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PROTESTATION
M. BERÇASSE,
DÉPUTÉ DE LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LYON,
CONTRE
LES ASSIGNA TS-MONNQIE(
THE NEWBERK*| ^
UBRARï;i>^^
DE M. BERÇASSE,
/
DÉPUTÉ DE LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LYOHjj
CONTRE *
✓
LES ASSIGNATS - MONNOIÉ.
O N travaille dans rotnbre,& pendant des mois
entiers , des projets défaftreux ; oh en préparé
le fuccès par des coalitions perfides , & on ne^
laiffe que des minutes pour y répondre.
Je n’ai pas afifez de temps pour examiner en
détail les divers projets préfentés à TAffemblée ^
fur la néceffité de faire circuler en France des;
alTignats-monnoie ; mais il me femble qu’il n’eft
befoin que d’un petit nombre de réflexions poüîf
démontrer l’abfurdité de tous ces plans, & fur-
tout pour faire connoître les conféquences crue/-*
les , & malheureufement irréparables , qu’ils en-
traînent après eux,
A 2,
( 4 )
Faut-il des aflîgnats-monnoie ? Je ne puis ré-
pondre à cette queftion qu’en examinant d’abord
ce que feront dans les circonftances où nous fom-
mes, les afTignàn-monrioie qu’on nous propofe ,
ôc enfuite quelle fera leur influence fur le com-
merce & la circulation du numéraire dans l’État.
L’Aflemblée nationale a décrété l’aliénation
des biens eccléfiaftiques , & qu’il en feroit ven-
du une quantité proportionnelle à la fomme des
aflîgnats-monnoie qu’elle fe propofe de répandre
dans la circulation. Ces aflîgnats-monnoie ,
porteront un intérêt par jour , feront divifés
en billets y depuis deux cent livres jufqu’à cent
pîftoles. Ainfi les affignats-monnoie peuvent être
regardés cornme desefpecesde délégations don-
nées d’avance fur le produit, d'une vente qui
n’efl: pas faite , mais qui fe fera.
Onafenti que pour que raffignat-monnole
fût tout ce qu’il doit être , pour qu’il n’eût au-
cun des inconvéniens des papiers forcés , quoi-
qu’il foit papier forcée il falloir qu’il infpirât
autant de confiance qu’une lettre de change ; Ôc
dts Écrivains , gagés pour le faire prévaloir ,
'pnt dit y fans fe mettre efi peine de le prouver ,
f
en
qu'il infpireroit autant de confiance qu’uné
lettre de change.
Voyons fi cette afTertion efl: fondée .*
Quel efl le motif de la confiance qu’on a en*
une lettre de change ? C’efl: que Ton connoît la
jolïdité de celui qui la tire , de ceux qui Tendof-
fent & de celui qui l’accepte ; c’efi que celui qui
la tire, & les endofifeurs l’accepteur, en ré-
pondent fur leur liberté ; c’eft qu’en cas ^ de
non paiement , la loi accorde toutes les facilités
nécelfaires pour pourfuivre , & le tireur , & les
endolTeurs , & raccëpteur.
Or, les aflignats-monndie préfentent - ils un
motif égal de confiance ? ^ *
Non. Et pourquoi ? parce que la Nation , qui
livrera ces effets ; parce que les particuliers qui
les tiendront de la N’ation , au lieu de toutes les
sûretés qu’offre le porteur d’une lettre de change
( qu’on efl: au reffe toujours le maître de refufer)
ne livreront pour gages à ceux auxquels ils les
remettront , que des efpérances incertaines , &
qui, quoi qu’on en difé , pourroient bien finir pair
être abfolument illufoires. ‘
Ceci vaut la peine d’être éclairci.
D’abord l’Aflemblée ne peut difpofer des biens
cccléfiaftiques , qu’en déclarant libres aduelle^
ment de l’hypotheque des créanciers du Clergé^
As
en
ceux de ces bien^ dont elle dîrpofcra,& en faî-
fant 5 de la créance fur le Clergé 5 une créance
nationale ; car , tant que les biens du Clergé fe-
ront .grevés de rhypotheque des créanciers du
Clergé 5 il elt évident qu’ils ne peuvent devenir
le gage des affignats - monnoie.
Or, en premier lieu , rAffemblée a-t-elle le
droit de convertir la créance particulière du Cler-
|[é en ^créance nationale ? Ses commettans lui
ontrils donné ce pouvoir? Peut-elle produire de
leur part une procuration fpéciale qui l’autorife
à faire une converfion de ce genre ? Et (î elle n^
peut , fi dès-lors on a toujours à craindre les
réclamations demies commettans y Iqrfque fes
^ommettans pourront parler , & qu’un^defpotif-
rne effréné n’étouffera pas toutes les confeien-
ces & toutes les efpeces de liberté dans l’Empire,
je le demande : qu’eft-ce qui peut nous garantir
Ja valeur des afiignats - monnoie ? & où eft la
hafe fur laquelle ils repofent ?
En fécond lieu rie faut-il pas de plus , pour
.changer une hypotheque, que les créanciers qui
ont accepté cette hypotheque y confentent ? Et
où eft le confentementdes créanciers du Clergé ?
Les créanciers du Clergé pouvoient placer leur
argent dans les fonds publics , & en retirer un
intérêt plus confidérab^^ celui que leCIer^ç
C 7 )
leur paie. Ils ne l’ont pas youlu , parce' qu'ils
n’ont pas, cru leur argent auflî foUderaent placé
dans les fonds publics que .dans les fonds d^i
Clergé , qui leur préfentoient pour sûreté Tby-
potheque générale de fes bie^ns. Et vous, ofezai^
jourd’hui , fans daigner même k.s interroger ,
changer l’effence de leurs contrats , dénaturei:
leurs créances , 6c les pr4ve;r'du gage qui en fai-
foit la sûreté ! Ne me dites ^pas que la force donit
vous, êtes armés emtpêcheta; Teffet dfe;Jeui:s^ gér
clamation.s> 6c que fi leurs réclamations. fonti nuJr
les , votre opération efl bonne. Qui., ils peuvent
fe taire aujourd’hui;' vous pouvez les; environner
d’une terreur a.fTez grande pour qu’ils fe laiffent
facrifier fans murnitire à cette fouk d’agioten^?
avides qui dirigent . la plupart de nos délibéraT
tions financières ; mais te tems de votre force nie
durera pas toujours ! mais le moment de la vçV
rité arrivera ; le moment où les demandes jufles
pourront être accueilliescomme les idées fage.s J
mais du moins il efl poffible que ce moment ar-
rive , 6c cette feule poffibilké ne fuffit-elle pas
pour ôter à vos afTignats la plus grande partie de
leur valeur; car , prenez donc garde qu’il ne
s’agit pas ici d,e votre pui.Oance , dont perfonrie^
n’eft plus effrayé que moi, mais.de confiance,,
mais de crédit ^ toutes chofes que la puiffance ne
A ^
c^y
fauroit créer , que la feule probabilité d’un évé-
tiement quelconque fuffit pour détruire. Or, je
vous défie de me nier qu’il ne foit très probable
que les créanciers du Clergé réclameront, finon
à préfent , du moins à la prochaine légiflature,en
un mot, quand ils le pourront , le gage que vous
leuf enlevez aujourd’hui? Et, ne vOyez-vous pas
jufqu’à quel point la poffibilité d’une telle récla-
mation , fondée fur les loix invariables de la juC-
tlCQ-ôc de la propriété , ôte à vos affignats l’opi-
nion dont ils ont befoin pour fe foutenir dans la
circulation avec avantage. ^
Ainfi donc , pat cela feul déjà , queTAlTemblée
fe verra contrainte de déclarer actuellement li-
bres de toute hypotheque les biens eccléfiafti-
ques qu’elle vendra , <Sc qu’elle ne pourra le faire
fans violer toutes les loix de la morale & de la
^propriété, fans s’expofer à des réclamations bien
^ fondées , foit de la part de fes commettans , foit
de la part des créanciers du Clergé , il devient
impolTible que les affignats-monnoie ne renfer-
ment pas en eux-même une caufe de difcrédit
dont vous ne réuflirez jamais à les affranchir.
