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Full text of "Plaidoyer prononcé à la Tournelle-criminelle, le jeudi 19 mars 1789, par le sieur Bergasse, dans la cause du sieur Kornmann."

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I 


Casc 

Mho 


' PLAIDOYER 


PRONONCÉ 

A LA TOURNELLE 
CRIMINELLE, 


Le Jeudi Mars 

i 

Par le lîeur Bergassèj 
Dans la Caufe du Jieur KoRNMjiNNt 



1789. 


IHENWHiERRlf 

UBRARY^^ 




PLAIDOYER 


Prononcé à la Tournelle-Criminelle , le 
Jeudi Mars 1785 , par le jîeur 
Berçasse , dans la Cauje du Jieuc^ 
KoRnmann. 



ESSIEVRS; 


it faut donc que je me défende encore! 

■Youslavez dans quelles conjonâures j’aî entrepris 
la caufe du fieur Kornmann ^ comment à l’époque 
de Ibn a(Ià{Iinat , le voyant fans appui , fans fe- 
cours , dénué de toute efpece de confolation , le 
plus malheureux comme le plus perfécuté de tous 
les hommes , je me fuis décidé à partager fa fo- 
litude & fes dangers. 

^ ^ Vous favez comment, expofé depuis â ce que 
1 intrigue a de plus noir f la calomnie de plus 

Ai 


( 4 ) 

audacieux , la méchanceté de plus redoutable , de 
quelques menaces , de quelque féduâion , de que - 
ques manœuvres qu’on ait fait ufage , il a ete 
impoffible de me détourner un feul inftant du pro- 
jet que j’avois formé de le faire triompher de fes 

"nombreux ennemis. „ r r 

Vous favez encore à travers quelles üngulieres 
•révolutions , ,ne faifant pas une démarche que je 
ne rencontrafle un obftacle ; les événemens 
fur lefquels j’avois le plus compté , manquant à'cha- 
que inftant à ma prudence ; ayant quelquefois à 
braver toutes les autorités réunies pour me perdre ; 
toujours tranquille cependant , efpérant toujours alors 
même qu’il falloit efpérer le moins , j’ai amené 
jufqu’aux pieds de votre tribunal , l’infortuné qui , 
depuis fl long-tems , réclame avec tant de confiance 

& d’éclat, votre juftice. _ • 

Enfin , Meflieurs , vous n’avez point oublie , je 
' l’efpere au moins , quelle a été ma conduite dans 
ces circonftances mémorables où vous avez donne 
à la Nation de fi grands exemples de fermeté , de 
prudence & de patriotifme ; vous n’avez point ou- 
blié comment , vous prenant en tout pour modèles ; 
imitant autant qu’il m’étoit donné de le faire , votre 
dévouement & vos facrifices; n’écoutant comme 
vous que la voix impérieufe du devoir , je profitai , 
de concert avec le fieur Kornmann , des rapports 
qui exiftoient entre notre fituation particulière , & 
les deftinées publiques , pour parler , à votre exem- 
ple, au milieu de la diflblution de tous les princi- 
ï'es , le langage des loix & de la liberté , procla- 
'Lnt, ainfi que vous l’aviez fait, parmi les habi- 
tudes du defpotifme , & au fein de fes plus for- 
midables vengeances , ces grandes ventes . defquelles 
réfultent comme des conféquences infaillibles , le 
tvftême conftitutif des fociétés , & les droits du 
genre humain qui ne peuvent pas mourir. 


Tous ces faits font connus , & il faut que je me, 

défende encore] ^ 

Et il s’ett trouvé dans un ordre juftemcnt eltime 
par fes lumières , & â caufe des exemples de co^ 
rage & de patriotifme qu’il a donnés aum 
en plus d’une occaflon mémorable , il s eft trouvé 
quatre hommes , dirai-je afîez hardis , ou affez im- 
prudens (i) , pour ofer m’accufer en votre prefence, 
& m’obliger à juftifier aux pieds de votre tribunal , 
une conduite conftamment noble & genereufe^ avec les 
mêmes foins qu’on employeroit a juftifier une con- 
duite criminelle ! 

Et pendant fept audiences j’ai demeuré devant 
eux , écoutant avec une patience bien étrange tout 
ce que la méchanceté humaine peut inventer ae 
menfonges , de fophifmes , de calomnies , pour dé- 
naturer les allions les plus fimples , pour créer des 
motifs malhonnêtes aux adions les pins pures , pour 
faire regarder , dans leur inconcevable délire, 
comme un axiome inconteftable ^ cette idee 
aufti affligeante que faufte : qu’il n’y a pas de vertu 
qu’un intérêt prejque toujours odieux ne puijje pro-^ 
duire y pas de mouvement , même héroïque , ^ont 
on ne puijfe trouver la caufe dans une affection 
perverfe , ou une volonté corrompue. ^ . 

Et d’après cet odieux fyftême , je les ai vus com- 
biner entre eux tous les moyens de me faire perdre 
î’eftime publique , que j’ai malheureufement obte- 
nue ; car , je vois bien que c’eft un malheur que 
d’obtenir l’eftime publique à un certain dégré : & 
fans pudeur , comme fans mefure , dans ce fanc- 


(i) Me. Bonnet, avocat de la dame Koinmann, 

Me. La' Malle, avocat du fieut Daudet. 

Me. Rimbert , avocat du fieur de Beaumarchaîs, 

Me Martineau , avocat du prince de Naflau. 

Il eft impoflible de fe former une idée des injures gro-ffieres que 
ees q^uatre avocats m’ont prodiguées, 

A 3 


tuaîrè oh nëgent les Magiftrats que je me fuis ef- 
forcé de prendre pour modèles , fous les yeux de 
(pe peuple pour lequel vous m^avez appris â me 
dévouer , folHciter à grands cris ma condamnation 
& ma honte. 

Eh bien ! qu’eft-ce qu’ils me reprochent ? Puif^ 
qu’après tant de travaux entrepris pour faire triom- 
pher la caufe des mœqrs & de l’humanité , c’eit à 
des reproches qu’il me faut répondre ! 

Us n’exigeront pas , fans doute , que Je nioccupe 
férieufemerit de d’imputation qu’ils m’ont faite, & 
qu’ils ont répété jurqu’à’ la fatiété , que c’eft le de- 
fir d’une vaine célébrité , qui , me faifant tout-à- 
coup fortir de mon repos & de ma folitude , m’a 
déterminé à entreprendre la caufe du fieur Korn- 
msnn. 

S’ils n’ont vu dans mes mémoires que les pro- 
durions d’un efprit ambitieux , s’ils ont véritable- 
ment penfé qu’avec les feules refïburces d’une ima- 
gination vive & forte , fans que la vérité fût mon 
guide, il m’étoit poflible de les écrire; que leur 
dirais-je ? Et pourquoi entreprendrais-je de détruire 
en eux une opinion qui feroit -moins alors de leur 
part l’effet de la réflexion , que le réfultat nécefl’aire 
d’une organifatipn malheureufe? 

Si , au contraire à l’exemple de tous ceux qui ont 
îu ces Mémoires , devenus t'rop fameux, ils ont compris 
que je n’avois pu les compofer, fans m’abandonner 
I tous les mouvemens d’une ame profondément émne^ 
s’ils pe peuvent fe diflîmuler qu’une ame profondé-. 
ment éniue eft toujours franche , toujours finçere ^ 
s’ils favent comme moi qu’il y a un langage que l’eft 
prit réduit à fes feuls moyens , que l’imagination 
même la plus brillante avec toutes fes reffources 
n’imitera jamais ; que leur dirai- je encore? & pourquoi 
Youdroit-on que ^ fur un objet de fl foible impor- 
i|nce J je m’arrétaffe péniblement â leur prouver qu’il^ 


ont conftamment parlé contre leur penfée , & que fi 
le befoin de leur caufe ne les y avoit pas contraint , ils 
enflent porté , fur ce que J’ai j’ai fait , un jugement 
moins févere. 

Je laifle donc-Iâ , une fois pour toutes , cette im- 
putation vague & fans motif, j’arrive aux feuls re- 
proches que j’aye quelque intérêt à détruire. 

Ces reproches fe réduifent à deux. 

S’il faut les croire, en défendant le fleur Kornmann,' 
je favois que je ne défendois qu’un coupable ; en 
accufant la dame Kornmann ,, je favois que j’accufois 
une femme innocente ; & pour prouver cette étrange 
propofltion , ils ont produit des billets écrits par 
moi à Me Fournel, defquels billets il réfulte , à ce qu’ils; 
prétendent , que je ne croyois en aucune maniera 
aux délits, que j’imputois à la dame Kornmann , puifqua 
j’y offre non-feulement de la réconcilier avec fon 
mari , fl elle veut fe féparer publiquement des hommes 
que nous accufons de Pavoir corrompue , mais que 
je m’y engage même en quelque forte , cette fépa- 
ration obtenue , à lui faciliter les moyens de fe juftifier-, 
Voilà leur premier reproche. 

S’il faut les croire encore , je n’ai pu, fans une per- 
verflté dont il y a peu d’exemple ( ce font leurs ter- 
mes ) parler du Prince & de la Princeffe de Naflàii 
comme Je l’ai fait , manifefter fur leur conduite des 
foupçons qui les outragent , leur faire jouer un rôle 
indécent dans une affaire â laquelle , ainfl que le fleur 
tje Beaumarchais , ils. n’ont pris part que pour obéir 
aux mouvemens de la fenflbilité la plus refpedable 
& la plus pure ; &, en conféquence , vous les 
avez vu, commenter à leur maniéré , c’efl-â-dire.^ 
en invectivant fans cefle , & en ne raifonnant ja- 
mais , le peu. de mots qui me font échappés dan^ 
deux de mes mémoires fur le prince & la pHn- 
cefle de Naffau , & conclure de leur commentaire,, 
g la çonfirniation du décret d’ajournement perfoix^ 


. . , ( s ) 

neî qne le prince de Naffau a obtenu contre moi. 
Voilà leur fécond reproche. 

Je reviens fur le premier reproche. 

Vous favez maintenant , MeÔieurs , ce que vous 
«levez penfer du fieur Kornmann & de fon ëpoufe; 
îi mes Mémoires n’ont pas fuifïi .pour démontrer 
l’innocence de l’un , la 4:onduite conftamment cri- 
minelle de l’antre ; s’îl reftoit encore quelques nua-» 
ges â didiper dans cette caufe , & quelques fantô-» 
mes â combattre , grâce aux rares talens de notre 
^éfenfeur (î) , â l’ordre dans lequel il vous a préfenté 
le vafte fyftéme de faits & de moyens dont il avoit 
à vous rendre compte, à l’éloquence impofante &: 
fiere avec lequelle il a rcpoiiiTé les objedions tou^ 
jours foibles & toujours foiblement expofées de nos^ 
acîverfàires , il me femble qu’aujourd’hui vous n’a-? 
yez plus de doutes à former. 

Pour vous , comme pour moi , comme pour ce 
public qui m’écoute, le plus infortuné de tous les 
hommes , & celui qui a le moins mérité fes mal?’ 
lieiirs, eft incontedablement le fieur Kornmann ; & 
s’il faut appeîler auffi infortunée la dame Korn- 
snann , ce n’eft certes, pas parce qu’elle eft inno- 
cente, mais feulement parce que , malgré fes 
erreurs , on ne peut fe défendre de quelque pitié , 
en fongeant à la deftinée , qui fera déformais fon 
partage. 

Il n’a donc pas dû exifter , dans le cours de cette affaire, 
un feuî înftant où j’aye pu penfer que la dame Kprn-? 
mann n’étoit pas criminelle. 

Mais alors que {Ignifient les billets que j’ai écrits à 
Me. Fournçl ? Pourquoi y promets-je d’aller au feçours 
de fa dame Kornmann ? pourquoi y vais - je meme 
jurqii’s-^dire que fi elle fait ce que j’exige d’çUç , je m’oç« 
cuperai de fa juftification ? 

(i) Mç. 


. ^ 9 ) . .. ... 

Malheureurement je ne puis m’expliquer ici Hins 

rendre compte de quelques circonftances encore incon- 
nues , que j’aurois bien voulu pouvoir difîimuler tou- 
jours , mais fur lefquelles mon honneur trop publique- 
ment offenfé , ne me permet plus de garder le filence. 

levons prie , Meflieurs , de m’écouter avec quelque 
attention. 

Me. Fournel, dans le cabinet duquel fe font fi à 
propos retrouvé les billets dont on a cherché à fe pré- 
valoir contre moi dans cette audience , a été non- 
feulement le confeil , mais l’ami du fieur Kornmann, 

C’eft d’après fon avis , & en conféquence même de fes 
prefiantes follicitations , que le fieur Kornmann a rendu 
plainte contre fon époufe ; c’efi: même lui qui a rédigé 
cette plainte ( j’en puis fournir une preuve écrite de 
fa main ) (i) , & qui a confeillé l’information qui l’a 
fuivie. 

Or, voici ^ maintenant, Meffieurs, ce qu’il vous 
importe d’apprendre. 

A l’époque de l’aflaffinat du fieur Kornmann , bien 
que j’eufie formé la réfoliition de ne le plus quitter 
jufqu’â ce’ que je l’eufie arraché à l’alFrenx fyftême de 
perfécution dont il avoir failli devenir la vidime , il 
ne me vint pas d’abord dans le penfée d’écrire pour le 
défendre. 

Cette tâche me parut ne devoir regarder que Meu 
Fournel , & ce ne fut que parce qu’il trouva bon que 
je m’en chargeafie , que je me déterminai à k remplir. 

Nous convînmes enfemble que je ferois un Mémoire 
pour le fieur Kornmann , où je ne difiimulerois aucun 
des faits graves que celui-ci avoir à raconter , & que 
lui Me. Fournel accompagneroit ce Mémoire d’une 
Confultation lumineufe , comme il difoit alors , où , 


{i) J’ai la minute de cette plainte écrite de la main de Me Fournel , 
comme anflfî d autres conrultaçionspour iç tieur Kornmann , ou écti-» 
fçs e\i fignécs par lui. 


faîfant fentîr tonte l’importance de PafFaîre qui y 
éfoit traitée , il porteroit jufqu’à l’évidence la démonl^ 
tration des délits que le fleur Kornmann imputoit à lès 
adverfaires , & la légitimité des accufations qu’il leur 
avoit intentées. 

J’écrivis , en conféquence , mon premier Mémoire, 

Quand il fut achevé , je le fournis aux lumières de 
Mie. FourneL II approuva la maniéré dont il étoit 
écrit; mais il blâma fortement la modération avec 
laquelle j’y parlois de la dame Kornmann. Si je 
Pavois cru , j’aurois dû la traiter fans ménagement , 
oradérifer fes fautes avec févérité , & au lieu de la 
préfenter au public comme un objet fait pour l’inté- 
refîèr encore , malgré fes nornbreufes erreurs ^ la dé- 
vouer avec éclat au mépris des gens de bien qu’elle 
îi’avoit que trop mérité , & â la vengeance toujours 
trop tardive des Loix , â laquelle , féduît par une faulfe 
pitié 5 je cherchois mal-à-propos à la fouftraire (i). 

Il me fut irnpofîible d’adopter l’opinion de Me,, 
FourneL Je favois mieux que perfonne combien la 
dame Kornmann étoit coupable ; mais il me parut 
dur de brifer , fans retour , les liens qui Pattachoient. 
à fes enfanç. J’ainiois. mieux lui fuppofer des fentimens. 


