agit de pénalités, il est à désirer que les nations
puissent se mettre d'accord sur la nature et les limites exactes
de la contrebande. Car bien que très -souvent les belligérants
se soient plus, suivant leurs intérêts spéciaux, et dès qu'ils en
avaient les forces nécessaires, à imposer aux nations neutres
des restrictions plus ou moins onéreuses, il ne faut pourtant
pas perdre de vue que rien ne les y autorisait.
En premier lieu il faut donc consulter les traités conclus par
les nations européennes, soit entre elles, soit avec les peuples du
Nouveau -monde.1 Ils forment la jurisprudence internationale et
peuvent se diviser en plusieurs catégories, suivant le plus ou
moins de restrictions qu'ils apportent au commerce neutre.
Ces traités doivent être interprétés de la manière la plus
l) Ces traités sont recueillis par Pôhls p. 1104 suiv. Oke Manning
p. 284 suiv. Ortolan n, p. 167. Hautefeuille II, p. 317. Schmidlin, De ju-
ribus gentium mediarum. § 38 suiv.
§ 160. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 309
stricte, car ils contiennent un droit de répression et établissent
des juridictions presque pénales.1
A défaut de traités, il faut appliquer les usages internatio-
naux. Les objets dont le commerce a été de tout temps proscrit
par les nations civilisées, sont seuls considérés comme contre-
bande de guerre. D'après ces usages, la contrebande est ex-
clusivement limitée aux armes, ustensiles et munitions de guerre,
en d'autres termes aux objets façonnés et fabriqués exclusive-
ment pour servir dans la guerre, non pas aux matières premières
propres à la fabrication des objets prohibés. Cette règle forme
la base des divers traités conclus entre les puissances maritimes
dans le cours du xvme siècle. La France Ta reconnue dans le
traité d'Utrecht (articles 19 et 20), et elle a toujours été consi-
dérée depuis comme faisant partie de son droit maritime. Elle
se retrouve dans les déclarations de la neutralité armée, dans
le traité entre la Russie et l'Angleterre du mois de juin 1801
et dans un grand nombre de traités de commerce et de navi-
gation conclus depuis 1815.2
H y a une autre classe d'objets qui, dans les traités seu-
lement et dans les lois intérieures de plusieurs nations, sont
indiqués comme objets de contrebande. Ainsi on y a compris:
1) Le juge Sir William Scott n'a pas été du même avis dans son
jugement contre des navires hollandais chargés de bois de construction
(1779). V. Wildman n, p. 222. Schmidlin, loc. cit. § 43.
2) Traités entre les États de l'Amérique du Nord et du Sud : la Co-
lombie du 3 décembre 1824, le Chili du 16 mai 1832 (art. 14), l'Amérique
centrale du 5 décembre 1825, le Mexique du 5 avril 1831 (art. 16), Vene-
zuela du 20 janvier 1836 (art. 17). Martens, Nouv. Recueil, t. VI, p. 831 ;
t. X, p. 334; t. XI, p. 442; t. XIII, p. 554. Nouv. Supplém. t. H, p. 415.
Traité entre la France et le Brésil du 28 janvier 1826 (art. 21). Nouv.
Recueil, t. VI, p. 874; entre la France et le Texas du 25 septembre 1839
(art. 6). Nouv. Recueil, t. XIII, p. 988; entre la France et la Nouvelle-
Grenade du 1 octobre 1846. Traité entre la Prusse et le Brésil du 9 juillet
1827. Nouv. Recueil, t. VII, p. 274; entre la Prusse et le Mexique du
18 février 1831 (art. 11). Nouv. Recueil, t. XII, p. 544. Traité entre les
villes hanséatiques et Venezuela du 27 mai 1837 (art. 16). Nouv. Recueil,
t. XTV, p. 242. Traité entre les Pays-Bas et le Texas du 18 septembre
1840 (art. 17). Nouv. Recueil. 1. 1, p. 379. — V. Preufs. Allgem. Landrecht.
t. II, tit. 8, § 2034 suiv. — de Steck p. 203. Nau § 156. 157. Wheaton,
Histoire, p. 324 suiv.
310 LIVRE DEUXIÈME. § 160.
1° les chevaux, qui en général sont exclus expressément dans
le code prussien (11, 8? 203G), tandis que les traités améri-
cains mentionnés ci-dessus prohibent seulement les chevaux
de cavalerie;
2° toutes les matières premières propres à la fabrication des
armes et munitions de guerre, le fer, la fonte, l'acier, le
salpêtre, le soufre; les munitions navales, telles que le
bois de construction, le chanvre, le goudron;1
3° les vivres ou matières alimentaires;2
4° l'or, l'argent et le cuivre monnayés ou en barres.3
Ces divers objets ne sont pas d'un usage direct et exclusif
pour la guerre ou uniquement propres à la guerre. On ne saurait
donc prétendre qu'ils portent nécessairement le caractère de
contrebande. C'est seulement dans le cas où, par leur transport
vers l'un des belligérants, le commerce neutre prend ce carac-
tère hostile, que l'autre belligérant a le droit de l'empêcher.
On doit ranger dans la même catégorie certains objets
nouveaux que les progrès de la science ont appliqués de nos
jours aux besoins de la guerre. Telles sont les machines à
vapeur, la houille etc., qui jouent un rôle si important dans
les guerres maritimes modernes. Considérées en elles-mêmes,
toutes ces choses sont également utiles et nécessaires pour la
paix et pour la guerre. Elles ne sont donc pas, par leur nature,
du nombre des marchandises prohibées.
Nous devons noter enfin que pendant la dernière guerre
d'Orient, les puissances alliées ont pratiqué les principes les
plus libéraux ; qu'elles n'ont compris sous le nom de contrebande
1) Cette classe d'objets a provoqué fréquemment des discussions ar-
dentes. V. Wheaton, Intern. Law. II, p. 187 (édit. franc, p. 141).
2) Les Provinces -Unies ont obtenu en 1741 de la Suède la révoca-
tion d'une prohibition relative à ces objets, qui, en France, n'ont jamais
été compris parmi ceux de contrebande. Pothier, Traité de la propriété,
no. 104. Valin, Comment, sur le Code des prises, art. 11. — V. de Mar-
tens, Récits. II, p. 166. — Il n'en a pas été ainsi en Angleterre. Wheaton,
Intern. Law. II, p. 198 (édit. franc, p. 148).
3) Cocceji, De jure belli in amicos. § 15. 20 comprend ces cho-
ses parmi les objets de guerre dans certains cas. V. surtout Jouffroy
p. 136 suiv.
§ 161. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 31 1
que les armes, les munitions et les objets uniquement destinés
aux usages de la guerre, en maintenant à cet égard les dis-
positions des traités existants; qu'enfin les prohibitions d'ex-
porter ne s'appliquaient qu'aux territoires respectifs des belli-
gérants.1 Ce bel exemple ne sera sans doute pas perdu dans
les guerres maritimes futures!
CAS OU IL Y A LIEU A SAISIR POUR CONTREBANDE
DE GUERRE.
§ 161. Le commerce d'objets prohibés ne constitue pas à
lui seul le délit de contrebande de guerre. 11 faut en outre que
les navires neutres, par le transport de ces objets dans les ports
ennemis, se soient rendus coupables d'un acte contraire aux
devoirs de la neutralité et qui entraîne leur saisie légitime.2
Une puissance neutre a sans doute la faculté de défendre d'une
manière absolue à ses propres sujets le commerce de certaines
denrées.3 Mais seule aussi elle a le droit de réprimer les in-
fractions commises à ses règlements, et les belligérants ne
sauraient y prétendre sous aucun prétexte. 11 leur est permis
tout au plus de se plaindre, si, à la faveur de ces règlements
des puissances neutres, venait se cacher le commerce de con-
trebande (§ 148).
