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Harvard Collège
Library
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JOHN HARVEY TREAT
OF LAWRENCE, MASS.
CLASS OF 1862
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SAINTE MARTHE
Stv vie
SON HISTOIRE ET SON CULTE
M. l'abbé J. SAGETg^l^
Curé de la Madeleine de Bergerie,
AUTEUR
DE V Eucharistie , DE VEssai sur VArt chrétien,
DE iSainte Marie^Maddeine, etc.
Deligebat autem Jésus Mariham.
JOAN, XI-S
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DE LIBRAIRIE CATHOLIQUE
PARIS
VICTOR PALMÉ
directeur général
fî6, RLE DES SAINTS-PÈRES, 76.
BRUXELLES
J. ALBANEL
Directeur de la Succursale
2Î> j RUE DES PAROISSIENS , 29.
PÈRIGUEUX, CASSARD FRÈRES, IMPRIMEURS-LIBRAIRES
de W' rÉvéque et du Clergé.
1880.
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SAINTE MARTHE.
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PERIGUEUX. — CASSARD FRERES, IMPRIMEURS-LIBRAIRE»
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SAINTE MARTHE
SA. VIE
SON HISTOIRE ET SON CULTE
M. l'abbé i. SAGETTE,
Caré de 1» Iideleina de Bergerac,
AUTEUR
DE L'Eucharistie, db h'EsÉai sur VArt chrétien,
DE Sainte Marie^Madeleine, etc.
Deligehat autem Jésus Martham*
JOAN, XI-5.
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DE LIBRAIRIE CATHOLiaUE
PARIS
VICTOR PALMÉ
directeur général
76, RUE DES 8AINTS-PÈRE6, 76.
BRUXELLES
J. ALBANEL
Bireeteoi d6 U Sneeusal»
29 y RUE DES PAROISSIENS , 29.
PfeRIGUEUX, CASSARD FRÈRES, IMPRIMEURS-LIBRAIRES
de M«' rÉvôque et du Clergé,
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1889,/
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APR 9 1923
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Monseigneur,
Votis m'avez fait l'honneur dé me confier
Vexatnen d'un manuscrit de M, l'abbé Jean
Sagette, intitulé : Vie de sainte Marthe, faisant
suite à la Vie de sainte Marie-Madeleine.
(Monsieur l'abbé Sagette est connu dans le
diocèse et dans les diocèses voisins, par sa haute
compétence théologique, hagiologique et litté-
raire; et nous n avons pas à lui décerner ici un
brevet d'orthodoxie : mais nous devons indiquer
ritnpression qu'a produite en nous la lecture de
son œuvre,
La Vie de sainte Marthe est le complément
de la Vie de sainte Madeleine.
Ces deux admirables Jemmes sont sœurs non-
seulement par la nature et par le sang, mais par
la grâce et la sainteté, et, dans un ordre moins
relevé. Par le caractère, et pour ainsi dire par
le tempéramment qu'a su leur donner l'auteur ,
dans sa manière large et puissante, dans son
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— II —
style si abondant, si limpide, si lumineux. Les
deux héroïnes, confinant aux temps bibliques et
aux temps apostoliques, se ressemblent par bien
des traits ; mais elles ont aussi des dissemblances
qui les caractérisent et laissent à chacune sa per-
sonnalité propre.
Les répétitions qui étaient là à redouter ne se
reproduisent pas trop fréquentes , et celui qui a
lu Sainte Madeleine ne trouvera dans Sainte
Marthe que la juste mesure des citations déjà
connues.
Notre auteur a puisé ses documents dans
r Ecriture-Sainte, la tradition, les témoignages,
les commentaires, les exégèses des premiers
Pères, les liturgies des Eglises primitives ; dan^
Raban-Maur, cette lumineuse et austère figure
de moine et d'archevêque; dans la Bienheureuse
Catherine Emmerich, à qui il a fait de riches et
gracieux emprunts; et, enfin, dans tout ce quune
vaste érudition, unie à un travail si facile, a mis
à sa disposition.
Ceux qui ont lu Sainte Madeleine voudront
lire Sainte Marthe ; ils ne trouveront pas moins
à s'édifier dans l'une que dans Vautre,
Tout est bien, Monseigneur, et Votre Gran-
deur, en approuvant ce livre, rendra un véritable
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— III —
service aux âmes pieuses, qui y trouveront un
intérêt croissant^ une lumière vive, un solide
aliment et une nouvelle ardeur.
Daignez agréer l'hommage du profond res-
pect avec lequel J'ai l'honneur d'être, de Votre
Grandeur , Monseigneur , le très-humble et
dévoué serviteur.
A. JAUBERT,
Chanoine honoraire.
Bergerac, le 3 septembre 1880.
Conformément au Rapport qui précède ,
nous donnons notre entière approbation à la
publication de la Vie de sainte Marthe, par
M. Tabbé Sagette, et nous recommandons la
-lecture de ce pieux ouvrage aux fidèles de
notre diocèse.
Périgueux, en la fête de la Nativité de la très-sainte
Vierge, 1880.
t N.-JOSEPH,
Evéque de Périgueux et de Sarlat.
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A SAINTE MARIE-MADELEINE
•ToflFre et je consacre ce livre, où sont
racontées la vie, les vertus et les œuvres de
sainte Marthe, sa sœur aînée, dont les priè-
res l'ont amenée repentante aux pieds de
Jésus. La pénitente de Magdalum , la con-
templative de la sainte Baume, aura pour
agréable, je l'espère, le panégyrique de la
virginité du foyer et du cloître dans la per-
sonne de l'hôtesse de Béthanie, de la thau-
maturge de Tarascon. Souriant aux louan-
ges de sa sœur, elle daignera bénir le
livre, approuver l'intention, et protéger
l'auteur.
J. S.
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PREFACE.
Après vous avoir donné, pieux lecteur, la Vie
de sainte Marie-Madeleine, je vous offre la Vie
de sainte Marthe sa sœur. Si vous voulez com-
prendre Futilité de ce livre, laissez-moi vous dire,
en attendant que vous le touchiez vous-même,
que la vie de sainte Marthe est le complément de
la vie de sainte Madeleine. Il m'a semblé que ce
livre était nécessaire, non-seulement pour nous
faire mieux connaître les faits et les événements
qui se mêlent dans la vie des deux sœurs, unies
dans l*Evangîle, entrelacées dans la légende ,
mais encore pour nous mieux découvrir les
1
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2 Î^RÉFACtî.
pieuses intentions du Sacré-Cœur et les divines
opérations de la grâce sur ces deux femmes privi-
légiées. Il fallait étudier cette âme et raconter
cette sainte, pour admirer, sous toutes ses faces
et dans toute sa lumière, Tidéal complet de la
femme sauvée, purifiée, sanctifiée ; de la femme
chrétienne. La vierge de Béthanie complète la
pénitente de Magdalum; ou, pour mieux dire,
elle nous révèle la femme sous un autre aspect,
sous une autre auréole. d'innocence et de vertu :
la femme préservée, la femme pure ; la vierge con-
sacrée à Jésus, et, par Jésus, dévouée aux souffran-
ces de rhumanité. Si la pénitente nous fait paraî-
tre plus abondante et plus adorable Teffusion de
la miséricorde, la vierge nous fait admirer les
prévenances et les aimables familiarités du divin
amour.
Aussi, pieux lecteur, vous pouvez facilement
comprendre que la vie de sainte Madeleine appe-
lait la vie de sainte Marthe ; elle l'appelait comme
complément, elle la demandait comme contraste,
elle devait l'inspirer comme œuvre commune de
reconnaissance divine et d'amitié fraternelle.
Ces deux femmes, ces deux juives de noble race,
ces deux chrétiennes de l'Evangile, ces deux
sœurs si tendrement aimées ont des physioon-
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PAÉFAGE. 3
mies différentes et des vocations diverses. Elles
ont chacune leur visage, leur attitude, leur
fonction. Toutes les deux , elles ont été prédes-
tinées, discernées, appelées. L'une et l'autre, elles
ont été choisies, aimées, sanctifiées par le Verbe
incarné ; mais encore une fois, avec des diffé-
rences, des oppositions même et des contrastes
qui nous les font mieux connaître l'une par l'au-
tre, qui nous les font mieux admirer l'une à côté
de l'autre, dans la grâce évangélique qui les
décore et dans le culte traditionnel qui les cou-
ronne. Disons encore, pieux lecteur, ce qui nous
touche de plus près, qu'après avoir étudié dans
l'Évangile le mystère de la conversion et de la
sainteté de Madeleine, l'on sent plus vif le désir
de connaître sa sœur et de pénétrer dans l'œuvre
admirable de sanctification de cette amie familière
du Sauveur. Marthe, en effet, avec nous, a plus
d'affinités et de rapports. Marthe est pour nous
plus connue au foyer. Dans la maison nous la
voyons plus souvent ^ dans notre voisinage et
notre parenté nous la rencontrons plus fréquem-
ment sur nos pas. Dans le chemin si battu des
œuvres de miséricorde, nous la trouvons plus
tadlement. Nous l'entrevoyons du moins dans la
paix du sanctuaire et dans la solitude* 'u cloître,
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4 PRÉFACE.
tandis qu'il nous est difficile de suivre dans les
hauteurs, sur les sommets et dans la profondeur
de la contemplation, Tardente pénitente, isolée,
transportée, extasiée. Nous pouvons plus facile-
ment suivre Marthe dans son office, l'admirer et
l'imiter dans l'activité de son zèle et dans les
pratiques généreuses de son amour. Marthe, en
un mot, est plus naturellement notre sœur.
C'est pourquoi n'ai-je point pu me retenir
d'écrire la vie de sainte Marthe, après avoir écrit
celle de sainte Madeleine. Il me semble que la
convertie, la pénitente, l'amante et la contempla-
tive, la solitaire et la transportée dans rameur
divin, demandait pour sa sœur, pour la vierge et
la fille des princes de Syrie, pour la servante et
l'hôtesse de Jésus, pour la sœur, la vraie sœur de
charité, et surtout pour sa douce et maternelle
médiatrice de conversion, une histoire semblable
à la sienne, un livre pour raconter sa vie, une
œuvre pour la louer, la glorifier, la faire connaître
et la faire aimer.
Voici ce livre, pieux lecteur, sollicité par sainte
Madeleine elle-même , et d'ailleurs plus facile à
faire, le premier étant terminé. Ce sont les mêmes
documents, à peu près, qui m'ont servi à composer
les deux livres ; ce sont les^mêmes autorités qui tes
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PRÉFACE^ 5
soutiennent Tun comme l'autre. Après avoir fait le
premier, il m'était aussi facile de faire le second
qu'il m'était difficile de me retenir de le faire, vu
l'attrait du sujet, le besoin de compléter le pre-
mier par le second, de donner à Madeleine cette
suprême louange en racontant sa sœur, de donner
au divin Maître cette complète satisfaction de
l'admirer et de l'aimer dans la vie et dans l'amour,
dans la sainteté personnelle et dans la postérité
glorieuse de la sœur de Madeleine et de Lazare.
Laissez-moi dire aussi que , vivant et travaillant
dans un diocèse qui a l'honneur de posséder une
congrégation florissante et régulière sous le nom
de Sainte-Marthe, et pour continuer ses œuvres,
J'ai voulu donner aux vénérées filles de Sainte-
Marthe cette marque de mon estime personnelle
et.de ma reconnaissance sacerdotale, en leur mon-
trant dans ce livre, leur mère, leur modèle et leur
patronne. En même temps je désirais offrir aux
deux saints évéques protecteurs de la congréga-
tion, l'un, révéque mort(i), qui la forma si vigou-
reusement d'éléments anciens et respectables;
Tautre, Tévêque vivant (2), qui la dirige et la gou-
(1) Mt' George, mort évêque de Périgueux en 1860.
(î) Mi' Dabert, actueUemeat évoque de Périgueuz*
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6 PRÉFACE.
verne d*un cœur si paternel, un humble homi
en associant mon livre à leur œuvre de préd
tîon.
Ce sont les mêmes documents, ai-je dit,
m*ont servi pour composer ces deux histoire
sainte Madeleine et de sainte Marthe, Vous
verez dans la vie de sainte Marthe à peu prèî
mêmes sources historiques, les mêmes aut<
les mêmes monuments et les mêmes tradil
que nous avons cités, discutés, prouvés et
prouvés dans la vie de sainte Madeleine : — '
TEvangile, dont le divin récit parle de Marthe
autant d'abondance et plus de précision qu'i
parle de sa sœur.— C'est la tradition, avec son tr
de souvenirs, de récits et de légendes résu
dans Tœuvre de Raban-Maur, le grand doc
et le grand évêque du lx« siècle.— C'est la litui
dont les textes magnifiques qui couvrent
églises de l'Occident, et notamment les église
France du xn® siècle au xvi« siècle, nous ofl
une moisson de fleurs et de faits historiques ]
abondants encore pour Marthe que pour Mi
leine. —Ce sont les monuments de la Provei
étudiés, expliqués, interprétés par le même
vaut, Tabbé Paillon, avec la même sûreté
critique, la même loyauté de bonne foi, la mi
"1
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PRÉFACE. 7
surabondance de textes et de documents. — Ce
sont les Acta sanctorum et la Légende Dorée :
.Tautorité de ces deux recueils n'est certainement
pas la même , car le saint archevêque de Gênes,
Jacques de Voragine, vivant au xin« siècle, n*a pas
la science et le discernement critique de Bol-
landus et de ses immortels collaborateurs, vivant
aux xvi« et xvii* siècles ; mais ce sont deux monu-
ments vénérables de la tradition. — Enfin, après, à
part si Ton veut, ce sont les visions de Catherine
Emmerich, qui seront pour nous une pieuse
illustration de faits et de détails que Textatique
de DUlmen fait saillir en les couvrant d'une vive
lumière. J'ai dû consulter aussi, sans y trouver
une grande valeur historique, un livre curieux
dont le Père Solier, dans les Acta safictorum,
m'avait donné l'analyse : c'est une vie de sainte
Marthe, deRostangBertet, prieur, chantre et cha-
noine de Sainte-Marthe de Tarascon ; pour lui
donner son vrai titre, c'est f histoire panégyrique
de la vie de sainte Marthe, hôtesse de Jéstis-
Christ. Cette vie , en style héroïque naïvement
emphatique de la première moitié du xvn« siècle ,
cette vie est divisée en quatre parties : Marthe
innocente, Marthe agissante, Marthe cofiqué-
rente, Marthe triomphante. Avec un sonnet
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8 PRÉFACE.
artistement travaillé comme sommaire poétique
avant chaque partie, c'est la traduction, sans
indication de sources et de documents, en grand
style du temps et de la façon de Scudéry, de la
vie de sainte Marthe par Raban-Maur, mais
complétée par la légende provençale (1). Je n'ai
pas cru que ce panégyrique, incomplet et sans
critique, me dispensât d'écrire une autre histoire
de sainte Marthe.
Je ne reviendrai pas, pieux lecteur, à discuter
et prouver la valeur de ces sources et l'autorité
de ces documents. Toutefois, puisque l'occasion
est offerte ici, je dois répondre à quelques criti-
ques qui m'ont été faites pour la vie de sainte
Madeleine, et qui pourraient aussi facilement,
s'adresser à la vie de sainte Marthe, si des expli-
cations n'étaient données et des autorités ancien-
nes ou nouvelles appelées pour justifier les deux
récits.
Un très-savant bénédictin de Ligugé, digne héri-
tier des Bénédictins de Saint-Maur, frère puîné
(1) J*ai pu me procurer un exemplaire de cette vie. Ce pré-
cieux exemplaire , imprimé à Lyon en 1650, appartient à la
bibliothèque du noviciat de Sainte-Marthe de Périgueux ; il
m*a été communiqué Irès-complaisammcnt pac M. l'aumônier
du noviciat
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PaÉFAGE. 9
desDenysde Sainte-Marthe, a bien voulu s'occuper
un moment de la vie de sainte Madeleine. Dans
un premier travail historique , inséré dans la sa-
vante Revue des sciences historiques (juillet et
octobre 1873), où d'ailleurs il soutient en subs-
tance la thèse dont la vie de nos saints de Pro-
vence est une solide démonstration : l'établisse-
ment d'églises hiérarchiquement constituées dès
le premier siècle dans les Gaules, Fauteur con-
testait tout à la fois l'authenticité et la véracité de
la Vie de sainte Madeleine et de sainte Marthe^
par Raban-Maur. Il supprimait d'un mot tout le
travail de l'abbé Paillon sur ce grave document ,
travail considérable, consciencieux et vraiment
bénédictin. Il exécutait le docte sulpicien par ce
jugement sommaire, sans considérants et sans
recours : — « Incontestablement la légende de
sainte Madeleine, publiée par l'abbé Paillon, sous
le nom de Raban-Maur, est un tissu de fables (1). »
Il est vrai, les deux articles de la Revue sont de-
venus un livre intéressant sous ce titre : Les
églises du monde romain, notamment celles des
GauleSy pendant les trois premiers siècles (2) ,
(•) Bévue des Sciefices historiques, octobre 1873, page 434.
«2^ Rw le P. Doui Chamaiil, bénédictin de Ligugé. Palmé,
1877.
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10 PRÉFACE.
et ce passage a été retranché; mais j'ai des
raisons de croire que le savant bénédictin n*a
point changé de sentiment au sujet de Raban
et de son éditeur. Dans les quelques lignes môme
qu'il a bien voulu écrire pour recommander mon
livre, il regarde comme un peu bien légère
lautorité de Paillon.
Sans entrer diins une longue discussion avec
le savant bénédictin, discussion que vous trouve-
riez hors de propos, pieux lecteur, et que vous ne
suivriez pas volontiers , on peut répondre que
Tabbé Paillon n*est pas de ces hommes, de ces
auteurs qu'on exécute d'une phrase et en un tour
de main : il y faut plus de façons, des preuves,
des raisons et des autorités. La vie de sainte
Madeleine et de sainte Marthe est bien de Raban :
c'est l'avis des érudits qui ont étudié la question;
c'est l'avis du savant éditeur de Dom R. Ceillier(l).
Pour compléter la notice des écrits du grand
archevêque de Mayence, du B. Raban-Maur, com-
me l'appellent d'anciens martyrologes monasti-
ques, au rapport de Mabillon et de BoUandus,
(\) Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques*
Nouvelle édition, par M. Tabbé Bauzon , ancien directeur du
grand-séminaire. Vives, 1862.
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PRÉFACE. il
M. Tabbé Bauzon cite la Vie de sainte Madeleine
et de sainte Marthe, publiées par Paillon. Le sa*
Yant sulpîcîen, du reste, n'est pas le prunier qui a
découvert cet ouvrage de Raban. Guillaume Cave
nous a appris dans son histoire des auteurs
ecclésiastiques (1), qu'on possédait à Oxford deux
écrits inédits de Raban, dontTun, conservé dans
la bibliothèque du collège de Sainte-Madeleine,
est une vie de cette sainte, désignée au cata-
logue sous le numéro 166. Le P. Chifflet paraît
avoir connu cette vie, qull a abrégée pour servir
à la composition des actes des saints de Bollan-
dus (2). L'éditeur de Dom Ceillier analyse très-
clairement et très-doctement le grand travail de
Paillon, premier éditeur de Raban. Il résume les
preuves abondantes tirées des écrits incontestés,
du style, des opinions, de la vie et des vertus dé
Rabon, de l'histoire politique, des usages, des
croyances dé son siècle ; des controverses, des
«reurs de son temps, pour prouver que cet ou-
vrage est incontestablement du ix* siècle, et très
certainement un écrit de Raban. Puis il établit
l'autorité de cet ouvrage : les lumières, la sincé-
(l)Oxo«iï, 1743.
(2) Histoire générale des auteurs sacrés, tom. Xll, ch. XLIX.
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12 PRÉFACE.
rite, les vertus et la science du grand docteur,
rédigeant dans la riche bibliothèque de Fulda,
sur des documents des v« et vi« siècles, une vie des
deux saintes amies de Jésus, à la suite d'un long
pèlerinage en Terre-Sainte ; et cette vie concorde
parfaitement avec l'Evangile, avec la tradition de
Provence, avec les monuments de l'art et de la
liturgie. Les erreurs, les anachronismes que Pail-
lon a soin de relever et qui portent sur des faits
dont Raban n'était pas contemporain, s'expliquent
par la difficulté de contrôler les documents et de
surveiller les copistes. Mais bien loin de faire
de cette vie un tissu de fables, ces erreurs en
démontrent la véracité même par la naïve sincé-
rité de son auteur.
C'était l'avis des graves et savants auteurs de
VHisioire littéraire de la France, Ces fameux
bénédictins de Saint-Maur, des bénédictins aussi,
d'illustres ancêtres de mon savant contradic-
teur^ en dressant le catalogue des écrits perdus
ou inédits de Raban, n'ont garde d'oublier cette
Vie de sainte Madeleine et de sainte Marthe, con-
servée au collège de la Madeleine d'Oxford.
« Mais, ajoutent discrètement les doctes histo-
riens, ceux qui ont été le plus à portée d'exami-
ner le manuscrit, ne nous disent point si l'ouvrage
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PRÉFACE. 13
retient les caractères des écrits de Raban (1). »
Cette preuve que les habiles rédacteurs de ïHis-
toire littéraire demandaient, le savant éditeur de
Raban Ta fournie et très-abondamment, et sans
réplique. D'ailleurs, en parlant d'un autre écrit
du B. Raban, comme ils l'appellent sans difficulté,
un Traité sur laptission de N.S., ils font cette
remarque qui se retourne vers la vie de sainte
Madeleine pour la revendiquer comme de Ra-
ban : — « Il y a beaucoup de piété et de religion
dans ce traité, dont le style est pathétique et
assez pur; l'auteur y confond ensemble Marie-
Madeleine, Marie, sœur de Lazare, et la femme
pécheresse de l'Evangile (2). » Dom Ceillier fait
la même remarque, quoique en termes moins
afBrmatifs (3). Il y a entre les deux rédactions
une similitude qui trahit une parenté. Ces deux
ouvrages sont à peu près contemporains (1729-
1732). Le prieur de Flavigny s'est-il inspiré de
Dom Rivet et de ses autres frères de Saint-Maur,
ou ceux-ci de celui-là? Quoiqu'il en soit, c'est le
fond même de la vie de sainte Madeleine et de
(1) Hi'it. littéraire^ etc. V, 192. Édition de Paulin, Paris,
V. Palmé, 1866.
(2) HùL Hiiér, V. 179.
(3) Hist, des écrivains sacrés, etc. XII. ob. XLIV, 463.
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14 PRÉFACE.
sainte Marthe, ce qui nous donne une ai
preuve que Raban est bien Fauteur de cette
et ce qui nous le montre comme un ténaoin t:
véridique et comme un organe très-autorîsé
l'histoire et de la tradition.
Cela suffira, j'espère, pieux lecteur, pour v<
convaincre que ce n'est pas à la légère que j'at
bue à Raban-Maur la vie de sainte Madeleine
de sainte Marthe, et que ce vénérable récit n'
point un tissu de fables. Nous avons fait pc
sainte Madeleine, nous ferons pour sainte Mart]
chemin faisant, le partage des erreurs, des fa
et des dates contestables. Mais il faut bien
garder d'infirmer tout un récit et de frapp
tout un livre de discrédit, pour quelques erreu
admises ou commises de bonne foi. Quel livre i
science sérieuse et d'érudition, même bénédictin
ne serait pas ruiné par cette extrême rigueur ?
Je dois maintenant répondre à une autre crit
que, qui, de sainte Madeleine passerait facilemei
à sainte Marthe, car ces deux sœurs sont racor
tées de la même plume, avec les mêmes procéda
et sur les mêmes documents. Deux graves auteur
qui ont bien voulu parler au public de la Vie di
sainte Madeleine me reprochent de donner tro]
d'autorité et môme trop de place aux visious é
-1 -H
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PRÉFACE. 15
Catherine Emmerich. « L'auteur a eu tort, selon
moi, dit Tun de mes critiques, déplacer sur le
même pied le récit évangélique et les visions de
Catherine Emmerich (1). » u Les lecteurs sérieux,
dit l'autre de mes critiques^ regretteront qu'on Tait
identifié (le document des visions) si intimement
et si largement avec la trame* de l'histoire (2). »
J'avoue humblement être surpris de ce reproche;
d'autant plus que je croyais avoir pris soin, et
dans la préface et dans le cours du récit, de mettre
la vision et bien au-dessous de l'Evangile et bien
à part de l'histoire ; mais le reproche venant à la
fois de deux critiques différents, si graves et si
bienveillants, il faut bien que je croie au moins
un peu l'avoir mérité.
Je répète donc pour vous, pieux lecteur, et
pour tous les lecteurs' attentifs, car j'aime mieux
me répéter que vous étonner et vous scandaliser,
que Je ne place nullement les visions de l'extati-
que de Dlihnen sur le même pied que le récit
évangélique, quoique je les emploie dans la
même histoire et que je les aligne sur les mêmes
(1) VUm'verSf 9 février 1876, art. de Dom Chamard, Bénéd.
de Ligugé.
{^) Bibliographie catholique ^ mars et avril 1816, articlu de
M. le cbaiiuine Janvier.
Digitized by VjOOQiC
16 PRÉFACE.
pages. J'ai eu soin de vous avertir dans la préface
de Sainte Marie-Madeleme, et je vous* avertis
dans la préface de Sainte Marthe, que je n'ac-
corde pas aux visions de Catherine Emmerich
une valeur scientifique, même historique, encore
moins une autorité divine et égale ou même seiu-
blable à celle de TEvangile. Pour moi, pour tous
ceux qui regardent à Texamen sérieux que l'au-
torité diocésaine a fait de ces magnifiques et tou-
chantes révélations, et de la permission qu'elle a
donnée de les lire et de les, méditer pieicsement^
ce sont des faveurs et des condescendances dont
l'âme de l'humble vierge de Diilmen a été l'inter-
médiaire pour consoler et fortifier les âmes en
notre siècle. Ce sont des traits, des rayons, des
détails entrevus dans une sphère surnaturelle, et
dont l'histoire peut profiter pour donner plus de
précision ou verser plus de clarté sur des faits et
des circonstances qui tirent d'ailleurs leur certi-
tude et leur authenticité. J'ai dit ailleurs que la
vision arrête et fixe le récit évangélique, comme
le cadre qui renferme et soutient une toile. Qui
s'avisera de confondre le cadre avec le tableau,
surtout s'il est un chef-d'œuvre divin ? J'ai dit
encore que les scènes montrées par la vision res-
semblent à ces vitraux par où passe la lumière
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PRÉFACE. 17
du Ciel pour animer les figures et les scènes et
les teinter de riches nuances. Qui s'avisera de
prendre Témail translucide pour la lumière qui
le transperce et renrichit?... Du reste, prenons
garde, pieux lecteur, en jugeant les visions des
hauteurs d'un esprit scientifique, de nous exposer
aux graves avertissements de l'apôtre : Spiritum
nolite extinguere, Prophetias nolite spetmere
(Thés. V. 16, 17). N'éteignez pas l'Esprit, ne mé-
prisez pas les prophéties. Prenons garde ici de
faire trop peu de cas de ces admirables visions
de Catherine Emmerich, aussi pleines de théolo-
gie qu'enrichies de poésie, depuis que l'autorité
de l'Ordinaire a permis aux fidèles de les estimer
et de les pratiquer. Combien d'âmes elles ont édi-
fiées I Combien de cœurs fortifiés ! Combien d'actes
de foi, combien d'effusions d'amour et de larmes
n*ont-elles pas fait répandre aux pieds de Jésus et
de sa divine mère I Parmi les hommes qui les ont
aimées et pratiquées, laissez-moi vous citer le P.
W. Faber, le plus grand mystique de notre temps,
un des plus admirables écrivains de TOratoire et
de l'Angleterre, qui les met sur le même pied que
celles de Marie d'Agreda (1).
(1) Cest là ce qu'il y a d'attrayant dans les apparitions que
nous font connaître les révélations de Marie d'Agreda et dans
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18 PRÉFACE.
Mais enfin, comme il faut profiter de toute cri-
tique, il faudra mieux distinguer dans ce volume
que dans l'autre, le commentaire des visions du
texte de l'Evangile, et charger les signes typogra-
phiques d'avertir le lecteur distrait de la foi qu'il
faut donner à l'Evangile, de l'autorité qu'il faut
reconnaître à l'histoire, et du secours que l'on peut
tirer des révélations pour s'élever, contempler et
mieux voir.
Et maintenant, pieux lecteur, assez de discus-
sion, voulez-vous ? Mais permettez-moi quelques
mots encore pour vous marquer l'utilité que je
crois mettre en ce livre et pour faire saillir le trait
caractéristique que je crois trouver en la physio-
nomie de sainte Marthe. L'Evangile, en plusieurs
de ses pages, a parlé de Marthe avec prédilection :
il a marqué son caractère, déterminé son office
et raconté ses œuvres. Elle est avec sa sœur la
femme la plus en vue, la plus dévouée, la plus
aimée; on peut dire le plus bel idéal de la femme
chrétienne. Nous ne parlons pas de Marie, la
mère du Sauveur, dont l'Evangile ne dit que les
le portrait que nous ont tracé les visions de la sœur Emmerich.
Les instincts de la religieuse espagnole étaient encore pins vrais
que cent de Tâme artistique de l'extatique allemande. (Le
Pied de la Croix. W. Faber, tom. I. ch. I, IV.)
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PRÉFACE. 19.
choses nécessaires, crainte, dit saint Thomas (1), de
ne pouvoir égaler la louange à la sublimité de vo-
cation, de vertu et de sainteté delà vierge incom-
parable. Les deux sœurs de Lazare nous apparais-
sent. Tune près de l'autre, dans le même rayon-
nement de la présence de Jésus, dans la même
lumière de son amour; mais combien différentes
et môme opposées I Cette divine lumière qui les
revêt de tant de charme et de sainteté enveloppe
la pénitente et la vierge d'une auréole spéciale,
couronne leur front d'un nimbe particulier dont
la couleur, la nuance et l'éclat sont divers comme
les dons de Dieu. Toutes deux sœurs, toutes deux
aimables, toutes deux amies, comme dit saint
Augustin, mais avec des caractères différents,
avec des dons et des grâces qui les distinguent,
avec des fonctions et des ministères qui les atta-
chent à la personne de Jésus, mais les dénoncent
à la vénération de l'Eglise comme des types
distincts de vocation, de vie et de sainteté. Made-
leine est prosternée aux pieds de Jésus : c'est son
attitude habituelle ; Marthe est debout, active,
raipressée : c est le trait saillant de sa destinée.
(t) s. Thom», hom. in Natinlate, B. M. V.
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20 PRÉFACE.
Madeleine aux pieds de Jésus, les yeux en pleurs,
les cheveux épars, verse ses parfums et son cœur.
Marthe, le visage tourné vers le Maître, fixe ten-
drement ses yeux subies yeux de Jésus, pour y
lire ses volontés et sans doute aussi pour y goûter
ses satisfactions d'hôte et d'ami. Au-dessus de
Madeleine prosternée, on semble entendre la
divine parole qui Tabsout et qui la relève: Quo-
niam dilexit multum. Autour de Marthe, comme
une auréole qui précise son attitude et encadre sa
physionomie, nous entendons le trait caractéris-
tique de l'Evangile: EtMartha ministràhat, L'une
se répand en larmes, l'autre se répand en œuvres ;
l'une s'élève jusqu'à la contemplation des plus
hauts mystères, l'autre s'applique à l'exercice des
plus vaillants ministères ; l'une se cache dans la
solitude et s'enfonce au désert pour y mieux trou-
ver le maître adoré ; l'autre se révèle au monde et
se mêle à toutes ses misères pour y mieux servir
lebien-aimé ; l'une, par la contemplation, prélude
sur la terre à l'union dans la gloire du divin
amour , l'autre mérita par son travail le r^os
dans la possession du souverain bien. On pour-
rait prolonger les deux parallèles de l'antithèse;
saint Augustin l'a fait avec sa grande parole
subtile et magistr^e. I^ développement de la
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PRÉFACE. 21
vie de sainte Marthe fournira l'occasion d'y re-
venir.
Vous le voyez, pieux lecteur, Marthe, vierge
et servante du Seigneur; Marthe, chef de famille
à Béthanie, fille de noble race en Israël; Marthe,
évangél\5te à Marseille, thaumaturge et fondatrice
du premier monastère de vierges à Tarascon ;
Marthe, comme sainte, comme personnage évan-
géBque, intéresse tous les chrétiens. Comme
î^tre de Provence et l'une des évangélistes de
notre France, elle intéresse notre pays qui doit
l'honorer et notre siècle qui devrait se repentir de
ses oublis et de ses ingratitudes. Marthe, comme
vierge et comme religieuse, doit intéresser toutes
les vierges consacrées à Jésus ; Marthe, comme
hôtesse et servante du Seigneur, doit spéciale-
ment intéresser les sœurs de charité qui conti-
nuent son ministère, ayant été prédestinées dans
sa tendre et magnifique vocation. Enfin, vous le
dîrai-je, pieux lecteur? il est une catégorie et
comme un ordre de chrétiennes, le tiers-ordre
domestique du célibat et du dévouement, auquel
pieusement et charitablement j'oifre ce livre et
présente ce modèle. Le monde, ce méchant rail-
leur, les appelle les Vieilles filles ; nous qui les
connaissons mieux, nous les appellerions plus
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22 PHiPACE.
justement les anges du foyer. Marthe, qui se voue
au célibat pour assister et conseiller son frère,
pour ramener et convertir sa sœur ; Marthe, la
femme forte et la vierge dévouée dans la famille,
doit inspirer et fortifier, consoler et glorifier
toutes ces chrétiennes vouées ou condamnées au
célibat pour se consacrer à la charité domestique.
Leur humble et doux ministère, sans éclat, sans
étal officiel et sans poésie, ce ministère qui
s'exerce avec fruit, à condition de se cacher et de
se faire oublier, s'étend des enfants aux vieux
parents, touche délicatement à toutes les souf-
frances de la famille, depuis les soins de la vie
matérielle jusqu'aux soucis plus relevés de la
vie surnaturelle. La virginité de Marthe protège
la vertu de ces modestes chrétiennes, son activité
discrète et son empressement généreux doivent
inspirer et régler leur pieux dévouement.
Voilà, pieux lecteur, la portée et l'utilité que
je voudrais donner à ce livre. Je le dédie à sainte
Marie-Madeleine, espérant qu'elle l'aura pour
agréable et qu'elle voudra bien le faire servir à
l'œuvre paroissiale qu'elle a commencée. Les
deux sœurs, si délicieusement unies et si diverse-
ment appliquées au culte de l'humanité de Jésus,
voudront, sans doute, ici, pour leur maître et
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PRÉFACE. ' 23
leur ami, présent dans le tabernacle d'une pauvre
église, continuer leurs soins généreux et leur ten-
dre dévotion. Je ne m'excuse pas de n'avoir pas
su louer Marthe comme je l'aurais voulu, de
n'avoir pas su, malgré, peut-être, la stérile abon-
dance du récit, communiquer le charme de ce
beau sujet et l'attrait de cette aimable et chaste
figure. Je dois m'excuser cependant, pieux lec-
teur, de vous présenter certaines considérations
que vous trouverez un peu étendues, quoiqu'elles
ne sortent pas du sujet. Vous y lirez , notamment,
sur les trois vœux de religion , des explications
peut-être un peu longues, des dissertations trop
spécialement théologiques. J'ai cru devoir ratta-
cher cette matière de théologie mystique à la vo-
cation de Sainte Marthe, la première vierge con-
sacrée à Jésus et la première religieuse. A pren-
dre, en effet, à rapprocher l'un de l'autre certains
passages de l'Evangile, il me semble impossible
de ne pas voir dans la $œur de Madeleine et de
Lazare, le premier exemplaire et le type à jamais
vénérable et sacré de la vierge chrétienne con-
sacrée dans la vie religieuse. C'est ce qui vous
expliquera ces louanges exaltées des Pères, réunies
comme des fleurs et résonnant comme des canti-
ques autour de sainte Marthe, pour louer deux
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24 PRÉFACE.
fois la virginité. Vous me pardonnerez aussi,
quelques détails d'histoire et d'archéologie sur le
tombeau de sainte Marthe et sur la Tarasque, dé-
tails peut-être un peu trop étendus. Mais ce sont
des sujets si attrayants et de si vénérables tra-
ditions, qu'il est bien permis de s'attacher à
les considérer et à les démontrer. Heureux se-
rais-je de vous communiquer l'intérêt d'art et de
poésie que je goûtais à l'étude de ces reliques du
La poésie s'unit à la piété chrétienne pour
louer Marthe ; elle donne des ailes à la théologie
pour s'élever sur les sommets. La poésie liturgi-
que du moyen-âge l'a célébrée dans des strophes
magnifiques ; la poésie provençale l'a chantée
dans des stances harmonieuses. Le prince des
Félibres de notre France méridionale s'est inspiré
de la grâce évangélique de Marthe et de sa triom-
phante légende :
« Nous, les sœurs et les frères -— qui le suivions
par tout pays — sur un méchant navire, aux fu-
reurs de la mer, — sans voiles et sans rames, —
fumes choisis : les femmes, — nous versions un
torrent de larmes ; — les hommes vers le ciel
portaient leurs regards.
Debout sur le tillac, le Lazare — qui de la
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PRISFACE. 25
tombe et du suaire avait encore gardé la mortelle
pâleur — semble affronter le gouffre qui gronde ;
— avec lui la nef perdue emmène Marthe, sa
sœur, — et Madeleine, couchée en un coin et
pleurant sa doujeur.
Mais toi, où vas-tu, divine vierge, — avec
une croix, avec un aspersoir? — Marthe, d'un air
serein, marchait droit — à la Tarasque.Des barba-
res, — ne pouvant croire qu'elle se défende, -—
pour regarder le combat insigne, — étaient montés
en foule sur les pins du lieu.
Eveillé en sursaut, harcelé sur sa litière^ —
eusses-tu vu bondir le monstre? — Mais dans
Fondée sainte vainement il se tord — en vain il
grogne, siffle et souffle, Marthe, avec une mince
laisse demousse,—renlace, l'amène s'ébrouant...
— Le peuple tout entier courut Tadorer !
— Oui es-tu? la chasseresse Diane ? disaient- ils
& la jeune chrétienne, ou Minerve la chaste et la
forte? — (c Non, non, leur répondit la jeune fille ;
Je ne suis de mon Dieu que la servante. » Et aus-
sitôt elle les instruit. — Et avec elle devant Dieu
ils fléchirent le genou.
De sa parole virginale, — elle frappa la roche
avîgnonnaise, —et la foi tellement à belles ondes
Jaillit, — que les Clément et les Grégoire, — plus
2
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26 PRÉFACE.
tard avec leur coupe sainte, — viendront y pui-
ser. Pour sa gloire, — Rome, là-bas, septante an-
nées trembla (1).
Ainsi, dans un beau poème, la poésie proven-
çale, après dix-huit siècles de croyance et de dé-
votion, glorifie les exilés de Béthanie et décore
d'immortelle jeunesse la servante de Jésus. Ainsi
cette belle figure évangélique, cet exemplaire ad-
mirable de la femme pure et dévouée, de la Vierge
généreuse qui nous« apporta de l'Orient la vertu
de charité avec le suave parfum de virginité,
Marthe peut ravir les poètes comme elle sait ani-
mer les chrétiens. Mais elle aime encore mieux
nous instruire que nous enchanter, et nous guider
aux œuvres que nous enivrer de musique et
d'éloquence. Elle veut nous associer avec elle au
service de Jésus, le Dieu fait homme, la suprême
beauté faite condescendance et faiblesse pour notre
amour. Tâchons donc, pieux lecteur, d'étudier
Marthe et de la méditer pour l'admirer et la prier,
pour l'invoquer et l'imiter. C'est à cela surtout
que notre sainte nous invite, c'est à cela qu'elle
(l)MrëiV), poème provençal, par Pred. Mistral, chant XI.
Au lieu d'une pâle traduction, il faut lire ces strophes éclatan-
tes dans l'idiome provençal, si sonore et si vif.
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PRÉFACE. 27
veut servir : nous conduire à travers la diversité
des créatures et par le ministère désintéressé des
œuvres, à Celui qu'elle voulut aimer uniquement,
qu'elle voulut servir persévéramment. Après elle,
avec elle, nous irons à l'Unique nécessaire dont
la possession cdlnbla le cœur vaillant de Marthe,
comme il charmait le cœur contemplatif de Made-
leine.
La Madeleine de Bci'j^crac, en la fête de sainte Marthe, vierge
et hôtesse du Seigneur, xxix juillet. 1879.
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SAINTE MARTHE
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE.
I
MARTHE ET LA FAMILLE DE BÉTHANIE.
Ave Martha glofiosa,
Cœli juboTy mundi rosa,
Salvatoris hospita.
Orta stirpe regiâ
Hegem regum propriâ
Domo suscepisti, . •
{Prosa ex missal. MassiU, 1530 .
Missal. Arelat. 1530.)
Salut, glorieuse Marthe, éclat
du ciel, rose du monde, hôtesse
du Sauveur.
Issue de race royale, vous avez
reçu le Roi des rois dans votre
propre maison.
Nous pouvons aborder sans obstacle et raconter
sans difficulté la vie et Thistoire de sainte Marthe,
sœur de Madeleine et de Lazare, hôtesse bénie de
Jésus, servante empressée et généreuse de la très-
sainte humanité du fils de Dieu. L'Evangile n'of-
fre point d'obscurités en parlant de Marthe. La
noble vierge de Béthanie n'a qu'un nom, ce nom
2.
I Digitizedby Google
30 SAINTE MARTHE
aimable de Marthe, ce nom qui provoque {t} les
complaisances de la grâce et la reconnaissance de
l'Eglise. Elle n'a qu'une habitation, le Caste Ihim
de Béthanie, à jamais illustré par le séjour et les
préférences de Jésus ; car Jésus aimait Marthe et
Marie sa sœur, et Lazare : Diligebat autem Jésus
Martham et sororemejus Mariam etLazarum (2).
Elle n'a q l'une affection, sa famille, et qu'un
amour, Jésus, dès qu'elle l'a connu, avant même de
l'avoir connu comme fils de Dieu. Enfin, elle n'a
d'autre fonction dans l'Evangile et d'autre minis-
tère dans l'Eglise, cette première des vierges à la
' suite de la Reine des vierges, que de servir humble-
ment, pieusement l'humanité de Jésus. Cette belle
unité dans la vie évangélique et dans l'histoire de
Marthe l'a préservée des contradictions et des dis-
cussions dont la vie et l'histoire de sa sœur Made-
leine ont été pour nous embarrassées. Marthe,
avec sa physionomie arrêtée et son caractère dé-
cisif, est ainsi très-facile à distinguer dans le
groupe des femmes évangéliques, dans ce groupe
admirable que nous appellerons le chœur des
saintes femmes; elle est très-facile à connaî-
tre et très-aimable à suivre. La tradition qui l'a
reçue de l'Evangile, nous l'a transmise, grâce à
Dieu, sans être en proie aux discussions de sa-
vants entêtés, aux objections decritiques revêches;
elle nous l'a transmise de l'orient à Toccident,
(1) Martha provocans,
(2) (Joan, XI, 5).
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SA VIE, SOiîï HISTOIRE ET SON CULTE. 31
de la Judée à la Provence, et de siècle en siècle ,
du temps de Jésus-Christ jusqu'à nos jours, dans
la vérité de son histoire et dans l'éclat de sa lu-
mière. Il est vrai, les demi-savants et les faux
docteurs qui s'attaquèrent à l'identité de sa sœur
et à l'apostolat de son frère, devaient l'atteindre
par là même et la diminuer dans notre culte, en
écourtant l'Evangile, en faussant la tradition et en
saccageant la légende. Mais elle a reçu sa part
de réhabilitation et d'hommages dans les savants
travaux qui viennent de rétablir et de venger les
traditions provençales. Si son histoire fut un mo-
ment obscurcie par les discussions qui se sont
exercées sur la vie de sa sœur et de son frère, au-
jourd'hui que l'identité de Madeleine et l'aposto-
lat des saints de Béthanie sont en pleine lumière
et en incontestable histoire, cette figure de l'hum-
ble vierge de Béthanie reçoit un flot nouveau de
lumière , un surcroît de démonstration et de
clarté.
Cependant, il faut dégager l'histoire de sainte
Marthe du seul apocryphe que nous connaissions.
11 existe une vie de notre sainte, que Marcelle, sa
suivante ou sa servante, aurait écrite en hébreu
(on veut dire en syriaque) et que Syntique, une
autre compagne des saints de Béthanie et des
apôtres deProvence, aurait traduite en latin. Cette
Vie, assez répandue au moyen-âge, est rapportée
dans \q Miroir historiaide Vincent de Beau vais (1),
(1) Vincent. Bellovac. specul. histor., IX, 92.
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32 SAINTE MARTHE
le grand encyclopédiste du xin* siècle, et dans le
Miroir 5anc^ora/de Bernard de La Guonie (1) , This-
torien dominicain de nos sanctuaires de Provence.
Elle eut quelque popularité pendant plusieurs
siècles ; aussi ThypercritiqueLaunoi, suivi du com-
pilateur Tillemont, au xvii*' siècle, se moque-t-il
de cette Vie comme d'une fable et la rejette abso-
lument. Ici encore la critique emportée de ces ra-
vageurs de légendes les aveugle^ même lorsqu'ils
rencontrent la vérité. Evidemment la vie de sainte
Marthe est faussement attribuée à sainte Marcelle ;
évidemment elle contient des fables, comme la
description du monstre dont sainte Marthe délivra
le pays de Tarascon. Mais la vie de sainte Marthe
est vraie, au fond : elle est un extrait de la grande
Vie de sainte Marie-Madeleine et de sainte
Marthe, sa sœur, composée par Raban-Mdur. Un
moine des environs de Tarascon, après les rava-
ges des Sarrasins, ce qui nous reporte au x* ou xi«
siècle, selon l'induction très-plausible de Pail-
lon (2), pour relever le culte de sainte Marthe, aura
pris dans Raban le fond de cette histoire, auquel il
aura ajouté des circonstances grossièrement mer-
veilleuses. Et, pour la rendre plus respectable, il
aura attribué cette vie à la suivante même de la
vierge de Béthanie, ne prenant pas même garde,
le naïf faussaire, qu'il découvrait sa fraude en
(1) Bernard. Guidoni. Specul. sancto,
(2) Monuments inédits de f apostolat de sainte Marie- Mode-
lelne en Provence^ h. II, 130. s
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SA. VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 33
racontant la guérison de Clovîs au tombeau de
sainte Marthe, près de cinq cents ans après que
Marcelle aurait écrit cette histoire.
Ainsi, rien ne reste des difficultés et des objec-
tions accumulées sur l'histoire des saints de
Béthanie et de Provence. Rien ne reste sur la vie
historique de sainte Marthe, non plus que sur sa
douce et rayonnante physionomie. Suivons donc
Raban dans sa vie de sainte Madeleine et de sainte
Marthe, Raban qui résume les monuments histo-
riques et les traditions qui Font précédé, Raban
qui rédigeait son récit sur des documents antiques
et sur une vie des deux sœurs qui remontait au
V* siècle ; suivons Raban éclairé, discuté, com-
plété par son très-savant et très-judicieux com-
mentateur (1). — « Sur le territoire de Jérusalem,
au penchant oriental du mont des Oliviers,
à quinze stades de la Cité sainte, est située Bé-
thanie, bourg ou castellum de Marie-Madeleine,
de Marthe et de Lazare, très-souvent nommé dans
rÉvangile, ennobli par la présence corporelle
du Seigneur Jésus , consacré par les devoirs de
ITiospitalité qull y reçut, célèbre par les festins
auxquels il prit part, illustré par les miracles
qu'il y fit, mémorable par les larmes qu'il y
répandit, glorifié par la procession de son triom-
phe, marqué des derniers vestiges de ses pas,
(1) Rabao,' De VUâ h, Mar, Mar, Magd. et soror ejus
S* Martha, Paillon , mon. inéd. Vie commentée de sainte
Marie-Madeleine et de sainte Marthe sa sœur.
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34 SAINTE MARTHE
remarquable par son ascension. C'est dans ce
municipe que naquit la vénérable hôtesse et très-
dévote servante du fils de Dieu , Notre-Seigneur
Jésus-Christ, la bienheureuse Marthe (1).» Béthaiiie,
à deux kilomètres à peine de Jérusalem , est très-
souvent appelé dans l'Évangile Castellum^ dinai-
nulif de Castrum, qui signifie lieu élevé, fortifié,
château-fort. Mais ici castelhim ne signifie pas
autre chose qu'une habitation de campagne qui
pouvait être élégante et somptueuse (2) et qui tou-
tefois ne formait, avec les dépendances et quelques
autres habitations du même genre, qu'un village,
groupe de villas, ou tout au plus un bourg. C'est
le sens évangélique de ce qui souvent est dit, que
Jésus parcourait les cités et les.bourgs, enseignant
dans les synagogues, semant partout sa parole et
ses miracles (3). Il faut dire toutefois que ce bourg
de Béthanie devait avoir une certaine étendue ; les
voyageurs y découvrent des ruines considérables
et la tradition y marque les habitations séparées
des trois membres de la pieuse famille que nous
vénérons : le château de Lazare, la maison de
(1) Raban, De Vità Beat. Mar, Mngd, et sor,^ I.
(2) Je vis Jésus dans la maison de Lazare , avec celiii-ci et
ses amis de Jérusalem. Il n'enlra pas à Béthanie, mais il se
promena dans les cours et les jardins du château. Anne Calb.
Emmerich. Vie de Notre-Seigneur^ 1, 227.
(3) Et circuibat Jésus omnes civitates et caslella. Matth. IX,
35. Castella erg^o sunt arecs vel minora oppida mûris cincla ; indè
tamen dilatata significatione dénotant vicos et pagos qui mûris
carent. Corn, à Lap. in Matth.. IX, vers finem.
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SA VIE, SON flISTOlïlE ET SON CULTE. 35
Marie-Madeleîne et la maison de Marthe, à des
distances considérables Tun de rautre^ L'Évan-
gile ne dit pas expressément que Marthe , Lazare
et Madeleine fussent les seigneurs de Béthanie,
comme il dit ailleurs que Bethsaïde était la cité
de Pierreetd'André(l),maisil laisse entendre que
Marthe, et Lazare, et Marie avaient là, comme
quelques familles opulentes de Jérusalem, des
maisons de campagne qu ils habitaient une partie
de Tannée.
Marthe était donc originaire de Béthanie ; Bé-
thanie, près de Jérusalem ; Béthanie, la maison
d'humilité, la maison d'exaudition et d'obéis-
sance , bien difiCérente de cette Béthanie d'au-delà
du Jourdain, où Jean baptisait, où Jésus fut bap-
tisé, proclamé fils de Dieu par les révélations du
Ciel et par la solennelle confession de Jean : Voici
Tagneau de Dieu (2). Cette Béthanie du désert et
des bords du Jourdain, c'est la maison du passage
ou du vaisseau (3) ; elle appartenait probablement
à Lazare, ce qui nous expliquerait ce nom de Bé-
thanie répété sur les bords du fleuve sacré. Lazare
y devait avoir quelque maison , car la voyante a
vu le frère de Marthe , déjà Tami de Jésus, l'ac-
coiilï>agner à son baptême et le loger dans une
hôtellerie qui lui appartenait et qu'il avait fait
disposer pour recevoir Jésus avec ses disciples.
(t) Joan, 1, 44. Vide Gora. à Lap. in Joai>, XI.
(2) Joan, I, 28.
(3) Vide. Corna l<ap. iii Joan, l.
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36 SAINTE MAUTHE
— « Après le repas, Jésus prit un peu de repos ;
puis il partit seul avec Lazare , dans la direction
de Jéricho, pour aller au baptême... Après avoir
marché environ une demi-heure, ils arrivèrent à
une hôtellerie qui appartenait à Lazare, et où ses
disciples s'arrêtèrent souvent dans la suite (1). »
Marthe était donc née à Béthanie de Jérusalem.
Nous connaissons ce lieu béni. De tous les lieux
marqués dans TEvangile, il n'en est guère que
nous connaissions mieux, dont les édifices et les
maisons, dont les jardins et les vergers, dont les
lignes de paysage et les accidents de terrain, repo-
sant doucement à l'ombre du mont des Oliviers,
nous soient aussi familiers et aussi chers. C'est
presque une patrie pour nous et qui nous attire
comme une maison paternelle ou comme le toit
hospitalier d'un ami. Nous y reviendrons souvent
au cours de cette histoire, nous y reviendrons à
la suite de Jésus, qui venait souvent s'y reposer,
chercher les consolations de l'amitié, pour ré-
pandre dans des cœurs choisis et des âmes privi-
légiées les grâces particulières d'un amour de
prédilection. Mais revenons à l'origine de Marthe.
— « Sa très-noble mère, du nom d'Eucharie ,
tirait son illustre origine de la race royale qui
gouverna la nation d'Israël. Son pèra Théophile,
Syrien de nation, tirait sa noblesse non-seulement
d'une illustre origine, mais encore de la dignité
remarquable dont il fut revêtu. En effet, tenant le
(1) Vie de N.-S, Jéms-Chnsf, I, 233.
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jgA VIE, »0N HISTOIRE BT SOîT CtJLTE. 37
premier rang parmi les satrapes (ou gouverneurs),
de la province, ee que les enfants du siècle estiment
beaucoup^ il fut le chef illustre et le prince de toute
la Syrie et de toute la contrée maritime ; mais,
dans la suite, ce qui est plus précieux, devenu dis-
ciple du Christ par la prédication du Christ, il aban-
donna les faisceaux dont s'enorgueillit le monde
et-suivit humblement les traces du Christ (1). »
Cette illustre origine de Marthe , de Lazare et de
Madeleine, est admise par tous les historiens de
la sainte famille de Béthanie. Les plus anciennes
vies, les plus graves traditions la rappellent. La
Légende doréeraconie la même origine presque en
même termes (2) ; et, si Fon ne veut entendre dans
le célèbre ouvrage de Jacques de Voragine, arche-
vêque de Gênes, qu'un écho de Thistoire éorite
par le grand archevêque de Mayence , c'est du
moins un écho fidèle et qui n'est contredit par
aucun monument de l'antiquité. Les pères de
l'Eglise les plus illustres, comme saint Jean Chry-
sostome (3), constatent cette tradition. Les plus au-
torisés commentateurs de l'Evangile nous l'affir-
ment (4). Ces graves autorités sont confirmées, ou,
si l'on veut, illustrées par la vision. — - « Le père
de Lazare était le fils d'un roi syrien : il avait servi
(1) Raban, dé Vitâ, eto, V.
(2) Martha, hospita Gbristi, Syro pâtre, Encariâ matre, regali
ex progenie detcendit. Pater ejus Syriae... dux fuit, etc. Le-
genda opos anream, etc. Lyon, 1535.
(3) Lazaras ^aros. S. Chrys. bomil. sup. cogitaverant, etc.
(4) Lazams nobilis et dives. Corn, a Lap. in Joan. XI.
3
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38 SAINTE MARTHE
dans les guerres et acquis de grands biens. Sa
femme était une juive de distinction de la race sa-
cerdotale d'Aaron (alliée à sainte Anne par Ma-
nassé). Ils avaient trois châteaux : à Béthanie, près
d'Hérodium, et à Magdalum, sur la mer de Galilée,
non loin dujac de Tiberiade et de Gabaon (1). »
D'ailleurs, le nom de Marthe, nom Syrien, selon la
remarque du savant Grotius (2), indiquerait encore,
sinon la noblesse, du moins Torigine de la sœur
de Madeleine.
Mais, avantd'aller plus loin, faisons ici cette re-
marque, pour mettre la simplicité de TEvangile
en accord avec ces illustrations de rang et de for-
tune. Ne nous étonnons pas de voir les premiers
amis de Jésus nobles et riches. Le divin fils de
Marie était lui-même de noble race : il descen-
dait de la tribu de Juda, de la famille de David,
du sang d'Abraham. Il a voulu que sa généalogie
royale fût parfaitement établie, afin de justifier
ses prophètes, et pour mettre hors de contestation
ses droits de premier-né de la race humaine, de
roi, de pontife et de médiateur. Issu d'un sang
noble et descendant de rois, il a cependant
voulu naître pauvre, vivre et mourir pauvre. Il a
voulu plutôt choisir la pauvreté que paraître la
subir, afin que son exemple nous révélât mieux
les divins attraits de la pauvreté volontaire, les
grâces fécondes du travail et de l'humilité. Néan-
(1) Vie, etc. I, 201.
(2) Syriacum nomen.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 39
moins, Jésus ne dédaigna pas les nobles et les
riches. Parmi ses disciples et ses apôtres, il y
en avait quelques-uns comme Luc et Matthieu, qui,
pour le suivre, avaient quitté les biens et les hon-
neurs du monde. Ne nous scandalisons pas de
voir le bon Maître prendre ses amis dans une
noble et riche famille. Cette heureuse famille
de Béthanie, si nous en croyons les visions d'Anne
Catherine , était alliée à la famille de Jésus.
D'ailleurs, l'amitié veut des égaux de rang, de
goûts et de sentiments, et Jésus, fils et descen-
dant de race royale, prend ses amis parmi les en-
fants des Satrapes de Syrie. Mais le fils de David
n'a pas même une pierre oîi reposer sa tête, et
son Evangile ne parle point de la noblesse de sa
race et de l'opulence de condition de ses amis ;
à peine s^il y fait une allusion discrète en rappor-
tant les computations hypocrites de Judas sur le
riche parfum répandu par Madeleine. Enfin, le
Dieu des pauvres, des humbles et des petits, ne
dédaigne pas d'être l'ami des nobles, des princes
et des riches, pourvu que, comme Jésus, ils ai-
ment les pauvres, ils recherchent les humbles, ils
servent les petits.
« Or, la bienheureuse Marthe avait une sœur
utérine, d'une admirable beauté, du nom de
Marie, et un frère d'un beau naturel et d'une flo-
rifisante jeunesse, du nom de Lazare. Tous les trois
avaient de l'esprit, une excellente éducation, et,
dès leurs plus jeunes années, avaient acquis une
pleine connaissance des lettres hébraïques. La
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40 SAINTE MARTHE
bonne grâce comblait ces dons de la nature et
ces avanUges de l'éducation. En chacun d'eux,
en effet, on trouvait une admirable beauté de
corps , une très- aimable grâce de manières ,
une très-agréable élégance d'élocution; en sorte
qu'ils semblaient se disputer Tun Tautre la palme
de la beauté, des manières, de la grâce et de
rhonnéteté (1). » Ce tableau charmant peut être
plus légendaire qu'historique : nous n'avons pas
besoin de le justifier dans tous ses traits. Made-
leine, on le sait , par sa vie de désordre et de
notoriété scandaleuse, possédant la beauté, l'es-
prit, la grâce et tous les dons éclatants de la
nature, répond très-bien au portrait que trace
Raban de l'élégante pécheresse de Magdalum.
Dès-lors, on peut croire que sa sœur avait comme
elle la distinction de la figure et de l'esprit,
la beauté, le charme féminin qui, moins fasci-
nateur et moins dangereux en elle qu'en sa plus
jeune sœur , se conserva plus longtemps par la
virginité, dans sa fleur et son parfum. De même
pour Lazare, l'heureux frère des deux sœurs si
bien douées. Le récit de Raban s'accorde avec la
Vision : « Lazare paraissait plus âgé que Jésus : il
me semblait au moins avoir huit ans de plus. Il
avait un grand état de maison, avec beaucoup de
serviteurs, de propriétés et de jardins. Marthe
avait sa maison à elle, et une autre sœurnonamée
(I) Raban, de Vitâ, etc.,I.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 41
Marie, qui vivait tout-à-fait retirée, avait aussi sa
demeure h part ; Madeleine habitait dans le châ-
teau de Magdalum. Lazare connaissait depuis
longtemps déjà la sainte famille ; il avait précé-
demment aidé Joseph et Marie dans leurs nom-
breuses aumônes. Je vis aussi plus clairement que
je ne l'avais fait encore, combien Lazare a fait
pour la communauté chrétienne depuis le com-
mencement jusqu'à la fin.. C'était lui qui remplis-
sait la bourse que portait Judas et qui avait fait les
premiers frais de tq§t{i). — Lazare fut traité avec
tous les égards dus à un homme de distinction : il
a des manières très-distinguées ; il est sérieux, et
son attitude est à la fois réservée et bienveillante ;
il est très-calme, parle très-peu, et regarde Jésus
avec beaucoup de ferveur (2). » Nous avons ainsi les
traits, le visage, la physionomie de chacun de ces
êtres privilégiés qui composent la famille de Bé-
thanie. Madeleine, la plus jeune, est la plus écla-
tante en beauté, la plus en vue, hélas I et la plus
exposée par les complaisantes tendresses de son
frère plus âçé et de sa sœur aînée qui lui tient lieu
de mère. Marthe et Lazare se ressemblent davan-
tage et de figure et d'esprit : par la beauté calme et
douce de leur visage, par la distinction de toute
leur personne, la grande et noble générosité de
leur caractère. Les qualités exquises, et comme
(1) Vie de N-5. /.-C, I, li8.
(2) Id., 42!.
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42 SAINTE MARTHE
les vertus innées de leur belle nature, les dispo-
saient à recevoir les premiers rayonnements du
Verbe fait chair dans la personne de Jésus, leur
ami.
Marthe, pour nous attacher plus spécialement à
elle, était donc fille de Théophile et d'Eucharie :
Lazare et Madeleine étaient nés d'un autre père
et de la même Eucharie. Elle était Taînée de la
famille de Béthanie. Raban le dit expressément,
Pierre de Blois l'affirme en un de ces sermons (i).
L'Evangile, en effet, nous lafaontre comme gou-
vernant la famille de Béthanie et comme l'héritière
des grands biens de son père. Lazare et Madeleine,
avons-nous dit, étaient issus d'un autre père.
Quelques commentateurs, comme Théophylacte,
pensent que leur père était Simon le Lépreux. Les
autres, comme Théophane, que c^était Simon le
pharisien ; et ces deux Simon pourraient être le
même personnage désigné dans l'Evangile (2).
Cette différence d'origine et cette primogéniture de
Marthe nous expliquent son rôle et son attitude
dans l'Evangile, en même temps qu'elles nous
font comprendre sa vocation auprès du divin Sau-
veur (3).
Nous reprenons le récit de Raban. — « Et
comme ainsi que nous l'avons dit, ils étaient no-
(1) Martha, tanquam prior nata, Christum in domnm suam
excepit.
(2) Vide Corn, a Lap. in Luc. VII.