(i) Je me rap.pelle, qu’à cette époque. Me. Fourncl ne ceffait de>, 
me d'ire que ma modération ne pourroit que faire le plus grand tort 
à l’aiFaiïc du fieur Kornmann , gc que lî je ne m’élevois avec toute 
Férsergie dont j’étois capable contre la dame Kornmann , je n^’ôterois^ 
le droit de pourfuivre avec vigueur fes complices. On a vu ce même 
fyflême , tout ridicule qu’il eft , développé à Paudienc© par le défen- 
feur de la, dame Kornmann , qui a pris beaucoup de renfeignemeng, 
de Me. Fournel , & j’avoue que ce pas été fans une grande fiir- 
prife , que j’ai entendu cçt homme foutenir qu’il fàlloit donc que 
la dame Kornmann ne fât pas coupable , puifquç je n’avois jamais, 
parlé d’eïlc qu’avec ménagement ^ comme fi on ne pouvoir parler 
^vec ménagement d’un coupable puij conclure de nette propofition 
extravagante que , puifquelle n’etoit pas coupable , elle n’avoit donc 
p^s de complice , & enfin entreprendre de me prouver que fi jt’avois. 
attaqué M. le Noir & les fieurs* Daudet & Beaumarchais , ce n’avoiç 
été “uniquement que parce qu’un jour , fans doute, où je m’en- 
imyois de mon oifîveté , je m’étios mis dans la tête de faire beaucoU;^, 
de bruit à leurs dépcns.On a férieufement dit tQU.t.es ces çU©fe^ 


/ 


gne , depuis long-tems , elle n^avoît pas , & je trouvai 
préférable de lui ménager de loin ^ par Ja maniéré 
dont je rendois compte de fes fautes , les reflôurces 
d’un aveu noble & d’un falutaire repentir. 

Me. Fournel tint à fon avis : je ne pus abandonner 
îe mien. Les chofes allèrent fi loin , que je déclarai que 
ne yoLiîoit pas adopter mon Mémoire tel que je 
î avois compofé, je fouliaitois n’étre cité en aucune 
maniéré dans l’affaire. J’ajoutai de plus que n^attachant 
aucune importance à cet ouvrage , je le priois d’en 
lîfer ainfi que de fon bien propre , & d’en tirer ^ 
cpmme d’un canevas informe , des matériaux pour 
récompofer un écrit plus conforme à fes vues. 

. Mon Mémoire en effet , fut porté , dans ce defîèin J 
chez Me. Fournel. 

Je ne dois p^s omettre ici que durant le cours de ces 
difcufîîons , Me. Fournel ne pouvant fupporter les 
délais que M, le Procureur du Roi apportoit â donner 
des conclufions fur l’information à laquelle il avoitété 
procédé contre la dame Kornmann , voulut abfolu- 
ment qu’on lui fit des fommations judiciaires pour l’y 
contraindre , & qn’i} rédigea lui-même ces fommations. 

Je ne dois pas omettre encore que ce fut aufii par 
le çonfeil de Me. Fpurnel, que le fieur Kornmann, 
diftinguant le fieur de Beaumarchais de tous les com- 
plices du fieur Daudet rendit une plainte fpéciale 
contre lui. (i) 

Ainfi , comme on le voit , aucune démarche efien- 
tielle ne s’eft faite en cette affaire , qu’elle n’ait été , 
en quelque forte , commandée par Me. Fournel. 

Cependant le brui? fe répandit que j’avois compofé 
lin Mémoire dans la caufe du fieur Kornmann , pu 
lyl. le Noir n’étoit pas bien traité. 


(i) Je dirai plus bas , dans une note , ce qui s’eft pafle entre Me 
Vournel ôc le lîe«r Konimann, au fujct de la plainte contre le fieur 
fie JSçauîiiarphais, • t v . 


( 12 . ) 

Alors s’ouvrîrent , cliez M. le Procureur du Roî 
ces conférences fameufes , dont on a tant parlé, con- 
férences quijn’avoient pour objet que de fouttraire 
M. le Noir au danger qui le menaçoit ; Me. Four- 
nel fut invité à s’y trouver , & il nous prévint qu’il 
ne pouvoit fe difpenfer de s’y rendre. 

II faut bien le dire ; dès ce moment Me. Fournel ne 
, nous parut plus le même. Il trouvoit toujours l’affaire 
du fieur Kornmann excellente au fond ; mais le fuccès, 
difoit-il , commençoit à lui en paroître problématique j 
la dame Kornmann étoit encore jeune & jolie, & que ne 
pouvoit pas, dans une ville de corruption & d’intrigue, 
pour fe fouftraire ^ l’empire des loix, une femme accou- 
tumée à féduire, & , dans cet âge encore où , en faveur 
des agrémens , 6n pardonne fi facilement les erreurs ; 
M. le Noir fur-tout étoit tout puiffant. On connoifîbit 
fes liaifons , fon crédit , le grand nombre de perfonnes 
de la Cour qu’il avoit obligées , fes reffources pour 
nuire , fes 'moyens pour fe garantir des coups qu’on 
Çouvoit lui porter ; nous étions feuls , nous étions 
toibles , & qu’étoît-ce que la foljtude & la foiblefie 
contre toutes les efpeces d’autorité réunies pour pro- 
téger un coupable? 

Malheureufement , il efi împoflible d’obtenir quel- 
que chofe de moi par la crainte. Ces diverfes rai- 
fons ne firent aucune imprelïion fur mon elprit. 
Pour toute réponfe , je demandai mon mémoire , & 
à quelque tems de-là je le fis imprimer. 

Je fupprime â deffein des détails curieux fur la 
manière dont ce mémoire a été imprimé , & fur 
les précautions qu’il nous a fallu prendre pour qu’on 
ne devinât pas le lieu de l’impreffion , fur une trahi- 
fon qui nous fut faite au moment même où l’im- 
preflion du mémoire étoit achevée , trahifon qut 
faillit fendre toute notre prudence inutile , fur l’or- 
dre qui fut donné en conféquence , par M. le Garde 
des Sceaux , pour arrêter & nos perfonnes & no- 




fre écrit, fur l’adrefTe avec laquelle nous nous 
rantîmes de TefFet de cet ordre , toujours pourfuivis , 
jamais atteints , & nous jouant avec une facilité & 
un courage peut-être fans exemple , des obftacles 
de tout genre qu’on multiplioit à chaque inftant fur 
nos pas. 

Me. Fournel eft loin de fe douter que j’ai des preu- 
ves écrites du rôle , pour le moins bien étrange , 
qu’il a joué dans des circonftances fî périlleufes pour 
nous, & qu’il ne nie feroit pas difficile de démon- 
trer qu’il en avoit un plus honorable â remplirai) 


(i) Il faut dire un mot de ce rôle & rendre compte de U trahifon 
dont je viens de parler tout - à - l’heure j’avais cru devoir , pat 
ménagement pour Mc Fournel , dillimuler ici toutes ces chofes. 
J’avois même porté la modération jufqu’à ne pas vouloir faire 
imprimer mon plaidoyer, principalement parce que j’ai fenti que jo 
ne pouvois le publier , fans faire à Mc Fournel un tort irréparable j 
mais les propos indécens qu’il tient , & ceux qu’il a fait tenir à la 
dernière audience par le défenfeur de la dame Kornmann , m’ap- 
prennent qu’il y auroit de l’imprudence à le diftinguer plus long- 
teras de la troupe d’hommes méprifabies auxquelles il s’eft trop 
înconlidérément affocié , & qu’il a fi mal - à - propos entrepris de 
iervir , en fe rendant coupable , à notre égard , de l’abus de con- 
fiance le plus criminel. 

Or, voici ce dont il s’agit. Le fieur Kornmann , prêt à fe rendre 
dans la ville où l’on imprimoit mon Mémoire, eut l'imprudence de 
confier fon fecret à Me Fournel. Celui-ci n’en fut pas plutôt poflef- 
feur, qu’il chercha les moyens d’en inftruire M. le Noir. Et pouc 
cela , ne voulant pas fe compromettre , en lui écrivant de fa propre 
main, il fe rendit au Palais , ôc y difta , à un des Ecrivains qui s’y 
lalfemblent un billet à fon adrelTe , où il Tinfiruifoit de tout ce qüi 
fe paflbit. 

Muni de ce billet , M. le Noir alla trouver M. le Garde des Sceaux» 
qui, depuis , a rapporté à Bâville , au fieur Kornmann lui-même 
qu’il fi'avoit pu fe difpenfer , d’après l’indication très-prccife jque lui 
avoit donnée M, le Noir , du lieu où nous faifions imprimer , de 
donner des ordres & d’envoyer des gens de la police pour fe faifir do 
notre écrit , & même de nos perfonnes. 

Quoi qu’il en foit , quelque tems après la publication de mon pfe- 
nîer Mémoire, l’Ecrivain qui avoit rédigé’fous la diéfée deMcFour- 
nel , le billet à M. le Noir , voyant le fieur Kornmann fe promener 
fréquemment dans 1a falle du palais avec Me Fournel , & entendant 
dire que ce même Me Fournel étoit l’Avocat du fieur Kornmann , ne 
pût s’empêcher d’en manifefter fa furprife , de de raconter àpiuficuts 
.pcrfouncslc fait du billet qu’on lui avoit fait éctire. 


Quoi qu’il en foit , le mémoire parut. 

Avant fon apparition , la dame Kormnann avoit 
rendu quelques vifites à M« Fournel j dans ces vifites 
il avoit été beaucoup quefîion de recommencer de nou- 
veau, & toujours de la part de la dame Eommanri^ 


Ce fait parvint ainfi jufqu’â nous ; dépais , & quand nous avons 
voulu en acquérir ia certitude , nous avons fait venir rEcrivain , qui , 
en prefencc de témoins, nous a déclaré que non feulement il étoit 
prêt à l attefter & à munir fôn atteftation de fa lignatuxe 5 mais qu’il 
le rappeloit Stes-&ien qu’il avoit à' côté de lui , lorfque Me Fournel 
lui diéloic le billet dent il s’agit , un autre écrivain dont il connoif» 
foit toute l honnêteté , & qui attefteroit le fait de ia même manière 
que lui îîous avons eh cOnféquence envoyé chercher 1 autre écrivain, 
^ui , en effet , a confirmé le récit du premier , 5 ^ tous les deux nous! 
ont fourni la déclaration fuivante, 

« Je foufligné déclare , pour rendre hommage a la vérité , que’ 

dans le courant du mois d’ Avril de l’année derniere/ 787,Me. Four- 
3i nclAvocatjvirit me trouver Grande Salle du Palais de /uftice,au banc 
33 où j écris ordinairement , pour me faire écrire une lettre , dont il 
93 tira la minute de fa poche , qu’il me difta , coïi^ue en ces termes 
90 à peu -près , la déclaration fuivante î 

i^ueîqu'un qui prend part a ce qui vous tntéreje , vous avertit que 
M. Karnmann fait , da,ns ce moment ^ imprimer à Chartres ie 
Mémoire contre yoüs. 

33 Q.U il déchira f» minute, plia U lettre que )* *avGls tranfcritc, ne 
9) la figna pas , & me fit mettre l’adreffe. 

A M. le Ncir , Bibltoîhècüin du Roi , &c. 

30 Que je lui fis l’obfcrvationlque c’étoit un anonyme qü’il m’âvodc 
99 fait copier î il répondit que ce n’étoit rien de conféquent. 

59 Ce fait fe pafTa en préfcnce du fieuf Ricard , écrivant journef- 
»3 Icment 4 côte de moi; ce que j’offre & fuis prêt d’afiirtïier en tel 
J, cas requis. 

39 A Paris ce Avril 1788. Gautier, 

JSofa. 99 Me Fournel me paya 6 fols poUr cette copié. 

En marge de cette déclaration eft écrit ; 

* »9 Je fuis prêt ôc offre d affirmer les faits énOncés en la déclarariott 

■59 ci contre du fieur Gautier. A Paris, «c 29 Avril 1788 cligné 
Ricard. 

Je croîs que je n’ai pas befoin de faire remarquer combien dans 
cette circon 4 ance, la conduite de Me Fournel cft odieufe , & il me 
fcmble qu’il n eft petfonne qui foit tenté de regarder , comme une 
faute legerc , le ctime d’avoii livré le fecrcrdc fes clients ,a l’homme 
qui avoit le plus d’intérêt à leur liuifc, & qui , du propre aveu de 
Me Fournel ^ pouvoir difpofcr de plus dé inoyéns pour y par^_ 
yanii . 


( 'î ) 

<îans Î6 defîein de tromper des négocifatîons avec îe 
fieur Kornmann. 

Or , mon mémoire épargnant , autant qu’il étoit 
poflible J la dame Kornmann , & l’opinion qu’il avoit 
produite dans l’efprit du public , n’étant défavorable 
qu’aux hommes qui Kavoient égarée , on crut qu’on 
pourroit s’en fervir comme d'un moyen pour m’en- 
gager à propofer un accommodement , dont on fe 
propolbit bien de nous rendre les dupes. 

En conféquence , M® Fournel vint nous voir , & 
nous proteftant que la dame Kornmann étoit abfb- 
lument changée , qu’elle n’avoit pu lire, fans, verfer 
des larmes , 1 écrit que nous venions de publier , que 
cet écrit lui avoit fait faire des réflexions férieules 
fur fa pofition , qu’elle n’afpiroit plus qu’à réparée 
fes torts & à fe réunir à fes enfans , il nous conjura 
de l’aider dans un projet fi louable, & finit par 
m’inviter à venir dans fon cabinet en conférer avec 
elle (i). 

Le fieur Kornmann fi fouvent joué par fon époufe,' 
eut bien de la peine à croire à un changement li 
lubit. Je fus plus facile. 

L’idée de ramener une mere à fes enfans , d’o- 
pérer entre elle & fon mari , une paix durable après 


(0 Je puis citer pour te'moins de ce que j’avance ici le fieur ria 
y.etc . Banqu.er à Paris . & le fieur Briffot de WarvU e’ homme dl 

Kormnan“n dîno'enr'ch^Te fieue 

tion de conientir a une entrevue avec la dame Kornmann Ils diront 
comment le fieur Kornmann rejetta d’abord cette propofition * avec 

U ie^ vX ujdame"' Km!:!;: ^ 

devo chlr" r " XX t «ux^u’elle 

Xrefois TÔ,.r “ <1“! l’uvoient rendu fi heureufe 

dewe foatnel «“cote eue «ubliécs 

4 a yettlttnaç «ompçxî 


tâilt d’orages , de détourner d’elle • â jamais cette 
honte cruelle qui fuit rtécefTairement la manifeftation 
des crimes, mais, q\i*ûn repentir fincere devroit tou- 
jours effacer , cette idée fi confolante & fi douce ne 
pouvoit que me féduire ^ & je promis , du confente- 
ment toutesfois du fieur Kornmann , de me rendre 
â la conférence qui m’étoit indiquée. 

Plufieurs jours s’écoulèrent avant le moment fixé 
pour cette conférence. Pendant cet intervalle nous 
eûmes l’occafion de nous entretenir plus d’une fois 
avec M®. Fournel, des objets qui dévoient y être 
traités. 

Il me parut que dans tout état de câufe , & fur- 
tout après l’éclat que le mémoire avoit fait , il étoit 
împoffible de fonger â rapprocher la dame Korn- 
mann d’abord de fes enfans , enfuite de fon mari , 
fi elle ne fe féparoit de la maniéré la plus décidée 
& la plus folemnelle , des hommes qui avoient trop 
efficacement contribué à la favorifer dans fes délbr- 
dres, c’eft-à-dire alors, de M. le Noir & du fieur 
de Beaumarchais, car le fieur Daudet étoit abfent. 
Je' demandai donc avant tout , comme on vous Ta 
dit , que la dame Kornmann m’écrivît une lettre que 
î’aurois le droit de publier , ou , fans s expliquer 
d^une maniéré détaillée fur fes fautes , elle convien-* 
droit en général qu’elle avoit été féduite par de 
mauvais confeils , &' ou nommant les hommes qui 
l’avoient féduite , elle déclareroit qu’elle s en rap- 
portoit abfoiument à moi fur ce qu’il lui conyenoit 
de faire dans la circonftance malheureufe où elle 
étoit placée (i). 