Le délit de contrebande de guerre est réputé prescrit, dès
que le navire porteur d'objets suspects ou prohibés a achevé
son voyage. Ce principe est presque généralement admis; néan-
moins la jurisprudence anglaise s'est refusée à l'appliquer dans
un grand nombre de cas.4 Notons encore que les choses néces-
saires pour les propres besoins du navire, ne sont jamais regar-
dées comme objets de contrebande.5
*) V. Hautefeuille H, p. 411 et la brochure déjà citée de E. W. Asher,
Beitrage zu einigen Fragen (1er neutralen Schifffahrt. Hamb. 1854.
2) V. pour la jurisprudence anglaise Wheaton, Intern. Law. II, p. 219
(édit. franc, p. 165). Wildman II, p. 218. Jouffroy p. 154. Ortolan II, p. 178.
de Kaltenborn II, p. 421.
a) Nau, Vôlkerseerecht. § 193 suiv.
4) Jacobsen, Seerecht. p. 422. 423. Wheaton, Intern. Law. IV, 3. 23.
(édit. franc, p. 26). Wildman II, p. 218.
5) de Kaltenborn II, p. 420.
312 LIVRE DEUXIÈME. § 161.
C'est un usage très -ancien fondé en partie sur les dispo-
sitions des lois romaines et sur les doctrines des romanistes,
qui autorise les belligérants à s'emparer des objets de contre-
bande transportés vers les ports ennemis, et à faire valider la
saisie par un acte connu sous le nom de jugement ou de dé-
claration de bonne prise.1 Le navire saisi ne peut être déclaré
de bonne prise que dans le cas où ses armateurs ou proprié-
taires avaient pleine connaissance de la destination clandestine
du chargement ou de la cargaison.2 Dans plusieurs traités, une
exception a été expressément admise en faveur des navires
saisis: ils permettent au capitaine de continuer librement le
voyage, après avoir abandonné les objets prohibés trouvés à
bord.8 D'ailleurs le capitaine n'est sujet à aucune responsabilité
personnelle: les usages internationaux n'admettent plus aujour-
d'hui d'autres pénalités que la saisie du navire ou seulement
de la cargaison en totalité ou en partie.
En ce qui concerne les choses non comprises sous la dé-
nomination d'objets de contrebande, ni d'après les règles géné-
rales, ni d'après les conventions spéciales, les belligérants ne
peuvent les saisir sous aucun prétexte. Cependant on a vu sou-
vent ces derniers élever la prétention d'avoir le droit d'arrêter
les navires neutres destinés pour les ports ennemis et de s'ap-
proprier les cargaisons qu'ils portaient, en en payant le prix aux
propriétaires. C'est ce que l'on appelle le droit de préemption,4
Déjà dans l'ancienne jurisprudence française on rencontre un
pareil usage: quelquefois, lorsqu'il s'agissait d'objets de contre-
1) V. sur les origines de cette juridiction Wheaton, Histoire, p. 82
(2 • édit. p. 179).
2) V. déjà à ce sujet la loi 11. § 2. D. de publicanis. Jacobsen, See-
reeht. p. 642. Oke Manning p. 309: il cite la „ haute autorité" de Byn-
kershoek et de William Scott. Pando p. 496. Wildman H, p. 216. Haute-
feuille IV, p. 343. — Dans la pratique on ne respecte pas toujours cette
distinction. Pour la jurisprudence française v. Ortolan p. 180 et Jacobsen
p. 656.
8) Les traités entre les États de l'Amérique du Nord et ceux du
Sud, cités plus haut page 309 note 2, accordent expressément au capitaine
cette faculté. V. aussi de Steck, Handclsvertrâge. p. 208. 209.
4) Pôhls IV, § 520, p. 1127. Oke Manning p. 313. Hautefeuille
II, p. 271.
§ 162. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 313
bande, le droit de préemption remplaçait celui de prise.1 Plus
tard ce prétendu droit a été appliqué surtout, avec plus ou
moins d'équité, aux choses connues sous le nom de contrebande
par accident.2 D'ailleurs il n'a jamais formé une règle générale-
ment reconnue du droit international. Au fond il ne sera tou-
jours qu'un acte arbitraire, une atteinte portée à la liberté
et à l'indépendance du pavillon neutre. Vainement, pour le
colorer, le belligérant invoquera -t- il la nécessité de nuire à
l'ennemi. Quelle est la nécessité qui lui permet de nuire aux
peuples pacifiques? En tout cas, l'indemnité due aux proprié-
taires neutres devrait du moins comprendre non seulement le
prix des denrées saisies, mais aussi le gain dont ils ont été
privés (lucrum cessans). La pratique de certaines nations ne
l'a pas entendu ainsi, et elle a trouvé des juges tels que William
Scott, qui ont étayé d'arguments spécieux leurs iniques décisions.8
H y a des traités qui ont proscrit la confiscation des objets
mêmes de contrebande proprement dite, en la remplaçant par
une simple saisie avec indemnité. Cette disposition se trouve
notamment dans le traité conclu le 11 juin 1799 entre la Prusse
et l'Amérique du Nord, et elle a été renouvelée dans celui du
l^mai 1828 ;4 mais elle ne subsiste plus de nos jours.
TRANSPORT DES PROPRIÉTÉS DES BELLIGÉRANTS
PAR LES NAVIRES NEUTRES.5
§ 162. Le droit de guerre si heureusement modifié et
restreint pour les guerres de terre, existe encore dans toute sa
latitude pour les guerres maritimes. Il a survécu dans sa né-
gation du droit des propriétés privées et de ceux des sujets
étrangers aux opérations de la guerre. Les belligérants peuvent
*) V. l'Ordonnance de 1584 art. 69. Grotius m, 1. 5. no. 6.
2) Jacobsen, Seerecht. p. 656. Wheaton, Hist. p. 83 et 285. Jouffroy
p. 154. Wildman II, p. 219.
3) Oke Manning p. 317.
4) Martens, Recueil. VI, p. 679 et Nouv. Recueil. VII, p. 615.
5) La déclaration du 16 avril 1856 a enlevé aux savantes observations
de l'Auteur sur un des points les plus controversés du droit maritime,
une certaine partie de leur intérêt pratique. Pourtant il y a des nations
maritimes, qui n'ont pas encore adhéré à cette déclaration.
314 LIVRE DEUXIÈME. § 162.
s'emparer, sur mer, des propriétés particulières ennemies qu'ils
rencontrent et les faire déclarer de bonne prise par des tri-
bunaux spéciaux. Dans cet état des choses, une question se
présente naturellement. La loi internationale maritime n'en con-
tient pas de plus importante. La question est double: Les pro-
priétés de l'un des belligérants peuvent -elles être transportées
par les navires neutres, sans être soumises à la confiscation de
la part de l'ennemi? La seconde partie de la question peut se
formuler ainsi: Les propriétés neutres chargées sur les navires
de l'un des belligérants, sont -elles confiscables, lorsque ce navire
est pris par l'autre belligérant? Cette question était inconnue
dans l'ancien monde. Les guerres maritimes ne furent le plus
souvent que des guerres de pirates, le commerce maritime fondé
sur des rapports fort simples, était privé encore des nombreux
rouages qui le mettent en mouvement et le répandent aujourd'hui
dans de nombreux canaux. Les contestations entre les belli-
gérants et les peuples pacifiques et alliés furent jugées par voie
d'arbitrages ou d'autres voies analogues. Quant aux peuples non
alliés, les belligérants ne se croyaient tenus envers eux en
aucune manière.1
Par suite du développement que la marine marchande et
les marines militaires ont reçu depuis le moyen âge, deux
systèmes se sont trouvés en présence.
