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Full text of "Protestation de M. Bergasse, député de la sénéchaussée de Lyon, contre les assignats-monnoie."

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' im‘i 

PROTESTATION 
M. BERÇASSE, 

DÉPUTÉ DE LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LYON, 


CONTRE 


LES ASSIGNA TS-MONNQIE( 


THE NEWBERK*| ^ 
UBRARï;i>^^ 



DE M. BERÇASSE, 


/ 

DÉPUTÉ DE LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LYOHjj 

CONTRE * 

✓ 

LES ASSIGNATS - MONNOIÉ. 



O N travaille dans rotnbre,& pendant des mois 
entiers , des projets défaftreux ; oh en préparé 
le fuccès par des coalitions perfides , & on ne^ 
laiffe que des minutes pour y répondre. 

Je n’ai pas afifez de temps pour examiner en 
détail les divers projets préfentés à TAffemblée ^ 
fur la néceffité de faire circuler en France des; 
alTignats-monnoie ; mais il me femble qu’il n’eft 
befoin que d’un petit nombre de réflexions poüîf 
démontrer l’abfurdité de tous ces plans, & fur- 
tout pour faire connoître les conféquences crue/-* 
les , & malheureufement irréparables , qu’ils en- 
traînent après eux, 

A 2, 


( 4 ) 

Faut-il des aflîgnats-monnoie ? Je ne puis ré- 
pondre à cette queftion qu’en examinant d’abord 
ce que feront dans les circonftances où nous fom- 
mes, les afTignàn-monrioie qu’on nous propofe , 
ôc enfuite quelle fera leur influence fur le com- 
merce & la circulation du numéraire dans l’État. 


L’Aflemblée nationale a décrété l’aliénation 
des biens eccléfiaftiques , & qu’il en feroit ven- 
du une quantité proportionnelle à la fomme des 
aflîgnats-monnoie qu’elle fe propofe de répandre 
dans la circulation. Ces aflîgnats-monnoie , 
porteront un intérêt par jour , feront divifés 
en billets y depuis deux cent livres jufqu’à cent 
pîftoles. Ainfi les affignats-monnoie peuvent être 
regardés cornme desefpecesde délégations don- 
nées d’avance fur le produit, d'une vente qui 
n’efl: pas faite , mais qui fe fera. 

Onafenti que pour que raffignat-monnole 
fût tout ce qu’il doit être , pour qu’il n’eût au- 
cun des inconvéniens des papiers forcés , quoi- 
qu’il foit papier forcée il falloir qu’il infpirât 
autant de confiance qu’une lettre de change ; Ôc 
dts Écrivains , gagés pour le faire prévaloir , 
'pnt dit y fans fe mettre efi peine de le prouver , 


f 


en 

qu'il infpireroit autant de confiance qu’uné 
lettre de change. 

Voyons fi cette afTertion efl: fondée .* 

Quel efl le motif de la confiance qu’on a en* 
une lettre de change ? C’efl: que Ton connoît la 
jolïdité de celui qui la tire , de ceux qui Tendof- 
fent & de celui qui l’accepte ; c’efi que celui qui 
la tire, & les endofifeurs l’accepteur, en ré- 
pondent fur leur liberté ; c’eft qu’en cas ^ de 
non paiement , la loi accorde toutes les facilités 
nécelfaires pour pourfuivre , & le tireur , & les 
endolTeurs , & raccëpteur. 

Or, les aflignats-monndie préfentent - ils un 
motif égal de confiance ? ^ * 

Non. Et pourquoi ? parce que la Nation , qui 
livrera ces effets ; parce que les particuliers qui 
les tiendront de la N’ation , au lieu de toutes les 
sûretés qu’offre le porteur d’une lettre de change 
( qu’on efl: au reffe toujours le maître de refufer) 
ne livreront pour gages à ceux auxquels ils les 
remettront , que des efpérances incertaines , & 
qui, quoi qu’on en difé , pourroient bien finir pair 
être abfolument illufoires. ‘ 

Ceci vaut la peine d’être éclairci. 

D’abord l’Aflemblée ne peut difpofer des biens 
cccléfiaftiques , qu’en déclarant libres aduelle^ 
ment de l’hypotheque des créanciers du Clergé^ 

As 


en 

ceux de ces bien^ dont elle dîrpofcra,& en faî- 
fant 5 de la créance fur le Clergé 5 une créance 
nationale ; car , tant que les biens du Clergé fe- 
ront .grevés de rhypotheque des créanciers du 
Clergé 5 il elt évident qu’ils ne peuvent devenir 
le gage des affignats - monnoie. 

Or, en premier lieu , rAffemblée a-t-elle le 
droit de convertir la créance particulière du Cler- 
|[é en ^créance nationale ? Ses commettans lui 
ontrils donné ce pouvoir? Peut-elle produire de 
leur part une procuration fpéciale qui l’autorife 
à faire une converfion de ce genre ? Et (î elle n^ 

peut , fi dès-lors on a toujours à craindre les 
réclamations demies commettans y Iqrfque fes 
^ommettans pourront parler , & qu’un^defpotif- 
rne effréné n’étouffera pas toutes les confeien- 
ces & toutes les efpeces de liberté dans l’Empire, 
je le demande : qu’eft-ce qui peut nous garantir 
Ja valeur des afiignats - monnoie ? & où eft la 
hafe fur laquelle ils repofent ? 

En fécond lieu rie faut-il pas de plus , pour 
.changer une hypotheque, que les créanciers qui 
ont accepté cette hypotheque y confentent ? Et 
où eft le confentementdes créanciers du Clergé ? 
Les créanciers du Clergé pouvoient placer leur 
argent dans les fonds publics , & en retirer un 
intérêt plus confidérab^^ celui que leCIer^ç 


C 7 ) 

leur paie. Ils ne l’ont pas youlu , parce' qu'ils 
n’ont pas, cru leur argent auflî foUderaent placé 
dans les fonds publics que .dans les fonds d^i 
Clergé , qui leur préfentoient pour sûreté Tby- 
potheque générale de fes bie^ns. Et vous, ofezai^ 
jourd’hui , fans daigner même k.s interroger , 
changer l’effence de leurs contrats , dénaturei: 
leurs créances , 6c les pr4ve;r'du gage qui en fai- 
foit la sûreté ! Ne me dites ^pas que la force donit 
vous, êtes armés emtpêcheta; Teffet dfe;Jeui:s^ gér 
clamation.s> 6c que fi leurs réclamations. fonti nuJr 
les , votre opération efl bonne. Qui., ils peuvent 
fe taire aujourd’hui;' vous pouvez les; environner 
d’une terreur a.fTez grande pour qu’ils fe laiffent 
facrifier fans murnitire à cette fouk d’agioten^? 
avides qui dirigent . la plupart de nos délibéraT 
tions financières ; mais te tems de votre force nie 
durera pas toujours ! mais le moment de la vçV 
rité arrivera ; le moment où les demandes jufles 
pourront être accueilliescomme les idées fage.s J 
mais du moins il efl poffible que ce moment ar- 
rive , 6c cette feule poffibilké ne fuffit-elle pas 
pour ôter à vos afTignats la plus grande partie de 
leur valeur; car , prenez donc garde qu’il ne 
s’agit pas ici d,e votre pui.Oance , dont perfonrie^ 
n’eft plus effrayé que moi, mais.de confiance,, 
mais de crédit ^ toutes chofes que la puiffance ne 

A ^ 


c^y 

fauroit créer , que la feule probabilité d’un évé- 
tiement quelconque fuffit pour détruire. Or, je 
vous défie de me nier qu’il ne foit très probable 
que les créanciers du Clergé réclameront, finon 
à préfent , du moins à la prochaine légiflature,en 
un mot, quand ils le pourront , le gage que vous 
leuf enlevez aujourd’hui? Et, ne vOyez-vous pas 
jufqu’à quel point la poffibilité d’une telle récla- 
mation , fondée fur les loix invariables de la juC- 
tlCQ-ôc de la propriété , ôte à vos affignats l’opi- 
nion dont ils ont befoin pour fe foutenir dans la 
circulation avec avantage. ^ 

Ainfi donc , pat cela feul déjà , queTAlTemblée 
fe verra contrainte de déclarer actuellement li- 
bres de toute hypotheque les biens eccléfiafti- 
ques qu’elle vendra , <Sc qu’elle ne pourra le faire 
fans violer toutes les loix de la morale & de la 
^propriété, fans s’expofer à des réclamations bien 
^ fondées , foit de la part de fes commettans , foit 
de la part des créanciers du Clergé , il devient 
impolTible que les affignats-monnoie ne renfer- 
ment pas en eux-même une caufe de difcrédit 
dont vous ne réuflirez jamais à les affranchir. 

