ê F
é^ar
'^^■'K
11
/^
«.- '•■,^
%g/'
%.
.v.'^îl
■C-^,r^
lèj^
/r c^
^ ce
I
\ A
fi.A
LES
SO:?CGES V\OLqATïQVES
DE
PANTAGRUEL
IMPRIMERIE LOUIS PERRIN
A LYON
Tiré à petit nombre.
LES
SONGES V\0Lc4TIQUES
PANTAGRUEL
OÙ font contenues pinfieurs figures de l'invention
de maiftre
FRANÇOIS RABELAIS
AVEC UNE INTRODUCTION ET DES REMARQ_UES
Par m. E. T.
Pc4%lS
LI BRAI RIE TROSS
M DCCC LXIX
LES SONGES DROLATIQUES
PANTAGRUEL
ABELAis était mort depuis douze ans, lorf-
que, en i ^6f , l'éditeur Richard Breton mit
au jour (i), à Paris, un mince petit volume
de format petit in-8° & contenant 120
figures grotefques, gravées fur bois des deux côtés
des feuillets & dépourvues de toute explication. Le
(i) Richard Breton éditait volontiers des colleftions de gra-
vures fur bois; il avait, en l'jôa, fait paraître le Recueil de la
diverjité des habits; les 121 figures font accompagnées chacune
d'un quatrain imprimé en curfive françaife. Cet ouvrage obtint
du fuccès ; de nouveaux tirages eurent lieu en 1 564 & en 1 $67.
Des exemplaires reliés en maroquin fe font payés ii'}, 155
&L 190 fr. aux ventes Yemeniz, Chedeau & Van der Helle.
titre eft celui-ci : Les Songes drolatiques de Pantagruel,
ou font contenues plufieurs figures de l'inuention demaiftre
François Rabelais; & dernière œuvre d'iceluy pour la
récréation des bons efprits.
On ne faurait attribuer à notre Hornère bouffon la
compofition de ces caricatures fingulières; peut-être
en a-t-il fuggéré l'idée; elles font l'œuvre d'un jirtiile
dont le nom eft demeuré inconnu &: qui s'était inf-
piré de la verve railleufe de l'hiftorien de Gargantua.
Le catalogue des livres appartenant au libraire
Lamy, vendus en 1806, offre, n° 3775", un recueil de
deffms à la plume : Les Songes drolatiques de Pan-
tagruel, de l'invention de maifire François Rabelais, in-
folio; ces deffins font au nombre de 122 & on les
préfente comme étant les originaux des gravures
publiées en iy6f. Nous ignorons malheureufement
ce qu'eft devenu ce recueil dont l'examen offrirait
fans doute un vif intérêt; le favant auteur du Manuel
du Libraire conftate que^ vers 1797, le libraire Salior
en avait fait ufage pour entreprendre une édition
nouvelle des Songes ; 60 planches furent gravées par
C.-N. Malapeau, dans le format petit in-4° ; M. Brunet
ajoute : « La fuite, à ce que l'on prétend, a été ter-
minée, mais non publiée. » Ces gravures de Mala-
peau font devenues très-rares ; elles rendent d'ailleurs
affez bien l'efprit des originaux; la pointe eft groffe,
mais légère & accentuée.
On connaît, du refte, plufieurs autres recueils an-
ciens de ces deffins à la fanguine, dont un fe trouve
Vl|
dans la riche colledion de M. Hippolyte Deftailleur.
Les Songes ont reparu, en 1823, dans l'édition de
Rabelais donnée par MM. Efmangart & Eloi Johan-
neau; ils en forment le neuvième volume. Chaque
figure eft accompagnée d'un texte explicatif.