Suivant le premier de ces systèmes, les belligérants ont le
droit de confisquer les propriétés ennemies même à bord des
navires neutres. La cargaison neutre, au contraire, qui se trouve
à bord de navires ennemis, reste propriété neutre, pourvu qu'elle
ne contienne pas de contrebande de guerre et qu'elle ne soit
pas prohibée autrement. Ce système n'est au fond qu'une appli-
cation par trop spécieuse de cette maxime suprême, source de
toute justice: „Suum cuique."
Le second système est l'opposé du précédent: Le pavillon
neutre couvre la cargaison ennemie. — Robe d'ami garantit
*) La question a été traitée d'une manière très -approfondie dans les
ouvrages suivants: Pôhls IV, § 518, p. 1112. Oke Manning p. 203—280.
Pando p. 472—484. Ortolan II, p. 74. Wildman II, p. 136. Hautefeuille
III, p. 195—426. de Kaltenborn, Seerocht. § 234.
§ 163. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 315
celle d'ennemi-, robe d'ennemi confisque celle d'ami; ou bien:
navire libre, marchandise libre; navire ennemi, marchandises
ennemies ; ou enfin : le pavillon couvre, ou le pavillon ne couvre
pas la marchandise, — voilà autant de manières figurées d'ex-
primer cette double solution.1
Le second système est le plus récent. C'est celui qui pro-
tège le commerce neutre d'une manière assez efficace contre
les molestations de toute espèce, inhérentes au premier. C'est
un premier pas fait dans la voie qui tend à mettre le commerce
neutre à l'abri des attaques des vaisseaux ennemis, et à ôter
ainsi à la guerre maritime son caractère de barbarie.
Déclaration du 16 avril 1856. § 2. Le pavillon neutre couvre
la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de
guerre. § 3. La marchandise neutre, à l'exception de la contre-
bande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi.
LE PAVILLON NE COUVRE PAS LA MARCHANDISE.
§ 163. Ce système fut celui du moyen âge. Il se trouve
dans le „Consolato del Mar", dont l'autorité était respectée dans
toute la Méditerranée occidentale.2 On le rencontre également
*) Free ship, free goods; enemy ships, enemy goods. — Frei Schiff,
frei Gut; unfrei Schiff, unfrei Griit.
2) Nous croyons devoir transcrire en entier le passage si important,
y relatif du Consolato, dans la traduction française (v. Pardessus, Collection
des lois marit. II, p. 303. C'est le chapitre 231, suivant d'autres manuscrits
276, 273 ou 264):
„ Lorsqu'un navire armé allant ou revenant, ou étant en course, ren-
contrera un navire marchand, si ce dernier appartient à des ennemis, ainsi
que sa cargaison, il est inutile d'en parler, parce que chacun est assez
instruit pour savoir ce qu'on doit faire, et, dans ce cas, il n'est pas néces-
saire de donner de règle.
Mais si le navire qui sera pris appartient à des amis, tandis que les
marchandises qu'il porte appartiennent à des ennemis, l'amiral du navire
armé peut forcer et contraindre le patron du navire qu'il aura pris à lui
apporter ce qui appartiendra aux ennemis, et même il peut l'obliger à le
garder jusqu'à ce qu'il soit en lieu de sûreté ; mais il faut pour cela que
l'amiral, ou un autre pour lui, ait amarré la navire pris à sa poupe en lieu
où il n'ait pas craint que des ennemis le lui enlèvent, à la charge néan-
moins pour l'amiral de payer au patron de ce navire tout le fret qu'il aurait
dû recevoir, s'il avait porté la cargaison là où il devait la décharger, ou
316 LIVRE DEUXIÈME. § 163.
dans plusieurs traités anciens et modernes.1 La pratique Ta
de la manière qui sera écrite sur le registre. Si, par événement, on ne
trouve point de registre, le patron doit être cru à son serment sur le
montant du fret.
Encore plus, si, par événement, lorsque l'amiral ou quelque autre
pour lui, sera en lieu où il puisse mettre la prise en sûreté, il veut que
le navire porte la marchandise confisquée, le patron ne peut s'y refuser.
Mais ils doivent faire une convention à cet égard, et, quelque convention
ou accord qui intervienne entre eux, il faut que l'amiral ou celui qui le
représente la tienne.
Si, par événement, il n'est fait entre eux aucune promesse ou con-
vention relativement au fret, il faut que l'amiral, ou celui qui le repré-
sente, paie au patron du navire qui aura porté dans le lieu qu'ils lui
auront prescrit les marchandises capturées, un fret égal à celui qu'un
autre navire devrait avoir pour des marchandises pareilles, et même davan-
tage, sans aucune contestation 5 bien entendu que ce paiement ne doit
être fait qu'après que le navire sera arrivé au lieu où l'amiral, ou celui
qui tient sa place, aura mis sa prise en sûreté, et que ce lieu, jusqu'auquel
il fera porter la prise, soit en pays d'amis.
Lorsque le patron du navire capturé ou quelques-uns des matelots
qui sont avec lui, disent qu'ils ont des effets qui leur appartiennent, si
ce sont des marchandises, ils ne doivent pas être crus à leur simple pa-
role; mais on doit s'en rapporter au registre du navire, si l'on en trouve
un. Si, par événement, on n'en trouve point, le patron ou les matelots
doivent affirmer la vérité de leur assertion. S'ils font serment que ces
marchandises leur appartiennent, l'amiral, ou celui qui le représente, doit
les délivrer sans aucune contestation, en ayant égard cependant à la bonne
réputation et à l'estime dont jouissent ceux qui prêteront ce serment et
réclameront les marchandises.
Si le patron capturé refuse de porter les marchandises ennemies qui
seront sur son navire, jusqu'à ce que ceux qui les auront prises soient
en lieu de sûreté, malgré l'ordre que l'amiral lui en donne, celui-ci peut
le couler à fond ou l'y faire couler, s'il le veut, sauf qu'il doit sauver
les personnes qui montent le navire; et aucune autorité ne peut lui en
demander compte, quelles que soient les demandes et plaintes qu'on lui en
fasse. Mais il faut entendre que toute la cargaison de ce navire, ou la
majeure partie, appartient à des ennemis.
Si le navire appartient à des ennemis et sa cargaison à des amis,
les marchands qui s'y trouvent et à qui la cargaison appartiendra en tout
ou en partie, doivent s'accorder avec l'amiral pour racheter à un prix
convenable, et comme ils pourront, ce navire qui est de bonne prise ; et
il doit leur offrir une composition ou pacte raisonnable sans leur faire
supporter aucune injustice. Mais si les marchands ne veulent pas faire
§ 163. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 317
reconnu comme règle fondamentale pendant fort longtemps.2
Enfin il a été professé par plusieurs des principaux publicistes
un accord avec l'amiral, celui-ci a le droit d'amariner le navire et de
l'envoyer au lieu où lui-même aura armé, et les marchands sont obligés
de payer le fret de ce navire de même que s'il avait porté leur cargaison
au lieu pour lequel elle était destinée, et rien de plus.
Si, par événement, les marchands éprouvent quelque lésion en raison
de la violence que l'amiral leur aura faite, celui-ci ne doit leur répondre
de rien, puisqu'ils n'ont pas voulu faire d'accord avec lui pour le rachat
de ce navire qui était de bonne prise, encore par une autre raison, parce que
souvent le navire vaut plus que les marchandises qu'il porte.
Mais cependant, si les marchands ont annoncé le désir de faire un
accord, comme il est déjà dit ci -dessus, et que l'amiral s'y soit refusé
par orgueil ou par esprit de jactance, et, comme il a été dit, emmène
avec les marchands la cargaison sur laquelle il n'avait aucun droit, ceux-ci
ne sont pas obligés de payer le fret, en tout ni en partie, à cet amiral:
au contraire, il est obligé de leur rendre et restituer tout le dommage
qu'ils éprouveront ou qu'ils auront possibilité d'éprouver par l'effet de
cette violence.