Mais cette caufe n’efl: rien en comparaifon 
de celles que je vais développer ; & d’abord je 
foutiens que lors même que raffemblée,au lieu de 
déclarer dejpoti^uemenc libres de toute hypothe- 


(P) . 

que les biens ecclëfiaftiques dont elle décrétera 
la vente , s’occuperoit réellement de les affran- 
chir de toute hypotheque , en payant les créan- 
ciers du Clergé , les affignats n’en vaudroienc 
pas mieux pour cela. 

Car il y a plufieurs hypotheques fur les 
biens du Clergé. ' 

I®. L’hypotheque des créanciers du Qergé. 

2°. L’hypotheque des propriétaire ou des 
ufufruitiers de ces biens , tels que les Reli- 
gieux & les Eccléfiaftiques. 

3°. L’hypotheque du culte public. 

4.°. L’hypotheque des pauvres, au fort def- 
quels cependant on ne peut fe difpenfer de 
pourvoir. 

Or, pour délivrer les biens du Clergé de l’hy- 
potheque de fes créanciers , il faut, avant tout , 
conftater la dette du Clergé, puis les dettes 
particulières de chaque Diocefe, puis les dettes 
des Maifons religieufes qu’on veut détruire , 
puis les dettes des Titulaires des Bénéfices; Sc,‘ 
cette première opération terminée, il eft d’une 
juftice rigoureufe de déléguer le prix des pre- 
mières ventes qu’on fera aux créanciers, foit 
généraux, foit particuliers du Clergé; car cer- 
tainement, ou la probité n’efl: qu’une chimere , 
ou U faut reconnoître qu’ils ont fur ces ventes 


( 10 ) 

ütî privilège antérieur à tous ceux qu^on peut 
leur oppofer. 

Pour délivrer les biens du Clergé de l’hypo-» 
theque des propriétaires ou des ufufruitiers qui 
vivent de leur produit, il faut, les créanciers du 
Clergé ayant été payés , non feulement détermi- 
ner d’une maniéré invariable le fort qu’il con- 
vient de faire à ces propriétaires ou ufufruitiers ; 
mais donner les moyens d’affurer ce fort , mais 
démontrer la poflSbilité de ces moyens dans un 
Ëtat écrafé fous le poids d’une dette immenfe & 
travaillé par toutes les convulfîons de la déraifon 
Sc de l’anarchie ; car il feroit affreux que l’on com- 
mençât par s’emparer de la fubfiftance d’un nom- 
bre prodigieux d’individus, qui, s’ils ne font 
lien aux yeux de la philofophie moderne , font 
cependant quelque chofe aux yeux de la juftice 
& de l’humanité; qu’on les expulsât de leurs de- 
meures , avec la vaine promeffe de fubvenir à 
leurs befoins, Ôc qu’on les abandonnât enfuite 
à toutes les circonftances des événemens , fans 
çonfidérer la foi publique , fous la fauve-garde 
de laquelle ils ont contradé des engagemens 
impoffibles à rompre , & embrallé une pro- 
feffion à laquelle il i!>e leur eft pas permis de 
renoncer fans crime. 

Pour délivrer les biens du Clergé de l’hypo- 


(ïl) 

teque du culte public , il faut , après avoir pou vu 
au fort des créanciers du Clergé & des eccléfiaf- 
tiques qu’on réforme, réferver ce qui reliera de 
libre des biens du Clergé pour les frais du culte 
public , rechercher en conféquence , quel doit 
être ce culte, quel dégré de majefté il convient 
de lui conferver, dans quelle proportion, 6c fur- 
tout de quelle maniéré, il importe de falarier fes 
minillres; cal ce n’efl: qu’après avoir encore 
prélevé fur les biens du Clergé,' tout ce qui fe 
trouvera néeelTaire à l’entretien du culte publiq, 
qu’on pourra raifonner avec fageffe fur l’emploi 
du refle , ôc quelqu’opinion.qu’on ait dans ce fie- 
cle raiforineur, de l’influence de la religion fur 
Jes moeurs 5 j’efpere qu’on n’eft pas encore 
venu au point de croire jqu’on peut faire des 
moeurs fans religion , êc que tout changement 
dans le culte public d’un peuple efl: un chan- 
gement de peu d’importance. 

Pour délivrer les biens du Clergé de Thypo- 
, teque. des pauvres, qui y ont un droit fi facré , 
il faut , après avoir fatkfalt: à ce qu’exige de 
nous les créanciers du Clergé, fes eccléflaftiques 
que nous réformons , dc fe. jçulte public , trouver 
un ordre de çhofeiSuQÙ fe jpauvre foit fecouru , 
où il puiflTe être aidé promptement dans fa mir 
fete. Je teniarque qu!eu AngJe^erre,où néanmQins 


<Y2) ^ 

le Clergé ne fe trouve pas dépouillé de toutes 
fes propriétés , comme il l’efl: aéluellement chez 
nous, en Angleterre, où l’induftrie eft fi florif- 
fante, & où dès lors, les moyens de vivre du pro- 
duit de fon travail doivent abonder, la taxe pour 
les pauvres , fe monte annuellement à quatre- 
vingt millions. Je crois que je ne m’avance pas 
trop en affirmant > qu’en France, il nous faudra, 
pour fubvenir aux befoins de nos pauvres , une 
taxe à peu près égale. Or , il me femble que fl 
l’on ne veut pas charger la Nation de cette taxe, 
c’efl: encore fur les biens eccléfiaftiques qu’il 
convient de l’affedir, Sc qu’on ne peut les con- 
fidérer comme abfolument libres , ôc confé- 
quemment comme difponibles au profit des 
créanciers de l’état 3 qu’autant qu’on aura 
pourvu au fort des pauvres , de maniéré à les 
dédommager du patrimoine qu’ils perdent. 

Mais, je le demande, nous fommes~nous 
occupés d’affranchir les biens du Clergé de 
l’hypotheque de fes créanciers ? Avons-nous 
même dans nos décrets , comme la fimple pro- 
bité l’exigeoit de nous , averti que nous nous 
occupions de cet àffranchiffement , avant que 
de nous permettre aiucunèaù^re opération fui: 
ces mêmes bieils^?]^’- 

' Je le demande, notis fontoes nous mis en peine 


C IS ) 

(Je pourvoir au fort de ce grand nombre d’ecclé- 
Calliques ôc de religieux que nous réformons ? 
Nous avons décrété vaguement la portion de fa- 
laires qui appartiendroit à chacun d’eux ; mais 
fuffit-il de décréter, ne convenoit-il pas encore 
de démontrer la poffibilité de payer ces fajaires , 
je vais plus loin , de rendre fenfible à tout 
efprit fage la certitude qu’ils feront payés ; Ôc 
n’eft-il pas fouverainement immoral de trans- 
férer leurs biens à d’autres , quand nous ne 
fommes pas phjyjîquement certains de trouver, 
au milieu de nos défaftres , des reffources 
fuffifantes pour les faire fubfifter ? 

Je le demande , avons«:nous déterminé tout ce 
qui regarde le culte public ? Nous venons de 
décréter en général que les miniftres des autels 
feroient falariés ; c’eft-à-dire , que nous avons fait 
dépendre le culte public des événemens qui,d’un 
mpment à l’autre, peuvent gêner dans un grand 
empire, le mouvement des finances/ mais ces 
falaires , qui les payera , fi nous affedons tout 
de fuite au paiement des créanciers de l’état les 
fonds qui les produifoient auparavant ? 

Enfin, je le demande: nous fommes-nous beau- 
coup inquiétés des pauvres, dont le nombre, 
grâce à nos opérations violentes, s’accroît autour 
de nous d’une maniéré fi effrayante ôc û défa^ 


CUJ 

treiife ? (Jiïe votlt-ilrdeYénk au tïiîlfeù dès tuifaès 
que nous accurtîulôhs^ dé routes pàtts; 3c celui 
qui demaîrid^ fon pairi^ tôiis lés jours , comment 
fübfiftrérayc4i parmi’ W vaines fpécülations , 3c fi 
nous ne trôuvoris rîèn â'fubftituer fur le champ 
aux feco*ürs journaliers qui le fâifoiétit vivre ? 