Mais cette caufe n’efl: rien en comparaifon
de celles que je vais développer ; & d’abord je
foutiens que lors même que raffemblée,au lieu de
déclarer dejpoti^uemenc libres de toute hypothe-
(P) .
que les biens ecclëfiaftiques dont elle décrétera
la vente , s’occuperoit réellement de les affran-
chir de toute hypotheque , en payant les créan-
ciers du Clergé , les affignats n’en vaudroienc
pas mieux pour cela.
Car il y a plufieurs hypotheques fur les
biens du Clergé. '
I®. L’hypotheque des créanciers du Qergé.
2°. L’hypotheque des propriétaire ou des
ufufruitiers de ces biens , tels que les Reli-
gieux & les Eccléfiaftiques.
3°. L’hypotheque du culte public.
4.°. L’hypotheque des pauvres, au fort def-
quels cependant on ne peut fe difpenfer de
pourvoir.
Or, pour délivrer les biens du Clergé de l’hy-
potheque de fes créanciers , il faut, avant tout ,
conftater la dette du Clergé, puis les dettes
particulières de chaque Diocefe, puis les dettes
des Maifons religieufes qu’on veut détruire ,
puis les dettes des Titulaires des Bénéfices; Sc,‘
cette première opération terminée, il eft d’une
juftice rigoureufe de déléguer le prix des pre-
mières ventes qu’on fera aux créanciers, foit
généraux, foit particuliers du Clergé; car cer-
tainement, ou la probité n’efl: qu’une chimere ,
ou U faut reconnoître qu’ils ont fur ces ventes
( 10 )
ütî privilège antérieur à tous ceux qu^on peut
leur oppofer.
Pour délivrer les biens du Clergé de l’hypo-»
theque des propriétaires ou des ufufruitiers qui
vivent de leur produit, il faut, les créanciers du
Clergé ayant été payés , non feulement détermi-
ner d’une maniéré invariable le fort qu’il con-
vient de faire à ces propriétaires ou ufufruitiers ;
mais donner les moyens d’affurer ce fort , mais
démontrer la poflSbilité de ces moyens dans un
Ëtat écrafé fous le poids d’une dette immenfe &
travaillé par toutes les convulfîons de la déraifon
Sc de l’anarchie ; car il feroit affreux que l’on com-
mençât par s’emparer de la fubfiftance d’un nom-
bre prodigieux d’individus, qui, s’ils ne font
lien aux yeux de la philofophie moderne , font
cependant quelque chofe aux yeux de la juftice
& de l’humanité; qu’on les expulsât de leurs de-
meures , avec la vaine promeffe de fubvenir à
leurs befoins, Ôc qu’on les abandonnât enfuite
à toutes les circonftances des événemens , fans
çonfidérer la foi publique , fous la fauve-garde
de laquelle ils ont contradé des engagemens
impoffibles à rompre , & embrallé une pro-
feffion à laquelle il i!>e leur eft pas permis de
renoncer fans crime.
Pour délivrer les biens du Clergé de l’hypo-
(ïl)
teque du culte public , il faut , après avoir pou vu
au fort des créanciers du Clergé & des eccléfiaf-
tiques qu’on réforme, réferver ce qui reliera de
libre des biens du Clergé pour les frais du culte
public , rechercher en conféquence , quel doit
être ce culte, quel dégré de majefté il convient
de lui conferver, dans quelle proportion, 6c fur-
tout de quelle maniéré, il importe de falarier fes
minillres; cal ce n’efl: qu’après avoir encore
prélevé fur les biens du Clergé,' tout ce qui fe
trouvera néeelTaire à l’entretien du culte publiq,
qu’on pourra raifonner avec fageffe fur l’emploi
du refle , ôc quelqu’opinion.qu’on ait dans ce fie-
cle raiforineur, de l’influence de la religion fur
Jes moeurs 5 j’efpere qu’on n’eft pas encore
venu au point de croire jqu’on peut faire des
moeurs fans religion , êc que tout changement
dans le culte public d’un peuple efl: un chan-
gement de peu d’importance.
Pour délivrer les biens du Clergé de Thypo-
, teque. des pauvres, qui y ont un droit fi facré ,
il faut , après avoir fatkfalt: à ce qu’exige de
nous les créanciers du Clergé, fes eccléflaftiques
que nous réformons , dc fe. jçulte public , trouver
un ordre de çhofeiSuQÙ fe jpauvre foit fecouru ,
où il puiflTe être aidé promptement dans fa mir
fete. Je teniarque qu!eu AngJe^erre,où néanmQins
<Y2) ^
le Clergé ne fe trouve pas dépouillé de toutes
fes propriétés , comme il l’efl: aéluellement chez
nous, en Angleterre, où l’induftrie eft fi florif-
fante, & où dès lors, les moyens de vivre du pro-
duit de fon travail doivent abonder, la taxe pour
les pauvres , fe monte annuellement à quatre-
vingt millions. Je crois que je ne m’avance pas
trop en affirmant > qu’en France, il nous faudra,
pour fubvenir aux befoins de nos pauvres , une
taxe à peu près égale. Or , il me femble que fl
l’on ne veut pas charger la Nation de cette taxe,
c’efl: encore fur les biens eccléfiaftiques qu’il
convient de l’affedir, Sc qu’on ne peut les con-
fidérer comme abfolument libres , ôc confé-
quemment comme difponibles au profit des
créanciers de l’état 3 qu’autant qu’on aura
pourvu au fort des pauvres , de maniéré à les
dédommager du patrimoine qu’ils perdent.
Mais, je le demande, nous fommes~nous
occupés d’affranchir les biens du Clergé de
l’hypotheque de fes créanciers ? Avons-nous
même dans nos décrets , comme la fimple pro-
bité l’exigeoit de nous , averti que nous nous
occupions de cet àffranchiffement , avant que
de nous permettre aiucunèaù^re opération fui:
ces mêmes bieils^?]^’-
' Je le demande, notis fontoes nous mis en peine
C IS )
(Je pourvoir au fort de ce grand nombre d’ecclé-
Calliques ôc de religieux que nous réformons ?
Nous avons décrété vaguement la portion de fa-
laires qui appartiendroit à chacun d’eux ; mais
fuffit-il de décréter, ne convenoit-il pas encore
de démontrer la poffibilité de payer ces fajaires ,
je vais plus loin , de rendre fenfible à tout
efprit fage la certitude qu’ils feront payés ; Ôc
n’eft-il pas fouverainement immoral de trans-
férer leurs biens à d’autres , quand nous ne
fommes pas phjyjîquement certains de trouver,
au milieu de nos défaftres , des reffources
fuffifantes pour les faire fubfifter ?
Je le demande , avons«:nous déterminé tout ce
qui regarde le culte public ? Nous venons de
décréter en général que les miniftres des autels
feroient falariés ; c’eft-à-dire , que nous avons fait
dépendre le culte public des événemens qui,d’un
mpment à l’autre, peuvent gêner dans un grand
empire, le mouvement des finances/ mais ces
falaires , qui les payera , fi nous affedons tout
de fuite au paiement des créanciers de l’état les
fonds qui les produifoient auparavant ?
Enfin, je le demande: nous fommes-nous beau-
coup inquiétés des pauvres, dont le nombre,
grâce à nos opérations violentes, s’accroît autour
de nous d’une maniéré fi effrayante ôc û défa^
CUJ
treiife ? (Jiïe votlt-ilrdeYénk au tïiîlfeù dès tuifaès
que nous accurtîulôhs^ dé routes pàtts; 3c celui
qui demaîrid^ fon pairi^ tôiis lés jours , comment
fübfiftrérayc4i parmi’ W vaines fpécülations , 3c fi
nous ne trôuvoris rîèn â'fubftituer fur le champ
aux feco*ürs journaliers qui le fâifoiétit vivre ?