On fait quel eft le fyftème des deux éditeurs que
nous venons de nommer; il conilfte à ne rien laiffer
fans une explication parfaitement pofitive & des plus
claires. Avec eux nulle difficulté , aucune incertitude ;
maître François a toujours Se fans aucune exception
eu en vue fes contemporains Se les événements dont
il avait été le témoin. Ses récits les plus fantaftiques
font une allufion continue; les deuxfavants commen-
tateurs en poiTèdent la clé, & jamais ils n'éprouvent
le moindre embarras ; les affirmations les plus tran-
chantes, parfois les plus inattendues, découlent de
leur plume, comme chofe évidente qu'il fuffit d'énon-
cer. Ces procédés font loin d'avoir obtenu un affen-
timent unanime; de vives critiques qui paraiffent
très-fondées ont été dirigées contre leur commen-
taire hiftorique; celui qu'ils confacrent aux Songes dro-
latiques foulève également des objedlions multipliées.
Prenons pour exemple la première figure des Son-
ges. Qu'eft-ce que ce frocard, vêtu d'une cloche,
ayant en tête une enfeigne de chef militaire? 11 a le
fabre au côté ; il eft à genoux devant une fortereffe
à créneaux, en forme d'un prie-dieu à roulettes, avec
lequel il paraît identifié & ne faire qu'un même
corps; une ceinture bien bouclée l'y attache.
Vllj
Les éditeurs de 1823 ne fe font pas arrêtés un feu!
moment devant cette énigme; ils voient dans cette
image étrange le pape Jules II, auquel la forterelTe de
la Mirandole, ornée d'attributs militaires, fert d'ora-
toire. « Ceft une allufion à fon hypocrifie & au fiége
« de cette ville, qu'il fit dans les rigueurs de l'hiver,
« à l'âge de foixante-dix ans & dans laquelle il entra
<( parla brèche. Ce prie-dieu roulant & en forme de
<c fortereffe montre clairement qu'il roulait pour ainfi
« dire avec lui l'oratoire & l'autel jufque dans fes
« expéditions militaires. »
Ceft encore le pape Jules 1 1 que défigne la figure 3 ;
fon cafque à aigrette, fon long fabre, l'arquebufe
qu'il a fur l'épaule font autant d'indices de fes goûts
belliqueux; fon manteau, difons mieux, fa chape, que
le vent fait voltiger, eft le fymbole de fon caradère
fougueux ôc violent.
Nous retrouvons ce pontife dans la figure n° 7 ;
fon corps eft couvert d'une écharpe en forme de
cloche; il a fur la tête, au lieu de tiare, une ruche
d'où fort un effaim d'abeilles; c'eft que « la tiare eft
<( une ruche dont les prêtres ôc les moines font les
<( abeilles laborieufes. » La fraife qui fe prolonge en
forme d'arc & qui fe termine en éperon, le petit cou-
teau pendu à la ceinture, autre allufion à l'humeur
turbulente du perfonnage. Les traits du vifage très-
accentués font hideux, &• la lèvre inférieure allongée
affede des proportions tracées par un crayon info-
lent.
IX
Il fallait que Rabelais en voulût bien à Jules II, car,
revenant fans celTe à la charge, il le prend encore
pour fujet de dix-huit autres caricatures, au dire de
MM. Efmangart & Johanneau. On peut fuppofer que
ces meffieurs, ne fâchant trop comment tout expli-
quer, fe font emparés des moindres traits qui pou-
vaient fournir lieu à une allufion aux travers que
l'hiftoire efl en droit de reprocher à ce pontife.
François P'" efl offert deux fois à nos railleries.
L'image n° fi montre un perfonnage de haute taille,
ayant aux pieds des éperons gigantefques ; une bavette
eft placée fous le menton ; une ample & large robe
de malade le couvre des pieds jufqu'à la tête ; elle eft
furmontée d'une aigrette ; il prend fa cuifTe gauche
des deux mains & il la foulève avec l'expreffion d'une
fouffrance aiguë. « C'eft évidemment le roi atteint du
w mal galant que lui donna la belle Ferronière. » 11 faut
reconnaître que le profil du perfonnage offre, dans
les dimenfions du nez, une reffemblance inconteftable
avec la phyfionomie de ce roi, mais il eft permis de ne
pas voir une allufion à la maladie qui le frappa dans
les deux vers des Fanfreluches antidatées que citent
les commentateurs :
« Le dos d'ung roy trop peu courtoys
« Poyvré fera foubs un habit d'ermite.