(3) Joan. I, 28, X, 40,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 43
bles de race et d'une illustre parenté, ils possé-
daient par droit héréditaire un riche patrimoine,
une abondance de terres, d'argent et de servi-
teurs ; à savoir une partie de la ville de Jérusa-
lem (1) et trois domaines : Béthanie en Judée, à
deux milles environ de Jérusalem, Magdalum dans
la Galilée sur la gauche de la mer de Génézareth,
située dans une vallée à deux milles de Tibé-
riade,et Béthanie au-delà du Jourdain, également
dans la Galilée où Jean donnait le baptême. Au
milieu de tous ces biens, ils vivaient ensemble
dans les délices. Cependant le frère et la plus
jeune sœur voulurent que Marthe, comme l'aînée
de la famille, eût l'administration de ces biens
et de tous ces domaines. Celle-ci n'abusa point
avec hauteur de ces avantages, mais portant en une
poitrine de femme un cœur viril (2), elle eu usa
généreusement. En effet, n'étant pas engagée dans
le mariage, elle garda la fleur de la continence :
pour les siens, aimable et douce ; pour les pauvres,
affable et compatissante ; pour tous enfin miséri-
cordieuse et libérale. En un mot, tous la respec-
taient et la vénéraient comme une femme de noble
race et de grandes richesses, unissant à l'éclat de
(1) Civitatis Jerosoh/mœ pa>tem maximam, dit Raban. C'est
évidemment une exagf^iation^ peut-être de copiste. La légende
dorée dit simplement : — Hierosolymitanœ urbis partent S.
Vincent Ferrier rapporte de la même façon le passage de Ra-
ban. Ce qu'il faut entendre, dit Faillon, de quelques rues ou
même de quelque» maisons.
(2) llMachab., VII, 23.
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44 SAINTE MARTHE
la beauté, la gloire de la modestie ; hospitalière et
généreuse et gracieuse pour tous. Telle était
Marthe (1). »
Telle était Marthe, en effet. Nous avons dans ce
portrait qui met des couleurs aux lignes dont
TEvangile indique la noble physionomie de Mar-
the, nous avons la vraie femme forte de Béthanie,
la digne sœur de Lazare, la seconde mère de Ma-
deleine, avec son excessive indulgence et son in-
fatigable tendresse. Nous avons Marthe dans toute
la force de rage, dans tout Téclat de la beauté,
toute la richesse de sa nature et toute l'opulence
de sa fortune. Nous ne pouvons, comme pour
Madeleine , restituer ses jeunes années : nous
n'avons pas le même secours. Il n'a point plu au
divin Sauveur de révéler au monde, même dans la
région privilégiée du mysticisme et de la vision,
Tenfance et l'adolescence préservées de cette
créature bénie. Nous sommes réduits aux conjec-
tures. Marthe fut élevée sans doute, comme les
jeunesfiUes juives de noble race et de riche fa-
mille, dans les bâtiments dépendants du temple
et destinés à cet usage. Elle fut élevée comme
Marie, fille de Joachim et d'Anne, qui devait être
la mère de Jésus et dont elle avait presque l'âge,
dans ce cloître de pieuses' femmes qui veillaient
(!) Raban, de Vitâ, etc. H, omnilins erat revepcnda el vene-
randa femina, eo quod génère erat nobilis, et facultatibus co-
piosa, pulchritudine cclebris, et pudicitiâ gloriosa, bospitalis et
dapsilis, et omnibus gratiosa ; bsBC Martba.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 45
et priaient à la porte du tabernacle (1). Vierges
ou veuves, elles étaient chargées d'entretenir la
prière publique comme un gémissement de co-
lombe, un soupir incessant pour appeler d'en haut
la rosée céleste et le Juste sur la terre. On leur
confiait en même temps l'éducation des jeunes
filles d'Israël, comme il est indiqué dans plusieurs
passages des livres saints (2). C'est là sans doute
qu'elle fut élevée : c'est là qu'elle grandit, qu'elle
fleurit, selon l'expression des saints livres. Nous
pouvons entendre de ses lèvres bénissantes d'en-
fant, de ses lèvres virginales d^adolescente, le can-
tique de la Vierge de l'ancien Testament qui pré-
lude aux cantiques des vierges du nouveau:— C'est
ainsi qu'en Sion je me suis affermie, et dans la
cité sainte je me suis reposée, et dans Jérusalem
j'ai possédé mon Dieu, et j'ai pris racine dans le
peuple honoré des vierges d'Israël; et dans la
part de mon Dieu, j'ai choisi mon héritage, et
dans la plénitude des saints^ à l'ombre du Saint
des saints, a été ma demeure. Et comme le cèdre
du Liban, je me suis élevée dans la lumière des
divins commandements ; et comme le cyprès sur
la montagne de Sion, comme le palmier de Ga-
(1) Qoae exeubabantin oslio labernaouli (Exod., XXXVIII, 8.)
(2) I. Reg., II, 22, II. Macchab. III, 19, 20. Et virgines qu»
eoiicltisœ erant praocurrtbanl ad ostium, alic aatem ad muros,
qoedam veroper fenestras aspiciebant : iiiiivci>sae aulem pro*
leodeDtes manus coBlum deprecabantur... pendant que l'impie
Uéliodore profanait le temple.
8.
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46 SAINTE MARTHE
dès, mon âme s'est élevée ; et comme le rosier
planté à Jéricho, comme un bel olivier dans les
champs et comme un platane planté près des
eaux dans les places d'une cité ; et comme le cin-
namone et le baume aromatique, mon cœur a
donné ses parfums de vertu ; et comme la myrrhe
choisie , mon âme et ma chair ont donné
l'odorante suavité de la pureté virginale (1). —
C'est ainsi, dans ces lieux, de la bouche des
prêtres qui gardaient la science sacrée, c'est
ainsi que la Vierge de Béthanie fut instruite
dans la loi du Seigneur. C'est là qu'elle lut et mé-
dita les prophète? qui la préparèrent si bien à re-
connaître, à aimer et servir en Jésus le Messie
promis, en Marie la vierge sa mère. C'est là
qu'elle se préparait dans le silence et le recueille-
ment, dans la prière et la méditation, à l'accom-
plissement de ses devoirs dans la fanaille, à ce
ministère actif et touchant qu'elle dut exercer au-
tour de son frère et de sa sœur, et dans lequel se
mêlent, avec l'autorité de l'aînée de la famille, la
tendresse prévoyante de la sœur, Içi pudique ré-
serve de la vierge. C'est là surtout qu'elle se pré-
parait à cette vocation évangélique, sa gloire et
son bonheur, qui devait consister à servir Jésus
et les apôtres, et comme la Noémî des anciens
temps, à servir de nourrice à l'Eglise naissante (2), -
(1) EccL, XXIV, 15, 20.
(2) Ruth., IV, 16.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 47
Cette vocation la prédestinait à commencer, à
fonda* dans le monde le fécond ministère de la
vierge chrétienne, qui préserve le foyer, sanctifie
la famille, soulage et guérit, bénit et transfigure
toutes les misères de Thumanité (i).
Si nous voulions connaître par le détail la vie
de Marthe dans le temple, nous devrions étudier
dans les pieux auteurs et les révélations authenti-
ques, la vie de Marie, la Reine des Vierges et Tai-
mable exemplaire des filles d'Israël.. Elle résume
en effet, en les portant au comble de la plus haute
perfection, les occupations et les vertus de ces
chastes générations de colombes priantes et mé-
ditatives qui se cachaient dans le trou de la
piare, et qui se succédaient près du Saint des
saints, pour appeler, figurer et commencer le culte
eucharistique auprès du tabernacle de Jésus (2).
G*est S. Bonaventure qui la fait ainsi parler au
chapitre troisième de ses méditations de la vie
de J.-C. « Lorsque mon père et ma mère m'eu-
rent laissée dans le temple, je résolus dans mon
cœur d'avoir Dieu pour père; et, dévotement, fré
qu^nment, je pensais à ce que je pourrais faire
(i) In hoc autem hierosolymilano templo fuisse virgiaes Deo
ooDsecralas singularique rcHgione praestantes asseverantD. Aai-
brosius, lib. V. de virginit. et D. Cyrillus; lib. adv. Antioph.
XXXVII et Origines ia Math., Il — et pater doctor Canisius
lib. I — de Vipg. 12, et pater Sua ez in III part, quaest. XXIX.
Art. ï — 2, etc. Petp. Morales in I. Math. lib. I. T. act, 10.
(2)JjiUii. II. 10, 14. Isaï. xxxYiu. 14.
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48 SAINTE MARTHE
d'agréable à Dieu, afin qu'il daignât m'accorder
sa grâce... Je me levais toujours au milieu de
la nuit et je m'avançais vers l'autel du temple, et
avec un très-rgrand désir je demandais au Dieu
tout-puissant l'humilité , la patience , la béni-
gnité, la mansuétude et toutes les vertus par
lesquelles je devais être agréable à ses yeux. Je
lui demandais aussi qu'il me fît voir le temps
dans lequel naîtrait cette bienheureuse Vierge
qui devait enfanter le fils de Dieu ; et qu'il me
conservât les yeux afin que je pusse la voir , la
langue pour que je pusse la louer, les mains afin
que je pusse la servir, les pieds afin que je pusse
aller à son service, le cœur afin que je pusse l'ai-
mer.)>Puis le docteur séraphique, après S. Jérôme(>),
distribue ainsi le temps que Marie, que Marthe vé-
curent dans le temple. — La bienheureuse Vierge,
quand elle demeurait dans le temple, menait une
vie très-ordonnée et s'était imposé cette règle :
I^{mis le matin jusqu'à la troisième heure, elle
était appliquée à la prière ; de la troisième heure
à la neuvième, elle se livrait au travail des malus ;
mais à la neuvième heure, elle reprenait son orai-
son et ne la quittait que lorsque apparaissait
l'ange de la main duquel elle avait l'habitude de
recevoir sa nourriture. Et ainsi elle avançait de
plus en plus dans l'amour de Dieu. Et ainsi on la
trouvait dans les veilles la première, dans la con-
(1) Ëpist ad Heliod.
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SA VIE, SOU HISTOIRE ET SON CULTE. 49
naissance de la loi de Dieu la plus instruite, dans
lliumilité la plus abaissée, dans les chants de
David, montrant le plus de goût, dans la charité
la plus glorieuse, dans la pureté la plus imma-
culée, dans toute vertu la plus parfaite. Elle était
en effet constante, immuable, et conune chaque
jour rélevait en vertu, jamais personne ne la vit
ni ne l'entendit émue de colère. Tous ses dis-
cours étaient si pleins de grâce, que Dieu parais-
sait sur ses lèvres ; elle demeurait sans cesse
dans Toraison et dans la méditation de la loi de
Dieu ; elle était pleine de sollicitude pour ses
compagnes, afin qu'aucune d'elles ne péchât
en paroles, aucune n'élevât la voix en riant,
aucune ne dît des injures ou* ne montrât de l'or-
gueil envers ses compagnes. Sans cesse elle bénis-
sait Dieu, et si quelqu'un la saluait, elle, pour
salutation lui répondait : Deo grattas (grâces
soient rendues à Dieu.)— La très-sainte-Vierge, dit
saint Jean de Damas, plantée dans la maison de
Dieu et engraissée dans l'Esprit comme un olivier
chargé de fruits, devint le sanctuaire de toute
vertu, séparant son esprit de toute vie mondaine
et de toute concupiscence charnelle, et gardant
ainsi son âme vierge avec son corps immaculé,
comme il convenait à celle qui devait recevoir
Dieu dans son sein (1).— Marie, c^it saint Anselme,
Marie qui devait être la mère de Dieu, comme Mar-
(l)a Damai, de Ode orthod.^lib. IV, cap. 15.
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50 SAINT£ MARTHE
the qui le devait recevoir dans sa maison , apprit
les lettres hébraïques dans le temple. Elle était
douce, aimant à s'instruire, et persévérant dans la
doctrine sacrée. Ses mains travaillaient la laine, le
lin et la soie. C'est pourquoi il y avait un lieu
distinct dans la maison du Seigneur, c'est-à-dire
dans le temple, à la gauche de l'autel où se
tenaient les vierges seules; et, le divin office achevé,
elles se retiraient chacune à son office particulier.
Pour Marie, elle persistait auprès de Tautel, res-
tait dans le temple, servant les prêtres. Ses habi-
tudes étaient de parler peu, d'obéir promptement,
sans arrogance, sans rire, sans trouble, sans
colère, saluant avec bénignité. Les hommes ad-
miraient îson éloquence. — Enfin, Epiphane de
Constantinople, que Morales appelle l'exact inves-
tigateur de la vie de Marie, Vitâs Marias sedulus
indagator, dit que Marie (entendez Marthe aussi
dans la mesure de ses dons et de sa destinée)
avait appris les lettres hébraïques du vivant de
son père ; qu'elle eut un esprit facile et appliqué
pour s'instruire. Non-seulement elle étudiait les
saintes lettres, mais encore elle travaillait la
laine, la soie et le fin lin. En outre, par sa sa-
gesse et son intelligence au-dessus de toutes les
adolescentes de son temps, elle excitait l'adnii-
ration de tous. Elle avait coutume de tisser les
vêtements dont se servaient les prêtres dans le
temple. Marie était aussi en toutes choses hon-
nête, grave, ne disant que peu de paroles, et
quand cela était nécessaire, écoutant volontiers,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 51
toujours affable, à tous exprimant son hommage
et sa vénération. Pour les vêtements qu'elle por-
tait, elle se contenta de leur couleur naturelle. Et
pour tout dire, en un mot, en toutes choses elle
était remplie de la divine grâce (1).— Voilà, si l'on
veut, réducation de Marthe dans le temple. Marthe,
la fille des princes et des satrapes de Syrie ; Mar-
the, riche et noble vierge de Juda devait être
ainsi élevée, formée, préparée pour la connais-
sance et l'amitié de Jésus, pour recevoir, honorer
et servir l'humanité du Verbe fait chair habitant
parmi nous et conversant avec ses amis de
Béthanie.
(1) vide Morales in Matih., etc.
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II
MARTHE BT SON FRERE LAZARE PREMIERS DISCIPLES
DE Jésus.
Erat fulgens facie
Et fons sapientiœ^
Rivus anuciltœ -
Imperatrix veniœ»,,
Prosa in missal. Turon.
i^il. Missale Paru, 1654.
Nobilis es ex génère
Nobilior mrtutibus,
0 sancte prœsul Lazare,
Ora pro nobis omnibus»
Missale sive sacrant.
Ecoles. Aniciensis.
Elle avait au visage l'éclat de
la beauté ; elle était une soarce
de sagesse , un frais ruisseau
d'amitié, une impératrice d'in-
dulgence et de bonté.
Vous êtes noble d'origine, plus
noble par les vertus; ô saint pré-
lat Lazare, priez pour nous tous.
Marthe et Lazare, le frère et la sœur, ne se sé-
parent guère dans l^vangile ; nous ne devons pas
les séparer dans notre récit. La sainte Famille, lu
Famille de Nazareth avait des relations de parenté,
de visites et d*amitié avec la pieuse famille de
Béthanie. C'est ce que nous établirons l^ientôt,
grftce à quelques traits de la vision, qui se trou-
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54 SAINTE MARTHE
vent confirmés par TEvangile. Ici nous devons re-
venir sur rétat de maison de Marthe et de Lazare,
et sur l'influence d'aînée, sur Tactivité de direction
et de gouvernement de famille, que Marthe exerça
pour son frère et pour sa sœur. La femme juive
n'était pas comme la femme païenne, la femme
romaine entr'autres, incapable de gouverner une
maison, de gérer les biens et d'exercer une per-
sonnalité civile. La femme juive, quoiqu'elle fût
sous l'autorité du chef de la famille, n'était pas
171 manu, toujours mineure et dépendante. Elle
pouvait, comme veuve, comme héritière, comme
possédant un patrimoine inaliénable, puisque la
loi de Moïse réglait les successions et maintenait
les familles, elle pouvait régir, gouverner ses
biens comme sa famille. Quoiqu'elle ne fût pas
comptée dans les généalogies, c'était moins pour
la déprécier et l'assujétir, que pour conserver in-
contestée la vraie et directe descendance du
Messie.
Marthe gouverna donc, en qualité d'aînée, la
maison et la famille. Elle gouverna les biens de
son frère et de sa sœur, pendant leur minorité,
remplissant l'office de mère pour les deux orphe-
lins : multipliant dans son cœur l'affection et la
tendresse, qui, dans un cœur de vierge et de sœur
aînée, atteignent si facilement la hauteur et la
profondeur de dévouement d'un cœur de mère.
Marthe fut la femme forte décrite par Salomon
dans le livre des Proverbes, — Ce beau portrait de
la fille d'Israël, c'est un chant, un gracieux petit
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 55
poëme (1). Lamuel entonne pour sa mère cet éloge
prophétique; Salomon le chante pour Bethsabée,
après avoir hannonieusement répété par distiques
les conseils delà sagesse maternelle. Marthe réa-
lise^dmirablement cet éloge de la femme forte :
elle fut pour les filles dlsraël un parfait exem-
plaire de cette noble sagesse. Elle est pour les
filles du Christ un vivant modèle des grâces et des
vertus , du dévouement actif et désintéressé qu'el-
les doivent consacrer aux œuvres de miséricorde.
— La femme forte, qui la trouvera sur la terre ?
la fenune énergique dans Taction, magnanime
dans la souffrance, discrète et sage dans le gou-
vernement, douce pour consoler, industrieuse
dans les affaires, pleine de soins à tout prévoir (2)?
Elle est d'un prix rare, au-dessus des perles
précieuses que Ton va chercher aux derniers
confins de la terre. Le cœur (non de son époux,
Marthe est vierge et demeure vierge, pour se
donner à son frère et à sa sœur, plus tard
pour se donner au Christ), mais le cœur de
son frère se repose en elle ; par elle, il jouit de
l'abondance dans la maison, et il n'a pas besoin
des dépouilles de l'ennemi. Elle lui prodigue le
bien et ne lui rend pas le mal pendant tous les
jours de sa vie ; le bien : la tranquilité de l'âme,
(!) Porro oleganti» cansâ versus bic sunt alphabetici... S.
Hieron. censet bsc omnia ad finem capitis iambioo tetrametro
e«€ coDsoripta. Corn, a Lap. in prov. XXX L
(2) Corn, a Up. ibid.
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56 SAINTE MARTHE
la joie du cœur, la longévité, Tordre et la conser-
vation de toutes les affaires domestiques. Elle a
recherché la laine et le lin qu'elle a travaillés par
rindustrie de ses mains, et elle est devenue, par
sa sagesse et son activité, comme ces navires de
marchands qui vont au loin chercher le froment
pour nourrir les peuples. Et, dès avant Taurore,
elle s'est levée et a distribué à ses domestiques et
à ses servantes, la nourriture qu'elle a préparée,
comme une proie que la lionne divise à ses petits,
et leur tâche de travail pour la journée. Du fruit
de ses labeurs, elle a acheté un champ qu'elle a
mûrement examiné ; elle a planté une vigne
afin de produire le froment et le vin pour la
nourriture et la .joie de sa famille. Elle a ceint ses
reins de force et de chasteté, et elle a rendu son
bras robuste en l'exerçant au travail. Elle a goûté
et savouré le fruit de ses labeurs, et pendant la
nuit sa lampe ne s'éteindra pas. Elle a mis la
main aux choses utiles, où doit s'exercer la vraie
force de la femme (1), et ses doigts ont saisi le
fuseau. Elle a ouvert sa main au pauvre, et le
fruit de ses mains, elle l'a recueilli, non-seule-
ment pour nourrir sa famille, mais pour le répan-
dre dans le sein dû pauvre (2). Quelle femme,
pouvons-nous dire de Marthe en son opulente
(i ) Indostria recte faciendi quœ est vera fortitudo, significat
ergo quod virago hœc manus extoDderit ad opéra sibi congroa,
deoora, utilia, industria et consequenter forlia. Corn. aLap.,id.
(2) S. Aug.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 57
maison, comme saint Grégoire de Nazianze le
dit de sa sœur la bienheureuse Gôrgonie, quelle
femme étendit vers le pauvre une main plus libé-
rale? En vérité, je n'hésite pas à lui appliquer ces
paroles de Job : sa porte était ouverte à tous les
voyageurs, et elle ne laissait pas l'étranger au
dehors ; elle était Tœil des aveugles, le pied des
boiteux, la mère des orphelins. De sa bienfai-
sance et de sa bonté pour les veuves, que peut-
on dire de plus significatif, sinon qu'elle en retira
cet avantage qu'elle eut avec le titre de vierge les
charges, les honneurs et les consolations de la
famille ? Sa maison était, pour ses proches dans
l'indigence, toujours ouverte et hospitalière. Ses
richesses n'étaient pas moins communes à tous les
pauvres que les biens de chacun. Elle a dépensé,
donné ces biens aux pauvres, et, selon la certi-
tude et l'incontestable vérité de la divine promesse,
elle les a transportés et multipliés dans les gre-
niers célestes ; et souvent, pour la récompenser
des mérites de sa charité, elle a reçu le Christ lui-
même qui venait recevoir ses aumônes pour l'en-
richir de ses biens (i).
Elle ne craindra pas les froids de l'hiver pour
les gens de sa maison, car tous ses domestiques
ont un double vêtement ; pour elle, elle a fait des
vêtements et des tentures habilement brodées de
figures et de ^Imleurs variées. Le fin lin et la
pourpre sont ses vêtements où reluisent la can-
(i) 8. Qrtg. Naz. ont XI, de B. Gorgoniâ.
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58 SAINTE MARTHE
deurdela chasteté et le feu de sa charité (1).
Son noble frère, vêtu par ses soins de gloire et
d'honneur, pouvait s'asseoir aux portes de la ville
avec les princes de son pays. — Ainsi Cécile enno-
blit son époux Valérien en faisant de lui un chré-
tien et un martyr, en le revêtant du fin lin du bap-
tême et de la pourpre de son sang. Ainsi Glotilde
ennoblit son époux en faisant de lui le premier roi
chrétien de la France chrétienne. Ainsi Pulchérîe
ennoblit son frère Théodore en faisant de lui un
prince pieux et dès-lors puissant et victorieux. —
Les tissus légers qu'elle a tissés avec soin, les cein-
tures qu'elle a brodées avec art, elle les a vendus
aux Ghananéens. Elle est revêtue de force et de
gravité, de grâce et de modestie, car, selon la
parole du grave TertuUien, ce n'est pas assez
pour la pudicité et la modestie chrétienne d'être,
mais il faut qu'elle paraisse ce qu'elle est. Telle
doit être en effet sa plénitude, qu'elle doit émaner
du cœur au vêtement, de la conscience à l'exté-
rieur, afin qu'au dehors on voie pour ainsi dire
ses ornements (2). Elle passera ses dernières an-
nées dans la joie et elle exhalera son âme en
riant. — Ainsi nous le raconterons dans la suite,
comme les Actes des martyrs le racontent de sainte
(1) GorD. a Lap. Com. ibid.
(2) Pudiciti89 atque honestati cbristianae «atis noa est esse,
verum et videri ; tanta enim débet esse plenitado ejus, at
emanet ab animo in babitum, et eructet a conscientiâ in super-
ficiem, ut et foris inspiciat quasi snppellectilem suam.-— Tertul.,
de babitu fœmi.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 59
Marie TÉgyptienne et de sainte Sabine, comme saint
Grégoire le raconte de sainte Tarsille, sa tante, et
de la B. Romula, dont les derniersmoments furent
"illuminés de visions et enchantés de cantiques ;
comme il est raconté de sainte Marie d'Oigniesqui
mourut en chantant alléluia, — Elle a ouvert ses
lèvres à la sagesse^ et sa langue est gouvernée par la
clémence ; comme cette sainte Mechtilde qui, lors-
qu'elle gardait le silence, semblait muette, et lors-
qu'elle parlait, le faisait avec tant de grâce que
Ton semblait converser avec un ange. Elle a con-
sidéré, surveillé les voies, les portes et les issues
de sa maison, les actions et les pratiques de ses
domestiques, et elle n'a point mangé le pain de
la paresse. Son frère et sa sœur, élevés par ses
mains, se sont levés pour la proclamer bienheu-
reuse et se lèvent dans l'assemblée des saints
pour la louer. Un grand nombre de filles d'Israël
ont assemblé des richesses, des biens, des hon-
neurs et des vertus, par leur modestie, leur sa-
gesse et leur chasteté ; mais vous, ô Marthe, vous
les avez toutes dépassées. Trompeuse est la grâce,
vaine est la beauté, dons de Dieu que la femme
détourne si facilement pour la vanité, déforme
si souvent pour le péché. La beauté qui est, comme
la définit saint Basile, cette parfaite harmonie
dans la composition des membres revêtus de la
grâce conmie d'une fleur (1), cette grâce et cette
(I) Palchritudo est bona illa concinnitas in compositione
membrorum, floris instar superinductam sibi gratiam babens.
S. Basil. Apad Aut. in Melissâ I.
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ÔO SAINTE MAÏlTflE
beauté qui passent et trompent si facilemeii
Marthe ne les estimait pas plus que la femn
forte ; elle devait les faire mépriser à sa sœi
Madeleine, trop longtemps abusée par elles
D'ailleurs, ce n'est pas dans la forme du corpi
c'est dans les mœurs et la modestie que réside ]
beauté (1). De Marthe la sage, la modeste et ]
vaillante, nous pouvons dire ce que saint Gré
goire de Nazianze disait de sa sœur, et ce qi
peut s'adresser si vivement aux fenunes du siè
cle : elle ne se servit point de l'or travaillé ave
art pour relever son exquise beauté, ni des flot
de tresses blondissantes, tantôt éclatant aux rc
gards, tantôt se laissant entrevoir sous de léger
tissus, ni des nœuds savants et des imposture
de cheveux qui semblent préparer, pour le déshoi
neur d'une scène de théâtre, une tête précieus<
qui devrait être voilée de modestie. Elle ne s<
servit point des magnificences d'une robe au:
plis traînants, au tissu transparent, ni des splen
deurs des pierres précieuses qui font rayonne
autour d'elles la grâce de leurs couleurs et l'écla
de leur lumière. Elle ne se servit pas des artifi
ces et des prestiges de la peinture qui composen
une beauté postiche de peu de durée ; ni de ce:
couleurs insidieuses qui prétendent corriger h
nature et qui couvrent de déshonneur la créatun
de Dieu, la marquent d'un sceau d'infamie, fai
(1) Non in corporis forma, sed in moribos et modestie pu]*
cbritudo sita est. S. Chrys.
^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 61
sant de la divine beauté du visage humain une
idole dont les regards de courtisane provoquent
au péché, dérobant sous une forme adultère
limage naturelle de Dieu qui doit être conservée
pour la vie future. Elle connaissait, il est vrai,
par sa condition et son rang, les ornements si va-
riés et si nombreux que les femmes emploient à
lextérieur, mais elle n*en connaissait aucun qui
remportât sur les bonnes mœurs et sur la splen-
deur intérieure de la vertu. La seule rougeur qui
lui plaisait était celle que donne la pudeur, la
seule blancheur, celle que donne Tabstinence ;
elle laissait les fards et les teintures, les tableaux
vivants (1) et les grâces traînantes d'une beauté
efféminée, aux femmes de théâtre et de carrefour,
pour lesquelles c'est une honte de savoir rou-
gir (2).
Mais la femme qui craint le Seigneur sera louée
pour la vraie et solide beauté de son âme qui
consiste dans la crainte de Dieu et dans la vertu.
Donnez-lui de jouir du fruit de ses vaillantes
mains, et que ses œuvres la louent aux portes
delà cité^TaccueiUent et l'introduisent dans l'éter-
nelle Jérusalem, car ses œuvres la suivent et la
(1) Vivas tabulas.
(2) S. Greg. Naz. oral. XIX. Malgré certains traita qui pa-
russent modernes et tout actuels, ce tableau est tout entier du
grand orateur et fidèlement t^^aduit : mais nos décadences, nos
mœurs et nos modes ne ressemblent-elles pas à celles de ce
monde flétri par S. Grégoire de Nazianze?
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62 SAINTE MARTHE
précèdent pour la louer et la couronner (1). Telle
fut Marthe, en sa personne réunissant toutes les
vertus et toutes les grâces des filles d'Israël :
ainsi disposée à recevoir, parmi les premières
de sa race, le premier rayon de la divine lumière
incarnée dans le monde ; ainsi préparée pour re-
cevoir les prémices de TÈvangile, réservées à son
cœur généreux par l'incomparable amitié de
Jésus. Telle était Marthe, nous pouvons le croire.
Tous ces traits que nous trouvons épars dans les
livres de la Sagesse et dans les commentaires des
docteurs, nous les reconnaissons sur le visage,
dans la physionomie et la personne de MarUie.
Mais plutôt, nous pouvons le croire, Jésus qui se
prépare ses amis comme il s*est préparé sa mère,
par des prévenances adorables de grâce et de
mystérieux essais, Jésus avait d'avance inspiré ses
prophètes et ses sages pour indiquer parmi ses
aïeules la figure de Marthe, afin de préparer le
berceau, préserver la famille, ennoblir le visage
et le cœur, sanctifier toutes les opérations de celle
qui devait être son hôtesse, son amie, la douce et
puissante coopératrice des tendresses de son
sacré cœur.
Marthe, Lazare, Madeleine, toute la famille de
Béthanie, furent des premiers parmi les disciples
de Jésus. « J'ai vu^ dit la voyante de Diilmen, j'ai
vu Jésus visiter Lazare à Béthanie. Lazare parais-
sait beaucoup plus âgé que Jésus : il me semblait
(I) Prov. XXXI. 10, 31. Vide Corn, a Lap. Com. in prov.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 63
au moins avoir huit ans de plus. Il avait un grand
état de maison avec beaucoup de serviteurs, de
propriétés et de jardins. Marthe avait sa maison
à elle et une autre sœur nommée Marie, qui vivait
tout h fait retirée, avait aussi sa demeure à part.
Madeleine habitait dans le château de Magdalum.
Lazare connaissait depuis longtemps la sainte
Famille ; il avait précédemment aidé Joseph et
Marie dans leurs nombreuses aumônes. Je vis
aussi, plus clairement que je ne Tavais fait encore,
combien Lazare a fait pour la communauté chré-
tienne, depuisle commencement jusqu'àlafin(f).))
Ici la vision concorde parfaitement avec l'évangile,
du moins avec les jours, nous n'osons dire les la-
cunes, que l'évangile nous laisse entrevoir dans
le tissu divin de son récit. Jésus avait des disci-
ples avant son baptême, avant les premières dé-
marches de sa vie publique. Nous comprenons,
en effet, qu'avant de se révéler au monde, Jésus
devait vivre en famille de la vie commune, pour
sanctifier tous les foyers chrétiens, pour purifier
toutes les affections domestiques, mais aussi pour
démontrer la vérité de son humanité par tous les
progrès et développements de son corps, par
toutes les affections et tous les devoirs de la vie,
par tous les témoignages intimes de la conscience
et du cœur. Nous comprenons qu'il devait agir
(!) Vie de N -S. J.-C. d'après les visions de Culh. Emi».
Tradiict. de l'abbé do Cazalès, 1, i48.
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64 SAINTE MABTHE
avant de parler, pratiquer Tévangile avant de le
prêcher, vivre en homme avant d'agir comme
Homme-Dieu (1). Toutefois, nous ne compren-
drions pas que l'aimable Jésus eût tellement com-
primé l'adorable parfum de vie et de beauté, le
parfum de sa divinité dans le vase immaculé de
sa chair, que nulle âme, outre les âmes privilé-
giées de Marie et de Joseph, n'en eût été touchée,
nul autre cœur attiré et charmé. Dès l'âge de
douze ans, nous voyons Jésus comme s'échapper
des bras de sa mère et de la surveillance de
Joseph, pour s'appliquer un moment et tout en-
tier aux affaires de son frère (2). Nous l'avons vu,
nous l'avons admiré dans le temple, étonnant les
docteurs de la loi, autour d'eux le cercle d'audi-
teurs bienveillants, ravis de la sagesse, des répon-
ses et de l'inexplicable beauté du jeune Nazaréen.
Il éveillait sans doute dans leurs âmes les pre-
miers indices de l'incarnation et comme ces pre-
miers frissons qui précèdent le lever de l'aurore.
Dès-lors, nous pouvons croire que Jésus, par in-
tervalles, et comme impatient d'éclairer, de sau-
ver et de bénir, s'attachait quelques âmes. Peut-
être parmi ses compagnons de jeux il se donnait
quelques disciples précoces. Dans cet ordre d'idées
él de pieuses inquisitions, nous aimons, ne serait-
ce que comme une gracieuse légende, ce récit de
(l)Act.,.I,l.
(2)-iuc, H, 49.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. * 65
la voyante se rapportant à la douzième année de
Jésus :
« Quand Jésus fut de retour à Nazareth (après
son séjour de trois jours dans le temple), je vis
préparer dans la maison d'Anne une fête où Ton
réunit tous les jeunes garçons et les jeunes filles
appartenant aux familles de leurs parents et de
leurs amis. Je ne sais pas si c'était une fête pour
86 réjouir d'avoir retrouvé Jésus ; peut-être aussi
était-ce une fête qui avait lieu après le retour de
la fête de Pâques, ou bien encore qu'on célébrait
quand les garçons atteignaient leur douzième an-
nées. Mais Jésus était là comme le principal per-
sonnage. On avait élevé au-dessus de la table de
jolies cabanes de feuillage, des guirlandes de
feuilles de vigne et d'épis y étaient suspendues :
les enfants avaient aussi des raisins et des petits
pains. Il y avait à cette fête trente-trois enfants,
tous disciples futurs de Jésus, et je vis qu'il y
avait là quelque chose qui se rapportait au nom-
bre des années de la vie de Jésus, mais je l'ai
oublié conmie beaucoup d'autres choses. Jésus
enseigna, et pendant toute la fête, il raconta aux
autres enfants une parabole merveilleuse et qui
ne fut pas comprise par la plus grande partie,
touchant des noces où l'eau devait être changée
en vin et les convives indifTérents en amis zélés ;
puis encore, touchant des noces où le vin devait
^îre changé en sang et le pain en chair, ce qui
devait se perpétuer parmi les convives jusqu'à la
fin du monde, pour les consoler et les fortifier, et
4.
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66 SAINTE MAB'f&E
pour établir entre eux un lien vivant. Il dit aussi
à un jeune homme de ses parents, nomméNaUia-
naël : « Je serai à tes noces. » C'est tout ce que
j'ai retenu à dater de cette douzième année. Jésus
toujours fut comme le précepteur de ses com-
pagnons ; il s'asseyait souvent au milieu d'eux,
leur faisait des récits et se promenait avec eux
dans les environs. Dans sa dix -huitième année, il
conmieiiça à aider Joseph dans les travaux de sa
profession (1). »
Qui nous dira que les enfants de la famille de
Béthanie n'étaient pas de cette fête d'enfants, et
que Marthe et Lazare ne participaient pas, même
dès cette époque, aux événements domestiques
de la sainte famille ? Il est vrai, Béthanie en Judée
était assez éloigné de Nazareth en Galilée, mais
la famille de Marthe et de Lazare avait des biens,
des habitations même en Galilée et sur les bords
du lac. Dès-lors, les enfants eux-mêmes pouvaient
se visiter, et Jésus enfant, Jésus adolescent, exer-
cer sur les âmes qui lui devaient être si dévouées,
les premières attractions de la grâce et de l'amour
divin. Quoiqu'il en soit, Jésus avait des disciples
avant sa vie publique : nous mettons ici la re-
marque très-sensée de l'éminent poète-rédacteur,
sous la dictée de Catherine Emmerich, de la vie
de N.-S. Jésus-Christ : « Jean-Baptiste commença
(l) Vie de N.-3. Jésus, I, 13©-140.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. ^ 67
à baptiser et à prêcher sur les bords du Jourdain,
à peu près au moment même où Jésus encore in-
connu et regardé seulement comme un saint doc-
teur et un prophète, à cause de la charité inexpri-
mable, de la majesté et de la mansuétude qui se
manifestaient dans sa personne, parcourait la
Judée, la Pérée et la Galilée, allant même jusqu'à
Sidon et àSarepta. Dans ces courses, le Sauveur
suivait les traces des anciens prophètes, visitant
tous les lieux où il s'était passé quelque chose de
figuratif et se rapportant à lui, afin de donner l'ac-
complissement à toutes les promesses, àtoutes les
préparations, à toutes les figures. En même temps
il pratiquait les œuvres de charité les plus péni-
bles et les plus humbles, qu'il ne devait plus
opérer de la même manière dans les années de
prédication qui devaient suivre, parce que son
temps devait être autrement employé. Mais sur-
tout il adressait à Jean tous ceux qui l'écoutaient,
les exhortant à aller au Jourdain et à recevoir le
baptême des mains de Jean. Dans cette période,
le Sauveur ne parle nulle part de lui-même, il ne
révèle nulle part qu'il est le Messie annoncé par
Jean ; il parle uniquement de Jean, de la péni-
tence qu'il prêche et de son baptême. A cela cor-
respond aussi le caractère du petit nombre de
guérisons miraculeuses dont parlent les visions
de cette période. Elles font partie de ces prodiges
que Maldonat, et après lui Cornélius a Lapide,
rangent parmi ceux que Jésus a opérés plus se-
crètemont et sans avoir directement en vue de se
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68 SAINTE MARTHE
manifester comme le Messie attendu (1). Quant
aux miracles opérés dans ce dernier but, le Sau-
veur leur a donné commencement à Gana, ainsi
que cela çst expliqué en son lieu, d'après les vi-
sions, de la manière la plus profonde. Mais à vou-
loir affirmer que le miracle de Gana fut la pre-
mière de toutes les opérations miraculeuses de
Jésus, on serait aussi peu croyable, ditMaldonat,
qu'en prétendant que la première instruction de
Jésus, après son baptême, fut aussi la première
qu'il eût jamais faite (2), »
Voilà Jésus dès ses premières années en rela-
tions privées, mais divinement humaines, avec
quelques âmes de choix. Marthe fut de ces âmes,
nous n'en pouvons douter ; Marthe, avec son frère
Lazare. Il y eut entre les deux familles de Naza-
reth et de Béthanie, entre la sainte famille cachée
en Galilée et la noble famille honorée en Judée,
il y eut des relations d'amitié, probablement de
parenté, qui remontaient à des années avant ces
relations authentiques et publiques rapportées
par l'Evangile. Nous voyons Jésus après avoir
reçu le baptême de Jean, après être resté quarante
jours au désert, nous le voyons invité aux noces
(1) NU vetat, ait Maldonatus, si eum privata subinde fecisse
concedamus, ac pei' miracalum subiade inopise parentam suc-
currisse fateamur : unde ils animata fuisse videtur mater ut gi-
mile hio a Christo miraculum fieri peteret, et constanter Idip-
sum ab eo expectaret. Corn, a Lap. in Joan., II, 1i.
(2) Vie de N.-S. J.-C., 1-1.46-147.
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SA VIE , SON HISTOIRE ET SON CULTE. 69
de Gana avec ses disciples (1). D'où lui venaient
ces disciples, puisqu'il n'avait pas encore prêché
publiquement, puisque le grand miracle qu'il
opéra pendant ces noces, voile symbolique et
signe mystérieux de son incarnation, de ses noces
divines avec sa fiancée la nature humaine, fut son
premier miracle public (2) ? Ces disciples lui ve-
naient sans doute de ces relations de famille et
d'amitié, de ces appels intimes du Sacré-Cœur
aux cœurs purs et dévoués qui le devaient ainsi
suivre et servir jusqu'à sa mort, qui le devaient
croire, adorer et confesser jusqu'au martyre. Les
interprètes de rÉvangile ont soin de nous désigner
ces disciples que Jésus amenait avec lui. Vraisem-
blablement, disent-ils, c'étaient Nathanaël et
Philippe, Pierre et André qui lui étalent venus
de l'école de Jean, ou qu'il avait appelés après
son baptême (3). Mais nous pouvons croire qu'il
amenait avec lui plusieurs de ces disciples qui
furent les compagnons heureux de son enfance,
les amis de son adolescence, parmi lesquels nous
pouvons compter Marthe et Lazare de Béthanie.
La vision confirme ici nos inductions. Mais pour
mieux la comprendre, nous avons besoin de* sui-
vre, par ordre chronologique, chacun des pre-
miers pas de la vie publique de Jésus.
La quinzième année du règne de Tibère César,
(1) JoaD. II, 1
(2) Ibid., II.
^3) Vide Corn, a Lap. in Joan., II.
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70 SAINTE MARTHE
Jean-Baptiste commença à prêcher la pénitence
dans le désert, sur les bords du Jourdain, dans la
Judée, près d'OEnon et de Salîtn (1). Il baptisait les
pénitents et préparait la voie au Messie. La même
année, ayant accompli la trentième année de son
âge, étant au treizième jour de la trente et unième,
Jésus vint à Jean pour se faire baptiser comme
un pécheur portant humblement le poids des
péchés du monde. C'était le sixième jour de
janvier, le même jour où trente ans auparavant
il avait été adoré par les mages (2). C'est alors,
pendant qu'il recevait le baptême de Jean, qu'il
fut déclaré fils de Dieu, non de Joseph, comme
on le croyait jusque-là, ut putabatur filius
Joseph (3). L'Esprit-Saint se fit voir sur lui en
forme de colombe, et la voix du Père retentît
comme un tonnerre par les deux entr'ouverts,
disant : Celui-ci est mon flls bien-aimé, en qui
j'ai mis mes complaisances. C'est de là que l'Église
célèbre le même jour la double Epiphanie de
Jésus-Christ à trente ans de distance : enfant né
de treize jours dans la pauvre étable de Bethléem,
homme fait de trente ans dans les eaux du Jour-
dain.
Aussitôt après son baptême, Jésus se retira
dans le désert pour se préparer à la prédication
de l'Evangile. Ainsi se retiraient les prophètes.
(!) Math. III. - Vide Corn, a Lap. in Math. Ibid.
(2) Luc, III, 21 ( Math. II, 13; Marc, I, 9.
(3) Luc, III, 23.
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SA VIE, SON HiSTOrRE ET SON CULTE. 71
Ainsi pendant quarante jour Ëlie marcha dans le
désert pour monter à Horeb. Ainsi Jean s'était
préparé par toute une vie de solitude et de péni-
tence. Jésus passa quarante jours dans le jeûne
et la prière, puis il eut faim. Il voulut bien res-
sentir tous les besoins honnêtes de notre chair ;
et il fut tenté par le diable, dont il repoussa les
attaques sans se faire connaître au père du men-
songe : puis les anges de Dieu vinrent pour le
servir (1). Jésus avait commencé son jeûne le
7 janvier, il l'acheva le 15 février. Après cela, le
Sauveur vint conime se reposer de sa lutte avec
Satan et de sa victoire, en Galilée, où il resta
quinze jours à Nazareth. Lie 1*' mars (car Tannée
était bissextile), les juifs envoyèrent à Jean des
députés pour lui demander s'il était le Messie.
Il le nia. Il dit toute la vérité ; et, le lendemain,
voyant Jésus qui venait à lui, il le montra du
doigt, disant : Voici l'Agneau de Dieu, voici celui
qui ôte, qui porte les péchés du monde. Le len-
demain il rendit le même témoignage et redit les
mêmes paroles devant deux de ses disciples qui
allaient visiter Jésus, puis s'attachèrent à lui, et
dont l'un d'eux, André, lui amena Simon, son
frère. Le jour suivant, le 4 mars, Jésus revint en
Galilée où il appela à lui Philippe qui lui amena
Nathanaël ou Barthélémy. C'est le lendejpain de
ce jour, le 5, que Jésus, appelé aux noces de son
cousin Simon (fils de Cléophas), changea l'eau en
(!) Malb., IV, 1 ; Luc, IV, 1; Mvc., l 12.
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72 SAINTE MARTHE
vin, et par cet éclatant miracle, le premier de sa
vie publique, se manifesta au monde qu'il allait
évangéliser. C'est pourquoi l'Église, solennîsant
en une même fête les trois manifestations de
Jésus, célèbre aussi le miracle de Gana au jour
de l'Epiphanie (1). Il est vrai, saint Epiphane, en
son livre des hérésies, pense que Jésus fut bap-
tisé par Jean, le huit novembre, et qu'il opéra le
miracle de Cana soixante jours après, le six jan-
vier, ou trentième anniversaire de l'adoration des
mages. Mais nous nous en tenons au sentiment le
plus commun des Pères, qui concorde le mieux
avec la tradition et le cycle liturgique de l'Église.
Voici maintenant comment la vision raconte
les relations^ de Jésus avec Lazare et sa sœur.
Jésus se rendait de Nazareth en Judée, au-delà
du désert de Jéricho, sur les bords du Jourdain,
où Jean baptisait ; il allait recevoir le baptême de
son précurseur, et il passait par Béthanie : « Jésus
arriva à Béthanie dans la nuit. Lazare avait été
quelques jours auparavant dans sa propriété de
Jérusalem, située sur le penchant du Calvaire,
près du côté occidental de la montagne de Sion ;
mais il était de retour à Béthanie, car il avait su
par des disciples que Jésus devait arriver. Le châ-
teau de Béthanie était la propriété personnelle de
Marthe ; mais Lazare y résidait volontiers, et ils
ftiisaient ménage ensemble. Ils attendaient Jésus,
et un repas était préparé. Marthe habitait un b&-
(1) Vide Corn, a Lap. Ghronotaxis Gest. Christ, in Joul II.
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SA VIE, SON HISTOIBE ET SON CULTE. 73
tîment situé sur Tun des côtés de la cour. Il y
avait des hôtes dans la maison. Chez Marthe se
trouvaient Séraphia (Véronique), Marie, mère de
Marc, et une femme âgée, de Jérusalem. Chez La-
zare se trouvaient Nicodème, Jean Marc, un des
fils de Siméon, et un vieillard nommé Obed, frère
ou neveu de la prophétesse Anne. Tous étaient
secrètement amis de Jésus qu'ils connaissaient
soit par Jean-Baptiste, soit par des relations de
famille, soit, par les prophéties de Siméon ou
d'Anne, dans le temple.
» Lazare avait envoyé des serviteurs sur la route
au-devant de Jésus. Il fut joint à une demi-heure
environ de Béthanie par un vieux et fidèle do-
mestique, devenu plus tard disciple, qui se pros-
terna à ses pieds et lui dit : « — Je suis le servi-
teur de Lazare : si je trouve* grâce devant vous,
mon Seigneur, suivez-moi jusque chez lui. » Jésus
lui dit de se relever et le suivit. Il se montra très-
amical pour cet homme, sans toutefois rien faire
qui ne fût conforme à sa dignité ; cela même
avait un charme irrésistible : on aimait Thomme
et on sentait le Dieu. — Le serviteiu* le conduisit
dans un vestibule à l'entrée du château, près
d'une fontaine. Tout était préparé pour le rece-
voir : on lui lava les pieds et on lui mit d'autres
sandales. Quand il se fut lavé les pieds, Lazare
vint avec ses amis, lui apportant à boire et quel-
ques aliments. Jésus embrassa Lazare et salua
les autres en leur donnant la main^i Tous le suî-
viren^vec empressement et l'accompagnèrent, a
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74 SAINTE MARTHE
la maison. Mais Lazare le mena d'abord à Thabi-
tatîon de Marthe. Les femmes qui étaient là se
prosternèrent couvertes de leurs voiles. Jésus les
releva et dit â Marthe que sa mère viendrait ici
pour Ty attendre à son retour du baptême. Ils se
rendirent ensuite à la maison de Lazare, où ils
prirent Un repas. Il y avait un agneau rôti et des
colombes; en outre, du miel, des petits pains,
des fruits et des légumes verts. Ils étaient placés
à table sur des bancs à dpssier, toujours deux par
deux ; les femmes mangeaient dans une salle an-
térieure. Jésus pria avant le repas et bénît tous
les mets. Il était très-sérieux et même triste. Il
leur dit pendant le repas que des temps difficiles
approchaient, qu'il allait entrer dans une voie
laborieuse dont le terme serait douloureux. Il les
exhorta à la persévérance, puisqu'ils étaient ses
amis ; cat ils devaient avoir beaucoup de souf-
frances à partager avec lui. Il parla d'une façon
si touchante qu'ils en furent émus, jusqu'aux
larmes ; mais ils ne le comprirent pas parfaite-
ment. Ils ne savaient pas qu'il était Dieu.
» Après le repas, ils se rendirent dans un ora-
toire, et Jésus fit une prière où il rendit grâce de
ce que son temps était venu et de ce que sa mis-
sion commençait. Cette prière fut très-touchante,
et tous versèrent des larmes. Les femmes étaient
présentes, mais se tenaient en arrière. Ils firent
encore ensemble des prières d'une application
générale. Jéstts les bénit, et Lazare le conduisit
au lieu où il devait prendre son repos.. |rfe vis
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 75
Jésus dans la maison de Lazare avec celui-ci et
ses amis de Jérusalem. Il n'entra pas à Béthanie,
mais il se promena dans.les cours et les jardins
du cMteau. Il parlait et enseignait tout en mar-
chant d'une façon très-grave et très-touchante.
Quelque affectueux qu'il fût, il restait toujours
plein de dignité et ne proférait pas une parole
inutile. Tous l'aimaient et le suivaient, et cepen-
dant toiis se sentaient intimidés. C'était Lazare
qui en usait le plus familièrement avec lui : les
autres étaient plus dominés par l'admiration et
B6 tenaient davantage sur la réserve.
» Jésus, accompagné de Lazare, alla visiter les
fenmies, et Marthe le conduisit à sa sœur Marie,
la silencieuse... Marthe paria aussi à Jésus de
Madeleine et du grand chagrin qu'elle lui causait.
Jésus la consola et lui dit qu'elle reviendrait cer-
tainement ; que seulement ils ne devaient pas sç
lasser de prier pour elle et de l'encourager.
)> Vers une heure et demie , la sainte Vierge
arriva avec Jeanne Ghusa, Lia, Marie Salomé et
Marie de Cléophas. L'homme qut allait en avant
annonça leur arrivée. Alors Marthe, Séraphia,
Marie, mère de Marc, et Suzanne allèrent, avec
tout ce qui était nécessaire, les recevoir dans la
salle située à l'entrée du château où Jésus avait
été reçu la veille par Lazare. Elles se souhaitèrent
la bienvenue et on lava les pieds des arrivantes.
Lès saintes femmes mirent aussi d'autres habits
et 4'autres voiles. Elles étaient toutes vêtues de
li^ sans teinture, blanche, jaunAtre ou brune.
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76 SAINTE MARTHE
Elles prirent une petite réfection et se rendirent
à rhabitation de Marthe. Jésus et les hommes vin-
rent les saluer. Jésus alla à l'écart avec la sainte
Vierge et s'entretint avec elle. Il lui dit d'un ton
très-affectueux et très-grave que sa carrière pu-
blique allait commencer, qu'il se rendait au bap-
tême de Jean, d'où il reviendrait la visiter ; qu'il
passerait encore quelque temps avec elle daiffe la
contrée de Samarie, mais qu'ensuite il ir%iit dans
le désert et y resterait quarante jours. ^ Lorsque
Marie l'entendit parler du désert, elle fut très-
attristée et le pria instamment de ne pas aller
dans cet affreux séjour pour y mourir d'inanition.
Jésus lui dit que, dorénavant, elle ne devait pas
essayer de l'arrêter par des inquiétudes tout hu-
maines ; qu'il ferait ce qu'il avait à faire ; qu'il
entrait dans une voie laborieuse ; que ceux qui
étaient avec lui devaient partager ses souffrances ;
que, pour lui, il allait maintenant où sa mission
l'appelait et qu'elle devait faire le sacrifice de to^w
ses sentiments personnels ; qu'il l'aimerait com-
me auparavant, mais qu'il appartenait main-
tenant à tous les hommes ; qu'elle devait faire
ce qu'il lui dirait , et que son père céleste la ré-
compenserait ; car il fallait maintenant que la "
prédiction que Siméon lui avait faite reçût son
accomplissement et qu'un glaive traversât son
âme. La Sainte-Vierge était très-sérieuse et très-
attristée, mais ellQ était en même temps pleine de
force et de résignation à la volonté de Dieu,- car
son fils était très-saint et très-affectueux. ^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 77
» Le soir il y eut encore un grand repas dans la
maison de Lazare : Simon le pharisien et quelques
autres pharisiens avaient été invités. Les femmes
mangèrent dans une pièce attenante, séparées
seulement par un grillage, en sorte qu'elles pou-
vaient entendre l'enseignement de Jésus. Jésus
parla de la foi, de l'espérance, de la charité et de
l'obéissance. Ceux qui voulaient le suivre, disait-
il, ne devaient pas regarder derrière eux, mais
faire ce qu'il enseignait et supporter les souf-
frances qui viendraient les assaillir : quant à lui,
U ne les abandonnerait pas. Il parla de nouveau
de la voie pénible dans laquelle il entrait ; dit
comment il serait maltraité et persécuté, et com-
bien tous ses amis souffriraient avec lui. Tous
l'écoutèrent avec surprise et émotion, mais ils ne
comprirent pas ce qu'il disait des grandes souf-
frances à endurer : leur foi manquait de simpli-
cité ; ils s'imaginaient que c'était une façon de
frler prophétique qu'il ne fallait pas prendre à
lettre.
» ^rès le repas, Jésus prit un peu de repos,
puis il partit seul avec Lazare dans la direction de
Jéricho pour aller au baptême (1). »
Nous aimons cette scène, quoiqu'elle ne repose
]f0îui sur l'autorité de l'Évangile et quoiqu'on
puisse en contester la rigoureuse authenticité ;
nous aimons cette scène, qui n'a rien que de vrai-
M^Vie de N.-S. J.-G. I, 221-
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«r
78 SAINTE MARTHE
semblable, de pieux et de touchant. C'est à Bétha-
nie, en effet, que Jésus devait préparer sa mère à
la séparation ; c'est dans la maison de ses amis,
dans la maison ^'obéissance et û'exatidition qu'il
devait lui faire ses graves et tendres adieux : c'est
à Marthe, ce doux et vaillant cœur, qu'il devait
confier sa mère pour la consoler par ses témoi-
gnages de la plus tendre vénération. Nous pou-
vons donc le croire et nous pouvons le dire, Mar-
the et Lazare furent les premiers disciples de
Jésus. Préparés par l'amitié, par des relations de
famille à des rapports plus augustes et plus intt
mes, ils n'étaient pas encore des croyante, des
fidèles ; ils étaient des admirateurs, des amis.
Jésus, avant de se révéler par ses œuvres de mi-
racle, avant de démontrer sa divinité par des si-
gnes authentiques et des affirmations solennelles^
Jésus attirait à lui par le charme doux et pur de
sa personne, expliquant les Ecritures et faisant
converger vers lui les rayons prophétiques ^
l'ancien Testament. Du reste, il n'affirmait ^core
rien de sa mission divine. Avant de recevoir du
cœur et des lèvres de Marthe la confession de se a
adorable qualité de Christ , fils du Dieu vivant (1),
il veut fortifier son cœur pour le rendre capable de
porter ce grand mystère, il veut purifier ses lèvroB
pour les rendre dignes de proférer cette magnifi-
que louange. « Aussi le frère et la sœur, comme
(0 Joan. XI, 27.
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SA VIE» SON HISTOIKE ET SON CULTE. 79
les amis de Lazare, ne cessaient de parler entre
eux de l'admiration que leur inspirait toute la
personne de Jésus, sa sag:esse, les qualités qui le
distinguaient comme homme et même son exté-
rieur. Quand il n'était pas là, ou qu'ils marchaient
derrière lui, ils se disaient les uns aux autres :
Quel homjne 1 on n'en a jamais vu,, on n'en
verra jamais de semblable. Quelle gravité, quelle
douceur, quelle sagesse, quelle pénétration,
quelle simplicité 1 Je ne comprends pas entière-
ment ce qu'il dit et je ne puis pourtant m'empê-
cher de le croire parce qu'il le dit; on ne peut pas
le regarder en face, il semble qu'il lit dans la pen-
sée de chacun. Quelle taille ! quel port majes-
tueux ! quelle promptitude, sans qu'il y ait pour-
tant rien de précipité ! Quel homme a des allures
comme les siennes ? Avec quelle vitesse il che-
mine I il arrive sans être fatigué et repart à son
heure I Quel homme il est devenu ! Puis ils par-
Ij^^t de son enfance, de son enseignement dans
lllemple ; mais aucun d'eux ne soupçonnait que
celui dont ils parlaient était le fils de Dieu ; ils le
trouvaient supérieur à tous les autres hommes,
ils l'honoraient et il leur inspirait une crainte res-
pectueuse, maïs il n'était à leurs yeux qu'un hom-
me merveilleux (1). »
C'est bien ainsi que nous concevons les pre-
miers rapports de Jésus avec ses disciples, avec
(1) Ibid. Vie, etc. 235.
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80 SAINTE MARTHE
ses amis. Avant que leôoleil se lève, les premières
lueurs de Taube, les premiers feux dé l'aurore ou-
vrent le ciel et préparent les yeux pour recevoir
ses éblouissantes splendeurs. Il avait voulu plus
spécialement vivre depuis longtemps, peut-être
depuis son enfance, en commun, en familiarité
même avec Marthe et Lazare ; il les avait discernés,
il les avait choisis, il les préparait tendrement à
recevoir sans se briser les enivrantes délices de
son amitié d'homme-Dieu. Quel doux ami que
Jésus pour Marthe et pour Lazare I il dérobe, il
retient la gloire de sa divinité pour se faire aimer
dès son enfance, pour se faire aimer en la fleur
cachée de son adolescence (i). Comment, en effet,
auraient-ils osé suivre l'attrait de leur cœur, com-
n>^nt auraient-ils osé l'aimer, s'ils avaient soup-
çonné le Verbe dans ce doux Nazaréen, quoique
le plus beau des enfants des hommes ? Il veut
bien les admettre dans son intimité , les inviter
à lui donner leur amitié. Pour rétablir l'équilibre
entre l'inexplicable dignité de sa personne et
la conscience vague de leur infériorité, pour
mettre entre eux et lui cette égalité que l'amitié
demande, il acceptait leurs avances, leurs dons.
Il s'était fait pauvre, sans toit, sans patrimoine,
pour pouvoir paraître leur obligé , pour rece-
voir l'hospitalité dans leurs maisons et les dons
de leur généreuse affection. Par ces aimables con-
descendances , par ces largesses du cœur échan-
>
(i) Nazarenus Floridus.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 81
gées et reçues avec la même joie et le même bon-
heur, Jésus, comme un ami,, s'attache le cœur
de ses amis ; puis naturellement et pas à pas, se
relevant il les élève : ses amis deviennent ses dis-
ciples, et par les amabilités de sa nature humaine,
il les prépare à croire, à confesser en Taimant, son
adorable personne de Dieu fait homme. Ineffa-
bles ménagements que nous adorons dans la vie
de Marthe et qui nous révèlent, autant que la mi-
séricorde dans la vie de Madeleine, les délicates-
ses et les générosités du Sacré-Cœur I
Enfin, nous aimons à le remarquer, c'est de
Béthanie que part Jésus avec Lazare, pour aller
au baptême de Jean, c'est-à-dire pour commencer
sa course évangélique. Le divin soleil de justice
et de charité prend son aurore à Béthanie, pour
s'élever, parcourir tous les degrés de sa lumi-
neuse carrière, et prendre son couchant au cal-
vaire. Quel lieu béni que Béthanie, le berceau de
Marthe, l'habitation de Marthe et de Lazare, la
maison aimée entre toutes par Jésus ; Béthanie,
après Nazareth, témoin des plus ineffables mystè-
res et des plus aimables condescendances de
rhomme-Dieu; Béthanie, lieu des confidences,
des joi^ partagées, des tristesses consolées entre
les cœurs les plus délicats, les plus nobles et les
plus aimants qui furent jamais ; Béthanie, où
Jésus fut aimé, où Jésus fut servi par les cœurs
les plus fidèles, par les mains les plus empressées,
par les amis les plus dévoués, par les disciples
les plus fervents et les plus généreux 1...
5.
dby Google
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m
MAETHE APMUSNI) LA PERFECTION A l'ÉGOLE DE JÉSUS.
Mundi décor y mundi forma,
Quâ Vivendi datur norma
^ In vite sollicita.
Ad hrnc festa iam sacrata
Nos invitai Christo grata
Justa Dei hospita\
Hujus Deoservientis,
Cujùs mentis tam ferventis
Circa ministerium.
Amoris vimhonoremus^
Jesu domos prœparemus
Et cordis hospittum,
{Prosa missal. Constant. 1504.)
Beauté du monde, du monde mo-
dèle éclatant, qui nous apprend la
perfeclion daos les sollicitudes de la
vie.
A ces fêtes si sacrées nous invite
la sainte hôtesse de Dieu, si agréa-
ble au Christ.
De cette servante de Dieu à Tâme
si fervente en son ministère, hono-
rons la force d'amour, préparons à
Jésus une demeure et Tbospilalité
de notre cœur.
Lorsque Jésus appela ses premiers disciples en
entrantdans la vie publique, il dit aux uns : Venez
après moi ; il dit à l'autre : Viens, suis-moi. C'était
un commandement d'autorité, c'était une invita-
tion d'amour. Son regard achevait de déterminer
ceux que sa parole ébranlait, et l'action intérieure
de la gr&ce leur donnait la force de tout quitter
dby Google
84 SAINTE MARTHE
pour le suivre. Marthe n'avait pas eu besoin d'en-
tendre cette parole d'invitation ou de commande-
ment ; elle avait connu, elle avait aimé Jésus dès
Tenfance, ou plutôt, Jésus l'avait aimée le premier ;
il l'avait aimée avec son frère et sa sœur, dili-
gebat autem Jésus Martham. C'est le divin
amour qui nous aime le premier , quoniam prior
dilexit nos (1), amour de choix, amour prévenant
qui sollicite les cœurs et dispose les âmes à cor-
respondre, en se donnant à celui qui nous a tout
donné. Marthe et Lazare furent les premiers amis
de Jésus : nous avons entrevu, pressenti, admiré
les témoignages et les preuves de cette amitié
mutuelle entre les deux familles , entre ces
cœurs d'élite. Marthe et Lazare devinrent tout
naturellement les disciples de Jésus, à mesure
que le doux Nazaréen, regardé comme un flls
d'ouvrier, nonne hic est fabri filius (2), ouvrier
lui-même, nonne hic est faber, filius Marix (3),
commença de prêcher sa doctrine, de se révéler
comme docteur, pour amener ses amis à le recon-
naître, à l'adorer et à l'aimer comme Fils de Dieu.
Nous ne saurions indiquer le moment précis, la
circonstance décisive où Marthe, éclairée par une
lumière surnaturelle, ne voyant plus seulement
en Jésus un ami des jeunes années, un docteur
(l)Joan. IV, «9.
(2) Matth. XIII, 55
(3) Marc. VI, 4.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 85
à la parole entraînante, un prophète touché de
Tesprit divin, un messie comme l'attendaient les
Juifs, pour restaurer leur autonomie et rétablir le
trône de David, mais voyant en lui le fils de la
vierge annoncé par les prophètes, le médiateur
promis, le sauveur attendu, Tentrevit en une ado-
rable révélation de lumière et de grâce, comme
fils de Dieu, se donna tout entière à lui, pour tou-
jours, afin de le suivre, de le servir et de l'aimer.