- Et ce fl: avant d"*avôir riéh déterminé par rap-
port à toutes ces chofçS que nous parlons d'af-
Ëgnàts-monnôié fur les biens du Clergé , c’eft
avant d'àvoit étayé êC mefuré la bafe fur la^
quelle nous prétendons établir un nouveau cré-
dit public, que nous elevohs Tédifite de ce
crédit , auquél> au ffefl:e , nous croyons lî peu
iK>us-mcmés , que- nous né trpuVons d’autre
maniéré de lefoutenir qü’üne confiance forcée,
& dès 'lors abfolument impoflible. ' -
Qu’on ne me dife pas, que quoique cette con-
fiance foit forcée , elle a néanmoins uni fonde-
ment raifonnable dans la mafiè énotmè des biens'
du clergé, dont l’aliénation vient d’être décrétée;
Tine confiance forcée qui a un fondemènt y & puis
là maffe énorme des biens du Clergé ! Et que
fignifie-t-elle , cette rnaife énorme à côté dès
charges énormes que je^ vous préfente ; 3c tant
que vous n’aurez pas pourvu à ces charges ,
tant que je ne faurai pas précifément en quoi
confifte, pour ce genre de biens , l’excédent
de la recette fur la dépenfe, où trouverez-vous
la valeur réelle de vos alfignats-monnoîe , &
comment déterminerez-vous la quantité que
VOUS en devez répandre?
Ce n’eft pas tout , & je veux bien fuppofer
nulles toutes les objeftions que je viens de vous
laire, il me refle encore à vous demander , com-
ment vos alTignats pourront être rembourfés
comment ils feront remboorfésf car il faut que je
fâche toutes ces chofes , afin d’y avoir confiance.
era-ce a la volonté des propriétaires des affi-
gnats que vous rembourferez? Mais on fent que
cela eft rmpoflible, car tout le monde voudroit
«tre rembourfé à la fois.
Rembourferez-vous ceux qui, les premiers
auront reçus des affi gnats? Mais on conçoit que
cela auroit inconvénient d’établir une diffé-
rence entre les affignats, & qu’il en réfulteroic
un agiotage infiniment nuifible pour la valeur
■de ce papier.
Rernboùrferez-vous par la voie du fort? Mais
d abord ou vous fixerez par la voie du fort, & le
nombre des affignats/uçceffivementrembourfa-
bles., & l’epoque où ils feront rembourfés , ou
fixant le nombre des aff, gnats fucceffivement
rembour ables par la voie du fort vous nWerez
pas fixerl epoqueotulslèront.remboH£fé5,Dai^
( 1(5 )
le premier cas, c’eft-à-dire, fi vous fixez l’épo-
que du rembourfement, où vous êtes fûrs qu’à
cette époque, il y aura affez de biens eccléfiafti-
que svendus pour fubvenir au rembourfement,
ou vous n’en êtes pas furs. Si vous en etes furs,
faites moi connoîtreles motifs de votre fécutité,
car je ne les apperçois pas. Si vous n’en etes
pas fûrs, vous vous verrez donc forcésTde ven-
dre pour fatisfeire à votre engagement, vous ven-
drez donc à vil prix, & n’oubliez pas qu’il y a
déjà fept à huit mille terres à vendre dans le
royaume, & que précifément , parce que vous
aurez fixé une époque pour rembourfer , on at-
tendra cette époque,afin de profiter de votre be-
foin, & d’acquérir à meilleur compte. Dans le fé-
cond cas, c’eft-à-dire , fi vous ne fixez pas.une
époque pour le rembourfement des alTignats-
monnoie, ne voyez-vous pas que l’extindion des
alfignats-monnoie va dépendre d’une foule de
' caufes qui peut la retarder d’un fiecle; & alors
quelle différence y a-t-il entre vos billets & ceux
de Law', & à quel affreux défordre dans toutes
les fortunes ne faut-il pas s’attendre ?
. Enfuite , fi ceux qui font chargés de vendre ,
ont intérêt d’adminiftrer , fi , par une foule de
raifonsque je n’ai pas le temps de détailler, ils
leculent à deflein des ventes qui ne leur profi-
terontpas autant qu’une adminiftratîon obfcure
& toujours mal furveillés, fi vos Municipalités,
qui font obligées d’emprunter de toutes patt^,^
pour fecourir leurs pauvres, que vous vènez^
d’organifer d’ailleurs, d' après des principes non “
encore éprouvés, après s’être^ chargées, fans
confulter leurs forces, d’üne plus du moins:
grande quantité de ces biens écctcfiaftiqliés^
fui van t une eftimation quelconque ; neleÿ onc
pas vendus , ne peuvent lès* véndré\qu'’à perte.,
que deviendra l’intérêt que vous attribuez à
vos aflTïgnats , que deviendront les àfirignâts
eux memes f " •* J h..
Et puis enfin, fi ce qui peut arriver fans mî-^
racle , ( car il eft pofîible que le fens-commün fe'
retrouve encore dans quelque partie de la' Fran-
ce ), plufieurs diocefes, plufieufs diftrièls^ plü*-^
fleurs départemens, plufieurs ^dvinces, s’bppcP
fent à ce qu’on vende fur leur territoiré’;'' avec?
aufii peu de précautions que vous en avez pri-
fes, aucune efpece de biens eccléfiaftiques ,
où en fera votre opération d’afiignats-monnoie,
dont le fondement cependant h’éfi: que la vente'
future de ces mêmes biens h ^ ''
Encore un mot fur la quantité de billets que’
nous nous propofons de décréter. Si nous étions
fages , nous fentirions que comme ce n’eft que^
B
Gouvernemejit, gouï.
^^ê?iiftf ^ que nous voulons
^®ê^^^’Uionnoie 5 nous dfî\rrions
%Y,^P^.l 9 q ^5 déterminer ce que.
l^Çpuvernement perçoit , puis mettre de l’autre*
9Ç P^y^ s ^ enfin, au moyen
entre ce qu’il^
^995^9 ^ Ç?jS¥ payer. Or, ayons-nous
rieq feit.de patçjl J^Oonnoiffons bien l’état
de na^finan.ces.,' qq 9 ique depuis onzerpois nous
de nous -eiy occuper,! ^t, fi nous ne,
le connoiflpns pas , c’eft^pnc au hafard que nous
allons décréter ce qu’il convient de faire. Mais,
it’eft-il pas à ctftindre alors que nous ne donnions
au Çpuvernement plus d’aflignats qu’il ne lui en
fe,ut.£Our fouteqir fes charges fi nous lui en
donpons plus quh| ne lui en faut , qu’en fera-t-il?
Q^,iljes metJcr^,^ & ils ne fignifieronc
rien,^ou il en ufera pour pomper , au rçfte, pour
bien peu de temps, tout l’argent du Royaume, ôc
vous n’avez plus pour le Royaume entier, comme
vous allez le voir dans peu , que la plus extra-
vagante dç la plus funefte des circulations.
En voilà , je crois bien affez , pour démontrer
quelques-uns des vices efientiels des affignats-
monnoie. Il me femble qu’il n’eft aucun homme
fenfé qui ne foit aduellement convaincu que
( 19 >
cette efpece de papier , parce qu’il ne répond à
aucune valeur bien déterminée , bien certaine ,
éprouvera en très-peu de temps un difcrédic
confîdérable", ôc qu’il n’y. a dès-lors que des
fripons ou des ignorans qui ayent pu dire qu’il
fe foutiendroit dans la circulation à l’égal d’une>
lettre de change.
Je pafTe maintenant à, l’autre partie de cette
difculTion, c’efl-à-dire , que je vais. recherchée
quel effet produira dans le commerce, réraiflîoai
des affignats-monnoie. .
; IL
r 'f '
Je.diftingue le commerce en commerce' exté-
rieur ôc commerce intérieur.
J’appelle ici commerce extérieur, notre com-
merce confidéré. dans tous Tes rapports avec
l’étranger.