Il me parut encore que cette lettre publiée , la 


fi'i T’cxiccai de plus, comme on le verra plus bas , «ju’ellc écrivît 
deux lettres, l’une à M. le Noir, l’autre au fieur de Beaumarchais , 
où elle leur annoftÇÇXQÎt i^u’eUe lenor.coxt abfoiimicnc a leur fo- 


dame Kornrnanh de voit faire un mcmôîfe où ren- 
dant juftice à la conduite conftamment généreiife de 
Ton mari, évitant des aveux trop difficiles, mais 
annonçant un’repentir véritable ; parlant fans aigreur 
de cette troupe d’hommes fans foi , auxquels elle 
s’e'toit livrée , mais ne diflimulant pas leurs crimes ; 
invoquant fur fa jeuneffe & fon inexpérience la pitié 
de tous les gens honnêtes , elle ofFriroit le Tpedacle 
fi touchant & fi noble d’une femme féduite , & non 
pas encore pervertie, qui abjurant de, bonne foi fes 
erreurs , répare , par l’éclat de fon retour â la vertu , 
le fcandale trop public que fa conduite a caufé. 

Toutes ces idées furent trouvées fages par M® Four- 
îiel ; feulement il obferva que la dame Kornmann 
étant décrétée d’afligné pour être ouï , ne pou voit fe 
difpenfer de prêter fes réponfes , & que pour achever 
mon ouvrage, il falloit que je mifïe par écrit à-peu-prés' 
ce qu’elle pourroit dire , lorfqu^elie feroit interrogée 
par M. le Lieutenant-Criminel , afin qu’elle ne nuisît 
pas , par fa propre imprudence , au rôle fi intéreffaiiÊ 
que je lui deftinois. 

Je n’apperçois qu’à préfent le pie'ge qu’on me 
fendoit alors. Il ne me feroit, certes, jamais venu 
dans la penfée qu’on dût un j^r fe prévaloir contre 
moi des écrits qu’pn foliicitoit de ma pitié en faveur 
de cette femme trop coupable , & qu^un momene 
Tiendroit où l’on fe feroit moyen pour me deshonorer 
au Tribunal de l’opinion , de ce qu’on m’invitoie 
â faire pour elle. 

M®. Fournel, je l’ai déjà dit, étoit notre 
autant que notre confeii ; nous lui avions donné ^ 
plus d’une occafion , des preuves d’un attachem 
trop véritable pour penfer un inftant qu^ij 
nous tromper. Il étoit donc tout fîmple que te p' 
tafTe fans défiance , & que je n^héfitafTe pas 
tout ce qu’il trouveroit convenable de me ^ 

dans une circonfiance où il me fembloit , * 

’ conim« 


moi, il n’avoit qu’une bonne a 61 ion pour objet; 

De-îà , Meflieurs , les difFJrents billets que j’ai 
écrit à M® Fournel, billets écrits fans précaution, 
parce que je croyois écrire â mon ami ; billets néan- 
moins où , quoiqu’on ait pu dire , je défie , comme 
Je le prouverai dans peu, qu’on apperçoive autre 
chofe que les intentions que J’expofe ici. 

Je reviens à mon récit. 

Quoiqu’il en foit , le jour fixé pour la conférence 
arriva. La dame Kornmann fe rendit avant moi chez 
Fournel. J’ignore quel fut le fujet de leur en- 
tretien jufqu’au moment où je parus ; ce que je fais, 
c’efi: que ce n’efl pas avec des reproches (i) , comme 
on a ofé l’avancer, mais avec des eomplimens vraie- 
ment exagérés , que la dame Kornmann m’accueillit ; 
ce que je fais encore , & ce que je défie de nier , 
c’efi: qu’avant même que je me fufie expliqué , on 
me déclara qu’on adoptoit mon plan à-peu-près dans 
toute fon étendue. 

Une feule chofe parut devoir y être modifiée. On 
defira que je n’exigeafiè pas que le fieur de Beau- 
marchais & M. le Noir fuffent exprefiement nom- 
més dans ia lettre qu’on devoir m’écrire parce qu’il 
y avoit une forte de difconvenance , difoit-on , à ce 
qu’une femme , placée dans une polition aiifii déli- 
cate que celle où fe trouvoit la dame Kornmann , fe 
déterminât elle-même à flétrir les complices de fes 
fautes. 

Je ne fus pas d’abord de cet avis. Cependant après 
quelques diicuffions , je confentis à la modification 
qu’on me demandoit, parce qu’on me promit d’ail- 
leurs de défigner fi bien les perfonnages , que qui, 
que ce foit ne pourroit s’y méprendre. 

Ceci convenu, on propofa de rédiger fur le 


(ij Des icpioches à moi de la parc de la dame Kornmann. 


(la) 

dlîtmp ]a lettre. Fournel & la dame Komfn?>nn 
me prei^erent beaucoup de me charger de ce travail. 
Je ne le trouvai pas convenable, parce que cette 
lettre devant être de quelqu’étendue ^ il étoit pofîibîe 
qu’on y reconnut ma manière d^écrire , &. qu’ainfï 
j’ôrafTe à la dame Kornmann le mérite d’étre revenue 
d’elle-méme , & fans autre împuUîon que celle de fa 
confcience , â Tes devoirs de mere & d^époufe. 

On feignit d’approuver mes ralfons. M“. Fournel 
alors fe réduifit à me prier de mettre par écrit feu- 
lement les idées principales qui dévoient fe trouvetf 
dans cette lettre. Je ne crus ^pas la chofe bien né- 
cefîâire , je connoifîbis l’intelligence de Fournel , 
& il me fembloit qu’il n’avoit aucun befoin de mott 
fecours pour rédiger une lettre qui , au fond, ne me 
paroifToit pas bien difficile à faire. Je cédai néanmoins, 
& me plaçant à fon bureau , j’écrivis le peu de 
lignes informes qu’on vous a produit (i) > n’em- 
ployant pas une exprefîion que Me. Fournel n’ap- 
prouvât , ou qu’il ne me fuggérât même fpéciale- 
ment (i). 


Voici ces lignes informés .* 

Convenu entre Madame K. moi, aii nom de M ÏC qü’éÜé 
m’écrira une Lettre qui fera rendue publique , dans laquelle c)ie diri 
qu'elle n’a pas attendu la publication de mon Mémoire, pou^ rendre 
Juftice à fon mari, qu'elle a été entraînée loin de lui pandes circondan- 
ces malheureufes , qu’au fein de ces circonftances elle n’a cefl'é de 
regretter fes enfans , de pleurer leur abfence , & dé fe relToüve- 
hir avec amertume de lix anneeS de paix de tranquillité , 
&c &c. 

Qu’elle croit devoir s’éloigner des perfonnés qui , foit involon- 
tairement , foit imprudemment , ont necelïiré 'es réclamations die 
fon mari; qu’il lui paroît convenable de recourir à 1 homme fen- 
fible & généreux qui a défendu avec tant d’intérêt la caule Je foi» 
mari, pour établit, &e êcc. 

Au moyen de laquel e Lettre M. K. amènera fes enfans à Madame 
K , fera offrir (udiciairement à M. de Beaumarchais ce qu’elle iuï 
doit i & donnera à fa femme des marques d’une fincerc concilia-' 
tion. Siÿtu Bergass e, 

(z*) Pat exemple, je me rappelle^ tiçsVoien que les mots l’homme 

B 2 


( *0 ) 

Le projet de lettre arrangé , la dame Kornnianîî 
me parla de fe§ e;ifans , &c fe compofant la phyfîô- 
îiomie d’une mere affligée , elle fe plaignit de ce 
que je ne les avois pas amenés avec moi j puis elle 
me prefTa vivement de la conduire fans délai chez 
îe lieur Kornmann , afin de lui procurer la fatif- 
faélion de les embraffer. 

Tout cela fut dit avec un intérêt fî peu vérita- ^ 
ble , qu’heureufement pour moi je ne fus pas ému* 

Je répondis , & Me. Fournel ici feignit encore de 
m’approuver , qu’il m’étoit impoflible de la rappro- 
cher de fes enfans , tant que je n^aurois pas la 
certitude , par la lettre que je demandois , qu’elle 
avoit entièrement rompu avec fes corrupteurs : qu’au 
refte il ne falloit pas beaucoup de tems pour écrire 
cette lettre , & que fi je l’avois dans la matinée du 
lendemain , elle verroit fes enfans le jour même. 

On vint alors à m’expofer l’embarras où l’on fe 
trouvoit vis-à-vis du fieur de Beaumarchais. On m’a- 
voua qu’on lui devoit dix-fept mille liv. , parce que 
îa penfion de deux mille écus que payoit le fieur 
Kornmann , n’avoit pas toujours été fufiifante pour 
les dépenfes qu’on a voit faites. 

Je n’héfitai pas à lever , au nom du fieur Korn- 
mann , cette difficulté , & trouvant fage d’affranchir 
promptement de toute efpèce de reconnoiffance 
envers un homme auffi vih que le fieur de Beau- 
marchais, une femme que j’aimois encore a croire 
plus égarée que coupable , je m’engageai , fitot que 
nous ferions poffeffeurs de la lettre, & même avant 


renme & généreux qu’on lit dans le projet de Lettre ci-acffus . 
& qui femble contenir une efpèce d’éloge de moi , m ont etc 
diaés par Me. Tournel, que ) avois mis à la place ceux-ci > 
^fenueux , & que Me. Fournel me les fit effacer poui y fubftituer 
les piécédens. Lui-même, il y a peu de jours eft convenu de 
ce fait } cetie remarque , quoique minutieufe , etoK necei* 
faire. 


( ) 

qu’elle fut publiée ^ â faire porter chez !e fieur Je 
Beaumarchais les 17,000 liv. qu’il avoit prêtées. 

La conférence avoit duré deux heures. Nous 
r\ avions plus rien à nous dire , àc j’allois quiiter U 
dame Kornmann , Îoriqu’elîe nous propofa de faire 
avec elle un tour de promenade au jardin du Roi. 
J’acceptai. Durant cette promenade , il fut encore 
quellion de la conduire fur le champ chez le fciir 
Kornmann , pour y voir fes entans. Me. Fourneî 
qui, comme on vient de le voir , n’avoit pas d’abord 
approuvé cette démarche , parut alors (è rapprocher 
un peu de la dame K;ornmann. Heureufement je 
demeurai ferme dans ma^réfolution , infiftam toujours 
fur la lettre qu’on m’avoit promife , &: décidé à 
tout refufer jufqu’â ce qu’on eût rempli ce prélimi.^ 
naire indifpenfable. 

Nous nous féparâmes enfin. En me difant adieu ; 
la dame Kornmann m’affura que le lendemain j’au- 
rois la lettre. Je l’attendis vainement. Le jour fui- 
vant & plufieurs autres s’écoulèrent fans que j’en 
entendifîè parler. 

.Ar mte époque , parut ma réponfe au premier 
mémoire du fieur de Beaumarchais. Dans cette ré- 
ponfe , ainfi que dans mon grand mémoire , la dame 
Kornmann eft finguliérement ménagée. Comme j’y 
parlois de l’avenir af&eux qu’elle fe préparoit , fi elle 
contmuoit à vivre dans la fociété des hommes qui 
l’avoient perdue , je penfai que la peinture effrayante' 
que j’y faifoîs de cet avenir , hâteroit encore 
le deflèin , où j’avois cru la laifTer , de s’éloigner 
d eux fans retour ; je le lui envoyai donc, & j’ima- 
ginai en meme tems de faire flgner l’envoi que je 
lui en f is par fes enfans (i). 

( . ) V/ O I C 1 CtT ENVOI. 

A Madame KO RM A N N. 

De la part de fes Enfans. 

.•JM M COCO* J c 'eille nam de fan FiU. 

AideUiûc Koînœanij^ 

® 3. 


X ) 

Il me fembla que le nom de Tes enfans tracé de 
leur main , & mis fous fes yeux , feroit queîqu’im- 
prefïïon fur fon efprit , qu’elle fe refîbuviendroit 
enfin qu’elle étoit mere , & que fa tendreffe pour 
eux la porteroit â ne plus différer ce qu’elle m’a- 
voit promis. 

Je me trompai , mon envoi refta fans réponfe. 
Mais , je foupçonnois fi peu qu’on m’eût abufé, que 
je n’aftribuai les délais que j'éprouvoîs , qu’au defir 
que Me. Fournel pouvoit avoir de rédiger avec 
plus de foin , qu’un ouvrage ordinaire , la lettre que 
j’avois demandée. 

Cependant les délais parurent fi longs , que je 
commençai à vouloir en connoître la caufe. 

On ne s’attend pas à ce qui me refte à raconter. 

Le crime n-’efi: pas toujours prudenr. Je rie tardai 
pas à être inflruît de la part d’une perfonne qui le 
tenoit du fieur de Beaumarchais même , que cette 
fameufe conférence où je procédois de fi bonne-foi, 
n’étoit qu’un piège que m’avoit tendu le fieur de 
Beaumarchais ; qu’on ne s’étoit propofë d’abord que 
de m’engager à écrire quelques lignes , dont on pût 
inférer que je croyois la dame Kornmann inno- 
cente , enfuite de me déterminer , en intérefîant ma 
fenfibilité , à conduire la dame Kornmann chez fon 
mari , moins pour y voir fes enfans , que fous le 
prétexte d’y voir fes enfans ; il faut bien diflingiier 
çes deux çhofes. 


Croiroit on qu’pn a gardé pendant de années ce peu de 

lignes , a-nfi que mes billets , pour me les oppoTer à T Au-, 
dif'ncc , K- en c- nclfre , toujours avec la même logique , que la 
pâme /..or mari.i eçoit donc bien innocente a mes yeux, pijifque 
pa-ois pu lu. envoyer une ligne , fignce Coco & Adélaïde 
ICorninam 3c que dès-iors il falloit, de toute néceffité , qye 
je futfe un ho mue détedable, paifque j ai été capabl de l’accufer 
maigre pin on que j’avois de Ion muocençe, G’çft cçpçnd^^ 
à dç tçilos^ |>aiivrcces qu’il faut icpondre. 


Ces articles obtenus , on auroît dît au fieur 
Kornmann : vous avez reçu la dame Kornmann 
chez VOUS', elle y a vu , elle y a embrafle fes enfans ; 
c’efl: votre ami qui l’y a conduite , vous êtes donc 
réconcilié avec elle ? Or , toute adion d’adultere 
eft éteinte , fitut qu’il eft prouvé quhl exifte une 
réconciliation entre l’époux qui accule , & l’époufe 
qui efl: accufée ; il ne vous refie donc plus d’autre 
parti à prendre que de garder le filence , & de 
vous foumettre à la loi qu’il nous plaira de vous 
faire fubir. 

Ces articles obtenus , on m’auroit dit : de votre 
aveu , & d’après l’écrit que vous avez rédigé , la 
dame Kornmann eft innocente , vous avez donc mend 
à votre confcience en défendant Ton mari , en tranf- 
formant en de vüs corrupteurs , des hommes recom- 
mandables qui ont pris foin d’elle dans fa mifere ; 
vous n’êtes donc plus qu’un audacieux libel lifte ; ceux 
que vous avez outragé vont rendre plainte contre 
vous, & demander la jonélion du miniftere public, 
pour vous faire punir comme vous l’avez mérité. En 
conféquence , le miniftere public devoit être engagé 
â réquerir contre moi les peines les plus infa- 
mantes ; & on eft allé jufqu’à me nommer celui de 
MM. les Avocats -Généraux , qui , difoit-on , pour 
venger M. le Noir , & fur-tôut le fieur de Beau- 
marchais, dont on ofoit le fuppofer l’ami , avoit promis 
de fe charger de cet étonnant réquifitoire (i). 