Nous savons bien le jour et l'heure où Marthe en
pleurs, tombant aux pieds de Jésus, proclama sa
divinité pour le conduire au tombeau de son
flpère ; mais nous ne savons pas, nous ne pouvons
suivre dans cettç âme bénie les préparations de
la grâce et les générosités de sa volonté, pour
l'amener à la possession de la pleine vérité de
Jésus, à la complète abnégation d'elle-même pour
Jésus. Ce que nous savons, c'est que Marthe s'est
donnée, s'est consacrée à Jésus ; c'est qu'elle est
la première vierge vouée à la sainte humanité de
Jésus, et le premier exemplaire de la perfection
évangélique ; c'est qu'à mesure que Jésus pro-
mulguait les lois ou plutôt les conseils de la per-
fection chrétienne, Marthe aussitôt les mettait en
pratique; c'est qu'elle était un évangile vivant à
mesure que Jésus parlait son Evangile. Après
Marie, la mère de Jésus, à côté d'elle, avec
«lie, comme elle, Marthe est vraiment la pre-
mière des vierges, la première des servantes
du Verbe incarné, la première des épouses de
TAgneau.
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86 SAUfTE MARTHE
Nous allons résumer dans ce chapitre les en-
seignements évangéliques de Jésus sur la perfec-
tion chrétienne, avec tous les renoncements de
Marthe pour s^attacher à Jésus. Celle que Jésus
aima d'une affection si particulière, celle qui
reçut son Maître avec nue sollicitude si géné-
reuse, celle dont la prière et les larmes eurent
tant d'empire sur le Sacré-Cœur, Marthe fut la
première qui répondit aux vœux, aux désirs, aux
invitations de TEpoux céleste. Pendant que Jésus
traçait lldéal de la perfection évangélique et don-
nait les conseils austères qu'il n'imposait pas,
mais qull proposait aux âmes généreuses, pen-
dant que du Sacré-Cœur rayonnaient ces avances
et que des lèvres* de l'Homme-Dieu découlaient
ces oracles^ Marthe écoutait. Marthe aspirait par
tout son cœur ces parfums de virginité, disant
comme l'épouse du cantique : Ah l qu'il daigne
me donner le baiser mystérieux d'une vocation
réservée, car son amour est plus enivrant que le
vin, plus suave que tous les parfums. Votre nom,
doux Jésus, est un parfum répandu ; c'est pour-
quoi les âmes virginales vous ont aimé. Attirez,
entraînez-moi; je veux courir après vous, à
l'odeur des parfums de la virginité, du renonce-
ment et de la croix (i). Mais avant de recueillir
dans l'Évangile et d'étudier dans la vie évangé-
lique de Marthe les conseils de renoncement et
(*) Gant. 1, 13.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 87
de 5|^érosité, avant de remarquer et d'admirer
dané la vierge de Béthanie ces trois grandes ver-
tus de pauvreté, d'obéissance et de chasteté qui,
par un triple lien infrangible (1), unissent réponse
mystique au divin Epoux, nous devons rappeler
comme le point de départ de cette vie nouvelle
de Marthe. Nous devons considérer là sœur de
Madeleine auprès de Jésus, assistant aux noces de
Gana, témoin du premier miracle public de Jésus ;
nous devons suivre cette âme, si naturellement
ouverte du côté de DievL, recueillant les premiers
effets de ce miracle, les premières illuminations
que cette manifestation de la puissance divine de
Jésus devait communiquer aux témoins de bonne
volonté. Nous devons remarquer comment Tactive
et vigilante Marthe, si sensée et si pratique, sut
tirer des premiers enseignements et des premiers
miracles de Jésus assez de lumière pour croire au
fils de Marie, assez de force et d'amour pour le
suivre, l'imiter et le servir.
Marthe assista donc aux noces de Gana. L'évan-
gile nous permet de le croire et la vision nous le
raconte : « Je vis Lazare (nous prenons dans les
chapitres VI et VII du 1" tome de la vie de N.-S.
Jésus-Christ, les traits épars qui concernent
Marthe et Lazare), je vis Lazare, Marthe, Jeanne
Ghusa, le fils de Siméon, qui avait un emploi dans
le temple, et le vieux serviteur de Lazare, arriver
(1) Bod. IV, 12.
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88 SAINTE MARTHE
ici à Klbzaïm et saluer Jésus. Ils s'étaient mfe en
route pour aller aux noces de Gana, et je croîs
qu'ils savaient par un message qu'ils rencontre-
raient ici Jésus. Jésus accueillait toujours Lazare
comme un ami qu'il affectionnait particulière-
ment. Cependant je ne l'entendais jamais deman-
der : que fait tel ou tel de tes parents ou de tes
amis? Le jour du sabbat, Jésus enseigna en para-
boles. Le soir du sabbat, Jésus alla encore jusqu'à
Sichar, où il arriva tard et passa la nuit dans un
logement préparé pour lui. Lazare et ses compa-
gnons se rendirent directement de Kibzaïm en
Galilée. Lazare avait conduit Marthe et Jeanne
Ghusa près de Marie, à Gapharnaûm, où elle était
revenue de Gana. Lui-même repartit avec le fils de
Siméon pour Tibériade où ils comptaient trouver
Jésus. Le fiancé de Gana y alla aussi à la rencon-
tre du Seigneur. Ge fiancé était fils d'une fille de
Sobé, sœur de Sainte-Anne (1) ; il s'appelait aussi
Nathanaël, et il n'était pas de Gana, seulement il
s'y mariait. G'est à Gennabris que Lazare, Satur-
niaet le fils de Siméon vinrent trouver Jésus,
ainsi que le fiancé de Gana. Gelui-ci invita à ses
noces Jésus et tous ses compagnons. Le soir, Jésus
pria, et célébra dans la maison où il était la fête
des lumières.
Cependant Jésus partit de très-bonne heure de
l'habitation de sa mère, qui faisait partie d'un
(1) D vergence avec Corn, à Lap. Vide supra in Joan., II.
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 89
groupe de maisons entre Capharnatim etTibériade,
pour Cana avec ses disciples et ses parents. Marie
et les autres femmes prirent de leur côté un che-
min plus direct et plus court. C'était un étroit
sentier qui passait plus souvent par la montagne.
Les femmes suivaient de préférence des chemins
de ce genre, parce qu'elles y rencontraient moins
de monde. Du reste, elles n'avaient pas besoin
d'un chemin bien large, car elles marchaient or-
dinairement à la suite les unes des autres. Un
guide les précédait à quelque distance, un autre
les suivait. Le chemin allait à environ sept lieues
de Capharnaum, dans la direction du sud-ouest.
Jésus passa par Gennabris avec ses compagnons,
et fit un détour. Ce chemin était plus large et plus
commode pour enseigner en marchant, car sou-
vent Jésus s'arrêtait pour indiquer et expliquer
quelque chose. La route que suivait Jésus allait
plus au midi que celle que suivait Marie. Elle
conduisait à Gennabris, qui est à environ six
lieues de Capharnatim, puis elle courait au cou-
chant vers Cana, ce qui faisait encore trois lieues.
Après s'être arrêté quelque temps à Gennabris,
Jésus et ses disciples continuèrent leur route vers
Cana. Les parents de la fiancée, Marie, le fiancé
et d'autres personnes encore vinrent à la rencon-
tre de Jésus sur le chemin, en avant de Cana, et
le reçurent tous respectueusement.
c< Jésus logea avec ses disciples les plus intimes,
et notamment avec ceux qui plus tard furent ses
apôtres, dans une maison à part où Marie avait
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90 SAINTE MARTHE
aussi logé lors de son premier séjour. Ce jour-là
tous les autres convives des deux sexes arrivèrent :
tous les parents de Jésus vinrent de Galilée, Jésus
seul amena vingt-cinq de ses disciples. Ce ma-
riage était regardé par lui comme une affaire qui
le touchait personnellement, et il s'était chargé
des frais d'une partie des fêtes qui devaient rac-
compagner. C'était pour cela que Marie était allée
sitôt à Gana où elle aidait à faire les préparatifs.
Entre autres choses, Jésus s'était chargé de four-
nir tout le vin pour les noces : voilà pourquoi
Mariet lui dit avec tant de sollicitude que le vin
manquait. Avant son arrivée, Marie avait déjà en-
voyé plusieurs messagers à Jésus pour le prier de
venir à ses noces. On tenait, ainsi qu'il arrive fré-
quemment parmi les hommes, des propos contre
Jésus, dans sa famille et parmi ses connaissances.
Sa mère, disait-on, était une veuve délaissée : il
courait à droite et à gauche dans le pays et ne
s'inquiétait pas d'elle ni de sa famille. C'est pour
cela qu'il voulut venir à ces noces avec ses amis
et pour faire honneur à ce mariage. C'est pour-
quoi aussi il avait fait venir Marthe et Lazare,
pour aider Marie dans ses arrangements ; et La-
zare faisait cette partie des frais dont Jésus s'était
chargé, ce qui n'était su que de Jésus et de Marie,
car le Sauveur avait une grande confiance dans
Lazare : il acceptait volontiers ses dons, et celui-
ci, de son côté, était heureux de tout donner. »
C'est en ce lieu, dans ces circonstances, devant
ces témoins, que Jésus opéra le grand miracle du
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SA VIE, SON HISTOIBE ET SON CULTE. 91
Changement de Teau en vin. Nous avons le récit
évaHiRélique. — Au milieu du repas, le vin étant
venu à manquer, la mère de Jésus lui dit: ils n'ont
plus de vin, et Jésus lui dit : Qu'y a-t-il devons à
moi, femme, mon heure n'est pas encore venue ?
Femme, dit-il, et non poinf mère, car il parle com-
me Dieu. Marie sollicite l'intervention de son ac-
tion de Dieu't le miracle est le caractère extérieur
de sa divinité. Ainci parlent les commentateurs.
Bien loin de s'étonner de cette parole mystérieuse
et divine de Jésus à Marie (1), la vision explique
ici très-clairement l'Évangile : « Alors Jésus, qui
venait d'enseigner sur son père céleste, lui dit :
Femme, ne vous tourmentez pas, ne vous inquié-
tez ni de vous ni de moi, mon heure n'est pas en-
core venue. Il n'y avait là rien de dur pour la
Sainte-Vierge ; il lui dit : femme et non pas ma
mère, parce qu'en ce moment il voulait agir en
qualité de Messie, en qualité de fils de Dieu, ac-
complir une opération mystérieuse en présence
de ses disciples et de tous ses parents, parce qu'il
était là dans sa force divine (2).» Mon heure n'est
pas encore venue, supplée ici saint Augustin, j'en-
tends l'heure de ma passion, l'heure désirée, at-
tendue, après laquelle je soupire, cette heure où
(1) Non dixit mater, sed malier, tanquam Deus, inqnit Eu-
tbymius. Ait Beda se divioitatem, quâ miraculum erat patran-
dam, non temporaliter accepisse de maire, sed per sterni-
talem semper babuisse de paire. — Non tu genuisti deitatem
BMAm, qas facit miracalum. Vide Corn, a Lap. in Joan. IL
(2) Vie, etc. I, 416.
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92 SAINTE MARTHE
je montrerai ce qu'il y a de vous à moi, ma mère,
à savoir que j'ai pris de vous la vraie natur» hu-
maine et que je suis votre fils (1). Il lui dit, pour-
suit la vision, mon heure n'est pas encore venue,
premièrement, que je donne le vin promis ; en se-
cond lieu, que je change l'eau en vin ; en troi-
sième lieu^ que je change ce vin en mon sang (2).
— Alors sa mère dit aux serviteurs : tout ce qu'il
vous dira, faites-le : or, il y a^it là six urnes en
pierre placées pour servir à la purification des
Juifs, tenant chacune deux ou trois mesures (3).
Jésus leur dit : emplissez les urnes d'eau, et ils les
emplirent jusqu'au bord, et Jésus leur dit : puisez
maintenant et portez au maître d'hôtel, préfet de
la table ; et ils lui portèrent de cette liqueur. Or,
dès que le préfet de la table eut goûté l'eau faite
vin (et il ne savait pas d'où cela venait, mais les
serviteurs le savaient^ eux qui avaient puisé l'eau)
il appelle l'époux et lui dit : d'ordinaire on sert
d'abord le bon vin, puis, lorsque les convives sont
rassasiés, on sert alors le moins bon ; mais vous,
vous avez gardé le bon vin pour ce moment. Jésus
fit le commencement de ses miracles publics à
(1) Nondum venit hora passîonis meae quâ ostendam qoîd
tibi et mihi sit, o mater, scilicet roe ex fe veram assumpsisse
naturam humanam, tuumque esse filium. S. Âug. apud Corn, a
Lap. ibid.
(2) Vie, ibid.
(3) Metreta, mesure ou grand vase pouvant contenir à peu
près chacun 22 litres de liquide.
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SA VIE, SON fflSTOIRE ET SON CULTE. 93
Gana, en Galilée, et il manifesta sa gloire, et ses
disciples crurent en lui (1).
Voilà le grand miracle dont Marthe et Lazare
furent témoins comme les autres disciples ; Mar-
the et Lazare^ plus touchés, plus éclairés et trans-
portés que les autres, car ils avaient voulu parti-
ciper aux dépenses du festin nuptial et comme
contribuer à la prodigieuse opération du miracle.
Ils comprirent sans doute, en cette manifestation
de la puissance divine du Créateur, lès intentions
aimables de Tami et du Sauveur, qui voulait, tout
à la fois, les préserver de confusion et les récom-
penser de leur charité. Grand miracle et profond
enseignement î Jésus célèbre ses noces virginales
avec rÉglise : Teau changée en vin annonce le
vin chaagé au sang du divin Agneau, prédit le
sang et Teau jaillissant du Sacré-Cœur ouvert par
une blessure d'amour. Jésus, on peut le dire, an-
nonce et figure tout son évangile, résume et signi-
fie tout le mystère de son incarnation, commence
et projet toute son œuvre de rédemption, dans ce
prodigieux changement, dans cette miraculeuse
transsubstantiation. 11 prend la loi mosaïque, la
loi incomplète, insuffisante et figurative de Tan-
cien Testament, pour la changer, la transformer
et l'épanouir en la loi nouvelle, la loi de l'Évan-
gile, la loi dé grâce et d'amour; et comme celle-là,
dit saint Isidore de Peluse, ne baptisait que dans
U) Joan.IIrl, 11.
ff
I
^- ^. ." _ * Digitizedby Google
94 SAmiB MARTHE
Teau, ne purifiait que Textérieur, Jésus a fait de
son sang une initiation sacrée, parfaite ; mêlant
ensemble Teau et le sang, unissant en sa per-
sonne la loi et la grâce (1). L'eau fut en effet le
symbole de la loi mosaïque, car cette loi ne puri-
fiait que par reau, n'atteignait que les souillures
extérieures. Mais le vin est devenu, non-seule-
ment le symbole, mais encore le breuvage et le
véhicule de la loi nouvelle ; car c'est le sang de
Jésus répandu sur la croix qui purifie les âmes,
et le sang de Jésus est figuré par le vin ; et la puis-
sance du sacerdoce évangélique transforme le
sang de la vigne en sang du fils de Dieu. C'est
pourquoi le Christ, au commencement de sa pȎ-
dication, changeant l'eau en vin, signifiait, an-
nonçait qu'il allait changer la loi mosaïque, insi-
pide et froide comme l'eau, en l'évangile de sa
grâce, qui est ardente et rapide, efficace et géné-
reuse comme le vin. Et ce changement, cette
conversion, cette transsubstantiation, Jésus l'opé-
rait au festin nuptial de son incarnatin» à ce
moment solennel où, manifestant sa puissance
divine, il allait consommer son union avec la na-
ture humaine', en s'unissant par la foij les âmes
de ses disciples, tous les membres de l'ÉgUse sa
royale épouse.
(4) Quonîam namque illa ia aqnîs dumtaxat ^aptizabat, îpse
suo cruore sacram initiationem perfecit, utramque in seipBo
miscens, ao legem cnm gratiâ copulans. S. ïsidor. Pelas. I
epist. 393.
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SA VIE, SON MISTOTBE ET SON CIÎLTE. 95
Remarquons encore comment toutes les cir-
constances du miracle sont admirablement oiv
données pour appeler l'attention, éveiller la curio-
sité, déterminer Tadhésion de l'esprit et de la
volonté. La nombreuse assistance des invités voit
que le vin manque, assiste à l'entretien de la
mère et du flls, s'étonne de la réponse mysté-
rieusement austère du fils de Marie, remarque la
recommandation de Marie aux ministres du fes-
tin, peut suivre du regard l'action des serviteurs
qui remplissent les urnes. Le maître d'hôtel goûte
le premier la liqueur nouvelle si prodigieusement
transformée ; il appelle l'époux et lui demande
d'où vient le vin. Celui-ci répond qu'il l'ignore ;
et, dès-lors il faut appeler les serviteurs, les inter-
roger et savoir d'eux tous les détails de cet événe-
ment extraordinaire, visiter les urnes et les trou-
ver toutes remplies de ce vin miraculeux qui a
remplacé l'eau dont les serviteurs venaient de les
remplir. Ainsi tous les spectateurs, tous les té-
moins durent être convaincus, pénétrés de la
vérité du prodige, de la grandeur du miracle ;
dès-lors, ils dmrent éclater en louanges envers
son auteur et croire en la divinité du fils de
Marie (i).
La vision développe admirablement cette der-
nière parole du récit évangélique : — et ses disci
pies crurent en lui. C'est la parole importante qui
U) Vide Corn, in Joan. II, passlm.
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96 SAINTE MARTHE
nous révèle les intentions de Jésus et nous dé-
couvre dans l'âme de Marthe les humbles certi-
tudes de la foi, s'élevant, pour les transfigurer, au-
dessus des sentiments tendres et respectueux de
Tamitié. La vision nous met sous les yeux le
spectacle de l'assistance étonnée, émue|, frappée,
ravie dans le silence et l'admiration, frémissante
et bouleversée à ce signe éclatant, à cette mani-
festation saisissante qui lui découvre un Dieu
dans la personne de Jésus, leur compatriote, leur
parent, leur maître et leur ami. « L'avertissement
de Marie fut donné à voix basse, la réponse de
Jésus à haute voix, aussi bien que l'ordre de
puiser l'eau. Lorsque les urnes remplies d'eau
furent placées toutes les six devant le buffet, Jésus
y alla et les. bénit, puis, étant retourné à sa place,
il dit : Versez et portez à boire au maître d'hôtel.
Lorsque celui-ci eut goûté le vin, il alla trouver le
fiancé et lui dit : ordinairement on donne le bon
vin le premier, puis, lorsque les convives sont
rassasiés, on en donne de moins bon, mais vï)us
avez réservé le meilleur vin pour la fin. Il ne
savait pas que Jésus s'était chargé de fournir le
vin comme toute cette partie du repas. Cela n'était
connu que de la sainte famille et de la famille
des mariés. Alors le fiancé et le père de la fiancée
en burent avec un grand étonnement, et les ser-
viteurs ' assurèrent que c'était de l'eau qu'ils
avaient puisée et dont ils avaient rempli les vases
et les coupes qui étaient sur les tables. Tous alors
en burent, mais il n'y eut point de tumulte au
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 97
sujet de ce miracle. Tous les convives gardaient
un silence respectueux, et Jésus prit occasion de
ce prodige pour enseigner; il dit entre autres
choses que Je monde donnait d abord du vin capi-
teux, puis profitait de l'ivresse des convives pour
leur donner un mauvais breuvage, mais qu'il n'en
ttait pas ainsi dans le royaume que son père
^este lui avait donné ; que l'eau pure était un
tîn exquis, de même que la tiédeur devait se
changer en ferveur et en zèle énergique. Il parla,
en outre, du repas auquel il avait pris part dans
sa douzième année, après son retour du temple,
avec plusieurs de ceux qui étaient là présents.
Il rappela qu'alors il avait parlé de pain et de vin,
et raconté une parabole relative à des noces où
l'eau de la tiédeur deviendrait le vin de l'enthou-
siasme, ce qui s'accomplissait maintenant. Il leur
dit encore qu'ils verraient de grands prodiges,
qu'ils célébreraient la Pâque plusieurs fois, et qu'à
la dernière, le vin serait changé en sang et le pain
en chair ; qu'il resterait avec eux, les consolerait
et les fortifierait jusqu'à* la fin ; que, du reste,
après ce repas, ils lui verraient arriver des choses
qu'ils ne pourraient pas comprendre actuellement
s'il les leur disait. Il ne s'exprima pas aussi claire-
ment que je le fais ; tout cela était enveloppé
dans des paraboles que j'ai oubliées, toutefois
c*en était là le sens. En l'entendant ainsi parler,
ils furent saisis de crainte et d'étonnement, mais
tous étaient comme transformés par ce vin, et je
vis qu'indépendamment de l'effet du miracle
6
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98 SAINTE MARTHE
qu'ils avaient vu, le via lui-même avait opéré
intérieurement en eux, les. avait fortifiés et pro-
fondément changés. Tous les disciples, tous les
parents, tous les convives étaient maintenant
convaincus de sa puissance, de sa dignité et de
sa mission : ils croyaient tous en lui. Cette foi
s'était répandue dans tous à la fois, et tous ceux
qui avaient bu de ce vin étaient devenus rail-
leurs , plus unis et plus fervents. Il était
ici, pour la première fois, au milieu de la com-#
munauté qu'il formait. Ce fut le premier pro-
dige qu'il fit au milieu d'elle et pour elle, afin
de la fonder dans la foi en lui. Voilà aussi pour-
quoi il est dit dans son histoire que ce fut son
premier miracle, de même que la cène est racon-
tée comme le dernierfait, alors que ses disciples
croyaient (1). »
Marthe avait bu de ce vin miraculeux, de
ce vin nouveau qui réjouissait son cœur en
illuminant son esprit. Marthe croyait en Jé-
sus d'une foi surnaturelle, d'une foi qui com-
mença de se développer, qui lui fit regarder
la personne de son ami conune la personne
d'un grand prophète , du messie promis, du
Sauveur attendu, pour arriver à la pleine pos-
session de la vérité du mystère de l'incar-
nation. Marthe, dès ce moment, est disciple
fidèle du maître, humble croyante de sa doctrine,
(1) Vie, elc. I, 418-20.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 09
généreuse servante de sa personne. Elle va se
donner à lui, s'attacher à lui, se consacrer à lui ;
première chrétienne pour écouter et j^atiquer les
enseignements du maître, première épouse du
fiancé céleste, pour tout quitter afin de le suivre
dans le renoncement et la pauvreté, par Tobéis-
sance et la chasteté ; première vierge qui suit
Tagneau partout où il va, dans la*voie doulou-
reuse du calvaire, dans les chemins ardus de la
perfection idéale, dans les sentiers lumineux de
réternelle Jérusalem. Nous le pouvons croire,
Marthe, qui jusque-là connaissait Jésus et Taimaît
comme un ami de sa famille, écoutait Jésus
comme un sage, un docteur à la simple et péné-
trante parole, Marthe, habituée à considérer Jésus,
à le voir, à l'entretenir, à l'aimer comme une per-
sonne exquise, pleine de vertus, de dons extraor-
dinaires et de charmes célestes ; Marthe comprit
qu'il fallait s'élever plus haut, aller plus loin,
écouter Jésus comme la sagesse incréée et le
Verbe divin, suivre Jésus comme la voie, la vérité
et la vie, aimer Jésus comme le bien suprême,
d'un amour jaloux, crucifiant, souverain. Dès ce
moment, elle voulut se donner et se consacrer à
Jésus. Marthe savait prendre aux moments décisifs
des résolutions viriles; elle savait les garder, les
tenir jusqu'à la satisfaction complète de son de-
voir, de sa conscience et de son Dieu. A mesure
que Jésus développait les points de sa doctrine et
les enseignements de son Evangile, à mesure
qu'il communiquait aux âmes les conseils de la
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100 SAINTE MARTHE
perfection chrétienne, et que par son exevagîe il
leur donnait une forme extérieure de \ie religieuse,
Marthe écoutait, Marthe s'appliquait les discours
du maître et suivait les impulsions de la grâce qui
grandissait son cœur et transformait ses affec-
tions. Marthe était assidue aux prédications de
Jésus et marchait, avec la décision de son carac-
tère et la vaillance active de sa nature, dans ces
chemins évangéliques où Jésus ouvrait aux âmes
dévouées des voies difficiles mais glorieuses.
Marthe suivait, Marthe imitait Jésus : se dégageant
des liens qui l'auraient pu retenir, écartant les af-
fections qui l'auraient pu séparer, elle se donnait
à Jésus pour le servir et pour l'aimer. Pour le
servir, elle était prête à donner, elle donnait avec
joie sa fortune, ses biens, sa vie ; pour l'aimer,
elle eût quitté son frère et sa sœur qu'elle voulut
donner à Jésus pour ne plus les perdre et pour
les retrouver, pour les aimer en lui. Marthe, en-
fin, sentait son cœur et sa chair de plus en plus
affamés, de plus en plus altérés de Dieu, de son
Dieu qu'elle découvrait, qu'elle adorait, qu'elle
voulait servir en Jésus (i). Dès-lors, elle voulait
s'unir à lui par la charité, pour lui ressembler
par la pratique des vertus et des conseils évangé-
liques, pour s'élever par lui, pour lui, avec lui,
jusqu'à Tidéale et divine perfection, jusqu'à la
vie, la gloire et la béatitude.
(l)Psal. LXII, 1-2.
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• SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 101
Jetas est venu dans le monde, non-seulement
pour enseigner le monde et pour éclairer les
âmes, mais encore pour leur montrer en sa per-
sonne la forme et Texemplaire de la perfection
chrétienne. — Jésus commença de faire, puis
d*enseigner son Évangile (1). — Je vous ai donné
Teiemple afin que vous fassiez comme j'ai fait
moi-même (2). —Et viens, suis-moi (3). Le Verbe
s'est fait chair, le Fils de Dieu s'est fait homme
afin de nous attirer après lui par cette affinité que
nous sentons avec nos semblables, nos frères,
nos amis, ce que la sainte Écriture appelle les
liens (TAdam (4), ces liens de la chair et du sang,
où le cœur tout entier est impliqué, entraîné.
Non-seulement il nous instruit par ses enseigne-
ments, nous appelle par ses discours et nous en-
courage par ses exhortations, mais il nous séduit
par ses exemples et nous transporte par ses vertus :
sa grâce opérant en nous pour nous éclairer,
nous soulever, nous fortifier et nous aider. Jésus
est le premier chrétien, Jésus est le premier reli-
gieux, Jésus est le type idéal de la vertu, le su-
blime exemplaire de la perfection. Sa vie évan-
gélique nous offre l'enseignement pratique et la
forme extérieure de toute vie chrétienne et de
toute vie monastique. C'est l'enseignement de
(1) Act. I, 1.
(2) Jotn. XIII, 15.
(3) MatUi. XIX, 21.
(4) 09ée. XI, 4.
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102 SAINTE MARTHE *
saint Basile, le grand législateur des nKHJiQes
d'Orient, cité par un grand théologien, que Jésus
a fondé la première communauté de religieux
avec ses apôtres, donnant en même temps le pré-
cepte et l'exemple de la perfection. Que ce soit la
première forme de Tétat religieux donnée par le
Christ et persuadée par gon exemple, c'est ce que
pense saint Basile, disant des Cénobites : Ceux-
là sont certainement les imitateurs de notre Sau-
veur et de la vie qu'il a menée parmi nous. De
même, en effet, que le Maître ayant rassemblé le
chœur des apôtres, ils eurent tout eh commun et
il se donna lui-même en commun à ses apôtres,
de même ceux-là, qui obéissent à leur supérieur,
imitent le genre de vie des apôtres et du Sei-
gneur (1). J'ajoute encore, dit ailleurs Suarez,
que Jésus-Christ a même établi une Religion, une
communauté en particulier. C'est ce qu'il déclare
en appelant certains hommes auprès de lui, et en
leur faisant pratiquer une manière propre et par-
ticulière de vie religieuse. Le Christ, en effet,
appela les apôtres à pratiquer un véritable et
spécial état religieux (2).
Quelle dut être l'attention soutenue, l'effort
(t) Quemadmodum eniin illo, isoacto apostolorum cboro,
communia cuncta seque ipsum communem apostolis praebuit,
ita hi quoqae antisliti suo obtempérantes, genus vivendi apos*
tolorum imitanlur ac Domini. Suarez, XXV, de Relig. 24 pars.
Lib. II, cap. 4.
(2) Nam Christus apostolos vocavlt ad verum ac propriam
religiosumttatumassumeadum. Suarez. Ibid. Lib. III, cap. 2.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 103
généreux et la tendre affection de Marthe à suivre
l'exemple de Jésus ! Aimer, n'esj-ce pas se con-
former et s'unir, se transformer et s'identifier à
l'objet aimé ? Aimer Jésus à ce moment oîi il
découvrit les profondeurs lumineuses mais in-
sondables de sa personne sacrée, à ce moment
où les divines effusions du Sacré-Cœur se répan-
daient sur les premiers témoins du miracle
comme un baptême de flammes et de charité^
aimer Jésus, pour Marthe qui l'aimait déjà pieu-
sement, tendrement, généreusement, comme son
noble cœur pouvait aimer ses amis, aimer Jésus
maintenant comme Messie et Sauveur, n'était-ce
pas lui tout donner, et tout quitter pour se donner
plus complètement à lui, et le suivre jusqu'au
terme — in finem dilexit (1) —jusqu'au Calvaire,
jusqu'à la mort, pour la vie éternelle? Oui, sans
doute. Et nous plaçons à ce moment, en ce jour,
après le festin nuptial, la résolution définitive de
la sœur de Madeleine de se donner irrévocable-
ment à Jésus.
Marthe, dès ce moment, commença d'aimer
Jésus de cet amour de charité qui est la subs-
tance même de la perfection chrétienne et reli-
gieuse. Marthe le comprit avec son intelligence
qui était très-vive^ mieux encore avec son cœur
qui était très-grand ; Marthe comprit la perfection
à laquelle Jésus l'appelait par son exemple et par
(1) Joan. Xill, 1.
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104 SAINTE MARTHE
ses leçons, par toute sa vie dont elle était la con-
fidente et le témoin, par sa grâce dont elle sentait
les attraits, dont elle voulait suivre les impul-
sions. Cette perfection de vues, d'idées, de sen-
timents, de paroles, d'affections^ de vie et de
vertu, cette perfection, Marthe voulait la pour-
suivre et l'atteindre pour mieux voir, mieux con-
naître, mieux contempler et posséder son Dieu
dans son maître et son ami. Aimer, aimer Jésus,
aimer son humanité sainte, et par cette échelle d'a-
mabilités et de tendres condescendances, monter
à Dieu pour l'aimer ; aimer celui qui est la beauté
par essence, l'amour infini , le bien suprême :
aimer, et chaque jour, chaque instant, à chaque
soupir du cœur, croître en amour, se détacher de
la créature et du temps, sortir de soi-même,
monter par un sursum continuel jusqu'à Celui
qui nous sollicite et nous attire^ parce que seul
il nous peut satisfaire et rendre heureux; monter
en lui; vivre, se mouvoir, se reposer en lui (1)
pour vivre de lui ; vivre de son amour ici-bas
substantiellement, pour vivre de sa gloire dans
le ciel éternellement : voilà le terme où Marthe
tendait avec la douceur et la force de son généreux
cœur ; voilà la perfection qu'elle étudiait, qu'elle
pratiquait au milieu deb infirmités de la vie et
des agitations du monde.
Elle nous offre donc, dans l'ordre des temps et
(i) Act. XVII, 28.
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SA VIE, SON HISTOIKB ET SON CULTE. 105
de la vertu, le premier modèle de perfection chré-
tienne. Tous les théologiens, avec saint Thomas,
font consister la perfection de la vie chrétienne
dans la perfection de la charité. Saint Paul ap-
pelle en effet la charité le lien de perfection : vin-
mlum perfectionis (1), chaîne d'or qui nous relie
étroitement à Dieu, en reliant en un toutes les
diversités de notre nature et toutes les affections
de notre cœur. Le grand apôtre dit ailleurs que
Tamour est la plénitude de la loi : plenitudo legis
est dilectio (2). Ainsi pensent, ainsi disent les
grands docteurs et les grands saints. Saint Au-
gustin appelle la charité la plus véritable^ la plus
complète et la plus parfaite justice (3). Il dit en
un autre chapitre de cet admirable traité De la
Nature et de la Grâce : — Charité commencée,
commencement de justice ; charité croissante,
accroissement de justice ; grande charité, grande
justice ; charité parfaite, parfaite justice (4). Saint
Grégoire, au livre XXVIII de ses Morales, expli-
quant ces paroles de saint Paul : « Mais sur toutes
choses ayez la charité, qui est le lien de perfec-
tion », dit que la charité est le lien de perfection,
parce que tout le bien que Ton fait est lié par
(i) Coloas. m, 14.
(2) Rom. XIII, 10.
(3) Verissimam^ pleDissiinam , perfectissimaoïque justitiam.
Uh. de Nat. et grat., cap. 42.
(4) Inchoata charitas, incboata justitia est ; provecta charitas,
provecta jostitia est ; magna charitas, magna justitia est ; per-
feeU charitas, perfecta justitia est. Ibid., cap. 70.
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106 SAINTE MARTHE
elle pour qu'il ne périsse pas, comme s'il disai
que c'est d'elle que tout bien prend sa perfectîor
et sa stabilité. Il dit encore, dans une de ses ho-
mélies si limpides et si profondes : Tout précepte
prend sa solidité dans la seule charité (1); et dans
son Pastoral il donne à la charité cette royale
primauté : la charité est la mère et la gardienne
de toutes les vertus (2). Saint Bernard, en ses
sermons sur le cantique, hymnes d'amour plutôt
que sermons de doctrine, dit que la charité marie
l'âme au Yerbe (3), ce qui répond à la parole
de saint Paul : Qui s'attache au Seigneur est un
seul Esprit avec lui : quiadhœret Domino^ unus
Spirittis est{k).
Et cela se comprend, ô mon Dieu ! même avec
notre petit esprit et notre pauvre cœur, cela se
comprend que la charité soit notre perfection,
toute notre perfection. La perfection d'une
chose, en effet, c'est son union et son repos
dans sa fm dernière. La perfection de la plante,
c'est de croître en plein soleil, de monter, de
s'épanouir en fleurs et de porter son fruit. La per-
fection de l'oiseau, c'est de déployer ses ailes, de
s'envoler et de se reposer dans le nid où Tappel-
(1) Quidquid praîcîpîtur ia solâ charitale solidatur. Hom.
XXVII, in Evang.
(2) Charitas mater eat omnium cualosque virlulum. Pasl. 3*,
Past. ad m. 10.
(3) Charitatem marilare aoimam Verbo. Sermo. S3, in cant.
(4) I, Cor. VI, 17.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. lOT
lent ses petits. La perfection de Tartiste, c'est de
contempler Pon œuvre achevée, réalisant son
idéal pour l'admiration des siècles. La perfection
de la mère, c'est de nourrir son enfant avec le
lait de son cœur et la foi de son âme ; c'est de le
faire grandir jusqu'à la plénitude de l'âge parfait,
puis, de se reposer à son ombre et de mourir dans
ses bras avec les dernières bénédictions de son
amour. Notre perfection, 6 mon Dieu I c'est vous,
c'est vous voir et vous posséder, c'est de nous re-
poser en vous, notre fin suprême ; notre perfec-
tion, c'est de nous unir intimement à vous, par
le cœuret la volonté; notre perfection, enfin, c'est
la charité, car c'est elle qui nous unît à vous, qui
nous fait un même esprit avec vous, qui nous fait
habiter en vous et vous fait habiter en nous, selon
cette parole de votre apôtre bien aimé: Deus cha-
riiizs est : et qui manet in charitate, in Deo ma-
net et Deus in eo (1). Dieu est charité, et qui de-
meure dans la charité, demeure en Dieu' et Dieu
en lui. En cette vie, 6 mon Dieu ! qui nous sépare
de vous par le voile de la chair et par les vicissi-
tudes du temps, il n'est point de moyen plus sûr,
plus efficace et plus parfait de nous unir à vous
et de vous unir à nous, que la charité. C'est par
elle que nous tendons à vous^ que nous pasipns
à travers et nous élevons au-dessus de tout ce
qui n'est pas vous, pour vous atteindre et vous
,1) 1. Joaii. IV, 16.
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108 SAINTE MARTHE
embrasser. C'est elle, enfin, qui relie tous les
hommes membres d'un même corps, cœurs péné-
trés de la même flamme, qui les unit délicieuse-
ment en un, pour les relier et les unir à vous,
centre de vie, foyer d'amour^ lieu de gloire et de
béatitude. Toute la perfection de la vie chrétienne
est donc établie dans la perfection de la charité ;
Ergo tota vitœ christianae perfectio in charitati^
perfectione posita est (1).
Perfection de la vie chrétienne, la charité or-
donne tout l'homme dans l'état de perfection,
embrasse, résume et transforme toutes ses puis-
sances pour les élever, les faire fleurir et fruc-
tifier en perfection. Je vous démontre, dit l'apô-
tre, une voie plus excellente encore... la cha-
rité est la plus grande de toutes les vertus (2).
Et dès-lors, quoi de plus parfait^ quoi de plus
utile, quoi de plus ferme, quoi de plus sûr que
la charité (3)? Ici-bas, en effet, c'est la charité qui
termine et vivifie toutes les pensées, toutes les
affections, tous les actes du chrétien, parce que
c'est la charité seule, de tous les mouvements de
l'âme et de toutes les puissances du cœur, qui
permet à la créature de répondre à son Créateur,
et de payer intégralement, du moins de tout ce
(1) Vide Suarez de Relig. .2. p. Lib. de statu perfect. cap.
III, passim.
(2) I. Cor, XII, 31.
(3) Quid perfçctius ? quid ulilius? quid firmiiis? quid secu-
rias?... St-Aug. de Trin. XI, 18.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 109
qu elle peut, sa dette d'amour à celui qui Ta tant
aimée (1). Ainsi Marthe ne se put contenter de
croire en Jésus, comme les autres disciples, après
le miracle de Cana ; Marthe était trop près du
cœur de Jésus, elle avait d'ailleurs le cœur trop
généreux pour ne pas s'élever bientôt à cette
divine charité qui lui fit aimer son Maître par-
dessus toute créature, et qui bientôt la fit sortir
d'elle-même, immoler sa chair, abdiquer sa
volonté, se dépouiller de ses biens pour se consa-
crer irrévocablement à Jésus.
(I) Solus est ex omnibus animœ motibus, in quo potest créa*
tura, et si non ex aquo, respondere auctorl : vel de simili
molaam rependere vicem. St-Bern. in cant. 83. Vide Suarez,
ut suprâ.
Digitized by C^OOQlC
g- ■'•' .. ■
5* Digitized by C^OOQ IC
IV
DES TBOIS VCETJX PAR LESQUELS MARTHE LUT SE
CONSACRER A JÉSUS.
Casiitatis spéculum
Reaccendit populum.
Ad aternum btavium.
Pradicatrix opiima
Ferit cor dis intima
Detesiando vilium.
Graiiosa popuiis
Dtffundit miraculisy
Lucis suce radium.
Missale AuscHanœ eccles, 1555.
Miroir de chasteté, son exemple
enflamme le peuple des vierges à
combattre pour remporter ce prix
d'éternité.
Elle prêche éloquemment et
frappe au fond des cœurs pour
faire détester le vice.
Gracieuse pour les peuples, elle
répand en miracles les rayons de
sa lumière.
C'est ainsi que Marthe commença d'aimer Jésus.
Ouvrant tout son cœur aux paroles, aux enseigne-
ments du Sauveur, elle voulut encore s'élever
plus haut que le commun des disciples, elle
voulut suivre de plus près son adorable ami pour
écouter ses conseils, les pratiquer et former à sa
suite, avec quelques âmes généreuses, le premier
groupe de ce chœur aimable et sacré des vierges,
Ll
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112 SAINTE MARTHE
et comme la première communauté de ces femmes
pures et ftdèles consacrées au Verbe incarné. Pour
atteindre le sommet de la perfection, pour mieux
suivre Jésus, qui se donne à nous conuue le
vivant'exemplaire de la perfection envoyé par
son père (1) : Estote ergo vos perfecti sicut et
pater vester cœlesti perfectus est; Marthe dut
renoncer à tout bien créé, se dégager de tous
les. liens qui pouvaient Tempécher d'atteindre
la perfection de son amour pour Jésus. Elle
dut renoncer aux biens extérieurs et sensibles,
donner son cœur, immoler sa chair : en un
mot, par la pratique des trois grands conseils
évangéliques, par les trois vœux de pauvreté,
de chasteté, d'obéissance, elle dut arriver à l'en-
tier renoncement d'elle-même, sortir du monde
et de ses faux biens, crucifier son corps, abdi-
quer sa volonté pour se donner pleinement,
joyeusement, irrévocablement à son Sauveur et à
son Dieu. En effet, pour arriver à cet entier re-
noncement que demande le parfait amour et l'in-
time union, il faut nécessairement pratiquer ces
trois conseils, car par la pauvreté, on renonce aux
biens extérieurs ; par la chasteté, à son propre
corps ; par l'obéissance, à sa propre volonté (2).
(i) Math. V, 48.
(2) Ât vero ad hanc integram renanciationem necessaria sunt
illa tria consilia : nam per paupertatem eiterna booa, per cas-
titatem proprium corpus, per obedientiam propria volontas ab-
negatur. Snarez de Relig. lib. II, cap. 2.
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SA VIE, SON HISTOÎRE ET SON CULTE. 113
Non sans doute que la perfection même consiste
dans la pratique des trois conseils évangéliques :
nous l'avons dit, elle consiste dans la charité ;
mais, selon la parole profonde de saint Tho-
mas, les troi3 conseils sont les instruments de
la perfection (1). Ces conseils, pratiqués par les
trois vœux de religion, sont donc des instru-
ments pour la confection de ce chef-d'œuvre
de Tamour, et des degrés d'une échelle mys-
tique qui nous rapprocîie de Dieu (2). Disons
encore, non pour épuiser, mais pour compléter
cette matière, que les trois conseils évangéliques
sont pour réprimer plus efficacement les trois
concupiscences que le monde et le péché fomen-
tent sans cesse au fond de notre humanité bles-
sée. N'aimez pas le monde, mes bien-aimés, nous
dit saint Jean, ni les choses qui sont dans le
monde : celui qui aime le monde, celui-là n'a pas
la charité du père en lui ; car tout ce qui est dans
le monde est concupiscence de la chair, et concu-
piscence des yeux^et orgueil de la vie (3). Con-
cluons avec saint Thomas, que par la pratique
de ces trois conseils, par ces trois vœux solennels
et sacrés qui font de toute la créature une victime
(1) Inslramentaliter perfectio consistit in consiliis, Sum
Theol. 2« âwquœst CLXXXIV, Art. 3.
(2) PerfecUonis instromeota sunt qnia non ipsis consistit dis-
ciplina illius finis, sed per illa pervenitur ad finem... quod ad
perfeclionem cbarttatis istis gradibns innitcmur dicit Abbas
Moyies apnd Sum. etc. ibid.
(3) I. Joan. II, lS-i6.
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114 SAINTE MABTHE
d'agréable odeur pour la souveraine majesté, les
empêchements à la charité parfaite sont ôtés ; et,
les empêchements à la charité parfaite étant écar-
tés, bien plus facilement sont évitées les occasions
du péché qui détruit totalement la charité (1).
Comme nous aimons à- nous représenter Mar-
the à la suite de Jésus, Marthe dans le groupe
des saintes femmes, les conduisant, leur don-
nant par sa vive initiative l'exemple et le courage ;
les dirigeant pour mieux entendre, ie Maître,
mieux le voir et Técouter I Très-certainement la
sœur de Lazare ne perdit aucune des paroles de
Jésus ; mais surtout elle fut attentive à ces grands
traits évangéliques avec lesquels Jésus traçait le
dessin de la perfection chrétienne et de Tétat re-
ligieux. Marthe entendit, Marthe comprit, Marthe
répondit à Jésus. Ne pouvons-nous pas dire que
le divin ami de la généreuse dame de Béthanie
pensait à Marthe, lorsqu'il exhortait les âmes à
tout quitter pour le suivre, lorsqu'il les appelait
au dépouillement complet pour marcher après
lui, lorsqu'il révélait les célestes beautés de la
virginité ? Ah ! sans doute, Jésus qui nous a tou-
jours présents à son Sacré-Cœur, Jésus qui porte
ses élus comme un cachet sur son cœur, <5omme
un bracelet à son bras, Jésus pensait à Marthe
d'une pensée toute spéciale, d'une affectueuse
dilection, il la regardait d'un de ces regards ar-
(l) Suiîi. ctcid. qu»8l. GLXXXVI, art. I.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 115
rêtés et pénétrants où passait un flot de lumière
et d'amour. — Jésus autem intuitus eiim dilexit
eum[i). Et Marthe comprit les divines intentions
de Jésus, et elle répondit aussitôt généreusement,
allègrement : Me voici. Seigneur, je vous suis. Par-
tout où vous irez, j'irai ; là où vous demeurerez,
je demeurerai ; votre peuple sera mon peuple, et
votre Dieu, mon Dieu (2).
Rappelons donc, nous le pouvons, sans faire
violence ix l'Évangile, rappelons les circonstances
et les discours où Jésus donna ses conseils de
perfection et traça le premier dessin de Tétat
religieux, en présence de Marthe et de ce petit
groupe d'âmes choisies qui marchaient à sa suite
pour servir Jésus. Le Maître confiait ses discours
et ses préceptes aux disciples qui l'écoutaient et
qui représentaient toutes les générations en résu-
mant toute l'Église. Mais quand il avait quelque
chose de spécial à dire, pour une âme qu'il vou-
lait tirer de la foule ou pour un groupe d'âmes
choisies, il y avait, dans sa manière de dire, dans
ses expressions et surtout dans le tour qu'il
donnait à sa pensée, quelque chose qui ne
s'adressait qu'à des auditeurs ou des disciples ti-
rés de la foule — quihabet aiires audiendi audiat.
Vobisdatum est nosse mysterîaregnicœlorum (3),
qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende. A
(1) Maro. X, 21.
(2) Rulh. 1. 16.
(3i Mallh. XIII, 9-11.
L.
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116 SAINTE MARTHE
VOUS est donné de connaître les mystères du
royaume des deux. Mais en même temps que le
Maître formulait les conditions du détachement
complet pour entrer dans la voie étroite qui con-
duit aux cimes divines, en même temps qu'il
posait les conditions de la perfection chrétienne,
il promulguait les lois fondamentales de l'état
religieux. En effet, dit Suarez, l'écho magnifique
de saint Thomas, lorsque le Christ dit à ce jeune
homme : va, et vends tout ce que tu as, et donne-
le aux pauvres, et suis-moî, il commença à pro-
mulguer l'état religieux comme l'enseignent les
Pères (1). Jésus, en posant les conditions qui
paraissent si rigoureuses à la nature humaine,
conditions de détachement, d'arrachement et de
mort, pour s'élever au-dessus de la créature et du*
monde, pour sortir de soi, de ses sens et de sa
volonté, pour suivre le Maître, le docteur et le
modèle, Jésus avait pour les âmes qu'il visait,
auxquelles il destinait cette vocation sublime, des
entretiens particuliers pleins de charme et de
force. Pour Marthe, surtout, dans ces entretiens
d'une divine familiarité, sa voix avait des intona-
tions et des accents pleins d'énergique suavité.
Oui, nous aimons voir Marthe attentive et ravie
écouter Jésus qui parle, tantôt au jeune homme
qui vient lui demander à quelles conditions il
^1) Nam cum Ghrîstos dixit adolescenti : vade et veade etc.,
Btatum rclic^iosum promulgare incepit, ut patreç docent. Sua
rez, ibid. Lib. II, cap. t.
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SA VIE, SON HISTOIRE BT SON CULTE. 117
pourra gagner la vîe éternelle, tantôt à ses disci-
ples pour leur révéler ce qu'il demande de ceux
qui le doivent suivre de plus près. Nous aimons
à voir Marthe écouter, tressaillir, aspirer au mo-
ment où elle pourra achever de briser ses liens
et consommer son sacrifice, car elle a déjà com
mencé à tout quitter pour suivre Jésus, à tout
donner pour le servir.
Les conseils de perfection que le divin Maître
donne aux &mes, les moyens qu'il révèle pour
atteindre et se fixer à cet état de ressemblance
héroïque avec le fils de Dieu fait homme, ces
conseils, ces moyens se réduisent à trois et sont
l'objet, on le sait, des trois vœux de religion :
chasteté, pauvreté, obéissance. Chasteté^ dont la
virginité est la fleur sans tache ; pauvreté, qui se
dépouille pour se dégager et s'affranchir ; obéis-
sance, qui s'immole volontairement pour vivre
et régner divinement. Ces trois conseils, devenus
trois vertus par les trois vœux solennels, sont les
trois caractères de la royauté spirituelle des âmes,
et forment le triple diadèqae de la beauté, de la
force et de la générosité. Le divin Maître pro-
mulgua le divin Évangile du renoncement et du
sacrifice à la fin de sa carrière évangélique, aux
derniers jours de la troisième année de sa vie
publique, à la veille, pour ainsi dire, de la résur-
rection de Lazare, alors que Marthe, affermie dans
la foi, devait .proclamer Jésus fils de Dieu. Mais,
nous pouvons le croire, Marthe, avant ce jour,
avait compris ce que Jésus lui demandait et ce
7.
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118 SAINTfi MAKTflE
que le divin Maître sollicitait de son amie, la
pure et généreuse vierge de Béthanie. Nous la
voyons dans l'Évangile suivre Jésus avec un em-
pressement qui nous révèle en cette amie, en
cette hôtesse et cette servante de Jésus, une habi-
tude et comme une pratique déjà longue de ces
divins conseils de son Maître. Rappelons donc
ces trois conseils tels que Marthe les entendit,
tels qu'elle les pratiqua dès le premier jour où
Jésus daigna lui révéler Tinsigne honneur qu'il
lui confierait, en l'appelant au service royal de sa
très-sainte humanité.
Le premier conseil est la continence, la chas-
teté : dans sa forme la plus belle et dans sa fleur
intégrale, la virginité. Jésus avait parlé du ma-
riage ; il avait relevé cette grande institution
sociale des dépressions et des abus que la loi mo-
saïque avait tolérés ; il l'avait ramenée à sa cons-
titution primitive, puis il l'avait divinisée en l'éle-
vant à la dignité surnaturelle de sacrement. S'il
en est ainsi, lui dirent ses disciples, si le lien est
indissoluble, il n'est pas expédient de se marier,
Et le Maître leur dit : tous ne comprennent pas
cette parole, mais ceux à qui il est donné de Dieu,
Tous ne peuvent ou ne veulent pas recevoir cette
grande parole dans l'étroitesse de leur cœur, ne
savent pas la comprendre et n'ont pas le courage
de la pratiquer (1). L'âme qui reçoit, comprend et
(1) HÎ8 datum est qui potueront, qui voloerant, qui ut accl-
perent laboraverunt (S. Hieron.) significatum est ergo virgah
"^ Tk
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SA TJE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 119
garde cette parole, c'est Tâme sollicitée par la
grâce, l'âme confiante et généreuse, disant avec
saint Augustin : Seigneur, donnez ce que vous or-
donnez et ordonnez ce que vous voulez. Vous or-
donnez la continence, donnez la continence {1).
En effet, dit le Maître, en élevant la virginité bien
au-dessus de rhomme, en la plaçant avec les anges
dans le royaume des cieux, il y a des continents
qui sont ainsi nés dès le sein de leur mère, et il y
a des continents qui sont ainsi faits par l'opération
des hommes ; et il y a des continents qui se sont
eux-mêmes séparés pour le royaume des cieux.
Des âmes délicates et fortes, qui pour suivre de
plus près sur la terre celui qui vient s'établir par sa
doctrine et par sa grâce l'exemplaire et la forme
de la perfection chrétienne, pour arriver dans le
ciel au plus haut degré de gloire et chanter à la
suite de l'Agneau le cantique nouveau que les
vierges seules peuvent chanter, ont immolé leur
chair par le vœu de continence et par le cuite di-
vin de la virginité. Puis, donnant à sa voix plus de
force et plus d'accent, Jésus promulgue et propose
le conseil évangélique : — qui peut comprendre
comprenne. — Quipotestcapere capiat. Qui peut,
qui veut recevoir, qui sait estimer, qui veut pra-
tiquer cette sublime doctrine ; qui désire imiter
tatem Del donum esse datum hîs qui petunt ut oportet. Eulhy-
mius, apud Corn, a Lap. in Math. XiX.
(1) Domine, da quod jubés et jubé quod vis : Jubés continen-
Q, da continentiam. S. Aug. Gonf. Lib. VI, cap. II.
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120 SAINTE MARTHE
le Christ vierge, flls vierge du père vierge dans
le ciel, fils immaculé de la Vierge immaculée sur
la terre. Telles sont les paroles du Christ qui
exhorte les âmes et les anime à la pratique du
célibat (1). Tous ne peuvent comprendre cette
parole, dit S. J. Ghrysostome, parce que tous ne
le veulent pas ; la palme est proposée ; celui qui
désire la gloire ne pense point à la fatigue du
combat (2). Le juge du combat, dit S. Jérôme,
propose le prix, invite à la lutte, tenant dans sa
main sa récompense de la virginité : il indique
cette source très-pure et il crie : Qui a soif, qull
vienne^à moi et qu'il boive ; qui peut prendre
qu'il prenne (3).
Marthe avait entendu, Marthe avait compris.
Depuis longtemps devenue chef de famille par la
mort de sa mère, jeune encore, elle s'était con-
sacrée au service de son frère Lazare, à l'éduca-
tion de sa plus jeune sœur Marie-Madeleine : elle
avait dédaigné, peut-être rejeté la main de nom-
breux prétendants que sa fortune et sa beauté,
son intelligence et sa bonne grâce avaient attirés
(1) Hœc verba sunl horlantis et animafllie ad Cœlibatum. Corn,
a Lap. in Math. XIX.
(2) Ideo non omnes capere possunt, quia non omnes volunt ;
palma proposita est, qui concupisclt gloriam, non cogitât de
labope. S. Chrys.
(3) Propooit Âgonotheta praemiutn, invitât ad cursum, tenet
in manu virginitatid bravium, ostendit'purissimuin fontem, et
clamât : qui Fitit veniat ad me et bibat ; qui potest capere
capiat. S. Hicron. contr. Jovin., lib. !•
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SA TIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 121
de Jérusalem et de toute sa tribu à Béthanie ; elle
s'était dévouée à ce célibat domestique, à cette
virginité du foyer qui est le prix du dévouement
et de rabnégation, et Jésus, le divin amant des
vierges, Jésus le docteur puissant en œuvre et en
parole, le grand prophète, le thaumaturge et le
messie, Jésus l'avait récompensée en Thonorant
de son amitié, en lui révélant le prix, le mérite
et la gloire de la virginité, en l'appelant dans
le groupe d'âmes choisies qui devaient tout
quitter pour le suivre dans la voie lumineuse
mais ardue de la perfection. Elle avait dît avec
l'apôtre : soyons purs de toute souillure de la
chair et de l'esprit, accomplissant notre sanctifi-
cation dans la crainte de Dieu (1). Elle avait
compris, comme le devait si bien enseigner le
grand apôtre, que celle qui n'a pas d'époux
s'occupe uniquement des choses du Seigneur,
comment elle pourra plaire à son Dieu, tandis
que celle qui a son époux, s'occupe des choses
du monde, comment elle pourra plaire à son
époux, et son cœur est divisé ; tandis que la
femme sans époux e\ la vierge pense aux choses
du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'es-
prit (2). 0 Jésus, lui dit-elle, doux Maître de Na-
zareth, doux ami de Béthanie, ô Jésus, grand doc-
teur et divin prophète, ô Jésus, très-saint et très-
Ci) II Cor. vu., i.
(2) I Cor. VII, 32-34.
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122 SAINTE MARTHE
pur fils de la Vierge Marie, Jésus Messie, Christ,
fils de Dieu, vous m*avez appelée à Thonneur de
vous servir, au bonheur de vous aimer, me voici.
Seigneur, je suis toute et toujours à vous. Pour
mieux vous suivre je quitte tout, pour mieux vous
plaire je renonce à tout, pour mieux vous aimer
je vous immole tout ; je veux être pure, je veux
être sainte, je veux rester vierge, afin de ne me
séparer jamais de vous, afin d'être la servante de
votre humanité, la sœur de votre divinité, l'épouse
de votre intégrité, Thôtesse, la compagne et Tamie
de votre glorieuse éternité.
Il fallait que le Verbe se fît chair et vînt habiter
parmi nous , il fallait que la divinité s'unît à notre
nature dans le sein de Tlmmaculée, pour nous
révéler tous les mérites et tous les charmes de la
virginité. Il est venu , nous l'avons vu plein dQ
grâce et de vérité ; il a parlé, nous l'avons en-
tendu : sa Voix douce et pénétr^inte a remué les
âmes et les a fait sortir de la chair et du monde
pour les élever et les diviniser, pour les consacrer
comme un sacerdoce virginal au service de sa
très-pure et très-sainte humanité. Son très-com-
patissant amour a voulu par là même les appli-
quer à la prière, à la contemplation, à la péni-
tence, à Texpiation, les dévouer au service des
enfants orphelins et des vieillards abandonnés,
des infirmes et des malades, pour les consacrer
servantes, sœurs, mères de toutes les faiblesses,
de toutes les souffrances, de toutes les misères. Et
des légions se sont levées depuis dix-huit siècles.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 123
à la voix de Jésus et sur les pas de Marthe, ado-
lescentulœ dilexerunt te nimis — currimus in
odorem ; et comme Marthe servant Jésus, elles se
succèdent, servant Jésus dans ses membres infir-
mes, souffrants, abandonnés, persécutés, avec la
même tendresse, le même dévouement, le même
amour ; et elles Tadorent dans le tabernacle, et
elles le poursuivent dans toutes les œuvres de mi-
séricorde, et elles achèvent dans leur corps ce qui
manque à la passion de Jésus, pour tous. les
pécheurs et pour toutes les âmes. Et comme Mar-
the, pour sa sœur Madeleine convertie, pour son
frère Lazare ressuscité, elles convertissent et res-
suscitent l'humanité par le charme invincible et
combiné de la pureté virginale et du dévouement
maternel.
Nous n'avons pas à traiter à fond et en détail
ce sujet sublime et délicieux de la virginité
comme état, comme vœu, comme vertu. Nous
rappelons la parole de saint Thomas, que la per-
fection de rétat religieux demande la conti-
nence (1). Dans le dessein de Jésus, dans les ins-
titutions de rÉglise, la continence, dont la virgi-
nité n'est que la fleur imnàarcessible, est llnitia-
tîon à la vie surnaturelle, l'entrée et comme le
portique du sanctuaire réservé, le voile du Saint
des saints derrière lequel se dérobent les âmes et
se cachent les opérations fécondes de l'état reli-
(1) Ergo pcrfeclio religionis requiril continentiam. Sum, 2» 2,
q, CLXXXVI, art. k.
L^_
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124 SAINTE MARTHE
gieux. Si nous réservons pour la fin de cette his-
toire, (au moment où Marthe fut reçue dans le eiel
par son hôte bien-aimé, nous aurons à faire res-
sortir les traits saillants de sa noble physionomie
et le caractère spécial de sa vocation dans TÉglise);
si nous réservons de célébrer les grandeurs et les
charmes de la virginité, nous ne pouvons cepen-
dant, puisque Jésus nous révèle ici la divine vo-
cation des vierges, et puisque Marthe répond à
la parole du Maître, à l'appel du Sacré-Cœur, par
Tamour de cette angélique vertu, par le vœu de ce
saintétat, nous ne pouvons nous empêcher d'écou-
ter un instant le concert des Pères et des doc-
teurs, célébrant dans l'Eglise le panégyrique ,
VEncomium de la virginité.
Qui le premier, après le Christ, qui le premier
nous dira les mérites ou plutôt nous chantera les
louanges de la virginité ? C'est saint Paul ; nous
l'avons entendu, qui d'un mot nous dit sa sain-
teté : et la vierge médite les choses du Seigneur,
afin qu'elle soit sainte de corps et d'esprit : Et
virgo cogitât qua Domini sunt, ut sit sancta
corpore et spiritu. Elle est sainte de corps par la
chasteté, elle est sainte d'esprit par sa familiarité
avec Dieu et son union avec l'Esprit-Saint qui
habite en elle (1). La virginité, c'est une émînente
vertu, puisque c'est un amour de sainteté qui se
(1) Virgo corpore sancta est propter castitatem ; spirita autem
sancta est propter familiarilatem eu m Deo et Spiritûs sancti
Inhabitationem. OEcum. ap. Corn, a Lap. in 1, Gor. VII.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 125
consacre à Dieu, qui cherche à lui plaire en imi-
tant sa pureté pour refléter sa beauté. La virgi-
nité, c'est un héroïsme, puisque c'est la lutte
contre la chair, la victoire sur la concupiscence,
le sublime effort de la charité, le vœu, Timmo-
lation, la religion de la continence parfaite. C'est
la vertu qui vient de Dieu, dit saint Fulgence,
puisque vierge prend son nom de vertu (i). La
vÎFginité, dit saint Jérôme, c'est la blanche hostie
du Christ (2). C'est la fleur des jardins de l'Église,
dît saint Cyprien, l'éclat et l'ornement de la grâce
spirituelle, le joyeux caractère de la louange et
de l'honneur, l'œuvre d'intégrité et d'incorrup-
tion, l'image de Dieu répondant à la sainteté du
Seigneur, la plus illustre portion du troupeau du
Christ ; c'est par elle, en elle, que, joyeusement et
largement, fleurit la glorieuse fécondité de l'Église
mère (3). Écoutons maintenant saint Ambroise,
que l'on pourrait appeler le docteur lumineux de
la virginité, le panégyriste des vierges : — Les
lys du Christ sont spécialement les vierges sacrées,
dont la virginité resplendit d'un éclat sans tache ;
(1) A Deo virginitas virtus est, ut a virtute norDcn acceperit
Tirgo. S. Pulgent. Epist. lib. III, 4.
(2) Virginitas hostia Chrisli 6.4. S. Hier, conir. Jovin.
(3) Pk)6 est ille ecclcslastici germinis, decus atqiie ornamen-
tomgratiae spiritualis, laeta indoles laudis et honoris, opns inte-
gram atque iaeorruptum, Dei imago respondens ad sanctimo-
niam Domini, illustrior portio gregis Ctiristi ; gaudet pcr illas
atqoe in illis largiter, floret Ecclesiae malris gloriosa Fecunditas.
S. Cypr., lib. de bab. virg.
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126 SAINTE MARTHE
c'est un palais royal, c'est un sanctuaire que la
vierge, qui n'est point soumise à l'homme mais
à Dieu seul, la virginité est allée prendre au ciel
ce qu'on imite sur la terre. Ce n'est point sans
raison qu'elle a cherché une habitude de vie dans
le ciel, elle qui dans le ciel s'est trouvé un époux.