- Et ce fl: avant d"*avôir riéh déterminé par rap- 
port à toutes ces chofçS que nous parlons d'af- 
Ëgnàts-monnôié fur les biens du Clergé , c’eft 
avant d'àvoit étayé êC mefuré la bafe fur la^ 
quelle nous prétendons établir un nouveau cré- 
dit public, que nous elevohs Tédifite de ce 
crédit , auquél> au ffefl:e , nous croyons lî peu 
iK>us-mcmés , que- nous né trpuVons d’autre 
maniéré de lefoutenir qü’üne confiance forcée, 
& dès 'lors abfolument impoflible. ' - 
Qu’on ne me dife pas, que quoique cette con- 
fiance foit forcée , elle a néanmoins uni fonde- 
ment raifonnable dans la mafiè énotmè des biens' 
du clergé, dont l’aliénation vient d’être décrétée; 
Tine confiance forcée qui a un fondemènt y & puis 
là maffe énorme des biens du Clergé ! Et que 
fignifie-t-elle , cette rnaife énorme à côté dès 
charges énormes que je^ vous préfente ; 3c tant 
que vous n’aurez pas pourvu à ces charges , 
tant que je ne faurai pas précifément en quoi 
confifte, pour ce genre de biens , l’excédent 


de la recette fur la dépenfe, où trouverez-vous 
la valeur réelle de vos alfignats-monnoîe , & 
comment déterminerez-vous la quantité que 
VOUS en devez répandre? 

Ce n’eft pas tout , & je veux bien fuppofer 
nulles toutes les objeftions que je viens de vous 
laire, il me refle encore à vous demander , com- 
ment vos alTignats pourront être rembourfés 
comment ils feront remboorfésf car il faut que je 
fâche toutes ces chofes , afin d’y avoir confiance. 

era-ce a la volonté des propriétaires des affi- 
gnats que vous rembourferez? Mais on fent que 
cela eft rmpoflible, car tout le monde voudroit 
«tre rembourfé à la fois. 

Rembourferez-vous ceux qui, les premiers 
auront reçus des affi gnats? Mais on conçoit que 
cela auroit inconvénient d’établir une diffé- 
rence entre les affignats, & qu’il en réfulteroic 

un agiotage infiniment nuifible pour la valeur 
■de ce papier. 


Rernboùrferez-vous par la voie du fort? Mais 
d abord ou vous fixerez par la voie du fort, & le 

nombre des affignats/uçceffivementrembourfa- 

bles., & l’epoque où ils feront rembourfés , ou 
fixant le nombre des aff, gnats fucceffivement 
rembour ables par la voie du fort vous nWerez 

pas fixerl epoqueotulslèront.remboH£fé5,Dai^ 


( 1(5 ) 

le premier cas, c’eft-à-dire, fi vous fixez l’épo- 
que du rembourfement, où vous êtes fûrs qu’à 
cette époque, il y aura affez de biens eccléfiafti- 
que svendus pour fubvenir au rembourfement, 
ou vous n’en êtes pas furs. Si vous en etes furs, 
faites moi connoîtreles motifs de votre fécutité, 
car je ne les apperçois pas. Si vous n’en etes 
pas fûrs, vous vous verrez donc forcésTde ven- 
dre pour fatisfeire à votre engagement, vous ven- 
drez donc à vil prix, & n’oubliez pas qu’il y a 
déjà fept à huit mille terres à vendre dans le 
royaume, & que précifément , parce que vous 
aurez fixé une époque pour rembourfer , on at- 
tendra cette époque,afin de profiter de votre be- 
foin, & d’acquérir à meilleur compte. Dans le fé- 
cond cas, c’eft-à-dire , fi vous ne fixez pas.une 
époque pour le rembourfement des alTignats- 
monnoie, ne voyez-vous pas que l’extindion des 
alfignats-monnoie va dépendre d’une foule de 
' caufes qui peut la retarder d’un fiecle; & alors 
quelle différence y a-t-il entre vos billets & ceux 
de Law', & à quel affreux défordre dans toutes 
les fortunes ne faut-il pas s’attendre ? 

. Enfuite , fi ceux qui font chargés de vendre , 
ont intérêt d’adminiftrer , fi , par une foule de 
raifonsque je n’ai pas le temps de détailler, ils 
leculent à deflein des ventes qui ne leur profi- 


terontpas autant qu’une adminiftratîon obfcure 
& toujours mal furveillés, fi vos Municipalités, 
qui font obligées d’emprunter de toutes patt^,^ 
pour fecourir leurs pauvres, que vous vènez^ 
d’organifer d’ailleurs, d' après des principes non “ 
encore éprouvés, après s’être^ chargées, fans 
confulter leurs forces, d’üne plus du moins: 
grande quantité de ces biens écctcfiaftiqliés^ 
fui van t une eftimation quelconque ; neleÿ onc 
pas vendus , ne peuvent lès* véndré\qu'’à perte., 
que deviendra l’intérêt que vous attribuez à 
vos aflTïgnats , que deviendront les àfirignâts 
eux memes f " •* J h.. 

Et puis enfin, fi ce qui peut arriver fans mî-^ 
racle , ( car il eft pofîible que le fens-commün fe' 
retrouve encore dans quelque partie de la' Fran- 
ce ), plufieurs diocefes, plufieufs diftrièls^ plü*-^ 
fleurs départemens, plufieurs ^dvinces, s’bppcP 
fent à ce qu’on vende fur leur territoiré’;'' avec? 
aufii peu de précautions que vous en avez pri- 
fes, aucune efpece de biens eccléfiaftiques , 
où en fera votre opération d’afiignats-monnoie, 
dont le fondement cependant h’éfi: que la vente' 
future de ces mêmes biens h ^ '' 

Encore un mot fur la quantité de billets que’ 
nous nous propofons de décréter. Si nous étions 
fages , nous fentirions que comme ce n’eft que^ 

B 


Gouvernemejit, gouï. 
^^ê?iiftf ^ que nous voulons 

^®ê^^^’Uionnoie 5 nous dfî\rrions 
%Y,^P^.l 9 q ^5 déterminer ce que. 
l^Çpuvernement perçoit , puis mettre de l’autre* 
9Ç P^y^ s ^ enfin, au moyen 

entre ce qu’il^ 

^995^9 ^ Ç?jS¥ payer. Or, ayons-nous 

rieq feit.de patçjl J^Oonnoiffons bien l’état 
de na^finan.ces.,' qq 9 ique depuis onzerpois nous 
de nous -eiy occuper,! ^t, fi nous ne, 
le connoiflpns pas , c’eft^pnc au hafard que nous 
allons décréter ce qu’il convient de faire. Mais, 
it’eft-il pas à ctftindre alors que nous ne donnions 
au Çpuvernement plus d’aflignats qu’il ne lui en 
fe,ut.£Our fouteqir fes charges fi nous lui en 
donpons plus quh| ne lui en faut , qu’en fera-t-il? 
Q^,iljes metJcr^,^ & ils ne fignifieronc 

rien,^ou il en ufera pour pomper , au rçfte, pour 
bien peu de temps, tout l’argent du Royaume, ôc 
vous n’avez plus pour le Royaume entier, comme 
vous allez le voir dans peu , que la plus extra- 
vagante dç la plus funefte des circulations. 

En voilà , je crois bien affez , pour démontrer 
quelques-uns des vices efientiels des affignats- 
monnoie. Il me femble qu’il n’eft aucun homme 
fenfé qui ne foit aduellement convaincu que 


( 19 > 

cette efpece de papier , parce qu’il ne répond à 
aucune valeur bien déterminée , bien certaine , 
éprouvera en très-peu de temps un difcrédic 
confîdérable", ôc qu’il n’y. a dès-lors que des 
fripons ou des ignorans qui ayent pu dire qu’il 
fe foutiendroit dans la circulation à l’égal d’une> 
lettre de change. 

Je pafTe maintenant à, l’autre partie de cette 
difculTion, c’efl-à-dire , que je vais. recherchée 
quel effet produira dans le commerce, réraiflîoai 
des affignats-monnoie. . 

; IL 

r 'f ' 

Je.diftingue le commerce en commerce' exté- 
rieur ôc commerce intérieur. 

J’appelle ici commerce extérieur, notre com- 
merce confidéré. dans tous Tes rapports avec 
l’étranger. 