J’appelle commerce intérieur, la circulatibrï
intérieur de nos denrées , de nos marchandiféS',
de l’argent , mefure commune de hos denrées ôC
de nos marchandifes dans l’intérieur du royaume»
Le but qu’on fe propofe en créant des affig-
nats-monnoie , eft fans doute relativement^ à=
notre commerce extérieur, de faire en forte que.
nos rapports avec l’étranger nous foient moins
défavorables qu’ils ne l’ont été depuis quelques^*
/ B 2
années ; que le change n’y Saîffe pas plus long-
temps à notre défavantage , & en conféquence
que le numéraire que nous y portons , rentre
chez nous avec plus de facilité qu’auparavant.
' Or, fi c’eft-là véritablement nqtre but, il
faut avouer qu’il eft difficile de nous en écar-
ter plus que nous le faifons.
Je crois que^quelle que foit notre inexpérience
en matière de commerce & de finances (& certes
elle eft grande), il n’eft aucun de nous aujour-
d hui qui ne fâche que tout le papier que nous
pourrons créer , fut - il négocié dans tout le
Royaume , au pair de ^argent , comme le papier
de la banque de Londres, en Angleterre, ne
palTe pas notre frontière ; que là nécefiairement
fa valeur expire , & que fi nous devons à l’étran-
ger , ce n eft plus avec cette relTource , mais avec
du numéraire effectif , que* nous pouvons nous
acquitter; notre papier n’aura donc aucun cours
dans l’étranger , même en le fuppofant excellent
pour nous. Or, comme la balance du commerce
& l’état de nos emprunts prouvent que nous de-
vons beaucoup plus à l’étranger qu’il ne nous
doit; comme ce. n’eft pas en papier que nous
pouvons le payer, mais feulement en écus, il
eft clair que le papier que nous voulons créer
aujourd’hui fera, relativement au Royaume en-
, ( 21 )
tier, ce qu’eft aduellement, relativement à Parîj,
le papier de la caiffe-d’efcompte. Ce papier chaf-
fera rapidement du Royaume le peu de numé-
raire qui y- relie, comme le papier de la caifle-
d’efcompte a chaffé de Paris le numéraire qui s’y
trouvoit ; nous nous trouverons donc abfolu-
ment fans argent. Et dans cette pofition, com-
ment notre commerce pourra-t-il fe foutenir
avec l’étranger ? Qu’irons-nous acheter chez
lui, que nous vendra-t-il? Et fi une fois nos
relations extérieures font interrompues, com-
ment fe rétabliront-elles?
J’entends vanter la richefle & la variété .de
notre fol, la fupériorité de nos manufactures ,
l’adive induftrie de cette clafie d’hommes, qui
parmi nous s’adonnent ou aux arts utiles ou aux
arts de luxe. J’entends vanter toutes ces chofes^
parce que nous n’avons pu nous défaire encore
de l’infuportable manie de nous vanter fans
cefle , Sc nous ne manquons pas de conclure des
éloges que nous nous donnons à nous-mêmes ,
que quelles que foient nos fotpfes aduelles , le
génie de la France reprendra tôt ou tard le def-
fus, & nous rendra tous les avantages que nous
avons perdus depuis trop long-temps;mais tandis
que nous nous vanmn^infi, fuivant notre ufage
ordinaire , j’obferve ^ & je vois qu’ailleurs il
V
exiftè des fols non moins riches & non môînS
variés que le nôtre ; que nos manufa dures trou-
vent par tout en Europe aduellement , des ma-
nufadures qui les égalent <& fouventqui les effa-
cent ; qu’ii n’efl: pas de contrée fagement gou ver-
cée^où rinduftrie ne rencontre plus d’encourage-
ment qu’elle n’en obtient parnli nous; ôc fùr-tout
je remarque que, fans en excepter l’époque de
l’édit de Nantes, il n’efl: aucune période de notre
hiftoire , où il ait exiflé une émigration plus con-
fidérable -d’ouvriers dans tous les genres , que -
celle dont nous fommès les témoins aujourd'hui/
Et c’eft en telles circonftances que nous pou-
vons pe'nfet à un papier monnoie, c’efl-à-dire >
à un papier monnoie qui n’étant évidemment de
nul ufage dans nos échanges au-dehors, éloig-
nera de plus en plus de nous les nations co'm-
îTJerçantes qui avoient confervé l’ancienne habi-
tude d« trafiquér avec nous ; c’efl-à-dire , à un
papier qui précipitant tout notre numéraire dans
l’étranger , nous fera également défevantageux^
foit que nous achetions de l’étranger , parce qu’il
lî’eti voudra point ; foit que nous vendions à l’é-^-
tranger, parce que ce n’eft qu’avec ce même
papier, qu’en pareil cas il aura grand ibin de ré-
chercher , qu’il s’acquittera. Certes il éft difficîlè
d’imaginer une extravagance plus grande & dont
les conféqïiences pùiflent nous 'être plus funeues.
Obfervez de plus ici un autre défavantage
, que nous donnera le papier mdnnoie dans
nos relations hors du Royaume, c’eft qu’il vous
eft'impolTible de mettre en circulation une quan-
tité confidérable du numéraire fidif que vous ne
rehauffiez fur le champ toutes les valeurs com-
mefçàblés ; comme il y aura chez nous plus
'd’argent , car l’argent fidif fera quelque temps
les fondions de l’argent réel , les chofés y vau-
dront héceffairement plus, c’eft-à-dire noiis coû-
teront beaucoup plus cher à produire ou à fa-
briquer ; mais plus une chofe vaut , ôc moins la
vente eh eft facile, parce qu’il fe préfente ihoïns
d’acheteurs pour l’acquérir. Alors que vous ai-
rive'rà-t-il ? De deux diofes l’une , ou que vous
ne pourrez plus vous foiitenir dans les divers
marchés de l’Europe, attendu que les denrées
& les marchandifes que vous y exporterez fe-
ront pluscheres que les denrées <Sdes marchan-
difes qü’dn exportera d’ailleurs , ou qu’il vous
faudra vendre vos denrées & vos marchandifes
à perte ; & dans le premier cas , point de com-
merce ; dans le fécond cas , point de commercé
encore, parce qu’on ne fait pas long-temps un
commerce qui ne peut durer fâris opérer la
ruine de celui qui s’y livrêt
B 4
( 24 )
Cet état de chofes au refte fubfiftera peu, car
votre papier s aviliflant promptement, vos mar-
c^ndifes & .vos denrées perdront aufli promp-
.tement de leur valeur; 'mais dans ce paflage*
violent d une richelie apparente à une pauvreté
réelle , tout votre numéraire fe fera écoulé; U
ne vous reliera plus qu’une monnoie Hérite entre
yles mains ; votre induftrie fe trouvera détruite;
on -?ura perdu l’habitude de fe pourvoir chez
vous , habitude qui, comme vous le favez, eft
déjà fi confidérablement affoiblie ; &les nations
qui auront profité de votre incroyable délire ,
plus réfléchies , plus lages que nous le fommes,
ne manqueront pas de moyens pour conferver
à votre détriment tous leurs avantages.
Je viens à l’article des changes : ce que j’ai
dit prouve fuffifamment , pour ceux qui font
verfés dans ces matières , qu’avec votre papier,
vous ne trouverez pas le moyen de les relever :
car on ne releve pas les changes en détruifant
fon-proçre commerce; mais comme on a l’im-
pudencef d’affirmer qu’il n’y a que le papier
monnoie qui puilTe les rétablir à nçtre avan-
tage, il faut encore faire voir jufqu’à quel point
à cet égard on cherche à nous tromper.