C'est elle qui, montant au-dessus des nuées, des
airs, des astres, des anges même, a trouvé le
Verbe dans le sein même du Père, et, l'attirant à
elle, l'a absorbé dans son cœur. Mais comment
dire la gloire de la virginité, qui a mérité d'être
choisie par le Christ pour être le temple corporel
de Dieu, dans lequel a corporellement habité
la plénitude de la divinité (1) ? Écoutons enfin
saint Athanase, le grand docteur de la divinité
du Christ, parlant magnifiquement à sa sœur de
la glorieuse virginité : — Grande vertu que la
continence ; grande gloire que la chasteté ; gran-
des louanges de la virginité I 0 virginité, trésor
inépuisable I ô virginité, couronne immarcessiblel
6 virginité, temple de Dieu et habitacle de l'Es-
prit-Saintl ô virginité^ perle précieuse cachée
pour le grand nombre, -trouvée par le petit nom-
bre I 0 continence, amie de Dieu et célébrée par
(1) Hœc nubes, aéra, angelos sideraque trans^rediens^ verbum
Dei ia ipso sinu Patris invenit et loto hausit peclore. Quid
loquor quanta ait virginitatis gloria qusB meruit a Gbristo eligi
ut esset etiam corporale Dei templam in quo corporaliter ioha-
bitavit plenitudo divinitalis. S. Ambr.»lib. de Inslit. virg. lib.
de Virg., etc.
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SA VIE, SON fflSTOIRE ET SON CULTE. 127
les saints I ô continence, odieuse au grand nom-
bre qui ne peut te pratiquer, aimée de ceux qui
sont dignes de toi I 6 continence, qui échappe à
la mort et à Tenfer et qui jouit de Timmortalité I
ô continence, joie des prophètes et gloire des
apôtres I ô continence, vie des anges et couronne
des hommes saints 1 heureux qui te possède I
heureux qui persiste à te porter et te défendre,
parce qu'après de "courtes fatigues il se réjouira
beaucoup en toi I Heureux qui pendant tout le
temps aura jeûné des plaisirs f^e la chair, parce
qull habitera dans la céleste Jérusalem, avec les
anges ; il se mêlera aux danses sacrées ; avec les
prophètes et les apôtres il se reposera I C'est pour
toi que j'écris ces choses, sœur bien-aimée, parce
qu'avec le Christ tu conduis le chœur des danses
virginales (i), afin de fortifier ton âme et de l'ex-
citer dans la pratique de l'angélique vertu (2).
Admirables sont les prérogatives de la virgi-
nité. De même que dans le ciel les vierges sont
revêtues d'une auréole de lumière spéciale, chan-
tent un cantique que nul autre ne peut chanter,
tandis que les vierges suivent l'Agneau partout oix
il va et l'entourent de leurs danses harmonieuses,
de même sur la terre les vierges sont la cour vi-
sible de Jésus, pendant que les anges sont la cour
(è) 8. AthaiMwe, llb. de Vir^., traité plein de poésie et de
flamme. U est raogé parmi les œuvres d'une authenticité dou-
teuse attribuées à saint Atlianase.
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128 SAINTE MARTHE
invisible au divin sacrement de l'autel. Les vier-
ges, ces anges de la terre, environnent le Fils de
la Vierge des mêmes assicjuités, des mêmes hom-
mages, des mêmes ardeurs et du même amour
que ces purs esprits. Quelle est Texcellence de
cet état surhumain ? La virginité Tenaporte au-
tant sur le mariage que le ciel l'emporte sur la
terre, que les anges sont au-dQ^sus des hommes (1).
L'intégrité virginale est le partage des anges ; dans
une chair corruptible, c'est le trésor d'une incôr-
ruption perpétuelle (2). Aussitôt que le Fils de
Dieu est descendu sur la terre, il s'est constitué
une famille nouvelle, afin que celui qui était
adoré par les anges dans le ciel eût des anges
sur la terre (3). Les vierges offrent sans cesse à
Dieu, en union avec leur divin époux Jésus-Christ,
le suave holocauste d'une chair mortifiée par la
continence, exhalant le parfum virginal de l'in-
tégrité. Saint Ignace, martyr, les appelle des prê-
tres du Christ (4) : Est odor fiilii mei sicut odor
agri pleni cui lenedixit Dominus (5), fragrance
des parfums exhalés des jardins fermés, aux souf-
fles pénétrants de l'aquilon et de l'auster; fleurs
(1) VirgÎQitas tanto nuptiis prdestat, quaato cœlum terra,
quanto hominibusangeliantecellunl. S. Chrys lib. de Virg. XI.
(2) S. Aug.lib. de sanclâ virg. XIII.
(3) Slatim ut Piliaa Dei ingressus est super terram, novam
sibi familiam instituit, ut qui ab angelis adorabatur in cœlo
haberet angelos in terris. S. Hier. Epist. 22 ad Eustoch.
(4) Ad Taps.
(5) Gen. XXVII, 27. .
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SA TIE, SON HISTOIRE ET SON GULTB. 120
des cbamps, lys des vallées arrosées par les eaiix
courantes des fontaines scellées (1) : toute la di-
vine poésie des livres saints effeuillée à pleines
mains, exhalée en encens pour célébrer la beauté
des vierçes et Tamour de Jésus pour la vir-
ginité I...
Jésus, le Verbe fait chair, Jésus le divin Agneau
qui paît parmi les lys (2), Jésus qui a choisi pour
mère une vierge, qui a choisi pour confident un
disciple vierge, qui a voulu habiter à Nazareth
parmi les vierges Marie et Joseph, qui se reposait
à Béthanie avec les vierges Marthe et Lazare^
Jésus- aime les vierges d*un amour de choix et de
prédilection, d'un amour d'époux, d'un amour
tendre etfort^ généreux et jaloux. Jésus aime les
vierges comme la milice céleste que l'armée des
anges, chantant sur le berceau de leur jeune roi,
promettait à la terre (3). Les vierges sont la portion
la plus noble de l'Église, sa gloire et sa fleur, son
ornement et son honneur. Selon la parole de la
divine Sagesse, nul trésor n'est comparable à
l'âme continente (4). L'Église, épouse et reine,
rÉglise vierge et mère, l'Eglise se pare des vierges
et des continents comme de perles éclatantes qui
(I) CaDt. passim.
(«) Gant II, 16.
(3) Hso est militia illa oœlestia quam laudantium eiercitui
aogelonim promittebat in terris. S. Ambr. lib. I de virg.
(4) Ecd. XXVI, 20.
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130 SAINTE MARTHE .
lui font un collier incomparable (1). Elle peut
chanter le cantique de naïve exaltation de la
vierge Agnès : Il a mis à ma droite un bracelet, à
mon cou un collier de perles précieuses; il a sus-
pendu à mes oreilles des perles inestimables, et
et il m*a embrassée d'une ceinture de pierreries
vives et éclatantes ; il m'a revêtue du vêtement
de salut ; il m'a enveloppée du manteau de joie,
et, comme une épouse, il m'a décorée d'une cou-
ronne (2). Les vierges ont cette gloire de décorer
et d'illustrer la véritable Église. Non-seulement
la virginité donne à l'Église sa gloire et sa fécon^
dite, mais elle lui donne son caractère incom-
muniable d'unique et véritable épouse de Jésus-
Ghrist ; elle la distingue^ la démontre et la cou-
ronne au milieu des infidèles et des hérétiques.
Nous pouvons dire hautement de nos jours ce
que saint Athanase disait à l'empereur Constance :
Nulle part ailleurs le saint et céleste commande-
ment de l'éternelle virginité, pour les âmes appe-
lées, n'est pleinement accompli, si ce n'est chez les
chrétiens catholiques (3). Enfin, comme suprême
louange, disons que la virginité nous représente
admirablement l'adorable Trinité. Prima Trias
(1) Virginibus et continentibos quasi gemmis pulcherrimis
Ecdesia monile decoratur. S. Hier, contr. Jdvig., lib. 2.
(2) Brev. Rom. offlo. S. Agnet. XXI, Januar.
(3) Nusquam alibi saactum illud et cœleste stern» virgioi-
tatis mandatum pleniter adimpletur nisi duntaxat apud chtii-
tianos (catholicos), S. Alhan. Apol. ad Const. Imp.
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SA yJEj SON HISTOIRE ET SON CULTE. 131
virgo est, dit saint Grégoire de Nazianze, docteur
et poète (1). La première vierge est la Trinité.
La virginité nous élève en effet comme naturelle-
ment dans la lumière et dans la splendeur de la
gloire en nous rapprochant de la sainteté divine ;
car elle nous donne la faculté de nous approcher
sans obstacle du Seigneur pour le prier, pour le
contempler, pour le servir (2). Les chastes sont
appelés parèdres, c'est-à-dire les familiers et
comme les assesseurs de Dieu ; ils sont comme
les anges de la terre, qui toujours, à cause de
leur chasteté, voient la face du Père (3).
Mais pour terminer et pour conclure, admirons
comme Tincorruption rapproche de Dieu, unit à
Weu les vierges et les continents. Incorruptio
factt esse proximum Deo (4). La virginité possède
un charme qui triomphe de Dieu. Vaincu par elle.
Dieu descend, Tembrasse et Télève jusqu'à lui
pour en faire sa sœur, sa compagne^ son épouse.
Vulnerasti cor meum... Tu as blessé mon cœur,
ô ma sœur, mon épouse, tu as blessé mon cœur
par un regard de tes yeux, par une boucle de tes
cheveux (5). Tout le cantique des cantiques est le
prophétique et divin poème des amours pures de
(1) s. Greg. Naz. in cann. de virgin.
(2) I Cor. VIII, 35. Dominum observandi, Domino obier
rriendi, portent d'autres versioDa.
(3) Gom. a Lap. in I Cor. VII.
(4) Stp. VI, 26.
(5) Cant IV, 9.
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132 SAINTE MABTHE
Jésus et de la virginité, l'épithalame ravissant du
Verbe fait chair avec la nature humaine, sous les
traits, le visage et le nom de la Vierge immaculée.
Nous devons insister sur ce doux et profond
mystère qui fait des vierges les épouses du Christ,
qui leur prépare des noces royales, leur donne
une fécondité prodigieuse et les associe à la ma-
ternité divine de Marie en leur communiquant
son admirable privilège de vierge -mère. Nous
allons chanter avec la douce Agnès, avec la vierge
enfant, avec la ravissante martyre, la patricienne
de treize ans : J'aime le Christ qui m'admet à son
union, lui, dont la mère est vierge, dont le père
n'a point d'épouse, dont tous les instruments de
musique chantent pour moi de leurs voix modu-
lées. Si je l'aime, je suis chaste ; si je le touche,
je suis pure ; si je le prends pour époux, je suis
vierge. C'est à lui que je suis fiancée, à lui que
servent les anges, dont le soleil et la lune admi-
rent la beauté ; à lui seul je garde ma foi : à lui
je me confie avec un dévouement absolu (1).
• Nous tenons de saint Paul la révélation de ce
mystère. Amulor vos Dei amulatione ; exhibai
enim vos uni viro virginem castam exhibere
Christo (2). Je vous aime de l'amour jaloux de
Dieu, car je vous ai unis à un seul époux en vous
apprenant à vous donner au Christ comme une
vierge chaste. Moi, comme un paranymphe de
(1) Resp. offlc S. Agnetis, etc.
(2) II Cor. XI, 2.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 133
noces spirituelle par ma prédication, je vous ai
mariée à un seul homme, à savoir le Christ, et en
vous mariant, je vous ai persuadé de vous pré-
senter au Christ comme une épouse vierge (1).
Sans doute Tobjet direct et comme présent de la
tendresse paternelle et apostolique de saint Paul,
c'est l'église de Corinthe ; mais dans cette église
il pense surtout aux vierges, à qui, dans sa pre-
mière épître il avait enseigné les grandeurs et les
mérites de la virginité. Sans doute, en mesurant
toute l'ampleur de la pensée du grand apôtre,
cette belle parole peut s'entendre de TEglise toute
entière, mystique épouse de Jésus, depuis les
noces royales de l'incarnation, et dès-lors cette
parole peut s'appliquer à tout Adèle qui voue à
Jésus la virginité de son âme par une foi entière,
une espérance solide, une sincère charité (2).
Mais c'est aux vierges surtout, aux vierges d'état
et de profession, que cette parole s'applique, l'on
peut dire, dans toute sa force, sa délicatesse et sa
beauté.
La virginité prépare les éléments purs et choi-
sis de cette union qui s'accomplit par la charité.
Nous l'avons dit, la plus belle forme, la plus gé-
néreuse et la plus noble fiancée qui se présente
pour l'union de la charité, c'est la virginité : la
virginité qui se donne, qui se voue et se consacre
(i) Corn, a Lap. in II Cor. XI.
(2) Virginitas mentis est intégra Qdes, solida spes, sincera
eharitas. S. Ang. in Joan. Tract. XIII.
8
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134 SAtNTE MARTHE
sans retour, sans réserve, sans mesure à Jésus le
divin amant des âmes, le royal époux des vierges.
Une telle conformité, dit le doux et profond com-
mentateur du cantique des cantiques, saint Ber-
nard, une telle conformité que. la pureté des
vierges établit avec le Verbe , marie Tâme avec
le Verbe, lorsque à celui auquel elle est sem-
blable par nature, elle se fait encore semblable
par volonté, en aimant comme elle est aimée.
Si donc elle aime parfaitement, les noces sont
accomplies. Quoi de plus heureux que cette con-
formité ? quoi de plus désirable que la charité ?
C'est vraiment ici le contrat d'un mariage saint et
spirituel. C'est peu dire un contrat , c'est un
embrassement ; un embrassement, en effet, là
où vouloir , ne pas vouloir la même chose fait
de deux un même esprit. Et il n'est pas à crain-
dre que la disparité des personnes fasse clo-
cher la convenance des volontés ; car l'amour
ne connaît pas les égards, l'amour déborde en lui-
même, l'amour, où il paraît, ramène à soi et cap-
tive tous les autres sentiments : il ne voit que ce
qu'il aime, et il ne connaît pas autre chose. C'est
l'époux et l'épouse ; quelle autre union ou con-
nexion cherchez-vous entre époux, si non aimer
et être aimé ?.. Mais quoi, peut-il y avoir une
aussi intime union entre l'âme et le verbe, entre
. la virginité et la personne du Christ, dès-lors
qu'il n'y a pas de proportion ni d'égalité? Saint
Bernard répond admirablement et délicieusement :
Non, sans doute, avec une pareille abondance cou-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 135
lent ramant et l'amour, Tâme et le verbe, réponse
et répoux, le créateur et la créature, pas plus que
la lèvre altérée et la source. Quoi donc, pour cela
se perdront tout à fait et seront vains, le vœu de
la fiancée, le désir du cœur qui soupire, l'ardeur
du cœur qui aime, la confiance de Tâme trop pré-
somptueuse peut-être, parce qu'elle ne peut cou-
rir aussi vite que le géant, lutter de douceur avec
le miel, dé mansuétude avec l'agneau, de blan-
cheur avec le lys, d'éclat avec le soleil, de cha-
rité avec celui qui est charité ? Oh ! non, car
si la créature aime moins, parce qu'elle est moin-
dre, cependant si elle aime de tout elle-même, il
ne manque rien, là où est tout : c'est pourquoi
j'ai dit : aimer ainsi, c'est l'union conjugale, à
moins qu'on doute que l'âme est d'abord et plus
aimée par le verbe. Certes elle est prévenue par
son amour et subjuguée par la charité. Heureuse
rame qui a mérité d'être prévenue dans une si
abondante bénédiction de douceur (1).
Heureuses vierges ainsi prévenues par la voix
de Jésus, que vous avez entendue comme Marthe
dans l'Evangile. Prévenues dès l'enfance, dès le
berceau, peut-être, par la divine et mystérieuse
influence d'une mère chrétienne, par le choix de
la grâce, par le doux et pénétrant regard de Jésus,
qui vous a fait un signe, qui vous a dit un mot :
Viens^ suis-moi. Dès les premiers épanouisse-
(1) s. Bera. in caot. serm. XXXVIII.
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136 SAINTE MARTHE
ments de la raison et du cœur, vous l'avez pres-
senti, vous l'avez entrevu, vous l'avez entendu,
ce doux ami , comme Tépoux du cantique : Le
voici qui vient, bondissant sur les montagnes,
franchissant les collines, semblable au chevreuil,
léger comme le faon de la biche. Le voilà qui
s'arrête derrière le mur d'enclos du jardin pater-
nel, regardant par les fenêtres, cherchant à voir
par le treillis. Le voilà qui parle et qui dit : Lève-
toi en hâte, mon amie, ma colombe, ma belle , et
viens (1)... Heureuses les âmes qui ont entendu,
qui ont compris, qui ont répondu, comme Marthe,
dès l'enfance prévenue, dès l'adolescence en
fleur, dès l'aurore trempée de rosée et de lumière,
aussitôt que la voix du céleste fiancé s'est fait
entendre et que les austères et virginales préve-
nances -de la grâce sont venues frapper au cœur.
Aussitôt que dans la pleine lumière de la raison
éclairée par la foi, avec le plein consentement
d'une volonté sollicitée par la grâce, mais libre et
souveraine dans sa détermination, aussitôt que
l'union divine est contractée, Jésus élève, Jésus
glorifie et couronne l'âme vierge qui s'est donnée
à lui. Il faut bien, en effet, que l'époux commu-
nique à l'épouse ses biens avec son amour, sa
condition avec son nom. — Reine, elle s'est
assise à votre droite, ô Jésus, avec un vêtement
tissu d'or et de diverses couleurs. Ainsi celle qui.
(1) Gant. Il, 8-10.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 137
dans le monde, dans cette vie mortelle, était vêtue
de vêtements en lambeaux et d'habits grossiers,
comme étant de condition servile, elle est reine
dans rintimité de gloire et d'honneur de Jésus.
Dans le royaume des cieux, qui nous ouvre ici-
bas ses frontières pacifiques , on la voit noble reine
couronnée auprès de son royal époux. Qu'elle
méprise donc tout ce qui paraît aux yeux, et que
son esprit, dégagé des sens, se rassasie de l'a-
mour de son époux, qu'elle fasse de toutes ses
puissances autant de servantes de son propre
époux. Car rien d'adultère ne doit souiller la
pureté de la vierge ; ni dans la langue, ni dans
les oreilles, ni dans les yeux, ni dans aucun autre
de ses sens, ni même dans aucune de ses pensées ;
mais elle doit tenir son corps comme un temple
ou comme un sanctuaire nuptial préparé pour son
époux (1). Aussi quelle joie et quelle reconnais-
sance dans les âmes élevées de la poussière et
de la servitude pour être placées parmi les roya-
les épouses du souverain Roi 1 D'où te vient cela,
6 âme humaine ? D'où te vient cela ? D'où te vient
une gloire si inestimable, que tu mérites d'être
l'épouse de celui que les anges désirent contem-
(I) Coatemoat îgHur quidquid oculis apparet^ et nudâ mente
anore sponsi satietur, totas vires suas pioprii sponsi ancillas
îàcienn ; et in nnllà parte, oportet virginem adoiteram esse :
000 liDguâ, non auribus^ non oculo, non alio omnino sensu, imo
Deque cogitatione, scd corpus quidem velut templum quoddam
•ot thalamuro sponsi babeat prsBparatum. — S. Basil. Lib. de
vert virg.
8.
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138 SAINTE MARTHE
pler ? D'où te vient qu'il soit ton époux, celui dont
le soleil et la lune admirent la beauté, qui peut
d'un signe changer toutes choses ? Que rendras-tu
au Seigneur pour tous les biens dpnt il t'a com-
blée en faisant de toi la compagne de sa table, la
compagne de son trône, son épouse, en sorte que
le roi t'introduise dans le secret de sa chambre
nuptiale? Vois de quelles étreintes d'amour obsé-
quieux tu dois l'aimer et l'embrasser, celui qui
t'a estimée un si grand prix, qui t'a honorée de
tant d'amour 1 Abandonne les affections charnel-
les, désapprends les mœurs du siècle, oublie les
habitudes mauvaises. Y penses-tu,en effet? Est-ce
que l'ange du Seigneur n'est pas debout auprès
de toi, prêt à te frapper de son glaive de flammes
si (Dieu t'en préserve) tu en aimais un autre
que lui?... Maintenant, en effet, tu es son épou-
sée ; maintenant se célèbre le repas matutinal des
noces, car le repas du soir se prépare dans le ciel.
Mais là le vin ne manquera pas, car. là nous se-
rons enivrés dans l'abondance de la maison de
Dieu, et nous boirons au torrent de ses voluptés.
C'est assurément pour ces noces qu'est préparé
un fleuve de vin, de ce vin qui réjouit Je cœur des
Vierges. Car le courant du fleuve réjouit la cité
de Dieu (1).
Divines allégressçs 1 purs enivrements de cette
union virginale ! Mais il faut que l'union soit
(1) s. Bern. Serai. II. Dom. Ij post Ëpiph.
^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 139
complète, définitive, permanente, union deux fois
sacrée et par les vœux échangés et par la ratifica-
tion solennelle de l'Église. Ecoutons S. Jérôme
à la vierge Eustochium : Ecoute, ma fille, et vois,
et incline ton oreille, et oublie ton peuple et la
maison de ton père, et le roi sera pris d'amour
pour ta beauté. 11 ne te suffit pas de sortir de ta
terre, si tu n'oublies aussi ton père et la maison
de ton père, afin qu'en méprisant la chair tu
puisses t'unir aux embrassements de l'époux
'céleste. Tu diras : Je suis sortie de la maison de
mon enfance ; j'ai oublié la maison de mon père ;
je renais dans le Christ. Quelle récompense vais-
je recevoir pour cela ? Vois la suite : et le roi sera
pris d'amour pour ta beauté. Il est donc grand ce
sacrement. C'est pourquoi l'homme quittera son
père et sa mère, et s'attachera à son épouse, et
ils seront deux, non comme ici en une chair,
mais dans un même esprit. Toi donc, après avoir
rejeté le fardeau du siècle, assieds-toi aux pieds
du Seigneur, et dis : J'ai trouvé le choisi et le
bien-aimé de mon âme, je le tiens et je ne me
séparerai plus de lui. Et il te répondra : Unique
est ma colombe, unique est ma toute belle. Reste
toujours dans le secret de son sanctuaire nuptial.
Reste à l'intérieur pour recevoir les divines cares-
ses de ton époux. Tu pries : tu parles à ton époux.
Tu lis : c'est lui qui te parle, et lorsque le som-
meil fermera ta paupière, il viendra derrière la
muraille, il regardera par la fenêtre, et aussitôt
réveillée tu diras : Je suis blessée d'amour, et de
dby Google
140 SAINTE MARTHB
nouveau tu Tentendras dire : c'est un jardin fermé
que ma sœur et mon épouse(l).— Qui nous dira les
douceurs de cette union, les flammes de cette
charité, les élans de cet amour, les impatiences
de sortir du corps et de s'envoler de la terre,
cupio dissolvif Large et dévorant, soupir qui sou-
lève et bientôt brise les liens de la chair, afin que
l'épouse puisse voir sans voile, embrasser sans
obstacle, posséder sans crainte, aimer, louer,
chanter sans fin, l'immortel et glorieux époux.
Qui nous dirait aussi la fécondité de cette union,
la perfection de vie de cette ressemblance effec-
tive et de cette conformité mutuelle de Jésus
et déjà virginité ? Qui nous dirait les torrents de
grâces qui découlent, les innombrables œuvres
de miséricorde qui sortent comme de chastes
générations de cette union du Verbe fait chair avec
la virginité? C'est Marthe qui nous le dira plus
tard, Marthe, dans sa vie active de Béthanie, dans
sa vie recluse de Tarascon. Marthe, le premier
exemplaire de la vie religieuse' et la vaillante
patronne de toutes les générations de ministères et
de dévouements sortis de la fécondité virginale,
de ce premier conseil évangélique. Assez donc
sur cette attrayante vertu de virginité, l'objet du
premier vœu de religion. Nous avons à considérer
les deux autres, en écoutant, avec Marthe attentive
et résolue, la suite des enseignements réservés du
divin Maître.
(1) s. Hieron. ad Eusloch.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 141
Pour atteindre la perfection, ou du moins pour
y tendre sans empêchement et pour y arriver
sans obstacle, il faut combattre la seconde concu-
piscence, concupiscentia oculorum, la concupis-
cence des yeux ; disons mieux, il faut Tarracher
du cœur par le yœu de pauvreté. La pauvreté,
voilà ie second conseil évangélique, le second
moyen de s'affranchir, de se dominer et de se
dévouer, que Jésus indique aux âmes délicates et
généreuses. Jésus, après avoir révélé la grandeur,
le mérite et les charmes de la continence volon-
taire, après avoir délicatement indiqué ses préfé-
rences pour la contîneùce qui renoncerait aux
plaisirs de la chair pour le royaume des deux,
Jésus venait dlmposer les mains aux enfants. Les
embrassant avec tendresse, il venait de déclarer
que le royaume djes cieux appartient à ceux qui
leur ressemblent, indiquant ainsi que les pre-
mières places en son royaume seraient pour les
continents et les enfants, les préférences de son
Sacré-Cœur pour l'innocence et la virginité. Alors
un jeune homme s'avança vers lui, et, fléchissant
le genou, lui dît : Bon Maître, que ferai-je de
bien pour avoir la vie éternelle ? Et il lui dit :
Pourquoi m'interroges -tu sur le bien (ou plutôt
pourquoi m'appelles-tu bon ?) Un seul est bon :
Dieuj et si tu m'appelles bon, crois que je suis
Dieu, car nul par soi-même n'est bon que Dieu (1).
(1) Si roe vocas bonum, credo me esse Deum : nemo cnim
per fo bonus, nisi Deus. Corn, a Lap. in Malb. XIX.
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142 SAINTE MARTHE
Or, si tu veux l'avancer vers la vie, garde les
commandements. Et le jeune homme lui dit :
Lesquels ? Et Jésus dit : Tu ne feras pas d'homi-
cide, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne feras
pas de vol, tu ne rendras pas de faux témoigna-
ges ; honore ton père et ta mère, et tu aimeras
ton prochain comme toi-même. Le jeune homme
lui dit : J'ai gardé tout cela dès ma jeunesse ; que
me nianque-t-il encore ? Alors Jésus le regar-
dant d'un air de suave tendresse, et lui donnant
une marque extérieure de son amour (1), il lui
dit : Il ne te manque qu'une chose ; si tu veux
être parfait, vas^ vends ce que tu as et donne-le
aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, et
viens, suis-moi (2).
Voilà dans cette scène touchante et dans cette
adorable effusion de la dilection du Sacré-Cœur^
voilà l'humble et puissante charte de la divine
pauvreté. Mais pour le royal dépouillement de
toutes choses, comme pour la virginale immola-
tion de la chair, non omnes capiunt, tous ne com-
prennent pas ; et même, ô misère, tous ceux qui
sont appelés directement, ceux que Jésus regarde
de ce doux et pénétrant regard de l'âme, ceux que
Jésus appelle en les caressant de la main, du
(1) Jésus autem intuitus eum : vultu suavi, benigno et i)lando
dilexH eum, justa signa dilcclionis illi ostendil ; Y. G. rnsmam
cjus apprebendens, illi auniciens et arridens, illum ainplexans
et exosculans. Corn, a Lap. in Marc. X.
(2) Math. XIX, Marc. X.
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îîA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 143
sourire et des lèvres, comme le jeune homme de
l'Évangile, ceux-là ne répondent pas toujours aux
prévenances de la grâce, aux attraits intérieurs
d'une vocation de choix.* Ils s'en vont attristés
parce qu'ils sont riches des biens de ce monde,
ou possédés de désirs et de convoitises, et trop
pauvres, hélas I de volonté, de généreux amour :
Qui contristatus in verbo abiit mœrens : erat enim
habens multaspossessiones. Or Jésus, affligé de
voir ses grâces méprisées et ses avances inutiles,
promène autour de lui son regard compatissant
et attristé, et, poussant un soupir : Qu'il est diffi-
cile, dit-il à ses disciples, qu'il est difficile pour
le riche d'entrer dans le royaume des cieux (1) I
Mais Marthe était là pour consoler le cœur du
divin Maître, Marthe, au cœur généreux, qui
donnait de ses biens avec tant d'affection au Fils
de Marie, au doux ami de Nazareth. Marthe est
maintenant préparée à tout quitter pour suivre le
Maître, à tout sacrifier pour l'amour de son Sau-
veur, à se dépouiller de tout pour vêtir, nourrir,
servir l'humanité de Jésus. Pour suivre le Maître,
en effet, pour le suivre partout oîi il va, jusque
dans les sentiers étroits et rudes, jusque sur les
sommets abruptes et solitaires, il ne faut point
d'attaches, il ne faut point de fardeaux, il ne faut
point d'impedimenta, de bagages inutiles ; Chris-
tum nudurn nudus sequere : il faut suivre nu le.
(I) Marc. X, ^2-23.
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144 SAINTE MARTHE
Christ nu (1). Parmi les justes, les généreux, les
élus, qui se ceignent les reins pour atteindre le
comble de la perfection , pendant qu'à Tintérieur
ils aspirent aux plus hautes cimes, ils quittent
tout à l'extérieur (2). La pauvreté volontaire, dit
saint Thomas, est le premier fondement pour ac-
quérir la perfection de la charité ; en sorte que
rhomme vive sans rien qui lui soit propre, qu'il
vive tout entier de Dieu, de sa volonté, de son
amour (3). A mesure que la charité se nourrit,
dit saint Augustin, la cupidité diminue ; aussitôt
qu'elle est parfaite, il n'y a plus de cupidité (4).
En effet. Seigneur, il vous aime peu celui qui
aime avec vous quelque chose qu'il n'aime pas
pour vous (5).
Humble et forte parole de Jésus, plus péné-
trante . qu'un -glaive h deux tranchants qui s'en-
fonce jusqu'aux moelles, qui divise et sépare pour
faire l'unité de vie, l'unité de flamme et de cha-
rité I Parole de conseil et d'initiation qui a fait
(1) s. Hier, epist. ad Rustic. monach.
(2) SuDt nonnulli justorum qui ad comprehendum culmen
perfectionis accincti, dum altiora interius appetuDt, exterias
cuncta derelinquunt. S. Greg. moral. VIII, 15.
(3) Âd perfectionem cbaritatis acquirendam primum funda-
menlum est volunlaria pauperlas, ut aliquis absque proprio
vivat. Suin. 2o, 2" quœst. CLXXXVI, art. 5.
. (4) Nutrimeatum cbaritatis est diminutio cupiditatis : per-
fectio nulla cupiditas. S. Aug. quaest. lib. 83, quadêi. 36.
(5) Minus te amat qui tecum allquid amat quod non propter
te amat. S. Aug. confea. X, 29.
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SA tiB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 145
des prodiges, qui a peuplé les déserts et les cloî-
tres, qui a fondé les œuvres de miséricorde, ins-
titué les milices du dévouement pour les pauvres
et les misérables I — Ce sont là les paroles qui,
dans tout le monde, ont persuadé le mépris du
monde et aux hommes la pauvreté volontaire,
les paroles qui remplissent les cloîtres de moines
et les déserts d'anachorètes ; ce sont là, disons-
nous, les paroles qui dépouillent l'Egypte et en-
lèvent ses meilleurs ustensiles ; c'est là le dis-
cours vif et efficace convertissant les âmes par la
fidèle émulation de 'sainteté et par la fidèle pro-
messe de vérité. En effet, Simon Pierre dit à
Jésus : Voici que nous avons tout quitté (1). Mar-
the, sa tendre amie, avant Pierre l'ardent apôtre,
avait dit à Jésus : Ecce nos reliqiiimus omnia.
Voici, Maître, voici que mon frère et moi nous
avons tout quitté pour vous suivre, et nous met-
tons à vos pieds tout ce que nous possédons.
Ainsi passent devant Jésus, ou plutôt ainsi vien-
nent à Jésus toutes les âmes généreuses, aiman-
tes et dévouées, de tous les siècles et de tous les
pays, de toutes les conditions et de tous les états.
Elles ont entendu, elles ont compris et elles vien-
nent à Jésus, dépouillées, libres, affranchies, pour
mieux le suivre et le mieux servir ; elles viennent
le saluer de cette ardente et joyeuse parole : Ecce
nos reliquimus omnia. Après Marthe, les Cécile,
(1) s. Bera. in declam. sub initium apud Corn, a Lap. in Math.
XIX.
9
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146 SAINTE MARTHE
les Claire, les Thérèse ; après Lazare, les Aatoine,
les Benoît, les François. De génération en généra-
tion, de siècle en siècle, la sainte et divine pau-
vreté, sortie du cœur de Thomme-Dieu, appelle,
entraîne et ravit les vrais disciples de Jésus, les
vrais amis, les généreux amants de la perfection
chrétienne.
Ainsi parlait S. Jérôme aux vierges romaines,
aux généreuses chrétiennes qu'il guidait dans les
voies de la perfection. Ainsi, disait-il entr'autres
à Hédibia : Veux-tu être parfaite et te fixer au plus
haut sommet de la dignité ? Fais ce que firent les
apôtres ; vends ce que tu as et donne-le aux pau-
vres, et suis le Sauveur, et tu suivras la croix seule
et nue par la vertu toute nue (1). Ainsi disait-il à
la vierge Démétriade : C'est arriver au faîte apos-
tolique et à la parfaite vertu que de vendre tout
et le distribuer aux pauvres, et ainsi libre et dé-
' gagé, s'envoler avec le Christ vers les choses cé-
lestes (2). Admirable vie que la vie de ces âmes
détachées, élevées dans les régions supérieures,
qui vivent et conversent avec Jésus, et qui, moins
elles se mêlent à la créature, moins elles sont
empêchées par l'amour ou la possession des faux
(1) Vis esse perfecta et in primo stare fastigio dignitalis? Pac
quod fecerunt apostoli : vende quae habes et da pauperibus, et
sequere salvatorem et nudam solamque crucem virtute nndâ
sequaris. S. Hier. Epist. 150 ad Hedib.
(2) Apostolici fastigii est perfectaeque virtutis vendere om-
nia et pauperibus distribuera, et sic levem atque expeditum
cum Christo ad cœlestia subvolare. id. in epist. 8 ad Demetr.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 147
biens de ce monde, plus elles s'élèvent et s'épa-
nouissent dans la vie de l'esprit. Admirable vie
que cette vie cachée, dérobée au temps et à la créa-
ture, pour être mieux possédée et absorbée en
Jésus I Admirable vie que cette vie de dénuement
et de sacrifice, où la séparation extérieure produit
l'union intérieure, où l'immolation et la mort pro-
duisent l'ascension dans la vie I II y en a ^ui sont
encore retenus dans le siècle, et qui, cependant,
des biens qu'ils possèdent, donnent des secours
aux indigents, se hâtent de défendre les opprimés ;
ceux-là, du bien qu'ils font, offrent un sacrifice,
car ils immolent à Dieu quelque chose de leur vie
et ils se réservent quelque chose. Mais il y en a
d'autres qui ne se réservent rien ; mais leurs sens,
leur vie, leur langue et tout laotien qu'ils ont
possédé, ils l'immolent au Seigneur tout puissant;
que font ceux-là, sinon offrir un holocauste ?
Bien plus, ils sont eux-mêmes holocauste (1).
Au moment où Jésus formulait cette seconde
condition de la perfection chrétienne, Marthe, et
pour satisfaire son cœur, et pour consoler le Sacré-
Cœur de la défection de ce jeune homme qui ne
sut ^as comprendre les divines richesses de la
pauvreté volontaire, Marthe fit de nouveau don à
Jésus, à ses apôtres, à ses disciples, les premiers
pauvres de l'Eglise^ de tous ses biens, do toutes
ses richesses. Elle fit ce vœu dans son cœur, et,
(1) s. Greg. hom. in Ëzech. XX.
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148 SAINTE MARTHE
le regard du Maître pénétrant les dispositions de
ce cœur de vierge, il daigna l'agréer et le bénir.
Marthe exprima sans doute ce vœu à rextérieur
par quelques signes et quelques paroles, en se
prosternant aux pieds de Jésus, premiers rites de
cette première consécration religieuse ; et le divin
Maître daigna manifester avec quelle joie il accep-
tait ce* don, avec quelles grâces il sanctifiait ce
vœu, et de quelles tendresses exquises il comblait
ce cœur qui se dépouillait pour lui. Marthe, avec
ce cœur résolu, ce caractère ardent que nous lui
connaissons, avec son initiative intelligente des
affaires et son activité, Marthe se mit au service
de Jésus et de ses disciples. Elle conduisait les
saintes femmes à la suite du Maître, elle environ-
nait Marie, loriju'elle suivait son Fils, de préve-
nances affectueuses ; elle préparait et faisait pré-
parer toutes choses pour les repas et les vête-
ments; elle veillait à tous les besoins de Jésus
et de ses disciples. Ainsi nous l'indique TEvan-
gile, ainsi nous la montre la Tradition, ainsi
nous la décrivent les pieuses visions.
« Jésus enseigna en cet endroit (Naïm), on lui
lava les pieds et on lui présenta une réfection. Ils
changèrent d'habits et de chaussures. Jésus avait
avec lui environ douze disciples, mais aucun des
apôtres. Les disciples de Jérusalem étaient venus
de cette ville à Naïm, avec quelques-unes des
saintes femmes ; d'autres avaient célébré la Pen-
tecôte à Nazareth avec Marie, et, en s'en retour-
nant, ils étaient venus attendre Jésus ici. Jésus
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SA. VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 149
entra d'abord dans l'hôtellerie spéciale établie
pour son usage à Naïm. Elle était dans un appar-
tement appartenant à la veuve. Il alla ensuite avec
ses disciples voir la veuve elle-même. Les saintes
femmes ayant leur voile baissé vinrent à sa ren-
contre dans le vestibule de la cour et se proster-
nèrent à ses pieds ; il les salua et se rendit avec
elles dans la grande salle. Il y avait cinq femmes,
outre la veuve : IViarthe, Madeleine, Véronique,
Jeanne Chusa et la Suphanite. Les femmes s'assi-
rent, les jambes croisées sur des coussins et des
tapis qui garnissaient une estrade peu élevée
semblable à un long canapé, elles ne dirent rien
à Jésus jusqu'à ce qu'il leur eût adressé la parole,
et alors chacune parla à son tour. Elles donnèrent
des nouvelles de Jérusalem et d'Hérode, dirent
que le prince avait fait rechercher Jésus ; mais
bientôt Jésus leva le doigt et leur reprocha de
trop se préoccuper des choses de ce monde et de
juger trop facilement leur prochain... Il y eut en-
Mite un repas... Jésus a visité quelques person-
nes et il s'est trouvé avec les saintes femmes dans
la maison de la veuve. Il alla dans le jardin avec
elles et, tout en se promenant, il s'entretint avec
chacune d'elles. Madeleine et la Suphanite ont
perdu depuis longtemps la beauté qui les distin-
guait autrefois ; leur visage est pâle et défait ;
leurs yeux sont rougis par les larmes. Elles ai-
ment le silence et la retraite. Marthe est très-ac-
tîve et traite les affaires émerveille. Jeanne Ghusa
est une grande femme pâle, d'un tempérament
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150 SAINTE MARTHE
robuste, d'un caractère sérieux et énergique. Vé-
ronique a beaucoup de rapports avec sainte Ca-
therine : elle est résolue, franche et courageuse.
Lorsqu'elles sont ainsi réunies, elles causent, tra-
vaillent et préparent pour la communauté toutes
sortes de choses qu'on dépose dans les diffé-
rentes hôtelleries et dans des magasins où les
disciples et les apôtres ,les prennent, soit pour
leur usage, soit pour en faire des aumônes aux
pauvres : quand la communauté a tout ce qu'il
lui faut, elles travaillent aussi pour les syna-
gogues pauvres. Elles ont habituellement avec
elles leurs servantes qui les précèdent et les sui-
vent portant des étoffes soit dans une besace de
cuir semblable à une outre, soit sous leur man-
teau, attachées à leur ceinture. Les servantes por--
tent des vêtements plus étroits et des robes plus
courtes que leurs maîtresses. Quand elles sont à
demeure quelque part, comme à Naïm, par exem-
ple, les servantes les quittent et vont les attendre
dans les hôtelleries qui sont sur le chemin (1).
« Rien n'est touchant comme de voir Jésus
marcher le long des rues, la robe tantôt flottante,
tantôt relevée, sans beaucoup d'action et pourtant
sans aucune raideur. Son allure est calme : il
semble planer plutôt que marcher : il a une sim-
plicité et une majesté que n'ont pas les autres
hommes. Rien dans sa démarche qui ne soit har-
monieux et assuré ; pas un regard, pas un pas,
(i) Vie do N.-S. J.-Ç. V, 160-163.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 151
pas un geste inutile, et pourtant rien d'affecté ou
qui vise en rien à l'effet.
» J'ai vu de nouveau des choses que j'avais ou-
blié de dire dernièrement, lorsque Marie fit un
voyage à Gana et revint ici (Gapharnaum), avec
les autres femmes. Marthe, accompagnée de Su-
zanne, avait visité les hôtelleries de Galilée jus-
qu'à Samarie. Elle en avait comme la surinten-
dance ; les petits districts étaient confiés aux soins
de celles des saintes femmes qui en étaient le
plus voisines. Je les vis se réunir dans certaines
hôtelleries : on apportait sur des ânes des provi-
sions de toute espèce. Je vis une fois avec elles
Marie la Suphanite, ce qui fit dire parmi les gens
de l'endroit, que Marie Madeleine était mainte-
nant avec les femmes qui prenaient soin des gens
attachés au prophète de Nazareth, car Marie la
Suphanite avait une grande ressemblance exté-
rieure avec Madeleine, et elle n'était pas très-
connue de ce côté du Jourdain ; de plus, elle
s'appelait aussi Marie... les saintes femmes veil-
laient à ce qu'on fût pourvu de lits, de couver-
tures, de vêtements de laine, de vases à boire, de
cruches, de baume et d'huile, etc., car, quoique
Jésus eût peu de besoins, il voulait pourtant que
ses disciples ne fussent à charge à personne, et
qu'ils trouvassent partout le nécessaire, afin d'en-
lever tout prétexte aux reproches des phari-
siens (1).
(l)Vie, etc. lll, 286-287.
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152 SAINTE MARTHE
Ces détails intéressants forraent un tableau qui
nous montre les rudiments de la vie religieuse :
la vie commune, le travail, la parole de Dieu
écoutée, la personne de Jésus adorée et servie, et
même une certaine hiérarchie de fonctions et
d'autorité. D'ailleurs ces traits aperçus dans la
vision ne font que préciser et encadrer l'Evangile. —
Et il arriva désormais qu'fe lui-même, le Seigneur
Jésus, passait par les cités et les bourgades , prê-
chant et évangélisant le royaume de Dieu ; et les
douze étaient avec lui ; et aussi quelques fem-
mes qui avaient été guéries d'esprits malins et
d'infirmités, entr'autres Marie, qui est appelée
Madeleine, de laquelle sept démons étaient sortis ;
et Jeanne, femme de Chusa, intendant d'Hérode,
et Suzanne, et plusieurs autres qui le servaient
de leurs biens (1). — Marthe n'est pas nommée ici
parmi les femmes délivrées d'esprits impurs ou
guéries de maladies ; et cela se conçoit, la vierge
de Béthanie, préservée par la grâce, occupait une
place à part dans le cœur du Maître et dans le
plan de son œuvre de rédemption. Mais elle sera
nommée souvent en d'autres pages de l'Evangile :
d'ailleurs, comme intendante de la communauté
Galiléenne, comme directrice du groupe des sain-
tes femmes, on devine sa présence, on ressent son
influence. L'on sait qu'elle offre, qu'elle donne
tout à Jésus ; qu'elle s'est dépouillée de toute af-
(1) Luc. VIII, «-3.
^^, tV
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 153
fectîon, et qu'elle a désormais consacré tous ses
biens pour servir Jésus, pour nourrir son huma-
nité sainte, pour entretenir pieusement son Eglise.
Et le Maître, pour achever la somme de ses
conseils évangéliques, ajoute cette parole si courte
de mots, si large et si profonde de sens. — Viens
et suis-moi. — Et vent sequere me (1). La divine
charité veut faire de l'homme, de tout Thomme,
un sacrifice de suave odeur pour réjouir le cœur
de Dieu. Or, pour qu'il soit un holocauste parfait
et perpétuel, après avoir immolé son corps par la
chasteté, son cœur par la pauvreté, l'homme doit
immoler sa volonté par l'obéissance. Celui qui a
voué au Dieu tout-puissant tout ce qu'il a, tout
ce qu'il vit, tout ce qu'il sent, celui-là est holo-
causte (2). Le vœu d'obéissance est le dernier coup
qui détruit le vieil homme ; c'est la dernière et
suprême immolation, la plus pénible, la plus
méritoire, parce qu'elle nous saisit, nous dépouille
et nous anéantit à la racine de notre être : comme
Jésus, le divin modèle de perfection, qui s'est
anéanti lui-même en prenant la forme d'esclave,
et qui s'est humilié en se faisant obéissant jusqu'à
la mort, et à la mort même de la croix (3).
Suivre Jésus : le suivre par l'abnégation de tou-
(l)Matb.XlX,21.
(2) Cura quis omne quod habct, omne quod vivit, omne quod
sapit, omnipoleDii Dco voverit, bolocaustum est. S. Greg.
8up., Ezech. hom. 20.
(3) Pbilip. 11, 7-8.
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154 SAINTE MARTHE
tes choses, le renoncement à toute créature, le
dépouillement de toute affection, de toute volonté
propre ; le suivre partout et toujours, comme il
en a lui-même posé les conditions et déterminé
la mesure : Si quelqu'un veut venir après moi,
qu'il se renonce soi-même, et qu'il porte sa croix,
et qu'il me suive (1) ; voilà le comble et le terme : le
comble de la perfection chrétienne et le terme de
la vie religieuse. Voilà le troisième conseil évan-
gélique et le troisième vœu de^ perfection surna-
turelle. Sortir de soi, non-seulement du monde
et de la créature, mais de soi-même, pour suivre
Jésus, pour le suivre de plus près, pour ne faire
avec lui qu'un même cœur, une même vie, une
même volonté : voilà le mérite, la grandeur et la
grâce du vœu d'obéissance. Par le vœu d'obéis-
sance, l'homme offre à Dieu quelque chose de
plus grand, à savoir : Sa volonté même, qui est
quelque chose de plus excellent que son propre
corps, qu'il offre à Dieu par le vœu de continence,
et que les choses extérieures, qu'il offre à Dieu
par le vœu de pauvreté. C'est pourquoi ce qui se
fait par obéissance est plus agréable à Dieu que
ce qui se fait par volonté propre (2). Pour bien
comprendre que Tobéissance, comme vœu per-
pétuel, est la suprême immolation de soi, qu'a-
près ce don irrévocable de sa propre volonté à la
(l)Malh. XVI ,24.
(2) Sum 2» 2«. Quœst. GLXXXVI, Act. VIIl.
^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 155
volonté de Jésus, il n'y a plus rien en soi de la
créature et du temps, rien de ce qui change et
périt, citons ces admirables paroles de saint Gré-
goire : — C'est peu de renoncer à ce qu'on a ;
c'est bien plus de renoncer à ce qu'on est. C'est-à-
dire il ne suffit pas de laisser nos biens, si nous
ne nous laissons nous-mêmes. Pensons comment
Paul s'était renoncé lui-même, lui qui disait : Je
vis, mais non plus moi (car ce cruel persécuteur
était anéanti et commençait à vivre le pieux pré-
dicateur), mais le Christ vit en moi. Comme s'il
disait ouvertement : il est vrai, je suis mort par
moi-même, parce que je ne vis pas selon la chair ;
mais je ne suis pas mort selon mon essence,
parce que je vis spirituellement dans le Christ.
Que la vérité dise donc, qu'elle dise : Si quel-
qu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-
même ; 'car s'il ne meurt à soi-même, il n'appro-
chera pas de celui qui est au-dessus de lui-même ;
et il ne pourra saisir celui qui e^^t au-delà de lui-
même, s'il ne sait immoler ce qu'il est soi-
même (i). Avec saint Ambroise nous dirons : Le
Christ est la fin de toutes les choses que nous de-
mandons avec de pieuses intentions. En effet, si
vous cherchez la sagesse, si vous vous appliquez
à la vertu ou à la vérité, si vous cherchez la
voie et la justice, ou la résurrection, en toutes
choses il faut suivre le Christ, qui est la vertu et
(I) s. Greg. hom. in Evang. XXXII.
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156' SAINTE MARTHE •
la sagesse, la vérité, la voie, la justice, la résur-
rection. À qui donc t'efforceras-tu d'aller, sinon
à celui qui est la perfection de toutes choses et la
somme des vertus ? C'est pour cela qu'il te dit :
Viens, suis-moi. C'est-à-dire, afin que tu mérite*
de parvenir à la consommation des vertus (1).
Viens, suis-moi. Marthe avait entendu cette
dernière parole comme elle avait entendu les
deux autres ; et, dans la voix, dans l'accent du
Maître, comme dans son regard et son geste, elle"
avait ressenti la commotion de la grâce et l'attrait
du divin amour. Elle avait compris et pratiqué ce
conseil évangélique, on peut le dire, avant même
qu'il fût promulgué. Elle suivait Jésus depuis les
premiers jours de sa vie publique, elle le suivait
pour l'entendre, elle le suivait pour le servir et le
nourrir ; elle le suivait pour ne plus le qqitter de
l'esprit et du cœur et pour l'imiter ; elle le sui-
vait pour obéir à ses volontés, à ses moindres
désirs, aussitôt que le Maître daignait les lui ma-
nifester. On peut dire que la sœur de Lazare était
dès ce moment la plus fidèle suivante et la plus
parfaite imitatrice de Jésus. Elle fut obéissante et
docile comme elle fut chaste et pure, comme elle
fut indigente et dépouillée par amour pour Jésus.
Elle embrassa cette doctrine, elle pratiqua cette
perfection, elle donna cet exemple, qui fut la joie
du Sacré-Cœur et l'édification de la première com-
munauté chrétienne.
(l)S. Ambr. in Expos. Utul. Psalm. XXXVIII.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 157
Pendant la vie mortelle de Jésus, Marthe fut
spécialement appliquée à seiwir dévotement et
tendrement la très-sainte humanité du Fils de
Dieu. Jésus vivant de notre vie infirme et çondes-
•endant h avoir besoin de sa créature, Marthe
quitta tout pour suivre Jésus, Marthe se dépouilla
de tout pour servir Jésus, Marthe renonça à toute
créature pour aimer Jésus. La pratique des con-
seils évangéliques ne pouvait être différente de
cette application empressée et pieuse à suivre, à
servir, à aimer Jésus, partout où Jésus avait
besoin de soins et de secours, réclamait Tatten-
tion et rhonamage, indiquait ses volontés et se&
désirs. Plus tard, lorsque Thumanité de Jésus
ressuscité, installée dans le Ciel, TEglise, épouse,
veuve et mère, devra se constituer et s'organiser,
s'étendre et se multiplier, devra mettre en œuvres,
établir en institutions les paroles, les conseils,
les desseins de Jésus, Marthe sera la diligente
ouvrière et Tintelligente apôtre de cet admirable
système de perfection religieuse. Marthe fondera
le premier monastère, instaurera dans notre Oc-
cident, sur le sol de notre France, sur le rivage
de notre Méditerranée, la pratique vivante des
trois conseils évangéliques, sous la forme de trois
vœux solennels ; elle organisera, sous Timpulsion
du Sacré-Cœur et pour l'éternel honneur de
l*Eglise^ la perfection chi;étienne et la vie reli-
gieuse, qui devront se répandre dans le monde
comme la plus belle révélation dé la beauté divine,
le plus suave parfum d'incorruption et de chas-
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158 SAiNTE MARTHE
teté, le plus généreux ministère de dévouement
et de charité.
Pour terminer et pour conclure, devons-nous
rapporter la suite de l'Evangile et Tadoràble pro-
messe que fait Jésus à ses fidèles disciples, à ses
parfaits imitateurs ? Après que Jésus a déterminé
les conditions de la perfection chrétienne, le jeune
homme qui était venu le consulter pour être le
mystérieux promoteur de cette législation surna-
turelle, ce jeune homme que Jésus avait regardé,
que Jésus avait aimé , le néophyte de la perfec-
tion que Jésus avait instruit lui-même, s'en va
triste et découragé, lâchement déserteur de cette
voie de perfection qui lui était apparue. Et Jésus,
attristé de ce départ, de cette défaillance à sa
grâce, Jésus se plaint à ses disciples : — Oh !
dit-il, qu'il est difficile à un riche d'entrer dans
le royaume des deux I Et ses disciples, conune
pour le consoler, lui disent par la bouche de
Pierre : Mais nous. Seigneur, nous avons tout
laissé et nous vous avons suivi ; que sera-t-il de
nous? —Nous avons tout quitté, dit Pierre ; tout.
C'est beaucoup ; mais il a beaucoup quitté, celui
qui a quitté la volonté même d'avoir quelque
chose (1). Pierre, non-seulement a quitté tout ce
qu'il avait, mais même tout ce qu'il pouvait dési-
rer. Dès-lors Pierre a quitté tout le monde, et
(1) Multum deseruiC qui voluntatem habendi deseruit. S. Ber-
nard, Tract, in haec verba Çbristi.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 159
Pierre a reçu tout le monde (1). Pierre parle pour
tous les apôtres, pour tous les fidèles, pour toute
TEglise, pour toutes les générations de pauvres,
de vierges, de serviteurs volontaires ; il parle sur-
tout pour le groupe des âmes détachées, géné-
reuses, amoureuses d'immolation et de liberté,
de perfection et de beauté ; Pierre parle en ce mo-
ment pour Marthe et pour Lazare, pour les saintes
femmes et pour toutes les âmes, émules, dans
l'avenir, de ces humbles, aimables et généreuses
servantes de Jésus. Or, Jésus leur dit : En vérité,
je vous dis que vous, qui m'avez suivi dans la ré-
génération du monde, lorsque le Fils de l'homme
viendra s'asseoir sur le trône^de sa majesté, vous
vous asseoirez vous aussi sur douze sièges,
jugeant les douze tribus d'Israël. Et quiconque
aura quitté sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs,
ou son père, ou sa mère, ou son épouse, ou ses
enfants, ou ses champs, pour mon nom, recevra
le centuple et possédera la vie éternelle (2).
Admirables et divines promesses du Maître à
ses disciples, du Sauveur et de Thomme-Dieu à
ses parfaits imitateurs 1 Les obéissants et les hum-
bles jugeront le monde ; les continents et les
vierges seront comblés au centuple d'affections et
de tendresses ; les pauvres volontaires possède-
• 1) Pclrus non solum dimisit quidquid habebat, sed etiam
quidqiiid babere cupiebat. Prorsus toturn munduni dimisit Po-
>ru8, et tofum miindum Potriis accepit. S, Auff* Inpsalm. GIJI.
(2) Malh. XIX, 2t-30.
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160 SAINTE MARTHE
ront la vie éternelle. Ils jugeront le monde, tous
ceux qui ont quitté le monde, méprisant ses faux
biens, pour aller à la conquête des biens éternels.
Tous ceux que le monde a méprisés, insultés et
persécutés comme le Christ pour le Christ, se relè-
veront dans la gloire avec lui, comme lui et par-
ticiperont à son triomphe. 0 grâce de familiarité I
0 comble d'honneur ! 0 privilège de confiance I
0 prérogative de sécurité parfaite !.. parole assuré-
ment heureuse qui les fera si tranquilles et même
si glorieux dans cet étonnant fracas des éléments
confondus, dans cet effrayant examen des méri-
tes, dans cette terrible alternative de jugements (1).
Ils recevront le centuple des affections et des
biens qu'ils auront abandonnés pour leur Maître :
ce bon Maître multipliera dans leur âme les joies
spirituelles et les vertus au centuple. Celui qui
aura laissé pour le Christ ses biens et ses affec-
tions, le Christ les lui rendra au centuple ; c'est-
à-dire lui donnera des cœurs dévoués qui lui
témoigneront Tamour, le secours et la tendresse
de frères, d'épouses, de mères, avec une charité
et une suavité plus grandes encore : en sorte
qu'ils n'auront pas perdu ce qu'ils auront quitté,
mais l'auront déposé dans la providence du Christ,
où tous ces biens se seront multipliés surabon-
damment avec usure. En effet, les affections de
l'esprit sont plus douces que les affections de la
(1) s, Bcin. nerm. VllI. In psalm. qui habitat-, etc.
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SA VJE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 161
nature, et le cœur que la piété remplit d'un amour
céleste, aime bien mieux que celui que les liens
du sang enivrent d'un amour terrestre. Ainsi le re-
ligieux qui, pour le Christ, a laissé la seule maison
de son père, trouve non pas cent maisons, mais
cent collèges et monastères plus grands et plus
beaux, qui le reçoivent avec une tendresse mater-
nelle. Ainsi celui qui aura quitté pour le Christ
un champ, trouvera cent disciples du Christ qui
cultiveront leurs champs pour le nourrir ; et cela,
sans labeur, sans culture de la part de celui qui
aurait dû cultiver son propre champ. Semblable-
ment pour un frère qu'il aura quitté, nombreux
seront les chrétiens qui, comme des frères, le pour-
suivront d'un amour fraternel et s'attacheront à
lui plus suavement par l'union de l'esprit ; pour
un père, de nombreux vieillards l'aimeront
comme leur fits ; pour une mère, de nombreuses
matrones pourvoiront à ses besoins avec une
affection maternelle ; enfin, pour un fils ou une
fille, d'innombrables serviteurs de Dieu le véné-
reront conmie un père, recevront sa doctrine
saine et ses sages conseils, et son cœur en goû-
tera plus de chastes voluptés qu'il n'en rece-
vrait d'enfants selon la nature (1).
Enfin, le bon Maître est pour eux, pour ses
pauvres, ses obéissants, ses continents volontai-
res, il est lui-môme le centuple en richesse, en
(1) Gora. à Lap. in Matb. XIX.
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162 SAINTE MARTHE
puissance, en amour. Il a promis, sa parole est
sûre comme son cœur. Etendant la main sur
ses disciples choisis et privilégiés, il a dit : voici
ma mère et mes frères, car celui qui fait la volonté
de mon Père, qui est dans les cieux, celui-là est
mon frère et ma sœur et ma mère (1). Votre frère,
ô Jésus ! votre sœur et votre mère, vous nous ai-
merez ainsi, vous nous permettrez de vous aimer
de même : vous êtes frère et sœur et mère de celui
qui pour vous aura quitté la maison paternelle et
brisé les liens de la nature. Vous êtes frère et
sœur et mère avec une affection, une douceur,
une tendresse, un dévouement que votre cœur
sacré noyis témoigne et dont il multiplie ses sua-
ves richesses selon les sacrifices que nous aurons
faits pour vous. C'est peu que vous nous rendiez
et multipliez au centuple les biens de la nature
que nous aurons quittés pour vous; c'est peu que
vous les remplaciez par les l3iens de la grâce,
mille fois plus suaves et plus précieux dans leur
sphère surnaturelle ; c'est peu que vous suscitiez
pour vos fidèles et généreux disciples des âmes
tendres et ferventes et dévouées pour les aimer,
les vénérer, les servir^au centuple, en exécution
de votre adorable promesse ; c'est vous mainte-
nant, ô bon Maître, doux ami, généreux Seigneur,
c'est vous qui, dans votre humanité sainte qui
nous étreint de ses bras fraternels, nous faites
(1) Math. XII, 49-50.
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SA VIE^ SON HISTOIRE ET SON CULTE. 163
sentir, nous faites goûter et savourer les amours
de la terre quittés pour vous. C'est tous qui, de
votre Sacré-Cœur, un cœur humain quoique divi-
nisé, un cœur qui sait aimer comme nous ai-
mons, mais avec une tendresse, une pureté et une
intensité incomparables, un cœur qui remplit de
sa plénitude presque infinie tous les cœurs hu-
mains qui savent aimer ; c'est vous qui nous
aimez, qui prenez pour nous tous les sentiments
qui firent tressaillir notre pauvre cœur, vous qui
nous prodiguez toutes les douceurs de liens, de
rapports et d'attachements, qui nous rendez, mais
divinement transfigurés, tous les souvenirs de ten-
dresse, de joie, de tristesse et de larmes, d'affec-
tion et de dévouement que nous avons quittés
pour vous. C'est vous qui nous introduisez dans
le trésor, dans le tabernacle et le sanctuaire de
votre amour en nous disant : omnia mea tua
sunt. — Tout ce qui esl à moi est à toi. (1). Votre
apôtre nous avait dit : tout est à vous, soit Paul,
soit ApoUo, âoitCéphas, soit le monde, soit la vie,
soit la mort, soit les choses présentes, soit les
choses futures, tout est à vous : mais vous êtes
au Christ et le Christ et à Dieu (2). Vous nous sai-
sissez par les deux bras de votre humanité, vous
nous enveloppez dans la pourpre de votre sang,
vous nous transformez dans la flamme de votre
(1) Luc. XV, 31.
(2) I, Cor. in, 22-23.
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164 SAINTE MARTHE
amour, et vous nous transportez en Dieu qui nous
tient lieu de tout et nous donne la \ie éternelle où
nous jouissons de tout. Heureux, ô Jésus I ceux
que vous appelez à tout quitter pour vous suivre :
heureuse Marthe, appelée la première et qui la
première, la plus généreuse et la plus aimée, a
tout quitté pour vous suivre, pour vous servir,
pour vous aimer.
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MABTHE AMENE AUX PIEDS DE JÉSUS SA SŒUR
MADELEINE REPENTANTE.
Per te damnantur errores,
Per te decoraotur mores,
Et fides extollitur.
0 oliva pietatis
Et quis tuae sanctitatis,
Dicet excellentiam ?
Animam luae sororis
Aiidisti supernis choris,
Ferri cum laetitiâ.
Par vous, ô Marthe, sont con-
damnées les erreurs, sont embellies
les mœurs et la foi exaltée.
0 doux olivier de miséricorde,
qui donc de votre sainteté pourra
(lire l'excellence ?
L'âme de voire sœur, vous l'avez
entendue, transportée avec joie
» parmi les chœurs célestes.
(Prosa in missal. Lugd.
Aurel. 1523. Colon. 1525. Aus-
eitan. 1555.MassaiIs. 153U.Are-
lat. 1530.)
L*ÉvaDgiIe ne le dit pas expressément, mais il
nous le donne à penser, il nous invite même à le
dire. Marthe fut l'instrument des miséricordes
divines pour sa sœur et Tintermédiaire de la
grâce dans cette grande conversion de Madeleine.