Une pareille trame eft horrible : elle m’étonna peu , 
comme on le penfe bien , de la part du fleur de 
Beaumarchais ; ce n’étoit pour lui qu’un crime de 
plus. Il n’y avoit , dans tout cela , que le rdle de 
Me. Fournel qui 4evoit me ftirprendre ; mais j’étois 


( I ) C’eft à cette époq[ue que le fieur de Beaumarchais annon- 
çolt par-tout qu’il alloit me faire condamner aux GA.LÈRE.S; 

B 4 


{ H ) , 

fî aveuglé fur fon compte , d’ailleurs 51 auroit fallu ^ 
m le foupçonnant , lui fuppafer un caraftère iî 
étrange , pour ne rien dire de plus , que faimai 
mieux le croire abufé comme moi (î). 

Ce n’a été qu’environ un. ou deux mois après , 
<qu’inflniit qu^ii entretenoiî des liaifons fbçrettes avec 
M. le Noir & le fieur de Beaumarchais , dans le 
tems même ou je Pavois crû le plus entièrement 
dévoué aux intérêts du fieur Kornmann , je com- 
mençai â penfer qu’il pouvoit bien n’être pas entié« 



’ ( ï ) J’ai ici une obfemtioîi importante à faire. On a lu à l’au« 
(àience les otiginaux 4e mes billets , Se on a eu foin de dire ,, 
qu’on en iifok les originaux. Depui^s j®ai demandé qu’on ine pro- 
duisit ces originaux , comme j’en ai mcontefiablement le droit, & 
|e n’ai pu Fobïcnk. M®. Bonnet s’eft contenté d’ep envoyer de$ 
copies à Me. Duvcyrier , écrites de la main de la d*me Xornmann , 

encore n’a-t il pas envoyé d^abord des copies de tous les billets. 
Ce n’a été que fur la remarque de M®. Duveyrier , qui s’cft^apper- 
fu , que parmi ces copies , il lui en manquoit une bien ef- 
lentieile , que nous fpmmes parvenus à nous les procurée 
soutes. 

Or, en premier lieu , pourquoi ne me produit- on pas mes 
originaux , & qui m’affure que les copies qu’on en a faites ne 
font pas infidclles J 

En fécond lieu , pourquoi les copies qu’on m’a produites ,, 
font- elles écrites, de la main de la dame Kornmann ? Seroit-ce 
parce qu’on auroit voulu ménager à Me Fourncl l’exeufe de dire 
qu’à l’époque où nous nous femmes occupés cnfemble de rap- 
procher la dame Kcrnmann de fon mari , U n'a cru fuivre 
que mes intentions en les communiquant à la dame Korn- 
mann ? 

Mais il y a loin de communiquer mes billets , à permettre 
qu’on les copie 5 car , à quoi bon les copier ? 

Mais de plus parmi ces billets, il en cfl un qui ne devoir jamais 
fe retrouver dans les mains de la dame Kornmann , & qui cepen- 
dant s’y retrouve ; & on a (î bien fenti qu’il ne devoit pas s’y re- 
trouver , que c’eft précifément la copie de celui-là qui manquoit à 
la colleftion de M®. Duveyrier. 

Dans ce dernier billet , caufant familièrement avec Me Fournel 
çoinme dans tous les autres , je dis ces mots remarquables : Je 
lui amènerai fes enfnri» , & nous ferons une feene de larmes qui 
finira tou*. Certainement un billet de cette efpéce ne devoit .pas 
fe retrouver dans les mains de la dame Kornmann. 

Non. Qjuoiqu on faffe , on n’évitera pas le blâme qu’on a en- 
couru^ enî liyrant mes billets , & de telles rufes n’empécheront pas 
qu’une opinion défavorable ne fe forme fur le compte de i’boraîne 
peu délicat qui les aimés/ 


jfement étranger au complot form^ pour me perdre ; 
& que je finis par engager le fieur Kornmann â lui 
retirer fa confiance. 

II étoit important que je rendifle compte de ces cir- 
confiances. 

Or , ces circonftances expofëes , j^aî * deux chofes à 
demander. A-t-on pu faire ufage de mes billets dans 
cette caufe ? Mes billets fignifient-ils ce qu’on a eu la 
^ méchanceté de leur faire fignifier ? 

D’abord , a-t-on pu faire ufage de mes billets dans 
cette caufe ? 

A qui ai- je écrit ces billets ? A Me. Fournel ; c’eft-a- 
dire au Confeil du fieur Kornmann , â mon confeil , à 
notre ami commun. Qui les a produit dans cette au- 
vdience?Les adverfaires du fieur Kornmann , les miens. 
Qui les a livrés à nos adverfaires ? Ce même Me. Four- 
nel (i) , qui nous dirigeoit dans chacune de nosdé- 


(i ) }*ai dit plus haut que c’étoit M®. Fournel qui avoir engagé 
le fieur Kornmann à rendre plainte fpécialement contre le fient de 
Beaumarchais. 

Or , voici encore un fait qu’il faut raconter. 

A l’époque des conférences tenues chez M. le Procureur du Roî^ 
M®. Fouineliperfifia toujours à vouloir que le fieur Kornmanh rendit 
ia plainte i il la rédigea même & me l’envoya pour m’en demander 
mon avis , je l’approuvai , & il fut décidé que le lendemaia 
ou le fur lendemain elle feroit remife à M. le Procureur dut 
Eoi. 

En conféquence le fieur Kornmann fe rendit chez Me. Fournel 
pour la figner. A peine étoit-il arrivé que le copifte de Mc. Fournel 
parut avec la plainte mife au net. Me. Fournel prit la plainte des 
mains du copifie , & l’ayant parcourue des yeux , il dit au fieur 
Kornmann , c’eft bon , elle eft exadement copiée , vous pouvez U 
ligner. 

Le fieur Kornmann heureufement aulfi voulut la parcourir. Quand 
il arriva aux conclufions , fa furprife fut extrême de voir que Me. 
Fournel y avoit ajouté une phrafe , par laquelle lui, fieur Korn- 
mann . fe défiftoit de toute aâion contre fon époufe. 

Etonné d’une addition fi étrange , le fieur Kornmann en demanda 
la raifon à Mc Fournel . . J’ai voulu , répond celui-ci , vous 
mettre dans le cas d’obtenir une jufiiee plus prompte de vos enne- 
mis. On ne vous refufera rien , & j’en ai parole , fitôt que vous 
fous ferez défifté de votre aftion contre votre époufe Mais , replu 
^uelc ficluKoxAmano, comment voul»- vous que }ç puiiTe 


( iÿ ) 

rnarÆes , fans Pavîs duquel nous ne nous permettions 
de rien entreprendre. Mais j’interroge ici tous les Ju- 
rifconfultes qui m’entendent , quels font ^ relativement 
à leur clîens, les devoirs rigoureux dé l’honorable 
profeffion qu’ils exercent ? Peuvent-iJs en aucune 
occafion , révéler les fecrets qu’on leur confie ? Exifte- 
t-il aucune circonftance ou ils aient le droit de faire 
paffer des mains d’un client , dans les mains de fon 
ennemi , & même dans des mains feulement étran- 
gères , des aéles y des titres quels qu’ils foient , qui 
peuvent intérefler l’honneur de ce client ou fa fortune 't 
Je vais plus loin ; quand celui qui vient implorer le 
fecours de leurs lumières feroient abfolument indigne 


jOiivre mes ennemis que vous m'avez engagé vous-même à attaquer 
comme complices de mon époufe , ü j abandonne mon aéüon 
contre elle ; avez vous oublié que vous avez blâmé la manière 
modérée dont j’ai parlé de Mad. Kcrnmann dans mon Mémoire » 
& cela uniquement parce que vous avez craint que je ne nuifîffc 
ainli à laftion que j’intentois à les corrupteurs; ne détruirai-je 
par infailliblement cette derniere aftion , dü moment que moa 
aétion contre Made. Kornmann n’exiftera plus ? comment peut-on 
être fondé à pourfuivre des complices quand on renonce à pour- 
fliivre U O aceufé principal 5 y a t- il même des complices où il ne 
fc trouve pour d’aceufe principal 2 

L’obfervation étoit péremptoire. Me. Pournel en fut un moment 
déconcerté. Puis fe décidant à propos, il arrache la requête des 
mains du fici^r Kornmann & la jetta au feu, proteftant qu’il n’a- 
voit voulu faire autre chofe que nous fauver , que nous ne con- 
noifïions pas le nombre & la puiffance de nos ennemis, qu’in- 
failliblemcnt nous fuccomberions à notre attaque , &c. 

Ces menaces etfrayèrenr peu le fleur Kornmann. Croyez , Mon- 
üeur , répondit il , que fi j avois été capable de figner de pareil- 
les conclufions, je m’en ferois puni fur le champ , en brûlant la 
main qui les auroit fignées. 

Le lendemain ou le furlendemain de cette fcène , Me Fournel 
refit la requête d’une manière conforme aux intentions du fieur 
Kornmann , à quelques mots perfides près cependant , que le 
Procureur du fieur Kornmann , de concert avec celui-ci, crut devoir 
retrancher , avan- q , e de la revêtir de fa fignature. 

Ce récit n’a, je crois, pas befoin de commentaire. J’obfer- 
verai feulement que nous étions encore , à l’époque où tout ceci 
fc pafia , tellement confians dans l’honnêteté de Me Fournel, que 
nous nous contentâmes de croire qu’on l’avoit intimide , & qu’il 
nous vint pas dans l’cfpiit de fqupçonner quil eut vouli» 
ffdus tromper. 


/ 


( 27 ) ^ 

de leur aiïiftance, de celafeiil qu’ils l’ont écoute , ne 
fe forme-t-il pas entr’eux & lui , comme une con- 
vention tacite , qui ne leur permet plus de prêter leur 
miniftere aux perfonnes qui fe font déclaré fes parties ? 

Et fi les aéles , que livre à mon ennemi le Jurif- 
confulte auquel je m’adrefie , font des titres qu’il a 
lui-même follicité de ma crédulité , fi lui-même m’a 
tendu des pièges pour me livrer fans défenfe aux 
hommes que je pourfuis ; fi fon cabinet , qui devoit 
être à mes yeux l’afyle de la difcrétion & de la con- 
fiance , n’a été pour moi qu’un antre ténébreux où 
fiégeoient â fes cotés le menfonge & la perfidie. 

Et fi le Jurifconfulte auquel je m’adrefië , étoit non- 
feulement mon confeil orditiaire , mais mon ami , fi 
jufqu’au moment où il m’a trompé , il étoit impofiible 
que je trouvafie dans mon cœur aucun foupçon qui 
m’avertît de me défier de fa bonne foi , fi j’ai dù 
m’abandonner fans crainte à fes fatales infpirations , fi 
depuis je l’ai trouvé par-tout agifiant fourdement 
pour mon deshonneur & ma ruine. z 

Je vous le demande â tous , exifte-t-il un délit plus 
grave , que celui qu’on m’oblige de révéler en ce 
moment ? Et quand , en effet , entraîné hors des bor- 
nes ordinaires de la prudence , j’aurois pu me per- 
mettre quelques démarches , tracer quelques lignes qui 
m’euffent compromis , auroit-on le droit de s’en pré- 
valoir contre moi ? Ne voyez-vous donc pas ici que fi 
les magiftrats pouvoient prononcer d’après des titres 
obtenus par un abus de confiance pareil à celui dont je 
me plains , ne voyez-vous pas , fans que j’aie befoin 
de vous le faire remarquer ^ qu’il n’y auroit plus rien 
de facré parmi les hommes ; que le recours aux tribu- 
naux , déjà fi difficile , deviendroit nécefiairemeiit 
toujours dangereux ; que fi l’on ofoit admettre une lois 
contre un acculé quelconque , des titres fournis par 
celui auquel il auroit confié le foin de fa défenfe , il 
n’y auroit pas d’innocent, pas d’homme injuftement 


X as ) 

pedeciTte , qui ne dut frémir en approchant du cabinet 


^îiia Jurifconfulte , que fi ces cabinets ne font pas des 
facrés à la porte defquels veillent fans ceiîè 
f honneur & le filence , il n’y a plus de repos , plus 


piSv en maxime que tout titre livré par le confeil d'une 
partie eft un titre obtenu contre la foi publique , & 
àmt Piifage doit être féverement interdit. Tordre fociaî 
lÉPasit entier efi infailliblement ébranlé , puifque Tordre 


fcîïdre. 

Jurtfconfultes honnêtes qui m’écoutez , ces maximes 
fet les vôtres , & Toutrage dont je me plains , eft un 
CMtrage fait auftià la noble profeftion que vous exercez. 
Pourquoi m’a-t-on forcé de parler , quand , depuis 
émx ans , bien convaincu de Tabus de confiance , 
dtmt Je viens de rendre compte , je m’étois impofé 
Pi^ligation de me taire ? Ah 1 croyez que de tout ce 
^’iîs ont imaginé dans cette audience pour aigrir 
CM stffliger ma fenfibilité , rien n’a été plus doulou- 
Tcnx pour moi , que la néceftité où ils m’ont mis de 
révéler une faute que j’avois pardonnée , que la cruelle 
aîternative dans laquelle ils m’ont placé, ou de manquer 
àce que je me devois à moi-méme , ou de faire connoître 
piîsbiîquement , comme un perfide , un homme honoré 
d un miniftere que vous rendez fi refpedabîe par vos 
lumières & par vos vertus. 

Ce n’eft pas tout : non-feulement , on n’a pu fe 
prévaloir de mes billets dans cette caufe ; mais ils 
offrent précifément un fens oppofé à celui qu’on a 
eu la mauvaife-foi de leur donner ,• mais le fens 
qu’ils offrent ne fait qu’ajouter à l’opinion qu’on a 
déjà fi généralement conçue de la pureté des 


fécurité poflibles pour les malheureux qui viennent 
orer le lecours des loix ; enfin que fi Ton ne pofe 




feml n’exifte que par la loi , & que la loi n’eft plus 
^*une inftitution illufoire; par-tout ou Thomme qui 


îiütvaque peut avoir quelque chofe à' redouter de 

ceiEx-l'à même qu’elle a chargé du foin de le dé- . 


„( ^9 ) 

«îjfs qui m’ont conftamment déterminé dans tout 
que j’ai entrepris pour la défenfe du fieur Korn-« 
iriann. 

Car enfin , Mefiieurs , que trouve-t-on dans ces 
billets, même en les confidérant , indépendamment des 
circonftances dont je viens de parler? Y trouve- 1 - 
on 5 comme on a ofé vous le dire , que je crois la 
dame Kornmann innocente ? Que fâché d’avoir écrit 
en faveur du fieur Kornmann , je voudrois biea 
trouver le moyen de la réconcilier avec lui ; enfin 
que moi-même j’ai follicité cette réconciliation ? Non,, 
certes : & il falloit être doué d’un efprit aufli faux 
que méchant , pour mettre à coté de ces billets fi 
fimples , des opinions de ma part , après ce que 
j’avois fait 5 après ce que je n’ai cefTé de faire, fî 
peu vraifemblabies & fi ridicules. 

Qu’y trouve-t-on donc, quand ce n’efl pas avec 
le delTein de calomnier qu’on les lie ? Ceci feule- 
ment, que je promets de venir au fecours de læ 
dame Kornmann , fi elle confent à fe féparer avec 
éclat de fes corrupteurs ; fi elle m’écrit une lettre 
que j’aurai le droit de rendre publique , où elle con- 
fefiera que les confeÜs perfides d’une troupe d’hom-» 
mes fans foi l’ont égarée ; fi , dans cette même . 
lettre , elle rend hautement juftice aux adîons 
conftamment nobles , conftamment généreufes de 
fon mari (i). 