Le Gargantua parut en in^- r^^^is on a lieu de
croire qu'il avait été compofé depuis quelque temps;
il aurait donc fallu que maître François prédît l'évé-
X
nement feize ans à peu près à 1 avance. On eft en
droit cependant de faire obferver que, fâchant à qui
il avait affaire, il énonçait une fimpl-e conjeâ:ure;
l'événement eft: venu la juftifier.
Le n° 70 préfente une image fembiable, mais elle eft
tournée dans un fens différent ; même profil au nez
d'un développement caradériftique, mêmes éperons
gigantefques ; la tête eft couverte d'un long bonnet
de nuit; le corps eft enveloppé dans une houppe-
lande; l'expreffion eft celle de la douleur. Un arc
détendu placé au côté du malade femble aux com-
mentateurs l'emblème non équivoque de l'état humi-
liant auquel l'avaient réduit fes excès.
Dans les numéros 44 & <fo on peut voir Grand-
goufier, le père de Gargantua ; il preffe d'une main
une énorme marmite d'où fort une épaifl'e fumée, & de
l'autre main il porte une cuiller à fa bouche large-
ment entr'ouverte ; on le voit « mangeant fa part de
« trippes de 367014 beufs gras qu'il avoyt faid
« tuer; » plus loin, il tient un coutelas & fait un
gefte qui rappelle évidemment la propofition faite à
Gargamelle & que celle-ci fe hâte de repouffer. Les
éditeurs de 1823 ayant pofé en principe que Grand-
goufier eft le type de Louis XII, retrouvent ce roi
dans ces deux caricatures; mais, à coup fur, les allu-
mons échappent à l'analyfe la plus fubtile.
Rien de plus bizarre que la figure n° SI \ "os deux
favants interprètes la décrivent ainfi : « Perfonnage
« encamaillé & encapuchonné, à tête de jument fur-
» montée d'une aigrette & à deux corps réunis fous
M un même camail, préfentant fur le côté droit un
« écufTon chargé de trois befants d'or, ayant la
«< main droite gantée, royalement & en forme de main
«« de bénédicîlion, tenant de la gauche une verge &
« au bout un fceptre en pied de biche ou de bouc,
u fymbole de fa lubricité, pourvu d'un priape énorme
«< attaché au ventre avec des courroies & fupporté
M par une machine à roulettes, couple monflrueux,
« planté fur des jambes de des pieds de femme. « Dans
ces étranges fantaifies faut-il voir Diane de Poitiers ?
Faut-il, pour obtenir cette explication inattendue, ad-
mettre comme certain que c'efl elle que Rabelais avait
en vue lorfqu'il parlait de la grande jument que
« Fayoles, quart roy de Numidie, envoya de AfFri-
» que à Grandgoufier. » Bien des doutes fubiîfleront
à cet égard.
Quanta Henri II, MM. Efmangart & Johanneau ne
doutent pas que c'efl à ce prince que fe rapporte le
Pantagruel de maître François ; ils retrouvent Panta-
gruel dans fix des Songes drolatiques (n°* 2 3 , 2 5" , 46, f 3 ,
fy, 113); ils en tirent une conclufion fort naturelle,
mais tant foit peu conteftable, puifque les principes
qu'ils pofent ne font nullement démontrés. Ils n'ap-
puient leur dire que fur des confidérations tout à
fait arbitraires.