J’appelle commerce intérieur, la circulatibrï 
intérieur de nos denrées , de nos marchandiféS', 
de l’argent , mefure commune de hos denrées ôC 
de nos marchandifes dans l’intérieur du royaume» 

Le but qu’on fe propofe en créant des affig- 
nats-monnoie , eft fans doute relativement^ à= 
notre commerce extérieur, de faire en forte que. 
nos rapports avec l’étranger nous foient moins 
défavorables qu’ils ne l’ont été depuis quelques^* 

/ B 2 


années ; que le change n’y Saîffe pas plus long- 
temps à notre défavantage , & en conféquence 
que le numéraire que nous y portons , rentre 
chez nous avec plus de facilité qu’auparavant. 

' Or, fi c’eft-là véritablement nqtre but, il 
faut avouer qu’il eft difficile de nous en écar- 
ter plus que nous le faifons. 

Je crois que^quelle que foit notre inexpérience 
en matière de commerce & de finances (& certes 
elle eft grande), il n’eft aucun de nous aujour- 
d hui qui ne fâche que tout le papier que nous 
pourrons créer , fut - il négocié dans tout le 
Royaume , au pair de ^argent , comme le papier 
de la banque de Londres, en Angleterre, ne 
palTe pas notre frontière ; que là nécefiairement 
fa valeur expire , & que fi nous devons à l’étran- 
ger , ce n eft plus avec cette relTource , mais avec 
du numéraire effectif , que* nous pouvons nous 
acquitter; notre papier n’aura donc aucun cours 
dans l’étranger , même en le fuppofant excellent 
pour nous. Or, comme la balance du commerce 
& l’état de nos emprunts prouvent que nous de- 
vons beaucoup plus à l’étranger qu’il ne nous 
doit; comme ce. n’eft pas en papier que nous 
pouvons le payer, mais feulement en écus, il 
eft clair que le papier que nous voulons créer 
aujourd’hui fera, relativement au Royaume en- 




, ( 21 ) 

tier, ce qu’eft aduellement, relativement à Parîj, 
le papier de la caiffe-d’efcompte. Ce papier chaf- 
fera rapidement du Royaume le peu de numé- 
raire qui y- relie, comme le papier de la caifle- 
d’efcompte a chaffé de Paris le numéraire qui s’y 
trouvoit ; nous nous trouverons donc abfolu- 
ment fans argent. Et dans cette pofition, com- 
ment notre commerce pourra-t-il fe foutenir 
avec l’étranger ? Qu’irons-nous acheter chez 
lui, que nous vendra-t-il? Et fi une fois nos 
relations extérieures font interrompues, com- 
ment fe rétabliront-elles? 

J’entends vanter la richefle & la variété .de 
notre fol, la fupériorité de nos manufactures , 
l’adive induftrie de cette clafie d’hommes, qui 
parmi nous s’adonnent ou aux arts utiles ou aux 
arts de luxe. J’entends vanter toutes ces chofes^ 
parce que nous n’avons pu nous défaire encore 
de l’infuportable manie de nous vanter fans 
cefle , Sc nous ne manquons pas de conclure des 
éloges que nous nous donnons à nous-mêmes , 
que quelles que foient nos fotpfes aduelles , le 
génie de la France reprendra tôt ou tard le def- 
fus, & nous rendra tous les avantages que nous 
avons perdus depuis trop long-temps;mais tandis 
que nous nous vanmn^infi, fuivant notre ufage 
ordinaire , j’obferve ^ & je vois qu’ailleurs il 




V 


exiftè des fols non moins riches & non môînS 
variés que le nôtre ; que nos manufa dures trou- 
vent par tout en Europe aduellement , des ma- 
nufadures qui les égalent <& fouventqui les effa- 
cent ; qu’ii n’efl: pas de contrée fagement gou ver- 
cée^où rinduftrie ne rencontre plus d’encourage- 
ment qu’elle n’en obtient parnli nous; ôc fùr-tout 
je remarque que, fans en excepter l’époque de 
l’édit de Nantes, il n’efl: aucune période de notre 
hiftoire , où il ait exiflé une émigration plus con- 
fidérable -d’ouvriers dans tous les genres , que - 
celle dont nous fommès les témoins aujourd'hui/ 
Et c’eft en telles circonftances que nous pou- 
vons pe'nfet à un papier monnoie, c’efl-à-dire > 
à un papier monnoie qui n’étant évidemment de 
nul ufage dans nos échanges au-dehors, éloig- 
nera de plus en plus de nous les nations co'm- 
îTJerçantes qui avoient confervé l’ancienne habi- 
tude d« trafiquér avec nous ; c’efl-à-dire , à un 
papier qui précipitant tout notre numéraire dans 
l’étranger , nous fera également défevantageux^ 
foit que nous achetions de l’étranger , parce qu’il 
lî’eti voudra point ; foit que nous vendions à l’é-^- 
tranger, parce que ce n’eft qu’avec ce même 
papier, qu’en pareil cas il aura grand ibin de ré- 
chercher , qu’il s’acquittera. Certes il éft difficîlè 
d’imaginer une extravagance plus grande & dont 


les conféqïiences pùiflent nous 'être plus funeues. 

Obfervez de plus ici un autre défavantage 
, que nous donnera le papier mdnnoie dans 
nos relations hors du Royaume, c’eft qu’il vous 
eft'impolTible de mettre en circulation une quan- 
tité confidérable du numéraire fidif que vous ne 
rehauffiez fur le champ toutes les valeurs com- 
mefçàblés ; comme il y aura chez nous plus 
'd’argent , car l’argent fidif fera quelque temps 
les fondions de l’argent réel , les chofés y vau- 
dront héceffairement plus, c’eft-à-dire noiis coû- 
teront beaucoup plus cher à produire ou à fa- 
briquer ; mais plus une chofe vaut , ôc moins la 
vente eh eft facile, parce qu’il fe préfente ihoïns 
d’acheteurs pour l’acquérir. Alors que vous ai- 
rive'rà-t-il ? De deux diofes l’une , ou que vous 
ne pourrez plus vous foiitenir dans les divers 
marchés de l’Europe, attendu que les denrées 
& les marchandifes que vous y exporterez fe- 
ront pluscheres que les denrées <Sdes marchan- 
difes qü’dn exportera d’ailleurs , ou qu’il vous 
faudra vendre vos denrées & vos marchandifes 
à perte ; & dans le premier cas , point de com- 
merce ; dans le fécond cas , point de commercé 
encore, parce qu’on ne fait pas long-temps un 
commerce qui ne peut durer fâris opérer la 
ruine de celui qui s’y livrêt 

B 4 


( 24 ) 

Cet état de chofes au refte fubfiftera peu, car 
votre papier s aviliflant promptement, vos mar- 
c^ndifes & .vos denrées perdront aufli promp- 
.tement de leur valeur; 'mais dans ce paflage* 
violent d une richelie apparente à une pauvreté 
réelle , tout votre numéraire fe fera écoulé; U 
ne vous reliera plus qu’une monnoie Hérite entre 
yles mains ; votre induftrie fe trouvera détruite; 
on -?ura perdu l’habitude de fe pourvoir chez 
vous , habitude qui, comme vous le favez, eft 
déjà fi confidérablement affoiblie ; &les nations 
qui auront profité de votre incroyable délire , 
plus réfléchies , plus lages que nous le fommes, 
ne manqueront pas de moyens pour conferver 
à votre détriment tous leurs avantages. 

Je viens à l’article des changes : ce que j’ai 
dit prouve fuffifamment , pour ceux qui font 
verfés dans ces matières , qu’avec votre papier, 
vous ne trouverez pas le moyen de les relever : 
car on ne releve pas les changes en détruifant 
fon-proçre commerce; mais comme on a l’im- 
pudencef d’affirmer qu’il n’y a que le papier 
monnoie qui puilTe les rétablir à nçtre avan- 
tage, il faut encore faire voir jufqu’à quel point 
à cet égard on cherche à nous tromper. 