Qu’y trouve-t-on encore ? que ces préliminaires 
remplis , je m’engage à faciliter à la dame Korn- 


( 1 ) Voici comment je m’explique : « Vous voyez qu’il eft de 
*» la p’us haute importance que narre pSa'i s'exécute ^ que vous 
,, ameniez MadameKornmann à écrire à M.lc Noir & à M de Beauinar- 
î> chais, une lettre courte, limple & noble, dans laquelle elle dira ; 
SJ que revenue de fes erreurs , voyant dan» toute la profondeur 
M Vabyme où on l*a tntrainée , elle fe propofe de rendre comme au 
tt public de fa conduite^ qu’elle s’éloigne d'eux fans retour »». Ec 
GA a j^igd^h ce billcc à l'audience , pouc piouvcj; que je crois 


ftlânn îes moyens de fe juftifier: ce qui ne veii^ 
pas dire , ainfi qu’on a eu i’impudence de le pré- 
tendre , que j’oiîre de lui fournir les moyens de 
combattre avec avantage le fleur Kornmann , puif- 
qu’en même-tems, je le répété^ je veux qu’elle 
lui rende hautement juftice , puifqu’en méme- 
tems , je le répété , je veux qu’elle avoue que 
de perfides confeils l’ont égarée ; mais ce qui f 
veut dire fimpîement que je fuis prêt à ména- 
ger fa défenfe , de manière â ce que , fans difîi- 
muler les fautes , elle en rejette tout l’odieux fur 
chacun de ceux qui l’ont favorifée dans fes délbrdres , 
comme je Pavois fait moi-même jiîfqu’aiors , comme 
je n’ai cefTé de le faire depuis (r). 

• Enfin , qu’y trouve-t-^on , fl on les confldere rela- 
tivement aux circonftances dans lefquelles ils ont été 
écrits , relativement aux moyens qu’on a mis en oeuvre v 
pour me les faire écrire ? 


la dame Kornïïiann innocente ! Au refte , remarquer dans ce' 
billet ces mots : et \’ous voyez; qu il eft de la plus haute im- 
portance que notre plan s’exécute Le plan dont il s’agit ici y 
ctoit donc auta. t le plan de Me Fournel, que le mien, & comment 
après cela Me. Fournel a-t il eu le courage de livrer mes billets à- 
la dame Kornmann & à fou defenfeur ? Comment n’a-t-il pas fenti 
qu’en donnant à mes billets une interprétation audl faulTe qi»e 
calonmieufè , 1 opinion qu’il efl'ayoit de former contre moi , il la^ 
formoit encore plus contre lui î 

( i) Voici encore ce que je dis dans un autre de mes billets s 
« Sauvons Madame Kornmann fur toute ebofe , préparez le 
3^ cavenas des lettres dont je vous ai parlé ( les lettres, à M. le Noit 
33 au fleur de Beaumarchais ), Vous lavez quelles (ont mes inten- 
se tiens, & fl la Nature m a doué d une ame méchante. Je con- 
33 tribwerai de bon cœur à lui faire jouer dans le public , le rôle le 
33 plus intérelfant & le plus noble pourvu qu'elle veuille s’y prê- 
33 ter “ Mais en quoi pouvoir conflfler ce rôle inrérefTant & 
noble, n’ctoit-ce pas à s’élever, en quelque forte', au delTus de' 
fes fautes , en ne rougiffant pas d’en faire l’aveu '' Et peut- on eu 
douter, quand on remarque que je demande, avant tout, qu’ort 
écrive M. à le Noir & au fleur de Beaumarchais ? Or , on a vu' 
plus haut dans quels termes je veu-x qu’on leur écrive , & comment' 
j’cxig? qu’op ‘leur déclare , qu’oa reno.riGe peur toujours à l«uf 
fbeieté. 


( ) . 

Que j’ai éié dupe , en les écrivant de ma confiance 
en un homme dont je n’ofois me permettre de foup- 
çonner la bonne- foi ; que j’ai peut-être trop facilement 
cédé à la pitié qu’il tâchoit de m’infpirer pour une 
femme coupable ; qu’au moindre figne de repentir 
que cette femme m’a donné ^ ou plutôt qu’elle a 
feint de me donner, de concert avec l’homme qui me 
trompoit , je fuis allé au- devant d’elle pour l’arracher 
^ à la deftinée qu’elle fe préparoit ; enfin , que j’aî 
vivement fouhaité qu’il pût exifter un' moyen de la 
rapprocher de fes enfans , en la féparant de fes cor- 
rupteurs ; & qu’en conféquence , je me fuis prêté 
fans effort , fans précaution , à faire toutes les dé- 
marches qu’on a exigé de moi pour opérer ce rappro- 
chement falutaire. 

Voilà tout ce qu’on remarque dans mes billets ; 
voilà tout ce qui réfulte des circonftances dans leC- 
quelles on me les a fait écrire. ■ 

Et ce font là des crimes ! Et des intentions fi 
douces & fi pures , ont été travefîies en intentions 
malfaifantes ! Ah ! je ne m’en défends pas. Oui , j’ai 
voulu fauver la dame Kornmann * oui , j’ai faifi avec 
tout remprefiemenr d’une ame honnête & fenfible , 
l’occafion qui m’a été offerte de difliper l’illufion 
fatale dont elle aimoit à s’environner* oui, j’ai defiré 
la fcparer de fes corrupteurs ; oui , je n’ai pu fans 
frémir , voir fe brifer , Ibus mes yeux , les liens qui 

^ l’attachoient à fes enfans Une mere & des en- 

fans , ôc un éternel filence entre une mere & des 

enfans Cette idée étoit horrible pour moi , & 

c’étoit parce qu’elle étoit horrible , que dans tous 
les écrits que j’ai publiés dans cette caufe ^ je me 
fuis fingulierement occupé de préfenter , fous un 
point de vue intéreffant , celle que d’affreufes circonf- 
tances m’obligeoient d’accufer; c’étoit, parce qu’elle 
étoit horrible , que plus cette femme efi: devenue 
criminelle , ôi plus ma pitié pour elle elî: devenue 


( ^ , 

profonde ; c’étoît , parce qu'elle étoit Horrible , que 
plus les auteurs de Tes lionteuK égaremens m’onf 
perféeuté, & plus j'ai éprouvé d’émotion en fongeant 
au fort cruel qui devoir être un jour fon partage ^ 
& moins j'ai pu me réfoudre à manifeder l’opinion ^ 
hélas ! trop véritable que je m’étois faite de fa dé- 
pravation profonde; efpérant toujours qu’un moment 
viendroit , où tant de modération de ma part , opé- 
reroit dans fon ame une révolution falutaire , & 
n’ofant pas humilier par des vérités trop féveres ^ 
celle qui pou voit encore fe montrer li digne d’êtrô 
honorée , par un retour fincere à la vertu. 

Infortunée ! vas , je te pardonne tout le mal qu’ils 
ônt voulu me faire en ton nom. Quelque part 
qu’ils t’ayent donnée dans leurs lâches complots , ne 
crois pas que je t’impute aucun de ceux qu’ds^ ont 
formé pour me perdre. Non , jamais , quoique m 
faffes , tu ne trouveras dans mon cœur que de la 
compalTion & de l’indulgence. 

Infortunée l dans quel abîme de corruption ils 
t’ont fait defcendre 1 Comment celle qui rempliflbit 
fes devoirs avec une fidélité fi touchante & fi ref- 
pedable , comment celle qui préféroit aux vains 
plaifirs du monde, la paix de fa maifon, le bonheur 
tranquille dont elle jouifibit auprès de fes en fans , 
comment eft-elle devenue la plus perfide des époufes j, 
la plus infenfible des meres ? Oh! pourquoi n’es-tu pas 
ici ? Pourquoi fous les yeux de tes juges , en préfence 
'de ces femmes qui m’écoutent & qui font meres 
comme toi , pourquoi ne puis-je interroger ton cœur? 
Non , je ne le crois pas ; non , quelqu’ayent été tes 
fureurs , tes égaremens , tes attentats ^ ils ont égaré 
ton cœur , ils ne l’ont pas entièrement corrompu ! 
Xa nature garde le cœur d’une mere ; il eft des 
méchans qu’elle laifiTe fans remords ; mais pour la 
confolatio^l & le bonheur de l’efpece humaine , â 


côté d^uné mere coupable , elle place toujours le 
repentir ! * 

Hélas ! peut-être en ce rrionierit , tu pleures foli- 
taire & délaifTée ! Peut-être ut gémis fur les füneftêi 
cehfeils qu’ils n’ont celTé de te donner jufqu’à ce 
jour ; peut-être confidérant de plus près l’avenir dont 
je Pavois menàcée, tu ‘ regrettes d’avoir cherché à 
me trahir ; quand je m’occupois avec tant d’intérêt 
de te tendre une main fecourable ! Combien elles 
doivent être ameres tes larmes ! Comme je les vois 
"tomber lentement fur ton cœur ! Que de fâi’tes elles 
expient à nies yeux ! Infortunée^... tu rie verras plus 
tes enfaris i & tu pleures!.:.. 

Vous ^ qui devez la juger ; vous les témoins 
de mon trouble & de la douleur que j’éprouve , ^it 
longeant au fort qui lui eft maintenant réfervé ; non , 
Vous ne ferez point iriexorâbles , vous aurez pitié 
d’une mere , puifque rious nous fommes vus forcés 
d^accufer une mere devant vous ; je le fais , il en 
eft peu d’àufti coupables : mais auffi ^ exifta - 1 - il 
jamais une fociété plus perverfe ^ plus corrompue que 
telle dans laquelle une première faute l’à mâlheureufe- 
inent entraînée ? ’ 

Lorfqu’il s’agit de punir une femme infidelle 
quelques foient fes erreurs , quelques foient même 
fes crimes , n’oublions jamais que la première caufe 
de fes erreurs & de fes Crimes rie fut pas en elle- 
même ; que c’eft toujours une fédudiori étrangers 
qui les a préparées ; que là nature , qui fit les femmes 
pour aimer , leur donna àufîî plus d’abandon dans 
le développement de leurs paftions on de leurs fen- 
timens ; que prefque toujours toute la raifon d’une 
femme eft dans fon cœur; qu’ih eft comme impof^ 
lible qu’elle ait d’autre mor^e que celle de l’homme 
qu’elle aime , & que fi cet homme eft artificieux & 
méchant , il faut bien enfin â moins que quelqu’évé- 
nement imprévu ne difitpe le charme qui la féduit ^ 

C 



( 34 ) 


cfu’elle devienne , comme involontairement la com^ 


Non , encore une tois, vous ne ferez point inexo- 
rables , v4us ne verrez pas d’un même œil & les 
bourreaux & la vidime , & cette troupe d’hommes fans 
foi , dont vous connoiffez maintenant tous les crimes , 
& l’infortunée qu’ils ont perdue. Le magiftrat , chargé 
des importantes fondions du miniftere public , faura 
déterminer la jufte diftance qu’il faut mettre entr’eux. 
Vous l’entendrez , avec cette éloquence énergique 
& douce , avec cet efprit de lumière qui le caradé- 
rife , établir des diftindions néceffaires entre la 
femme adultéré , & celui qui l’a détournée de la route 
de fes devoirs ; il vous préfentera dans tout fon 
|pur cette vérité fi itimple & fi importante en méme- 
jtems que la nature elle-même punit la femme adul- 
téré d’une maniéré déjà bien rigoureufe , en la'jpri- 
yant de toutes fes afFedions domeftiques ( 2 . ) , en 


( , ^ Je remarque une chofe bien étrange dans nos moeurs. Un 
Îîomme cité pour fa vie licemieufe , un homme qui aura porté le 
trouble dans, vingt ménages , n’encourt aucun blâme î on le voit 
lans fcrupule , on l’accueitle avec intérêt, on plaifante même avec 
lui de ce qu il fait la défolation des familles qu’il a déshonorées , 
& une femme , que tant de circonftances exeufent quelquefois , fî 
jnalheureuferaent fon infidélité eft devenue trop publique, fe trouve 
tout-à-coup vouée r. l’abandon & à la honte ; certainement je ne veux 
pas que la femme qui s’eft laiffée féduire,& qui,fur-tout a donné trop 
d’éclat à fes fautes, conferve encore une confidération qu’elle a 
mérité de perdre î mais l’homme qui l*a féduite , n’eft-il donc pas 
plus coupable , & pourquoi le traite t-on avec une fi fcandaleufc 
Indulgence , tandis qu on U punit , elle , avec tant de rigueur ôc 

de févérité 1 r- r c • 

( 2. )' Précifément parce que les femmes font faites pour aimer , 
«lies ne font heureufes , que par des rapports domeftiques , Sc ces 
japports leur font encore plus elfentiels qu’à nous La vocation 
d’une femme, fi je peux me fervir de ce mot, eft d être époufe 
& mete 5 & fa vie , malgré le tumulte du monde , n’eft prcfque 
toujours qu’une vie folitaire , inquiette & pleine d’ennuis, quand 
ies afFedions de mere d’époufë lui manquent. Or , l’adultere 
une fois connu , féparant nécelTairement une femme de fa famille , 
l’ifolant infailliblement de| tout ce qu’elle devoir aimer , porte 
avec lui fa peine & une peine qui , malhcur-ufemcnt , ne peut 
^nii qu’avec rivfortunée qui' en eft l’objet. Mais , d’après cct^ç 



méchanceté (l) 


i*rî(ant les liens qui I attachoient â Tes enfans , en 
hiettant une éternelle foHtude dans fon cœur , éc 
tandis qu il a.ppellera toutes les vengeances des loix 
Tur la tete des coupables , que nous vous avons 
dénoncés^ vous le verréz accueillir, avec intérêt'^ 
la priere de celui que nous avons défendu , la prière 
d’un époux couvert d’outrages , qui , pour fe garantir 
des attentats dé ceux qui lui oiit ravi fon époufe, 
forcé de l’accufer elle- meme, ne vous demande pas 
fa honte , vous conjure , au contraire , d’éloigner 
d’elle toute condamnation trop févere , & ne defire 
autre chofe de votre jufticé , finon qiie vous déter- 
miniez fon fort , de maniéré à ce qu’elle rie puifTe 
s’égarer davantagCi 

^ Hélas ! j’ai vu les plus Hautes protedidns employées 
à fouftraire à un châtiment trop mérité , les fcélé- 
rats qui ont corifomrrié fon opprobre. J’ai vu le 
magiftrat prévaricateur , qui , au mépris des loix 
les plus faintes ^ s^efl: occupé de la favorifer dans fés 
défordres ; j’ai vu l’homme vil , auquel elle s’èft aban- 
donnée ; j’ai vu l’homme audacieux, qui s’eft fait un 
mente de la fouffraire a 1 autorité dé fori époux ^ 
je lés ai vus tous , environnés de ce que le crédit 
â de plus impofarit , l’intrigue dé pliis dangereux „ 
l’autorité quelquefois de plus formidable , & je n’aî 
vu perfonne s’ihtéfelTer véritablement ari fort de 
cette infortunée, & depuis qu’elle a quitté la mai- 
fon de fon époux , tous ont cherché à rriettre à profit 
fes erreurs, tous l’ont encouragée dans la carrière 
licentieufe qu’ils ont ouverte devant elle, nul n’a 
voulu lui dorinèr un confeil falutaire. Et moi feul , 


idée, nos loix qui puhiffeot avec autant de fé vérité la femme infi, 
delie que fon ebrrupteur , ne font-elles pas fUfceptibles de quelque 
tetorme , ^ à l’egard de la femme infidelle , li la nature venge les 
inœurs avec tant d’energie , faut-il encore ajouter beaucoup de 
choie a U vengeance î ^ 

C Z 


peut-êtré , ctierché' la fauver , & vous vdÿè^ 
comme ma pitié pour elle a failli me devenir funefte,, 
& vous voyez comme ces hommes afBreiix ont tenté 
de tourner à ma honte tout ce que j’ai entrepris 
pour la rappeîler à fes devoirs ; comme ils ont eÏÏayé 
de transformer y en démarche criminelle , la démarché 
la plus innocente, la plus fimple , la moins fufcep* 
tible d’une interprétation' défavorable. 