La douce et maternelle tendresse de Marthe pour
sa sœur, l'infatigable attachement qui suivit la
pécheresse jusqu'en ses plus honteux désordres,
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166 SAINTE MARTHE
ouvrit le cœur, ce pauvre cœur de femme fait
pour Dieu, mais si misérablement souillé par le
péché. Marthe, qui déjà connaissait les ineffables
miséricordes du Sacré-Cœur, Marthe ouvrit le
cœur de Madeleine, pour y faire entrer, avec la
grâce et la lumière, la honte et le remords, la péni-
tence et la conversion. L'Évangile ne nous le dit
pas ici ; mais ailleurs, il nous montre Marthe'^déso-
lée de la mort de son frère, se penchant vers sa
sœur accablée de douleur et noyée de larmes,
pour lui dire doucement : le Maître est là et il
t'appelle. — Magister adest et vocat te (1). Voilà
Marthe toute entière, elle vient de Jésus à qui elle
a rendu ses devoirs, exposé ses larmes, dont elle
a reçu des consolations et des grâces. Le Maître a
bien voulu confirmer la foi de son amie et provo-
quer, de son cœur à ses lèvres, cette magnifique
profession de foi en la divinité du fils de l'homme,
que nous expliquerons ailleurs. Marthe quitte
Jésus pour aller à Madeleine. Elle a reçu le mes-
sage du Dieu de pardon et de miséricorde pour
sa chère égarée, pour son élégante et belle péche-
resse, qu'elle aime doublement, comme sa fille et
comme sa sœur ; qu'elle aime mille fois plus en-
core, comme la créature de son Dieu, conmie
l'âme perdue que son Sauveur vient racheter , la
brebis égarée que le bon pasteur est descendu
chercher. Elle va, pleine d'empressement et
(I) Joan. VII, 28-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 167
néanmoins de prudence et de douceur ; elle appelle
sa sœur en silence, d'un geste suppliant, d'un
regard chargé de larmes et de tendresse; d'un mot
affectueux et caressent, elle lui dit : le Maître est
là et il t'appelle ; le Maître, ma pauvre sœur bien
aimée, le Maître, le vrai Maître, de doctrine et
d'amour, le Maître annoncé, prédit, préparé, le
Maître venu pour nous instruire, nous ouvrir la
voie du ciel, nous délivrer des chaînes, nous rele-
ver de Tabjection, nous racheter du péché, nous
purifier et nous sanctifier par sa parole et par son
sang. Le Maître est là, près de nous, près de toi,
car son œil te suit partout et son cœur t'environne
de pitié, quoique tu te sois dérobée et débarrassée
de lui. Il est là et il t'appelle : il t'appelle par les
tristesses, les dégoûts, les hontes de ta misérable
vie ; il t'appelle par les regrets, les dépits, les
remords, par les désirs inassouvis, les frayeurs
de la justice et les pressentiments de l'éternité ;
il t'appelle par la pensée d'une vie plus pure, par
le désir d'une condition plus honorable, par le
soulèvement instinctif de ton cœur vers une
beauté, une chasteté, un amour seuls dignes de
toi, ma sœur. Il t'appelle par ta sœur, par celle
qui te servit de mère, dont l'indulgente tendresse
fut peut-être cause de tes égarements, mais dont
les larmes, les prières et Tardente pitié veulent
te ramener à ses pieds. Viens, ma sœur, viens
avec moi, viens à lui.
A défaut de l'Évangile, muet sur les démarches
que dut faire Marthe auprès de sa sœur pour
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168 SAINT£ MÂBTHE
ramènera la conversion, prenons la vision, qui
nous permettra de recomposer cette partie de la
vie et du ministère de Marthe. Nous avons ailleurs,
dans la Vie de sainte Madeleine, cité plusieurs
de ces belles pages ; mais nous devons les répéter
ici, car la vie des deux sœurs se mêle et se con-
fond dans les embrassements de la miséricorde
et de la vérité, de la paix et de la justice. Prenons
dès le commencement les visites de Marthe à
Madeleine. — « Je me suis trompée dernièrement,
dit Textatique de Dûlmen, en disant que Marthe
était revenue de Cana chez elle avec Lazare.
Lazare alla seul, Marthe resta encore en Galilée,
à Gennabris, je crois, où habitait Nathanaêl. Elle
avait fait prier Madeleine de venir Ty trouver. Il
y avait encore là plusieurs disciples. On parla des
miracles de Jésus : et lorsque Jésus vint dans la
contrée de Jezraël, Marthe engagea sa sœur à faire
avec elle huit lieues de plus, jusqu'à Jezraêl. Mais
Jésus n'y était plus, et elle entendit seulement
raconter les miracles par ceux qu'il avait guéris.
Alors les deux sœurs se séparèrent, et Madeleine
retourna à Magdalum (1).
« Lazare , Marthe , Séraphia (Véronique) et
Jeanne Ghusa, qui étaient partis antérieurement
de Jérusalem, avaient visité Madeleine à Magda-
lum, et l'avaient engagée à aller à Jezraël, pour
voir, si ce n'est pour entendre, cet homme mer-
(4) Vie de ^..S. /.-C, II, 7.
^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 169
veîUeux, si sage, si éloquent, si beau, ce Jésus
dont tout le pays s*occupait. Elle avait cédé aux
prières des autres femmes et les avait suivies,
mais avec tout l'attirail des pompes et des vanités
mondaines. Lorsque, de la fenêtre de rhôtellerie,
elle vit Jésus s'avancer dans la rue, accompagné
de ses disciples, Jésus lui lança un regard sévère,
et ce regard lui pénétra si profondément dans
TÂme et la jeta dans une confusion et un trouble
si extraordinaires, que, dominée parle sentiment
de sa misère, elle courut de rhôtellerie à une
maison de lépreux où avaient été aussi des fem-
mes affligées de maladies et qui était une espèce
d'hôpital à la tète duquel était un pharisien. Les
gens de Tauberge auxquels sa manière de vivre
était connue disaient : voilà qu'elle se range parmi
les lépreux et les hémorrhoîsses. Mais Madeleine
avait couru à la maison des lépreux pour s'humi-
lier, tant le regard de Jésus l'avait ébranlée ; car
elle (était descendue dans une hôtellerie plus élé-
gante que celles où étaient les autres femmes ;
ce qu'elle avait fait par vanité, pour ne pas se
trouver avec tant de pauvres geng. Marthe, Lazare
et les autres femmes retourneront avec elle à
Magdalum et y célébreront le sabbat suivant (1).»
Madeleine ébranlée n'était pas encore vaincue :
la pécheresse humiliée n'était pas encore conver-
tie. Cette âme devait coûter à Jésus plus de peines.
(i) Vie, etCi II, 25.
10
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170 SAINTE MARTHE
à la grâce plus d'efforts, à Marthe plus de prières
et de larmes, pour devenir la fervente convertie,
la fidèle amie et l'admirable contemplatrice qu'elle
devait être. L'Évangile nous raconte la scène déci-
sive de sa conversion définitive et du pardon
divin ; mais il nous laisse entrevoir que cette cour-
tisane, enfoncée dans la boue et le péché, orgueil-
leuse et vaine, impérieuse et fière, élégante et
sensuelle, devait passer par bien des vicissitudes
intérieures, par bien des luttes et des fuites, des
retours et des emportements, avant de tomber
vaincue, brisée, convertie aux pieds de Jésus,
pour se relever, purifiée, pardonnée, justifiée.
Dès-lors nous comprenons les inquiétudes, les
démarches, les prières, les tentatives et les sup-
plications de Marthe pour retrouver, ressaisir,
ramener à Jésus sa sœur obstinée. Ah I si nous
admirons dans Madeleine un des plus grands
miracles de la grâce, une des plus éclatantes vic-
toires de l'amour divin, admirons, bénissons dans
la conduite de Marthe avec Madeleine, un des
plus rares exemples de tendre obstination pour
assiéger une âme, pour la vaincre et l'emporter
frémissante dans le sein de la paternelle bonté de
Dieu. — « Marthe, Véronique et Jeanne Ghusa,
avec Anne, fille de Gléophas, ont fait le voyage de
Béthanie à Gapharnaum : sur la route, Dina la
samaritaine et Marie la suphanite d'Ainon se sont
jointes à elles dans une hôtellerie où elles avaient
amené quelques disciples de Jérusalem, qui
étaient allés avec Lazare trouver Jésus près
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 171
d'Ophra, si je ne me trompe ; c'était de là que pro-
venaient les informations sur l'état moral de Ma-
deleine qui a été mentionné récemment. J'ai vu
aujourd'hui que les saintes femmes sont allées à
trois lieues, au midi deCapharnaum, dans une ville
de lévites appelée Domna, où elles avaient une hô*
tellerîe, et que Marthe partit de là pour aller, à une
lieue au sud-ouest, voir Madeleine à Magdalum.
» Magdalum, avec ses châteaux et ses jardins,
est situé au nord de la Montagne , à l'orient de
laquelle se trouve Gabara : Jatapat est à une lieue
au sud-est de cette dernière ville. Magdalum est
situé dans un bassin, sur la crête méridionale
d'une vallée qui va de l'Ouest à l'Est dans la di-
rection du lac de Génézareth, à une demi-lieue à
peu près de l'extrémité occidentale de la vallée.
La ville est bâtie sur le penchant de la montagne.
Tibériade est à deux petites lieues au sud-est de
Magdalum, sur le bord du lac. On peut aller à
Magdalum d'en haut et d'en bas.
» Marthe alla surtout voir Madeleine pour la
déterminer à aller avec Dina 'la Samaritaine et
Marie la Suphanite écouter une grande instruc-
tion que Jésus fera sur la montagne de Gabara.
Madeleine la reçut assez amicalement dans une
des ailes de son château, qui est un peu délabré,
et elle la conduisit dans une chambre voisine de
ses appartements de réception, mais non. pas pré-
cisément dans ceux-ci. Il y avait en elle un mé-
lange de vraie et de fausse honte. D'une part,
elle rougissait de sa sœur pieuse, simple, mal
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172 SAINTE MARTHE
vêtue, qui parcourait le pays avec les adRérents
de Jésus, voués au mépris des compagnons de
plaisir de Madeleine. D'autre part, elle rougis-
sait devant Marthe et n'osait pas la mener dans
les appartements qui étaient le théâtre de ses
folies et de ses désordres. Madeleine avait un
certain abattement moral ; mais elle n'avait pas la
force de rompre avec ses habitudes : elle était
pâle et un peu défaite. Déjà les dernières fois
que j'ai porté mes regards sur sa vie privée, sa
position m'a paru moins indépendante et moins
brillante. L'homme avec lequel elle vivait dans le
péché lui était à charge, et elle se sentait un peu
abaissée par cette relation, car il avait des senti-
ments vulgaires. En outre, elle avait déjà été
remuée une fois par l'enseignement de Jésus.
« Marthe s'y prit avec elle d'une façon très-
affectueuse et très-adroite. Elle lui dit : — Dina
la Samaritaine et Marie la Suphanite, deux per-
sonnes aimables et intelligentes que tu connais^
t'engagent à aller avec elles entendre Jésus prê-
cher sur la montagne. C'est si près de toi I Elles
seraient bien aises d'avoir ta compagnie dans cette
occasion. Tu n'auras pas à rougir d'elles devant
le peuple ; tu sais qu'elles ont bon air, que leur
mise est élégante et leurs manières distinguées.
Ce sera un beau spectacle ; rien n'est plus inté-
ressant à voir que cette multitude innombrable
écoutant la voix éloquente du Prophète, les ma-
lades qu'il guérit, la hardiesse avec laquelle il
interpelle les Pharisiens! Véronique, Jeanne
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SA VIB, SON HISTOUIE ET SON CULTE. 173
Ghuza et la mère de Jésus^ qui te veut tant de
bien, sont toutes persuadées, ainsi que moi, que
tu nous remercieras de cette imitation. Je pense
que ce sera pour toi une distraction agréable. Tu
semblés maintenant ici tout à fait délaissée. Tu
ne trouves pas de gens qui sachent apprécier ton
cœur et tes talents. Ah ! si tu voulais passer quel-
que temps avec nous à Béthanie I nous entendons
tant de choses merveilleuses et nous avons tant
de bien à faire I Et tu as toujours été si charita-
ble et si compatissante I Mais au moins il faut
que demain tu viennes à Domna avec nous. Nous
sommes à Thôtellerie, nous autres femmes ; mais
tu pourras avoir un logement à part et ne parler
qu'à celles que lu connais. — Ce fut de cette
manière que Marthe parla à sa sœur, évitant avec
soin tout ce qui pouvait la blesser. Madeleine,
dans sa mélancolie, accepta volontiers. Elle fit
d'abord quelques petites objections, mais elle
finit par consentir, et promit à Marthe de partir
avec elle pour Domna le lendemain matin. Elle
mangea avec elle, et, dans la soirée, elle quitta
plusieurs fois ses appartements pour venir la
visiter. Le soir, Marthe et Anne de Gléophas
adressèrent leurs prières à Dieu pour qu'il rendît
le voyage profitable à Madeleine.
» Madeleine semble disposée à recevoir une
forte impulsion, mais je crois qu'elle retombera
encore une fois (1). »
(1) Vie, etc., m, 139-142
10.
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174 SAINTE MARTHE
Les rechutes de Madeleine ne sont point con-
tredites par l'Évangile. Nous pouvons même dire
que rÉvangile nous insinue ces rechutes, lors-
qu'il nous montre la malheureuse sœur de
Marthe possédée de sept démons. L'explication
que Jésus donne des sept démons amenés par le
démon de l'impureté (1) ne nous désigne-t-elle
pas Madeleine? Elle était présente, sans doute, la
pécheresse retombée, la courtisane mal convertie,
lorsque Jésus parlait si vivement de Tétat misé-
rable des âmes redevenues la proie du vice impur,
après une première effusion de la grâce mal rete-
nue, dans une chute plus honteuse et plus pro-
fonde. Le trait brûlant et miséricordieux de la
parole du Maître allait frapper le éœuT que
l'amour divin poursuivait. Marthe était présente
aussi, joignant ses supplications aux véhéments
reproches du Sacré-Cœur. C'est une tradition
très-autorisée qui attribue à Marcelle, suivante
de Marthe, l'exclamation qui suivit les vives paro-
les de Jésus. -7- Heureux le sein qui vous a porté,
heureuses les mamelles qui vous ont allaité (2).
Marthe, la tendre sœur, obstinée dans son dé-
vouement, dut insister, revenir, braver les refus,
les froideurs, les emportements de cette pauvre
âme, plus malheureuse et plus dégradée, mais
aussi plus aimée et plus poursuivie après cha-
(1) Malb. XII, 43-45.
(2) Luc. XI, 2i. Vide Corp. a Lap. in Luc. XI.
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SA VIE, SON HlSTOrRE ET SON CULTE. 175
cune de ses infidélités à la grâce et de ses rechu-
tes. Suivons, à l'aide de la vision, cette lutte .de
la sœur, de la vierge, de l'ange gardien de la
famille contre la brillante hétaïre, la courtisane
fatiguée, la femme perdue de réputation et plus
affamée de désordre, après avoir été saisie par le
remords et soulevée par la grâce. Nous verrons,
nous admirerons la conduite de Marthe, qui nous
rappellera peut-être de chers et bénis souvenirs,
des larmes, des prières, des drames intimes où
des âmes aimées ont trouvé la conversion et la
paix, par l'influence, le dévouement et le sacri-
fice de quelqu'une de ces sœurs de Marthe qui con-
tinuent au foyer de la famille chrétienne la sanc-
tifiante et virginale mission de la sœur aînée de
Madeleine. Nous comprendrons mieux, peut-être,
la douceur, la patience , l'humilité, l'abnégation
de Marthe, recherchant, attendant, poursuivant,
relevant Madeleine et la ramenant enfin, brisée
mais convertie, aux pieds de Jésus.
« L'état de Madeleine était devenu déplorable
au dernier point. Depuis qu'elle était retombée,
après sa conversion près de Gabara , sept démons
s'étaient emparés d'elle. Son entourage était de-
venu pire que jamais. Les saintes femmes, spécia-
lement la Sainte-Vierge, n'avaient cessé de ^rîer
instamment pour elle ; et enfin, Marthe, accom-
pagnée de sa suivante, était allée la voir à Mag-
dalum. Elle fut reçue froidement, et on la fit
attendre. Précisément une cohue de libertins et
de femmes galantes de Tibériade venait d'entrer
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176 SAINTE MARTHE
pour prendre part au festin. Madeleine était oc-
cupée à sa toilette : elle fit dire à sa sœur qu'elle
ne pourrait pas lui parler maintenant. Marthe se
mit en prière et l'attendit ainsi avec une patience
indicible. Enfin, l'infortunée Madeleine arriva
toute pleine de mauvaise humeur et d'irritation ;
elle était dans un grand embarras. La simplicité
des vêtements de Marthe lui faisait honte ; elle
craignait que ses hôtes ne la vissent, et elle l'invita
à se retirer. Marthe Ijui demanda seulement un
coin où elle pût se reposer. On la conduisit avec
sa suivante dans une chambre vide des bâtiments
de service , et elle y fut laissée ou plutôt oubliée,
car on ne lui donna même pas à boire et à man-
ger. On était dans l'après-midi. Cependant Made-
leine se parait et s'asseyait sur un siège élégant à
la table du festin, tandis que Marthe et sa ser-f
vante priaient accablées de tristesse. A la fin du
banquet, Madeleine sortit et porta quelque chose
à Marthe sur une petite assiette qui avait un
rebord bleu ; elle lui porta aussi à boire. Elle lui
parla d'un ton injurieux et méprisant ; il y avait
en elle un mélange d'orgueil , d'impudence , de
désespoir et de déchirement intérieur. Marthe
l'engagea de la façon la plus humble et la plus
affectaeuse à venir assister à la prédication solen-
nelle que devait faire Jésus dans le voisinage;
elle lui dit que toutes les personnes avec lesquel-
les elle s'était liée récemment dans une occasion
semblable s'y trouveraient, et qu'elles se faisaient
une fête de la revoir ; qu'elle-même avait déjà
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 177
fait voir combien elle honorait Jésus; qu'elle
devait donner à sa sœur ainsi qu'à Lazare la joie
de l'y voir venir ; qu'elle ne trouverait pas de
sitôt une autre occasion d'entendre l'admirable
prophète dans un lieu si rapproché de sa demeure,
et de voir en même temps tous ses amis. Derniè-
rement, en répandant des parfums sur Jésus, au
festin de Gabara, elle avait prouvé qu'elle savait
rendre hommage à tout ce qui était grand et beau
partout où elle le rencontrait ; il fallait qu'elle
vînt saluer encore une fois ce qu'elle avait honoré
publiquement avec une hardiesse si magnanime,
etc., etc. Il est impossible de dire avec quelle
affection et quelle patience Marthe lui adressa ce
discours et supporta ses manières odieuses et
altières. A la fin, Madeleine lui dit : J'irai, mais
non pas avec toi. Tu peux prendre les devants,
car je ne veux pas me montrer en toilette si
négligée ; je veux me parer suivant ma condition
et avoir mes amies avec moi. Là-dessus elles se
séparèrent ; il était très-tard. Le jour suivant, je
la vis occupée à sa toilette. Elle fit appeler Marthe
et parla toujours en sa présence avec aigreur et
avec arrogance. Marthe la laissa dire et fit preuve
d'une grande patience. Elle ne cessait de prier en
secret pour qu'elle allât avec elle et devînt meil-
leure. Je vis Madeleine se faire laver et parfumer
par ses deux suivantes. — Ici nous avons le
détail très-circonstancié, très-féminin, de la toi-
lette de Madeleine. Ce qui nous montre, comme
déjà le prophète Isaïe en ses menaces aux femmes
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178 SAINTE MARTHE
mondaines de Jérusalem (1), que depuis la chute,
les filles d*Eve sont toujours séduites par ce qui
brille aux regards, ce qui peut attirer les yeux et
remuer la concupiscence — pulchrum oculis as-
pectu que delectabile (2). « S'étant ainsi parée du
haut en bas, elle se montra à Marthe, qui fut
obligée de l'admirer. Elle déposa ensuite une
partie de ces atours, et s'enveloppa dans un man-
teau de voyage. Ses suivantes furent chargées
d'empaqueter ses habits et les attachèrent sur le
dos de la bète de somme qu'elle-même monta
pour se rendre à Azanoth avec son cortège. Mar-
the la quitta accompagnée de sa suivante. Elles
allèrent à pied aux bains de Béthalie.
« Madeleine n'avait cessé de se montrer pleine
d'irritation et d'arrogance, tandis que Marthe
avait pratiqué à un degré rare les vertus de
patience et d'humilité. Le démon tourmentait
violemment Madeleine pour l'empêcher d'aller
entendre Jésus, et elle n'y serait pas allée si les
autres pécheresses de Tibériade qui étaient chez
elle n'avaient pas formé, de leur côté, le projet
de s'y rendre pour voir le spectacle, comme elles
disaient. Elles firent aussi leurs dispositions pour
le voyage; elles étaient montées sur des ânes
chargés de bagages ; car, de même que Madeleine
avait voulu emporter le riche siège dont elle se
(1) la. m, 18-26.
(2) Gen. III, 6.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 179
servait, ces autres femmes avaient aussi avec
elles des sièges du même genre, des coussins et
des tapis. Elles n'allèrent aujourd'hui que jusqu'à .
l'hôtellerie des femmes, qui est près du lac des
bains de Béthalie. Là, Madeleine déposa son
manteau de voyage et fit sa toilette pour manger
avec ses compagnes. Elles couchèrent là. Ce qui
m'étonna beaucoup^ c'est que Madeleine, laissant
là les femmes de sa société, se rendit la nuit à
l'hôtellerie où était Marthe, dont elle rougissait
devant les autres, et qui avait pris son repas toute
seule.
» Le lendemain, ayant fait une petite lieue,
elles arrivèrent à Azanoth. Marthe alla rejoindre
les saintes femmes, et raconta comment elle
avait décidé sa sœur à venir. Madeleine alla avec
ses compagnes dans une hôtellerie où elle
déposa son manteau de voyage et se para de la
manière la plus exagérée ; puis elles arrivèrent à
l'endroit où la prédication devait avoir lieu,
attirant l'attention de tous les assistants par leurs
allures bruyantes, leurs conversations à haute
voix et les regards insolents qu'elles jetaient
autour d'elles. Elles allèrent se placer à part,
bien avant des saintes femmes. Il y avait aussi
près d'elles des hommes de leur coterie. Elles
s'étaient fait dresser une tente ouverte, où ces
femmes mondaines, ces pécheresses élégantes et
parées, prirent place sur leurs sièges, leurs
coussins et leurs tapis moelleux, se donnant en
spectacle à tous.
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180 SAINTE MARTHE
» Madeleine était assise e^i avant, pleine de
hardiesse, d'effronterie et d'impertinence. Tout
le monde chuchotait et murmurait en la regar-
dant, car, dans le pays, elle était encore plus
détestée et plus méprisée qu'à Gabara. Les phari-
siens et autres personnes qui n'ignoraient pas sa
première conversion, si éclatante au repas de Ga-
bara, non plus que la rechute dont elle avait été
suivie, étaient particulièrement scandalisés et ne
pouvaient comprendre qu^elle osât se montrer ici.
» Jésus, après avoir guéri plusieurs malades,
commença une grande et véhémente instruction.
Je ne me souviens pas bien des détails, mais
je me rappelle encore qu'il cria malheur à Caphar-
naiim, à Béthsaïde et à Gorozaïm. Je crois aussi
l'avoir entendu dire que la reine de Saba était
venue des contrées du Midi pour entendre la
sagesse de Salomon, et qu'il y avait ici plus que
Salomon. Il y eut cela de merveilleux, que, plus
d'une fois pendant son discours, des enfants
portés dans les bras de leur mère, et qui n'avaient
jamais parlé, s'écrièrent à haute voix : Jésus de
Nazareth, très-saint prophète, fils de David, flls^de
Dieu (1). Ceci fit une très-vive impression sur
beaucoup d'assistants et sur Madeleine elle-
même. Je me rappelle entre autres choses que
Jésus, faisant allu-sion à Madeleine, dit que quand
le démon avait été chassé et la maison nettoyée,
(l) Psalm VIII, 3.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 181
il revenait avec six autres, et que les choses de-
venaient pires qu'auparavant. Je vis Madeleine
toute bouleversée par ces paroles. »
Ici la vision nous montre Jésus chassant les dé-
mons de ceux qui voulaient être délivrés. Il les
chassait, soit par un commandement général, soit
par une action particulière ; et ces possédés tom-
baient en convulsion, et des figures sombres
comme des nuages et des vapeurs pestilentielles
sortaient de leur corps. Pendant le discours de
Jésus, Marthe priait, et son regard suppliant ,
attaché sur Madeleine, suivait toutes les impul-
sions que la parole de Jésus, que Taction de la
gr&ce exerçaient sur cette âme si chère. Jésus
laissa tomber Madeleine en de violentes convul-
sions, plusieurs fois pendant sa prédication : il
fallait rhumilier et la briser avant de la délivrer
des sept démons de la rechute et du scandale.
Mais pendant cet exorcisme, où la gr&ce de Jésus
disputait à Satan cette âme qui se débattait, Mar-
the était là, Marthe priait, Marthe assistait le divin
exorciste, et, pour ainsi dire, dirigeait avec son
cœur cette lutte qui devait conquérir Madeleine.
Pendant cette lutte, sous le regard et sous la main
de Jésus, deux groupes sont distincts, séparés:
près de Jésus, autour de la Vierge Inmiaculée, le
groupe des saintes femmes ; plus loin de Jésus,
le groupe des mondaines, des pécheresses, des
courtisanes, autour de Madeleine. Mais le regard
et la voix du Maître viennent jusque-là troubler
les âmes et remuer les cœurs, jusqu'en cette fange
11
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182 SAINTE MARTHE
brillante et dorée où ils s*enfoncent et s'étalent.
Ils sont toujours là, ces deux groupes éternels
des filles d'Eve et des filles de Marie, qui s'obser-
vent, se repoussent et s'attirent, Tun pour la joie
infernale du monde, l'autre pour Ja triomphante
allégresse de l'amour divin. Mais, de l'un à l'autre,
du groupe des chrétiennes au groupe des mon-
daines, le rayonnement virginal de Marie et la
prière fervente de Marthe vont saisir des âmes,
retirer des pécheresses, pour en faire des péni-
tentes et des amantes dévouées de la solitude et
de la croix. Ainsi fit Marthe pour Madeleine.
V Or, Madeleine étant tombée pour la troisième
fois en proie à des convulsions violentes, le
tumulte fut plus grand que jamais. Marthe cou-
rut à sa sœur, et, lorsqu'elle reprit ses sens, elle fut
comme hors d'elle-même, pleura abondamment,
et voulut aller s'asseoir à côté des saintes femmes.
Ses compagnes la retinrent de force, lui dirent
qu'elle ne devait pas faire de folies, et on la con-
duisit dans l'intérieur de la ville. Alors Marthe,
Lazare et quelques autres personnes se rendirent
auprès d'elle et la menèrent à l'hôtellerie des
saintes femmes qui étaient toutes accourues. La
tourbe mondaine, qui était venue avec Madeleine,
s'était déjà éclipsée. Jésus guérit encore plusieurs
aveugles et d'autres malades, puis il regagna son
logis. Il guérit certains malades qui étaient restés -
à Azanoth même, après quoi il enseigna dans
l'école. Madeleine était présente ; elle n'était pas
encore complètement guérie, mais profondément
"% r>
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SA VIE, SON HISTOrRE ET SON CULTE. 183
ébranlée; elle n'était plus si magnifiquement
vêtue ; en outre elle était voilée. Jésus, dans son
discours, fit plus d'une allusion à son état, et
comme il jetait sur elle un regard pénétrant, elle
tomba de nouveau en défaillance, et il sortit
encore d'elle un mauvais esprit. Ses suivantes
remportèrent ; Marthe et Marie la reçurent devant
la synagogue et la ramenèrent à Thôtellerie. Elle
était comme folle, poussait des cris^ pleurait,
courait à travers les rues, et criait aux passants
qu'elle était une pécheresse livrée à tous les vices,
le rebut de l'humanité. Les saintes femmes avaient
beaucoup de peine à la calmer ; elle déchirait ses
habits, s'arrachait les cheveux, se cachait tout
entière dans les plis de ses draperies. Lorsque
plus tard Jésus fut revenu à son hôtellerie, où il
mangea quelque chose debout avec ses disciples
et quelques pharisiens, Madeleine trouva moyen
de se dérober aux soins des saintes femmes ; elle
arriva les cheveux épars et sanglottant au lieu où
était Jésus, s'ouvrit un passage à travers les
assistants, se Jeta à ses pieds, et lui demanda en
pleurant si elle pouvait être sauvée. Là-dessus,
les pharisiens et les disciples se scandalisèrent
et dirent à Jésus qu'il ne devait pas soufDrir
davantage que cette femme perdue port&t le
trouble partout, et qu'il fallait la renvoyer une
fois pour toutes. Mais Jésus répondit : Laissez-la
pleurer et gémir, vous ne savez pas ce qui se passe
en elle. Alors il se tourna vers elle pour la con-
soler, lui dit qu'elle devait se repentir, croire et
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184 SAINTE MARTHE
espérer du fond du cœur ; qu'elle trouverait bien-
tôt le repos, et que, pour le présent, elle pouvait
s'en retourner avec confiance.
» Cependant ses servantes et Marthe l'avaient
suivie et elles la ramenèrent au logis. Pour elle,
elle ne faisait autre chose que se tordre les mains
et sangloter , car elle n'était pas encore entière-
ment délivrée. Le démon la déchirait et la tortu-
rait, excitant en elle les remords de conscience
les plus terribles pour la pousser au désespoir ;
elle ne pouvait pas trouver de repos et se croyait
perdue.
» Lazare, sur la prière de Madeleine, se rendit
sans délai à Magdalum pour prendre possession
de tout ce qui appartenait à sa sœur, fermer sa
maison et rompre toutes les relations qu'elle
avait là. Elle possédait près d'Azanoth, et dans le
reste du pays, des champs et des vignes que
Lazare avait mis précédemment sous le séquestre
à cause de ses prodigalités.
» Jésus est parti cette nuit d'Azanoth pour évi-
ter la foule. 11 est allé dans le voisinage de
Domna , à l'extrémité orientale de la chaîne de
hauteurs sur laquelle se trouve Dothaïn. 11 y a là
une jolie colline propre à la prédication, et une
hôtellerie tenue par deux personnes. Le matin de
bonne heure, les saintes fenunes se rendirent
aussi là, avec Madeleine, et trouvèrent Jésus en-
touré déjà d'une foule de gens qui venaient im-
plorer son assistance. Dès qu'on avait su qu'il était
parti, une foule de gens l'avaient suivi. Ils furent
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 185
imités par tous ceux qui s'étaient proposé d'aller
le chercher à Azanoth, et pendant son instruction,
il arriva continuellement de nouvelles troupes.
» Madeleine était assise près des saintes fem-
mes ; elle était complètement abattue et comme
brisée. Le Seigneur parla en termes très-sévères
des péchés d'impureté. Il dit que chez ceux qui
en faisaient métier, on trouvait tous les vices et
toutes les sortes d'abominations qui avaient fait
descendre le feu du ciel sur Sodome et Gomor-
rhe. 11 parla aussi de la miséricorde de Dieu, des
jours de grâce qui étaient arrivés, et il èupplia
pour ainsi dire ses auditeurs d'accueillir cette
grâce. Pendant cette prédication, il regarda trois
fois Madeleine, et trois fois je la vis tomber en
défaillance, pendant qu'une vapeur noire sortait
.d'elle. La troisième fois, les saintes femmes l'em-
portèrent ; elle était comme anéantie, pâle^ dé-
faîte et à peine reconnaissable. Ses larmes cou-
laient sans interruption; elle était toute trans-
formée ; elle gémissait pleine d'un ardent désir
de confesser ses péchés à Jésus et d'en recevoir
le pardon. Jésus vint bientôt la trouver dans un
endroit écarté. Marie et Marthe la conduisirent à
sa rencontre. Elle se jeta à ses pieds, la face con-
tre terre, toute en larmes et les cheveux épars.
Jésus la consola, et quand les autres se furent
retirées, elle demanda son pardon avec des cris
de douleur et confessa ses nombreux péchés, en
répétant toujours : « Seigneur, puis-je encore être
sauvée? » Jésus lui remit ses péchés, et elle lui
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186 SAINTE MARTHE
demanda instamment la grâce de ne plus y re-
tomber. Jésus lui en fit la promesse, la bénit et
s'entretint avec elle de la vertu de pureté. Il lui
parla de Marie, sa mère, qui était pure de toute
atteinte du péché contraire à ce'te vertu; il la
loua hautement et en termes magnifiques, que je
n'avais jamais entendus sortir de sa bouche, et
prescrivit à Madeleine de s'attacher entièrement à
Marie et de chercher en toute occasion auprès
d'elle les conseils et les consolations dont elle
aurait besoin. Lorsqu'elle alla retrouver les sain-
tes femmes avec Jésus, il dit qu'elle avait été une
grande pécheresse^ mais qu'elle serait aussi le
modèle des pénitentes dans tous les temps.
» Épuisée par tant de fortes secousses, par la
violence de son repentir et l'abondance de ses
larmes, Madeleine ne ressemblait plus à un être
vivant : on l'aurait prise pour une ombre errante;
mais elle était calme quoique baignée de pleurs
et brisée de fatigue. On lui prodiguait les conso-
lations et les marques de sympathies, et elle
demandait pardon i\ tout le monde. Gomme les
autres femmes partaient pour Naïm et qu'elle
était trop faible pour les suivre, Marthe, Anne de
Cléophas et Marie la Suphanite se rendirent avec
elle à Domna, pour qu'elle y prît quelque repos
avant d'aller rejoindre les autres, le jour suivant.
Le reste des saintes femmes se dirigea vers Naïm
par Gana, où je crois qu'elles passèrent la nuit (1). »
(I) Vie, etc., IV, 3. — 13 paasiro.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 187
Nous sommes à la veille du jour éclatant de la
pénitence publique *et de la miséricorde divine
dans la maison de Simon le Pharisien. La vision
s'arrête où l'Évangile raconte en tous ses détails
cette scène éternellement adorable et touchante
où Madeleine repentante, prosternée, humiliée,
fut pardonnée publiquement par Jésus et justifiée
pour son amour. Nous n'avons pas à reprendre
ces détails, racontés ailleurs et qui sont plus
directement de la vie de Madeleine, mais nous
avons voulu montrer, par ces abondants récits de
la vision, la part de Marthe dans la conversion
de Madeleine. Cette part est grande, importante,
décisive. Après la grâce de Jésus, c'est à la ten-
dresse de Marthe que nous devons Madeleine.
En suivant, non sans charme et sans émotion, le
récit très-circonstancié de la voyante, qui ne fait
^du reste que donner du relief et mettre les noms
aux tableaux indécis et aux lieux innommés de
l'Évangile, nous avons vu Marthe, toujours agis-
sante et empressée, mais patiente et douce, frap-
per au cœur^iiô sa sœur pour y faire entrer la
grâce. La scène de l'Évangile, la scène du pardon,
résume pour ainsi dire tous les combats, les
chutes, les relèvements de Madeleine et couronne
son humble et vaillant effort pour se soumettre à
la grâce et se prosterner aux pieds de Jésus.
L'Évangile nous montre Jésus à table , accoudé
selon la manière des anciens dans le triclinium
du Pharisien; puis la pécheresse à ses pieds,
ployée, brisée par la honte et le repentir, répan-
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188 SAINTE MARTHE
dant ses pleurs^ mêlant ses parfums, épandaot
ses cheveux sur les pieds tlu Maître ; puis nous
voyons Simon le Pharisien, la sagesse humaine
orgueilleuse et suffisante, qui se croit honnête,
doutant et discutant sur la personne de Jésus et
sur les faiblesses de son indulgente pitié, comme
Judas se scandalisera des prodigalités de Tamour
de Madeleine. Aucun autre personnage n'est ici
nommé. Les disciples, à table, sont nmets, éton-
nés ; ils écoutent et regardent. Mais dans Tombre
de Tatrium qui communique au triclînium de
Simon,par la porte entr'ouverte où s'est glissée
Madeleine, voyez le groupe des saintes femmes,
modestes et voilées, dans des attitudes discrètes
où chacune traduit son caractère et son émotion.
Elles regardent, écoutent, attendent et prient. Mais
dans le groupe évangélique, voyez Marthe, voyez
la sœur qui contient son émotion et laisse couler
ses larmes, les mains jointes sur son cœur palpi-
tant, dans Teffusion muette de sa reconnaissance,
bénissant Jésus d'avoil* appelé sa sœur, de l'avoir
entraînée, prosternée à ses pieds, par l'action de
sa grâce, et de l'avoir pardonnée. Elle ne pense
point à elle-même en ce moment ; elle ne dit
point que ce sont ses démarches, ses instances,
ses prières, son infatigable et maternelle affection
qui ont ouvert le cœur, de Madeleine à l'amour
divin et préparé le triomphe de la grâce ; non, elle
est trop heureuse, elle est ici ce qu'elle sera tou-
jours, s'oubliant elle-même pour parler aux
autres, pour les servir, les rendre heureux, et
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 189
n'ayant de bonheur que le bonheur des autres,
mais surtout le bonheur de sa famille, le bonheur
de Lazare et de Madeleine. En ce moment divin,
elle ne pense qu'à sa sœur, décidément convertie
et solennellement pardonnée ; elle ne pense qu'à
sa sœur, qu'elle aime maintenant mille fois plus,
de toutes ses inquiétudes passées, de toutes ses
peines divinement récompensée. Elle pense à
Jésus, au bon Maître, dont elle connaît mieux
maintenant l'adorable bonté, dont elle bénit avec
plus de reconnaissance la divine puissance de
miséricorde et de pardon.
Cela suffit pour notre édification et pour notre
joie ; cela suffit pour le mérite de Marthe et pour
notre reconnaissance ; cela suffit aussi pour nous
découvrir et nous faire admirer dans la sœur de
Madeleine, le modèle de ces sœurs, de ces filjes,
de ces mères chrétiennes qui travaillent dans le
sein de la famille au retour de l'enfant prodigue,
à la conversion d'une pauvre égarée, au salut
d'une âme indifférente ou obstinée loin de Dieu :
voilà leur modèle. C'est ainsi qu'elles doivent
être patientes et douces, humbles et dévouées ;
espérant toujours, même contre l'espérance, et
redoublant de prières et de supplications, à me-
sure que la grâce semble plus fatiguée et plus
combattue. Elles ne doivent jamais rompre toute
relation de famille et d'affection, même au milieu
des désordres les plus scandaleux, afin de garder
encore quelque sympathie qui les rattache à ces
pauvres cœurs, plus malheureux encore que cou-
11.
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190 SAINTE MARTHE
pables ; afin de ne pas briser le roseau cassé et
de ne pas éteindre la lampe qui fume encore (i);
afin de ne pas perdre ces derniers liens qui traî-
nent encore et par lesquels, avec prudence et cha-
rité^ on peut les ramener au foyer, au bercail, aux
pieds de Jésus, dans les bras du père céleste.
C'est ainsi qu'elles ne doivent jamais désespérer
du retour et du salut de ces chères âmes en péril,
de la puissance de la grâce, et des dispositions de
ces pécheurs plus impuissants pour le bien qu'obs-
tinés dans le mal. C'est ainsi qu'il les faut aimer
ces Augustin et ces Madeleine, et leur prouver un
amour c^ivinement humain, humainement divin,
par des complaisances, des attentions, des solli-
citudes où Ton ne puisse voir que le pur dévoue-
ment à leur bonheur, non le désir de les traîner
en triomphe. Il faut les émouvoir sans les obsé-
der, les toucher sans les violenter, les ramener
par les souvenirs aux remords, et par la tendresse
au repentir. Enfin, c'est ainsi, comme Ta fait
Marthe pour la conversion de sa sœur, comme
elle le fera pour la résurrection de son frère, c'est
ainsi qu'il faut pousser vers Jésus le cri du cœur,
sans cesse répété, jusqu'à ce qtfil soit exaucé : —
Domine, ecce quem amas infirmatur. — Seigneur,
voilà que cette âme que vous aimez est malade.
Jusqu'à ce que le bon Maître, vaincu par tant de
prières et tant d'amour, réponde : Infirmitas hac
(1) Math. XII, 20.
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 191
non est admortem. Cette maladie n'ira pas jus-
qu'à la mort (1).
(1) Joan. XI, 3-4.
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VI
MABTHE REÇOIT JÉSUS DANS SA MAISON.
Haer. est dulcis hospita
Tarn piè sollicita
Circa Dci lilium.
Manu parai propria
Magna diligentia
Domiuo coDvivium.
(Missal. Auscitan. Ecoles 1555.
In Martbae solemnio
Pangat oainis concio
Chrîôto melos glorîs.
Quem hœc carens vitio,
Susccpil bospilio
Cum vultu lœtiliœ.
Cbristus bosncs bospitam
Gbaritati dediiam
Hospilatur bodie.
(Missal. Turon. 1517. Missal.
Parisiens. 1634.)
C'est là celte doace bôtesse si pieusement
occupée du fils de Dieu.
De sa Dropre main, avec une grande dili-
gence, elle prépare un festin au Seigneur.
Dans la solennité de Martbe, auc toute
l'assistance cbante au Cbrist une nymne de
gloire.
Au Cbrist que sa vertueuse amie reçut en
bospilalilé avec un visage rayonnant de joie.
Le Cbrist, son bote, donne aujourd'bui
rbospitalilé à cette bôtesse si pieusement
cbarilable.
Or, il arriva que pendant qu'ils allaient, Jésus
et ses disciples, pour évangéliser les villes et les
bourgades de la Judée, Jésus entra dans un vil-
lage (Gastellum); et une femme du nom de Marthe
le reçut dans sa maison... (1).
(i) Luc. X, 38.
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194 ' SAINTE MARTHE
De la conversion.définitive de Madeleine à cette
réception solennelle de Jésus dans la maison
de Marthe, une année s'était écoulée. Madeleine,
soutenue et comme poussée par sa sœur, était
venue dans la maison de Simon le Pharisien , vers
le milieu de la seconde année évangélique de
Jésus ; et le bon Maître vient dans la maison de
Marthe vers le mois de novembre de Tannée
suivante. Ce n'était peut-être pas la première fois
que Jésus entrait dans la maison de Marthe ;
assurément ce n'était pas la première fois qu'il
entrait dans le castellum de Béthanie, aux portes
de Jérusalem. En évangélisant la Judée, il avait
passé par Béthanie, il s'était arrêté dans la maison
de ses amis, dans la maison de Lazare plus
spécialement. Ici nous voyons le Sauveur entrer
chez»Marthe, puisque le frère et la sœur avaient
chacun leur château, leur maison particulière, se
reposer dans sa maison, y prendre un repas.
Toutes ces circonstances, qu'il a voulu que
l'Évangile racontât en détail, ont une signification
mystérieuse. L'attitude des deux sœurs, leurs
fonctions près du Verbe incarné, les paroles de
Jésus, nous révèlent de profonds mystères de
vérité , nous ouvrent de profonds abîmes de
grâce. C'est pourqui l'Evangile nous dit, comme
si nous ne connaissions pas encore la pieuse fille,
l'humble et généreuse vierge attachée à Jésus,
qu'une femme du nom de Marthe le reçut dans
sa maison ; il donne à Madeleine son nom propre
de Marie, afin que la physionomie des deux
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 195
sœurs, leur vocation et leur grâce soient aussi
distinctes que leurs noms.
Raban nous dit ici (1) que ce bourg, ce Castellum
où Jésus entra avec ses disciples, est Magdalum.
C'est une erreur évidente : ce Castellum est
Béthanie. Jésus est venu à Jérusalem pour la .
fête des tabernacles (2) ; il est entré dans la ville
sainte, presque incognito, le dernier jour de la
fête ; il a enseigné le peuple ; il a pardonné à la
femme adultère ; il a guéri Taveugle-né ; il s'est
dérobé à la fureur de ses ennemis qui ne veulent
ni reconnaître sa divinité, ni se rendre à ses
niiracles. Alors il est sorti de Jérusalem et il a
parcouru la Judée, envoyant ses disciples deux à
deux devant lui, pour lui préparer les voies et lui
ouvrir les cœurs. C'est au cours de ces prédica-
tions, le mois suivant, que Jésus est entré dans le
Castellum et a été reçu dans la maison de Marthe.
Evidemment c'est Béthanie qui est ici désigné ;
B^anie, près de Jérusalem, derrière le mont
des Oliviers ; Béthanie où Lazare et Marthe
avaient chacun leur maison, leur château, comme
il convenait à de nobles descendants des princes
syriens. C'est donc à Béthanie que Jésus s'arrêta ;
c'est dans la maison de Marthe, où Madeleine
s'était retirée sous la protection de sa sœur, après
avoir abandonné Magdalum, où Madeleine venait
(1) Vie de sainte Madeleine et de sainte Marthe, X.
(2) Da 29 sept, au 6 oct.; vide clironotaxim Gest. Christ.
I»a4 Com* ^ Lap.
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196 SAINTE MARTHE
vivre de pénitence, de contemplation et de silence,
après qu'elle avait suivi le Maître en quelques-
unes de ses courses apostoliques et recueilli ses
paroles de vie pour les méditer en son cœur.
C'est là que Jésus entra, c'est là qu'il vint se
reposer et répandre sur des âmes de choix des
grâces particulières.
— Et elle avait une sœur du nom de Marie,
laquelle en ce moment, assise aux pieds du Sei-
gneur, écoutait sa parole. — La sœur de Marthe,
cette sœur que l'Evangile nomme ici Marie, est
cette Madeleine que nous avons vue pécheresse à
Magdalum, convertie et pardonnée à Naïm, et qui
s'est réfugiée à Béthanie, loin du théâtre de ses
criminelles folies, près du théâtre futur des
douloureuses expiations de Jésus. Nous n'avons
pas à le démontrer, puisque nous l'avons fait
ailleurs. L'Evangile, malgré les interversions^
les lacunes et les répétitions du quadruple ré-
cit des évangélistes, nous l'indique sufftsana-
ment, pour que la tradition de tous les siècles
ne s'y soit pas trompée et que l'instinct des âmes
chrétiennes l'ait toujours cru. Cette sœur est
Madeleine : c'est la pécheresse, la courtisane , la
femme perdue; c^est la repentie, la pénitente.
C'est la bien-aimée de Marthe et de Lazare. C'est
la préférée de Jésus, l'âme relevée, abîmée aux
pieds du Maître, par l'humilité, la pénitence et
l'amour, s'élevant, planant dans la contemplation
des plus hauts mystères et dans la contemplation
des plus sublimes faveurs. Voilà le triomphe de
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 19"^
l'amour divin; voilà, résumée en un exemple
éclatant, l'œuvre de régénération du Verbe incarné,
venu du Ciel pour rechercher ce qui était égaré,
pour sauver ce qui était perdu, pour rapporter au
Ciel, sur ses épaules de Bon Pasteur et sur son
cœur d'Homme-Dieu, cette brebis indocile, cette
nature humaine tombée par le péché dans l'ab-
jection et la mort.
Voilà les deux sœurs, la pénitente et la vierge,
l'une innocente, l'autre coupable, mais pardon-
née, et plus chère au cœur du Maître, parce
qu'elle lui coûta davantage. Voilà les deux sœurs
auprès de Jésus ; Tune qui le reçoit, l'autre qui le
retient; Tune qui vient se prosterner pour Tac-
cueillir, l'autre qui vient s'asseoir à ses pieds
pour l'écouter. Marthe et Marie, deux sœurs, non-
seulement par la nature, mais par la religion ;
toutes les deux s'attachèrent au Seigneur, tou-
tes les deux s'accordèrent à servir le Seigneur
présent en sa chair (1). — Or, Marthe, avec beau-
coup d'empressement, s'occupait pour le servir.
— Marthe reçut le Maître comme on reçoit un
étranger de distinction, un hôte que l'on veut
honorer, avec le désir de lui plaire, d'acquérir sa
bienveillance, on mettant à son service et comme
à ses pieds toute la maison. Mais elle le reçut
(1) Martba et Maria dus sororen erant, ambœ non soUim
camo, sod eliain rciigionc gcrninnae : ambie Domino cohae-sc-
ront^; ambs Domino carne pra^scnli coucordilcr sct-vieiunt.
S. Aag., serm^ descrîpt. ClII.
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198 SALME MARTHE
aussi comme un ami, avec cette joie empressée
qui voudrait se communiquer à tous pour multi-
plier autour de la personne aimée les soins, les
attentions et les ofQces. Elle le reçut, enfin, nous
le devons croire, comme une servante reçoit son
seigneur, une malade son sauveur, une créature
son créateur; elle le reçut pour nourrir selon la
chair celui qui devait la nourrir selon Tesprît (1).
Le Seigneur, en effet, a voulu prendre la forme
d'esclave afin de se faire nourrir par ses servi-
teurs ; il Ta fait par condescendance, non par un
besoin de sa condition. En effet, c'est une grande
condescendance de se donner à nourrir ; il avait
une chair en laquelle il avait faim, il avait soif;
mais ne savez-vous pas que dans le désert, les
anges le servirent quand il eut faim (2)? C'est
pourquoi, s'il a voulu être nourri, c'est par
amour pour qui le nourrit. C'est donc ainsi que
fut reçu le Seigneur, comme un hôte qui est
venu dans son propre domaine et que les siens
n'ont pas reçu. Mais tous ceux qui l'ont reçu, il
leur a donné le pouvoir de devenir fils de
Dieu (3). Adoptant des esclaves pour en faire des
frères, rachetant des captifs pour en faire des
(1) Sed lamen suscepit famula Dominum, aegra Salvatorem,
«reatura Greatorem; stiscepit autem spiritu pascenda in came
pascendum. S. Aug., ibid.
(2) Math. IV, 11.
(3) Joan I, 11.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 199
cohéritiers (1). Toutefois, que nul d'entre vous ne
vienne dire : 0 bienheureux ceux qui ont mérité
de recevoir le Christ dans leur propre maison I
Ne te plains pas, ne murmure pas d'être né dans
un temps où tu ne vois pas le Seigneur dans sa
chair ; il ne Va pas enlevé le mérite et cet effet de
sa condescendance. Ce que vous aurez fait, dit-il,
à un de mes plus petits, c'est à moi que vous
l'aurez fait (2).
Tel fut l'office de Marthe : elle reçut le Sei-
gneur ; elle le reçut dans sa maison, qu'elle mit
toute entière à sa disposition. Elle se mit à pré-
parer les aliments qu'il devait prendre pour sou-
tenir son corps et réparer ses forces , car Jésus
veut bien accepter ce que nous pouvons lui
offrir ; il veut même nous demander ce dont il
veut avoir besoin, selon cette adorable parole de
saint Paul : — Vous savez, en effet, la grâce de
Notre-Seigneur-Jésus-Christ, car pour nous il
s'est fait pauvre, lorsqu'il était riche, afin que son
indigence nous fît riches (3). Tel fut, tel sera tou-
jours dans l'Eglise et dans le monde l'office de
Marthe, le grand et sublime office des œuvres de
miséricorde. Mais nous l'expliquerons bientôt
plus au long en comparant les deux sœurs dans
leur offlce et leur vocation.
(1) Adcplans scrvos ot fratres fecicns ; redîmens captivos et
facieos cohaBredes. S. Aug., ibid.
(2) Math. XXIV, 40.
m II, Cor., VIII, 9.
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200 SAINTE MARTHE
—Or, pendant que Marthe s'occupait avec beau-
coup d'empressement de préparer toutes choses
pour le besoin du Maître, Marie à ses pieds écou-
tait sa parole. Marie, assise et non debout, comme
la plus humble des disciples, aimant et révérant
le Christ d'une souveraine affection ; assise à ses
pieds, afin de l'entendre avec le plus de calme,
le plus de modestie, le plus d'avidité, le plus d'at-
tention qu'elle pouvait (1). Et Marthe, voyant sa
sœur assise et comme inoccupée, vient au Maître,
s'arrête devant lui et lui dit : Seigneur, vous ne
faites pas attention que ma sœur me laisse seule
vous servir : dites-lui donc qu'elle m'aide. — Ai-
mable et délicieuse familiarité! Marthe se plaint;
elle est troublée ; peut-être, en effet, dans son em-
pressement, elle voudrait que tous fussent em-
pressés comme elle, afin que le Maître fût mieux
et plus parfaitement servi, car c'est au Maître
qu'elle pense uniquement et toute entière îi lui.
Elle croit que sa sœur n'est pas assez occupée de
son hôte bien-aimé ; mais il n'y a point d'aigreur
dans ses paroles, comme il n'y en a point dans
son cœur, contre cette sœur bienheureuse qu'elle
a ramenée de si loin aux pieds de Jésus. Il n'y a
point de reproche, encore moins de jalousie con-
tre cette préférée si tranquillement assise et uni-
quement attentive pour jouir de la présence et de
la vue, de la parole et des exhortations du Maître.
(1) Corn, a Lap. in Luc. X.
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SA VIE, SON HÎSTOIRE ET SON CULTE. 201
Non, tel n'est pas le cœur de Marthe, de cette vail-
lante et pieuse fille qui s'est toujours oubliée pour
le service des autres, pour chacun des membres
de sa famille, qui s'est dévouée pour cette sœur
d'autant plus aimée, qu'elle est revenue de plus
loin, que Ton est allé la chercher avec plus de
sollicitude et que le Maître lui témoigne plus d'in-
dulgence et de bonté. Non, ce n'est pas à elle
même que Marthe pense ; elle pense au bon Maî-
tre, uniquement à son Maître ; elle voudrait que
sa sœur s'occupât et s'empressât comme elle, pour
l'honorer et pour le servir. Elle ne sait pas , elle
ne comprend pas encore que Madeleine remplit
en ce moment un office aux pieds de Jésus,
conmie elle-même en remplit un avec ses travaux
et ses empressements ; elle ne comprend pas
l'importance et la sublimité de cet office de con-
templation, et sa supériorité siu* l'office d'action.
Mais Jésus permet le trouble et les empressements
de Marthe, pour mieux l'instruire, pour mieux
nous instruire nous-mêmes, si facilement entraî-
nés aux choses extérieures.
Toutefois, si l'on veut entrevoir dans le cœur
de Marthe, énergique et doux, un sentiment per-
sonnel, plaçons ici cette considération que com-
prendront les âmes aimantes, et distinguons dans
les paroles de Marthe un autre accent que sauront
bien discerner et sentir les cœurs transverbérés
de l'amour divin, comme celui de sainte Thérèse,
ce Je me rappelle parfois, dit-elle, la ' plainte de
sainte Marthe : Je ne crois pas que son dessein
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202 SAINTE MARTHE
fût de se plaindre seulement de sa sœur ; je tiens
au contraire pour certain que ce qui la contristait
le plus, c'était la pensée que vous ne teniez pas à
la voir près de vous. Peut-être lui sembla-t-il que
vous ne l'aimiez pas tant que sa sœur, et voilà ce
qui devait lui causer plus de peine que la fatigue
de servir celui qu'elle aimait tant ; car l'amour
change le travail en repos. Cette disposition de
son esprit paraît clairement en ce que, sans dire
une seule parole à sa sœur, elle vient, Seigneur,
vous adresser toute sa plainte ; et, dans l'excès
de son amour, elle ose bien vous reprocher de
n'avoir pas assez de sollicitude pour elle. Votre
réponse même. Seigneur, montre que sa plainte
procédait de la crainte que j'ai dite ; car vous lui
déclarez que l'amour seul donne du prix à tout ;
et que cette unique chose nécessaire dont vous
leur parlez, est d'avoir un si grand amour pour
vous, qu'il triomphe de tous les obstacles qu'on
lui oppose (1). »
\ Nous n'aurions pas su comprendre, nous n'au-
rions pas osé dire le! sentiment de l'âme, ou plutôt
du cœur de sainte Marthe : il fallait une fenune, il
fallait une sainte, une délicate contemplative, en
même temps qu'une habile fondatrice de monas-
tères, un admirable résumé de Marthe et de Marie,
pour nous expliquer ces saintes et pudiques jalou-
sies du cœur de Marthe. Nous aurions à nos pro*
(1) Sainte Thérèse. Exclamations, etc. V. Trad. de M. rabbé
Bouix.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 203
près considérations mêlé de trop grossières
images et de trop infirmes paroles. Ste Thérèse
nous le dit ou plutôt le dit à son Sauveur, et elle
nous instruit, elle nous fait comprendre un des
ressorts de la conduite de Marthe, un des motifs
de sa plainte. Elle nous fait découvrir dans cette
âme active et généreuse un petit reste, une om-
bre, un retour presque inconscient d'amour-
propre. Marthe veut que Jésus la voie, que Jésus
l'apprécie ; elle veut que le divin ami témoigne
qu'il est content de son empressement, satisfait
de ses préparatifs, et surtout ému de son amour.
Elle n'aime pas encore parfaitement de cet amour
pur, désintéressé, qui s'oublie soi-même et qui
s'absorbe tout entier dans Jésus, Tunique bien-
aimé. Marthe est encore faible, imparfaite dans
l'amour divin, et Jésus la veut instruire, élever,
purifier. Jésus veut perfectionner et sanctifier
cette nature si noble et généreuse. Jésus, qui veut
nous instruire avec elle, est entré dans cette heu-
reuse maison, daigne accepter les soins de son
amie, entendre ses plaintes et lui répondre, pour
nous révéler qu'avant tout, surtout, il veut être
aimé pour lui-même ; caf c'est là runique néces-
scLirCj l'unique pour son divin cœur, l'unique
pour notre éternel bonheur.
Mais en ce moment, et si nous ne sortons pas
de cet humble cadre tracé par la lettre de l'Évan-
gile, nous avons devant les yeux une aimable et
charmante scène domestique. Marthe empressée^
Marie absorbée, Jésus entre les deux sœurs, dont
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204 SAINTE MARTHE
Tune récoute, le regarde avidement et oublie
toute autre chose, et l'autre le sert, dresse la
table, prépare les mets, et n'a pas le temps d'en-
tretenir son hôte ami ; à peine peut elle le regar-
der d'un coup d'œil en passant. Où est Lazare?
Où sont les disciples ? ne pourraient-ils pas tenir
compagnie au Maître, et sa sœur pourrait alors
l'aider pour ce festin d'amis qu'elle voudrait si
somptueux et si savoureux pour leur ami ? Elle
accourt, elle se place devant lui. Maître, dit-elle,
je n'en puis plus de travail et de fatigue, et ma
bœur le voit et elle ne vient pas m'aider. Pourquoi
la retenez-vous à vos pieds ? pourquoi l'enchaî-
nez-vouspar vos doux entretiens? Dites-lui de
venir m'aider et de vous servir comme moi. Elle
ne s'occupe que de vou&, elle né pense pas à moi,
me délaisse dans mes travaux. Elle est vraiment
trop heureuse, mais elle vous exprimerait peut-
être plus d'attachement en m'aidant à vous ser-
vir. Dites-le lui, vous qu'elle écoute uniquement,
elle ne m'entendrait pas, elle ne m'écouterait pas,
absorbée qu'elle est par votre présence et enivrée
par votre parole.
Et Jésus lui répond : « Marthe, Marthe, tu es
inquiète et tu te troubles pour préparer beaucoup
de choses; une seule me suffit. Tu veux me
dresser un festin opulent, me servir des mets
nombreux et délicats. Je n'ai pas besoin, tu le
sais, de la profusion des mets et de la recherche
des aliments. La tempérance et la pauvreté veu-
lent moins de délicatesse. Je ne blâme pas ton
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-SA VIE, SON HISTOIRE ET SON* CULTE. 205
zèle et ton affection, ton respect pour ma per-
sonne et tes soins pour me prouver que tu .m'es
toute dévouée ; mais il me suffit d'une nourriture
simple que tu me servirais sans embarras. Ne te
trouble donc pas ainsi dans tes empressements et
laisse ta sœur goûter en paix la douceur de mes
paroles (1). « Marthe interpelle son hôte, dit ici
saint Augustin ; il le fait juge de ses plaintes af-
fectueuses, de ce que sa sœur la laisse seule et
néglige de l'aider dans les travaux de son minis-
tère. Mais Marie ne répondant pas, quoique pré-
sente, le Seigneur juge en ce débat pieux. Marie
aime mieux confier sa cause au juge, pour ne pas
sortir de son repos. Elle ne voulut pas se fatiguer
à répondre ; car si elle cherchait à répondre, elle
se relâcherait de son attention à écouter. Il ré-
pondit donc, le Seigneur, qui ne se fatiguait point
en parlant parce qu'il était le Verbe (2). Que dit-il
donc? Marthe, Marthe... Il répète son nom comme
marque d'affection, ou peut-être pour mieux ex-
citer son application. Afin qu'elle écoutât avec
plus d'attention, il l'appelle deux fois : Marthe,
Marthe, écoute ; tu es occupée de beaucoup de
choses ; il n'y a qu'une seule chose, c'est-à-dire
une seule nécessaire (3). »
Il dit, ajoute Raban Maur, et il se mit à table^
(i) Vide Corn, a Lap. in Luc. X.
(2) Re^oudit ergo Dominus, qui in verbo nou lairarabat»
qnia Veri>am erat.
(3) S. Aog. serm. CIII.
12
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206 SAINTE MARTHE
et avec lui les douze apôtres et les soixanle-douze
disciples et les femmes pieuses qui raccompa-
gnaient. La bienheureuse Marthe pourvoyait aux
besoins du repas, d'une main généreuse, selon sa
coutume, ainsi que Tintendante de sa maison,
rillustre Marcelle (1), et Suzanne, et Jeanne, dont
le mari était officier de la table et intendant du
royaume d*Hérode Antipas, tétrarque de Ga-
lilée (2). S*il fallait prendre à la lettre le récit de
Raban, nous aurions dans la maison de Marthe
un nombre bien considérable de convives réunis
au môme festin, sinon assis à la môme table, et
nous comprendrions encore mieux le trouble et
Tempressement de Marthe. Mais nous savons que
la riche et généreuse hôtesse de Jésus employait
tous ses biens à le nourrir, et avec lui ses apôtres
et ses disciples ; à nourrir la communauté chré-
tienne tout entière, d'accord avec son frère Lazare
et sa sœur Madeleine : Ministrabat mensis larga
manu more suo Martha beatissima. Pour FEglise
naissante, la noble et libérale vierge fut*conmie
une mère et une nourrice : Nutrtcis ac gerula
(1) Le Brév. Rom. XXIX julii rappelle Marcella pedissequa.
La vie de sainte Marlbe, attribuée à la fausae Syn tique et que
Raban a suivie dans son réctt, attribue à Marcelle rexclamation
d'admiration et de foi dont parle rEvangile (S. Luc. XI, 27),
Saint François de Sales (serm. sur la Présentation de la Sdnte-
Vierge) adopte cette tradition, et GoA*nelins a Lapide la rap«
porte et ne la repousse pas (In Luc. XI).
(2) Raban, Vie de sainte Madeleine et de samte Marthe, X.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 207
fungebatur officio (1). Et si tous les apôtres, tous
les disciples qui suivaient Jésus n'étaient pas en
ce moment réunis autour du Maître, assis au
même festin de la tendre hospitalité de Marthe ,
nous savons, et par TEvangile et par le récit de
Raban (2), que Tofflcieuse Marthe disposait toutes
choses dans des hôtelleries spéciales pour hé-
berger les disciples, et répandait de larges au-
mônes dans la bourse commune que Jésus avait
confiée à Tlscariote. Telle était Marthe, empressée,
dévouée, généreuse, aimant à savourer le bonheur
que Ton goûte à donner et que le Maître a mar-
qué d'une bénédiction spéciale de son divin
cœur (3).