Perfonne ne doute plus aujourd’hui que les
billets de cailTe en circulation dans Paris n’aient
eu PMttence la plus fâcheufe dans le cours de
■ ( an
nos changes aù-dehors. Eh bien ! d’après ce qu’on
nous débite àpréfent^ il femble que depuis qu’on
parle parmi nous d’affignats-monnoie, nos chan-
ges auroient du reprendre faveur. Or, c’eft pré-
cifément tout le contraire ; à peine la nouvelle
de cette fottife prochaine a-t-elle été répandue
en Suiiïe , en Hollande, en Angleterre , que les
changes ont baiiïe dans toutes ces contrées, à
notre détriment, de la maniéré la plus elfray ante;
le change fur Paris efl tombé à Londres à iS un
quart pour un écu , c’eft-à-dire que les écus de
3 liv. fui le pied où on les y prend aduellement,
valent à peu près 30, trois huitièmes, ôc que les
lettres de change , à côté, ne valent à peu près
que 25 un quart par écu.; il y a donc une
différence fur le change , au détriment de Paris,
entre le cours que nos efpeces effedives ont à
Londres , ôc le cours des lettres de change fur
Paris, d’environ j un huitième; laquelle diffé-
rence peut être évaluée à 17 pourcent de perte
fur les lettres de change.
A duellement comment opéreroit un banquier
de Paris, qui, d’ici à quinze jours, auroit un paie-
ment de cent mille écus à faire à Londres fCeci
vaut la peine d’être remarqué. Il fe procureroic
cette fomme en efpeces contre des billets de la
caiffe d’efcompte 5 au rifque de perdre fur ce&
( ^
billets 8 pour loo ; il enverroît enfuke la fomme
en efpeces à Londres , où fes écùs feroient pris
fur le pied de 50, trois huitièmes ; & il fe feroit
faire fon retour en lettres de
qui ne lui coûteroient que 25
mais qui auroîenr à Paris tome leur valeur; il
àuroicdonc perdu, pour faire fon envoi d’argent
à Londres , 8 pour 100 que lui auroit coûté là
converfion de fes billets de la caiffe d’efcomptè
en efpeces ; on peut y ajouter i pour loo pour
les frais de l’opération , ce qui porte fa perte à
5 pour 100; mais d’un autre côté , il auroit
acheté à Londres â 17 pour cént de perte, deff
lettres de change qu’il re'^éndroit au pair à Paris,
ce qui lui feroit ùn bénéfice de 17 pour 100. En
derniere analyfe , & en défalquant p pour loO
de perte de 17 polir 100 de bénéfice ^ il auroit
donc fait , en envoyant de l’argent à Londres ,
un bénéfice net de 8 pour lOo.
Voilà ce qui. arrive âduellement par le fimple
effet de la circulation des billets de la caiffe d’ef-
compte & par la crainte des àffijgnats-monnoie.
Or quand vous âüirez décrété vos aflignats-mon-
noie, quand vous lès aurez décrété forcés,croyez-
vods que les chofes charigent?crôyez-vous qu’on
prendra vos lettrés de change à Londres au pair
de vos éeus? Ne voyez-vous pas que votre ar-
change fur Paris ,
un quàVt par écu.
( a? )
gent s’écoulera encore plus vîtè qu’auparavant,
qu’il fuffira du feul intérêt de vos banquiers ,
qui , dans cette hypothefe , n’eft -plus rintércc
'du commerce & de l’état , pour le faire écouler
plus vite.
Remarquez qu’au temps de Law , les habiles
'opéroient pfécifément comme le banquier donc
je viens de parler; ils énvbyoieht leur argent
chez l’étranger , bien fûrs de le 'retrouver quand
la folie qui noüs travailloit a cette époquè fe-
roit palïëe;ils bénéficioîènt d’ailleurs fur la mifer'e
commune ; & quand, à force d’expérience & de
malheurs '5 les jours de la raifon revinrent pour
nous 5 ils bénéficièrent èncbre fur le befoin que
nous avions des écus qu’ils s’étoient vus'dans là
hécéiïité de faire difparoître. ' '
Il me refte à parler du commerce intérieur ,
& je le confidere relativément à Paris & relati-
vement aux provinces.
Oh a dit 5 relativement à Paris , que les afifi-
gnats-mbnn'oie y feroient teparoître le numé-
raire, & Tes hommes qui' ont dit ceci font les
mêmes qui depuis fix ans n’ônt cefie de crier
contre la caiffè d’efcompte, &qui ont déihohtré
en cent ôccafîons que le propre du papier-îiJon-
noie eft de chaffer l’argent devant lui.
Or J recherchons fi cette afferti'on èft vraie.
(28)
Qu^eft-ce qui fait abonder l’argent dans les tems
ordinaires à Paris ? il eft clair que c’eft le verfe-
mentde l’impôt; mais fi les affignats font forcés,
on fent bien qu’on ne fera pas affez ftupide eu
province pour payer l’impôt enécus; Paris n’aura
donc que du papier-monnoie dans fa circulation,
Sc cela ell d’autant plus certain , que la caiffe
d efcçmpte ne fera plus contrainte , comme elle
Peft aujourd’hui , de faire de grands frais, pour
verfer journellement quelque numéraire dans la
capitale ; car on ne l’accufera plus de la mifere
commune, Ainfi Paris fera de plus en plus à la
merci des campagnes pour fon approvifionne-
ment. Il rifquerade le payer beaucoup plus chè-
rement que par le palfé ^ fi les campagnes pren-
nent les afiignats à un cours quelconque , ou de
mourir de faim , fi les campagnes finiflfent par
n’en vouloir à aucun prix , ce qui pourroit fore
bien arriver.
Voyez de plus ce que perdra le gouvernement
toujours payé en affignats , dont je défie aucune
puiflance fur la terre d’empêcher le diferédit ;
voyez comme il ne fera que des marchés ruineux,
précifément parce qu’il ne paiera qu’en affignats,
& que les ventes fe proportionnent aux rifques
qu’on court dans les rembourfemens,& calculez
enfuite la férié dé mifere à laquelle nous devons
nous attendre. D’ailleurs dites-moi comment ce
,(2P)
meme gouvernement payera les troupes , qu’il
ne peut payer qu’en numéraire , attendu la fubdi-
vifton des paiemens , quand lui-même , ainfi que
vous venez de le voir, ne fera payé qu’en affignats.
Voilà pour Paris.
Je paffe aux provinces ^ & je.foutiens , que
fi par ce déplorable fyftême , on y favorife
extrêmement l’agiotage des banquiers, on y
détruira abfolument le commerce.
Car qu’eft-ce qu’un aflignat forcé? Un malheur
inévitable pour les créanciers, une reffource in-
fâme pour les débiteurs. Vous avez déjà vu que
les afTignats-monnoie font loin d’avoir la même
valeur qu’une lettre de change ; que néceffaîre-
ment ils perdront beaucoup dans la circulation,
ôc cela non-feuîement parce qu’ils n’ofirent au-
cune hypotheque certaine , mais encore parce
Iqu’ils. feront forcés. Or que fera le débiteur ? Il
achètera à vil prix vos affignats fur la place , 6c il
lés remettra au pair à fon créancier, fe prévalant
de vos loix abfurdes pour autorifer fa mauvaife
foi ? Et dans cette hypothefe que deviendront
les créanciers du commerce , dont vous aurez
ainfi dénaturé les contrats ? Et qui êtes-vous ,
qui fommes-nous, pour autorifer par nos décrets,
parmi vingt-quatre millions d’hommes, la viola-
tion de la foi particulière ? Qui nous a donné des
Cso)
pouvoirs li terrîbks , & quel exemple ofFrons-*
nous aux natipps étrangères , pous, qui appelles
à fairpune conflitution, ne favops préparer, qu^>
par l’intrigue , l’appuyer que fur la violation de
toutes les propriétés, fur la dellrudion de toute
efpece de moralité, chez des hommes dont nous
devrions cependant nous occuper , autant de
régénérer les rape:urs que de refaire les loix ?