Perfonne ne doute plus aujourd’hui que les 
billets de cailTe en circulation dans Paris n’aient 
eu PMttence la plus fâcheufe dans le cours de 


■ ( an 

nos changes aù-dehors. Eh bien ! d’après ce qu’on 
nous débite àpréfent^ il femble que depuis qu’on 
parle parmi nous d’affignats-monnoie, nos chan- 
ges auroient du reprendre faveur. Or, c’eft pré- 
cifément tout le contraire ; à peine la nouvelle 
de cette fottife prochaine a-t-elle été répandue 
en Suiiïe , en Hollande, en Angleterre , que les 
changes ont baiiïe dans toutes ces contrées, à 
notre détriment, de la maniéré la plus elfray ante; 
le change fur Paris efl tombé à Londres à iS un 
quart pour un écu , c’eft-à-dire que les écus de 
3 liv. fui le pied où on les y prend aduellement, 
valent à peu près 30, trois huitièmes, ôc que les 
lettres de change , à côté, ne valent à peu près 
que 25 un quart par écu.; il y a donc une 
différence fur le change , au détriment de Paris, 
entre le cours que nos efpeces effedives ont à 
Londres , ôc le cours des lettres de change fur 
Paris, d’environ j un huitième; laquelle diffé- 
rence peut être évaluée à 17 pourcent de perte 
fur les lettres de change. 

A duellement comment opéreroit un banquier 
de Paris, qui, d’ici à quinze jours, auroit un paie- 
ment de cent mille écus à faire à Londres fCeci 
vaut la peine d’être remarqué. Il fe procureroic 
cette fomme en efpeces contre des billets de la 
caiffe d’efcompte 5 au rifque de perdre fur ce& 


( ^ 

billets 8 pour loo ; il enverroît enfuke la fomme 
en efpeces à Londres , où fes écùs feroient pris 
fur le pied de 50, trois huitièmes ; & il fe feroit 
faire fon retour en lettres de 
qui ne lui coûteroient que 25 
mais qui auroîenr à Paris tome leur valeur; il 
àuroicdonc perdu, pour faire fon envoi d’argent 
à Londres , 8 pour 100 que lui auroit coûté là 
converfion de fes billets de la caiffe d’efcomptè 
en efpeces ; on peut y ajouter i pour loo pour 
les frais de l’opération , ce qui porte fa perte à 
5 pour 100; mais d’un autre côté , il auroit 
acheté à Londres â 17 pour cént de perte, deff 
lettres de change qu’il re'^éndroit au pair à Paris, 
ce qui lui feroit ùn bénéfice de 17 pour 100. En 
derniere analyfe , & en défalquant p pour loO 
de perte de 17 polir 100 de bénéfice ^ il auroit 
donc fait , en envoyant de l’argent à Londres , 
un bénéfice net de 8 pour lOo. 

Voilà ce qui. arrive âduellement par le fimple 
effet de la circulation des billets de la caiffe d’ef- 
compte & par la crainte des àffijgnats-monnoie. 
Or quand vous âüirez décrété vos aflignats-mon- 
noie, quand vous lès aurez décrété forcés,croyez- 
vods que les chofes charigent?crôyez-vous qu’on 
prendra vos lettrés de change à Londres au pair 
de vos éeus? Ne voyez-vous pas que votre ar- 


change fur Paris , 
un quàVt par écu. 


( a? ) 

gent s’écoulera encore plus vîtè qu’auparavant, 
qu’il fuffira du feul intérêt de vos banquiers , 
qui , dans cette hypothefe , n’eft -plus rintércc 
'du commerce & de l’état , pour le faire écouler 
plus vite. 

Remarquez qu’au temps de Law , les habiles 
'opéroient pfécifément comme le banquier donc 
je viens de parler; ils énvbyoieht leur argent 
chez l’étranger , bien fûrs de le 'retrouver quand 
la folie qui noüs travailloit a cette époquè fe- 
roit palïëe;ils bénéficioîènt d’ailleurs fur la mifer'e 
commune ; & quand, à force d’expérience & de 
malheurs '5 les jours de la raifon revinrent pour 
nous 5 ils bénéficièrent èncbre fur le befoin que 
nous avions des écus qu’ils s’étoient vus'dans là 
hécéiïité de faire difparoître. ' ' 

Il me refte à parler du commerce intérieur , 
& je le confidere relativément à Paris & relati- 
vement aux provinces. 

Oh a dit 5 relativement à Paris , que les afifi- 
gnats-mbnn'oie y feroient teparoître le numé- 
raire, & Tes hommes qui' ont dit ceci font les 
mêmes qui depuis fix ans n’ônt cefie de crier 
contre la caiffè d’efcompte, &qui ont déihohtré 
en cent ôccafîons que le propre du papier-îiJon- 
noie eft de chaffer l’argent devant lui. 

Or J recherchons fi cette afferti'on èft vraie. 


(28) 

Qu^eft-ce qui fait abonder l’argent dans les tems 
ordinaires à Paris ? il eft clair que c’eft le verfe- 
mentde l’impôt; mais fi les affignats font forcés, 
on fent bien qu’on ne fera pas affez ftupide eu 
province pour payer l’impôt enécus; Paris n’aura 
donc que du papier-monnoie dans fa circulation, 
Sc cela ell d’autant plus certain , que la caiffe 
d efcçmpte ne fera plus contrainte , comme elle 
Peft aujourd’hui , de faire de grands frais, pour 
verfer journellement quelque numéraire dans la 
capitale ; car on ne l’accufera plus de la mifere 
commune, Ainfi Paris fera de plus en plus à la 
merci des campagnes pour fon approvifionne- 
ment. Il rifquerade le payer beaucoup plus chè- 
rement que par le palfé ^ fi les campagnes pren- 
nent les afiignats à un cours quelconque , ou de 
mourir de faim , fi les campagnes finiflfent par 
n’en vouloir à aucun prix , ce qui pourroit fore 
bien arriver. 

Voyez de plus ce que perdra le gouvernement 
toujours payé en affignats , dont je défie aucune 
puiflance fur la terre d’empêcher le diferédit ; 
voyez comme il ne fera que des marchés ruineux, 
précifément parce qu’il ne paiera qu’en affignats, 
& que les ventes fe proportionnent aux rifques 
qu’on court dans les rembourfemens,& calculez 
enfuite la férié dé mifere à laquelle nous devons 
nous attendre. D’ailleurs dites-moi comment ce 


,(2P) 

meme gouvernement payera les troupes , qu’il 
ne peut payer qu’en numéraire , attendu la fubdi- 
vifton des paiemens , quand lui-même , ainfi que 
vous venez de le voir, ne fera payé qu’en affignats. 

Voilà pour Paris. 

Je paffe aux provinces ^ & je.foutiens , que 
fi par ce déplorable fyftême , on y favorife 
extrêmement l’agiotage des banquiers, on y 
détruira abfolument le commerce. 

Car qu’eft-ce qu’un aflignat forcé? Un malheur 
inévitable pour les créanciers, une reffource in- 
fâme pour les débiteurs. Vous avez déjà vu que 
les afTignats-monnoie font loin d’avoir la même 
valeur qu’une lettre de change ; que néceffaîre- 
ment ils perdront beaucoup dans la circulation, 
ôc cela non-feuîement parce qu’ils n’ofirent au- 
cune hypotheque certaine , mais encore parce 
Iqu’ils. feront forcés. Or que fera le débiteur ? Il 
achètera à vil prix vos affignats fur la place , 6c il 
lés remettra au pair à fon créancier, fe prévalant 
de vos loix abfurdes pour autorifer fa mauvaife 
foi ? Et dans cette hypothefe que deviendront 
les créanciers du commerce , dont vous aurez 
ainfi dénaturé les contrats ? Et qui êtes-vous , 
qui fommes-nous, pour autorifer par nos décrets, 
parmi vingt-quatre millions d’hommes, la viola- 
tion de la foi particulière ? Qui nous a donné des 


Cso) 

pouvoirs li terrîbks , & quel exemple ofFrons-* 
nous aux natipps étrangères , pous, qui appelles 
à fairpune conflitution, ne favops préparer, qu^> 
par l’intrigue , l’appuyer que fur la violation de 
toutes les propriétés, fur la dellrudion de toute 
efpece de moralité, chez des hommes dont nous 
devrions cependant nous occuper , autant de 
régénérer les rape:urs que de refaire les loix ? 