Après cela, dois-je me repentir d’avoir été trop 
crédule dans une circonftance où ma crédulité , quoi- 
qu’excitée par les motifs les plus nobles , a pu avoir 
pour moi des conféquences fi cruelles ? Non : j'aimë 
encore mieux être imprudent qu’impitoyable. S’il 
eft des larmes perfides , on pourra , je le fens , mé 
tromper encore , & quelque dure que foit l’exp^e^ 
rîence que j’acquiers aujourd’hui , ce fera toujours 
avec le même abandon , la même difpofition a me 
laifTer féduîre par de trompeufes apparences, que 
j’irai aü-devant des malheureux qui imploreront moii 
appui. 

Je parte au fécond reproche qui m’efl: fait. Vous^ 
h’avez point oublié qu’il a pour objet ce que j ai 
dit du prince & de la princeffe de Naffau dans mes 
ménibires ; qu’en conféquence de ce que j’y ai dit 
de l’un & de l’autre , le prince de Naffau a rendu 
plainte contre le fleur Kornmann & contre moi ^ 
que , fur cette plainte , grâce à la complaifance des 
premiers Juges , nous nous, trouvons tous les deux 
décrétés d’ajournement perfonnel. 

Je remarque , entre le prince de Naffau & moi, 
^'deux efpeces de difficultés : des difficultés de forme , 
& des difficultés de fond. ^ ^ 

Difficultés de forme. Il prétend que la plainte qu il 
a rendue contre nous éft régulière j & moi , je fou-- 
tiens qu’elle eft récriminatôire. ^ ■ 

Difficultés de fond. Il prétend qu’il a eu raifoti 
de rendre plainte contre nous, parce que nous l’avons 



calomnie : & moî , je foutiens que loin de Pavoîr 
calomnié , nous n’avons pas dit de lui tout ce que 
nous pouvions , tout ce que nous devions dire. 

Je m’arrêterai peu fur les difficultés de forme. 

Le prince de NalTau affiire que j’ai tort de regar- 
der comme récriminatoire la plainte qu’il a rendue 
‘contre nous , attendu , dit-il , qu’une plainte récri- 
minatoire eft la plainte que rend un accufé contre 
fon accufateur , & que nous ne l’avions pas accufé 
lorfqu’il a rendu plainte contre nous. 

Et comment le prince de Nafîàu veut - il prou- 
ver qu’à cette époque , il n’étoit pas accufé ? De deux 
maniérés. 

Il n’étoit pas accufé , parce qne , quand il a rendu 
plainte contre nous, il n’étoit pas décrété, & > 

parmi nous , il n’y a que le décret qui accufé. 

Il u’étoit pas accufé , parce que , quand il a rendu 
plainte contre noiis , non-feulement il n’exifioit 
point de décret, mais > même il n’exiftoit pas de 
plainte fpéciale contre lui de la part du fieiif 
Kornmann. 

A ces deux moyens , j’oppofe deux réppnfes bien 
fimples. 

Premièrement , il eft faux que , fuivant notre jurif- 
prudence , il faille être décrété pour être accufé. 
Deux particuliers rendent plainte le même jour , 
l’un contre l’autre fur le même fait , en s’accufant 
mutuellerfient. Dans cette pofition , quel eft le devoir 
du Puge ? Peut- il accueillir les deux plaintes à la fois ? 
N’eft-il pas tenu au contraire de rejetter l’une pour 
adopter l’autre ?- De déclarer ainfi qu’entre ces deux 
particuliers , l’un eft accufateur & l’autre accufé? Et 
cependant il n’a point encore prononcé de décret. 
Ce n’eft donc pas , comme vous le voyez, le décret 
qui accufé , mais la plainte puifque dans^ cette 
hypothefe , c’eft entre des plaintes" qu’on çhojftt 
pour d^éternii.uer quel eft raccuré ôc quel eft i’acçii-. 
faieur. ^ “ Ç 2 


; . ( 38 ) 

En fécond lieu , il eft faux que le fienr Kornmann 
îi’ak pas rendu plainte contre le prince de NafTau , 
bien, antérieurement g la plainte du prince de Naf,, 
fau , çoritre lui ; car, dix-huit mois avant la plainte 
du prince de NafTau , le fieur Kornmann avoit rendu 
une plainte générale contre le fieur Daudet, fes 
complices , fauteurs & adhérans. Qr , le fieur Korh- 
in^nna démontré ,& je le démontrerai dans peu davarï- 
tage , que le prince de NafTau eft un des complices 
du fieur Daudet. îl efi: donc évideut qiTen rendant 
plainte contre le fieur Dapdet , il a rendu plainte aufîl 
contre le prince de NafTau. 

Mais , dites-vous , ces mots complices , fauteur^ 
& adhérans qui fe trouvent dans la plainte contre le 
fieur Daudet , font des mQts que vous pouvez appli- 
quer à tout le monde, & qui, çonféquemnicqt, ne 
s’appliquent à perfbnne.' 

Oui , je peux appliquer ces mots à tout le monde \ 
mai^ l’eflentiel eft de favqir fi je Içs applique bien 
pu mal. 

Si , par exemple , je ne vous démontre pas que Iq 
prince de NafTau eft fauteur, complice ou adhérant du 
fieur Daudet, il fe trouvera que j’ai mal appliqué ce^ 
e^prefïions au prince de Naftau , qu’il n’eft pas acçufé 
& que fa plainte n’eft p^s récriminatoire. 

Mais fi je vous démontre invinciblement que per^ 
fonne n’a plus favorifé le délit & la continuation du 
délit du fieur Daudet que le prince de hJî\fTau , il 
fe trouvera que j’ai bien appliqué au prince de Nafîàu 
la qualité de complice , fauteur ou adhérant du fieqr 
Daudet,* que, dès-lors il eft nécefïairement com- 
pris d^ns la plainte que le fieur Kornmann a rendue 
contre le fieur Daqdet ; que , dès-lors , il eft accufé ; 
que, dès-lors aufîi , la plainte du Prince de NafTau eft 
rgcrirninatoire. 

Ces idées font trop facile^ â faifir pour que je m’y> 
arrête davantage ; j’arriy^ aux difficultés du fond | 


/ 


c^eiT-à-dire , à la calomnie que m impute le princé 
de Naffaii. 

S’il faut croire le prince de Naflau , je Tai calom- 
nié non-feulement dans fa perfqnne ; mais ce qui eft 
bien pis , dans la perfonne de la princefTe de NalTau , 
fon dpoufe. 

Et fur quoi fe fonde-t-il pour dire que je l’aî 
calomnié ? fur deux phrafes qui fe trouvent dans 
deux de mes mémoires. Et quelles font ces deux phrafes 

. . , . , 

Le fieur de Beaumarchais publie un ecm , ou il 
;mnonce qu’il ne s’efl chargé de faire des démar- 
ches en faveur de la dame Kornmann , qu’en confé- 
quence de la mifTion exprefîè qu’il en a reçue chez le 
prince de NafTau. 

Et moi je réponds au (leur de Beaumarchais , que la 
million qui lui a été donnée chez le prince de NafTau , 
par quelques hommes corrompus & quelques femmes 
fans pudeur, ne fuffit pas pour le juftiîier du rôle 
odieux que je lui reproche. 

M, le Noir publie un écrit où il dit que la princefîe 
de NafTau a vivement follicité auprès de lui , la 
liberté de la dame Kornmann , &: ce qui eft bien 
plus fort, où il nous apprend qu’elle a envoyé aux 


(i) Qn trouvera ici trois ou quatre pages de réflexions déjà déve- 
loppées dans mon grand mémoire contre le prince de NalTau î iî 
faut bien , malgré moi, répéter ces réflexions. Ce très-fouvent dans 
les memes termes , quand je ne puis rencontrer mieux : l’avocat du 
prince de Naflau n’a fait autre chofe à l’audience que préfenter les 
objeitions que je me fuis faites dans ce même mémoire, & tout fon 
art a conlifté à ne pas dite un mot de mes léponrcs. Cependant cet 
avocat , comme les trois autres , prétend que mes mémoires font 
fameux , que tout le monde les a lus j mais alors n’a-t- il pas un peu 
manque , non - feulement de bonne-foi, mais de pudeur, en ex- 
trayant de ces mémoires li connus , tout ce que j’y avois mis moi- 
racine à ma charge , afin d’en compofer fon plaidoyer , & en laifTs-nt 
de côté tons les raifonnemen , un peu décififs , il eft vrai , dont je 
me luis fervi pour détruire fan& rctom ics imputations que je pic- 
voyois devoir un jour m’être 

Ç 4 


( 49 ) 

^ mînîftres des mémoires dans lefqiieîs â coup fur, 
afin de difculper la dame Kornmann , elle ne trai~ 
toit pas le fieur Kornmann avec beaucoup de ména- 
gement. 

Et moi je réponds à M. le Noir que les follicitations 
de la princefle de Nafîaii, ne l’excufent en aucuile 
façon à mes yeux, attendu qu’il favoit très-bien qu’il 
éxiftoit des relations intimes, entre elle & le fieiir 
Daudet , & que lui- même , en parlant de ces relations 
au fieur Kornmann , ne s’en étoit pas expliqué d’une 
manière bien avantageufe. 

Voilà ce que J’ai écrit. Or, pour favoir fi j’ai ca*^ 
îomnié en écrivant ainfi , il faut rechercher fi ce que^ 
j’ai écrit eft vrai ou faux. 

Et d’abord ^ en ce qui concerne la Princefiè de, 
Nafiau, elle ne niera pas; & tput le public fait commp 
moi , qu’il exifioit entre elle & le fieur Daudet , des’ 
relations intimes. M. le Noir , de fon côté^ n’oferoit 
pas nier, s’il Te trouyoit ici en préfence du fieur 
Kornmann , qu’il n’a pas parlé de ces relations , en 
des termes très-honorables. 

M. le Noir avoit entre fes mains les regiftres de la 
Police y remplis de notes infamantes contre le fieur 
Daudet , regifires dont , dans les courts momens de, 
là profpérité , le fieur Daudet ayoit vainement follicité 
la lüpprefiion , regiftres qui dépofent encore en plus 
d’un lieu que le fieur Daudet eft un efcroc , un intri- 
gant, un homme fans principes & fans foi ; & , d’après 
cela, de quel œil M. le Noir pouyoit-ilvoir les relations 
de la Princefie de NaiTau avec un tel perfonnage ? Et 
comment entreprendroit-on de nous prouver aujour- 
d’hui que nous en avons impofé , lorfqiie nous avons 
affirmé que M. le Noir , en s’expliquant fur de telles 
relations avec le fieur Kornmann, n’en a pas parlé d’unp 
maniéré favorable (i)? 

(0 L’Avocat du fieur Daudet a ofé me faire un crime de ce que \e^ 



(•41 ) 

Mats , me répliquez- von? , qu’importe tout ce. que 
yous dites ici ? En avançanrqu’il exiftoit des relations 
intimes entre la Princefîe de Naffau & le fieur Daudet , 
vous ayez fait naître des foupçons fur les mœurs de la 
Princefïe de NafTaii , & fous ce point de vue vous êtes 
toujours bien coupable. 

Non , je ne fuis pas coupable. Si , dans cette occa- 
fion , cpmme vous le prétendez , les rnœurs de la Prin- 
çelTe de NafTaii ont été offenfees , à qui doit-elle 
imputer cette offenfe ? Je fais , pour un moment , une 
fuppofition impoffible. Je fuppofe que le fieur Daudet , 
que yous connoifl'ez maintenant pour le plus vil , le 
plus odieux de tous les hommes , fi le fieur de Beau- 
marchais n’exiftoit pas , foit au contraire un homme 
d’une conduite pure & irréprochable. Eh bien , dans 
cette hypothefe ; quand j’ai dit qu’il exiftoit des relation? 
intimés èntre la PrincelTe de Nafiau & le fieur Daudet , 
je n’aurai rien dit qui puifle faire foupçonner les mœurs' 
de la Princefie de Nafiau. Et pourquoi ? parce, que des 
relations intimes entre la Prineefiè de NafTau & un 
homme de bien ^ ne peuvent qu’être honorables. Ce 


cite ici les regiftres de la police , Sj il 3. déclaré avec une emphafe à 
laquelle il feroit bien à fouhaiter qu’il renonçât , qu’il me rendoit 
telponfable de toutes les imputations que je m’etois permifes , 
d’apfes ce que pouvoient contenir ces maliicureux regiftres 5 l’avocat 
du fieur Daudet n'avoit pas befoin de faire tant de bruit ; je me fuis 
toujours rendu refponfable ‘ de tout ce que j ai dit ou écrit , depuis 
que je me mêle de dire ou d 'écrire. Je déclare donc ici que fi les 
îcgiftres de la police ne depofent pas que le fieur Daudet eft un in- 
triguant, un efcroc , un homme fans principes & fans foi , je con- 
féns à paffer pour en avoir impolèau public & aux raagiftrats. Après 
cette déclaration le ficùr Daudet n’a plus qu’une chofe à faire , c’eft 
de folliciter un arrêt de la cour , qui ordonne l’apport des regiftres de 
la police, ou bien je le follicitera^ , moi, & puis nous verrons ce 
dui réfultera de la confrontation de ces regiftres avec le lieur 
Daudet. 1 

Il faut dite encore que c’efl: de M. le Noir que nous tenons que 
le nom du fieur Daudet qui fe trouve en plus d’un lieu fur les Regif- 
tres de la police, n’y eft nulle part accompagné dune épithere ho- 
norable. Après cela , comment M. le Noir a - t - il pu livrer la dame 
Kornmann au ftcut Daudet î J c lai laille cette queftion à reioudic. 


( 42 ' ) 

h’eft donc uniquement que parce que le fienr Daudet 
eft environné de la réputation la plus infâme , que je 
n’ai pu, félon vous , fans que les mœurs de la Prin- i 
celTe de Nafïàu aient été ofFenfées , parler de fes rela- 
tions avec elle ; mais alors , à qui doit s’en prendre- 
la PrincefTe de Naflau ? Eft-ce â moi qui me fuis vu 
contraint, par la nécelîité de la défenfe du fieur 
Kornmann , de faire remarquer de telles relations ? 
Ou â elle , qui ne s’eft fait aucun fcrupule de les entre- 
tenir ? Ou à elle, qui , en recevant habituellement 
dans fa maifon , comme fon homme de confiance , 
comme fon ami , un perfonnage de tout point mal famé j 
en le fervant outre mcfure dans une circofiftance où il ne 
méditoit qu’un crime , a donné à connoître combien 
fa réputation lui étoit peu chere ; & n’a pas craint de 
préparer ainfi fur elle-même l’opinion défavorable 
dont vous m’accufez fi inconfidérément d’étre l’Auteur 
aujourd’hui ? 

Et puis ^ pourquoi me parlez-vous ici des mœurs de 
la PrincefTe de Naflau ? Et comment pouvez-vous dire 
que j’aye fongé à les ofFenfer, quand les Mémoires 
mêmes dont vous vous plaignez , prouvent évidemment 
qu’il efl: impoflible qu’un tel deflèin me foît Jamais 
venu dans l’efprit ? 

N’avez- vous pas remarqué que dans ces Mémoires ^ 
en même-tems que je parle des relations de la Princefle 
de NaflTau avec le fieur Daudet , je rend compte dans le 
plus grand détail de la paflion du fieur Daudet pour la 
dame Kornmann ? N’avez - vous pas remarqué que 
dans ces mêmes Mémoires , j’expofe que c’eft pour 
fervir cette paflion malhonnête , que la Princefle de 
Nafïàu a fait un fi grand nombre de démarches , foit ’ 
auprès de M. le Noir , foit auprès des Miniftres? 