Charles-Qu'int ne pouvait échapper à l'ardeur de
nos interprètes; mais ils ne femblent pas avoir eu la
main heureufe dans le choix de l'image qu'ils lui affi-
XI)
gnent. C'eft le n» lo], perfonnage en forme de mar-
mite dont la fumée s'élève du fommet du couvercle,
lequel efl percé d'un couteau de cuifine âc dont il
fort à droite une main armée d'un couperet, & à gau-
che une autre main tenant un chapeau de forme poin-
tue, ainfi que des têtes de coq. Le puifTant empe-
reur n'abdiqua-t-il pas afin d'aller régner dans la
cuifme des moines du couvent de Saint-Juft? Les têtes
de coqs ne font-elles point une allufion aux Français
qui, en battant les troupes de l'empereur, le dégoû-
tèrent de la domination? Le liquide qui fort de la
marmite à flots preffés ne fignifie-t-il pas que les vaftes
projets, que les vi(floires du puifPant potentat s'en allè-
rent à vau-l'eau? Nous ne croyons point que l'auteur
des Songes ait été chercher des allufions auffi ingé-
nieufes; fes interprètes lui prêtent à coup fur une ma-
lice bien plus raffinée que celle qui l'infpirait.
Perfiflant dans leur fyflème de voir dans chacune
des I20 caricatures la reproduction grotefque &
exagérée des perfonnages qui figurent dans l'épopée
fatirique de maître François, nos interprètes décou-
vrent Panurge dans fix de ces images. Ils croient avoir
établi dans leur immenfe Commentaire hiftorique que
Panurge, c'efl le cardinal de Lorraine; ils font ainfi
fort à l'aife pour expliquer les figures n"* 47, 48,
p, 68, 76, 96; mais quant à ce qui concerne la pre-
mière, il efl aiîez difficile de reconnaître Panurge
dans ce perfonnage à figure hypocrite, à longues
oreilles, dont la réte creufe repréfente un bénitier, Se
Xll|
qui, aflis dans une forte de ftalle, un couteau à fon
côté, lève un goupillon dans fa main droite. Il n'y a
là, ce nousfemble, rien qui puiffe raifonnablementfe
rattacher d'une façon fpéciale à ce prince de l'Eglife,
fort peu édifiant à tous les points de vue & dont Bran-
tôme trace un portrait plus reffemblant fans doute
que féduifant (i).
La même obfervation s'applique au numéro 48 ;
cet individu, coiffé d'un immenfe chapeau rond,
dont les traits, les bras, font hideufement décharnés,
de qui ouvre un fac afin de laiffer tomber un-gros vo-
lume dans un puits, efl-ce le cardinal? Les indices
qu'on voudrait invoquer pour le reconnaître font
bien fugitifs, bien incertains.
Admettez que le frère Jean des Entommeures foit
le cardinal du Bellay, ce protecfleur de Rabelais ;
cherchez enfuite les caricatures que, par des rappro-
chements bien forcés, vous rattacherez à ce moine,
vous n'en rencontrerez pas moins de fix (n""' f , 6, 9,
41, 5*4, 77), mais tout ceci ne repofe que fur des
conjecHiures extrêmement hafardées.
Les interprètes prétendent que fix caricatures di-
(j) Un pamphlet célèbre &. dont le feul exemplaire connu a
été acquis au prix de i ,400 fr. pour le compte de la ville de Pari?,
à la vente de M. J. Ch. Brunet, VEpiJîre envoiee av tigre de la
France y adreffe à ce cardinal les reproches les plus fanglants.
On devra bientôt, nous l'efpérons, à M. Ch. Read, une réim-
preffion de cet écrit, où déborde une éloquence indignée &
qu'on attribue prefque avec certitude à François Hotman.
XIV
verfes (n°* 6i, 64, 6^, 66, 73 & 74) fe rapportent à
Corneille Agrippa • ce perfonnage fingulier, cet éru-
dit paradoxal & charlatan n'obtient dans les récits de
Rabelais qu'une mention affez fugitive; eft-il raifon-
nable de croire que le deffinateur eût voulu le repré-
fenter fous une demi-douzaine d'afpeds différents?
Ne fâchant fouvent à quels perfonnages hifloriques
rattacher les débauches de crayon qu'ils avaient fous
les yeux, les dodes commentateurs ont pris le parti
d'y voir l'image de quelques-unes des créations allé-
goriques qui fe jouent dans les récits de Rabelais.