Ce n’efl: pas tout: comment le commerce 
peut-il fe développer & fe foutenif ? Par des 
ventes ôc des négociations à terme ; car, certai- 
nement fi le commerce étôit réduit aux ventes & 
négociations au. comptant, il n’exifteroît pasiJEt; 
concevez* vous. la poflîbilité des ventes & des né;. 
gociations.à,tefme. avec des afiignats for^s ? Ne ; 
voyez-vous pas que dans ce fyftême , pour que 
dp,telles. négociations oUjVentes fufîent pofiSbles, 
îllfaudroit qu’on pût calculer ce que vaudront les ; 
afiignats aux termes indiqués pour les rembour- 
femens , & qu’on. ne pût pas être contraint à les 
prendre au-delà de la valeur qu’ils auront à cette , 
époque fur la place. Je vends^ aujourd'hui une 
marçhandife quelconque 300 liy.^ & je confens 
qu’elle ne me foit payée que dans fix mois , parce 
que je fais quMle me fera payée en écus ou en 
papiers, valant des écus. Mais décrétez des affig-^ 
nats forcés, & je ne vendrai ,plqs au term^.dçiijc 


( 3,1 ) _ ; 

mois, parce que Je craindrai qu’arrivé à ce .terme 
on ne s’acquitte à mon égard avec un affignat qui 
perdra beaucoup fur la place, & que néanmoins 
on m’obligera d’accepter , cornme s’il ne perdoiç 
pas. Or s’il ne fe fait plus de tels mar.chés dans le 
commerce, fi l’on fe trouvée, réduit à ne -plus 
vendre ou négocier qu’au. comptant , comment 
concevez-vous les fpécuJations , les entreprîfes 
du comme, rce , comment mç démontrerez- vous 
que le commerce foit mên>e. poffible (i), 

( I ) Autp réflexion importante : 

La circulation forcée des aflignats donnera înfalllM 
blement lieu à la falfification du papier ; car , comment 
fera - t - il poflîble , dans toute Téiendtie du Royaume ^ 
dans les carnpagnes , meme dans les villes, de prendre, 
des précautions fuffifantes pour faire diftinguer vrais 
papiers d’avec ceux que Ton contrefera ? Comment Thomme 
qui ne fait ni lire ni écrire pourra - t - Il faire cette 
diflinéHon f' A Combien d’abus & de friponneries cec 
ade defpotique,^ n’ouvrira - t - il I pas la porte f & lorfqiie 
les Légiflateurs. eux - memes donnent l*ex»mple , cap 
il faut avoir le courage de. le dire , de la violation des 
propriétés les plus facrées , pourquoi l’homme^ ambitieux 
ou réduit à la jnifere ne cherchera- 1- il pas à fatisfaire 
Ton ambition ou à fe venger de l’injuflice qu’on exerce 
envers lui, par tous les moyens de ce genre, qui feront 
à fa portée ; enfin , lorfiqu’aucun principe de morale 
ne contient le Corps Légiflatif, doit - on s’attendre à 
beaucoup de morale de la par: d’un peuple vidime dç 
l’injulHce 6c de la cupidité de ceux qui fent appelle^ 


\ 


( 32 ) 

' Votre projet d’affignats forcés détruira donc à 
la fois Ôc le commerce intérieur & le cdmmerce 
extérieur. Ajoutez de telles conféquences à 
rinjuftice de ces affignats en eux-mêmes , & 
voyez s’il eft un homme honnête qui puifle 
entreprendre d’en faire l’apologie. 

Je n’ai plus qu’une obfervation à faire fur les 
hommes qui ont imaginé ce fyftême d’affignats- 
monnoie , 5c. fur ceux -qui mettent tant de 
chaleur à le faire valoir. 

11 eft bon qu’on fâche que les uns font embar- 
lafles depuis long-temps dans les funeftes fpécu- 
îatîons de l’agiotage;. que d’autres font à la tête 
des diverfes chambres d’afturances établies dans 
la capitale; que d’autres encore font propriétaires . 
d’un grand nombre d’effets publics, comme effets 
xoy aux & adions decaiffe; que l’intérêt commun, 
tant des agioteurs , des affureurs ,.que des pro- 
priétaires des effets publics , eft que les effets 
publics aequierent une grande valeur , afin qu’ils 

à réclairer ou à le régir ? & de-là , plus à compter 
aucune sûreté dans les négociations & dans les propriétés. 

On coinçoît qu’il fera plus facile de tromper un payfaii 
ou un fermier avec un faux aflîgnat , qu’avec des écus 
faux : or , s’il y a des écus faux , n’ell-il pas clair qu’il 
y aura de faux allîgnats , parce que l’un fera plus aîfé 
Çc moins dilpendieux à fabriquer que l’autre. 


( 3 ? ) 

puifTerit s’en défaire à un bon prix ; qu’au moyert 
des afTignats , pour lefquels, obfervez-bien cèci , 
ils onr foin de ne faire fpécifier qu’un intérêt 
moindre que celui des effets qu’ils veulent vendre 
ÔL qu’ils ne demandent forcés, qu’afiri de les faire 
tomber dans un difcrédit utile à leurs vues,leurs 
effets acquerront- néceiîairement une grande 
valeur; tout le monde , papier pour papier, de- 
vant préférer celui qui rapporte. plus à celui qui 
rapporte moins; que par cette manoeuvre , au 
lieu de reftituer , comme ils le craignoient , les 
profits ufuraires qu’ils ont faits;ils fe procureront: 
au contraire un gain confidérable qu’ils auront 
grand foin de réalifer Ôc de* mettre à couvert, ÔC 
qu’en derniere analyfe tout ‘ le réfultat de leur 
abominable opération, fera pour eux, fans doute, 
une fortune immenfe ôc rapide , mais pour la 
nation entière , le bouleverfenient de toutes les 
fortunes acquifes par un travail honnête , la def- 
truêlion de tous fes moyens commerciaux, & la 
ruine Ôc le défefpoir du peuple. Qu’importe une: 
telle perfpedive à des hommes de cette efpece, 
Ôc à ceux qu’ils ont fait agir dans l’Affemblée 
nationale , en les affociant à leurs vues. 

Je termine ici tout ce que je voulois direYuc 
les affignats forcés. On me demandera fans doute 
maintenant , puifque je ne veux point d’affignatS 

C 


forcés , ce que j’eflimé qu’il faudroît faire pour 
venir au fecours des créanciers de l’état. ( i ) 


( I ) Il a été démontré par M. Kornmann , à la Commune 
& à TAflemblée Nationale , que la rareté du numéraire 
provenant efîèntieilement des opératipns funeftes de la 
Caille d’EIcompte , il étoit urgent de détruire cette caufè 
première de nos malheurs. Cette dellrudîon , fondée fur 
des principes d’équité & de jullice, auroît immanquable-* 
ment produit l’effet lî déliré de la circulation de l’argent 
dans Paris , la confervatîon de celui qui relie dans les 
Provinces , & de toute nécelïité , une révolution avan- 
tageul^; dans les changes. Tandis qu’on auroit "delliné des 
alTignats libres , de la maniéré indiquée par M. Kornmann , 
pou K être employés à l’acquittement des créanciers de l’État; 
ces^afïignats, réalifés fucceflivement en écus , par le produit 
des ventes des biens domaniaux & de ceux du Clergé , 
auroient obtenu la plus grande/ confiance , & non-feule- 
ment ils auroient fait fortir le numéraire enfermé dans 
Jes coffres, mais même, ils auroient attiré celui de l’é- 
tranger. Une telle opération , fans blelîèr les loix & 
violer les propriétés , auroit procuré au Gouvernement le 
ioifîr de connoître fa fituation , d’établir , d’après cette 
connoiirance , une balance telle dans l’adminifiration de 
ïês finances, que la recette pût égaler ou furpalïèr la 
dépenfe , & de fixer , en conféquence , l’impôt & fa ré- 
partition; ce qui étoit très - important, car, aulli long- 
temps qu’on ne connoîtra pas au jufie les engagemens à 
remplir & les relTources alTurées pour y fatisfaire ^ il fera 
tmpolTible d’obtenir la confiance pyblique. 