Mais lorsque le navire armé se trouve avec le navire capturé en un
lieu où les marchands ne pourraient pas réaliser l'accord qu'ils ont fait,
si ces marchands sont des hommes connus, et tels qu'il n'y ait point à
craindre l'inexécution de l'accord fait avec eux, l'amiral ne doit point
leur faire violence; et s'il leur fait violence, il est obligé de payer le
dommage qu'ils souffriront; mais si, par événement, les marchands ne
sont pas des gens connus ou ne peuvent pas payer le rachat, l'amiral
peut agir comme il a été dit.
1) Notamment dans un traité entre les villes de Pise et d'Arles (1221),
dans un traité entre Edouard III d'Angleterre et les villes maritimes de
Biscaye et des Castilles (1351), dans un autre entre le même souverain
et les villes de Lisbonne et d'Oporto (Pardessus, à l'endroit cité, et de Steck,
Handelsvertr. p. 211) ; ensuite dans les traités entre l'Angleterre avec les
pays suivants: la Bourgogne (1406), Gênes (1460), la Bretagne (1486), le
duché d'Autriche (1495), le Danemark (29 novembre 1669 art. 20). V.
Nau, Vôlkerseerecht. § 175.
2) Dans une lettre de Louis XI au roi de Sicile, qui se trouve dans
Leibnitz, Codex juris gentium prodrom. no. XVIII. il est question d'un
nusus in hoc occidentali mari indelebiliter observatus, res hostium et bona,
etiamsi infra amicorum aut confoederatorum trirèmes seu naves positae
sint, niai obstiterit securitas specialiter super hoc concessa, impune et
licite jure bellorum capi posse." Grotius, J. B. ac P. III, 1. 5. 4. note e}
parle d'une décision néerlandaise de 1438 en faveur de la liberté de mar-
chandises neutres à bord de navires ennemis.
318 LIVRE DEUXIÈME. § 164.
du xviiie siècle.1 En Angleterre et dans plusieurs autres pays
il a continué jusqu'à ce jour à être regardé comme la seule
règle véritable du droit international, à laquelle les traités seuls
permettent de déroger. La jurisprudence américaine enfin va
jusqu'à déclarer libre la cargaison neutre d'un bâtiment de guerre
ennemi, pourvu qu'elle ne contienne pas d'objets de contrebande
et que les propriétaires, lors de la capture du bâtiment, n'aient
opposé aucune résistance.2
Néanmoins ce système, en apparence si simple, n'avait pas
prévalu partout. En France notamment nous rencontrons une
maxime différente, proposée par de Mornac d'après l'analogie
du droit romain: „Robe d'ennemi confisque celle d'ami"; et
comme corollaire cette autre: „Le navire neutre qui porte des
marchandises ennemies, est confisqué." Il paraît que les parle-
ments ont refusé pendant longtemps d'appliquer ce dernier
principe. Néanmoins il se retrouve encore dans l'ordonnance de
la marine de 1681, et ce fut en 1744 seulement qu'il fut effacé
définitivement des lois françaises.8
LE PAVILLON COUVRE LA MARCHANDISE.
§ 164. L'application des anciennes règles que nous venons de
décrire, dans les guerres des grandes puissances maritimes, ainsi
que l'introduction de l'usage de délivrer des lettres de marque,
donnaient lieu à des plaintes incessantes de la part des peuples
pacifiques. Les belligérants, sur de simples soupçons, saisissaient
les navires neutres et les conduisaient dans leurs ports respec-
tifs, pour les soumettre au jugement des tribunaux chargés de
statuer sur la validité des prises. Les visites faites à cette
1) V. surtout les auteurs cités par Wheaton, Intern. Law. IV, 3,
§ 16 (19) et Histoire des progr. p. 56: Alb. Gentilis, Hisp. advoc. I, 27.
Grotius III, 6, 6 et 26. I, 5, note 6. Zouch, Jus fecial. II, 8, 5 et 6.
Bynkershoek, Quaest. 1, 13 et 14. Heineccius, De navium ob vectur. merc.
comm. II, 8 et 9. Robinson, Collectan. marit. p. 25. 26. 149. 171. 176.
Loccenius, De jure marit. II, 4. 12. Vattel III, 115.
2) Wheaton, Intern. Law. IV, 3, p. 176 suiv. t. II. (édit. franc, p. 112)
et p. 257, § 28 (édit. franc, p. 191, § 31).
3) Wheaton, Histoire, p. 61 et 142 (2e édit. p. 150. 253). Oke Man-
ning p. 203—280. Ortolan H, p. 74.
§ 164. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 319
occasion servaient souvent de prétextes pour entraver le com-
merce neutre. Les peuples pacifiques durent songer dès lors à
se garantir contre ces abus par des conventions spéciales, por-
tant en substance que les parties contractantes renonçaient à
la visite et à la saisie des navires respectifs dans le cas où
Tune d'elles se trouverait engagée dans une guerre maritime,
tandis que l'autre resterait neutre, pourvu qu'il ne s'agît pas
d'objets de contrebande. Le pavillon neutre dès lors devait cou-
vrir les propriétés ennemies, en même temps que des proprié-
tés neutres pouvaient être saisies à bord des navires ennemis.1
C'est la France surtout qui, dans ses déclarations officielles
comme dans ses décrets les plus célèbres, a formulé le prin-
cipe: „ Navire libre, marchandises libres," c'est-à-dire, le navire
libre rend libres les marchandises qu'il porte, quel que soit
leur propriétaire. Nous le rencontrons déjà dans les capitula-
tions conclues en 1604 par la France avec la Sublime Porte.2
Rarement on la voit d'une manière peu généreuse s'écarter de
ce principe à l'égard de quelques États faibles, par exemple,
des villes hanséatiques.8 Les Provinces-Unies des Pays-Bas ont
cherché également à introduire dans leurs traités de commerce
le système dont nous venons de parler. L'Angleterre au con-
traire n'a consenti qu'en de rares occasions à souscrire à un
système qui consacrait la liberté de la navigation neutre. Dans
le traité d'Utrecht (1713), et implicitement dans celui d'Aix-la-
Chapelle, elle accorda aux peuples neutres la liberté, ou pour
*) Wheaton, Histoire, p. 69. 144 (162. 254). Moshamm, Ueber die neue-
sten Ansichten, nach welchen die auf neutralen Schiffen geladenen Giiter
behandelt werden. Landshut 1808. Ferd. Conte Lucchesi-Palli, Principi
di diritto publ. maritime Napol. 1841, et Fumeaux, Abridged history
on the principal treatises of peace with référence to the question of the
neutral flag protecting the property of the Enemy. London 1837.
2) Flassan, Diplomatie française. I, p. 225 suiv. Les traités conclus
avec les autres puissances sont indiqués par Btisch, Bestreben der Vô'l-
ker etc. Hamburg 1800. p. 56 suiv. Le traité le plus récent est celui
conclu avec le Texas du 25 septembre 1839 art. 4. Nouveau Recueil,
t. XVI. p. 989.
3) Dans les traités de navigation du xvm« siècle entre la France et
les villes hanséatiques, et notamment celle de Hambourg, on retrouve la
maxime du Consolato del Mar. V. Nau, VOlkerseerecht. § 177.