Or , fi j*y rends compte dans le plus grand détail de 
la paflion du fieur Daudet pour la dame Kornmann , fi 
j’y peins en même tems la Princefle de Naflau , toute 
occupée de fervir cette paflion malhonnête , comment * 


ponvez-vons fnppofer que mon defTeîn ait été' de 
donner a entendre iin l'eul inftant que cette meme 
PrincefTe de Naflaii n’agifîôit ainfi que parce qu’elle 
ëtoit éprife du fieur Daudet ! Ne fcntez-vous donc 
pas que dans une pareille hypothefe l’interet de \n 
PrincefTe de Naffau eût été précifément d’éloigner 
là dame de Kornmann du fieur Daudet ^ & que dès 
que je vous la préfente , au contraire, employant tout 
ce, qu’elle a de crédit & de moyens pour rapprocher !e 
fieur Daudet de la dame Kornmann, nécefi'airement je 
fuis allé au-devant de l’opinion qu’il ait pu exifier 
entr’elle & le fieur Daudet des habitudes ofFenfantes 
pour les mœurs , des habitudes fembîables à celles qui 
exiftoient entre le fieur Daudet , par exemple^ la 
dame Kornmann? Tout cela efi fi clair , que je n’ai pas 
befoin de m’y arrêter davantage. 

Ainfi , je n’ai pas calomnié la PrincefTe de Naffau.' 
Voyons maintenant fi le Prince de Naffau peut , avec 
plus de raifon , prétendre que je l’ai calomnié. 

J’ouvre le Mémoire du fieur de Beaumarchais ; & 
qp’y vois-je? Lç Prince de Naffau agifiant, écrivant , 
imihipliant les démarches pour procurer â la dame 
Kornniann fa liberté. J’ouvre le Mémoire du fieur 
de Beaumarchais*', & qu’y vois- je ? Le Prince de 
Naffau invitant le fieur de Beaumarchais à fe pré- 
valoir des Lettres du fieur Kornmann au fieur Daudet, 
pour répandre en feçret chez les Miniflrcs l’opinion 
que le fieur Kornmann avoir vendu fon époufe au 
fieur Daudet , tandis qu’en Public , n’ofant pas fe 
prévaloir de ces mêmes Lettres , qui aftefcent précis 
fément , & d’une maniéré invincible y l’opinion con- 
traire , ils s’efforcoient l’un & l’autre de faire regarder 
le fieur Kornmann comme le mari le plus jaloux & le 
plus intraitable. Enfin j’ouvre le Mémoire du fieur 
de Beaumarchais , & qu’y vois- je encore ? que c’eft 
^iix follicitations très-preflkntes du Prince de Naffau , 
à fes vpyages à Verf^iUes, à fon crédit impofant^ que 


la dame Kornmann a dû la fatale révocation de Pordrô 
qui a permis qu’elle fût transférée de la maifon de«j 
Dames Douay , dans celle du Médecin Page, (i) 

Ce n’eft pas tout. Je jette les yeux fur l’information , 
& qu’efl: ce que j’y trouve ? Que le fieur Daudet , 
corrupteur très-connu , très-public de la dame Korn- 
mann , que le fieur Daudet , objet principal de nos 
àccufations, par une condefcendance bien fcandaleufe , 
a eu la faculté de fe rendre tous les jours dans la maifoi^ 
du Médecin Page ; c’eft-à-dire, dans la maifon.de ce 
même Médecin chez lequel le Prince de NafTau & le 
fieur de Beaumarchais avaient fait transférer la dam» 


(x) î-e tems ne mç permettant pas de faire imprimer à préfent les 
Içttres du Sr. K dans toute leur intégrité , je les publierai après l’arrêt 
gui va intervenir, ave.c un écrit, où je rapprocherai de ces lettres enfin 
connues , l'horrible commentaire qu’en a fait le fieur de B. dans fou 
premier mémoire. On fe rappelle , qu'à cette époque , il conduoiè 
de ces lettres , qu il citoit par lambeaux, & qu’il tro.nquoit à 
fantaifie , que le fieur Kornmann étoit le plus vil de tous les hom- 
mes , qu il avoit livré lui-même fon époufe au fieur Daudet. 
fera bieu furpris, quand *on les lira telles qu’elles font, de n’y voiç 
autre chofe qu° la morale d’un homme de bien , que tous les fenti- 
mens d’un epoux honnê.te pour une femme qu'il voudroit rappellet 
àfes devoirs , que là peinture du chagrin qu’il éprouve, en longeant 
qu’il n'a fait auprès d elle que des efforts inutiles. 

Tout cela eft ii frappant, que quelques perfonnes qui les ont 
déjà lues , fe demandent fi ce font bien là les mêmes lettres , dont 
le fieur de Beaumarchais s eft fervi pour diffamer le fieur Kornmann. 

Alors on fe demandera , comment il a pu exifter un avocat auejç, 
peu ialoux de Ion honneur , l’avocat du fieur Daudet, qui les a lues, 
comme tout le monde les lira dans peu, pour continuer les diffama- 
tions fi abominables ; alors on concevra, pourquoi M. le lieutenant- 
criminel & M le procureur du Roi, évidemment de concert avec le 
fieur de B. , n’ont pas voulu noi'.s permettre même l infpeélion de cess 
lettres ; alors on fentira , je l’efperc plus encore qu’on ne l’a fait , la 
aiécelïite de dépouiller les premiers Juges d une grande portion dut 
pouvoir que la loi leur accorde, puifqu ils peuvent en faire 
déteftable ufage- Et cette caufe qui a déjà tant avancé les idees publi- 
ques , nous amènera peut-être à remarquer ce gui fe pafle chez nos 
voifins , & à faire en forte qu une fois notre régime politique 
établi , le jugement par jurés , c’eft-à-dire , la feule maniéré 
juger les hommes qui foit raifonnable , s établifle parmi nous , & 
remplace la Jurirprudence àuffi arbittaire que bài;baïe , a laquc^lie, 
nous avons jufqu à présent obéi, ; 



(4^ ) ; i 

ttornmann , & , qü’à cet égard , aucune gêne ne lui 

étoit impofée. 

Voilà ce que je trouve dans le Mémoire du fieur de 
Beaumarchais , & dans les dépofitions des témoins. 

Or , vous voudrez bien remarquer , Melïïeurs , que 
jamais le Prince de NalTaii n’a défavoué les faits con-; 
tenus dans le Mémoire de fieur de Beaumarchais , que 
meme encore dans cette audience , il en a , comme, 
malgré lui y reconnu la vérité- , -en s’efforçant de faire ^ 
regarder comme une imprudence , ce que je lui impute, 
moi , comme un crime. 

' Vous voudrez bien remarquer que îe Prince de 
Naffau ne peut pas plus nier que la Princeffe de 
Nafîàu , & qu’il ne nie pas en effet qu’il n’exiftât des 
relations très- habituelles , très-intimes entre le fieur 
Daudet & lui. 

Vous voudrez bien remarquer que le Prince de 
Nafîàu ne peut pas nier davantage , que lorfqu’il s’eft 
occupé de rendre la liberté à la dame Kornmann , il 
favoit parfaitement , comme toiit le monde , que le 
fieur Daudet étoit l’unique caufe de fa détention , 
comme le principal auteur des fes défordres. 

Enfin , Mefîieurs , vous voudrez bien remarquer 
qu’à cette même époque , le Prince de Naffau recevoir 
tous les jours lejlieur Daudet, qui , de fon côté , 
employoit avec une incroyable adivité , toutes les 
refîburces de l’intrigue, pour fe rapprocher de la 
dame Kornmann. 

Et de ces circonftances bien connues , & quand 
je vois enfuite le fieur Daudet fe réunir à la dame 
Kornmann , à peine échappée de chez les dames 
Douay , vous me permettrez fans doute de conclure 
que , dans tout ce qu’a fait le Prince de Naffau en 
faveur de la dame Kornmann , il n’a eu certaine- 
ment pour objet, ainG que la Princeffe de Naffau, 
que de fouftraire la dame Kornmann à Pautorité de 
fon époux , pour la replacer fous la^ main de fon 
féJudcur. 


Mais alors , qu’eft-ce à mes yeux que le Prîncé 
ée Naffau ? évridemment un des principaux auteurs . 
de rinfohune du fieür Kornmann ; & fi je confi- 
dere ici les faites funeftes qu’à eu pour le fieur Korn- 
jQiaun , pour la dame Kornmann eîîe-même , le' 
-fuccès des démarelles du Prirrce de Naflau auprès des 
dépof; 2 àires de Tautorité ; s’il n eiî que trop démon- 
tré", par l’enfemble des faits de cette caufe , que , 
fans fon intervention funefte , la dame Kornmann y 


égarée un inüant^ mais voiGne du repentir (l) , feroit 
revenue d’eîle-même à fes devoirs , & Jouiroit peut- 
être encore aujourd’hui de la eonfidération publique,- 
& sûrement du moins n’auroit pas à fe reprocher 
.Foppfobte & la défolation de fa m-alheureufe famille * 
fi , fans le prince de Naffau tant de malheurs ne 
feroient pas arrivés . tant de forfaits if auroient pas 
■été commis, exiila-t-il jamais un délit plus grave 
que celui dont il me force ^ en cet inftant ^ de 1 
cufer ? 


>- Et fi e’efi-la itn délit grave ^ ^ ^ 

Qui ofera me nier que , dès le principe de' cette 
âfFaire , j,e ri’euffe bien incontefiablement le droit dè 
îe pourfuivre dans les tribunaux d\îne manière fpé- 
cîale ? Qui ofera me nier que , dès le principe de 
cette affaire , je ne fiiffe bien fondé à lui faire fubir 
tous les rifqiies d’une proGédiire, criminelle , ainfi 
qu’au Geur Daudet , ainG qu’au Geur de Beaumar- 
chais, qu’il fecondoiî G bien dans leurs lâches com- 
plotS‘ ? Qui ofera me nier que , dès le principe de 
cette affaire , m’armant contre lui de toute la fevo- 
rité des loix ^ il ne me devint facile de le faire comptet 
au nombre des principaux coupables dont j’avois ma- 
nifefié les trames criminelles , & publié les vexations 
ou les attentats ? 




i (i) V< ycî mpn premisi mémoire. 



■A 1- J A ^7 ) , 

Att-lieu de tout cela , qu^ai-je fait ? Je publie oh 
premier mémoire , & dans ce premier mémoire , je 
garde un rigoureux filence fur les démarches du 
Prince de Naffau , quoiqu’elles me fufTent bien 
connues ; & quand m’arrive-t-il de parler de lui ? 
Quand je ne peux plus me difpenfer d'en parler ; 
quand las de le voir citer â tout propos par mes, 
adverfaires ; quand fatigué d’entendre louer fans me- 
fure , comme fans pudeur , fa bonté , fa vertu che- 
valerefque , dans une circonftance où il n’avoit em- 
ployé fa bonté , fa vertu chevalerefque , que pour 
enlever une femme â fon mari , une mere â fes enfans , 
je fens que je ne peux plus me’ taire fans compro- 
mettre la caufe de 1 infortuné dont j’ai entrepris Ist 
défenfe. ^ 

Et encore , MM. , comment m’arrive-t-il d’en 
parler ? Vous venez de voir tout ce que je pou vois 
dire , vous venez d’apprendre tout ce que je pou. 
vois faire , & modéré néanmoins avec tant de rai- 
sons de ne letre pas, je ne laifîe échapper contre 
lui qu’une inculpation indirede. Le fieur de Beau- 
marchais me provoque , en me parlant avec emphafe 
ae la milfion qui lui avoit été donnée chez le Prince 
oe Naffau relativement à la dame Kornmann ; & 
moi , je vous le répété , .qui n’ignorois à cette épo- 
que aucune circonftance du rôle indécent que le Prince 
de Naffau avoit joué dans l’affaire du fieur Korn-, 
mann , je n’attaque pas le Prince de Naffau , je me 
contente fimplement de dire au fieur de Beaumar- 
chais que je ne penfois pas que la mi/fion qui lui ' 
avoit été donnée chez le Prince de Naffau par quel- 
ques hommes corrompus & quelques femmes fans 
pudeur , fût fuffifante pour excufer la conduite crimi- 
nelle que je lui reprochois. 

C eft à cette feule phrafe que fe borne tout cq 
que j’ai^ dit fur le Prince de Naffau. 

Et c’eft lur cette phrafe fi fimple, fur cette phrafe 


• ■ : • . ( 48 ') . 

fi loin des cruelles vérités que je pouvoîs révéler ^ 
que le Prince de Naflau fe permet de crier à la 
calomnie ! 

Et vous , qui Pavez défendu vôus avez dfé dire 
que je Tai calomnié ! mais, qui donc , je vous prie ; 
fi ce ne font des hommes corrompus & des fènimes 
fans pudeur ; qui donc a pu ; chez le Prince de 
NalTau , donner au fieur de Beaumarchais la mifllori 
fcandaleufe dont il fe vante ? Avez-vous oublié que 
cette mifîîon avoit pour objet le fiiccès d’un complot 
infâme j d’un complot qui ofFenfoit e'galement là 
pudeur & la probité ? Et fi ce complot étoitirifâme; 
s’il ofFenfoit également la pudeur & la probité , fi ,, 
pour le faire réiiflir , il falloir employer , comme 
on n’en doute plus maintenant , toutes les refFdur- 
ces de l’intrigue, tous les moyens de la calomnie^ 
faites-nous donc cdnnoître ici les femmes honnêteS 
qui n’ont pas craint de l’approuver , nommez-noùs 
Idonc les hommes délicats qui fe font empreffés dé 
■ Paccueillir. 

Et vous , qui l’avez défendu , vous avez ofé dire 
que je l’ai calomnié ! Mais , qu’eft-ce que calom- 
nier , à votre avis ? N’eft-ce pas imputer un délit 
à un homme qui n’en eft pas coupable ? Et pou- 
viez-vous douter , d’après l'enfemble des faits que 
vous aviez fous les yeux , & qui auroit dû vous ame- 
ner aux mêmes conféquences que moi , pouviez-voüs 
douter que le Prince de Naiïàu ne fût ici d’autant 
plus coupable, que, fans lui peut-être,^ nous n’aû- 
rions point eu de crimes à dénoncer^ point d’accu- 
‘ fés à pourfuivre , point de malheurs fur- tout à 
réparer. 

Et vous , qui l’avez défendu, après avoir fait 
de vains efforts pour me prouver que je l’ai calom- 
nié , vous n’avez pas craint d’ajouter que j’étois* 
.d’autant plus digne de toute la fé vérité des loix , 
que j’ai manqué à toutes les bienféances , en atta- 
quant 


quant, dans le Prînee de Nafîau , m hoitime 
mandable par fa nailfance , fon rang, fes dignités. 

Sa nailfance , fon rang , fes dignités î Quoi ! il 
ofFenfe dans la perfonne du lieur Kornmann ^ Jes 
premières loix de la morale & de la nature ! Quoi ! 
fans autre motif que de favorifer le libertinage 
effréné d’un homme fcandaleux ^ il fépare l’époux: 
de l’époufe , la mere des enfans , il prépare à tous , 
autant qu’il eft en lui , une affreufe deftinée ^ & 
on voudra que je refpede fa nailïànce , fon rang „ 
fes dignités , & ces vaines prérogatives deviendront 
un obftade , qu^en des circonftances fi funelles , il 
ne me fera pas permis de franchir? Et toutes les 
fois qu’â coté d’un délit je trou^^rai un nom illuflre,' 
ou un grand pouvoir , il faudra que je m’enve- 
loppe dans une circonfpedion timide , & qu'otant à 
la vérité fon énergie naturelle , je lui donne ce 
caradere dVmbarras & de foupleffe , qui », félon 
moi , ne devroit jamais être que Eappanaffe du 
menfonge. 