Quarefme-Prenant leur femble retracé douze fois
(n°* 8, 16, 17, 18, 39, 40, rf, 69, 83, 8f, 93, 106);
Niphlefeth, la reine des Andouilles de l'île Farouche,
fe montre à deux reprifes (n°' 35" & 36); le perfon-
nage vigoureux & ventru, coiffé d'un bonnet de
cuifîne que furmonte un épi de blé & qui tient un
écumoire, c'eft Riflandouille. (Livre IV, chapitre 37.)
La figure n° 100, cet homme dont les traits indi-
quent la fureur, qui tient un poignard d'une main,
une torche de l'autre, c'eft Picrochole, ce roi de
Lerne, qui fut fi bien déconfit par Gargantua & qui
fe propofait de tout mettre à feu & à fang. On paraît
en droit de retrouver dans l'efpèce de marmite à face
humaine, tracée n° 22, Manduce, le dieu des Gaf-
trolâtres, « effigie monftrueufe, ayant la tête plus
« groffe que tout le relie du corps ; » il faut cepen-
dant avouer que fes « amples, larges & horrificques
« mafchoueres bien endentelées » font défaut, mais
XV
on les retrouve , planche 1 1 f , dans cet individu
qui n'eft que tête Se gueule, dont la coiffure figure un
énorme pâté, qui pofe un genou en terre & qui fe pré-
cipite fur une lèchefrite pour la lécher plus à fon aife.
Nous croyons, comme Charles Nodier, qu'il ne faut
pas étouifer les ingénieux badinages de Rabelais fous
des commentaires hiftoriques forcés & infipides. On
juge bien mal le redoutable fatirique du genre hu-
main en le réduifant aux proportions d'un libellifte.
Sa raillerie porte fur le monde entier, non fur les
mefquines intrigues de la cour. Il s'eft fans doute
exercé parfois fur le perfonnage contemporain, fur
l'anecdote du jour, mais ces allufions font difficiles à
précifer, car l'auteur les mêle à plaifir dans une foule
de circonftances qui déroutent le ledeur le plus at-
tentif. Il avait des motifs pour demeurer énigmatique.
L'ingénieux académicien que nous venons de
nommer obferve que les explications hifloriques
qu'on s'efl évertué à entaffer, repofent prefque tou-
tes fur des anachronifmes flagrants. <f II paraît main-
cf tenant inconteftable que le Gargantua fut compofé
'( dès ip8, époque où laducheffe d'Etampes n'avait
« que vingt ans, & le crédit de Diane de Poitiers ne
'( commença que vers 1^47, c'efl-à-dire longtemps
« après la publication des trois premiers livres où
« l'on veut qu'elle foit défignée. »
La critique plus judicieufe admet dans Rabelais des
allufions aux événements de l'époque, mais fans
fuite, fans fyflème fuivi avec une imperturbable té-
xvj
nacité^elle prend pour elle le confeil que donne
maître Alcofribas lui-même; elle fe garde bien de
« calfreter des allégories qui ne furent oncques fon-
ce gées. M Un écrivain ingénieux l'a dit avec raifon ;
il eft abfurde de voir dans Panurge le portrait de tel
évêque, de tel cardinal. « Panurge, c'efl Panurge
« lui-même, un perfonnage nouveau que Rabelais a
« mis au monde & que je reconnais quand je le ren-
« contre. Pour doter Panurge de tant de vices & de
K paffions diverfes, il fallait plus que le caradlère
« d'un prélat. Chacun, à la cour, donnait fa quote-
« part. Rabelais allait de l'un à l'autre : Monfeigneur,
« un peu de votre rancune, un peu de votre prodi-
« galité pour mon Panurge? — Monfieur, un peu de
(f votre infouciance & de votre génie d'intrigue > —
« Et vous, fire dodleur, un peu de votre érudi-
<f tion; c'eft pour mon Panurge; il s'en fervira pour
« amufer le public que vous ennuyez. Puis, rentré
« chez lui; & moi, difait Rabelais, ne donnerai-je
<c rien ? Alors, fe faifant fon examen de confcience,
« il trouvait chez lui quelque vice de bon aloi, le
<( goût de la table ou l'efprit de fatire, il le parta-
« geait de bonne grâce avec fon héros. »
C'eft à ce point de vue qu'il faut envifager les per-
fonnages de Rabelais ; on renonce alors à leur iden-
tification complète avec des individus du feizième
fiècle. Renchériffant fur les excentricités bouffonnes
du fatirique, le deffinateur s' eft laiffé aller aux char-
ges les plus outrées, les plus extravagantes, mais en
XVlj
même temps les plus fpirituelles en leur étrangeté.