320 LIVRE DEUXIÈME. § 164.
nous servir d'une locution des publicistes anglais, le privilège
de la navigation. Les puissances maritimes de l'Europe faisaient
également de nombreux efforts auprès des Etats barbaresques
en faveur de ce principe.1
Enfin les peuples du Nord se réunirent pour résister à
l'ambition démesurée de l'Angleterre, pour protéger le commerce
maritime de leurs sujets, et empêcher l'anéantissement de leur
marine marchande. Les traités auxquels la déclaration du 28 fé-
vrier 1780 servait de base, proclament d'une manière uniforme
le principe fondamental: que les effets appartenant aux sujets
des puissances en guerre, sont libres sur les vaisseaux neutres,
à l'exception des marchandises de contrebande; principe qui
doit s'appliquer désormais à toutes les nations qui n'en avaient
pas adopté de différents. Ces dispositions furent renouvelées
dans les traités constitutifs de la seconde neutralité armée (16
et 18 décembre 1800). La nouvelle ligue des États du Nord
ne fut pas de longue durée. L'Angleterre leur imposa le traité
célèbre, connu sous le nom de convention maritime de 1801.
La liberté du commerce neutre en temps de guerre est consa-
crée, les neutres peuvent naviguer librement de port à port sur
les côtes des belligérants. La contrebande de guerre est ex-
pressément limitée aux armes, munitions et attirail de guerre,
et ne comprend ni les vivres, ni l'argent, ni les munitions
navales. Cependant ce traité fournit à l'Angleterre de nouvelles
armes pour créer des entraves au commerce des neutres.2
Les États-Unis se sont montrés en général assez disposés
à inscrire dans leurs traités les deux principes combinés de la
politique commerciale moderne, que nous venons d'énoncer. Mais
ils se sont réservé expressément la faculté de ne les appliquer
qu'à la condition d'une réciprocité complète, sans laquelle en
effet ce système donnerait lieu à des complications nombreuses.
Le traité entre la Russie et l'Amérique du 22 juillet 1854 peut
être cité à cet égard comme un symptôme d'un sage progrès.8
L) Biisch, loc. cit. p. 242 suiv. Nau, Vôlkerseerecht. § 130.
2) de Martens, Nouv. Causes célèbres. II, p. 167. Wheaton, Histoire,
p. 316 (II, 86).
3) V. Augsburger Allgemeine Zeitung. 1855. no. 50. p. 792. — Les
traités conclus entre les États-Unis et les États de l' Amérique centrale
§ 164. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 321
D'ailleurs il va sans dire que la sanction du principe: Le
pavillon couvre la marchandise, n'implique pas nécessairement
celle de l'autre: Le pavillon ennemi confisque le chargement ami.
C'est ce qui est vrai encore dans le cas opposé.1 Il faut remar-
quer en outre que, dans les pays mêmes où le second principe
a été maintenu jusqu'à ce jour, on ne l'applique pas dans toute
sa rigueur, que notamment les marchandises neutres chargées
à bord de navires ennemis avant que la déclaration de guerre
ait été connue, ne sont pas sujettes à la confiscation.8
Tel a été l'état des choses au moment où le congrès de
Paris adoptait la déclaration du 16 avril. Il existait un certain
nombre de dispositions dispersées dans une foule de trai-
tés, mais qui étaient loin de présenter un caractère uniforme
et généralement reconnu. La principale puissance maritime a
toujours refusé de les reconnaître, ou du moins ne les admet-
tait qu'exceptionnellement en faveur de certaines nations. D'un
autre côté les dispositions du Consulat de la mer qui, jusqu'à
une époque fort récente, ont continué à être invoquées dans la
jurisprudence anglaise, avaient cessé depuis long-temps de for-
mer la loi commune de l'Europe. L'autorité même de plusieurs
publicistes très -considérables ne suffisait pas pour rendre au
Consulat une partie du terrain qu'il avait perdu. Quelquefois
les puissances maritimes de l'Europe en invoquaient encore les
dispositions; mais ce fut presque toujours par des considéra-
tions purement politiques et par suite de l'absence d'un système
commun.
La question relative aux droits des neutres se rattache
naturellement à celle qui a pour objet le droit de visite des
belligérants. C'est donc à l'occasion de l'examen de cette der-
nière question, que nous aurons à nous en occuper de nouveau.
et méridionale, depuis 1824, et ceux conclus avec la Prusse en 1790 et
en 1828, sont basés sur le principe de la réciprocité. Y. Wheaton, Hist.
p. 461. 462 (n, 55).
1) Jouffroy p. 197. Wheaton, Intern. Law. IV, 3, 20 (22).
2) Traité entre l'Angleterre et les Pays-Bas du 1 décembre 1674
(art. 8); entre la France et les États-Unis de 1778 (art. 14); entre les
Pays-Bas et les États-Unis du 8 octobre 1782 (art. 12).
21
322 UVKE DETXIÈXE. S 165.
Qu'il suffise de faire observer seulement que si les belligérants
ont chacun le droit incontestable d'enlever les propiétés enne-
mies partout où ils les trouvent il ne s'en soit aucunement qu'ils
puissent violer arbitrairement les droits des peuples pacifiques.
Le véritable noeud de la question se trouve dans la concilia-
tion de ces deux intérêts opposés.
CAS CONTROVERSÉS DV COMMERCE NEUTRE.
CAS LICITES.
§ 165. Il existe un certain nombre de cas dans lesquels
la liberté du commerce et de la navigation des peuples neutres
est devenue un objet de controverses internationales. Ce sont
notamment les suivants:
I. Le transport direct d'objets nécessaires aux besoins des
troupes de terre ou de mer dans les ports de l'un des belligé-
rants, et non compris parmi les objets de contrebande propre-
ment dits. La jurisprudence anglaise et américaine applique
ici les règles rigoureuses relatives à la contrebande jusqu a pro-
noncer la confiscation du navire.1 Au point de vue d'une stricte
justice, nous ne pouvons admettre que la simple saisie de ces
objets, ou bien un droit de préemption à leur égard.
IL Le cabotage des ports des belligérants. La neutralité
armée a cherché à introduire dans le code international, ainsi
que nous l'avons déjà observé, le principe que les vaisseaux
neutres peuvent naviguer librement de port en port sur les
côtes des nations en guerre. Rien en effet ne s'oppose à ce
que les sujets neutres puissent acheter librement des objets dans
un des ports des belligérants, pour les revendre dans un
autre. Cependant la pratique, et notamment la jurisprudence
anglaise, a refusé jusqu'à présent d'admettre ce principe, par le
motif que le cabotage pourrait facilement servir de prétexte
pour couvrir le commerce de contrebande. Par conséquent elle
admet seulement au profit des nations neutres, le commerce
des objets de provenance ou d'origine neutre dans les ports
ennemis. A l'égard des marchandises au contraire qui ont été
') Wheaton, Intern. Law. H, p. 219 (édit. franc, p. 166). Oke Man-
ning p. 289. de Kaltenborn II, p. 415.
§ 1G5. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 323
chargées dans un port ennemi pour être transportées dans un
autre port ennemi, elle a établi la présomption juris et de jure
qu'elles doivent être considérées comme ennemies. En ce cas
elle prononce la confiscation de la cargaison; non celle du na-
vire qui perd, seulement le fret acquis. La clause même in-
sérée dans beaucoup de traités, qui permet aux neutres de na-
viguer librement de port en port et sur les côtes des nations
en guerre, ne suffit pas pour écarter tous les doutes, notam-
ment en ce qui concerne la question de savoir si elle s'applique
également aux biens ennemis.1
III. Les commerces nouveaux, et spécialement le commerce
réservé des puissances belligérantes avec leurs établissements
respectifs d'outre -mer, ont encore été fort longtemps l'objet de
contestations entre les nations. La guerre peut -elle empêcher
l'un des belligérants de déclarer libres, au profit de tous les
peuples ou de quelques-uns d'entre eux, le commerce et la
navigation jusque-là réservés à ses propres sujets? Peut-elle
mettre obstacle à ce que les nations pacifiques acceptent ces
nouveaux débouchés et profitent des avantages qu'ils peuvent pré-
senter? Le cabinet de St. James l'a essayé à plusieurs reprises.