(3î) 

On a dit cent fois ce qu’il faudroit faire , Sc 
je ne puis que répéter ce qu’on a déjà dit. Le 
Clergé offroit d’aliéner pour quatre cent millions 
de fes immeubles ; le Roi confentoit aulTi à l’a- 
liénation d’une portion confidérable de fes do- 
maines. Or , qui empêchoit de créer pour quatre 
cent millions ou fix cent millionsd’affignats libres 
fur les domaines du Roi ôc du Clergé. De tels 
affignats euffent obtenus une grande confiance. 
D’abord parce qu’ils auroient été libres , & que 
leur gage étoit d’autant plus certain que le Roi, 
Ôc le Clergé les garantifToient chacun en ce qui 

Au contraire , que va-t-il arriver? J’ai befoin de le 
répéter encore , que le Gouvernement , verfant une mafle 
énorme de papier forcé dans la circulation , pour acquitter 
fes engagemens , ce papier caufera, d’une part, une hauiïe 
dans tous les ejBFets du commerce & de confommation , 
& que , d’autre part , l’étranger , "pour la portion îm~ 
menfe qui lui revient dans la dette de l’État & du com- 
merce , ne pouvant faire ulage de ce papier, nous loutirera 
le numéraire qui nous relie, & que, par-là, néceffaire- 
ment la défaveur de nos changes augmentera , & cela, 
toujours en raifon de la difette des écus , qui deviendra 
enfin telle , qu’avec une fomme médiocre de numéraire , 
on pourra acquérir des objets de conféquence. Croyez > 
par exemple, que cette fituation n’échappera pas à l’étranger 
& que vous le verrez, après nous avoir enlevé tout notre 
argent , 'acheter , avec peu d’écus , nos propriétés les pluy 
précieufeS| 

£ 2 . 


( 3 ^) 

pouvoit le concerner; enfuite , parce que Tad- 
mîniftration de ce gage n’auroit pas été livrée au 
garpillage fcandaleux auquel on ne rougit pas de 
livrer dans ce moment la totalité des biens du 
Clergé; enfin, parce qu’on n’avoit pas à redou- 
ter, comme dans Thypothefe qu’on préféré , la 
quantité prodigieufe de réclamations quel’opéra- 
:tion , aulïi abfurde quévexatoire qu’on médite, 
ne manquera pas d’exciter dans peu : mais il nous 
împortoit de fatisfaire notre haine philofo- 
phique contre le Clergé (i); il nous importoit, 
après lui avoir promis folennellement le maintien 
de Tes propriétés, de l’en dépouiller violemment; 
îl nous importoit d’aflbuvir , aux dépens du pa- 
trimoine despauvres, l’ambition dequelqueschefs 
de parti 3c l’avidité d’une foule de fripons con- 
nus par leurs manœuvres infâmes , depuis que 
l’agiotage eft devenu la principale refiburce de 
notre adminifiration. Et rien de tout cela ne pou- 
rvoit arriver , fi nous avions accepté les offres qui 


( I ) Ne concluez pas de-là que je penfe que le Clergé 
ïi’avoît pas befoin de réforme ; maïs réformer ce n’efi pas 
avilir , n’eft pas détruire ; & nous avons avili le Clergé aux 
yeux des peuples ; & je penferai toujours que nous l’avons 
détruit., tant que nous n’aurons pas affuré les moyens de le 
faire fublider avec la décence & la dignité convenable* 


( 37 ) 

nous étoienc faites , & nous aurions manqué, je 
le fens bien , roccafion de donnenà üEurope 
l’exemple à jamais mémorable d’une AfTemblée 
de Légiflateurs qui fe jouent des premières loix 
de la probité , & foulent aux pieds, comme de 
vains fcrupules , les plus falotes maximes, de 
la juftice & de la morale , qui brifeht les 'con- 
trats les plus folemnellés , les obligations les 
plus refpedées , qui changent à leur gré la na- 
ture de tous les engagemens , &; qui intrqduilant 
la mauvaife foi dans. toutes les claffes'^de ci- 
toyens , ne craignent pas de faire de la corrup- 
tion univerfelle un moyen d’afliirer la confti- 
turion qu’ils nous préparent. .) 

• Quant à moi , qui ne peux légitimer par mon 
fufFrage un projet li'défaftreux , qui n’ai pas 
reçu de mes commettans la miffîon de violer les 
propriétés & de naturaliferdans toiite l’étendue 
du royaume l’agiotage ôc la mauvaife foi quanc 
à moi, qui ai fait le ferment de favorifer detouD 
mon-pouYoir raffranchilfement du commerce 
de l’agriculture, Sc qui ne me joue pas de mès 
fermens; quant à moi , qui n’apperçois dans le 
projet qu’on veut faire prévaloir , que l’ébran- 
lement de toutes les fortunes, la deftrudion de 
tous les moyens légitimes d’acquérir , l’anéan- 
tiffemeht de la morale publique ôc partrcaUerej, 


( 38 ) 

refprit de fripponeriefubllitué par-tout ôc dans 
toutes lés '.négociations 5 aux régies féveres de 
là prudence & de la probité ; quant à moi , qui 
n’eflime pas que TAffemblée ait le droit de dé^ 
créter un pareil projet ^ qui ne voit pas dans nos 
_ mandats qu’on nous ait accordé le pouvoir ex- 
travagant de changer en un moment , ôc par un 
limple effet de nos volontés, la nature de tous 
les érigagemens dans l’empire ^ qui ne peux 
croire' qu’il nous foit permis , fans le confente* 
ment fpécial de ceux qui nous ont envoyés,' 
d’opérer une révolution de ce genre, dont la 
conféquence funefte feroit la défolation des 
campagnes ôc la ruine abfolue de la capitale Ôc 
des plus floriffantés villes de létat ; quant à moi, 
qui aime à me perfuader que le Roi ne fandion- 
nera jamais un pàreii décret , fi nous fommes 
capables -de le porter, parce qu’un Roi honnête 
homme , quel que foit le degré d’infortune 3c 
de délaiffement où nous l’avons réduit , ne peut 
vouloir à la fois fandionner la corruption & la 
mifere de fon peuple , & qui d’ailleurs ne penfe 
pas qu’il puiffe fe trouver un miniftre affez im- 
moral pour lui confeitjer un tel ufage de l’auto- 
îité qui lui relie. 

Je déclare, pour l’intérêt de la capitale ôc des 
provinces , pour l’intérêt du commerce ôc de l’a- 




( 39 ) 

griculture, pour le maintien des proprie'tés , & 
par rerped pour les loix éternelles de la morale 
& de la juflice , que je m’oppofe à radmiiïion 
du projet qu’on nous propofe ; & fi nous pou- 
vions le décréter, que je change mon oppofuion 
en proteflation folemnelle contre le décret qui 
fera porté , ajoutant que j’envoie dès ce mo- 
ment le préfent écrit , foit comme oppofition , 
foit comme proteflation , d’abord à mes com- 
mettans , enfuite à toutes les chambres de com- 
merce 5 Sc enfin aux principales villes du royau- 
me , & voulant qu’il me ferve de témoignage 
^ & de juflification pour la démarche que je fais 
aujourd’hui, lorfqueles malheurs que je prévois 
feront arrivés. 

Signé ^ Berçasse. 

J’efpérois que cet écrit paroîtroit avant la dé- 
cifion de l’Affemblée fur les affignats-monnoie, 
Sc qu’il pourroit empêcher qu’ils ne fiiffent 
adoptés. L’AfTemblée s’étant déterminée fur 
cette queftion importante avec une précipita- 
tion que je ne pbuvois pas prévoir, Sc qui efl 
abfolum'ent contraire au réglement qu’elle s’eft 
impofée ; je ne penfe pas moins que mon éefit 
pourra être encore utile j _Sc je p.erfifle dans la^ 
. réfolution de le publier* 


/ 


) 


( 4 ° ) 

POST-SCRIPTUM. 

Encore une ou deux réflexions que je n*ai pu m*em- 
pécher de faire tandis qu’on travailloit à l’impreflion de 
cet ouvrage. 

Ceux qui ont intérêt de foutenir les alïignats forcés , 
ne manquent pas de publier par-tout en ce moment leur 
triomphe ; qu’au fond on a tort de douter de la fblidité 
de ce papier, puifqu’il n’a pas feulement pour hypotheque 
les biens du Clergé , mais de plus la garantie des Muni- 
cipalités qui déjà s’emprelTent de toute part de faire des 
foumiflions confldérables à l’imitation de la Capitale. 

J’ai dit ce que je penfe & de l’hypotheque des biens 

du. Clergé & de la garantie des Municipalités. Mais puifquç 
j’y fuis , je veux examiner un peu plus à mon aife ce 

_qu’il faut penfer fur-tout de la garantie des Municipalités. 