Voilà la scène évangélique, plus rapide et plus
simple encore que nous ne. le disons ; voilà les
sentiments naturels de Marthe, et le silence plus
significatif encore de Marie, et la réponse pleine
de douceur et d'affection de Jésus défendant la
jeune sœur, qui se tait humblement, contre la
sœur aînée, qui se plaint affectueusement. — Mais
sortons du cadre domestique de cette scène in-
time ; allons plus loin, montons plus haut, per-
çons l'écorce de la lettre pour découvrir les di-
vines réalités de l'Esprit. Voyons dans la pensée
de Jésus, expliquée par les Pères et comprise par
l*Eglise, voyons la signification de cette scène,
(1) Ruth. IV, 16.
(2j Raban, Vie, etc., XI.
(3) Actor. XX, 35.
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208 SAINTE MARTHE
rofflce des deux sœurs, et comprenons la portée
des graves paroles du Maître. — Commençons
par cette remarque, aussi frappante que profonde,
aussi vraie au point de vue de la théologie que re-
marquable dans la bouche d'une humble voyante :
— « L'Evangile ne donne quelques détails que sur
les personnes et les disciples dont Tindividualîté
représente certains types dans TEglise. Tout ce
qui est superflu ou fait double emploi est laissé
de côté. Mnsi les histoires de beaucoup de péche-
resses ne sont représentées que par l'histoire de
Madeleine... ainsi il est peu parlé de Marie ; il est
plus souvent question, de Madeleine et de Marthe,
et tout cela pour le profit et le plus grand bien
dés hommes de tous les temps, non de ceux d'une
époque particulière, car on passe sous silence ce
qui aurait pu édifier tel siècle ou tel peuple, maïs
être un sujet de scandale pour les autres (1). » —
Marthe et Madeleine représentent ici les deux
groupes, les deux armées^innombrables de ces
âmes appliquées dans l'Église à l'action et à la
contemplation. Elles représentent ces deux forces
et ces deux puissances de l'amour, ces deux offi-
ces et ces deux ministères de la charité, aussi
utiles,, aussi nécessaires l'un que l'autre. Ce sont
deux sœurs différentes de figure et de caractère,
mais toutes deux appliquées au service du même
maître. Ce sont deux fonctions dont l'excellence
(1) Vie de N.-S. III, m.
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8A VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 209
est diverse, et dont la variété, ramenée à Tunité,
nous rappelle que tout doit tendre à Tunité dans
le temps et tout se conformer, vivre et se dilater
en Un dans Téternité. Ce sont les deux grands
ministères de charité, de charité, disons-nous, qui
est une comme le Dieu où elle tend, comme le
Christ qu'elle sert, comme TEglise dont elle anime
et réjouît le vaste royaume : deux ministères dont
l'un est tout entier dans le temps, en travaillant
pour l'éternité, dont l'autre sort du temps pour
préluder à l'éternité : deux groupes, deux familles
d'âmes distinctes mais non séparées qui se diri-
gent de la terre au cttl ; Tune penchée vers la
terre pour en soulager les misères, l'autre regar-
dant au ciel pour en pressentir les beautés,
comme les deux lignes parallèles d'une procession
virginale, l'une d'action, l'autre de contemplation,
qui se réunissent aux portes du paradis pour
s'unir, se fondre et vivre éternellement en Dieu.
Ces deux familles, désormais immortelles dans
l'Eglise, sortent de la maison de Marthe pour
inonder l'Eglise de leurs chastes phalanges, la
remplir de leurs œuvres et la sanctifier de leurs
vertus.
Uni docteur n'a plus pieusement et plus pro-
fondément étudié ces deux femmes dans le récit
évangélique, comme les deux types des deux
ministères, les deux exemplaires des deux vies,
que saint Augustin en deux de ses sermons et
en ses admirables traités sur l'Évangile de saint
Jean. Nous ne ferons que le suivre, le traduire
12.
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210 8AINTE MARTHE
et rexplîquer. Marthe et Marie étaient occupées
du Maître : c'est Jésus qui est l'objectif unique
de leurs pensées et de leurs affections, de leur
action et de leur activité ; car Tune et l'autre
sont actives : celle qui écoute comme celle qui
sert, celle qui contemple comme celle qui s'a-
gite. L'une a reçu Jésus dans sa maison et l'a
pour ainsi dire amené sur la terre, introduit
parmi nous : c'est Marthe, c'est la vierge. L'autre
est venue chez sa sœur pour trouver Jésus, pour
le voir et l'entendre, pour jouir de sa présence
et de son amour : c'est Marie la pénitente par-
donnée, l'âme ardente, généreuse, et qui a tout
quitté pour Jésus. Marthe s'occupe avec un em-
pressement affectueux de nourrir le Seigneur:
Marie s'attache, avec un recueillement extatique,
à se nourrir du Seigneur. Marthe est distraite,
porte son attention sur divers objets ; elle est
comme divisée de soins et de pensées , quoique
son cœur soit uniquement attaché à Jésus. Marie
est tout entière et bien exclusivement occupée
de la personne de Jésus ; ses sens comme son
esprit et son cœur sont absorbés par la présence
de Jésus. Marie semble délaisser sa sœur, qui
se trouble et se fatigue dans un laborieux mi-
nistère ; elle s'assied aux pieds du Maître, tandis
que Marthe, forcée de le quitter pour aller ail-
leurs s'occuper d'objets différents, mais pour le
service du Maître, se plaint et semble accuser
sa sœur. L'une était troublée, l'autre était déli-
cieusement repue ; l'une disposait plusieurs cho-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 211
ses, Vautre ne regardait qu'un seul objet. L'un
et l'autre office est bon. Mais cependant que
disons-nous qui est le meilleur? Nous avons qui
interroger. Écoutons attentivement (1).
Interrogeons le Maître; écoutons le Maître.
Marthe vient impétueusement lui poser la ques-
tion, et le Maître répond affectueusement : Mar-
the, Marthe, tu te répands sur beaucoup de
choses en soins et en inquiétudes. Or, il n'y en
a quune de nécessaire, c'est celle que Marie a
choisie; c'est la meilleure part, qui ne lui sera
pas ôtée. Ils sont bons les ministères qui s'oc-
cupent des pauvres, et surtout les services pieux.
Les devoirs que l'on rend aux saints de Dieu,
on les leur rend, on ne les leur donne pas, car
l'apôtre dit : Si nous avons semé pour vous les
choses spirituelles, grande affaire si nous mois-
sonnons vos choses temporelles (2) I Ils sont
bons les offices de charité : nous vous exhor-
tons à les pratiquer, à suivre l'exemple de Mar-
the, la vraie princesse de toutes les âmes, de
toutes les vierges, de toutes les associations
vouées aux œuvres de miséricorde, édifiées en
la parole du Seigneur ; ne négligez pas de re-
cevoir les saints. Il en est qui, recevant ceux
(1) nu turbïbatur, Ista epulabatur; illa multa disponebat,
isU noum aiipiciebat. Ulrumque ofllcium bonum ; sed tamen
qood ait melias quid nos dicamus 7 Habemus qiiem interroge-
mos,paUeaier audiamus. (S. Aug., 8e<*in.Gin.)
(i)Cor. IX, il.
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212 SAINTE MARTHE
qu'ils ne connaissaient pas, ont reçu des an-
ges (1). Tout cela est bon. Meilleur est cepen-
dant ce que Marie a choisi ; meilleur en mérite,
sans doute, puisqu'on est plus occupé, sans dis-
traction ni partage, de la personne du Verbe
incarné ; meilleur encore en excellence^ meil-
leur en jouissance ; car si Tun a plus d'occu-
pation, l'autre a plus de suavité. Dans l'action,
dans le ministère, l'homme veut accourir et se
montrer, l'homme cherche ce qui lui manque,
prépare ce qu'il a ; l'esprit se dissipe, et Marthe
souvent n'y peut suffire ; elle demande l'aide de
sa sœur. Multiples sont toutes les choses et di-
verses, parce qu'elles sont matérielles, tempo-
relles, et quoique bonnes, elles sont transitoires.
Que dit le Seigneur à Marthe? Marie a choisi
la meilleure part. Celle que tu as choisie n'est
pas mauvaise ; mais elle en a choisi une meil-
leure. Et pourquoi meilleure? Ecoutez : elle ne
lui sera pas ôtée. Un jour on t'enlèvera le poids
des soins temporels et des nécessités pieuses :
éternelle est la douceur de la vérité contemplée,
possédée, savourée. On ne lui ôtera pas ce qu'elle
aura choisi ; elle ne lui sera pas ôtée, mais aug-
mentée. Elle s'augmentera dans cette vie ; dans
l'autre vie, elle sera parfaite : jamais elle ne lui
sera ôtée.
Marthe, chère sœur empressée et dévouée^
(1; Ilajbr. XIU, 2.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 213
Marthe, ton miijistère est bon, et tu es bénie
dans le pieux office que tu exerces envers la
personne du Sauveur, envers son corps, envers
ses membres. Mais, pour ce ministère que tu
remplis avec un empressement si généreux et
qui touche le cœur du Maître, tu attends, tu
demandes, tu cherches une récompense, tu ne te
désintéresse pas ; non, tu ne peux pas te désin-
téresser de l'attention, du regard, de Taffection,
de la reconnaissance du Maître : dès-lors, tu cher-
ches aussi le repos en son amour. Maintenant tu
es occupée d'un important ministère : tu veux
servir^ nourrir des corps mortels, quoique des
saints et membres de Jésus ; mais quand tu
seras venue à cette patrie où seront la récom-
pense, le repos et l'union, trouveras-tu des étran-
gers pour leur donner l'hospitalité? Trouveras-
tu des indigents pour leur rompre le pain ?
Trouveras-tu des lèvres altérées pour leur don-
ner à boire? Des malades pour les visiter? Des
ennemis en procès pour les réconcilier? Des
morts pour les ensevelir? Là il n'y aura rien de
tel : aucun de ces besoins à satisfaire, aucune
de ces misères à soulager, aucune de ces œu-
vres de miséricorde à exercer. Mais qu'y aura-
t-îl ? Ce que Marie a choisi : là, nous serons nour-
ris, nous ne nourrirofis pas : Ibi pascemur, non
pascemus. Alors ce sera la plénitude et la per-
fection de ce que Marie a choisi. En ce moment,
elle recueille quelques miettes délicieuses tom-
bées de la table du Seigneur ; elle ne peut pas
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214 SAINTE MARTHE
encore s'asseoir à ce splendide banquet. Mais
elle et toi, Marthe, quand vous aurez bien servi
le Maître, elle repue de contemplation, toi tout
empressée d'action, le Maître à son tour vous
établira dans le repos éternel, vous fera asseoir
à sa table opulente de lumière, de joie et d'amour;
et il vous servira de ses royales mains les mets
divins de sa présence, de sa béatitude et de sa
gloire adorable... En vérité, je vous dis qu'il les
fera asseoir à sa table, et passant auprès d'elles,
il les servira (1).
Et maintenant, pouvons-nous dire que Mar-
the est blâmée et que Marie est préférée? Non
sans doute, les deux sœurs ont chacune leur
vocation : elles la suivent fidèlement, et le Maî-
tre permet la vive interpellation de Marthe pour
tempérer ses empressements, réprimer peut-être
son inconsciente jalousie à l'égard de sa sœur,
et coordonner les deux vocations en ramenant et
rattachant à l'unique nécessaire les œuvres di-
verses de miséricorde. L'une et l'autre vocation
sont nécessaires dans l'Eglise. Marthe était atten-
tive aux moyens de nourrir le Seigneur ; Marie
était attentive à se laisser nourrir par le Seigneur;
Marthe préparaît un festin au Seigneur, au festin
duquel Marie trouvait toute sa joie. — Encore
une fois, l'un et l'autre ministère sont agréables
au Seigneur. Quoi! le doux Maître aurait blâmé
(l) Luc XII. 37.
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 215
le ministère de Marthe, qu'il occupait tout en-
tière,on peut le dire, et qui s'occupait avec tant
d'affectueux empressement à lui prodiguer les
soins de Thospitalité ? Oh I non. Le Maître a choisi
cette maison pour se reposer, pour donner à ses
amis la joie de le recevoir, la consolation de le
servir ; il est entré, lui aussi, pour satisfaire son
divin cœur d*ami, pour dire à chacune des deux
sœurs, en termes différents, mais avec un égal
amour : Da mihi bibere (1), donne-moi à boire ;
donne à mes lèvres le breuvage ; donne à mon
cœur l'amour. Il a voulu se fatiguer pour se re-
poser chez nous ; il a voulu manquer de tout
pour tout recevoir de nos mains ; il a voulu avoir
faim et soif pour recevoir de notre heureuse as-
sistance la nourriture qui le rassasie, le breuvage
qui le désaltère. La force du Christ t'a créée, l'in-
firmité du Christ t'a recréée ; la force du Christ a
fait que ce qui n'était pas existât ; l'infirmité du
Christ a fait que ce qui était ne pérît pas. Il nous
a faits dans §a force^ il nous a cherchés dans sa
faiblesse (2). Mais dans cette vie mortelle et dans
ce corps mortel, lorsque nous sommes occupés de
son humanité sainte et de ses membres saints
(i) Joan. IV, 9.
(2) ForUtudo Ghristi te creavit ; ioQrmitas Ghrlsti te recréa-
vit : fortitudo Ghristi fecit ut qaod ood erat esset ; infirmitas
Ghristi feoit at qaod erat non periret... Gondidit nos forti-
tadine suâ, qaaesivit nos inflrmitate saft. — S. Aag. Tract.
XV in Joan.
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216 SAINTE MABTHE
comme elle, les saints, les serviteurs de Dieu, les
pauvres, Jésus ne veut pas que nous soyons dis-
traits par la diversité, il ne veut pas que nous
soyons arrêtés par l'accident et le sensible, il ne
veut pas que nous restions à mi-chemin de son
adorable personne : il veut nous faire entrer de
la circonférence au centre, nous faire monter de
la terre au Ciel, nous rappeler et nous recueillir
de la multitude à Tunité : Utsint unum (1).
Enfin, pour terminer, non pour épuiser cette
matière si riche de doctrine et de grâce, disons
avec notre grand docteur que Marthe et Marie
représentent encore le double mystère du temps
et de réternité. Ces deux sœurs, toutes deux
agréables au Seigneur, toutes deux aimables à
ses yeux, toutes deux ses fidèles disciples, figu-
rent les deux vies, la présente et la future, la
laborieuse et la tranquille, la pénible et la bien-
heureuse, la temporelle et Téternelle. Il y a
deux vies, no;is le savons, et quoique nous
soyons enfermés dans la vie présente, nous aspi-
rons à la vie future ; et non-seulement nous y
croyons, nous Tespérons, mais nous vivons pour
elle, et d'elle nous vivons. Il est bon de voir,
d'apprécier et de juger ce que renferme pour
nous cette vie, nous ne disons pas môme cette
vie mauvaise, injuste , criminelle, impie, mais
cette vie laborieuse et pleine de tristesse, éprou-
(1) Joan. XVII, 28.
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SA VIE, SON «ISTOÎàÉ ET SON CULTE. 217
vée de craintes et sollicitée de tentation. Cette
vie innocente, telle que Marthe devait la vivre,
cette vie, regardons-la bien et pensons-y plus
abondamment encore que nous n'en parlerons,
La vie criminelle^ en effet, était loin de cette
maison; elle n'était ni avec Marthe, ni avec
Marie, et si, peut-être, elle avait existé, elle avait
ftii à l'entrée du Seigneur. Ainsi, dans cette
maison qui avait reçu le Seigneur étaient demeu-
rées dans ces deux femmes les deux vies, toutes
deux innocentes, toutes deux louables; mais
Tune laborieuse, Tautre tranquille, aucune cri-
minelle, aucune paresseuse, toutes deux inno-
centes, toutes deux louables^ disons-nous ; mais
celle-là sans aucune action mauvaise, ce que
doit éviter le travail ; celle-ci sans paresse, ce
que doit éviter le repos. Ces deux vies étaient
donc dans cette maison, avec celui qui est la'
source même de vie : dans Marthe était l'image
des choses présentes, dans Marie était l'image
des choses futures. Ce que faisait Marthe, c'est
là où nous sommes ; ce que faisait Marie, c'est
là où nous espérons. Faisons bien ce que Marthe
opère, afin que nous jouissions pleinement de
ce que fait Marie (1). Voilà ce que chante l'Église
d'Avignon à la louange de Marthe, voilà ce que
(i) ErtDt ergo in illa domo Ist» du» vit», et ipse fOQS vit»;
io Blaiiha erat imago prœsentinm, in Maria futaroram ; quod
agebat Martha, ibi sa mas ; quod agebat Maria, hue speramus.
Hocagamuibene utillad habeamus plene. S. Âng.ysenn. CIV.
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218 SAINTE MAUTHE
toute rÉglise et toutes les âmes chanteront,
empressées comme Marthe au service de Jésus,
pendant les quelques instants de la vie pré-
sente où Jésus veut bien se • reposer sous
notre toit, s'asseoir à notre table et se faire
servir de nos mains. — Tout ce que la cité céleste
contient dans sa sphère infinie, Marthe l'en-
ferme dans sa maison, lorsque Jésus vient chez
elle : trois fois heureux le cénacle, la table, les
mets, les sièges que toucha le corps qui consa-
cre tout ce qu'il touche. Mais plus heureuses étes-
vous, hôtesse bénie, qui nourrissez celui qui vous
nourrit et qui remplit votre âme de l'hôte divin
pendant que vous servez son corps. Combien
vous est agréable ce trouble d'empressement au-
quel est réservé un tel calme! Combien vous
refait ce travail que doit récompenser un tel
repos I Donnez, Marthe, donnez aux fidèles de
nourrir les membres du Christ, de telle sorte
qu'ils remplissent leur cœur de Dieu et ne sen-
tent plus les feux impurs du monde. Faites
donc, hôte des âmes, par le suffrage de votre
hôtesse, que nous jouissions dans le repos du
ciel de la société des saints (1).
(1) Beata ter cœnacula,
Mensa, cibi, sedilia,
Quse corpus illud attigit
Quod cuQcta tactu consecrat.
Beaiior sed hospita,
Qii» pascis a quo pasceris,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 219
Nous le savons maintenant, Marthe , la sœur de
Lazare et de Madeleine, Marthe, notre sœur_, a reçu
le Seigneur avec Is^ joie, Tempressement, la charité
d'un cœur vaillant et dévoué. Jésus est venu
visiter ses amis, leur apporter des grâces parti-
culières, et surtout il est venu pour honorer
Marthe, pour lui témoigner les satisfactions de
son divin cœur à cause des soins qu'elle a pris
de son humanité, de ses apôtres, de ses disci-
ples. Il est venu pour bénir dans la personne
de son hôtesse, pour multiplier dans son Église,
les âmes, les associations, les œuvres de misé-
ricorde. Jésus est venu pour nous montrer dans
ces deux fenmies, ses amies et ses disciples,
l'une la vierge qui Ta reçu, qui Ta servi, qui
l'a toujours aimé ; l'autre la pécheresse conver-
tie, la pénitente qui bien tard Ta aimé, mais
qui l'aime beaucoup, les deux types distincts,
mais unis des deux grands offices dans TÉglise,
l'action et la contemplation, des deux vies qui
se terminent en Dieu, celle du siècle présent,
celle du siècle futur, celle du temps, celle de
Tétemîté. 0 Marthe I heureuse amie de Jésus,
généreuse hôtesse du Verbe incarné, Marthe,notre
sœur et notre modèle, nous vous bénissons de ce
Mentemque repies hospite,
Dam membra curas hospitis.
Hym. vesp. offlcii, St*« Marthœ. virg. et hosp. Christ. Ave-
nkne eto AcU S. S. XXIX Jul.
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220 SAtNTE MARTSE
que VOUS avez si bien reçu, si bien accueilli, si
bien servi Jésus. Jésus lui-même vous a bénie à
votre dernier moment en ce n^onde, lorsque vous
fûtes près de mourir, près de quitter la terre d'exil
pour la demeure permanente. Jésus vous rappe-
lant la douce hospitalité qull avait reçue chez vous:
Viens, dit-il, viens mon hôtesse bien-aimée ; car,
ainsi que tu m'as reçu dans ta maison, ainsi je te
reçois dans mon ciel (1). Nous vous bénissons de
votre dévouement à la personne du Maître, de
votre activité pleine de douceur et d'entrain^ de
votre sens pratique et de votre prudente initiative
dans le service des membres souffrants de Jésus,
et dans la conversion des âmes. Nous vous bénis-
sons d'avoir inauguré dans l^glise le ministère
fécond de la charité, d'avoir préparé par vos tra-
vaux^ formé par vos exemples, nos sœurs, nos
filles, nos vierges, à ce divin ministère de com-i
patissance et d'amour ; d'avoir suscité par vos
prières et multiplié dans l'Egiise, ces^ œuvres in
nombrables^ si diverses et si semblables, si spon-
tanées et si nécessaires, pour les pauvres, les indi
gents, les malades, les infirmes, les enfants, lei
vieillards, pour toutes les misères et toutes lea
souffrances, pour toutes les hontes et tous les
abandons ; mais surtout^ pour les œuvres d'apos-
tolique charité qui prennent soin des saints de
(1 ) Veni, hospita tnea dilectissima, quia sicut tu me in do-
mnm taam recepisti, sic ego te in oœlam recij^iam. Apod
Corn, à Lap. in Luoam. X.
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SA VIE, SON HISTOIEB ET SON CULTE. 221
Dieu persécutés, des prêtres, des évêques, du
SouveraÎQ-Pontife (1). Et nous bénissons Jésus,
votre Maître, votre ami, votre hôte, qui vous a
bénîe,qui vous agrorifiée,qui vous a récompensée.
— Bénissons cette femme servant son Sauveur et
son Dieu, dont le cœur était si fervent pendant son
ministère. Honorons la force de son amour, pré-
parons à Jésus des demeures et Thospitalité de
notre cœur. Dans la fatigue de Faction comme
dans la contemplation, que Tâme se repose dou-
cement, afin que celle qui sert aide fidèlement
celle qui est assise^ et celle qui agit, celle qui
écoute. Ainsi que Tamour soit avec le travail, et
que le travail avec Tamour se regardent mutuel-
lement ; comme une sœur avec sa sœur, unies de
telle sorte que l'aînée avec la plus jeune ne se
séparent pas en chemin (2).
(i) Bona sant ministeria circa pauperes, et maxime cixca
aanclos Dei servitia débita, obsequia religiosa. S. Aug. ibid.
(2) Sicsit amor cum labore. — Quod se laborcam amore —
mntuo rcspiciant ; — Tanquam soropcam sopop'», — hic ne ma-
jor cam minore, — In via deflciant. Prosamissal. Const. iSOi.
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vn
MARTHE PAR SA FOI ET SA PRIÈRE OBTIENT DE JÉSUS
LA RÉSURRECTION DE SON FRÈRE LAZARE.
MartbfB frater mortuus
Eratjam quatriduus,
Et fœtens in tumulo.
Cum Chrîstus hune precibus
Marlhae, mortîs viribus
Fractis, dédit saeculo.
(Missal. Turon. 1517
Missal. Paris. 1634.)
Marlha lacrymis liquescit^
* Martlia supplex accedk,
Martlia sperat, Martha crédit
Te Deum pronuncians :
Vinceris, piasque reddis
Lacrymanti lacrymas
Infirmus, divoque mortis
Vincula rumpis spiritu.
Jussa moi-s audit sibique
Fit superstes Lazarus.
Christe, fac preces fidelis
Sentiat plebs hospits
Et sua sepulcra culpse
Rediviva deserat.
(Hym. matut. off. B. Marth©
Vii^. et hoRp. Avenione. Acta S. S.
XXXIX Jul.)
Le frère de Marthe était mortel depuis^uatre jours corrompu
gisait dans le tombeau, lorsque le Christ, aux prières de
Marthe, brisant la puissanc»» de la mort, le rendit au siècle.
Marthe se fond en larmes, Marthe suppliante approche de Jésus ;
Marthe espère, Marthe croit, proclamant que vous êtes Dieu.
VouB ôte-î vaincu; à ses larmes, vous répondez par de pieuses
larmes, dans votre adorable faiblesse, et de votre souffle
divin, vous brisez les chaînes de la mort. La mort entend
vos ordres, et Lazare se survit à lui-même. 0 Christ, faites
que votre peuple éprouve l'effet dos prières de votre fidèle hô-
tesse, et, sortant du sépulcre du péché, revienne à la vie di-
vine.
Après que Jésus, reçu dans la maison de Mar-
the, eut laissé dans cette maison bénie ses divins
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224 Si.TNTB MAETHE
enseignements et ses grâces de choix, il se rendit
à Jérusalem pour la fête de la dédicace, qui se
célébrait au mois de décembre. C'était sa dernière
apparition dans la ville sacerdotale avant sa pas-
sion. Dans le temple, il donnait aux Juifs une so-
lennelle et dernière affirmation de sa divinité, de
son unité de substance avec le Père : une suprême
et dernière démonstration par ses œuvres. Puis,
comme son heure n'était pas encore venue, il se
retirait au-delà du Jourdain, pour se dérober à
la haine et à la perfidie de ses ennemis. Il vint
se retirer à Béthabara où Jean avait d'abord bap-
tisé, Béthabara ou encore Béthanie de Galilée,
autre castellum de Marthe et de Lazare, selon
Raban et plusieurs commentateurs ^(1). C'est là
que Jésus résida quelque temps, environ deux
mois, jusqu'au commencement de la quatrième
année de sa vie publique, qu'il ne devait pas ache-
ver, jusqu'au jour où le message de Marthe et de
Marie vint le prévenir de la maladie, puis de la
mort de son ami Lazare. C'est là que Jésus, pen-
dant deux mois, acheva d'instruire ses disciples
et de confondre les Pharisiens par les paraboles
de la brebis égarée, de la Drachme perdue, de
l'enfant prodigue, de l'intendant du père de
famille, du mauvais riche, du pharisien et du
publicain, des ouvriers delà vigne. Enfin, c'est là
(1) Trans Jordanem in Bethâniam Qaliteœ GuteUnin Marie
et Marthe. Raban, vita> etc. XIII*
"^n^
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225
qu'il leur rappela les conditions de la perfection
évangélique, avec le mépris des richesses et les
ineffables compensations qu'il donne en ce
monde, la divine récompense qu'il réserve dans
l'autre à ceux qui sauront tout quitter pour le
suivre.
Marthe et Lazare, ou le sait, l'évangile nous le
fait entendre, avaient mis au service de Jésus
leurs biens et leurs richesses, leurs maisons et
leurs serviteurs. Béthanie de Galilée était disposée
comme une hôtellerie où Jésus se retirait avec
ses disciples, après ses courses apostoliques dans
les environs. Tout était disposé pour le nourrir,
le loger ot le servir. C'est là, dans ces lieux qu'il
évangélisait, dans ce castellum ou cette hôtellerie
appartenant à la famille de Béthanie, c'est là que
Jésus reçut le message des deux sœurs qui l'ap-
pelait auprès de leur frère. Nous allons suivre
pas à pas l'évangile qui veut bien nous donner de
touchants et précieux détails sur la douleur et la
foi, sur la prière et l'intervention de Marthe dans
la résurrecton de son frère.
— Or, un homme était malade, un ami de Jésus,
Lazare de' Béthanie, le château de Marie et de
Marthe sa sœur. Or, Marie était celle qui répandit
un parfum sur le Seigneur et essuya ses pieds
avec ses cheveux. C'est son frère Lazare qui était
malade (1). — L'évangile veut bien descendre h
(i) Joan.XI. i,2.
13.
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226 SAINTE MARTHB
tous ces détails et ces circonstances. Ils nous sont
utiles : ils nous font comprendre les liens d'amitié
qui unissaient à Jésus ces amis, ces fidèles, ces
disciples, cette famille, ce groupe d'âmes exqui-
ses et privilégiées. Lazare était de Béthanie, la
maison d'affliction, où il était malade, oii il allait
mourir au milieu des larmes et des regrets de ses
deux sœurs aimantes et dévouées. Lazare était de
Béthanie, ce castellum habité maintenant par
Marie et Marthe sa sœur, Béthanie, devenue par
l'humble pénitence de Marie la maison d'obéis-
sance, et, bientôt, par Téclatant miracle que Jésus
voulut bien accorder aux larmes et aux prières
des deux sœurs, la maison de réponse et d'exau-
dition du Seigneur (1). Lazare était le frère de
Marie et de Marthe : les deux sœurs sont nom-
mées : Marie, la pénitente, la pardonnée, la bîen-
aimée de la miséricorde et la première conquête
du Sacré-Cœur ; Marthe, la vierge fidèle, l'amie
dévouée, l'hôtesse généreuse de Jésus. Lazare était
le frère de ces deux femmes bénies. Et l'évangile
insiste sur Marie, afin de mieux désigner Lazare ;
car Marie était plus connue dans l'Église naissante,
lorsque saint Jean écrivait son évangile : l'écla-
tante pénitente était plus en vue que l'humble
continente. D'ailleurs, les larmes de Marie devaient
surtout exciter les divines larmes de Jésus.
(i) Mystice BQthania haebr. idem est quod domus afflictionis. ••
quod domus obedicntiaé, qnod domus responsionis vel exaad|<«
tionis Domini, Corn, a L'ip. iu Joan. XI.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 227
Ires deux sœurs envoyèrent donc dire à Jésus :
Seigneur, voici que celui que vous aimez est ma-
lade (1). Simple et touchant message I habiles et
tendres paroles I Elles ne disent pas à Jésus :
venez. Il suffit au cœur aimant de Jésus de con-
naître la maladie de Lazare et Tinquiétude des
deux sœurs, il lui suffit de les connaître par des
moyens humains, car il veut laisser paraître, lais-
ser agir et compatir sa tendre humanité. Les deux
sœurs n'osent pas dire : venez et guérissez-le,
ordonnez et ce sera fait. Elles Tauraient pu dire
comme le centurion : mais elles doivent parler
autrement, avec plus de réserve et de confiance,
comme des cœurs affligés qui s'ouvrent au divin
cœur plein d'amour (2). Quelle foi vive en la puis-
sance divine du Christ 1 Quelle confiance en la
tendre sympathie de leur ami ! Quelle pieuse rési-
gnation en la volonté de leur maître et de leur
Dieu 1 Mais surtout^ quel amour 1... Seigneur,
vous nous aimez, nous le savons ; nous vous
aimons, vous le savez mieux encore. Celui que
vous aimez et que nous aimons est malade. Votre
cœur ressentira nos inquiétudes, votre tendresse
nous consolera. Nous savons bien que vous ne
laisserez pas vos amis dans l'affliction et notre
frère dans la douleur et dans la mort.
(1) Joan. ibid. 3.
(2) Nil borum ist», sed tan(um : Dombie, eoce quem amas
iofirmatur — Sufncit ut noveris : non ooim amas et deseris.
S. Aug. et ex co Beda.
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228 SAINTE MARTHB
— Et Jésus, entendant ces paroles, leur dit :
cette maladie ne va point à la mort, mais pour
la gloire de Dieu, afin que le fils de Dieu soit glo-
rifié par elle. Or, Jésus aimait Marthe et sa sœur
et Lazare (1). Jésus raffermit la foi pour consoler
le cœur. Il affirme avec le calme et la douceur du
Maître, que cette maladie n'est point pour ame-
ner la mort définitive, mais par la mort qu'elle
amènera et par la résurrection qui suivra, pour
prouver la gloire de Dieu en glorifiant son fils. —
Elle n'est pas pour la mort, car la mort même
n'est pas pour la mort, mais plutôt pour le mira-
cle, opéré pour faire croire les hommes au Christ
et leur faire éviter la véritable mort (2). C'est pour
ses amis que Jésus réserve les affirmations les
plus claires et les plus ouvertes de sa divinité ;
c'est pour ses amis qu'il se dévoile fils de Dieu,
et qu'il veut, par d'éclatants miracles, affermir la
foi dans leur âme et tremper leur cœur dans
l'amour divin. Car Jésus aimait Marthe et sa sœur
et Lazare. Il les aimait parce qu'ils l'aimaient, lui,
comme un docteur, comme un maître, comme un
ami. Oh 1 sans doute, il les avait aimés le premier
comme Créateur et comme Sauveur. Quoniam
Deiis prior dilexit nos (3). Mais ici, c'est d'un
amour plus particulier, plus tendre et plus humain
qu'il les aime : il les aime de sympathie et d'amitié;
(i) Joan. id. 4, 5.
(2) s. Aug. ia Joan.
(3) I. Joan. IV. 19.
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SA VJE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 229
il les aime de gratitude et de reconnaissance, à
cause de leurs libéralités envers lui et ses disci-
ples. Il aime Marthe pour sa générosité ; il aime
Marie pour sa pénitence, Lazare pour son dévoue-
ment : il les aime tous les trois, parce que tous
les trois l'aiment de tendresse et de vénération.
Il nous le dit gracieusement : J'aime ceux qui
m'aiment. Ego diligentes me diligo (1). Résu-
mons avec Raban : -— « Or, Jésus aimait Marthe et
sa sœur Marie et Lazare. Celui-ci était malade ;
elles tristes, mais tous étaient aimés. Aimés de
qui ? Jésus les aimait, Jésus le Sauveur des mala-
des, plus encore^le Maître qui ressuscitait les morts
et le consolateur des affligés. Car Jésus aimait
Marthe et sa sœur Marie et Lazare. 0 heureuse et
glorieuse génération 1 En effet, quoique la vérité
dise : J'aime ceux qui m'aiment ; rarement cepen-
dant on trouve dans les Ecritures des fidèles spé-
cialement aimés du Seigneur, désignés par leur
nom » (2).
Lors donc que Jésus eut appris la maladie de
Lazare, il demeura encore deux jours dans le
môme lieu pour laisser mourir Lazare, afin de le
ressusciter par un miracle plus grand qu'une
guérison. Ensuite il dit à ses disciples : allons en
Judée de nouveau. Ses disciples lui dirent :
Mattre, naguère les Juifs cherchaient à vous lapi-
(i) Pfov. VIII. n.
(2) Rabao. ViU, eic. XIII.
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230 SAINTE MARTHE
der, et vous allez là de nouveau. Jésus répondît :
N'y H-il pas douze heures au jour? Celui qui
marche dans le jour ne se heurte pas, parce qu'il
voit la lumière de ce monde ; mais s'il marche
dans la nuit, il se heurte, parce que la lumière
n'est pas en lui (1). Le divin Maître prépare ses
disciples à la manifestation éclatante de sa puis-
sance divine. Il les laisse exprimer ingénument
leurs craintes pour les rassurer. Il leur rappelle
sa grande parole : Je suis la lumière du monde ;
qui me suit ne marche pas dans les ténèbres. Il
leur insinue, selon la pensée de saint Augustin,
qu'il est le jour de la vérité, le soleil de
justice, et qu'ils le doivent suivre, environner et
réfléchir comme les douze heures du jour suivent
le soleil. Il a choisi douze apôtres pour montrer
qu'il est le jour, le jour de l'Esprit et de la Vérité.
Les heures suivent donc le jour, les heures an-
noncent le jour ; les heures sont éclairées par le
jour, et le monde croit à la lumière par la prédi-
cation des heures (2). Jésus éclaire ses disciples
comme le jour éclaire les heureâ". Il les rassure
et les raffermit pendant le temps de sa vie. Ils
n'ont rien à craindre pendant les douze heures
(1) Joan., ibid. 6, 10.
(2) Ut se diem ostenderet, duodecim discipulos elegit. Non
ergo frustra duodecim discipulos elegit Dominus, niai quia
ipse spiritualis est dies. Sequantur ergo horœ diem, prœdicent
hors diem, horae illustrentur a die, hors illuminentor a die, et
per horarum ppaedicationem, credat mundus in dierp S.
Aug. in Joan, Tract. XL IX, 8.
/*1.0^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 231
qui divisent le jour (on était alors à Téquînoxe
du printemps), ils marcheront sans obstacle à la
lumière et sans danger à sa suite.
Itdit, et après cela, après un moment de si-
lence pour les laisser réfléchir, il ajoute : Lazare
notre ami dort. Il dit vrai, le divin Maître : pour
ses sœurs, Lazare était mort^ mais pour le Sei
gneur il dormait (1). Lazare dormait pour celui
qui devait le réveiller bientôt. La mort, c'est le
sonmieil^ pour celui qui nous doit ressusciter
au dernier jour; pour nous-mêmes, chrétiens,
qui reposerons dans le dortoir commun, dans le
cîmetièrre, et qui d'une espérance invincible at-
tendrons pour notre chair purifiée et revivifiée la
résurrection glorieuse. Mais, ajoute le divin
Maître, je vais aller le réveiller du sommeil.
Alors les disciples lui dirent : Seigneur, s'il dort,
il sera sauvé (2). Or, Jésus avait parlé de la mort,
et eux pensaient qu'il avait parlé de l'assoupis-
sement du sommeil. Alors Jésus leur dit ouver-
tement : Lazare est mort. Ce premier miracle de
science prophétique par lequel Jésus annonce la
mort de son ami doit affermir les disciples et les
préparer à croire le miracle plus grand de la ré-
surrection.—Et jeme réjouis àcause de vous, afin
que votre foi soit plus forte, de ce que je n'étais
pas là où il est mort ; mais allons à lui. Alors
(i) s. AuK., ibid.
(2) Solet enim esse somaus aegrotantiam ssdutis indicium.
6. Aug*, ibid.
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232 SAINTE MARTHE
Thomas, qui est appelé Didyme, dit aux autres
disciples : Allons, nous aussi, et mourons avec
lui. Jésus vint donc à Béthanie et trouva Lazare
depuis quatre jours déjà dans le sépulcre (i).
Ainsi, Lazare était mort le jour même où les
deux sœurs avaient envoyé un messager à Jésus
pour lui annoncer que son ami était gravement
malade. Jésus, après le message, était resté en-
core deux jours à Béthabara ; puis, le quatrième
jour après la mort de Lazare, il s'était mis en
marche vers Béthanie de Judée. Or, comme de
Béthabara ou Béthanie de Galilée à Béthanie de
Judée, il y avait dix heures de marche, et que
Jésus, en marchant avec ses disciples, enseignait,
guérissait, consolait tous ceux qui Tabordaient,
on peut croire qu'il n'arriva que le cinquième
jour au matin. Lazare, enseveli le lendemain de
sa mort, était depuis quatre jours dans le tom-
beau. Le divin Maître n'a pas voulu être présent
à la maladie de son ami, parce que son tendre
♦cœur n'aurait pu le laisser souffrir et moiu-îr. Il a
voulu rester éloigné pour le laisser mourir ;
il a voulu différer son retour à Béthanie, afin que
la mort de Lazare fût bien constatée, son ense*
velissement accompli depuis quatre jours ; afin
que le miracle fût indubitable, éclatant, irrésis-
tible pour les âmes de bonne volonté ; afin que
les deux sœurs et les disciples fussent consolés
(1) Joan., ibid., II, 17.
il^
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SA. VIE, SON HISTOIRB ET SON CULTE. 233
et pleinement affermis dons la foi par la résur-
rection de Lazare.
— Or, Béthanie était près de Jérusalem, environ
à quinze stades (moins de deux kilomètres), et
plusieurs d'entre les Juifs étaient venus voir
Marthe et Marie, afin de les consoler de la mort
de leur frère. Lors donc que Marthe eut appris
que Jésus était venu, elle se présenta à lui, et
Marie restait à la maison. Marthe dit alors à
Jésus : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon
frère ne serait pas mort ; mais maintenant je sais
que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu
vous le donnera. Jésus lui dit : Ton frère ressus-
citera. Marthe lui dit : Je sais qu'il ressusci-
tera à la résurrection du dernier jour. Jésus
lui dit : Je suis la résurrection et la vie ; qui croit
en moi, quand même il serait mort, vivra ; et
quiconque vit et croit en moi ne mourra pas
pour toujours. Crois-tu cela ? Elle lui dit : Oui,
Seigneur, je le crois, parce que vous êtes le
Christ, Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce
monde (1). Voilà Marthe telle que nous la
connaissons déjà, telle que Jésus Taime. La
mort de Lazare était connue à Jérusalem ; les
cérémonies de la sépulture avaient été célébrées
devant des parents, des amis affligés, accourus
en foule, car cette noble et opulente famille
avait des relations nombreuses dans la ville
(1) Jotn., ibid., 18, 27.
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234 SAINTE MARTHE
royale. Il fallait de nombreux témoias pour le
miracle que Jésus méditait. Marthe, moins ab-
sorbée que Marie dans sa douleur ; Marthe, tou-
jours agissante et empressée, apprend Tarrivée
de Jésus : c'est à Marthe la première que la nou-
velle est parvenue ; c'est à Marthe que Jésus
vient d'envoyer un des disciples pour annoncer
son arrivée. Marthe est l'aînée, chef de famille ;
c'est elle qui gouverne la maison selon son âge
et ses aptitudes. Elle laisse Marie dans l'intérieur
de la maison ; Marie, plus accablée dans sa dou-
leur, plus facile aux larmes et plus volontiers
contemplative. Elle sort de la maison sans avertir
Marie, parce que Jésus est proche et qu'il faut
vite tout quitter pour aller recevoir l'hôte
divin, accueillir l'ami. Elle veut d'ailleurs en se-
cret aller à Jésus comme pour traiter avec le
Fils de Dieu de la résurrection de son frère.
Elle laisse Marie à la maison, afin qu'elle re-
tienne auprès d'elle les Juifs qui la consolent.
Marthe veut pouvoir^ en s'adressant seule à
Jésus, mieux connaître ses divines intentions, en
lui exposant ses prières et sa douleur. D'ailleurs,
nous pouvons le croire, aussitôt qu'elle apprit
l'arrivée du Maître, elle oublia tout, elle quitta
tout, ravie d'espérance et transportée d'amour
pour aller le voir et le prier (1).
Marihe est arrivée aux pieds de Jésus. Les a-
(i) Vide Corn, a Lap. in Joan., XI, '
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SA VIE, SON HISTOIHE ET SON CULTE. 235
t-elle embrassés, comme Marie ? Les a-t-elle arro-
sés de ses larmes de douleur et d'amour ? On
peut lui composer une autre attitude : les mains
jointes et pressant sa poitrine qui sanglotte, les
yeux trempés de larmes, mais élevés et fixés sur
le visage du Maître, pour y découvrir, par quel-
que indice, les sentiments et les intentions du
divin ami, phis encore que pour jouir de sa vue
et solliciter sa pitié. Alors commence cet adora-
ble dialogue* entre Jésus et Marthe, entre le Dieu
fait homme pour nous sauver et cette vierge qui
s'est donnée à lui pour le servir. Jésus va pren-
dre cette âme, dissiper ses doutes et siBs incerti-
tudes, réclairer, raffermir, la rendre capable de
croire, de porter le noble poids de la vérité, de
reconnaître et de confesser son Dieu dans son
hôte et son ami. Jésus va récompenser cette âme
généreuse par le don de la foi. Jésus va combler
ce cœur aimant et dévoué par un miracle de ré-
surrection. Seigneur, dit-elle impétueusement,
si vous aviez été ici, mon frère ne sérail pas
mort. Est-ce un reproche qu'elle ose adresser à
Jésus, qui n'est pas venu assez tôt, qui aurait dû
pressentir la maladie et prévenir la mort de son
ami ? Est-ce un reproche qu'elle se fait à elle-
même d'avoir envoyé trop tard son messager à
Jésus, puisque Lazare est mort le jour même où
le messager arrivait à Béthabara ? Qui le sait que
Jésus, et qui pourrait pénétrer le secret des sen-
timents de ce tendre cœur bouleversé mais sou-
mis ? Dans tous les cas, Marthe témoigne d'un
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236 SAINTE MARTHE
grand amour de Jésus, d'une profonde douleur,
mais en même temps d'une foi sincère, quoique
bien imparfaite encore en la personne du divin
Maître. Elle ajoute cependant : Mais je sais qu«
tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous
le donnera. Elle n'ose pas demander directement
la résurrection de son frère ; elle l'insinue, elle
l'espère : elle se souvient d'Elisée ressuscitant le
fils de la Sunamite. Elle croit que Jésus est un
grand prophète ; elle ne le croit pas encore un
Dieu ; elle ne croit pas assez que Jésus par lui-
même peut ressusciter, donner et rendre la vie.
Cette vive et touchante interpellation de Marthe à
Jésus nous semble avoir ce sens. Néanmoins,
selon S. Augustin, elle ne dit pas : Mais mainte-
nant je vous prie de ressusciter mon frère. D'oîi
savait-elle, en effet, s'il était utile que son frère
ressuscitât ? Elle dit seulement ceci : Je sais que
vous pouvez, si vous voulez ; vous ferez voir ce
que vous devez faire, cela dépend de votre juge-
ment, non de ma présomption (1). Jésus lui dit
que son frère ressuscitera. Il veut la consoler par
la certitude de la résurrection ; mais il ne dit pas
s'il veut le ressusciter bientôt ou s'il faut attendre
le dernier jour. Jésus couvre sa pensée d'un voile
pour exciter la foi de Marthe, pour la préparer à
croire de plus profondes et de plus divines véri-
tés, pour l'exciter à demander plus ardemment,
(1) s. Âug. in Joan. XI^ 13.
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SA VÎB, SON mSTOrïlE ET SON CÎJLTÈ. 237
à presser encore son divin cœur par d'humbles
questions et de ferventes prières. Je sais, dît
Marthe, que mon frère ressuscitera à la résurrec-
tion du dernier jour. Elle veut que Jésus s'ex-
plique. Oui, sans doute, il ressuscitera au dernier
jour comme tous les hommes. Elle croit et con-
fesse cette vérité que croyaient tous les Juifs (sauf
les grossiers sadducéens) ; mais elle ne sera pas
pour Lazare un privilège ni un bienfait spécial,
comme nous pouvions Tespérer pour votre ami^
Seigneur, et pour notre frère.
Jésus lui répond : Je suis la résurrection et la
vie. Il s'incline vers cette âme de bonne volonté ;
il va la faire monter plus haut dans la foi, la faire
croître dans la divine lumière. Je suis la résurrec-
tion et la vie, Ideo resurrectio quia vita, dit
saint Augustin (1), la résurrection, parce que je
suis la vie. Tu crois que je puis obtenir de Dieu
tout ce que je lui demanderai : il faut croire plus
encore : c'est moi qui cause la résurrection et qui
donne la vie : C'est moi qui suis Dieu, la cause de
la résurrection, la source de la vie ; moi qui res-
susciterai tous les morts au dernier jour; moi qui
peux à l'instant même ressusciter ton frère et lui
rendre la vie que je lui avais donnée. Et pour
qu'elle entende mieux cette vérité, il ajoute : qui
croit en moi, quand môme il serait mort, vivra ;
et celui qui vit et croit en moi ne mourra pas
(1) Ibid.i in Joan., etc.
dby Google
238 SAINTE MARTHE
pour toujours. Jésus découvre à Marthe la source
même de la vie ; et cette source, elle est en lui,
elle est lui-même ; et, pour vivre, il faut croire en
lui ; pour revivre après la mort, il faut croire
encore ; pour ressusciter de corps, pour vivre
de rame, pour ressusciter et revivre éternelle-
ment, il faut toujours croire en lui. Croîs-tu cela,
dit Jésus, après avoir ouvert à Marthe les grands
mystères de la vie et de la foi, de la vie par la foi,
de la foi en la vie, après avoir révélé à cette âme
aimante sa divinité? Crois-tu cela, dit-il, après
avoir exposé ce divin enseignement, après avoir
fortifié par sa grâce et préparé par son amour cette
âme haletante à tirer de ses entrailles un acte de
foi parfaite, une profession de foi complète,
explicite, inébranlable ? Crois-tu cela ? — Ouï,
Seigneur, je le crois, parce que vous êtes le Christ,
fils du Dieu vivant qui êtes venu en ce monde ; ou
encore : Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le
Christ, fils du Dieu vivant. Et quand je crois cela,
je crois que vous êtes la résurrection, je crois que
vous êtes la vie, je crois que celui qui croît en
vous, quand même il mourrait, vivra, et qije
celui qui vit et croît en vous ne mourra pas pour
oujours (1). Seigneur, mon maître et mon amî,
Seigneur, Verbe fait chair, Dieu fait homme, je
croîs que vous êtes le vrai fils de Dieu, le fils uni-
que et consubstantiel du Père; je crois que vous
(1) s. Aug., id, 16.
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SA VIE, SON HISTOIÈÊ ET SON CULtÈ. 239
•
êtes le Christ, le Messie promis, attendu, anooncé,
prédît, préparé, le Messie rédempteur et sauveur.
Je crois que comme Dieu et comme homme, par
vos deux natures unies en une seule et même
personne, vous êtes la cause première de toute
vie et résurrection, la cause efficace et méritoire,
la cause exemplaire et finale de toute vie naturelle
et surnaturelle, de toute grâce et de toute sainteté,
de toute justice et de toute gloire. Je crois donc,
6 mon Maître, je crois, ô mon Dieu, que vous
pouvez ressusciter tous les morts, je crois que
vous pouvez, si vous le voulez, ressusciter à l'ins-
tant mon frère Lazare. Je crois, je sens, j'espère
que vous voulez le ressusciter et le vivifier, le
remplir de joies et de mérites, le ramener à la vie
du temps et de Téternité (1).
Tout est dit, tout est fait. Marthe a connu,
Marthe à confessé, Marthe croit le grand mystère :
Jésus est le Messie, Jésus est le fils de Dieu^ Jésus
est Dieu. Disons qu'il fallait à la sœur de Lazare
et de Madeleine, à l'amie de Jésus, à l'hôtesse du
maître, il fallait à cette créature vivant dans
l'intimité, dans la familiarité de l'aimable docteur^
du doux prophète de Nazareth, il lui fallait une
grâce plus abondante, une humilité plus pro-
fonde, un élan plus sublime au-dessus de la chair
et du sang, pour croire en la divinité de celui qui,
pour elle, était si véritablement et si miséricor-
(1) Vide Corn, a Lap. in Joan., XI.
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J
240 âAmîE MARTËfi
dieusement homme. Tu es hem*eux, disait JésM
à Tapôtre Pierre, confessant comme Marthe, et
dans les mêmes termes, sa divinité ; tu es heureux,
Simon fils de Jean, parce que ce n'est point la
chair ni le sang qui t'ont révélé ce mystère, mais
mon père qui est dans les cieux (1). MarUie est
enseignée par Jésus lui-même, son Dieu et son
docteur, comme il est son ami. Elle confesse son
Dieu avec autant de sincérité qu'elle sert son
Maître. Jésus, pour récompense, ne lui change
point son nom de Marthe qu'il a prononcé si
souvent avec affection ; il ne lui promet pas un
grand ofQce dans son Église, sa vocation est déjà
fixée; mais elle reçoit du Mattre, elle sent la certi-
tude de la résurrection de son frère.
Elle a dit ; elle s'en va vers sa sœur. Le Maître
lui a-t-il confié un message pour Marie ? A-t-elle
compris, dans une muette, mais lumineuse com-
munication, les intentions du Sacré-Cœur? Elle
va trouver sa sœur, et tout bas, à l'oreille, elle
lui dit cette parole de consolation et de force,
cette parole de vie et d'amour : le Maître est là et
il t'appelle, Magister adest et vocat te (2). Compre-
nons toutes ces démarches par le respect des
convenances et les délicatesses d'un cœur aimant :
Marthe, diligente et avisée, parle bas à sa sœur,
pour ne pas troubler l'entretien des Juifs qui
(\) Math. XYI, 17, 18.
(2) Joan. XI, 28.
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SA VIE, SON HlSTOIllE ET SON CtJLTE. 241
consolent Marie, pour ne pas éveiller la curiosité
des assistants. Et Jésus le veut ainsi, afin que
tous les assistants demeurent et soient tous les
témoins du miracle qu'il médite, que Marthe
attend et que Marie va lui demander encore par
ses larmes et ses prières.
Aussitôt qu'elle a entendu l'invitation discrète
de Marthe, Marie s'est levée et elle vient à Jésus.
Jésus n'était pas encore entré à Béthanie ; il n'y
devait entrer qu'en revenant du sépulcre, situé
en dehors et à quelque distance de Béthanie;
il était encore dans ce lieu où Marthe l'avait ren-
contré. Il marchait lentement, dit saint Jean
Chrysostôme, pour ne pas sembler accourir au
miracle, mais céder à la prière (1). Il marchait
lentement, gravement, en instruisant ses disciples
et les préparant à voir les merveilles de Dieu.
Il s'était arrêté pour parler à Marthe ; il s'était
assis, sans doute, pour l'attendre et l'entretenir.
Les anciennes histoires des lieux saints parlent
d'une citerne taillée dans le roc près de Béthanie
appelée la Citerne de sainte Marthe, près de la-
quelle Jésus aurait entretenu son amie. Près de
cette citerne était une pierre oblongue, comme
un siège naturel, appelée la jo/err^ du colloque,
du dialogue , où Jésus, après avoir entretenu
Marthe, aurait attendu Marie pour la consolera
(i) Ne ad signam edendom accarrere videretiir, sed rogalus
▼enire. Apad Corn» a Lap., etc.
14
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2i2 SAINTE MARTriÉ
son tour et la préparer elle aussi à être témoin du
grand miracle (1).
Or, les Juifs qui étaient dans la maison avec
Marie et la consolaient,la voyant se lever prompte-
ment et sortir, la suivirent, disant : c'est qu'elle va
au sépulcre afin d'y pleurer. — Ne nous étonnons
pas de ces détails, dit saint Augustin, et de. toutes
les circonstances de la Providence divine. Il ne
faut pas avertir les Juifs et les éloigner, la plu-
part ennemis de Jésus, il faut les amener aussi
nombreux que possible auprès du Maître, pour
être les témoiub désarmés du grand miracle. — Et
Marie, lorsqu'elle fut venue où était Jésus, le
voyant, tomba à ses pieds, et lui dit : Seigneur,
si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas
mort (è). — Voilà Marie aux pieds de Jésus, à ses
pieds d'évangéliste qui se sont lassés à marcher
pour semer le grai» de la bonne nouvelle, à ses
pieds de bon pasteur qui se sont déchirés aux
ronces du chemin, pour retrouver la brebis per-
due, à ses pieds d'homme-Dieu par lesquels il
touche à la terre, communique avec notre nature,
nos faiblesses et nos misères, par lesquels il nous
communique les vertus et les forces de sa divi-
nité. Marie est aux pieds de Jésus. Le texte sacré
ne dit point que "Marthe se soit jetée aux pieds
de Jésus, peut-être s'était-elle assise à côté de lui,
11) Faillon, com. hist. et crit. de Raban, y\e, etc. XV.
(2) Joao., ibid., 32.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 243
sur la pierre du colloque, comme une amie con-
versant avec Tami de la famille. Marthe est assise :
elle est vierge, elle fut toujours disciple fidèle, elle
est Tamie active et généreuse, elle a droit à conver-
ser ainsi avec Jésus. Marie est aux -pieds de celui
qu'elle a si longtemps offensé, mais si tendrement
consolé par son repentir. Marie dit à Jésus, les
mêmes paroles que Marthe^ ces paroles . que les
deux sœurs s'étaient dites bien souvent Tune à
l'autre depuis la mo^t de Lazare : Seigneur, si
vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort.
Mais elle n'ajoute rien autre chose, les larmes la
suffoquent ; ces larmes achèvent sa prière. Mar-
the avait demandé, quoique d'une manière timide
et détournée, la résurrection de son frère ; Marie
la demande aussi, mais par des larmes, prière
toute-puissante sur le cœur de Jésus. Ces larmes
qui ont obtenu sa propre résurrection à la gr|Lce,
vont obtenir la résurrection à la vie de son frère
Lazare.
Et Jésus la voyant pleurer, et les Juifs qui étaient
veaus avec elle pleurer aussi, frémit en esprit et
se troubla lui-même, et il dit : Où l'avez vous
placé (1)?— Adorable faiblesse de Jésus qui se laisse
émouvoir par des larmes. Ah 1 nous ïe reconnais-
sons bien ici pour notre frère et notre Sauveur.
Toutefois, soyons attentifs : Jésus se laisse tou-
cher, mais il s'indigne et frémit contre la mort et
(1) Joan., ibid. 33,34.
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244 SAINTE MARTHE
le péché qu'il va combattre, contre les pharisiens
ses ennemis qui vont devenir plus méchants par
le miracle qu'ils ne voudront pas avouer et qui
les décidera pour la mort du divin Thaumaturge.
Il se trouble lui-même : qui pourrait le troubler,
en effets sinon lui-même *? Nous sommes troublés
sans le vouloir ; le Christ est troublé parce qu'il
l'a voulu. Jésus a eu faim, c'est vrai ; mais parce
qu'il l'a voulu. Jésus a dormi, c'est vrai ; mais
parce qu'il l'a voulu. Jésus a été contristé, c'est
vrai ; mais parce qu'il l'a voulu ; Jésus est mort,
c'est vrai ; mais parce qu'il l'a voulu. Il était en
son pouvoir d'être affecté dételle ou telle manière,
ou de n'être nullement affecté. L'âme et la chair
du Christ avec le Verbe de Dieu, c'est une seule
personne, un seul Christ. C'est pourquoi là où se
rencontre la souveraine puissance, c'est le mou-
vement de la volonté qui fait paraître la faiblesse.
C'est ainsi qu'il se troubla lui-même (1).
Où l'avez- vous placé ? dit le Maître. Il sait bien
où ils l'ont placé ; mais il veut le savoir d'eux-
mêmes, les témoins de la mort et de l'ensevelis-
sement, afin qu'ils soient les témoins mieux ins-
(1) Quis enim posset nisi se îpse turbare? Turbaris tu no-
lens ; tupbatus est Christus quia voluit... In illius potestate
erat sic vel sic afflci, vel non affici. Anima etcaro Chris li ou m
verbo Del una persona est, unus Christus est ; ac per hoc ubi
summa potestas est, aecundum voluntatis nutum tractatur
(alias turbatur) inQrmitas, hoc est turbavit semetipsum. S. Aug.
iWd.. Tract. XLIX, 18.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 245
traits et plus véridîques de la résurrection. Il ne
découvre pas son dessein. Il les suit au sépulcre
comme pour aller rendre à Lazare enseveli ses
devoirs de tristesse et de deuil. Jésus^ semble les
suivre et il les emmène avec lui. Seigneur, disent-
ils, venez et voyez. Qu'est-ce à dire voyez? ayez
pitié, car le Seigneur voit quand il a pitié (1).
Et Jésus pleura. jB^ lacrymatus est Jésus (2),
Emu de la douleur de Marthe, touché des larmes
de Madeleine, il avait laissé son cœur sans défense
contre les troubles de la sympathie et de la dou-
leur. Sa nature divine s'était comme retenue de
préserver sa nature humaine contre ces senti-
ments, ces affections, ces passions qu'il a voulu
ressentir pour les purifier et les sanctifier. Il nous
en découvre les effets tout humains pour nous
mieux convaincre de son humanité, pour nous
mieux attirer à Taimer, à le prier comme ami,
comme sauveur et consolateur. Et lacrymatus
est Jésus. Mais en ce moment, voyant Marie qui
pleure, et les Juifs venus avec elle qui pleurent
aussi, après s'être un instant contenu pour les
interroger, pour éveiller leur attention, recevoir
leur réponse et les amener avec lui ; en ce mo-
ment il quitte l'endroit même où il s'était arrêté
pour entretenir les deux sœurs, et se dirige vers
le sépulcre. Jésus ne peut plus contenir son divin
(1) Qaid est vide T miserere ; vidit enim Domlnus qaando
miseretur. S. Aiig., ibid. 20.
(2) Joau., ib. 35.
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246 SAINTE MARTHE
cœur et retenir ses larmes. Et lacrymatus est
Jésus, Il pleure, moins sur Lazare qu'il va ressus-
citer, que sur nous-mêmes si facilement morts à la
grâce : il pleure sur la mort de sa créature, si mi-
sérablement ruinée, ravagée et défigurée par le
péché : il pleure sur la mort, cause de tant de lar-
mes ; sur chacune de nos séparations et sur cha-
cun de nos deuils de famille. Jésus a pleuré dans
son berceau les misères de notre pauvre vie ;
Jésus a pleuré sur le mont des Oliviers Tendur-
cissement de Jérusalem et l'effroyable châtiment
de la justice divine ; Jésus pleurera sur la croix,
la damnation de tant de pécheurs obstinés qui ne
veulent pas être sauvés par sa mort ; Jésus pleure
ici comme un ami avec ses amis, de Taffliction
et des larmes de ses amis, afin de nous enseigner
à pleurer avec ceux qui pleurent, à pleurer des
épreuves et des larmes de ceux que nous aimons,
mais surtout à pleurer avec lui. Il nous enseigne
à nous soutenir, à nous consoler les uns les au-
tres, de mutuelles sympathies, pour accomplir la
douce loi de charité (1) ; mais surtout à nous jeter
dans ses bras quand nous sommes frappé?, déso-
lés, abandonnés, à lui demander de pleurer avec
nous, puisqu'il a pleuré sur nous (2).
(i) Galat. VI. 2.
(2) In voce fremeatis apparet spes resurgentis. Si ipsa fldes
intus ibi est Ghristus fremens. Si fides in nobis, Christiis in
Dobis... Fremat Cbristus, increpet se homo ; audi adhuc: flevit
Ghristas; fleat se homo. Qaare enim flevit Christas, niai qaia
tlere hominem docult ? S. Aug. ibid.. 19.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 247
Et les Juifs, le voyant pleurer, dirent : voyez
comme il Taimait 1 Mais quelques-uns d'entr'eux
dirent : ne pouvait-il pas, celui qui a ouvert les
yeux de Taveugle-né, faire que son ami ne mourût
pas (1) ? — Bénissons Jésus qui a voulu pleurer et
qui n'a pas voulu cacher ses larmes. Bénissons
Jésus qui a tant aimé ses amis, jusqu'à pleurer à
leur mort, jusqu'à pleurer à leurs douleurs et à
leurs larmes. Bénissons Jésus qui a voulu laisser
voir ses larmes aux Juifs, dont les uns admirent
avec sympathie ses pleurs et sa tendresse, dont les
autres critiquent sa conduite et méprisent sa fai-
blesse* Bénissons, aimons ce bon et généreux
ami, qui console ses amis en pleurant avec eux,
et bientôt va les réjouir en redonnant un frère à
des sœurs désolées, en se redonnant un ami pour
en faire un apôtre, un évêque, un martyr, un
saint, pour nous un vivant témoignage de l'évan-
gile, un missionnaire de vie et de résurrection, un
protecteur de notre France catholique. .
— Or donc, Jésus, de nouveau frémissant en
lui-même, vint au sépulcre. C'était une caverne ;
et une pierre était posée dessus (2). — Jésus s'est
mis en marche et se dirige vers le sépulcre ; en
même temps, il renouvelle ce frémissement qu'il
a voulu sentir en lui-même^ ou mieux, qu'il a
excité contre lui-même. La douleur s'élevant dans
son cœur, et sa chair sacrée, prête à s'épancher
(1) Joan., ibid. 36, 37.
(2) Joan., id. ^.