Sa nailfance , fon rang , fes dignités ! Mais , vous 
qui me parlez-ainlî , ne viens-je pas de vous démon- 
trer que j’avois le droit de m^exprimet fur le Prince 
de Nalîàu , avec bien plus de févérité que jonel’aî 
fait ? Et alors , fi j^ai ici quelque reproche à me 
faire, fi je fuis coupable, n’eft-ce pas uniquement 
d’avoir été trop modéré dans une une occafion oii 
j'aurois du m’abandonner â tous les fentîmens éner- 
giques que m’infpitoit le fpedacle d’un homme 
puilfant , combinant froidement , avec une troupe 
d’hommes fans morale , la ruine d’un infortuné qu’il 
connoilîbit à peine , d’un infortuné qu’il auroit dii 
connoître au moins avant que de fe mettre à la 
tête du, complot dont il eft encore aujourd’hui la 
vidime* 

Sa nailfance , fon rang ^ fes dignités î Mais , 

D 


vous 


qui me parlez aînfi , vous m’auriez donc' épargné 
tous les outrages dont vous m’avez couvert , fi le 
prince de Naflau n’avoit été qu’un fimple particu- 
lier , qu’un homme fans nom y qu’un individu né 
dans les dernieres claffes de la fociété ? 'Apprenez 
de moi qu’il n’y a point de naifiance , point de rang, 
point de dignité devant la loi ; que dans les pays 
libres la loi alTiire l’égalité des hommes , que dans les 
pays qui malheureufement ne font pas libres , la 
fonélion de la loi eft cependant encore de faire 
retrouver à tous , du moins en fa préfence , cette 
égalité précieufe qu’ils tiennent de la nature; que 
dans les tribunaux où la loi régné fans partage , on 
n’eft ni grand, ni petit, ni puiÆnt, ni foible, qu’on 
eft fimplement homme , que là il ne peut être queftion 
que de vices ou de vertus , de bonnes aûions ou de 
crimes , & que le vil langage des efclavcs n’y eft pas 
plus toléré que le langage orgueilleux des tyrans. 

Sa naiftànce , fon rang , fes dignités ! Et vous 
avez ofé, en nous parlant de toutes ces chofes,. 
comparer le Prince de Nalfau au Grand-Homme qui 
nous écoute (i) ; & me fuppofant en délire, vous 
n’avez pas craint d’avancer que fi cet homme ^ objet 
de notre admiration &: de nos refpects , s’étoit trouvé 
dans une pofition femblable à celle du Prince de 
Nafiau , je n’euffe pas fans doute parlé de lui avec plus 
de circonfpedion & de mefure. Que venez- vous 
nous dire ici , & comment n’avez-vous pas fenti que 
vous me placiez dans une hypothefe imaginaire ? 
Comment n’avez-vous pas compris , qu’avec un grand 
caradere , on ne fait que de grandes adions ? Qu’avec 
une ame généreufe , il eft impoffible qu’on defcende 
à d s démarches fans noblelfe & fans générofité ? 
Un tei homme , d ailleurs , foyez-en sûr , s’il étoit 


(i) Le prince Henri de Pruffe. 


i 




né parmi nous, & fî quelqu’événement étrange Poblî- 
geoit de paroître dans nos Tribunaux , ne fe'^ prévau- 
droit pas^ comme le Prince de Naflau , de fon rang , 
de fa naiffance, de fes dignités. Il ne fe pré vau droit 
pas meme de cette fuite d’adions magnanimes qui 
font de fa vie une des vies les plus illuftres & les 
plus mémorables. Vous le verriez , Meiïieurs, pour 
rendre hommage a la loi , inclinant devant vous fes 
palmes immortelles , fe placer à côté du pauvre qui 
invoqueroit la loi comme lui , & , dans cet abaiffe^. 
ment augufte , vous offrir à-la-fois, ainfi que dans 
tant d autres circonftances , le héros de la Guerre 6c 
de l’humanité. ^ 

Je n’ai donc pas plus calomnié le Prince de NafTair 
que la Princeffe de Naffau ; je n’ai donc pas même 
dit tout ce que je pouvois dire; je ne me fuis donc 
pas même expliqué fur leur compte avec cette liberté 
levere que la nature de leurs démarches & les dé- 
fordres qui en font réfultés , me mettoit dans le cas 
d employer. 

Mais, après cela, Meffieurs, que faut-il penfer 
du décret d’ajournement perfonnel , dans les liens 
duquel je fuis retenu depuis deux ans ? Que faut-il 
en penfer , fur-tout fi l’on fonge aux motifs qui m*ont 
fait entreprendre cette affaire , â la conduite que j’ai 
que je l’ai entreprife , au zele fi défin- 
“ patient , fi pur, que je n’ai ceffé de ma- 
nifeiter pour la conduite à fon dénoûment mémo- 
rable ! 

^ Quoi ! je fuis décrété ! quoi ! depuis deux ans , je 
VIS dans une efpèce d’interdiélion civile , & je n’ai 
lait autre chofe que remplir envers l’amitié malheii- 
reule les premiers devoirs de l’honneur & de l’iiu- 
manité ! & ceux qui m’ont fait décréter , coupables 
du délit le plus grave , infradeurs audacieux des plus 
importantes réglés de l’ordre focial , jouiffent encore- 
de la plénitude de leur état & de leur liberté ! & , 

Di 


comptant fur uiie impunité funefte , îls ofent , entre 
Fopinion qui les a déjà comdamnés , & la loi qui 
les attend pour les punir , demander qu’une telle 
vexation continue , que ce décret , qui fait la honte 
des Juges qui l’ont décerné , fubfifte dans toute fa 
rigueur , ce n’eft pas tout , qu’un arrêt infamant contre 
moi y imprimé au nombre de trois mille exemplaires » 
les venge de la perfévérance avec laquelle j’ai dé- 
fendu Tinfortuné dont ils avoient conjuré la ruine. 

Un arrêt infamant contre moi ! 

Et où feroiejut-ils afficher cèt arrêt ? Si vous n’étiez 
pas mes juges , s’il leur étoit poflible de l’obteni^ , 
dans quel heu pôurroient^ls faire lire fans indigna- 
tion la condamnation d’un citoyen irréprochable , qui 
s’eft dévoué avec tant d’abandon pour le fuccès d’une 
caufe 5 laquelle , par les circonftances fanieufes qui 
l’ont accompagnée , n’eft pas moins aujourd’hui la 
caufe de la Patrie ^ que la caufe des mœurs & de 
l’humanité. 

Un arrêt infamatit contre moi ! 

Et comment n’ont-ils pas frémi , comment n’oftt- 
îls pas fenti toute leur confcience fe foulever ^ quand 
ils ont ofé former une demande ft audacieufe ? Quelle 
eft celle de mes adions , à côté de laquelle iis au- 
roient la témérité de placer la honte? &: comment 
ponrroient-iîs fe flatter d’environner de quelqu’igno- 
minie celui qui n’eft remarquable aujourd’hui que 
pour avoir rempli , à travers les plus grands dan- 
gers , les devoirs les plus nobles que la Providence 
puifle impofer à un mortel. ^ \ 

Un arrêt infamant contre moi ! 

Et ce feroit«là ma récompenfe_, après trois ans de: 
peifécutions & d’outrages ! apres avoir mené, pen- 
dant ces trois années qui ne s’effaceront jamais de 
mon foLivenir , la vie la plus agitée & la plus malneii- 
reufe l Et la patience dans les calomnies , la fernietê 
dans les ievers ^ la réixgnation dans l’inloitune ^ le 




cïKirage contre les tyrans , le d^voûment pour mon 
pays ; toutes ces chofes me feroient comptées pour 
des crimes , dont il vous feroit ordonné de pour- 
fuivre la vengeance ! 

Je n’ofe me livrer , Meflieurs , â tous les fentî- 
mens d’amertume que tant d’impudence , après tant 
d’attentats, excite malgré moi dans mon cœur. Ces 
fentimens, je l’efpere , ou plutôt, je n’en doute pas, 
font en cet inftant partagés par toqs ceux qui m’é- 
coutent , & du moins cette confolatiôn me relie ; dn 
moins , j’ai cette confiance dans la pureté des prin- 
cipes qui m’ont dirigé , & dans l’intérêt fi fatisfai- 
fant qu’on met à m’entendre , que s’il s’y trouvoit 
encore des hommes affez hardis pour me contraindre 
à une apologie , il n’eft perfonne ici qui , comme 
par un mouvement involontaire , ne fe levât pour 
fe déclarer mon vengeur, & ne s’honorât de prendre 
en main ma défenfe. 

En voilà bien afièz , en voilà trop ;; peut-être , fur 
les reproches frivoles qui m’ont éié faits. 

Maintenant , MefTienrs , que s’eft-on propofé , en 
me rendant l’objet d’une perfécution fi longue & fi 
cruelle ? Qu’a-t-on voulu , en déclamant contre ma 
conduite jufqu’au pied de votre tribunal avec tant 
d’acharnement & de fureur ? Pourquoi toutes ces 
injures qui m’ont été dites ? Pourquoi toutes ces 
infultes qui m’ont été faites ? Pourquoi toutes ces ca- 
lomnies qu’on m’a prodigué avec fi peu de pudeur 
& de mefure ? 

On s’étoit flatté, je le fais , qu’â force d’outrages, 
on me détacheroit du malheureux que j’ai défendu *' 
on avoit efpéré qu’â force de vexations, on par- 
viendroit â me faire renoncer à la tâche fi noble 
que j’ai entreprife ; on avoit compté , fur-tout dans 
ces derniers momens, qu’en me couvrant pour ainfi 
dire, d’invedives groflieres & d’impudens menfonges, 
on parviendroit à m’éloigner de ce fanéluaire redou^ 


table, où ma préfence étoit importune , où n’ofoîen; 
le montrer à cote de moi , tous ces hommes pervers 
que j’ai accufés devant vous. 

Comme ils font loin de me connoître ! Comme 
îls fe doutent peu de l’élévation , & en même-tems 
de la févérité des principes auxquels j’obéis. 

• Qu’ils apprennent que li, par un événement dé- 
formais impolîîble , ce tribunal fe peuplant tout-à-coup 
de magiftrats . pour qui la caufe des mœurs feroit 
indifférente , l’infortuné que j’ai défendu , voyoit fes 
demandes rejettées , fes acciifations abolies ^ qu’ils 
apprennent que je m’unirois à lui , d’autant plus 
qu’il lui refteroit moins de confolation fur la terre. 
L’amitié ne fait point de facrifices. Dans quelque lieu 
qu’il portât fes pas , je le fuivroîs. La contrée qu’il 
auroît choifie pour y finir fes déplorables jours , de- 
viendroit ma patrie , & que quelque trifte que pût 
paroître mon fort à ceux qui ne favent pas de quelle 
paix fecrette les bonnes aéHons font toujours accom- 
pagnées , je m’eftimerois heureux , moi , d’acquitter, 
auprès de lui , jufqu’à fon dernier moment , la dette 
de la juftice & de l’humanité. 

Qu’ils apprennent que quelques puifient être en- 
core leurs complots , leurs intrigues , leurs perfidies ^ 
â quelques vexations que je me trouve encore réfervé , 
je ne cefièrai jamais de les pourfuivre ; que tant qu’ils 
feront impunis, je ne me tairai pas, qu’il faut qu’on 

m’immole â leurs pieds , ou qu’ils tombent aux miens 

L’autel de la julîice eft dans ce moment pour moi 
l’autel de la vengeance; car, après tant de forfaits, 
la jufiice & la vengeance ne font qu’une même chofe 

à mes yeux ; & fur cet autel , déformais funefte 

je jure que jamais il n’y aura de paix entre nous ; 
que je ferai fans ceffe au milieu d’eux , comme une 
providence qui éclate parmi des pervers ; que je ne 
les quitterai plus , que je ne me repoferai plus , que 
je m’attacherai à eux ^ comme le remords a la cont 



cîence coupable ; que jamais , non jamais , je n’aban- 
donnerai ma tâche commencée , jufqu^â l^inftarvt 
folemnel , où en prononçant fur cette mafTe d’atten- 
tats , les magiftrats qui m’écoutent , auront obtenu 
de nouveaux droits â la reconnoiiïànce de la nation 
entière, attentive à la deftinée de cette caufe mémorable. 

Et vous , qui préfidez ce tribunal augufte , vous 
l’ami des mœurs & des loix * vous , dans lequel nous 
admirons tous , à côté des talens qui font le grand 
magiftrat , les vertus fimples & douces qui caradé- 
rifent Phomme de bien ôc Thomme fenfible re- 

cevez mes fermens (r). 

Au refte , tous leurs efforts feront vains. Quoiqu’ils 
faffent , le triomphe des mœurs ne fauroit être encore 
long-tems différé. On commence à connoître , enfm , 
les rapports des mœurs avec la liberté ; on commence 
à fentir pourquoi la corruption & la tyrannie mar- 
chent toujours enfemble ; pourquoi toujours il faut 
dépraver les hommes quand on veut les accoutumer 
à la fervitude ; pourquoi , dans une fociété dont les 
mœurs font diffoutes , il ne refte plus de place pour 
les fentimens généreux que l’amour de la liberté 
fait éclore ; dans peu la morale domeftique fi inti- 
mement unie avec la morale des peuples, ne fera 
plus l’objet d’une dérifion fcandaleufe ; dans peu , 
des habitudes plus férieufes , mais plus douces , fuc- 
céderont à toutes ces habitudes frivoles , qui ont été 
jufqu’â préfent notre partage ; dans peu , & quand 
nous ferons vraiment citoyens , nous comprenurons 
que celui-là ne fauroit être long-tems bon citoyen , 
qui n’eft ni bon pere , ni bon fils , ni bon époux , 
qui porte avec lui dans les familles , le délorc«re & 
le trouble qui font dans fon cœur. Dans peu nous 
ne douterons plus que ce ne foit du milieu des vertus 
privées , & pour ainfi dire de leur fein , que s’élèvent 
les ve rtus publiques , fi néceffaires au progrès de 

M. le Pelletier de Saint Fargeau. 


- — ' l ^ _ 

Fordre focîal , fi effentîelles au maintien de îa profpérîrê 
commune. 

Ils vont donc difparoître fans retour, tous ces 
préjugés , que la malheureufe dépravation de nos 
mœurs avoît fait éclore , toutes ces vaines opinions 
d’un monde corrompu , dans lefquelles nos adverfaires 
avoieni mis , je le fais , leur plus grande confiance ; 
les tems de notre diffolution & de notre frivolité 
font paffés, la vérité s’avance comme un empire qui 
fe meut , & quoiqu’on falTe pour s’oppofer â fa 
puifTance , il n’y a plus d’erreur , quelque impo- 
faute , quelque accréditée , quelque univerfelle même 
qu’elle foit , qui ne doive tomber & s’anéantir devant 
«lie. 

Ainfi nous verrons la morale renaître à coté de la 
liberté. 

Je n’ai donc pas à craindre , qu^au commencement 
a’une époque, qui fera fi fameufe un jour dans 
l’hiftoire des nations , les magiftrats qui ont défendu 
avec tant de courage & de zeie nos droits politi- 
ques , ne fe hâtent de concourir , autant qu’il eft en 
leuj puiffance , au rétabiifTement des mœurs , par un 
exemple mémorable de juftice & de févérité. 

Notre liberté étoit méconnue , & ils nous ont 
appris à la connoître ; nos mœurs^ étoient détruites , 
& ils nous apprendront combien il importe qu elles 
renaiffent, & s’il n’y a pas de bonheur durable fans 
les mœurs & la liberté , tout le bonheur dont nous 
allons jouir au fein de Fheureufe conftitution , que 
nous appelle â former avec lui , un Monarque auquel 
l’Europe décerne déjà , comme le plus beau titre 
de gloire , le nom de Roi-Légiflateur , tout ce bonheur, 
îls l’auront donc préparé ; nous pourrons donc en 
grande partie le regarder encore comme leur bienfait 

& leur ouvrage. ^ ^ „ 

Signé , BERÇASSE. 

Brunetiere, Proc.