Il l'a tenté d'abord lors de la proclamation de la loi célèbre:
„Rule of the War" de 1756, sous prétexte que les licences ac-
cordées par la France pour le commerce avec ses colonies, pro-
fitaient exclusivement aux Hollandais. Les changements survenus
depuis dans le régime colonial ne font plus craindre le retour
de mesures semblables. Il est à remarquer que HUbner, dont
les opinions sont ordinairement si favorables à la cause des
neutres, leur a refusé cependant ce genre de commerce.2
*) Jouffroy p. 188 suiv. POhls IV, § 521 , p. 1137. Hautefeuille II,
p. 293. Des traités qui n'admettent pas le commerce de cabotage, sont
indiqués par Oke Manning p. 199. de Kaltenborn § 226.
2) »^e qui pourrait faire envisager ce commerce comme illicite,
dit -il, c'est que les mêmes peuples neutres ne le font jamais et n'osent
le faire en temps de paix; qu'il ne leur est ouvert qu'en temps de guerre
et à cause de la guerre; et qu'enfin, au rétablissement de la paix, ils en
sont derechef exclus, de telle sorte que le commerce des sujets d'un sou-
verain neutre avec les colonies d'un État qui est en guerre, paraît être
un objet du droit rigoureux de la guerre." (De la saisie des bâtiments
21*
324 • LIVRE DEUXIEME. § 166.
Les solutions indiquées ci -dessus sous II et III se justifient
comme étant une conséquence de la nature spéciale des guerres
maritimes. Ces guerres, ainsi que nous l'avons dit, ne se font
pas seulement d'État à État. Elles sont dirigées en même
temps contre les propriétés privées et contre le commerce des
sujets ennemis. Les peuples neutres qui se livrent à ce com-
merce, semblent ainsi en quelque sorte secourir l'un des com-
battants contre l'autre et lui porter des secours indirects. C'est
sans doute le motif, pourquoi les puissances maritimes ne se
sont pas opposées jusqu'à ce jour d'une manière plus efficace
à un usage si préjudiciable à leurs intérêts.
§ 166. Les branches licites du commerce auxquelles les
peuples pacifiques peuvent se livrer sans violer les devoirs de
neutralité, sont les suivantes : les assurances des navires et des
cargaisons appartenant aux sujets des belligérants;1 l'achat et
la vente de denrées et de marchandises qui ne sont pas des
objets de contrebande, et tant qu'elles ne sont pas devenues
propriétés ennemies; par suite les transports de marchandises
dans les ports ennemis, tant qu'elles n'y ont pas été vendues.
De même le commerce de commission est libre en temps de
guerre. Vouloir refuser aux neutres ce genre d'opérations, ce
serait supprimer une des branches les plus importantes du com-
merce moderne. Ceci est vrai surtout à l'égard des marchan-
dises envoyées d'un port neutre dans les ports de l'un des belli-
gérants, lors même que des avances ont été faites déjà par le
commissionnaire. Le commerce de commission fait d'un port
ennemi dans un port neutre pourrait plutôt donner lieu à des
doutes, par le motif que les marchandises expédiées sont encore
la propriété des sujets ennemis,2 laquelle, d'après la pratique
actuelle, est sujette à la confiscation. Seulement le commission-
naire neutre a droit aux avances par lui faites qui doivent lui
être remboursées.
neutres. I, 1, chap. 4, § 6). V. aussi Jouffroy p. 199. Wheaton, Histoire,
p. 157. Pôhls p. 1130 suiv. Oke Manning p. 195. Pando p. 547—556.
HautefeuiUe II, p. 274 suiv. de Kaltenbora § 227.
*) Moser, Vers. X, p. 324.
2) Mittermaier, Deutsches Privatr. § 562. — Jouffroy p. 185.
§ 167. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 325
Lorsqu'il s'agit d'un commerce direct fait entre les sujets
des belligérants et les sujets neutres, les conventions particu-
lières intervenues entre les parties, déterminent si les marchan-
dises continuent, jusqu'à la livraison, à rester la propriété du
vendeur, si par suite elles doivent être réputées ennemies ou
neutres. Mais rien ne s'oppose à ce que les sujets neutres
achètent librement des navires dans le territoire de l'un des
belligérants, pourvu que la vente soit faite „bona fidea et
qu'elle ne soit pas un acte purement simulé.1 Il est vrai que
sur ce point la jurisprudence anglaise et française se sont mon-
trées en général très -rigoureuses.2
Les peuples neutres ont de plus le droit incontestable de
faire le transport des propriétés de l'un des belligérants. A cet
égard ils doivent se conformer toutefois aux obligations résul-
tant du droit de blocus.
En ce qui concerne les objets de contrebande, la vente
faite aux belligérants en territoire neutre, ne saurait être con-
sidérée comme un acte illicite et contraire aux devoirs de la
neutralité; cela ne pourrait avoir lieu que par rapport à leur
transport en pays ennemi. Les gouvernements neutres ne doivent
donc pas tolérer que leurs sujets se livrent à des transports
de ce genre.3
DROIT DE VISITE (jUS VISITATIONIS).4
§ 167. Le principal moyen pratiqué gar les belligérants
dans le but de maintenir le commerce neutre dans ses limites
x) Jouffroy, p. 184, réclame en ce cas une liberté complète en faveur
des marchandises neutres. Il est à craindre malheureusement que ses
raisons ne suffisent pas pour triompher d'une pratique de guerre très-
rigoureuse.
2) Jouffroy p. 206. Jacobsen, Seerecht. p. 694. 741.
?) Pistoye et Duverdy I, p. 394. Ce principe a été respecté également
pendant la guerre d'Orient.
4) Pôhls IV, p. 527 suiv. Wheaton, Intern. Law. IV, 3. 19 suiv. Oke
Manning p. 350 suiv. Pando p. 549. Ortolan II, p. 202. Hautefeuille I,
p. 86. IV, p. 427 suiv. Wildman II, p. 119. „Rhigt of search" est peut-
être une expression trop absolue.
326 IAYRE DEUXIÈME. § 168.
nécessaires ou conventionnelles, c'est l'exercice du droit de
visite. Cest le droit qui appartient aux belligérants de faire
arrêter, soit par des bâtiments de l'Etat, soit par des navires
armés en commission, les navires rencontrés, de s'assurer
s'ils appartiennent réellement à la nation dont ils portent le
pavillon, et s'ils ont à bord des marchandises de contrebande
de guerre. Plusieurs publicistes d'une autorité considérable,
parmi lesquels nous nommons Hfibner en première ligne, ont,
vers le milieu du xviip siècle, contesté la légalité du droit de
visite, du moins sur la haute mer, ce droit étant attentatoire
à l'indépendance des peuples pacifiques.1 Sans prétendre nous
prononcer sur la valeur de ces objections, nous nous bornons
à établir ce fait incontestable, que toutes les puissances mari-
times qui disposaient de forces suffisantes, ont fait usage dans
leurs guerres d'un pouvoir, lequel, tant qu'il s'est renfermé dans
des limites raisonnables, n'a pas été sérieusement contesté, et
qui en même temps a servi de base à de nombreuses conven-
tions publiques. Déjà le Consulat de la mer atteste l'antiquité
d'un usage qui, par suite de l'infinité d'abus auxquels il a donné
lieu, a été l'objet des réclamations continuelles des nations neu-
tres.' Renfermé dans ses limites exactes, le droit de visite ne
porte aucune atteinte à leur indépendance et ne leur est nulle-
ment préjudiciable. Nous disons en conséquence que, dans
l'état actuel des choses, la visite est un moyen généralement
admis entre les belligérants, dont il est essentiel de définir le
but, les conditions et les limites, conformément aux usages établis
entre les nations.