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248 SAINTE MARTHB
en larmes , il ne leur lâche point les rênes, comme
nous avons Thabitude de faire ; mais il frémit par
Tesprit, c'est-à-dire par la vertu du Saint-Esprit ;
il reprend pour ainsi dire sa chair, qui ne pou-
vant supporter Témotion de la divinité qui lui
était unie, tremblait et présentait aux regards
rimage d'un trouble profond (1). Nous aimons à
saisir, sur le doux et majestueux visage de Jésus,
le trouble de ces émotions qui remuent le cœur ;
nous aimons ces frémissements et ces efforts qu'il
fait contre lui-même, afin de se contenir ; nous
' aimons cette interprétation de saint Cyrille qui
rend Jésus encore plus semblable à nous, un de
nous, éprouvant les mêmes émotions que nous,
en face de la mort des siens, au contact de la dou-
leur de ses amis. En même temps, par ce frémis-
sement d'esprit réitéré, nous découvrons les pro-
fondeurs de l'âme de Jésus, agitée aux approches
de sa passion et dé sa mort, que lui représente la
mort de Lazare et que va lui causer la résurrection
de son ami. Et, frémissant ainsi en lui-même, rete-
nant par la force de l'Esprit les émotions de sa
nature humaine, il se dirige vers le sépulcre de
Lazare. Ce sépulcre, d'après les plus anciennes
(0 Suboriente autem ipsî Incta et sacra ejns carne jam ad
lacrymas vergente, minime illîs more nostro habenas relaxavit,
sed in fremuit spiritUj id est sancti spiritus virtute carnem suam
quodammodo increpavit, quae conjunctae sibi divinitalis motio-
nem ferre non valens, tremebat ac conturbationis prs se spe-
ciem ferrebat. S. Cyril. Alex, in Joan. apud Faillon. Ra-
ban. elo, note.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 24Ô
et les plus autorisées descriptions de la terre
sainte, était différend du sépulcre du Sauveur et
des autres sépulcres si nombreux aux alentours
de Jérusalem, qui étaient creusés dans le roc et
qui s'ouvraient par une porte droite où Ton en-
trait de plain-pied. Le tombeau de Lazare était
plutôt une crypte semblable à ces tombeaux creu-
sés autrefois dans le sol de nos églises, et dont
Fouverture est fermée par une pierre posée des-
sus, comme l'indique le texte sacré : Et lapis su-
perpositus erat ei. De l'entrée du sépulcre, on des-
cendait, par un escalier de six marches, dans une
grotte souterraine semblable à une cellule de six
à sept pieds de long et de trois à quatre de large.
C'était sur le sol nu de cette crypte que le corps
de Lazare était déposé, enveloppé de suaires et
lié de bandelettes, selon la coutume des Juifs, et
placé dans sa bière ou son lit funéraire (1). C'est
sur la dernière marche de l'escalier que Jésus des-
cendit après avoir fait ôter la pierre qui fermait
l'entrée de la caverne sépulcrale. C'est de là qu'il
poussa cette forte et puissante parole qui redonna
la vie au corps de Lazare.
Jésus dit : ôtez la pierre. Marthe lui dit (la
sœur de celui qui était mort) : Seigneur, il sent
déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est en-
seveli. Jésus lui dit : Ne t'ai-je pas dit que si tu
croyais, tu verrais la gloire de Dieu ? Et ils ôtèrent
(1) Loculus, comme rappelle l'évangile Luc. VII, 14, fere-
irum, QD cercueil léger, selon Catherine Emmerich,
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250 SAINTE MARTHE
la pierre (1). — Jésus veut donner au miracle de
cette résurrection tous les genres de certitude. Il
veut qu'on ôte la pierre qui ferme l'entrée du
sépulcre; il veut que l'on puisse voir le corps
mort de Lazare reposant dans le caveau sépul-
cral ; il veut que tous les assistants puissent sen-
tir l'infection du corps enseveli depuis quatre
jours. Et Marthe, à ce commandement de Jésus
d'ôter la pierre du sépulcre, Marthe dit avec une
vive émotion : Seigneur, il sent déjà mauvais.
C'est Marthe, occupée des choses extérieures ,
Marthe qui s'empresse toujours pour le service
de Jésus, et qui prévoit toutes choses pour que le
Maître soit traité selon tous les respects et toutes
les délicatesses de l'aftection ; c'est Marthe qui, ne
comprenant pas l'intention de Jésus, s'écrie :
Oh 1 non, Seigneur, qu'on ne lève pas la pierre,
car le corps est déjà en dissolution. Elle croit
sans doute que le Maître veut seulement voir le
corps de son ami, pour lui rendre les derniers
devoirs et laisser couler plus librement ses lar-
mes. Elle ne veut pas qu'il soit incommodé par
la mauvaise odeur, et centriste par ce désolant
spectacle d'un corps déjà travaillé de corruption.
C'est bien notre Marthe, attentive, empressée, trai-
tant avec sagesse et sens pratique les choses exté-
rieures ; mais c'est Marthe aussi dont la foi n'est
pas encore parfaite, qui n'a pas compris la pa-
(I) Joan.^id.^39, 41.
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SA VIE, SON HTSTOIllÉ Et SON CULTE. 281 ^
rôle de Jésus : quand même il serait mort, il
vivra ; qui n'a pas Tamour assez humble, assez
fort pour croire, pour espérer en ce moment la
résurrection de son frère. Jésus lui en fait le re-
proche : net'ai-jepas dit que si tu croyais, tu
verrais la gloire de Dieu ? Jésus excite la foi,
relève l'espérance encore chancelantes de Marthe.
Quoiqu'elle ait dit d'elle-même à Jésus en se
présentant à lui : je sais que tout ce que vous
demanderez à Dieu, Dieu vous l'accordera ; quoi-
qu'elle ait fermement, admirablement confessé
la divinité de Jésus, disant : Je crois que vous
êtes le Christ, fils du Dieu vivant, cependant,
quand on arrive à l'effet, c'est-à-dire lorsque Jésus,
près de ressusciter Lazare, ordonné d'ouvrir le
sépulcre, alors Marthe commence à chanceler.
C'est pourquoi elle dit: Seigneur, il sent déjà
mauvais, caril est au sépulcre depuis quatre jours.
Elle avait donc des alternances de grâce et de
nature, de foi et de défiance, d'espoir et de déses-
pérance au sujet de la résurrection de son frère,
telles que nous les expérimentons en nous-mêmes,
lorsque, nous tournant vers Dieu, nousespérons
surmonter toutes choses, même les plus difficiles,
mais nous tournant vers notre infirmité, lorsque
nous devons entreprendre une chose difficile ;
nous tremblons, nous hésitons et nous ne pou-
vons croire que nous pourrons l'accomplir (1).
(\) Corn, a Lap, in Joan. XI.
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252 SAINTE MARTHE
Or, Marthe reçoit humblement le reproche de
Jésus : elle s'incline en silence sous la parole da
divin ami. Elle croit, elle sait, elle sent mainte-
nant qu'il va déployer sa puissance d^homme-
Dieu, pour la gloire de son Père, pour la justi-
fication de sa doctrine et la consolation de ses
amis.
Alors Jésus, ayant élevé les yeux au ciel, dit :
Père, je vous rends grâce de ce que vous m'avez
exaucé : pour moi, je savais que vous m'exaucez
toujours; mais, à cause du peuple qui m'envi-
ronne, je l'ai dit, afin qu'ils croient que vous
m'avez envoyé (1). Après avoir dit ces paroles,
après avoir fait cette prière qui nous enseigne à
prier, après avoir rendu grâce au Père comme le
doit faire l'humanité reconnaissante: après nous
avoir indiqué que déjà, dans son cœur, il a prié le
Père de lui donner la consolation et la joie de
revoir son ami, et d'accorder à son humanité
sainte l'éclatante manifestation de sa divine puis-
sance de commander à la mort et de donner la
vie : Jésus, après ce regard élevé vers le ciel pour
rendre plus attentives les deux sœurs palpitantes
d'émotion et d'espoir, Jésus, d'une voix forte,
s'écrie : Lazare, viens dehors ! Et aussitôt sortit
du sépulcre celui qui avait été mort, les piedsjBt
les mains liés de bandelettes et la face enveloppée
d'un suaire (2). Admirable effet de la toute-puis-
^1) Joan., iJ , 41, 42.
(2) Joan.,ibid.,43, 44.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 203
sance divine que Jésus déploie avec une incom-
parable majesté ! merveilleux tableau de Texécu-
lion d*un ordre souverain éclatant en traits de
force, de sagesse et de vérité I Jésus crie d'une
voix forte, non qu'il ait besoin de hausser la voix
pour se faire entendre, même au fond des ténè-
bres, non qu'il ait besoin de forcer sa parole pour
se faire obéir, même de la mort ; mais il veut nous
montrer qu'il commande en Maître, qu'il exerce
toute sa puissance pour l'œuvre la plus difficile,
ou plutôt la plus divine, que sa nature humaine
opère dans l'indivisible unité de sa personne de
Créateur et de Rédempteur.
D'autre part, Jésus veut nous donner dans la
résurrection de Lazare une image, une promesse,
un gage de notre propre résurrection. Il veut nous
montrer un tableau prophétique et comme une
réduction anticipée de la résurrection générale.
Que signifie en effet ceci, que le Seigneur s'ap-
proche du sépulcre et crie d'une grande voix :
Lazare, viens dehors 1 sinon pour nous offrir une
image et nous donner «un exemple de la résur-
rection future ? Pourquoi ces éclats de voix,
comme s'il n'avait pas l'habitude d'opérer par
l'esprit, de conunander sans rien dire ? C'était
pour nous montrer ce qui e^écrtt : qu'en un
clin-d'œil, au dernier son de la trompette, les
morts ressusciteront immortels (1). De ce cri, fort.
(1) s. Aog, Lib. de Fide Resurr. 1.
15
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254 SAllïTE MARTHE
pmissant, qui pénètre les enfers, qui renverse la
mort, Jésus appelle Lazare par son nom, son
nom de frère et d'ami, car, soit que nous vî-
vîoijs, soit que nous mourions, nous sonmies à
lui (1). Il rappelle par son nom, car ce n'est point
un autre qu'il ressuscite, c'est lui-même, son
ami Lazare, le frère de Marthe et de Madeleine,
celui qui était mort. Et Lazare, à l'instant même,
obéissant à cette voix souveraine, se lève et s'a-
vance, lié dans ses suaires, par un autre prodige
qui le soutient et le dirige malgré les liens qui
devaient enchaîner ses membres, malgré les suai-
res qui enveloppaient sa face et voilaient ses
yeux. Il fallait montrer Lazare ressuscité tel qu'il
avait été enseveli, afin que le miracle éclatât à
tous les yeux et pût être touché de toutes les
mains (2).
Jésus leur dit : Déliez-le et laissez-le aller (3).
Voilà le dernier trait du miracle et la perfection
de l'œuvre divine. Déliez-le, dit-il aux Juifs qui
l'environnent, frappés de stupeur à cette résur-
rection foudroyante ; dlliez-le vous-mêmes et
voyez de vos yeux, touchez de vos mains la réa-
(1) Rom. XIV, 8.
(2) Sed quare ut Jteatus prodiret voluit Jésus, cui facile
fuisset viocula simiSTirtute solvere T Voluit ut eo habita
prodiret quo faerat a domesticis et amicis e Jerosolymis ad
funus evocatis, hic jam astantibus, a quatriduo sepultus, ut
ipslssirous esse certissime cognosceretur. Rupert. apud Faillun.
Raban. Vila, etc. Note.
(3) Joan., ibid, 44.
â^!^
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SA VIE, SON flISfOrtŒ ET SON CULTE. 255
lîté du prodige, l'identité de la personne, la vé-
rité de ce corps ressuscité. Peut-être serez-Aous
étonnés que les Juifs lèvent la pierre, que les
Juifs brisent les liens : c'est afin qu'ils croieut de
leurs yeux, eux qui ne voulaient pas croire de
Tesprit ; c'est pourquoi ils ôtent la pierre, ils
voient le cadavre , ils sentent l'infection, ils rom^
peut les bandelettes. Ils ne peuvent nier qu'il
soit mort celui qu'ils voient ressuscité ; ils voient
en même temps les signes de la mort et les pré-
sents de la vie (1). Déliez-le, dit Jésus spéciale-
ment à ses apôtres, qui doivent être les ministres
de sa parole, les coadjuteurs de sa puissance, les
dispensateurs des sacrements ; déliez-le, conune
vous délierez par votre parole et vous absoudrez
par votre sentence tous les pécheurs convertis,
tous les morts vivifiés par la grâce.— Il ressuscite
après quatre jours de sépulture ; il sort, ses pieds
et ses membres liés : c'est la puissance du Sei-
gneur qui opère ce double prodige, non les
forces dii mort. Il sort et il est encore lié ; encore
enveloppé de suaires, il vient dehors. Qu'est-ce
que cela signifie ? Quand tu méprises la grâce de
Dieu, tu gîs dans la mort ; quand tu confesses
tes péchés, tu sors du sépulcre. Qu'est-ce, en
effet, que se produire au dehor^- sinon manifes-
ter ses fautes cachées comme en sortant de soi ?
Mais pour que tu confesses tes fautes, Dieu te
(1) s. Âmbr.
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J
256 SAINTE MARTHE
fait en criant à haute voix, c'est-à-dire en Rappe-
lant par une grande grâce. C'est pourquoi lors-
que le mort s'avança au-dehors encore lié : c'est
le pécheur se confessant mais encore coupable,
afin que ses péchés lui fussent remis. Le Seigneur
dit à ses ministres : Déliez-le et le laissez aller.
Qu'est-ce que déliez-le et le laissez aller ? Ce que
vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel (i).
Laissez-le aller, dit le Maître : et ces paroles
nous feraient entendre que les spectateurs , à
peine revenus de la stupeur que leur causait l'é-
clat du prodige et l'instantanéité de cette résur-
rection, entourèrent bientôt Lazare pour le félici-
ter, le toucher, l'embrasser avec admiration. Et
lui-même, l'heureux ressuscité, après s'être pros-
terné aux pieds de Jésus pour l'adorer, le re-
mercier et le bénir, il se jeta sans doute dans les
bras de ses deux tendres sœurs, si affligées de sa
mort, si transportées de sa résurrection : de l'une
à l'autre, de Marthe, si dévouée à l'affectueuse
Marie, exprimant sa reconnaissance et son
amour. Elles comprenaient alors, avec d'ineffa-
bles tressaillements de joie, ces mystérieuses pa-
roles du Maître : Cette maladie n'est pas pour la
mort de Lazare, mais pour la gloire de Dieu, et
afin que par elle soit glorifié le Fils de Dieu.
(I)... Idco ciim ppocessisset mortuus adhuc lijîalus. ix)nfi-
teas et adhuc leus: ut solverentur peccata qjus, miniatris hoo
dixit Dominus : SoWite illum et sinite abire. Quid est solvite
etsinite abire T Quœ solveritis in terra, soluta emnt et in cœlo.
Mattb. XVI, 19. S. Aug. in Joan., Tract. XLIX, U.
nk
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SA VIE, SON HISTOTRB ET SON CULTE. 257
Pais de ses sœurs, le ressuscité passait à ses
amis, à ses parents émus, heureux de le revoir et
de toucher la réalité du prodige dans la vérité de
cette chair sortie vivante du tombeau. Laissez-le
aller, dit Jésus, qui ne veut point le retenir
avec lui et le montrer en triomphe à la foule
comme sa conquête sur l'enfer et sur la mort.
Jésus, toujours humble et modeste au milieu
des plus prodigieuses manifestations de sa puis-
sance, Jésus nous donne toujours des exemples
de vertu lorsqu'il nous donne des miracles pour
preuve de sa divinité (1).
Or, plusieurs d'entre les Juifs qui étaient venus
vers Marthe et Marie, et qui avaient vu ce qu'a-
vait fait Jésus, crurent en lui. Mais d'autres
parmi eux allèrent aux Pharisiens et leur dirent
ce que Jésus avait fait. Les Pontifes et les Phari-
siens rassemblèrent un conseil et ils disaient :
Que faisons-nous, car cet homme fait beaucoup
de prodiges ? Si nous le laissons faire ainsi, tous
croirçnt en lui, et les Romains viendront et ils
renverseront le temple, détruiront notre ville et
notre nation. Or, un d'entre eux, du nom de
Caïphe, étant pontife de cette année, leur dit :
Vous ne savez rien, et vous ne songez pas qu'il
vous est utile qu'un homme meure pour le peu-
ple et que toute la nation ne périsse pas. Or, il
(I) Voir pour des détails plus circonstanciés^ tirés de la Vi-
sion, poar expliquer TËvan^ile de la résurrection de Lazare,
Sainte A|adeleine> sa vie^ VIII,
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258 SAINTE MARTHE
ne dit point cela de lui-même ; mais comme il
était pontife de cette année-là, il prophétisa que
Jésus mourrait pour sa nation ; et non-seulement
pour sa nation, mais pour rassembler en un les
flls de Dieu dispersés. Dès ce jour donc, ils son-
gèrent à le tuer. Alors Jésus ne marchait pas en
public devant les Juifs, mais il s'en alla dans une
région, près du désert, dans une ville du nom
d'Ephrem (1), et là, il demeurait avec ses disci-
ples. Or, la Pâque des Juifs était proche ; et'un
grand nombre de Juifs vinrent à Jérusalem de
toute la Judée, avant la Pâque^fin de se puri-
fier pour la fête ; et ils cherchaient Jésus ; et ils
s'entretenaient ensemble, réunis dans le temple,
disant : Pourquoi pensez-vous qu'il n'est pas
venu pour la fête f Or, les pontifes] et les Phari-
siens avaient donné ordre que celui qui saurait
où était Jésus vint le leur apprendre pour qu'on
pût le saisir (2).
Voilà la fin du miracle et l'effet des manifes-
tations divines. Plusieurs croient en Jésus ; d'au-
tres le dénoncent à ses ennemis. Jésus a laissé
mourir Lazare pour le ressusciter : il le ressuscite,
(1) Ephrem ou Ephraîm, était une petite ville da territoire
de la tribu de Benjamin, entre Bethel et Jéricho, à rentrée
du grand désert de montagnes, à dix heures de marche de
Jérusalem, qui s'étendait de Jéricho à Scythopolis, suivant
Josèphe, et qui avait été Taslle d'Ëlie contre Âchab et JésabeL
Note de Foisset, hist. de J.-C. chap. XXXIX. Vide Corn, a
Lap. in Juan. XI.
(2) JoanXl,45-iiÇ.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 259
imploré par les prières de Marthe, ému par les
larmes de Madeleine. Il sait que cette résurrec-
tion éclatant aux portes de Jérusalem , aux ap-
proches de la fête de Pâques, doit exaspérer la
haine de ses ennemis et causer sa mort. Il le
sait, il le veut. Il dispose toutes choses pour ar-
river à cette fin ; il veut sauver le monde par sa
mort ; mais il veut, avant de mourir, donner à
ses amis un touchant témoignage de son affection,
une marque éclatante de son dévouement. Il veut
consoler tendrement leur cœur et magnifiquement
affermir leur foi. Il veut ressusciter Lazare son
ami, parce qu'il Taimait, parce qull aimait Marthe
et Marie ses sœurs ; il veut aussi leur montrer
qu'il est prêt à braver la persécution et la mort,
non-seulement pour sauver les âmes de ses créa-
tures, mais encore pour consoler les cœurs de ses
amis. Bon Jésus, nous croyons avec Marthe que
vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ; nous
croyons en votre puissance ; nous croyons en
votre bonté, Seigneur. Avec votre amie, nous
viendrons prier et pleurer à vos pieds, lorsque la
mort viendra visiter notre foyer et désoler notre
cœur ; et nous vous demanderons. Seigneur,
quelques-unes de ces fortes paroles qui relèvent,
quelques-unes de ces douces larmes qui conso-
lent. Nous vous prierons d'augmenter notre foi
pour fortifier notre cœur, afin que nous puissions
voir la gloire de Dieu dans votre gloire, contem-
pler sa lumière dans la lumière de votre visage,
et savourer sou amour dans votre cœur,
DigittedbyCjOOglC
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VIII
MARTHE ET LA FAMILLE DE BETHANTE PENDANT ET APRES
LA PASSION DE JÉSUS.
Ora pro nobis^ Domina,
Per te no»tra peccamina
Deleantur.
Impetra, Martha, gratiam,
His qui tuaai memoriam
Venerantur.
In angusta mortis bora,
Nobis, si placet^ implora
Peccatorum veniam.
Cupsuque vitœ perfecto,
Ducas nos tramite recto
Ad supernam curiam.
Prosa missal. Aurel. l.'^23.
Colon. i52i.Massil. 1530-1532.
Priez pour nous, pieuse dame, par vous
que nos péchés boicut effacés.
Marthe, obtenez la grâce à tous ceux qui
vénèrent votre mémoire.
A l'heure extrême de la mort, implorez
pour nous, s'il vous plaît, le pardon des
péchés.
Et la course de la vie achevée, con-
duisez-nous par le droit chemin au royau-
me étemeL
Marthe^ sans le savoir, sans le vouloir, en obte-
nant de Jésus la résurrection de Lazare son frère,
provoquait la haine des ennemis de Jésus et hâtait
la mort du bon Maître. Oh 1 sans doute il pensait
à ses doux amis de Béthanie, lorsqu'il disait : per-
^nne ne peut avoir unedilectîon plus grande
i5.
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262 SAINTE MARTHE
que de donner sa vie pour ses amis, et vous êtes
mes amis... vos amici met estis (1). Le divin
Maître, en donnant sa vie pour le salut du monde,
avait voulu que l'occasion de cette mort fût amenée
par un éclatant miracle fait en faveur de ses amis.
Dans son immense amour pour le monde et dans
son adorable sacrifice pour apaiser la justice di-
vine, il voulait qu'on pût distinguer le tendre et
délicieux sentiment d'amitié pour ses amis. Tout
en enveloppant les âmes dans la pourpre de son
sang précieux répandu pour leurs péchés, le
Sacré-Cœur pensait plus actuellement et plus ten-
drement à Marthe, à Marie, à Lazare. Ils étaient
l'occasion, presque la cause dé ses souffrances et
de sa mort. Pour eux, pour eux seuls, il aurait
voulu souffrir et mourir, quand même sa passion
et sa mort n'auraient pas dû opérer le salut du
monde. Marthe ne le savait pas : elle ne connais-
sait pas tous les trésors de tendresses du Sacré-
Cœur pour elle. Ces mystères d'amour et ces pro-
diges d'amitié lui seront plus tard^dévoilés. Alors,
pour y répondre, elle trouvera dans son cœur de
vierge consacrée, des trésors de reconnaissance
et des prodiges de charité.
Jésus, après la mort et la résurrection de
Lazare, s'était donc retiré à Ephrem pour laisser
se calmer l'irritation de haine et de jalousie des
pontifes et des Pharisiens. Jésus devait mourir à
(l)Joan. XVi^3-t4,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 263
son heure ; et il disposait humainement toutes
choses pour que cette heure ne fût ni avancée ni
retardée. Il devait mourir «u jour, à Theure de
l'agneau pascal, dans les fêtes pascales, pour
être la vraie Pâque de Thumanité rachetée. Dès-
lors, Jésus a quitté Béthanie ; il s'est éloigné des
environs de Jérusalem. Il ne resta guère plus
d'une quinzaine de jours dans le désert de Haï,
près du torrent de Carith, où les cprbeaux étaient
venus apporter àElie son pain de chaque jour (1).
C'est là que, dans la retraite et la prière, Jésus se
préparait et s'armait pour la lutte contre la ma-
lice et la haine de ses ennemis, ou plutôt contre
la haine de l'enfer et la malice du péché. Mais le
sixième jour avant la fête de Pâques, ou plutôt
le septième, car il demeura un jour à Jéricho,
chez Zachée, Jésus revint vers Jérusalem. Pen-
dant le chemin, Jésus dit aux douze qui l'accom-
pagnaient : Voici que nous montons à Jérusalem,
et toutes choses seront consommées, qui' ont été
écrites par les prophètes, au sujet du Fils de
momme. Car il sera livré aux Gentils, il sera
moqué, flagellé, couvert de crachats ; et après
qu'on l'aura flagellé, on le tuera, et le troisième
jour il ressuscitera. Et eux ne comprirent rien
de ces choses, et cette parole était cachée pour
eux, et ils ne comprirent pas ce qu'on leur di-
sait (2). C'est alors que Jacques et Jean, les deux
(1) m Reg. XVII.
(2) Luc XViil, 31-34.
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264 SAINTE MARTHE
fils de Zébédée, croyant grossièrement, comme les
autres apôtres, que Jésus montait à Jérusalem
pour rétablir le royaume d'Israël et le trône de
David, lui firent demander par leur mère les pre-
mières places de ce royaume; c'est alors que Jésus
leur promit une part abondante du calice de sa
passion. On arrive -à Jéricho, et Jésus, dont la
grâce avaît excité dans le cœur de Zachée le dé-
sir de le voir, se rend dans la maison du prince
des publicains pour y porter les grâces de sa con-
version et les vertus de sa charité. Puis, sur le
chemin de Jéricho à Jérusalem, Jésus guérit deux
aveugles dont Fun s'appelait Bartimée. Le soir de
ce jour, vendredi avant le dimanche des Rameaux,
Jésus vint à Béthanie, car Jéricho était à cent
cinquante stades de Jérusalem, près de sept
heures de marche (1). Ainsi Jésus arrivait le soir
chez ses amis, fatigué d'une longue marche, por-
tant sur son auguste visage, avec les fatigues et
les sueurs de la journée, les divines tristesses de
sa passion qui approchait. Mais toujours calme
et serein, toujours doux et bon pour tous, tou-
jours affectueux et tendre pour ses amis, il venait
demander asile et repos à la famille de Béthanie.
Reprenons le texte sacré : Or donc, Jésus, six
Jours avant la fête de Pâques, vint à Béthanie où
Lazare était mort, celui que Jésus avait ressus-
cité (2). Ce n'est point à Jérusalem que Jésus
(l) Vide Corn, a Lî.p. in Malth. XX, 29.
(2; Joan. XII, 1.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 265
' veut s'arrêter, c'est à Béthanie, derrière le mont
des Oliviers, dans la maison de ses amis ; c'est à
Béthanie, dans la maison de ses amis, où il a
répandu tant de grâces et recueilli tant d'amour,
que Jésus veut s'arrêter et se recueillir en cette
dernière station de sa vie mortelle. Or, Béthanie
qui touche au mont des Oliviers, est la même
chose que la maison d'obéissance, de laquelle
Jésus voulut partir pour aller en Jérusalem, à la
croix, d'où la Glose dit : Il vient à Béthanie,
c'est-à-dire à la maison d'obéissance, lui, obéis-
sant à son Père, jusqu'à lamort, enseignant l'obéis-
sance à l'Eglise, qui est établie sur la montagne
de l'huile, c'est-à-dire de la miséricorde, et qui
ne peut pas être cachée, et dans laquelle il res-
suscite les morts, ensevelissons le poids des pé-
chés. C'est là que se fait la Cène dans la foi et la
dévotion des justes. Marthe sert en ce festin,
tandis que chaque fidèle consacre au Seigneur
ses œuvres de dévotion. Lazare, c'est-à-dire les
convertis et les ressuscites dans la justice, sont
assis au festin dans la joie et la présence du Sei-
gneur (1).
C'est à Béthanie que Jésus est arrivé, mais c'est
dans la maison de Simon le Lépreux qu'il vient
prendre le repas solennel, la Cène, le repas du
soir qu'on lui a préparé. Là, on lui fit un repas
et Marthe servait. Or, Lazare était un des con-
(I y' Vide Corn, a Lap. in Joan, 5Ml.
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266 SAINTE MARTES
vives (1). Deux évangélistes ajoutent: dans la mai-
son de Simon le Lépreux (2) ; Simon le Lépreux
avait sans doute été guéri par Jésus. Le texte
évangélique ne veut point dire qull fût atteint de
la lèpre en ce moment, .car la loi défendait tout '
commerce avec les lépreux jusqu'après leur gué-
rison juridiquement constatée par les prêtres.
Simon avait été lépreux : on le désignait encore
sous ce nom; et, pour exprimer sa reconnaissance
à gon Sauveur, il offre à Jésus le festin où se ras-
semblent tous ses amis. Lazare est un des convi-
ves ; Marthe sert le Maître, et tout à Theure
Madeleine va le couvrir de son parfum. Simon
était sans doute le parent des amis de Jésus,
puisque toute la famille de Béthanie se trouve
dans la maison et participe au festin. Du reste,
les anciennes histoires de la Terre-Sainte nous
racontent qu'une église avait été bâtie sur l'em-
placement de la maison de Simon le Lépreux; et
les ruines, encore visibles au xui« siècle, indi-
quaient que cette maison était très-voisine du
tombeau de Lazare.
Or, on lui fit là un festin, et Marthe servait, et
Lazare était un des convives, assis à table avec
lui. C'était donc un repas d'amis et de fidèles où
Jésus voulut bieji accepter de ceux qu'il avait gué-
ris, éclairés, consolés, pardonnes, les marques
de leur attachement et de leur reconnaissance.
(I) Joan. XII, 2.
2)Maith. XXVI, 6 j lliro. XIV, 3.
^ ^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 267
En même temps ce festin était une démonstration
dernière pour quelques Juifs encore incertains
de la réalité du miracle de la résurrection de
Lazare. Lazarus vero unus erat ex eis cumben-
tibus. Afin que les hommes ne pussent pas penser
que le mort ressuscité était un fantôme,- il était
un des convives, il vivait, il parlait, il mangeait ;
la vérité se montrait, Tinfidélité des Juifs était
confondue. Le Seigneur était donc à table avec
Lazare et les autres convives, et Marthe, une des
sœurs de Lazare," le servait (1). Marthe servait,
selon son habitude ; elle contribuait par son atti-
tude ordinaire auprès du Maître, par son humble
et afi[ectueux ministère de servante auprès de la
très-sainte humanité de Jésus, Marthe contribuait
à faire reconnaître son frère Lazare et à glorifier
Jésus. Et la bienheureuse Marthe, selon sa cou-
tume, servait à table, pourvoyait au festin d'une
main généreuse^ d'un visage joyeux, d'un cœur
libéral (2). Elle ne voulait point laisser aux d.o-
mestiques de la famille l'honneur de servir le
Maître, d'approcher de sa personne et de lui
rendre les offices humbles aux yeux des hommes,
avilissants aux yeux du monde, mais par la foi
(1) Ne putarent hommes pbantasma esse factum quia mor-
iaos resurrexlt, yivebat,loquebatar,epulabatur, veritasostende-
batur, infidelitas Judœorum confundebatur, discumbebat ergo.
S. Aog., in Joao. L, 5.
(2) Et Martha quidem beatissima^ more solito, miaistrabat
mensis, larga manu, vultu hilari et animo liberali. Raban.
ViU, etc., XVII.
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268 SAINTE MÀETHE
sincère, élevés à la dignité d un royal ministère,
et par la délicate générosité du cœur, élevés à la
sainteté d'un culte de vénération et d'amour. Elle
voulait elle-même le servira table ; elle connaissait
les goûts, les préférences du Maître; elle savait
que ses soins lui plaisaient et que ses empresse-
ments étaient agréés de son cœur d'ami, surtout
maintenant qu'elle y mettait moins de recherche
d'elle-même, et qu'elle n'avait en son cœur,qu'elle
n'avait devant les yeux que Vunique nécessaire,
comme sa sœur en ses extases aux pieds du Maî-
tre et en ses libérales effusions de parfums.
Marthe servait : voilà son attitude habituelle
auprès du Maître, le caractère personnel de son
amour, de son culte et de sa sainteté. Toutes les
fois que nous la trouvons auprès de la personne
de Jésus, elle est là pour servir. Et Martha mi-
nistrabat. Elle exerce auprès du Maître, auprès
de sa très-sainte humanité, cet humble et pieux
ministère de servante affectueuse et dévouée.
Désormais, dans l'Eglise et dans ITiumanité, ser-
vant toujours la personne aimée, la personne
adorée de Jésus, elle exercera, comme dans l'évan-
gile, auprès des petits, des pauvres, des malades,
des infirmes, des enfants, des vieillards, des
orphelins, des abandonnés,* auprès de tous les
membres souffrants et délaissés de Jésus-Christ,
ce doux et vaillant ministère de charité. Et Mar-
tha ministrabat. Bile présidait à tous les détails
du repas ; elle dirigeait, elle ordonnait toutes
choses avec ce goût, cette vivacité, ce sens prati«
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SA yiE, SON fflSTOIRE ET SON CUtTE.
que et cette activité prévoyante que nous lui con-
naissons. Mais elle est maintenant plus conte-
nue et plus calme ; on voit dans ses regards et
dans ses gestes, on sent dans toute sa personne
une intensité plus grande de tendresse et d'amour,
de vénération et de reconnaissance pour le divin
Mattre, en même temps qu'une ombre de tristesse
voile ses traits et son regard ; car elle comprend
que ce repas du soir est un repas d'adieu.
On. sait le reste de ce festin solennel chez
Simon le Lépreux. Nous l'avons raconté ailleurs ;
on sait comment Madeleine à son tour, voulant
exprimer au Maître son amour et sa reconnais-
sance, vint pendant le repas répandre son par-
fum de nard sur les pieds et sur la tète de Jésus.
C'était pendant que Marthe servait : et certaine-
ment, Marthe connaissait le dessein de sa sœur.
Elle l'avait conseillée ; elle Tencourageait, au mi-
lieu de ces Juifs et de ces disciples dont plusieurs
bl&maient les ardeurs de zèle et les prodigalités
de vénération de Madeleine. Marthe avait toujours
pour sa jeune sœur cette indulgente tendresse si
facile aux cœurs de vierges qui servent de mère
aux orphelins. Marthe savait combien sa sœur était
chère à Jésus ; combien le cœur de Madeleine
avait besoin de s'humilier et de s'épancher aux
pieds de Jésus ; surtout en ce moment où tous
les membres de la famille de Béthanie étaient
réunis et concertés pour glorifier Jésus de son
grand miracle : surtout en ce moment où les deux
scaurs pressentaient* si elles m le savaient déjà.
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270 • SAINTE MARTHE
OÙ elles pressentaient par cet instinct miséricor-
dieusement divin qui avertit les cœurs aimants
des malheurs qui menacent les être qui leur sont
chers, les souffrances et la mort de Jésus. Marthe
conseillait ici Madeleine et Tencourageait. Elle
ressentit vivement la peine de sa sœur blâmée
par les apôtres et injuriée par Judas ; et plus
vivement encore elle ressentit une impétueuse
gratitude pour le Maître qui justifiait sa sœur,
agréait son parfum, et confiait à son évangile et à
son Eglise, dans les siècles futurs à toutes les
âmes tendres et délicates, la mémoire et le culte
de la pénitente Madeleine, plus exaltée encore que
la fidèle Marthe. Oh I quel dut être le bonheur
dé cette sœur dévouée à voir et entendre que les
hommages de sa sœur n'étaient pas moins
agréables à Jésus que ses services domestiques,
et qu'ils auraient dans Tévangile une plus écla-
tante récompense I
Pendant ces six jours qui précédèrent la mort
de Jésus et qui sont si pleins de discours, d'en-
seignements et de témoignages d'amour, le divin
Maître, nous le savons, habitait Béthanie : La
maison de Lazare et de ses sœurs était son refuge^
nous dit saint Bonaventure ; et là aussi se repo-
sait sa mère, Notre-Dame, avec ses sœurs ; et elle
était honorée de tous, surtout de Madeleine
qui l'accompagnait partout et ne se séparait
jamais d'elle (1). C'est à Béthanie que Jésus reve-
(i) s. Bopav. Médit, cje vita D^N- J.Ch., cap, 70.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 271
naît chaque soir, après ses instructions et ses mi-
racles à Jérusalem. Et Marthe servait le Maître.
Et Martha ministrabat ^ avec des redoublements
d'affection, d'empressement et de pieuse vénéra-
tion. Nous n'avons pas à reprendre, pour la racoa-
ter en détail, la vie de Jésus pendant ces six jours,
les six derniers jours de sa vie mortelle. Pendant
que le fils de Thomme achevait son œuvre de pré-
dication et de miracles ; lorsque le matin il quit-
tait Béthanie pour aller à Jérusalem ou dans les
environs, pendant qu'il enseignait ses disciples,
confondait les pharisiens, donnait les dernières
preuves de sa divinité ; lorsque le soir, après ces
laborieuses journées, il rentrait à Béthanie dans
la maison de Marthe et de Lazare, dans ce doux
foyer, ce pieux sanctuaire de la plus tendre amitié,
Marthe n'avait qu'une pensée, une occupation,
Marthe servait Jésus. Et Martha ministrabat.
Elle ne quitta guère Béthanie pendant ces jours
si pleins et si solennels. Chef de maison, et pour
ainsi dire supérieure, économe de la première com-
munauté chrétienne (1), Marthe restait en sa mai-
son pour veiller aux intérêts de cette maison qui
(1) D'après les visions de la sœur Emmerich, les trois fem-
mes nommées ici (la veuve de Naîm, Dina, la samaritaine et
Mara la suphanite) demeuraient à Béthanie dans une sorte de
communauté établie par Marthe, afin de pourvoir à Tentrctien
des disciples, lors des voyages du Seigneur et à la répartition
deâ aumônes. La douloureuse passion, d'après C^ther. Emm^-
Hdi. LIII^ note,
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272 SAINTE MARTHE
était celle du Maître et de ses disciples, afin de
préparer toutes choses pour les besoins de Jésus
et de ceux qui raccompagnaient. Absent, présent,
Jésus était le vivant objet de toutes ses pensées,
de tous ses soins, de tous ses empressements.
C'est pour le mieux servir qu'elle resta dans sa
maison de Béthanie, et que, pendant la passion,
elle se transporta dans sa maison de Jérusalem.
Elle était plus utile pour la personne de Jésus et
pour les intérêts de la communauté chrétienne,
avec le petit groupe des âmes vaillantes et dé-
vouées qui travaillaient sous sa direction, elle
était plus utile dans Tintérieur qu'au dehors.
D'ailleurs elle avait un ministère à remplir auprès
de l'humanité de Jésus, et comme une fonction
toute autre que sa sœur Madeleine, qui ne quitta
pas un seul instant le Maître aux côtés de sa
divine mère.
L'évangile ne prononce plus le nom de Marthe,
tandis qu'il nomme encore Madeleine et nous la
montre au pied de la croix, auprès du tombeau,
recevant le dernier soupir de Jésus, portant les
aromates de sa sépulture, adorant les premiers
rayons de la gloire du ressuscité. Madeleine est
ici le type de la femme purifiée par la douleur,
rachetée par le sang de Jésus, associée à la pas-
sion du fils de Dieu, chargée de communiquer
les premiers dons de la résurrection et de la vie.
Marthe, au contraire, est le type de la femme inno-
cente et pure, de la vierge chrétienne qui reste
enfermée dans la maison, dans le cloître de la
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SA VIE, SON fltSTOIÎlB.ET SON CtLTE. 273
règle ou du devoir, pour y travailler en priant,
pour allumer, entretenir le foyer, dresser la table,
préparer les aliments dont se nourrit Thumanité
de Jésus, en un mot, pour y servir le Maître, pour
y recevoir le divin Epoux, la main occupée, Tes-
prit en prière, le cœur ardent, la lampe allumée (1).
11 en fut de même de Lazare, le frère de Mar-
the et de Madeleine. L'ami de Jésus , le prodi-
gieux ressuscité, le témoin intrépide, la preuve
éclatante , Tobjet vivant du miracle et de la puis-
sance divine de Jésus, ne manque point au divin
Maître. S'il reste dans l'ombre , et pour ainsi dire
au second plan dans le drame de la passion,
Lazare , avec quelques-uns des autres disciples
du Maître, avec Joseph d'Arimathie, avec Nico-
dème, riches et honorés comme lui dans Jérusa-
lem, Lazare défend Jésus contre les haines, les
jalouî-ies, les complots des pharisiens. C'est le
type de ces larges cœurs et de ces nobles intelli-
gences qui s'attachent à défendre, à venger, à
glorifier la vérité, malgré la conspiration des
beaux esprits et les imbéciles fureurs de la foule.
Lazare est le témoin , le serviteur et l'apologiste
du Dieu fait homme ; il prépare les preuves de la
résurrection et dispose les âmes aux premiers
rayons de la lumière nouvelle qui sortira du
saint tombeau. Dans la maison de Béthanie,
Lazare reçoit , abrite les disciples de Jésus ; il les
(I) Mattb. XXV, I.
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274 SAINTE ICA&THE
rassure et les fortifie ; il les soutient de son
influence et de ses dons généreux. Après avoir
ainsi payé , selon son pouvoir , sa dette de Tami-
tié à son divin ami, lorsque Jésus est pris et
conduit devant le tribunal d'Anne et de Caïphe ,
dans le prétoire de Pilate et la cour d'Hérode,
Lazare se transporte à sa maison de Jérusalem.
Plus près des événements , il cherche à ranimer
le courage des amis de Jésus ; il agit auprès des
juges du Sanhédrin qull sait ou qull croit favo-
rables à Jésus ; il fait intervenir auprès du gou-
verneur romain les personnages et les influences
qui le peuvent bien disposer pour Jésus. Enfin,
Lazare n'abandonna pas son Maître et son ami ;
il fut fidèle conune ses deux sœurs ; il fut du
petit nombre de ces âmes reconnaissantes et dé-
vouées qui [sont l'honneur de l'humanité, dans
cette effroyable conspiration de toutes les pas-
sions humaines menées par l'enfer contre le •
juste, le bienfaiteur et le Sauveur.
Jésus, avons-nous dit, revint à Béthanie six jours
avant la Pâqne, six jours avant sa mort. Il s'était
rapproché de Jérusalem pour être prêt au sacri-
fice ; il s'était arrêté à Béthanie pour donner à ses
amis cette dernière marque d'affection, mais aussi
pour recevoir de ces trois amis, si diversement et
si richement doués, si diversement et si tendre-
ment aimés, de suprêmes hommages , et les der-
niers témoignages d'amour et de fidélité qui
consolent pour souffrir , qui fortifient pour mour
rir. Chacun de ces jours, jusqu'au jeudi soITi
^
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SA TIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 275
Jésus, après avoir accompli son œuvre à Jérusa-
lem , après avoir prêché , après avoir instruit ses
disciples et confondu ses ennemis , Jésus se re-
tire le soir à Béthanie pour se reposer avec ses
amis, pour les raffermir et les consoler. Jésus,
arrivé le vendredi soir à Béthanie, a célébré le
sabbat avec ses amis , il a bien voulu accepter le
repas du soir chez Simon le Lépreux. Le lende-
main, premier jour après le sabbat (notre diman-
che) Jésus a pleuré sur Jérusalem : ses disciples
lui ont fait un triomphe à son entrée dans la ville
sainte, dans la ville royale et sacerdotale, triom-
phe gui devait exaspérer la haine de ses ennemis
et hâter la catastrophe, mais où les enfants ont
crié hosannah^ où le fils de David, 'où le Maître a
chassé du temple les acheteurs et les vendeurs ;
où il a fait plusieurs miracles et fait entendre
une voix du ciel , pour répondre aux bonnes dis-
positions des gentils accourus ?ux fêtes pascha-
les. Et Jésus est revenu à Béthanie, afin de se
faire servir fpar Marthe , afin de converser avec
Madeleine. Les jours suivants il en fut de même;
Jésus quittait Béthanie le matin , il y rentrait le
soir. Se reposant au foyer , assis à la table de ses
amis» il résumait pour eux, dans d'ineffables
entretiens , les discours qu'il avait faits dans le
temple. Les disciples qui avaient accompagné le
Maître leur racontaient ses miracles, ses dis-
cussions avec lés pharisiens , la confusion de ses
ennemis. Enfin , le jeudi matin il leur dit un der-
nier adieu. La veille au soir, il avait annoncé sa
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gtô SAlNÎE MARTflE
mort et décrit sa passion en termes tellement
explicites , que ses disciples en furent abattus,
et que Judas alla conclure son infâme marché.
Les amis de Jésus, prévenus, attristés, durent
en ce moment de séparation redoubler d'affection
et de dévouement pour leuf divin ami. Lazare
dut protester de la fidélité de son cœur reconnais-
sant; Madeleine dut s'attacher en une étreinte
d'amour à ces pieds sacrés qu'elle ne voulait plus
laisser aller au milieu des perfidies de Jérusa-
lem ; et Marthe dut lui dire avec une tendre réso-
lution, restez avec nous, Seigneur; qui vous ser-
vira comme moi ? qui vous aimera comme
nous?
Il partit pour aller à son divin sacrifice : comme
il avait aimé les siens qui étaient dans le monde,
il les aima surtout à la fin (1). Il les quitta pour les
sauver par son sang, pour les nourrir de sa chair
et les ressusciter dans sa gloire. Nous ne suivrons
pas Jésus dans chacune des circonstances de sa
passions. Nous avons dit que Marthe ne fut pas
comme Madeleine le témoin constant et la com-
pagne inséparable des douleurs et de la mort de
Jésus. Nous avons dit qu'elle resta tantôt à Bétha-
nie, tantôt dans la maison de Jérusalem , pour
accomplir son œuvre, exercer son ministère de
charité active. Elle ne s'appartenait plus ; elle
appartenait à la communauté chi*étienne , et nous
(1) Jom. XIIL 1.
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dby Google
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 277
pouvons dire qu'elle tâchait de rassembler autour
d'elle les disciples fugitifs et constca^nés , comme
la poule rassemble ses petits sous ses ailes. Elle
se rappelait la parole récente du Maître et s'ins-
pirait de son amour (1). Toutefois, de temps à
autre, pendant la passion, nous pouvons aper-
cevoir, à la lumière de la vision, la figure de
Marthe dans le groupe des saintes femmes. Dans
la nuit de l'agonie et de la trahison, — « il y
avait peu de bruit dans Jérusalem. Les Juifs
étaient dans leurs maisons occupés des prépa-
ratifs de la fête. Je vis çà et là des amis et des
disciples de Jésus qui marchaient et qui s'entre-
tenaient ensemble. Ils paraissaient inquiets et
dans l'attente de quelque événement. La mère du
Seigneur, Madeleine, Marthe, Marie, fille de
Gléophas, Marie Salomé et Salomé étaient allées du
Cénacle dans la maison de Marie, mère de Marc.
Puis, Marie, effrayée des bruits qui couraient,
avait voulu venir dans la ville avec ses amis, pour
savoir des nouvelles de Jésus. Lazare, Nicodème,
Joseph d'Arimathie et quelques parents d'Hé-
bron , vinrent la trouver et essayèrent de la tran-
quilliser; car ayant eu connaissance par eux-
mêmes ou par les disciples, des tristes prédic-
tions faites par Jésus dans le Cénacle, ils avaient
été prendre des informations chez des pharisiens
de leur connaissance, et n'avaient point appris
(1) Mattb. XXIII, 37.
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278 SAINTE MAETHE
qu'on 4lût faire des tentatives prochaines contre
le Sauveur. Ils disaient que le danger ne pouvait
être encore très-grand , qu'on n'attaquerait pas le
Seigneur si près de la fête. Ils ne savaient rien
de la trahison de Judas. Marie leur parla du
trouble de celui-ci dans les derniers jours, de la
manière dont il avait quitté le Cénacle; il était
sûrement allé le trahir ; elle Tavait souvent
averti qu'il était un fils de perdition. Les saintes
femmes retournèrent dans la maison de Marie,
mère de Marc (1). »
Ce n'est que par accident que nous rencontrons
Marthe dans les rues de Jérusalem, à la suite de
la mère de Jésus. Le plus souvent elle est dans
sa maison où elle l'attend, pour l'environner,
comme elle faisait pour Jésus , de ses soins em-
pressés et de ses pieux services. « Les habitants
d'Ophel , le pauvre quartier de Jérusalem, près
du temple où Jésus avait répandu des bienfaits
et comptait de^ nombreux amis, les habitants
d'Ophel étaient encore remplis d'effroi et d'afQic-
tion , à cause de la prise de Jésus, lorsqu'un nou-
vel incident vint exciter leur pitié. La mère de
Jésus fut ramenée par les saintes femmes à tra-
vers Ophel, vers la maison de Marie, mère de
Marc , qui était au pied de là montagne de Sion.
Lorsqu'ils la reconnurent, ils donnèrent de nou-
velles marques de douleur et de compassion ; et
(1) La Doulour. Passion, 1. 122.
^ m
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 279
ils se pressèrent tellement autour de Marie,
qu'elle était presque portée par la foule ; Marie
était muettç de douleur. Arrivée chez Marie, mère
de Marc'^ elle ne parla qu'à l'arrivée de Jean, qui
lui raconta tout ce qu'il avait vu depuis la sortie
du Cénacle. » Plus tard, on conduisit la Sainte-
Vierge chez Marthe , dans la partie occidentale de
la ville (1). Plus tard et pendant que Jésus chez
Caïphe était l'objet des derniers outrages de la
part des valets, il est dit que : « Jean alla rejoin-
dre la mère de Jésus qui se trouvait avec les
saintes femmes dans la demeure de Marthe (2). »
Mais on le comprend, la mère des douleurs, dans
les transes mortelles qui lui étreignaient le cœur,
ne pouvait rester longtemps à la même place et
loin de Jésus. Son cœur inquiet et désolé la pous-
sait toujours du côté de son fils. Ici, nous la
trouvons dans la maison de Lazare , un fidèle et
tendre ami , celui-là, comme ses deux sœurs. —
« La Sainte-Vierge était;^ constamment en rapport
spirituel avec Jésus ; elle savait tout ce qui lui
arrivait , et souffrait avec lui. Elle était comme
lui en prière continuelle pour ses bourreaux;
maïs son cœur maternel criait aussi vers Dieu
pojir qu'il ne laissât pas ce crime s'achever, pour
qu'il voulût détourner ces douleurs de son très-
cherjflls ; et elle avait un désir irrésistible de se rap-
procher de Jésus. Lorsque Jean fut venu la trou-
(0 La doul. pas. III, iÇ2.
(2) U>id. X, 190.
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280 SAINTE MARTHE
ver dans la maison de Lazare (1), et lui eut
raconté Thomble spectacle auquel il avait assisté
(dans la cour de la maison de Gaïphe , aux mains
des valets) elle demanda, ainsi que Madeleine et
quelques-unes des saintes femmes , à être menée
près du lieu où Jésus souffrait. Jean, qui n'avait
quitté son divin Maître que pour consoler celle
qui était le plus près de son cœur, après lui, con-
duisit les saintes femmes à travers les rues
éclairées par la lune et où Ton voyait beaucoup
de gens qui retournaient chez eux. Elles mar-
chaient voilées ; mais leurs sanglots qu'on enten-
dait attirèrent sur elles l'attention de plusieurs
groupes ; et elles eurent à entendre bien des paro-
les injurieuses contre le Sauveur. La mère de
Jésus contemplait intérieurement le supplice de
son fils et conservait cela dans son cœur, comme
tout le reste. Elle souffrait en silence comme lui,
et plus d'une fois elle tomba évanouie. Comme
elle était ainsi sans connaissance dans les bras
des saintes femmes , sous une des portes de la
ville intérieure , quelques gens bien intentionnés
qui revenaient de chez Gaïphe la reconnurent, et
s'arrétant un instant avec une compassion sin-
cère, la saluèrent de ces paroles : — « 0 malheu-
reuse mère I 0 déplorable mère I 0 mère riche en
douleurs du saint d'Israël I — Marie revint à elle
(1) Près de la porte par laquelle on va à Bethsar, est la
belle maison que possède Lazare à Jérusalem, et où Marthe
a aussi une demeure 4 elle. (La Doul. Pas. XVI, 2U .
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 281
et les remercia cordialement ; puis elle continua
son triste chemin (1). »
Dans une autre partie de ses visions , Textati-
que de Dûlraen caractérise encore mieux l'atti-
tude et les fonctions de Marthe pendant la pas-
sion de Jésus. — « Pendant la dispersion des dis-
ciples et le long supplice du Seigneur , Marthe
eut de pénibles fonctions à remplir et les a encore ;
brisée par la douleur comme elle Tétait , elle veil-
lait à tout et s'occupait de tout le monde. Elle
nourrissait et soignait tous ceux qui étaient dis
perses et errants ; elle pourvoyait à tous leurs
besoins. Elle est aidée dans tout cela , spéciale-
ment, et pour la préparation des aliments, par
Jeanne, veuve deChusa, serviteur d'Hérode. C'est
une personne que j'ai vue depuis longtemps se
rendre utile à la communauté par sa grande acti-
vité et les travaux de toute espèce auxquels elle
se livrait (2). » Chère et vaillante sœur, voilà
bien le dévouement complet; s'arracher même à
sa douleur, se relever avec son cœur brisé pour
sortir de soi, s'occuper des autres; et pour
l'amour du bien-aimé, ne pouvant s'approcher
de sa personne pour le servir, se mettre au ser-
vice de ses amis , de ses fidèles, de ses disciples,
par pur amour et dévouement désintéressé. Oh I
si Madeleine est plus touchante sous ses grands
voiles et ses cheveux épars , en larmes et en san-
(1) La doul. pas. XI, 194-195.
(2) Vie de N.-S. J-Cli. VI, 148-149.
16.
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282 SAINT£ ICABTSE
glots, aux côtés de Marie , sur les traces sanglan-
tes de Jésus , Marthe est bien admirable , compri-
mant ses larmes et se raidissant contre la dou-
leur, pour servir le Maître absent, persécuté i
mourant, dans la personne de ses disciples et
dans les membres de son Eglise.
Cependant, Marthe ne pouvait manquer de se
trouver réunie au Calvaire avec les autres saintes
femmes, intrépides dans leur amour, tandis que
Lazare encourageait le groupe bien diminué des
amis de Jésus. Il fallait tout à la fois donner à
Jésus cette marque suprême d'affection, ce témoi-
gnage de foi et cette expression de tendre et
respectueuse sympathie pour la Mère du divin
Crucifié: c'est ce que la Vision nous indique.
« Lorsque la Sainte-Vierge, après sa rencontre
douloureuse avec Jésus portant . sa croix, eut été
emportée sans connaissance par ses amies, l'a-
mour, le désir ardent d'être près de son Fils et
de ne pas l'abandonner, lui rendirent bientôt
une force surnaturelle. Elle se rendit avec ses
compagnes dans la maison de Lazare, près de la
Porte de l'Angle^ où se trouvaient les autres saintes
femmes, et elles partirent de là au nombre de
dix-sept pour suivre le chemin de la passion. Je
les vis couvertes de leurs voiles, se rendre au
forum, sans s'inquiéter des injures de la popu-
lace, baiser la terre au lieu où Jésus s'était chargé
de la croix , puis suivre le chemin qu'il avait
suivi ; Marie cherchait les traces de ses pieds.
Eclairée intérieurement, elle comptait tous ses
nk
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SA VIE, SON HISTOIBB ET SON CULTE. 283
pas et indiquait à ses compagnes les places con-
sacrées par quelque douloureuse circonstance.
C'est de cette manière que la plus touchante dé-
votion de TEglise fut pour la première fois écrite
dans le cœur maternel de Marie avec le glaive
prédit par le vieux Siméon. Elle passa de sa bou-
che sacrée à ses compagnes, et de celles-ci jusr
qu'à nous. Ainsi se perpétue du cœur de la Mère
au cœur des enfants la tradition de l'Eglise. De
tout temps les Juifs ont vénéré les lieux consa-
crés par quelque action sainte. Ils y dressent des
pierres, y vont en pèlerinage et y adorent. C'est
ainsi que le culte du chemin sacré de la croix
prit naissance, poui; ainsi dire, sous les pieds
mêmes de Jésus, grâce à l'amour de la plus ten-
dre des mères, et par suite des vues de Dieu sur
son peuple.
Cette sainte troupe vînt à la maison de Véro-
nique et y entra, parce que Pilate revenait par
cette rue avec ses cavaliers. Les saintes femmes
regardèrent en pleurant le visage de Jésus em-
preint sur le suaire, et admirant la grâce qu'il avait
faite à sa fidèle amie, elles prirent le vase de vin
aromatisé qu'on n'avait pas permis à Véronique
de faire boire à Jésus, et se dirigèrent toutes en-
semble vers la porte de Golgotha. Leur troupe
s'était grossie de beaucoup de gens bien inten-
tionnés, parmi lesquels un certain nombre
d'hommes. Elles montèrent au Calvaire par le
côté du couchant oîi la pente est plus douce. La
mère de Jésus, sa nièce, Marie, fille de Cléophas,
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284 SAINTE MARTHE
Salomé et Jean s'approchèrent jusqu'à la plate-
forme circulaire ; Marthe, Marie Héli, Véronique,
Jeanne Ghusa, Suzanne et Marie, mère de Marc,
se tinrent à quelque distance autour de Made-
leine, qui était comme hors d'elle-même. Plus
loin étaient sept autres d'entr'elles et quelques
gens compatissants qui établissaient les commu-
nications d'un groupe à l'autre (1). «Marthe assista
donc, nous pouvons le croire, au douloureux
crucifiement de Jésus : plus calme, plus forte que
sa tendre sœur ^Madeleine, elle tâchait de la
soutenir et de la consoler, en lui laissant voir une
douleur sinon aussi emportée, du moins aussi
vraie que la sienne. Marthe ressentit toutes les
douleurs de son cher Maître, toutes les douleurs
de la mère de Jésus, toutes les douleurs de Ma-
deleine. Ce cœur pur, ferme et dévoué ne cessa
de croire, ne cessa de compatir et de souffrir :
et le précieux sang coulait sur la croix, pour la
vierge comme pour la pécheresse , grâce de pré-
servation pour l'une, et pour l'autre, grâce de
conversion.
Marthe vit donc crucifier son Maître. Elle vit
cette sainte humanité qu'elle avait si tendre-
ment honorée, si pieusement aimée, si fidèle-
ment servie, elle la vit clouera la croix, dislo-
quée, meurtrie^ broyée sous le pressoir de la
justice divine ; elle la vit s'élever avec la croix,
prier, pleurer, expirer, victime de salut, d'expia-
(1) La Doul. pas. XXX VU, 296-297.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 285
Uon et d'amour. <^ Rien ne fut plus terrible et
plus touchant à la fois que de voir, au milieu des
cris insolents des archers, des pharisiens et de
la populace qui regardait de loin, la croix chan-
celer un instant sur sa base et s'enfoncer en
tremblant dans la terre. Mais il s'éleva aussi vers
elle des voix pieuses et gémissantes ; les plus
saintes voix du monde, celle de Marie, celle de
Jean, celles des saintes femmes et de tous ceux
qui avaient le cœur pur, saluèrent avec un accent
douloureux le Verbe fait chair élevé sur la croix.
Leurs mains tremblantes se levèrent comme pour
le secourir ; mais lorsque la croix s'enfonça avec
bruit dans le creux du rocher, il y eut un mo-
ment de silence solennel. Tout le monde semblait
affecté d une sensation nouvelle et non encore
éprouvée jusqu'alors.
L'enfer même ressentit avec terreur le choc de
la croix qui s'enfonçait, et redoubla la fureur de
ses suppôts contre elle. Les âmes renfermées
dans les limbes l'entendirent avec une joie pleine
d'espérance : c'était pour elles comme le bruit du
triomphateur qui s'approchait des portes de la
rédemption. La sainte croix était dressée pour la
première, fois au milieu de la terre comme un
autre arbre de vie dans le paradis, et des blessu-
res de Jésus coulaient sur la terre quatre fleuves
sacrés pour la fertiliser et en faire le paradis du
nouvel Adam (1). »
(1) U Doul. pas. XXXIX, 304.
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286 SAINTE MARTHE
Marthe a vu Jésus en croix ; elle Ta vu, elle Ta
senti souffrir, agoniser ; elle a entendu ses der-
nières paroles ; elle a- ressenti les déchirantes
angoisses de sa longue agonie. L'a-t-elle vu
mourir ? A-t-elle assisté à ce dernier moment de
convulsion et de salut où il rendit Tesprit ? On
peut supposer qu'elle était revenue à Jérusalem
avec le groupe vaillant et désolé des saintes fem-
mes qui servaient sous ses ordres. « Les amis de
Jésus, dit la Vision, après que Jésus eut expiré,
entouraient la croix, s'assayaient vis-à-vis d'elle
et pleuraient; plusieurs des saintes femmes
étaient revenues à la ville » (1). Marthe était du
nombre de ces saintes femmes qui étaient reve-
nues à Jérusalem ; où plutôt elle les conduisait
glle-même, car Taction était son élément, le ser-
vice des autres était son ministère. La contem-
plation, même de la croix sanglante portant Jésus
expiré, cette contemplation, où devait s'absorber
une âme abattue par la douleur, sur le sommet
en deuil du Calvaire, n'était point sa mission ;
elle allait à Taction de la charité, à l'empresse-
ment des soins et des travaux, pour recueillir,
loger et nourrir les apôtres découragés, les disci-
ples dispersés de Jésus. C'était toujours servir le
Maître que servir ses membres vivants, recueillir
ses membres chancelants, abriter ses membres
persécutés. De même, lorsque Jésus fut détaché
(1) La Doul. pas. XLVI, 320.
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SA VIE, SON HISTOrilE ET SON CULTE. 287
de la croix, que Marie Teut reçu dans ses bras,
que Madeleine Teut baigné de ses larmes, que
les saintes femmes eurent aidé la mère du Sau-
veur à laver, purifier, embaumer le corps (Je
Jésus pour Tensevelir, Marthe n'était pas là ;
Marthe était pieusement occupée ailleurs. —
« Les autres femmes, telles que Maroni de Naïm,
Dina la Samaritaine, et Mora la Suphanite étaient
à Béthanie auprès de Marthe et de Lazare » (1).
Elle était donc revenue à Béthanie. C'était là,
hors de Jérusalem, que les disciples tremblants
et désolés cherchaient un refuge. Marthe était
leurprovidenceet leur mère. Mais, de Béthanie,
pendant ce» tristes jours, pendant ces veillées de
prières et de larmes, lorsque Jésus, enfermé dans
le tombeau, toute joie avait disparu pour ses
amis et ses disciples^ de Béthanie au cénacle, où
Marie s'était retirée avec quelques disciples, avec
Madeleine et plusieurs des saintes femmes, les
communications étaient fréquentes, quoique déro-
bées et craintives. «Plus tard, lorsqu'il fut tout-à-
fait nuit, Lazare, la veuve de Naïm, Dina la
Samaritaine et Mora la Suphanite vinrent de
Béthanie. On raconta de nouveau ce qui s'était
passé, et on pleura de nouveau » (2).
Le jour suivant, qui était le jour du sabbat,
Marthe put quitter Béthanie vers le soir^ et venir
prier et pleurer près de la mère du Sauveur en
ir(l) La DoQl. pas. LU, 358.
(2) LaDoul. pas. LUI, 361.