Ce n’efl: pas tout: comment le commerce
peut-il fe développer & fe foutenif ? Par des
ventes ôc des négociations à terme ; car, certai-
nement fi le commerce étôit réduit aux ventes &
négociations au. comptant, il n’exifteroît pasiJEt;
concevez* vous. la poflîbilité des ventes & des né;.
gociations.à,tefme. avec des afiignats for^s ? Ne ;
voyez-vous pas que dans ce fyftême , pour que
dp,telles. négociations oUjVentes fufîent pofiSbles,
îllfaudroit qu’on pût calculer ce que vaudront les ;
afiignats aux termes indiqués pour les rembour-
femens , & qu’on. ne pût pas être contraint à les
prendre au-delà de la valeur qu’ils auront à cette ,
époque fur la place. Je vends^ aujourd'hui une
marçhandife quelconque 300 liy.^ & je confens
qu’elle ne me foit payée que dans fix mois , parce
que je fais quMle me fera payée en écus ou en
papiers, valant des écus. Mais décrétez des affig-^
nats forcés, & je ne vendrai ,plqs au term^.dçiijc
( 3,1 ) _ ;
mois, parce que Je craindrai qu’arrivé à ce .terme
on ne s’acquitte à mon égard avec un affignat qui
perdra beaucoup fur la place, & que néanmoins
on m’obligera d’accepter , cornme s’il ne perdoiç
pas. Or s’il ne fe fait plus de tels mar.chés dans le
commerce, fi l’on fe trouvée, réduit à ne -plus
vendre ou négocier qu’au. comptant , comment
concevez-vous les fpécuJations , les entreprîfes
du comme, rce , comment mç démontrerez- vous
que le commerce foit mên>e. poffible (i),
( I ) Autp réflexion importante :
La circulation forcée des aflignats donnera înfalllM
blement lieu à la falfification du papier ; car , comment
fera - t - il poflîble , dans toute Téiendtie du Royaume ^
dans les carnpagnes , meme dans les villes, de prendre,
des précautions fuffifantes pour faire diftinguer vrais
papiers d’avec ceux que Ton contrefera ? Comment Thomme
qui ne fait ni lire ni écrire pourra - t - Il faire cette
diflinéHon f' A Combien d’abus & de friponneries cec
ade defpotique,^ n’ouvrira - t - il I pas la porte f & lorfqiie
les Légiflateurs. eux - memes donnent l*ex»mple , cap
il faut avoir le courage de. le dire , de la violation des
propriétés les plus facrées , pourquoi l’homme^ ambitieux
ou réduit à la jnifere ne cherchera- 1- il pas à fatisfaire
Ton ambition ou à fe venger de l’injuflice qu’on exerce
envers lui, par tous les moyens de ce genre, qui feront
à fa portée ; enfin , lorfiqu’aucun principe de morale
ne contient le Corps Légiflatif, doit - on s’attendre à
beaucoup de morale de la par: d’un peuple vidime dç
l’injulHce 6c de la cupidité de ceux qui fent appelle^
\
( 32 )
' Votre projet d’affignats forcés détruira donc à
la fois Ôc le commerce intérieur & le cdmmerce
extérieur. Ajoutez de telles conféquences à
rinjuftice de ces affignats en eux-mêmes , &
voyez s’il eft un homme honnête qui puifle
entreprendre d’en faire l’apologie.
Je n’ai plus qu’une obfervation à faire fur les
hommes qui ont imaginé ce fyftême d’affignats-
monnoie , 5c. fur ceux -qui mettent tant de
chaleur à le faire valoir.
11 eft bon qu’on fâche que les uns font embar-
lafles depuis long-temps dans les funeftes fpécu-
îatîons de l’agiotage;. que d’autres font à la tête
des diverfes chambres d’afturances établies dans
la capitale; que d’autres encore font propriétaires .
d’un grand nombre d’effets publics, comme effets
xoy aux & adions decaiffe; que l’intérêt commun,
tant des agioteurs , des affureurs ,.que des pro-
priétaires des effets publics , eft que les effets
publics aequierent une grande valeur , afin qu’ils
à réclairer ou à le régir ? & de-là , plus à compter
aucune sûreté dans les négociations & dans les propriétés.
On coinçoît qu’il fera plus facile de tromper un payfaii
ou un fermier avec un faux aflîgnat , qu’avec des écus
faux : or , s’il y a des écus faux , n’ell-il pas clair qu’il
y aura de faux allîgnats , parce que l’un fera plus aîfé
Çc moins dilpendieux à fabriquer que l’autre.
( 3 ? )
puifTerit s’en défaire à un bon prix ; qu’au moyert
des afTignats , pour lefquels, obfervez-bien cèci ,
ils onr foin de ne faire fpécifier qu’un intérêt
moindre que celui des effets qu’ils veulent vendre
ÔL qu’ils ne demandent forcés, qu’afiri de les faire
tomber dans un difcrédit utile à leurs vues,leurs
effets acquerront- néceiîairement une grande
valeur; tout le monde , papier pour papier, de-
vant préférer celui qui rapporte. plus à celui qui
rapporte moins; que par cette manoeuvre , au
lieu de reftituer , comme ils le craignoient , les
profits ufuraires qu’ils ont faits;ils fe procureront:
au contraire un gain confidérable qu’ils auront
grand foin de réalifer Ôc de* mettre à couvert, ÔC
qu’en derniere analyfe tout ‘ le réfultat de leur
abominable opération, fera pour eux, fans doute,
une fortune immenfe ôc rapide , mais pour la
nation entière , le bouleverfenient de toutes les
fortunes acquifes par un travail honnête , la def-
truêlion de tous fes moyens commerciaux, & la
ruine Ôc le défefpoir du peuple. Qu’importe une:
telle perfpedive à des hommes de cette efpece,
Ôc à ceux qu’ils ont fait agir dans l’Affemblée
nationale , en les affociant à leurs vues.
Je termine ici tout ce que je voulois direYuc
les affignats forcés. On me demandera fans doute
maintenant , puifque je ne veux point d’affignatS
C
forcés , ce que j’eflimé qu’il faudroît faire pour
venir au fecours des créanciers de l’état. ( i )
( I ) Il a été démontré par M. Kornmann , à la Commune
& à TAflemblée Nationale , que la rareté du numéraire
provenant efîèntieilement des opératipns funeftes de la
Caille d’EIcompte , il étoit urgent de détruire cette caufè
première de nos malheurs. Cette dellrudîon , fondée fur
des principes d’équité & de jullice, auroît immanquable-*
ment produit l’effet lî déliré de la circulation de l’argent
dans Paris , la confervatîon de celui qui relie dans les
Provinces , & de toute nécelïité , une révolution avan-
tageul^; dans les changes. Tandis qu’on auroit "delliné des
alTignats libres , de la maniéré indiquée par M. Kornmann ,
pou K être employés à l’acquittement des créanciers de l’État;
ces^afïignats, réalifés fucceflivement en écus , par le produit
des ventes des biens domaniaux & de ceux du Clergé ,
auroient obtenu la plus grande/ confiance , & non-feule-
ment ils auroient fait fortir le numéraire enfermé dans
Jes coffres, mais même, ils auroient attiré celui de l’é-
tranger. Une telle opération , fans blelîèr les loix &
violer les propriétés , auroit procuré au Gouvernement le
ioifîr de connoître fa fituation , d’établir , d’après cette
connoiirance , une balance telle dans l’adminifiration de
ïês finances, que la recette pût égaler ou furpalïèr la
dépenfe , & de fixer , en conféquence , l’impôt & fa ré-
partition; ce qui étoit très - important, car, aulli long-
temps qu’on ne connoîtra pas au jufie les engagemens à
remplir & les relTources alTurées pour y fatisfaire ^ il fera
tmpolTible d’obtenir la confiance pyblique.
(3î)
On a dit cent fois ce qu’il faudroit faire , Sc
je ne puis que répéter ce qu’on a déjà dit. Le
Clergé offroit d’aliéner pour quatre cent millions
de fes immeubles ; le Roi confentoit aulTi à l’a-
liénation d’une portion confidérable de fes do-
maines. Or , qui empêchoit de créer pour quatre
cent millions ou fix cent millionsd’affignats libres
fur les domaines du Roi ôc du Clergé. De tels
affignats euffent obtenus une grande confiance.