Nous fommes tenté de croire que le public, en i fôf ,
n'y entendait pas malice & qu'il s'amufait naïvement &
fimplement de rafped: de ces figures monftrueufes :
nous ferions difpofé à les rapprocher des imagina-
tions d'un illuftre artifte efpagnol , de Francifco
Goya, qui, dans Tes CapricJws, dans fes Suenos, s'eft
plu à tracer parfois des images fantaftiques, des êtres
fadices dans lefquels on a voulu voir des allufions à
des perfonnages de la cour de Charles IV, allufions
réelles peut-être, mais dont le trait fatirique & aigu
refte plongé dans une obfcurité qui ouvre une large
carrière aux explications des interprètes décidés à
révéler ce que l'auteur avait foigneufement caché.
Obfervons auffi que des caricatures grotefques,
tout à fait dans le genre des Songes drolatiques, & par-
fois offrant avec eux une reffemblance des plus frap-
pantes, fe montrent dans quelques ouvrages anté-
rieurs à 1 fôy Se où Rabelais n'a rien à voir (i). C'eft ainfi
que le frontifpice des Devifes héroïques, de Claude Pa-
radin, mifes au jour dès iffy, offre des perfonnages
ayant les mêmes traits que ceux que Richard Breton
préfentait au public. Les couvertures cartonnées des
(i) On retrouve également bon nombre des figures grotef-
ques des Songes dans les bordures qui encadrent les vignettes
gravées fur bois, attribuées à Salomon Bernard, & qui décorent
la Métamorphofe d'Ovide publiée à Lyon, chez lan de Tournes,
en 1 5 5 7 . Ces vignettes ont été utilifées dans d'autres publications
de la même époque.
divers tomes qui compofent la traducflion allemande
de Rabelais, par le docfleur G. Régis, accompagnée
d'un très-long commentaire, font décorées de petites
figures, finement gravées, qui, parfois, reproduifent
exactement les planches fur bois de i féf .
L'édition originale des Songes drolatiques eft deve-
nue extrêmement rare; l'exemplaire que pofTède la
Bibliothèque impériale efl: incomplet d'un feuillet, ce
qui réduit le nombre des planches à 1 18; c'eft égale-
ment ce que contenait un autre exemplaire venant
de la belle coUedion Girardot de Prefond «Se payé
ifofr. à la vente Mac-Carthy, en 1816, Le Manuel du
Libraire indique d'autres adjudications : 41 1 fr., vente
Nodier; yyf fr., vente Solar. Depuis, nous en avons
noté trois autres : 30^ fr., vente Chedeau, en i86f ,
n° 827 ; yof fr., vente Yemeniz, en 186^, n° 2378;
i,5'oo fr., vente J.-Ch. Brunet, en 1868, n° 430;
c'était l'exemplaire Nodier. On voit ainfi que la va-
leur de ce petit recueil s'eft graduellement accrue
dans de fortes proportions. Il était devenu impoffible
aux amateurs de fe le procurer féparément; il fallait
fe réfigner à acquérir les neuf volumes de l'édition
Variorum. Nous avons voulu offrir à quelques curieux
les moyens de le placer dans leur cabinet, & nous
n'avons rien épargné pour que cette réimpreffion
obtînt les fuffrages des bibliophiles les plus délicats.