§ 168. Le but de la visite est de reconnaître la nationalité
et la neutralité réelles du bâtiment rencontré, afin de pouvoir
s'en emparer s'il est ennemi, et l'empêcher de porter à l'ennemi
des objets de contrebande, lorsqu'il est neutre.
Le belligérant peut exercer la visite:
1° sur son propre territoire;
*) Les auteurs qui ont traité spécialement cette question, sont in-
diqués par Klfiber § 293 a. Leurs diverses opinions ont été discutées par
Jouffroy p. 213 suiv. Nau, Vôlkerseerecht. § 216.
2) Nau, Vôlkerseerecht. § 163. de Martens, Ueber Caper. § 21.
§ 168. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 327
2° sur le territoire de son adversaire, c'est-à-dire dans les
rades, ports et mers ennemis;
3° enfin sur la haute mer, la mer libre.
Martens prétend que les corsaires de l'un des belligérants
qui entrent dans les rivières ennemies, dans les espaces de
mer avoisinant les ports et marqués par des balises, et qui y
commettent des actes d'hostilité contre les navires y stationnés,
doivent être traités comme pirates. Nous nous sommes déjà
expliqué sur le peu de fondement de cette doctrine.1
La visite ne peut avoir lieu dans les eaux neutres, ni dans
celles des puissances alliées ou amies, sans le consentement
exprès ou tacite de ces dernières. Les prises faites dans les
eaux neutres doivent en conséquence être restituées sur la plainte
de la partie lésée.9
Sont sujets à la visite les navires de commerce rencontrés
en pleine mer et dont la destination pacifique, étrangère aux
opérations de guerre, n'est pas établie par des signes évidents
et incontestables. Les bâtiments de guerre ne sont pas soumis
à la visite, si leur nationalité est suffisamment constatée. Il
est à remarquer toutefois que leur pavillon ne fait pas néces-
sairement foi de leur nationalité.3 Les croiseurs belligérants
peuvent au contraire arrêter en pleine mer toute espèce de
transports dont l'innocuité n'est pas suffisamment établie, tant
par rapport à lenr chargement et à leur propriétaire, que par
rapport à leur provenance et à leur destination.
La visite a pour but spécial, d'abord:
1° de constater la propriété du navire et de la cargaison, et
de savoir si l'un ou l'autre n'appartiennent pas à l'ennemi;
2° de s'assurer si des personnes ennemies ne se trouvent pas
à bord du navire visité;
3° de s'assurer que le navire ne porte pas à l'ennemi des
objets de contrebande de guerre;
4° de l'empêcher de communiquer avec les lieux bloqués.
1) de Martens, Ueber Caper. § 18. V. ci- dessus p. 265. note 2.
2) Jacobsen, Seerecht. § 584. 585.
3) Les discussions qui ont eu lieu sur cette question, sont racontées
par de Martens, Erzàhlungen merkwtirdiger Fâlle. H, p. 1 suiv. V. aussi
Oke Manning p. 370. Pando p. 564.
328 LIVRE DEUXIÈME. § 169.
En conséquence la visite doit constater:
1° la nationalité du navire;
2° la qualité; l'origine et la destination de la cargaison;
3° la nationalité de l'équipage, lorsqu'elle ne résulte pas du
pavillon du navire, ainsi qu'il a été stipulé dans plusieurs
conventions conclues par la France. La plus récente de
ces conventions est celle conclue avec le Texas.
D'ailleurs la maxime même: Le pavillon couvre la mar-
chandise, ne suffira pas toujours pour empêcher les croiseurs
des helligérants de procéder à la visite des navires neutres.
Du moins il faudra leur permettre de s'assurer de leur natio-
nalité, et s'ils ne portent pas d'ohjets de contrebande.1
§ 169. Les personnes qui peuvent procéder régulièrement
à la visite des navires neutres sont celles pourvues de commis-
sions régulièrement délivrées par l'un des helligérants, les offi-
ciers des bâtiments de guerre, et en général les commandants
de forces navales, autorisés à cet effet.2
L'exercice du droit de visite a été réglementé surtout par
le traité des Pyrénées, dont les dispositions sur ce point sont
devenues en quelque sorte le droit maritime de l'Europe. Ces
dispositions ont pour objet: la semonce; la distance à laquelle
le croiseur doit se tenir; l'envoi d'un nombre limité d'hommes
à bord du navire neutre; l'examen des papiers de ce navire.
La semonce est un coup de canon tiré par le croiseur pour
avertir le navire en vue de son intention de le visiter. Ce der-
nier doit obéir à la semonce, s'arrêter et attendre la visite.
S'il ne le fait pas, il s'expose à s'y voir contraint par l'emploi
de la force. Le croiseur doit envoyer au navire visité une em-
barcation, et deux ou trois hommes seulement peuvent monter
à bord.8
La dernière formalité de la visite, la plus importante, est
1) V. à ce sujet les excellentes observations que contient le jugement
rendu par Sir William Scott dans une affaire de cette espèce dans Ro-
binson, Admirality Reports. I, p. 340. Wheaton, Intern. Law. II, p. 250
(édit. franc, p. 186).
2) V. surtout la convention conclue en 1801 entre l'Angleterre et les
puissances du nord, § 170.
8) de Martens, Ueber Caper. § 20. 21. Hautefeuille IV, p. 2.
§ 169. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 329
la vérification des papiers de bord. Les papiers qui peuvent
être consultés et qui seuls font foi, sont les suivants:
le passeport et les autres certificats d'origine du navire et
de la cargaison;
le connaissement et la charte -partie;
les rôles d'équipage;
enfin le journal du voyage.1
Si les traités n'indiquent pas d'une manière exacte l'état
des papiers dont un navire doit être porteur, il faut admettre
incontestablement toutes les pièces de nature à justifier de la
nationalité du navire et de l'innocuité de son chargement. Dans
tous les cas, des preuves subtiles et indirectes sont inadmissibles.
Les lois intérieures spéciales du croiseur belligérant doivent
toujours être interprétées en ce sens. Si le navire reconnu
neutre par sa nationalité est également trouvé neutre par sa
conduite, s'il ne porte chez l'ennemi aucun objet prohibé, le
croiseur doit se retirer et laisser le navire continuer sa route.
Tel est du moins le voeu des publicistes. Dans la pratique, à
la vérité, il n'en est pas toujours ainsi. Trop souvent, au lieu
de se borner à constater la nationalité du navire, par l'inspection
de ses papiers, et l'innocuité de sa cargaison, par la vérifica-
tion des factures et des connaissements, les croiseurs se livraient
à des recherches minutieuses et vexatoires. C'est la jurisprudence
française qui, guidée par les réquisitoires pleins d'équité de
Portalis, a la première proclamé des principes plus généreux.
Il faut regretter surtout l'extrême divergence que présentent les
dispositions des lois intérieures des diverses nations, felativement
aux modes de constater la nationalité des navires et des car-
gaisons. La jurisprudence anglaise notamment accorde ici une
importance exagérée à la formalité du serment.2
1) Sur les papiers à produire, sur les formalités à observer et sur
la jurisprudence anglaise et française à cet égard, on peut consulter avec
fruit Jacobsen, Seerecht. p. 22. 67. 87. 410 suiv. Pando p. 566.
2) Sur les formalités de la neutralisation et les nombreux abus on
peut consulter Pôhls IV, § 530, p. 1180 suiv. Hautefeuille IV, p. 27. 121.