D’abord parce qu’ils auroient été libres , & que
leur gage étoit d’autant plus certain que le Roi,
Ôc le Clergé les garantifToient chacun en ce qui
Au contraire , que va-t-il arriver? J’ai befoin de le
répéter encore , que le Gouvernement , verfant une mafle
énorme de papier forcé dans la circulation , pour acquitter
fes engagemens , ce papier caufera, d’une part, une hauiïe
dans tous les ejBFets du commerce & de confommation ,
& que , d’autre part , l’étranger , "pour la portion îm~
menfe qui lui revient dans la dette de l’État & du com-
merce , ne pouvant faire ulage de ce papier, nous loutirera
le numéraire qui nous relie, & que, par-là, néceffaire-
ment la défaveur de nos changes augmentera , & cela,
toujours en raifon de la difette des écus , qui deviendra
enfin telle , qu’avec une fomme médiocre de numéraire ,
on pourra acquérir des objets de conféquence. Croyez >
par exemple, que cette fituation n’échappera pas à l’étranger
& que vous le verrez, après nous avoir enlevé tout notre
argent , 'acheter , avec peu d’écus , nos propriétés les pluy
précieufeS|
£ 2 .
( 3 ^)
pouvoit le concerner; enfuite , parce que Tad-
mîniftration de ce gage n’auroit pas été livrée au
garpillage fcandaleux auquel on ne rougit pas de
livrer dans ce moment la totalité des biens du
Clergé; enfin, parce qu’on n’avoit pas à redou-
ter, comme dans Thypothefe qu’on préféré , la
quantité prodigieufe de réclamations quel’opéra-
:tion , aulïi abfurde quévexatoire qu’on médite,
ne manquera pas d’exciter dans peu : mais il nous
împortoit de fatisfaire notre haine philofo-
phique contre le Clergé (i); il nous importoit,
après lui avoir promis folennellement le maintien
de Tes propriétés, de l’en dépouiller violemment;
îl nous importoit d’aflbuvir , aux dépens du pa-
trimoine despauvres, l’ambition dequelqueschefs
de parti 3c l’avidité d’une foule de fripons con-
nus par leurs manœuvres infâmes , depuis que
l’agiotage eft devenu la principale refiburce de
notre adminifiration. Et rien de tout cela ne pou-
rvoit arriver , fi nous avions accepté les offres qui
( I ) Ne concluez pas de-là que je penfe que le Clergé
ïi’avoît pas befoin de réforme ; maïs réformer ce n’efi pas
avilir , n’eft pas détruire ; & nous avons avili le Clergé aux
yeux des peuples ; & je penferai toujours que nous l’avons
détruit., tant que nous n’aurons pas affuré les moyens de le
faire fublider avec la décence & la dignité convenable*
( 37 )
nous étoienc faites , & nous aurions manqué, je
le fens bien , roccafion de donnenà üEurope
l’exemple à jamais mémorable d’une AfTemblée
de Légiflateurs qui fe jouent des premières loix
de la probité , & foulent aux pieds, comme de
vains fcrupules , les plus falotes maximes, de
la juftice & de la morale , qui brifeht les 'con-
trats les plus folemnellés , les obligations les
plus refpedées , qui changent à leur gré la na-
ture de tous les engagemens , &; qui intrqduilant
la mauvaife foi dans. toutes les claffes'^de ci-
toyens , ne craignent pas de faire de la corrup-
tion univerfelle un moyen d’afliirer la confti-
turion qu’ils nous préparent. .)
• Quant à moi , qui ne peux légitimer par mon
fufFrage un projet li'défaftreux , qui n’ai pas
reçu de mes commettans la miffîon de violer les
propriétés & de naturaliferdans toiite l’étendue
du royaume l’agiotage ôc la mauvaife foi quanc
à moi, qui ai fait le ferment de favorifer detouD
mon-pouYoir raffranchilfement du commerce
de l’agriculture, Sc qui ne me joue pas de mès
fermens; quant à moi , qui n’apperçois dans le
projet qu’on veut faire prévaloir , que l’ébran-
lement de toutes les fortunes, la deftrudion de
tous les moyens légitimes d’acquérir , l’anéan-
tiffemeht de la morale publique ôc partrcaUerej,
( 38 )
refprit de fripponeriefubllitué par-tout ôc dans
toutes lés '.négociations 5 aux régies féveres de
là prudence & de la probité ; quant à moi , qui
n’eflime pas que TAffemblée ait le droit de dé^
créter un pareil projet ^ qui ne voit pas dans nos
_ mandats qu’on nous ait accordé le pouvoir ex-
travagant de changer en un moment , ôc par un
limple effet de nos volontés, la nature de tous
les érigagemens dans l’empire ^ qui ne peux
croire' qu’il nous foit permis , fans le confente*
ment fpécial de ceux qui nous ont envoyés,'
d’opérer une révolution de ce genre, dont la
conféquence funefte feroit la défolation des
campagnes ôc la ruine abfolue de la capitale Ôc
des plus floriffantés villes de létat ; quant à moi,
qui aime à me perfuader que le Roi ne fandion-
nera jamais un pàreii décret , fi nous fommes
capables -de le porter, parce qu’un Roi honnête
homme , quel que foit le degré d’infortune 3c
de délaiffement où nous l’avons réduit , ne peut
vouloir à la fois fandionner la corruption & la
mifere de fon peuple , & qui d’ailleurs ne penfe
pas qu’il puiffe fe trouver un miniftre affez im-
moral pour lui confeitjer un tel ufage de l’auto-
îité qui lui relie.
Je déclare, pour l’intérêt de la capitale ôc des
provinces , pour l’intérêt du commerce ôc de l’a-
( 39 )
griculture, pour le maintien des proprie'tés , &
par rerped pour les loix éternelles de la morale
& de la juflice , que je m’oppofe à radmiiïion
du projet qu’on nous propofe ; & fi nous pou-
vions le décréter, que je change mon oppofuion
en proteflation folemnelle contre le décret qui
fera porté , ajoutant que j’envoie dès ce mo-
ment le préfent écrit , foit comme oppofition ,
foit comme proteflation , d’abord à mes com-
mettans , enfuite à toutes les chambres de com-
merce 5 Sc enfin aux principales villes du royau-
me , & voulant qu’il me ferve de témoignage
^ & de juflification pour la démarche que je fais
aujourd’hui, lorfqueles malheurs que je prévois
feront arrivés.
Signé ^ Berçasse.
J’efpérois que cet écrit paroîtroit avant la dé-
cifion de l’Affemblée fur les affignats-monnoie,
Sc qu’il pourroit empêcher qu’ils ne fiiffent
adoptés. L’AfTemblée s’étant déterminée fur
cette queftion importante avec une précipita-
tion que je ne pbuvois pas prévoir, Sc qui efl
abfolum'ent contraire au réglement qu’elle s’eft
impofée ; je ne penfe pas moins que mon éefit
pourra être encore utile j _Sc je p.erfifle dans la^
. réfolution de le publier*
/
)
( 4 ° )
POST-SCRIPTUM.
Encore une ou deux réflexions que je n*ai pu m*em-
pécher de faire tandis qu’on travailloit à l’impreflion de
cet ouvrage.
Ceux qui ont intérêt de foutenir les alïignats forcés ,
ne manquent pas de publier par-tout en ce moment leur
triomphe ; qu’au fond on a tort de douter de la fblidité
de ce papier, puifqu’il n’a pas feulement pour hypotheque
les biens du Clergé , mais de plus la garantie des Muni-
cipalités qui déjà s’emprelTent de toute part de faire des
foumiflions confldérables à l’imitation de la Capitale.
J’ai dit ce que je penfe & de l’hypotheque des biens
du. Clergé & de la garantie des Municipalités. Mais puifquç
j’y fuis , je veux examiner un peu plus à mon aife ce
_qu’il faut penfer fur-tout de la garantie des Municipalités.