' M. Bailly a follicité à l’AlTemblée nationale , fans le 
vœu de la Commune & des Diflrids, la permiflion pour 
la Ville de Paris de faire l’acquifition de loo millions 
de biens appartenans au Clergé ; mais s’il arrive, ou plu- 
tôt s’il ell démontré que l’acquifltion dont M. Bailly veut 
grever la Ville de Paris , efl ruineufe , & fi conféquem- 
ment elle préfente une perte énorme tant en capital 
qu’en intérêts 5 fur qui retombera cette perte? Tout le 
monde fait que le patrimoine de la Ville de Paris efi 
peu'de chofes , d’ailleurs les Municipalités ou les Villes 

fb, nt,toujours_mineures, & furement les fuccefleurs des 
Officiers Municipaux, aduels ne feront nullement tentés 
de furcharger d’un impôt confidé.rable leurs Concitoyens , 
qui d’ailleurs ne le fouffirlroient pas , pour acquitter le- 


(40 

réfultat d’une opération qui n’auroît été avamageufè qu’à 
ceux qui l’auroient imaginée. 

Je Tais qu’on a demandé que les Municipalités , avant 
d’acquérir , fufTent tenues de dépofer des furetés 8c des 
cautionnemens pour garantir l’exaéHîude des engagemens 
qu’elles prendroîent , & qu’en conféquence M. Bailly a 
déjà annoncé à l’Afîèmblée qu’il avoit une fbumiffion de 
70 millions dans fa poche pour les acquihtions de Paris. 

Mais qu’on me permette d’obferver que M. Bailly n’a 
pas fait connoître la nature de ce cautionnement , ni les 
époques où ceux qui prennent cet engagement doivent les 
réaiirer , non plus que la folvabilité des contradans. 

Quelle confiance peut-on donc avoir en un caution- 
nement qui n’eft encore que dans la poche de M. Bailly? 

Quels peuvent être d’ailleurs les Citoyens opulens qui 
voudront , dans les cîrconftances où nous nous trouvons , 
contrader un engagement Iblidaire 'de la (bmme immenfe 
de 70 millions pour des biens dont la vente , fur-tout à 
Paris , qui fe dépeuple tous les jours ; & qui , par le 
feul effet de la conftîtution , ne fe repeuplera jamais , 
me paroît fînguliérement aventurée ? ' * 

Quel feroit le bénéfice qu’il faudroit accorder à ces 
hommes téméraires , fi par hafard il s’en trouvoît pour 
courir une pareille chance? Sans doute ils le propor- 
tionneroient aux rifques évidens & aux inquiétudes aux- 
quelles ils s’expoferoient > & alors cela ne diminueroit-il 
pas d’autant la valeur de ces mêmes biens. 

Mais fi , comme il eft probable , le cautionnement de 
M. Bailly n’eil qu’un plan artiflement combiné de la 
part des agioteurs', d’accord avec lui , & offrant , fous 
une garantie apparente , des tournures cependant telle- 
ment adroites , que jamais ceux-ci ne jpuiflènt être expofés 


) 


( 42 ) 

â aucune perte , alors ne ferolt-ce pas un nouveau tour 
de Jonglerie dont il feroit permis de fe défier aufli long- 
temps qu’mon n*aura pas rendu publiques toutes les con- 
ditions du traité f 

De plus , certainement ni la Commune de Paris , nî 
^ies feéHons né con fendront à laifler contrader par la 
\nile , déjà fi obérée , un engagement qui puifie Texpofer 
à une perte énorme , & à moins que le délire ne Colt dans 
toutes les têtes , il faut bien s’attendre qu’ils s’oppoferont 
aux emprunts que Ton projette , & dont ils deviendroienc 
relponfables. Ce que je dis pour Paris peut s’appliquer 
à toutes les Municipalités du Royaume ; il eft notoire 
que presque toutes les Villes font dans un état de dé- 
trelïè cruelle (Lyon feul doit près de 50 millions), & 
qu’elles ont fi pëu dé refiburces , qu’elles demandent jour- 
nellement à l’AfTemblée Nationale à être autorifées à 
faire des emprünts ; or , ce font des Villes mineures obé- 
rées , & qu’en aucun cas on ne pourra contraindre à s’ac- 
quitter, qu’on nous donne pour garant de la Iblidité d’une 
opération immenfe , dont le défaut de fuccès entraînera 
infailliblement, avec la ruine de la fortune publique, le 
bouieverfement de toutes les fortunes particulières. 

Dire que les Municipalités ne rifqueront jamais rien , 
8c qu’en cas de perte , elles compteront de Clerc à Maître 
avec la Nation , c’efi avancer une abfurdité , car alors 
ce n’efi plus une vente de biens que vous faites, mais 
vous confiez tout fimplement la totalité des biens du Clergé 
à des adminifirations particulières, qui auront un d’au- 
tant plus grand intérêt à gafpiller ces biens, qu’elles pour- 
ront le faire avec impunité. 

Le Comité des Finances , s’expliquant par la bouche 
jle Mt Atifon , a ofé avancer « qu’un billet forcé ne pou-^ 


( 45 ) 

» voit Jamais devenir un objet d’agiotage ». Il eft fâ- 
cheux de remarquer que cette obfervation ne fait pas 1 eloge 
des connoîflânces en Finance , & de M. Anibn & du Comité. 

SI le ^ billet forcé n’ed pas Tu fceptible d’agiotage quand 
il fert à forcer la volonté de celui auquel on doit, cer- 
tainement il en arrivera autrement toutes les fois que 
celui qui aura ainfi été payé, voudra employer l’effet qui 
lui a été donné au lieu d’écus pouf une acqui/îtion quelcon- 
que ; car , comme peut-être on ne décrétera pas que les 
perfonnes feront contraintes de vendre des propriétés ou 
des marchandifes, il ef! à fuppofer qu’avec la confervation 
de la volonté de vendre ou de ne pas vendre, le vendeur 
proportionnera le prix de la vente en raifon des valeurs qui 
lui feront données en payement, & fi ces valeurs perdent 
contre des écus, qu’il hauffera le prix de fa marchandilê 
en railbn de la différence qui exifiera entre le papier & le 
numéraire. Voilà certainement une caufe infaillible d*a-j 
giotage. 

Cette vérité devient fenfible , au refie , par l’article VIE 
du décret de l’Afiemblée, dans lequel article, la perte des 
aflignats contre du numéraire efi manifefiée d’une maniéré 
bien naïve, car on y annonce que le débiteur fera tou-< 
jours obligé de faire l’appoint de ce' qu’il doit , & de 
fe -procurer l’argent néceffaire pour folder e>adement la 
fomme dont il fera redevable. Il me lèmble , fi Je ne me 
trompe , que cet article prouve clairement que fi le papier 
valoit l’argent , ou mieux encore que l’argent , comm.e on 
a ofé l’avancer , Il feroit égal au créancier de rendre lui- 
même l’appoint au débiteur , & que cette expreffion , que 
le débiteur fera obligé de Je procurer argent néceffaire , 
indique aflèz qu’il faudra qu’il l’achete de ceux qui conti'. 
nueront cette branche utile de commerce. 


( 44 ) 

D’aîlleurs , comment le Comité des Finances ne pré- 
volt-ii pas ce que j*ai démontré ci-devant , que les étran- 
gers , ayant des Tommes conlîdérables à retirer de la Fran- 
ce , ne pourront recevoir ces retours qu’en efpeces , 
qu*alors, leurs CorreTpondans , pour les payer, feront 
obligés de faire la converlion de nos papiers -morînoie en 
efpeces , & ne faut-il pas être plus que borné pour ne pas 
voir qu’une telle conver/îon ne Te fera jamais qu’à perte? 
Or, comme cela ne manquera pas d’arriver tous les jours, 
je prie qu*on me difê fî l’on peut manœuvrer plus habile- 
ment que nous l’avons fait , pour ouvrir la plus vafte 
carrière à l’agiotage. 

peut-être, au relie, ell-il réfervé à M. Anfon de prouver 
qu’au temps de Law on n’agiotoit pas du tout. 

J’aurois voulu pouvoir traiter encore de l’influence fu- 
nefie des alïîgnats forcés fur nos Mes à fucre ; pour peu 
qu’on y veuille réfléchir, on n’aura pas de peine à lè 
convaincre que toute elpece de commerce avec nos Mes 
nous ell déformais interdit par l’effet de ce papier ; malheu- 
reulèment il m’importe que ma Protellation paroilîe 
promptement , & je fuis forcé de renoncer , quanc-à- 
préfent , à cette dilcuflion iniérelîânte.