E. T.
LES
SONGES DROLA'
TIQVES DE PANTAGRVEL,
ou font contenues plufieurs figures
de l'inuention de maiftre Fran-
çois Rabelais: & derniè-
re œuure d'iceluy,
pour la récréation
des bons
elprits.
A PARIS,
Par Richard Breton, Rue S. laques,
à l'EfcreuifTe d'argent.
M. D. LXV.
AV LECTEUR SALVT.
A grande familiarité
que i'ay eue auec feu
Frâçois Rabelais m'a
incité (amy ledeur)
voire côtraint de met-
tre cefte dernière de
fes œuures en lumière
qui font, Les diuers fonges drolaticques
du trefexcellent, mirificque Pantagruel;
homme iadis tref-renommé à caufe de
fes faifts heroiques, comme les hiftoires
trefplufque véritables en fôt des difcours
admirables: qui eft la principale caufe
que ie n'ay (^pour euiter prolixité) voulu
en faire aucune mention, ains feulement
ie certifiray , côme en paffant , que ce font
figures d'vne aufsi eftrâge façon qu'il f en
pourroit trouuer par toute la terre, & ne
croy point que Panurge en ait iamaisveu
ne cogneu de plus admirables es pays ou
il a faiâ: n'agueres fes dernières nauiga-
tions. Or quant à vous faire vne ample
defcription des qualitez & eftats, i'ay
A 2
laifTé ce labeur à ceux qui ont verfé en
celle faculté & y font plus fuffifans que
moy: voire pour en déclarer le fens mi-
ftique ou allégorique, aufsi pour leur im-
pofer les noms, qui à chacun feroit conue
nable. le n'ay femblablement trouué
bon de faire vn long préface pour la re-
commandation de ce prefent œuure, ce-
la eft à faire à ceux qui veulent faire vo-
ler leur renommée parmy IVniuers: car
comme on dit en commun prouerbe,
quand le vin eft bon, il ne fault point de
bouchon à l'huis de la tauerne. le n'ay
voulu aufsi m'amufer à difcourir l'inten-
tion de l'autheur, tât à caufe que l'en fuis
incertain, que pour la grand difficulté qui
fe trouue à contenter tant d'efprits qui
font d'eux mefmes alTez lunatiques, i'e-
fpere toutesfois que plufieurs f y trouue-
ront fatisfaids: car celuy qui fera ref
ueur de fon naturel y trouuera dequoy
refuer, le melencolique dequoy fefiouir,
& le ioyeux dequoy rire, pour les biga-
retez qui y font contenues priant vn cha
cun d'eux de prendre le tout en bonne
part, l'afl'eurant que mettant ceft oeuure
en lumière, ie n'ay entendu aucun y eftre
taxé ne côpris de quelque eftat ou condi-
tion qu'il loit, ains feulement pour feruir
de pafle temps à la ieunefle, ioint aufsi
que plufîeurs bons elprits y pourrôt tirer
des inuentions tant pour faire croteftes ,
que pour eftablir mafcarades, ou pour
appliquer à ce qu'ils trouuerront que l'o-
cafion les incitera, voila à la vérité
qui m'a en partie induit ne laifler
euanouir ce petit labeur, te
priant affeAueufement le
receuoir d'aufsi bon
cueur qu'il t'eft
prefenté.
A 3
0^.^U%,^^
B 2
B3
D
D 2
E 2
E 4
F 2
F 4
G3
G4
G
G
G3
G
4
Imprimé par
W. DRUGULIN A LEIPZIG
pour la
LIBRAIRIE TROSS A PARIS.
M. DCCC. LXIX.
GETTY CENTER LIBRARY
3 3125 00130 0819
'M
i»
,^vi
12 -
l'fiiM^.
i'H
lË
1.^
r¥s
VS^^S
1^ #