III, p. 427. La jurisprudence anglaise est indiquée par Wildman II,
p. 84. 100.
330 LIVRE DEUXIÈME. § 170.
CONVOI DES NAVIRES NEUTRES.1
§ 170. Le bat de ta visite, ainsi que nous l'avons dit, est
de mettre le belligérant à même d'exercer son droit de guerre
sur les navires ennemis, d'empêcher qu'ils ne lui échappent à
la faveur d'un déguisement, et de mettre obstacle à ce qu'un
neutre porte de la contrebande chez l'ennemi. De bonne heure
on a dû songer à trouver un moyen qui, tout en répondant au
but principal de la visite, mette pourtant les navires neutres à
l'abri de vexations incessantes. Ce moyen consiste à faire na-
viguer les navires de commerce sous l'escorte de bâtiments de
guerre. L'usage en est très - ancien. Dès le moyen âge on faisait
escorter les navires marchands, pour les mettre à l'abri des
actes de piraterie et des excès de toute espèce, si fréquents
dans ces siècles de barbarie (v. § 174 ci -après). Mais ce fut
surtout vers le milieu du xvu« siècle que la question du convoi
des navires neutres prit une grande importance. Les Hollandais
firent alors de grands efforts pour faire inscrire dans le traité
conclu avec l'Angleterre en 1665, le principe que le privilège
du bâtiment de guerre devait s'étendre à tous les navires con-
voyés. Ils ne purent l'obtenir: l'Angleterre refusa de le recon-
naître. La question fut soulevée depuis lors dans les guerres
fréquentes entre les puissances maritimes de l'Europe. Pendant
la guerre de l'indépendance américaine elle reçut enfin une
espèce de solution. Les puissances neutres, coalisées pour le
maintien de leurs droits sous le nom de neutralité armée, dé-
clarèrent que la parole de l'officier commandant l'escorte du
convoi suffisait pour constater la nationalité des navires confiés
à sa protection et l'innocuité de leur chargement2 La lutte re-
1) V. Jouffroy p. 237 suiv. Nau, Vôlkerseerccht. § 169 suiv. Wheaton,
Histoire, p. 93 suiv. Pôhls p. 532. Oke Manning p. 355. Ortolan II, 215 suiv.
Hautefeuille I, 68. IV, 62.
2) de Martens, Ueber Caper. § 20. — Voici le texte complet de cette
déclaration, que nous transcrivons ici à cause de son importance:
„ Que la déclaration de l'officier commandant le vaisseau ou les vais-
seaux de la marine royale ou impériale, qui accompagneront le convoi
d'un ou de plusieurs bâtiments marchands, que son convoi n'a à bord
§ 170. DROIT INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE. 331
commença avec une nouvelle violence pendant les guerres de
la révolution française. Elle se termina par la convention mari-
time du 17 juin 1801, imposée par la Grande-Bretagne aux
aucune marchandise de contrebande, doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à
aucune visite sur son bord ni à celui des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à des sti-
pulations dictées par le désir des intéressés, de maintenir les droits im-
prescriptibles des nations neutres , et donner une nouvelle preuve de leur
loyauté et de leur amour pour la justice, les hautes parties contractantes
prennent ici l'engagement le plus formel, de renouveler les défenses les
plus sévères à leurs capitaines, soit de hautbord, soit de la marine mar-
chande, de charger, tenir, ou receler à leurs bords aucun des objets, qui,
aux termes de la présente convention, pourraient être réputés de contre-
bande, et de tenir respectivement la main à l'exécution des ordres qu'elles
feront publier dans leurs amirautés et partout où besoin sera, à l'effet de
quoi l'ordonnance, qui renouvellera cette défense sous les peines les plus
graves, sera imprimée à la suite du présent acte, pour qu'il n'en puisse
être prétendu cause d'ignorance.
Les hautes parties contractantes voulant encore prévenir tout sujet
de dissension à l'avenir en limitant le droit de visite des vaisseaux mar-
chands allant sous convoi, aux seuls cas où la puissance belligérante
pourrait essuyer un préjudice réel par l'abus du pavillon neutre, sont
convenues:
1. Que le droit de visiter les navires marchands appartenant aux sujets
de l'une des puissances contractantes et naviguant sous le convoi
d'un vaisseau de guerre de la dite puissance, ne sera exercé que
par les vaisseaux de guerre de la partie belligérante, et ne s'étendra
jamais aux armateurs, corsaires ou autres bâtiments, qui n'appar-
tiennent pas à la flotte impériale ou royale de leurs Majestés, mais
que leurs sujets auraient armés en guerre.
2. Que les propriétaires de tous les navires marchands appartenant
aux sujets de l'un des Souverains contractants, qui seront destinés à
aller sous convoi d'un vaisseau de guerre, seront tenus, avant qu'ils
ne reçoivent leurs instructions de navigation, de produire au com-
mandant du vaisseau de convoi leurs passeports et certificats ou
lettres de mer, dans la forme annexée au présent traité.
3. Que, lorsqu'un tel vaisseau de guerre, ayant sous convoi des navires
marchands, sera rencontré par un vaisseau ou des vaisseaux de
guerre de l'autre partie contractante qui se trouvera alors en état
de guerre, pour éviter tout désordre, on se tiendra hors de la portée
du canon, à moins que l'état de la mer ou le lieu de la rencontre
ne nécessite un plus grand rapprochement; et le commandant du
vaisseau de la puissance belligérante enverra une chaloupe à bord
332 UVRB DEUXIÈME. § 170.
puissances du Nord, laquelle soumit à une sorte de visite même
le bâtiment de guerre chargé de l'escorte.1
Jusqu'à présent les puissances maritimes n'ont pu se mettre
d'accord sur des règles communes : plusieurs traités qui avaient
consacré l'immunité des navires convoyés, ont été résiliés dans
le cours de notre siècle. Mais il faut considérer comme un
principe irrévocablement établi que les navires de commerce
neutres régulièrement visités avant leur départ et convoyés par
des bâtiments de guerre pourvus des papiers de bord néces-
saires, ne doivent pas être soumis à la visite des croiseurs bel-
du vaisseau de convoi, où il sera procédé réciproquement à la véri-
fication des papiers et certificats qui doivent constater, d'une part
que le vaisseau de guerre neutre est autorisé à prendre sous son
escorte tels ou tels vaisseaux marchands de sa nation, chargés de
telle cargaison et pour tel port; de l'autre part, que le vaisseau de
guerre de la partie belligérante appartient à la flotte impériale ou
royale de leurs Majestés.
4. Cette vérification faite, il n'y aura lieu à aucune visite, si les pa-
piers sont reconnus en règle, et s'il n'existe aucun motif valable de
suspicion. Dans le cas contraire, le commandant du vaisseau de
guerre neutre (y étant dûment requis par le commandant du vais-
seau ou des vaisseaux de la puissance belligérante) doit amener et
détenir son convoi pendant le temps nécessaire pour la visite des
bâtiments qui le composent; et il aura la faculté de nommer et de
déléguer un ou plusieurs officiers pour assister à la visite des dits
bâtiments, laquelle se fera en sa présence sur chaque bâtiment mar-
chand, conjointement avec un ou plusieurs officiers préposés par le
commandant du vaisseau de la partie belligérante.
5. S'il arrive que le commandant du vaisseau ou des vaisseaux de la
puissance en guerre, ayant examiné les papiers trouvés à bord, et
ayant interrogé le maître et l'équipage du vaisseau, apercevra des
raisons justes et suffisantes pour détenir le navire marchand , afin
de procéder à une recherche ultérieure, il notifiera cette intention
au commandant du vaisseau de convoi, qui aura le pouvoir d'or-
donner à un officier de rester à bord du navire ainsi détenu, et as-
sister à l'examen de la cause de sa détent