' M. Bailly a follicité à l’AlTemblée nationale , fans le
vœu de la Commune & des Diflrids, la permiflion pour
la Ville de Paris de faire l’acquifition de loo millions
de biens appartenans au Clergé ; mais s’il arrive, ou plu-
tôt s’il ell démontré que l’acquifltion dont M. Bailly veut
grever la Ville de Paris , efl ruineufe , & fi conféquem-
ment elle préfente une perte énorme tant en capital
qu’en intérêts 5 fur qui retombera cette perte? Tout le
monde fait que le patrimoine de la Ville de Paris efi
peu'de chofes , d’ailleurs les Municipalités ou les Villes
fb, nt,toujours_mineures, & furement les fuccefleurs des
Officiers Municipaux, aduels ne feront nullement tentés
de furcharger d’un impôt confidé.rable leurs Concitoyens ,
qui d’ailleurs ne le fouffirlroient pas , pour acquitter le-
(40
réfultat d’une opération qui n’auroît été avamageufè qu’à
ceux qui l’auroient imaginée.
Je Tais qu’on a demandé que les Municipalités , avant
d’acquérir , fufTent tenues de dépofer des furetés 8c des
cautionnemens pour garantir l’exaéHîude des engagemens
qu’elles prendroîent , & qu’en conféquence M. Bailly a
déjà annoncé à l’Afîèmblée qu’il avoit une fbumiffion de
70 millions dans fa poche pour les acquihtions de Paris.
Mais qu’on me permette d’obferver que M. Bailly n’a
pas fait connoître la nature de ce cautionnement , ni les
époques où ceux qui prennent cet engagement doivent les
réaiirer , non plus que la folvabilité des contradans.
Quelle confiance peut-on donc avoir en un caution-
nement qui n’eft encore que dans la poche de M. Bailly?
Quels peuvent être d’ailleurs les Citoyens opulens qui
voudront , dans les cîrconftances où nous nous trouvons ,
contrader un engagement Iblidaire 'de la (bmme immenfe
de 70 millions pour des biens dont la vente , fur-tout à
Paris , qui fe dépeuple tous les jours ; & qui , par le
feul effet de la conftîtution , ne fe repeuplera jamais ,
me paroît fînguliérement aventurée ? ' *
Quel feroit le bénéfice qu’il faudroit accorder à ces
hommes téméraires , fi par hafard il s’en trouvoît pour
courir une pareille chance? Sans doute ils le propor-
tionneroient aux rifques évidens & aux inquiétudes aux-
quelles ils s’expoferoient > & alors cela ne diminueroit-il
pas d’autant la valeur de ces mêmes biens.
Mais fi , comme il eft probable , le cautionnement de
M. Bailly n’eil qu’un plan artiflement combiné de la
part des agioteurs', d’accord avec lui , & offrant , fous
une garantie apparente , des tournures cependant telle-
ment adroites , que jamais ceux-ci ne jpuiflènt être expofés
)
( 42 )
â aucune perte , alors ne ferolt-ce pas un nouveau tour
de Jonglerie dont il feroit permis de fe défier aufli long-
temps qu’mon n*aura pas rendu publiques toutes les con-
ditions du traité f
De plus , certainement ni la Commune de Paris , nî
^ies feéHons né con fendront à laifler contrader par la
\nile , déjà fi obérée , un engagement qui puifie Texpofer
à une perte énorme , & à moins que le délire ne Colt dans
toutes les têtes , il faut bien s’attendre qu’ils s’oppoferont
aux emprunts que Ton projette , & dont ils deviendroienc
relponfables. Ce que je dis pour Paris peut s’appliquer
à toutes les Municipalités du Royaume ; il eft notoire
que presque toutes les Villes font dans un état de dé-
trelïè cruelle (Lyon feul doit près de 50 millions), &
qu’elles ont fi pëu dé refiburces , qu’elles demandent jour-
nellement à l’AfTemblée Nationale à être autorifées à
faire des emprünts ; or , ce font des Villes mineures obé-
rées , & qu’en aucun cas on ne pourra contraindre à s’ac-
quitter, qu’on nous donne pour garant de la Iblidité d’une
opération immenfe , dont le défaut de fuccès entraînera
infailliblement, avec la ruine de la fortune publique, le
bouieverfement de toutes les fortunes particulières.
Dire que les Municipalités ne rifqueront jamais rien ,
8c qu’en cas de perte , elles compteront de Clerc à Maître
avec la Nation , c’efi avancer une abfurdité , car alors
ce n’efi plus une vente de biens que vous faites, mais
vous confiez tout fimplement la totalité des biens du Clergé
à des adminifirations particulières, qui auront un d’au-
tant plus grand intérêt à gafpiller ces biens, qu’elles pour-
ront le faire avec impunité.
Le Comité des Finances , s’expliquant par la bouche
jle Mt Atifon , a ofé avancer « qu’un billet forcé ne pou-^
( 45 )
» voit Jamais devenir un objet d’agiotage ». Il eft fâ-
cheux de remarquer que cette obfervation ne fait pas 1 eloge
des connoîflânces en Finance , & de M. Anibn & du Comité.
SI le ^ billet forcé n’ed pas Tu fceptible d’agiotage quand
il fert à forcer la volonté de celui auquel on doit, cer-
tainement il en arrivera autrement toutes les fois que
celui qui aura ainfi été payé, voudra employer l’effet qui
lui a été donné au lieu d’écus pouf une acqui/îtion quelcon-
que ; car , comme peut-être on ne décrétera pas que les
perfonnes feront contraintes de vendre des propriétés ou
des marchandifes, il ef! à fuppofer qu’avec la confervation
de la volonté de vendre ou de ne pas vendre, le vendeur
proportionnera le prix de la vente en raifon des valeurs qui
lui feront données en payement, & fi ces valeurs perdent
contre des écus, qu’il hauffera le prix de fa marchandilê
en railbn de la différence qui exifiera entre le papier & le
numéraire. Voilà certainement une caufe infaillible d*a-j
giotage.
Cette vérité devient fenfible , au refie , par l’article VIE
du décret de l’Afiemblée, dans lequel article, la perte des
aflignats contre du numéraire efi manifefiée d’une maniéré
bien naïve, car on y annonce que le débiteur fera tou-<
jours obligé de faire l’appoint de ce' qu’il doit , & de
fe -procurer l’argent néceffaire pour folder e>adement la
fomme dont il fera redevable. Il me lèmble , fi Je ne me
trompe , que cet article prouve clairement que fi le papier
valoit l’argent , ou mieux encore que l’argent , comm.e on
a ofé l’avancer , Il feroit égal au créancier de rendre lui-
même l’appoint au débiteur , & que cette expreffion , que
le débiteur fera obligé de Je procurer argent néceffaire ,
indique aflèz qu’il faudra qu’il l’achete de ceux qui conti'.
nueront cette branche utile de commerce.
( 44 )
D’aîlleurs , comment le Comité des Finances ne pré-
volt-ii pas ce que j*ai démontré ci-devant , que les étran-
gers , ayant des Tommes conlîdérables à retirer de la Fran-
ce , ne pourront recevoir ces retours qu’en efpeces ,
qu*alors, leurs CorreTpondans , pour les payer, feront
obligés de faire la converlion de nos papiers -morînoie en
efpeces , & ne faut-il pas être plus que borné pour ne pas
voir qu’une telle conver/îon ne Te fera jamais qu’à perte?
Or, comme cela ne manquera pas d’arriver tous les jours,
je prie qu*on me difê fî l’on peut manœuvrer plus habile-
ment que nous l’avons fait , pour ouvrir la plus vafte
carrière à l’agiotage.
peut-être, au relie, ell-il réfervé à M. Anfon de prouver
qu’au temps de Law on n’agiotoit pas du tout.
J’aurois voulu pouvoir traiter encore de l’influence fu-
nefie des alïîgnats forcés fur nos Mes à fucre ; pour peu
qu’on y veuille réfléchir, on n’aura pas de peine à lè
convaincre que toute elpece de commerce avec nos Mes
nous ell déformais interdit par l’effet de ce papier ; malheu-
reulèment il m’importe que ma Protellation paroilîe
promptement , & je fuis forcé de renoncer , quanc-à-
préfent , à cette dilcuflion iniérelîânte.