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288 SAINTE MARTHE
attendant Taurore de la résurrection. — « Dans
la partie de la maison où se tenait la Sainte-
Vierge , il y avait une grande salle où Ton avait
pratiqué quelques cellules séparées pour ceux
qui voulaient y passer la nuit. Lorsque les saintes
femmes furent revenues du tombeau , une d'elles
alluma une lampe suspendue au milieu de cette
salle, et sous laquelle elles vinrent se placer
autour de la Sainte-Vierge. Elles prièrent à tour
de rôle , avec beaucoup de tristesse et de recueil-
lement. Bientôt entrèrent Marthe , Maroni, Dina
et Mara, lesquelles étaient venues de Béthanie
avec Lazare. Celui-ci était allé trouver les disci-
ples dans le Cénacle. On leur raconta avec lar-
mes la mort et la sépulture du Sauveur; puis,
comme il était tard , quelques-uns des hommes,
parmi lesquels Joseph d'Arimathie , vinrent pren-
dre celles des saintes femmes qui voulaient
retourner chez elles dans la ville (1). Je vis les
saintes femmes rassemblées jusqu'au soir dans
la salle obscure^ éclairée seulement par la lumièrç
d'une lampe ; car les portes étaient fermées et les
fenêtres voilées. Tantôt elles priaient autour de
la Sainte- Vierge , sous la lampe ; tantôt elles se
retiraient à part , couvraient leur tête de voiles de
deuil et s'asseyaient sur des cendres , en signe
de douleur, ou priaient, le visage tourné vers
la muraille. Les plus faibles d'entre elles pri-
(1) Ibid. LIX, 378.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 289
rent un peu de nourriture; les autres jeûnè-
rent (1). »
Ici , nous perdons la trace de Marthe ; ni
TEvangile, ni la vision ne nous sont en aide.
Pendant cette nuit de veillée et de deuil, de
prière et d'attente, Marthe était-elle avec Made-
leine et les autres saintes femmes qui préparaient
leurs pieux aromates pour aller embaumer Jésus
au lever du jour, Jésus qui devait récompenser
leur fervent amour par les premiers rayons de sa
gloire et sa première salutation de ressuscité?
La vision nous montre trois des saintes femmes
allant au sépulcre avec Madeleine, aux premières
lueurs de Taube naissante. Quelques interprètes
de l'Evangile comptent Marthe avec Marie de
Cléophas et Marie de Salomé dans ce pieux cor-
tège de myrrhophores du Seigneur. Une ancienne
antienne de Vordre romain , rapporte Baronius,
associait Marthe à Madeleine, au matin de la
résurrection , portant des parfums au sépulcre (2).
Quoique Marthe n'eût pas reçu le même minis-
tère d'embaumement et de culte que sa sœur
Madeleine, auprès du corps de Jésus enseveli et
ressuscité, cependant, son caractère plein de
décision et d'initiative, son dénouement et sa
(1) Ibid. LIX, 382.
(2) In ordine romano, ex majoram poto traditione, additar
et Maiiba, dam sic antiphona caDitar : — Maria et Marlha
enm venissent ad monuméatam, angeli splendentes apparue-
rant dlceotes : Qaid qoœritis vivontem oam mortuis ? — Baron.
Annil. Ecoles, on. S4. n. 186.
17
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290 SAINTE MARTHE
foi, devaient la disposer pour aider sa tendre
sœur dans ces derniers devoirs à rendre au Maî-
tre bien-aimé. Associée à Madeleine dans le
culte de la très-sainte humanité, comme les
autres saintes femmes, elle aurait entendu ces
paroles que Raban met dans la bouche de l'ange :
Ne craignez point ; car vous ne devez pas vous
effrayer; ceux que vous voyez sont vos conci-
toyens. Vous êtes vierges et continentes, nous
sommes les habitants du ciel. Vous êtes les ser-
vantes et nous les messagers du seul et même
Seigneur (1). Ces paroles conviennent admirable-
ment à Marthe, vierge et servante de Jésus. Ainsi
Marthe aurait eu le bonheur de voir une des pre-
mières Jésus ressuscité, de recevoir sa tendre
salutation et d'embrasser ses pieds glorieux. Tou-
tefois elle est moins évangéliste qu'ouvrière dans
la résurrection du Maître comme dans sa pas-
sion ; nous ne croyons pas qu'elle ait reçu comme
les autres saintes femmes la mission d'aller pré-
venir les disciples et de leur annoncer la résur-
rection de Jésus. Sa mission spéciale et parfaite-
ment caractérisée était de réunir autour d'elle,
de recueillir dans sa maison de Béthanie,les pre-
miers éléments dispersés de la communauté chré-
tienne , de les ranimer et surtout de les servir. —
Martha autem ministrabat,
(l)NolUe expavescepo ncque enioi pavere debetU; coneives
vestri sunt quos videtis ; vos cœlibes, nos cœlicoIfiB, vos minis^
trœ, noA Quntii UDius ejusdemque Domiai. Raban, vita, etc.»
XXV.
DigitizedbyVjOOQlC •
SA VIE,, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 291
Après la résurrection de Jésus, Marthe fut
présente sans doute aux diverses apparitions du
divin Maître. Sa foi qui l'avait proclamé fils de
Dieu près du tombeau de son frère, reçut avec
jojie, adora profondément ces divines manifesta-
tions de la vie et de Timmortalité, dans cette
humanité sainte qu'elle avait si tendrement ser-
vie. Peut-être Jésus, dans ces repas où il voulut
manger avec ses disciples, pour leur donner des
preuves manifestes de sa résurrection et leur pro-
diguer les marques touchantes de sa condescen-
dance, peut-être Jésus voulut-il aussi recevoir les
soins de Marthe et se faire servir par ses mains
virginales. Marthe et son divin ami, son hôte
adorable, renouvelaient leurs souvenirs et prélu-
daient au festin permanent des noces dans le
royaume des cieux. Au dernier festin que Jésus
prit avec ses disciples, avant la résurrection (1),
Raban Maur suppose que Merthe était présente
avec Lazare et sa sœur : — Etaient à table avec
le fils de Dieu sa bienheureuse et glorieuse mère,
la Reine du ciel, la vierge Marie, et celui que
Jésus aimait par-dessus les autres, Tapôtre,
l'évangéliste, le prophète vierge, Jean, et la
particulière amie du Sauveur, la première de ses
servantes, Marie-Madeleine, et son hôtesse très-
dévouée Marthe, et celui qu'il avait ressuscité des
morts, Lazare (2). —Mais nous ne mettrons pas
(«)]Marc XVI, Ad. 15, 1,4.
(2) Rabau, vila,eto., XXXf
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â92 SAINTE MÂBTdE
Marthe assise à la table du Maître, comme le
grand archevêque de Mayence ; nous ne pouvons
la voir que debout, vigilante, empressée, ses
yeux et son cœur attachés aux mains de Jésus
et le servant comme son hôte bien-aimé (1).
Le texte sacré porte qu'après ce dernier repas,
où Jésus mêla tendrement les reproches et les
consolations, 'les lumières et les dons, après ce
repas d'adieux, il les conduisit hors de Jérusa-
lem, àBéthanie (2). On croirait que c'est de ce
lieu béni qu'il est monté au ciel, si le texte des
Actes ne nous indiquait pas le Mont des Oliviers
(tout près de Béthanie, il est vrai) comme le lieu
où les disciples virent l'ascension de Jésus (3). Le
divin Maître voulut visiter Béthanie pour laisser
en ce lieu la dernière trace et comme le dernier
parfum de son passage sur la terre. D'autres inter-
prètes de l'Evangile nous disent qu'il y vint cher-
cher Lazare, Marthe et Madeleine , ses hôtes bien-
aimés, ses amis fidèles , aûn de les saluer, de les
honorer d'une dernière marque d'affection sur la
terre , afin de les conduire avec lui sur la monta-
gne des Oliviers, pour les rendre spectateurs de
son ascension, participants de sa gloire et de son
triomphe (4). Mais-au moment où Jésus allait
seséparer de samère, desesamis, de ses apô-
(1) Psalm. CXXII, 1
(2) Luc XXIV, 60.
(3) Âct. I, i%
(♦) Coro. a Lap. !n Luc. XXIV.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 293
très , au moment où, dans une dernière bénédic-
tion , il allait faire passer tout son cœur et répan-
dre dans leur âme ses divines tendresses, on
peut croire qu'il adressa quelques paroles à sa
mère, comme le suppose saint Bonaventure (1).
Et nous pouvons supposer, avec un pieux auteur,
que, s'adressant aux deux sœurs qu'il- avait tant
aimées et leur révélant la vocation particulière
qui devait diriger leur existence et glorifier leur
nom, il leur dit: Toi, Madeleine, si attentive à ma
parole, si assidue à mes pieds, si absorbée dans
mon amour, je ne t'abandonnerai pas dans la
vaste solitude du désert où je te conduirai pour
vaquer à la contemplation ; là je te nourrirai par
mes anges en attendant qu'ils te transportent
auprès de moi dans le royaume de mon père. Et
toi, Marthe, après que tu auras converti les peu-
ples d'une grande province , après que tu auras
fondé dans mon Eglise le ministère de la charité
pour me servir sur la terre, je multiplierai les
générations de vierges qui suivront tes exemples
et tes leçons, qui glorifieront sur la terre ta
mémoire et ton nom, pendant que tu participeras
à ma gloire dans le ciel (2).
(1) s. Bonav. Médit. Vita J.-Ch. XCVII.
(2) Tu Magdalena... in vasta eremi solitudine contempla-
Uoai vacantem nou deseram; pascam iilic te per an^'elum
meum... Tu Martba... poslquam multos NarboneDsis provin-
clae populos converteris, eju^dem gloriœ te participem faciam.
Decacbordum Christ. Marci Vigerii Cardin, ad Jul. II pontif.
t608. Cborda IX. apud Paillon X.
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IX
HÂRTU£ EN PROy£NGE.
Nec non Martba et Magdalene
QusB sorores boni pleo»,
Pari ter et Lazarus :
Hi in navi pêne rapta
Exularunt per abrupla
Pelagi pericula,
Sine remo, sine luce,
Sine vélo, sine duce
Fluclibus expositi.
Sed Maria, maris stella,
Naufragantes in procella
Dirigit cum Pilio.
. (Extrait d'un livre d'offices
dans l'église de N.-D. de la
Mer.)
Pelice, Martha, rémige,
Timone, vélo, flamine,
Reclore nauta naviga,
Cum Christus fit bsc omnia.
Te nostra prono gestiunt
Sinu tenere littora,
Quam sustinere perfidae
Telluris ora nescii.
(Hym. Laud. offici. B. Marthœ,
virg. et hosp. cb., etc. Ave-
nione.)
Et Martbo et Madeleine, les deux sœurs pleines de vertus, et
avec elles Lazare, sont jetés dars une barque rompue, à
travers les écueils et les périls de la mer, sans rame, sans
lumière, sans voile, sans pilote ; mais Marie, étoile de la
mer, au milieu de la tempête et sans naufrage, les dirige
avec son Fils.
Marthe navigue benreusement : rame, gouvernail, voile, vent
favorable, pilote babite, le Cbrist est pour toi tout cela. Nos
rivages inclinent leurs ports accessibles pour te recevoir,
toi que les bords d'une terre perfide n'ont pas su garder.
« Marthe, née de parents nobles et opulents,
a^ais plus illustre poUr avoir donné rbospital^té
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296 SAINTE MARTHE
au Christ Notre-Seigneur, après TAscension au
ciel du Seigneur, avec son frère, sa sœur et Mar-
celle sa suivante, et Maximin, un des soixante-
douze disciple? du Christ Notre-Seigneur, qui
avait baptisé toute cette maison, et avec beau-
coup d'autres chrétiens, prise par les Juifs, fut
jetée sur une barque sans voiles et sans rames^ et
abandonnée à la vaste mer pour un naufrage
certain. Mais le navire, conduit par Dieu, tous
les passagers étant saufs, aborda à Marseille. Par
ce miracle et par leurs prédications, d'abord les
habitants de Marseille, puis ceux d'Aix et les
nations voisines, crurent au Christ ; et Lazare
fut créé évoque de Marseille, et Maximin, évêque
d'Aix. Pour Madeleine, habituée à l'oraison et
aux pieds du Seigneur, afin de jouir de la meil-
leure part qu'elle avait choisie à contempler la
céleste Béatitude, elle se retira dans une vaste
caverne d'une montagne très-élevée. Là, elle vé-
cut trente ans, séparée de toute société avec les
hommes, et chaque jour, pendant ce temps, enle-
vée en haut par les anges pour entendre les
célestes louanges. Pour Marthe, par l'admirable
sainteté de sa vie et par sa charité, ayant amené
les cœurs de tous les habitants de Marseille k
l'aimer et à l'admirer, elle se retira avec quelques
femmes très-vertueuses dans un lieu éloigné des
hommes, où elle vécut longtemps avec une grande
renommée de piété et de prudence ; et enfin,
ayant prédit sa mort longtemps d'avance, écla-
^antede mérites, elle s'en alla vers le Seigneur
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 297
le quatre des calendes d'août. Son corps est en
grande vénération à Tarascon (1). »
Telle est la légende que nous trouvons au Bré-
viaire romain : elle est le résumé de toute l'his-
toire évangélique, Provençs^Je et monumentale,
de la famille de Béthanie: lia légende dorée, qui,
sans avoir la même autorité que la légende ro-
maine que couvre Tautorîté liturgique de la sainte
Eglise toute entière, a cependant l'autorité d'un
grave document rédigé par un saint archevêque,
sous la dictée des plus antiques traditions, la
légende dorée s'accorde avec le monument litur-
gique. « Marthe, hôtesse du Seigneur, née de
Syrus ou d'un père syrien et d'Eucharie sa mère,
issue d'une race royale, après l'Ascension du
Seigneur, et lorsque se fut faite la dispersion des
apôtres, elle, son frère Lazare et sa sœur Made-
leine et le bienheureux Maximin qui les avait
baptisés et auquel le Seigneur les avait confiés
avec beaucoup d'autres chrétiens, sont enfermés
par les infidèles dans des barques dont on avait
enlevé les rames, les voiles, les gouvernails et
tout aliment. Le Seigneur les conduisit à Mar-
seille ; enfin, ils vont dans le territoire d'Aix, et
là convertissent le peuple à la foi. Or, la bien-
heureuse Marthe était très-éloquente et gracieuse
à tous (2).» —Enfin, la science hagiographique des
(i) Brev. Rom. in festo Sta) Marthe, XXIX, Jul.
(5) Post A8cen8ionem Dominî, cum facta esset dispersîo dîs-
cipulorum, ipsa (Marlba) cum fralre suo Lazaro et sorore
17. .
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298 SAINTE Marthe
BoUandistes vient, en plein dix-septième siècle,
conflrmer ces traditions antiques et justifler ces
légendes vénérables en citant le martyrologe de
DuSaussay: — ATarascon, dans la Gaule narbon-
naise, fête de sainte Marthe, vierge, sœur de
la bienheureuse Marie-Madeleine et de Lazare,
qui donna dans sa maison Thospitalité à notre
Sauveur Jésus-Christ. Après son Ascension, par
la volonté divine, étant transportée avec eux
dans les Gaules, elle s'arrêta d'abord à Mar-
seille, où ayant réuni une congrégation de per-
sonnes de son sexe, elle offrit à l'admiration du
monde le premief exemple de la vie régulière ;
ensuite elle s'avança jusqu'à Tarascon pour y
étendre le culte du Christ et le même institut de
la vie religieuse (1).»
sua Magdalena, neo non bealus Maximinus qui eos baptizave-
rat et cui a Spiritu sanclo fueraut commendat», muUisque
aliis, ablatis remis, velis et gubernaculis omnibusque alimenlis,
ratibus ab infidelibus includuntur; qui, Domino duce, Massi-
liam pervencpunt : tandem territorium Aquense adeunt et ibi-
dem populum ad tldem convertunt. Erat autem beata Marlha
valde facunda et omnibus gratiosa... Legenda opus aureum et
accurate castigatum diligent. Fr. Claud. de Rota ord. prsedi-
cat. Lyon, 1535.
(1) Tarasci in Galiia Narbonnensi sanctae Martbœ \irginis
quae, beatsB Mariae Magdalens et Lazari soror, domus hospitio
excepit Salvatorem nostrum Jesum Cbristum. Post oojut
Âscensionem in Galliis divino nutu cum ipsis commigrans
M'issilia primum constitit ; ubi sut sexus collecte cœtu, viUe
regularis prima mire dédit specimina. Deinde Tarascum, ut
Cbristi cnltum et idem institutum ampliaret progressa... Saos-
sayus in martyrol. Cité par Je P. Sollicp. Acta SS. XXIX, Jul.
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SA TIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 299
Voilà les monuments de la liturgie et de Tha-
gîographie qui résument les traditions et rem-
plissent les lacunes du récit de Raban. C'est en
vain que les novateurs liturgistes du siècle der-
nier ont voulu contester les faits miraculeux de
cette histoire, le prodigieux transport des amis
de Jésus à travers la ^léditerranée et leur aposto-
lat en Provence: les contestations et les négations
d'une érudition plus indigeste qu'éclairée, mal-
gré tout l'appareil de science et toute la subtilité
de raisonnement dont ces docteurs suspects les
ont appuyées , n'ont pu renverser la légende , in-
firmer la tradition, dépouiller la Provence et
l'histoire de notre patrie. Des savants sont venus,
plus instruits et mieux savants, liturgistes, hagio-
logues, épigraphistes, archéologues, pour dé-
montrer, par les monuments et les textes, l'auto-
rité de la légende et la légitimité de notre culte
pour les saints apôtres de la Provence. Nous ne
reviendrons pas sur les preuves que nous avons
tirées en partie du savant ouvrage de l'abbé Pail-
lon et que nous avons résumées ailleurs (1). Nous
allons simplement reprendre pour sainte Marthe
les preuves, les documents et les textes qui nous
démontrent et nous racontent son apostolat en
Provence.
Mais, avant d'aller plus loin , éclairons la légende
par la vision, comme par un jour tombé d'en
(liVoir Sainte-Marie-Madeleine, etc.. Préface, I, XIV,
passim.
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300 SAINTE MARTHE
haut, et citons, en prélude de Thistoire , ces deux
pages de la vierge extatique de Dûlmen. — « Peu
après Tascension de J.-Ghrist , Madeleine s'était
retirée dans le désert, un peu au-delà de Tendroît
où avait résidé Jean-Baptiste. Au commencement,
elle s'arrêtait dans des lieux où il y avait quel-
ques cabanes dont les habitants lui procuraient
des aliments. Elle avait des vêtements qui l'en-
veloppaient tout entière. Ensuite, elle s'enfonça
plus avant dans une contrée sauvage, hérissée de
rochers, et vécut loin des hommes dansjune
grotte. Je vis alors que Satan cherchait à l'ef-
frayer en lui apparaissant sous la forme d'un
dragon, et qu'il vomissait des flammes sur elle; ,
mais elles se retournaient toujouri^ontre lui, et
il était obligé de se retirer. Dans les premiers
temps , la mère de Dieu résida à Béthanie près de
Marthe et de Lazare. Lazare se tenait caché le
plus souvent, et ne se montrait que la nuit; Per-
sonne ne s'attaquait à la vierge Marie. Plus tard,
elle alla à Ephèse. Lazare s'était tout à fait ad-
joint aux disciples. Trois ou quatre ans après la
mort du Sauveur, Marthe et lui furent mis en
prison par les Juifs (1). Madeleine ayant voulu
leur rendre visite pendant la nuit , on se saisît
(1) On peut contester cette date, qui ne s'accorde ni avec
Haban, ni avec les plus anciens auteurs, ni avec les meilleora
critiques modernes. On confond souvent la dispersion des
fidèles après la lapidation de saint Etienne, avec la dispersion
des apôtres, douze ans plus tard. Du reste, il ne faut pas de-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 301
aussi d'elle sur le chemin. Avec Lazare qui avait
été ordonné prêtre, on arrêta encore un jeune
homme nommé Maximin et un autre dont j'ai
oublié le nom, puis Marcelle l'ancienne servante
de Madeleine et la servante de Marthe. Ils étaient
sept : trois hommes et quatre femmes. Je vis les
Juifs les conduire au bord de la mer avec toutes
sortes de mauvais traitements, et les faire monter
dans une petite embarcation dont les planches
étaient toutes disjointes et qui n'avait ni voiles ni
rames. On l'amarra à un plus grand navire qu'on
conduisit en pleine mer ; et là on la détacha. Je vis
cette barque, pendant que Lazare et ses compa-
gnons priaient et chantaient des cantiques , abor-
der sur les côtes de France, dans un endroit où
les flots venaient mourir doucement sur la plage.
Ils débarquèrent et repoussèrent loin 'du bord leur
petite embarcation. Je les vis faire plus d'une
lieue avant d'arriver à une grande ville où ils en-
trèrent. Leur traversée s'était faite avec une
vitesse miraculeuse. Ils n'avaient avec eux que
quelques-unes de «es petites cruches qu'on porte
ordinairement sur soi dans la Palestine , et où
ils trouvèrent de quoi se désaltérer. Je les vis
arriver dans la grande ville de Massilia. Personne
ne les molesta ; on les regarda , mais on les laissa
mander à la voyante une exacte chronologie : le temps et l'es-
pace» disparaissent pour qui voit les événements par en haut
dans la lumière extatique. — - Voir vie traduite et com. de
Raban par Faillon, mon., ined. II. 282, 283, note.
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302 SAINTE MARTHE
passer. Je vis qu'on célébrait la fête d'une Tausse
divinité et que les sept étrangers s'assirent sous
le péristyle d'un temple situé sur une grande
place. Ils restèrent là longtemps , et quand ils se
furent un peu rafraîchis à l'aide de leurs petites
cruches , Marthe la première adressa la parole au
peuple qui se rassemblait autour d'eux , raconta
comment ils étaient venus et dit aussi quelques
mots de Jésus. Son discours fut très-animé et
très-vif. Je vis plus tard que le peuple leur jeta
des pierres pour les chasser de là ; mais les pier-
res ne leur firent aucun mal , et ils restèrent tran-
quillement assis à la même place jusqu'au len-
demain matin. Les autres aussi s'étaient mis à par-
ler et déjà plusieurs personnes leur montraient
de la sympathie.
« Le lendemain , je vis sortir d'un grand édifice
qui me fit l'effet d'une maison de ville , des gens
qui vinrent leur adresser diverses questions. Ils
restèrent encore toute la journée sous le péris-
tyle et s'entretinrent avec les passants qui se ras-
semblaient autour d'eux. Le troisième jour on
les conduisit à cette maison devant le magistrat.
Je vis alors qu'on les sépara. Les hommes res-
tèrent près du magistrat; les femmes se rendirent
dans une maison de la ville; on leur fit un bon
accueil et on leur donna à manger. Je vis qu'ils
prêchèrent l'Evangile là où ils allèrent et que le
magistrat fit notifier par toute la ville qu'on n'eût
à les maltraiter en rien. Je vis que bientôt beau-
coup de personnes se firent baptiser. Lazare bap-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 303
tisa dans un grand bassin qui se trouvait sur la
place, devant le temple; et le temple ne tarda
pas à être fort délaissé. Je crois que le premier
magistrat de la ville fut de ceux qui reçurent le
baptême. Je vis aussi qu'ils ne restèrent pas
longtemps réunis dans cette ville où Lazare con-
tinua à prêcher TEvangile en qualité d'évêque.
Madeleine se sépara de tous les autres et se retira
dans une solitude assez éloignée; elle y avait une
grotte pour demeure. Marthe se retira avec Mar-
celle et Tautre servante dans une contrée sau-
vage , couverte de rochers , et située plus à TEst.
Il y avait là plusieurs femmes qui s'étaient bâti
de petites cabanes adossées à des cavernes. Elle
y reçut d'elles un très-bon accueil et dans la suite
il s'établit là un couvent (1) ».
Nous avons les faits racontés et résumés dans
la 'légende si respectable du bréviaire romain,
répétés dans la légende dorée et les Acta sanc-
torum. Nous avons dans la vision les détails de
cet événement prodigieux de la famille de Bétha-
nie transportée de TOrient en Occident, de la
Judée en France, des côtes dé la Palestine au
rivage de la Provence. Voici maintenant les mo-
numents de l'histoire et de l'art qui confirment
cette vénérable tradition, spécialement pour ce
qui regarde sainte Marthe.
D'après Raban , en cela très-conforme à l'Evan-
(!) Vie de N.-S. J.-Ch. VI. 346-348.
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SAINTE IIABTHE
gîlequi nous le laisse entrevoir, la famille de
Béthanie , après Tascension du Sauveur-, se retira
dans le Cénacle avec les apôtres et les autres dis-
ciples, pour attendre, implorer et recevoir l'Es-
prit-Saint. L'esprit de Jésus, descendu comme
un torrent de flammes et répandu dans Tâme de
chacun des fidèles , les prépara pour la mission
que chacun d'eux devait exercer dans le monde.
Marthe reçut une effusion plus abondante de cet
esprit apostolique et de ce dévouement absolu
à la personne de Jésus, qu'elle devait exercer
parla prédication de TEvangile, par la pratique
régulière de la perfection chrétienne, qu'elle de-
vait continuer sur la personne de tous les mal-
heureux et de tous les délaissés. Marthe, avec son
frère et sa sœur , avec les saintes femmes , ses
compagnes et les disciples, commença dès ce mo-
ment d'inaugurer, par des traits extérieurs qui
devinrent des lois dans l'Eglise, cette perfection
de la vie chrétienne qui consiste à se dépouiller
de tout pour mieux suivre le Maître dépouillé de
tout, et pour se donner tout à lui, sans réserve
et sans retour. Magnifique idéal de sagesse et de
grandeur que l'Evangile est venu révéler au
monde, dont Marthe la première donna l'exem-
ple à l'humanité régénérée, et qu'elle vint ap-
porter à notre généreuse France. La vie des amis
de Jésus pendant cette période, qui s'étend du
Cénacle à leur départ pour l'Occident, peut très-
bien se résumer en cette page de Raban : « — Tous
ceux qui croyaient étaient unis ensemble et
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SA VIE, SON HISTOIBE ET SON CULTE. 305
ayaient toutes choses en commun (1). Car tous
les possesseurs de champs et de maisons ven-
daient tout et en déposaient le prix aux pieds des
apôtres (2). Or, Lazare, l'ami du Seigneur Jésus,
avec Marie et Marthe ses sœurs, possédant un
immense patrimoine et une grande abondance de
richesses, tant à Jérusalem et à Béthanie, en Ju-
dée, qu'à Magdalum et à Béthanie de Galilée,
ayant tout vendu, en portèrent le prix aux pieds
du prince des apôtres. De nobles matrones et
des veuves servaient avec une admirable dévo-
tion et une respectueuse affection la glorieuse
vierge Marie mère de Dieu; et elles rendaient,
selon la coutume de leur pays, leurs soins et
leurs services aux saints apôtres du Christ; et
elles en étaient honorées (3). Parmi les premières
étaient ces femmes si attachées et si dévouées au
Seigneur Jésus ; à savoir : Marie-Madeleine, spé-
ciale amie du fils de Dieu , la première de ses
(i) Act. II. u.
(2) Act. IV. 34. .
(3) Il est bon de rapporter ici cette remarque de Raban en
son commentaire de saint Mathieu et tirée aussi de Bède le
vénérable. — C'était la coutume des Juifs, (et cette antique cou-
tume ne donnait point lieu à blâme) que les femmes con-
verties ou enseignées servaient leurs Maîtres et docteurs, en
leur donnant la nourriture et le vêtement; mais comme cela
aurait pu causer du scandale aux gentils, saint Paul rappelle
qu'U avait renoncé à celte coutume, disant : — Nnmquid non
faabemus potestatem mulierem sororem circumducendi^sicut et
c«teri apostoU? I. Ck)r. IX, 5. 1.
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306 SAINTE MARTHE
servantes, l'apôtre des apôtres, et Thôtesse du
Christ, la bienheureuse Marthe la fille même
de libéralité (1). »
Marthe resta près de la mère du Sauveur avec
sa sœur Madeleine , tout le temps que la vierge
Marie resta dans la Judée et près de Jérusalem.
La maison de Marthe à Béthanie fut son habita-
tion, son refuge, et comme un sanctuaire où elle
vivait du souvenir de son flls , des marques de
tendresse et de condescendance qu'il avait don-
nées à ses amis , des traces , des impressions , des
parfums de grâce et d'amour qu'il avait laissés
dans cette maison bénie : Dans ce lieu où le fils
du Dieu tout-puissant et de la vierge Marie si
souvent s'était promené, s'était assis, reposé,
avait dormi, passé la nuit, avait prié, fait de
nombreux miracles , et que par son habitation ,
sa demeure, son séjour préféré, le Sauveur lui-
même avait sanctifié et consacré (2). Marthe, sui-
vant sa vocation spéciale, Marthe servait la mère
de son Sauveur, comme elle avait servi son Sau-
veur lui-même : elle servait sa sœur, si, comme
le suppose une ancienne tradition de l'Orient (3),
(1) Neo non hospita Christi beatissima Martha, ipsiot libert-
lilalia niia.Raban, vila, etc., XXXIV.
(2) In qua Dei omnipotentis et Virginia matris Pilium fre-
qucntis^ime déambulasse, aedisse, recubuisse, dormiisse, per-
noctaFse, orasse et multa miracula fecisse recolebant ; quamque
sua sancta inhabitatione, mansione et perendinatiooe Salvator
ipse sanctificaveral et dcdicaverat. Raban, vita, ctc , XXXV,
(3) Voir Paillon, vie traduite, etc., et Corn. Il, 274^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 307
Madeleine, poussée par son irrésistible vocation
de solitude et de contemplation, resta sept ans
recluse dans le vestibule du tombeau de Lazare
qui lui servit de cellule. Marthe servait les apôtres
et les disciples qui venaient souvent , au milieu
des premiers travaux évangéliques et des pre-
mières persécutions , se réfugier à Béthauie , se
fortifier et se consoler auprès de la mère et des
amis de leur Sauveur. De leur côté, les apôtres
et leurs disciples aimaient à contempler dans les
membres de la famille de Béthanie les vénéra-
bles objets et comme les reliques de l'amour de
Jésus sur la terre, ses amis particuliers qui
l'avaient aimé, servi, adoré avec tant de ferveur
et de dévouement. Ils montraient aux peuples
qu'ils évangélisaient le frère et les deux sœurs
comme de vivantes démonstrations, et des monu-
ments de la puissance et de la bonté du Seigneur ;
de Marthe , ils citaient l'incomparable dévotion
pour les services et les besoins du divin Sauveur,
son cœur que la grâce avait rempli de libéralité
et de tendresse (1). Et cette vie tout entière vouée
au service de Jésus était l'éloquent commen-
taire, le resplendissant témoignage de la perfec-
tion chrétienne émanant du cœur de Jésus au
cœur de la Vierge de Béthanie : c'était un Evan-
gile vivant, un Evangile en action, avant la pre-
mière rédaction de l'Evangile.
(1) Rabap, id. XXXV,
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SAINTE MARTHE
Si nous suivons Raban et son docte commenta-
teur, ce serait après l'an 4^, année de la persécu-
tion d'Hérode, vers la quatorzième après- TAscen-
sion du Seigneur, que Marthe et sa famille quit-
taient l'Orient pour rOccident, la Judée pour la
France. Les apôtres s'étaient dispersés pour prê-
cher l'Evangile dans l'univers, en dehors des
limites de la Judée et de la Samarie évangéliséee
pendant douze années, selon la recommandation
du Maître. Rahan suppose que Marthe et Made-
leine suivirent les disciples à qui la Gaule était
donnée à évangéliser : Madeleine avec Maximîn,
Marthe avec Marcelle, Parménas et d'autres disci-
ples du Seigneur se seraient dirigés vers la Pro-
vence de leur plein gré, pour aller évangéliser les
peuples que la volonté de Dieu leur assignait par
l'autorité de Pierre et des apôtres. Ainsi, par un
admirable dessein de la divine Providence, ils
dirigent leurs pas vers les plages de l'Occident,
afin que non-seulement par l'Evangile, la louange
et la mémoire de la bienheureuse Marie et de sa
sœur fussent connues de tout l'univers, mais
encore, comme l'Orient avait heureusement joui
de leur sainte vie, de même l'Occident fût illustré
par la présence corporelle et par les très-saintes
reliques des deux sœurs (i). Raban ne parle pas
de Lazare ; il se contente de dire : leur très-révé-
(t) Admirabili crgo divinae dispositionis consilio iter ad occi-
dentales orbis plagas dirigunt, ut vijjelicet non aolum per
Evangelium beat» Mari» sororisque ejus laas et memoria toto
/Vlk
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«A VÎE, SON ËIStOIÈE Et SON CULTE. 3Ô9
rend frère Lazare étant alors pontife à Chypre.
Alors il faudrait le faire venir en Provence après
les deux sœurs, dans un de ces navires de com-
merce si nombreux, qui, de Syrie ou de Chypre,
abordaient au port de Topulente Massilia ; à moins
qu'on ne suppose que la barque qui portait les
deux sœurs n'ait relâché à Chypre pour prendre
te frère et remmener avec elles, autre prodige,
sur la terre prédestinée de notre patrie.
Raban ne parle pas non plus du miracte qui
transporta les saints de Provence sur une vieille
barque, sans agrès, sans vivres et sans pilote.
Malgré ce silence, malgré la répugnance du savant
éditeur de Raban à introduire ce prodige dans
ITiîstoire de nos saints de Béthanie, malgré les
efforts qu'il fait pour établir qu'on peut contester
la valeur historique des légendes du Bréviaire
romain (i), cette légende nous paraît incontesta-
ble et nous semble tellement appuyée par les tra-
ditions locales, par les plus antiques monuments
de l'art, par les plus vénérables textes liturgiques,
tellement illustrée par les détails les plus précis
de la vision, que nous n'hésitons pas à l'admettre
comme l'histoire très-véridique du passage mira-
culeux de Marthe, de Madeleine, de Lazare et de
orbi innoteaceret ; vertim etiam sicut Orieos exemplo devotœ
cooTenationis earam fclix exstitit, sic pla^^ occidental» cor-
ponli earam pneseotia et aacrosanctis earum reliquiis illastra-
ietar.RabaD,yiia,XXXVL
(l)MoD. Ined. IL itS, 118.
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310 SAINTE MARIEE
leurs compagnons en Provence. Plusieurs auteurs
pensent, dit un savant commentateur des livres
saints, dont la large et compréhensive érudition
résume bien toute la pensée de l'antiquité et toute
la science de son temps, plusieurs auteurs pea-
sent qu'en ce temps (c'est-à-dire au temps de la
première persécution des Juifs contre les chré-
tiens, après la mort d'Etienne, et qui dispersa le%
fidèles, sauflesap6tres)(l), sainte Madeleine, avec
sa sœur sainte Marthe, avec leur frère Lazare,
Maximin , Marcelle et Joseph d'Arimathie (qui
plus tard passa en Bretagne où il évangélisa le
Christ et mourut en paix), furent jetés par les
Juifs dans un navire, et, sans voiles, sans rames ,
conduits par la main de Dieu, ils abordèrent à
Marseille, et là répandirent la foi du Christ. C'est
ce qu'on peut conclure des actes de sainte
Marie-Madeleine et de Thistoire vatioane de Baro-
nius au tome P' des Annales et du Martyrologe,
au 22 juillet. Quoique Lucius Dexter,dans sa chro-
nique, porte que ce fait arriva plus tard, c'est-à-
dire la quarante-huitième année du Christ (2).
Mais il faut reprendre en quelques mots le
résumé des preuves, des témoignagnes et des
documents qui rétablissent cette grande et glo-
rieuse vérité de l'apostolat prodigieux des amis
particuliers de Jésus en Provence. Nous les ayons
exposés déjà dans la vie de sainte Marie-Made-
({) Act. Vill.
(2) Goriu a Lap. in Act. VIII.
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SA VIE, SONfllSTOIÎlE ET SON CtLTE. 31 i
leîne et plus spécialement en ce qui concerne
l'illustre pénitente : nous allons les reprendre
plus brièvement encore, mais en insistant ; car
cette vérité n'est pas encore reçue sans contes-
tation. La savante, irréfutable, mais volumineuse
démonstration qu'en a faite Tabbé Paillon, n'est
encore ni admise ni comprise de tous les hommes
sérieux ni de tous les savants dont elle dérange
les systèmes et déroute les idées. La démonstration
du savant sulpicien est sans doute trop volu-
mineuse (nous ne voulons pas dire trop lourde;
pour être bien comprise et couramment admise.
Qui voudra lire, étudier, (car il les faut étudier
pour les comprendre) ces deux énormes volumes
de plus de trois mille pages in-4° remplis de dis-
sertations et de réfutations, bourrés de textes,
chargés de notes, surchargés de scelles, où l'éru-
dition et la science sont au niveau de la cons-
cience et de la bonne foi, où le sens critique et
le jugement sont entiers comme l'esprit catholi-
que et l'orthodoxie des idées ? Il est plus expédi-
tif de douter ou de nier. Nous allons donc résu-
mer les grandes preuves de notre savant initia-
teur, en les rattachant plus directement à saint
Lazare et à sainte Marthe.
Voici d'abord, comme une sèche nomenclature,
la série des documents mis au jour par l'abbé
Paillon, et qui sont les preuves incontestables de
la tradition provençale, française et catholique
sur l'apostolat des saints de Béthanie en Pro«
vence. — C'est Tancienne vie de sainte Madeleine
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312 SAlIÏTÊ MAETflE
écrite au v« siècle ou au yi** et qui semble un
extrait des actes de saint Maximin perdus dès le
XIII® siècle (i). Ce sont les tombeaux de la crypte
de sainte Marie-Madeleine à saint Maximin : — Et
d'abord celui de saint Maximin lui-même, ce
tombeau qui confirme la vérité de l'ancienne vie
et prouve que, dès les premiers siècles, et proba-
blement avant la paix donnée à TEglise par Cons-
tantin, les chrétiens de Provence honoraient saint
Maximin, leur apôtre, comme un des soixante-
douze disciples du Sauveur. — C'est le tombeau
de sainte Marie-Madeleine qui confirme aussi la
vérité de l'ancienne vie, et prouve que, dès les
premiers siècles de l'Eglise, les chrétiens de Pro-
vence croyaient posséder et honoraient en effet le
corps de sainte Madeleine, la même dont l'Evangîlè
fait mention. — C'est la Sainte-Baume honorée
comme le lieu de la retraite de sainte Madeleine,
longtemps avant les ravages des Sarrazins aux
vu® et viii« siècles. — C'est l'oratoire de Saint-
Sauveur que l'on vénérait à Aix, avant les rava-
ges de ces barbares, comme un monument sanc-
tifié par la présence de saint Maximin et de
sainte Madeleine, auxquels on doit en attribuer
l'origine. — Ce sont les actes du martyre de saint
Alexandre de Brescia,en Italie, qui prouvent que,
sous l'empire de Claude, saint Lazare était évo-
que de Marseille et saint Maximin, évoque d'Atx.
(1) Vincent. Bellov* hist.
ni
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Sa YiB, SON ËïâTOIËE ET SOÎÏ CtJLTE. Sl3
— Ce sont les plus anciens martyrologes de TOcci-
dent qui coniarment la vérité de l'apostolat de
saint Lazare, de sainte Marthe et de sainte Made-
leine en Provence (1). — C'est Tinscription de 710
trouvée avec le corps de sainte Madeleine dans
son sépulcre, lorsque, à la fin du xiir siècle, Char-
les de Sicile, le religieux petit-flls de saint Louis,
retrouva le corps de la sainte que les Provençaux
avaient caché avec les autres reliques de leurs
saints Apôtres, au commencement du viii* siècle,
pour les soustraire aux profanations des Sar-
razins qui ravageaient la Provence. — Enfin, ce
sont les tombeaux de saint Lazare à Marseille et
de sainte Marthe à Tarascon, dont nous allons
parler plus au long (2).
Marseille se glorifie d'avoir été initiée à l'Evan-
gile par Lazare, l'ami de Jésus, le ressuscité de
l'Evangile, le frère de Marthe et de Madeleine ;
Marseille a toujours honoré Lazare comme son
apôtre et le premier évêque de son église. Mar-
seille montre à tous les visiteurs, elle a toujours
vénéré dans la crypte de Saint-Victor l'autel où
Lazare célébrait le saint sacrifice, le siège où. il
donnait l'absolution, la catacombe où il se reti-
rait avec ses fidèles pendant la persécution de
Néron qui fit des martyrs dans les Gaules, au
témoignage d*Orose, où reposa son corps après
ii) Voir le martyrologe romain. XVII. Deoemb. XXIL Jul.
XXIX JoL
(2) Voir FaiUon. Mon; ined. I. 394-196.
18
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314 - SAINTE MARTÎfE
son martyre, jusqu'au viii° siècle, alors que les
Burgondes le transportèrent à Autun. Voilà la
tradition antique, persistante, ininterrompue, de
cette antique et noble cité ; tradition toujours
défendue contre toutes les attaques des nova-
teurs en histoire, en liturgie, en hagiographie ;
tradition qui est elle-même un monument histo-
rique et qui s'appuie de documents incontesta-
bles. En 1040, le pape Benoît IX, avec vingt-trois
évoques de la Provence et des provinces voisines,
venait à Marseille consacrer l'église de l'abbaye
de Saint-Victor, relevée de ses ruines, après l'ex-
pulsion des Sârrazins. Il rendait à l'illustre
abbaye, par une bulle célèbre^ datée du jour des
ides d'octobre 1040, son antique privilège de
l'indulgence plénière pour tous les pénitents qui
viendraient la visiter. Assimilant cette église àJa
basilique de Saint-Pierre, rappelant les titres de
gloire de cette abbaye, fondéeau temps de l'empe-
reur Antonin, sur la crypte de Saint-Lazare qui
existait alors (1), construite ou reconstruite par
Cassien, ruinée par les barbares, puis rétablie au
commencement du xi« siècle, Benoît IX compte
les insignes reliques vénérées en ce lieu saint, et
parmi les corps de martyrs que la célèbre abbaye
possédait, il nomme le corps (martyrisé, passio)
de saint Lazare ressuscité par Jésus-Christ (2).
(1) ii« sièclç; Ântonifi vivait de 138 à 161.
(2) Mullis decopatum honoribas... nec non passionibas
sancloruni murtytuni Victoris et socioriim ejus, sed et alio-
r\r\
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. âl5
De ce fait incontestable, pris en pleine his-
toire, on doit conclure que Marseille possédait,
ou du moins croyait posséder les reliques de
Lazare, avant les ravages des Sarrazins. Un chro-
niqueur anglais, Roger de Howden, écrivant au
commencement du xiu« siècle, confirme la même
tradition. Parlant de Marseille, où s'embarquent
le^î Croisés qu'il suivait en Palestine : G'e§t là,
dît-il, que furent les reliques de saint Lazare,
frère de sainte Marie-Madeleine et de sainte
Marthe (1). Or, prenant cette tradition aux xiii«
et XI* siècles, nous remontons au viii®, nous trou-
vons les moines Cassianites en possession de Tab-
baye de Saint- Victor ; nous découvrons sous le
sol de cette abbaye ces cryptes célèbres dont la
partie la plus basse, la plus étroite et la plus
ancienne est entièrement creusée dans le roc.
C'est là que saint Lazare se serait retiré avec
Madeleine : premier oratoire, premier asile, pre-
mière catacombe, d'où la lumière et la foi se ré-
pandirent pour inonder Marseille et les côtes de
Provence. Au iV siècle, cette crypte agrandie des
catacombes qu'on avait creusées et voûtées
pour être le cimetière des chrétiens de marque,
para specialiterdnonim Hermetis et Adriani, seii et sancti La-
zari a Cbristo Jesii ressuscilati, plurimoriini Bacrorum vel li-
brorum volnmina ppodeunt. B'ille de Beioît IX. Vide Mon.
ioed., II, 627, etc.
(1) Ibi fdernnt relîquiae snncti LazHri, fnfris snnctaB Mari»
Ma;?dalena* et sTiiclaî .'.!np|h . Annnl. .\n'^\. Vido Faillun. M,
ioed., I, $35.
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316 SAINTE MARTHE
des évêques, des prêtres, autour des martyrs,
comme à Rome (1), cette crypte prit le nom de
saint Victor, du martyr célèbre qui y fut inhumé.
Le nouveau saint, plus rénent, entouré d'écla-
tants prodiges, usurpa de son nomTantique voca-
ble de la crypte; mais elle existait avant lui.
Avant lui, elle était en vénération, car c'est pour
rhonorer qu'on inhuma ses reliques dans ce pe-
tit sanctuaire qui possédait déjà la passion de
Tami de Jésus. Autour du corps de Lazare se
pressaient les premiers chrétiens de Marseille,
dont les tombeaux, qui se voient aujourdTiui au
musée de Marseille, les uns de physionomie
païenne, les autres de provenance chrétienne,
indiquent les deux premiers siècles ; car souvent
alors les chrétiens n'ayant pas sous la main de
sarcophages préparés par un artiste chrétien, se
servaient de sarcophages païens, en y mettant un
signe, un symbole, en interprétant avec une
pensée chrétienne les emblèmes du paganisme
évacué (2). La figure très-grossière de Lazare
(1) Les catacombes avaient trois destinations principales :
10 La première était d'y déposer les corps des martyrs et des
fidèles. 20 La seconde destination des catacombes était d'y
pratiquer les exercices du culte. 3° L'histoire des siècles pri-
mitifs nous fournit la preuve souvent répétée que les catacom-
bes, alors quo sévissait la persécution, se transformaient mo«
mentanément en lieu de refuge. L'abbé Martigny. Diction, des
Antiq. chrét. catac.
(2) On vit quelquefois à la plus ancienne époque des sarco-
phages antiques païens, affectés è la sépulture de personnages
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 317
taillée dans la crypte, au-dessus du siège, avec
la palme et le bâton pastoral, accompagnée de
Talpha et de Toméga, tracés sur la voûte, n'est
peut-être pas aussi ancienne que la crypte, mais
si Ton ne peut la faire remonter au-delà du vi«
siècle, elle est néanmoins un très-ancien et très-
véridique témoignage de notre vénérable tradi-
tion.
Avec.la crypte où le frère de Marthe dérobait
les saints mystères, où son corps reposa dans le
Seigneur, Marseille vénère la prison où il fut
renfermé avant son martyre. Sous la masse des
bâtiments qui composaient Tantique abbaye de
Saint-Sauveur, primitivement confiée aux reli-
gieuses Cassianites, située sur la place de Ldnche,
dans le vieux Marseille, se découvrent des caves
connues sous le nom de caves de Saint-Sauveur.
A l'angle nord-est de ces caves, évidemment de
construction romaine, se trouve une petite cham-
bre quadrilatère qu'on appelait la prison de
saint Lazare. C'est là que fut enfermé saint
Lazare avant son martyre, d'après la tradition de
Marseille. Or, cette tradition est très-vraisem-
blable, et s'appuie de documents qui remontent
très-haut vers les premiers siècles de l'ère chré-
tienne. Ces caves de Saint-Sauveur devaient être
m>parteDant an chrisUanisme ; mais les sépultares païennes
pouvaient être interprétées par la symbolographie chrétienne,
et l'on y igontait quelque symbole chrétien et quelque ins-
cription. L'abbé Martigny. Dict. des Ânt. chr. Sarcophages.
18.
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r 18 SAINTE MARTUi:
une caserne romaine ; les prisons romaines
étaient toujours accompagnées d'un poste de
soldats. Ces prisons, très-étroites [ergastula)^
n'avaient d'ouverture que par en haut ; on y
descendait les criminels avec des cordes comme
dans la prison Mamertine, le type le plus ancien
et le plus célèbre des prisons romaines. On
mettait ces prisons accostées de casernes sur le
Forum, afin de répandre sur la foule une crainte
salutaire par la vue de ces prisons souterraines.
Tout cela convient parfaitement à Tergastule de
saint Lazare, dans les caves de Saint-Sauveur, à
rintérieur de Tancien Marseille, sur la place de
linche, évidemment l'ancien forum de la ville
haute. Cette tradition est consignée dans tous les
monuments publics de Marseille. Les annales de
Marseille la rapportent dans tous ses détails (1).
L'ancienne liturgie d'Autun, où le corps de saint
Lazare fut transporté dans le ix« siècle, en fait
une mention très-précise, ainsi que Tancienne
liturgie de Nantes (2). Au ix« siècle, en 870, d'a-
près la Gallia Christiana, l'évéque de Marseille
confiait la prison de saint Lazare aux religieuses
Cassianit^s, dites plus tard religieuses de Saint-
Sauveur, après la destruction par les Sarrazins
du monastère qu'elles habitaient hors de la ville.
(1) Provincia Massiliensis ac reliquae Pbocensis Annales,
^657.
(2) Demum in carccre obscurissimo Rubterraneo recludiUir,
ut grave genua maHyrii prœparçtur. Brev. Eduens. «530.
^
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 319
au pied de la montagne de La Garde. Les reli-
gieux Cassianites honoraient déjà la crypte
de saint Lazare ; des religieuses du même
ordre devaient honorer la prison du même saint
en égale vénération (1). Mais cette prison avait
été changée en oratoire longtemps avant qu'elle
ne fût confiée aux religieuses de Gassien. Gette
dédicace, qui se fit sous les premiers empereurs
chrétiens, d'un réduit étroit, obscur, informe,
puisqu'il servit longtemps encore de prison aux
criminels, pour en faire un oratoire sacré, par
Févêque et devant tout le peuple de Marseille,
n'aurait pu se faire, ne serait jamais entrée dans
la dévotion populaire, si la tradition n'avait été
vivante, incontestable, universelle, que saint La-
zare avait été enfermé dans ce lieu. Gela aurait été
impossible surtout en présence des prescriptions
formelles des conciles du temps qui défendaient
d'ériger des oratoires ou mémoires de martyrs,
si Ton n'était très-certain d'y posséder leurs reli-
ques ou qu'ils y eussent habité (2).
D'après la tradition, et l'on peut dire d'après
les habitudes de la justice romaine, saint Lazare
eut la tête tranchée dans l'intérieur de la prison,
ou du moins dans le Forum, près de la prison.
0) Mon. ined. I, 560.
(2) Omaino nulia memoria marlynim acceptelur nisi ubi
corpus aut aliquae cerlaB reliqiiiae sunt, aut origpo alicujus habi-
tai iunis, aul pa:Siit*siio.)is vul passiouis fidelissi.iia uri^^ine ira-
(lelur. Cunc. Cartbag. V, art. 401.
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320 SAINTE MARTHE
Cette tradition se confirme et s'affirme par un
usage immémorial, diaprés lequel dans les pro-
cessions publiques oîi l'on portait les reliques
de saint Lazare, on s'arrêtait devant la porte de
l'église de Saint-Sauveur ; et, après la destruction
de l'abbaye, on s'arrête au coin de la rue de Ra-
deau (1) qui correspond à la prison de saint La-
zare, située au dessous, en face d'un bas-relief
antique. Ce bas-relief, trouvé en creusant les fon-
dements d'une maison, bâtie sur la prison de
saint Lazare, a été encastré comme une relique
dans le coin de la maison. Dans ce bas-relief, un
peu fruste, on le comprend, on peut reconnaître
sans effort saint Lazare en berger (selon l'usage
des plus anciennes figures d'évêques des cata-
combes romaines), et au-dessous une barque avec
une colombe et un passager : c'est la barque
miraculeuse guidée par la divine colombe comme
Tarche ilottante de Noé, qui transporta l'ami de
Jésus en Provence. Ainsi l'a toujours interprété
le peuple de Marseille, qui, chaque année, à la
fête de saint Lazare, vient parer cette vieille image
de fleurs et de guirlandes. Du reste, la barque
présente sur ce bas-relief qui devait orner le sa-
crarium ou le cénotaphe primitivement élevé
dans la prison de saint Lazare, n'est pas le seul
indice de la tradition provençale. Le sceau du
(t) N'est-ce pas encore en souvenir du navire, r«/w, qui
porta saint Lazare en Provence, que ce nom a été donné A
cette ruç, avoisinant son antique prison ?
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SATIE, SON HISTOIRE ETSON CULTE. 321
chapitre de Saint-Lazare de Paris portait la barque
traditionnelle, au-dessous de la scène évangéli-
que de la résurrection du frère de Marthe (1). On
la retrouve encore au-dessous de la figure de saint
Lazare en évêque sur le monument en marbre
blanc, daté de 1481, dans Téglise de la Major, que
Marseille éleva en l'honneur de son grand apô-
tre (2). Marseille possédait encore jusqu'en ces der-
niers temps un autre monument de l'apostolat de
nos saints en Provence ; c'était une petite chapelle
construite en face de l'église de la Major, au car-
refour des treize Coins, et dédiée à sainte Made-
leine. Plusieurs fois rebâtie, notamment en 1220
et en 1613, toujours sous le vocable de Sainte-
Madeleine, cette chapelle marquait le lieu du pé-
ristyle d'un petit temple abandonné, en face du
grand temple de Diane, où Madeleine et sa famille
s'arrêtèrent après avoir abordé le rivage proven-
çal, et où la sainte pénitente fit la première prédi-
cation au peuple de Marseille.
Mais abordons plus directement les preuves de
l'apostolat de sainte Marthe en Provence. Nous
prenoQS la tradition en pleine possession de la
foi, de la piété, de la liturgie et de l'histoire. Elle
(1) Sceau d'un diplôme de 1264. Vide Mon. incd. I^ S67.
(2) Quelques savants d'autrefois, il est vrai, comme Grasson
(recueil des antiquités et monuments marseillais (1773) expli-
quent la présence de cette barque, en supposant un vœu nau-
tique dans les monuments où elle se trouve. A quelles inven-
t ons ne se laissent pas emporter les savants du siècle dernier
pour échapper aux traditions chrétiennes I
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322 SAINTE MARTHE
est encore vivante, malgré les doutes, les dé-
dains, les attaques des deux derniers siècles,
malgré l'indifférence et la légèreté du siècle pré-
sent. La Provence, évangélisée par les amis de
Jésus, la Provence, en possession, depuis des
siècles, de la foi, du nom, des reliques deLazare,
de Marthe et de Madeleine, pouvait dire à tous
les novateurs plus ou moins hétérodoxes des
deux derniers siècles : — Qui êtes vous? Quand
et d'où êtes-vous venus? Que faites-vous chez
moi, n'étant pas des miens? De quel droit Lau-
noi (Marcion) ravages-tu ma forêt? Par quelle per-
mission Baillet (Valentin), viens-tu détourner
l'eau de mes sources ? Par quel pouvoir Chaste-
lain (Apelles) changes-tu mes limites? Je suis
chez moi, pourquoi venez-vous ici, étrangers, se-
mer et paître à votre gré ? Je suis chez moi, je
possède depuis longtemps, depuis seize siècles,
je possède la première ; j'ai des origines incon-
testables, des auteurs mêmes de ma foi, je suis
l'héritière des apôtres (1). — Nous prenons donc
cette tradition dix-huit fois séculaire, et nous
voulons bien, par des faits publics et des monu-
(l) Qui estis? Quando et unde venistis? Quid in meo agi-
lis, non mei? Quo denique, Marcion jure sylvam meam c«-
did? Qnalicenlia, Valcntine, fontes mecs transvertis? Qua
potcstate, Appelles, limites meos commoves ? Mea est posses-
sio ; quid hic, caeteri, ad voluntatem vcstram seminatis et pa-
scitis? Mea est possessio ; olim possideo, priorpossideo;baboo
origines firmas^ ab ipsis auctoribus quorum fuit res; ego sum
IjaBres apostolorom. . . Tertul ^ de Prœscrip. XXXVII.
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1
SA VIE, SON fllSTOlRE ET SON CULTE. 323
raents indiscutables, prouver que sa possession
â été constante, malgré les ravages du temps et
des hommes. Pour ce qui concerne sainte Mar-
the, Tarascon et Avignon nous montrent la foi de
leurs églises intrépide et reconnaissante envers
leur apôtre qu'elles vénèrent dans la pieuse
hôtesse de Jésus. Tarascon, ville grecque, por-
tant son origine et peut-être sa destinée chré-
tienne dans son nom, et que Marseille avait essai-
mée sur les bords du Rhône, Tarascon se glorifie
de sainte Marthe, de ses reliques, de son tom-
beau, des miracles opérés par cette bienheureuse
sœur de Lazare et de Madeleine. Dans la basili-
que de la bienheureuse Marthe, dit Raban, à
partir du jour de sa mort, des miracles sans nom-
bre ont eu lieu, des aveugles, des sourds, des
muets, des boiteux, des paralytiques, des estro-
piés, des lépreux, des démoniaques, des malades
de Loute sorte ont trouvé leur complète guéri-
son (i). Racontant la guérison miraculeuse de
Clovis, que nous discuterons tout à Theure, This-
torien de notre sainte donne ce détail : dès qu'il
eut touché la tombe de la sainte, il fut guéri —
ut tumham sancta tetigit,.,, liberaius est (2),
(1) In basilica vcro Martha? bealissimne, ii die dormiiionls
ejus, miiacula sine numéro conligcpiint ; cjecis, surdit*, mulis,
claadis^ paralyticis, aridis, leprosis, daBmoniacis, variisque
passionibus fatigatis, sanitates omDimodsQ provenerunt. Raban,
\ila elc, XLIX.
(i) Rab., id.
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824 MAINTE MÂRTÔÈ
Voilà le tombeau de sainte Marthe visible, acces-
sible dans une basilique, où se pressent des
foules de suppliants, où se passent d'innombra-
bles miracles. Raban rapporte ces faits au ix« siè-
cle, d'après un ancien document du v« ou vi« siè-
cle, contemporain de ce dernier miracle où le
Roi des Francs, le premier Roi très-chrétien, re-
trouva la santé en Tan 500. Voilà des faits précis
et qui s^appuient sur le tombeau de sainte Mar-
the, tombeau que nous possédons encore et que
nous pouvons voir, étudier et vénérer à Taras-
con.
Ce tombeau est un sarcophage chrétien en mar-
bre blanc qui contient les reliques de sainte
Marthe (1). Quoiqu'il ait été dégradé, que le bas-
relief ait* perdu les tètes de la plupart de ses per-
sonnages sottement décapités, lorsqu'en 1653 on
l'enferma dans une vaste chasse en marbre blanc,
parce qu'elles en gênaient les parois, néanmoins
onpeut très-bien juger aux scènes représentées, &
(I) Ce tombeau existe pncore aujourd'hui : îl contient tou-
jours les reliques de sainte Marthe ; mais il n'est plus visible
aux pèlerins, étant caché, depuis plus de deux siècles, sous no
grand lit de parade en marbre blanc qui représente saiote
Marthe sur son lit de mort. Toutefois, pour ne pas priver
entièrement les fidèles et les curieux de la vue de ce sarco-
phage, le conseil municipal de Tarascon, à la prière de M. Bon-
don, curé de Sainte-Marthe, en a fait mouler les bas-reliefs, e^
en a fait tirer un fac simile en fonte de fer, que Ton voit dans
l'église supérieure et qui reproduit assez fidèlement roriginal.
— Faillon, Mon, Ined.I. 574»
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SA VIE, SON HISTOIEE ET SON CULTE. 325
la disposition des personnages, au travail du
sculpteur, que ce tombeau remonte aux premiers
siècles du christianisme et n'est pas loin d'être
contemporain de plusieurs sarcophages romains
trouvés dans les catacombes (1). On voit que le
sarcophage de sainte Marthe est l'exacte reproduc-
tion du sarcophage romain, sauf la lourdeur du
travail qui accuserait un ciseau gaulois ; ou plu-
tôt le sarcophage de sainte Marthe est, comme les
sarcophages les plus anciens des catacombes,
conçu et exécuté selon un type commun qui doit
remonter aux premiers temps du christianisme
selon Arînghi et Bottari, confirmés par de Rossî
et Martîgny. « Nos sarcophages chrétiens offrent
de si nombreuses analogies avec ceux de l'Italie
que souvent on les croirait sortis des mains des
mêmes ouvriers. Ceci donne à penser que l'Eglise,
qui ne laisse rien au hasard ni au caprice des
hommes, avait Qxé primitivement les principaux
types d'après lesquels devaient être exécutées les
urnes funéraires... Sans doute des artistes, formés
au foyer même de l'Eglise catholique, rayonnaient
de là à la suite des apôtres envoyés par le pontife
romain dans les différentes contrées livrées à leur
zèle, et y portaient les règles hiératiques, qui,
d'après un système doctrinal bien connu des
archéologues, étaient appelées à présider à la
(1) L'abbé Faillon fait cette comparaison très- détaillée et
très-coDsciencleose avec nn sarcophage gravé dans un ouvrage
d'Aringhi.
19
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326 SAINTE MARTHE
décoration des tombeaux comme à celle des
Eglises elles-mêmes (1). » Ajoutons à ces paroles
du savant archéologue cette réflexion : L'Eglise
devait fixer avec d'autant plus de soin les scènes
et les figures de ses sarcophages, les décorations
de ses églises, qu'elle se trouvait au milieu des
idoles du paganisme et que chacun des traits
tracés par le ciseau ou le pinceau de ses artistes,
devait être un symbole hiératique, une expres-
sion théologique de ses dogmes si anciens et si
nouveaux déjà déformés et défigurés par l'hérésie.
Revenons au sarcophage de sainte Marthe : le
devant est un bas-relief qui représente les mira-
cles du Sauveur précédés à gauche par le miracle
de Moïse faisant jaillir sous sa verge l'eau du
rocher dans le désert. Puis, en allant de gauche
à droite, c'est le miracle des cinq pains multipliés
pour nourrir la foule au désert. Dans le inilieu,
c'est une orante entre deux vieillards : selon R.
Rochette et Bottari, plus récenunent selon de
RossietMartigny, cette orante est la chaste Suzanne
entre les deux vieillards impudiques,et représente
l'Eglise entre les persécutions de la force et les
corruptions de l'hérésie, ou peut encore être regar-
dée comme un symbole de la résurrection (2).
(i) Diction, des ant. chrét. par Fabbé MartigDy. 2« édit Sar-
cophages.
(2) Suzanne, délivrée de la mort par Daniel, a été regardée
dans Fantiquité chrétienne comme un symbole de la résorreo-
tion ; ell&est aussi le type de r Eglise persécutée, et les deux
vieillards, la figure des deux peuples qui l'attaquèrent: les païens
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CtLTE. 327
Puis vient le miracle des noces de Cana ; le renie-
ment de saint Pierre prédit par Jésus-Christ. (C'est
du moins l'interprétation qu'en donne l'abbé
Paillon et qui nous paraît contestable : il la fau-
drait vérifier non sur une gravure qui peut être
fautive, mais sur le marbre même du sarcophage.
On sait d'ailleurs que ces circonstances de la Pas-
sion sont très-rares sur les momiments des pre-
miers siècles : il ne fallait pas exposer à la gros-
sière raillerie des païens les divines faiblesses de
l'Homme-Dieu (1).) Enfin, la dernière scène est la
résurrection de Lazare. Cette scène est incontes-
table et compréhensible à tous les yeux. Jésus-
Christ rappelle à la vie Lazare qui apparaît debout
sur la porte de son sépulcre représenté par un
petit temple. Aux pieds de Jésus-Christ une femme
est prosternée : est-ce Madeleine qui pleure ? Ne
serait-ce pas Marthe implorant ou remerciant
Jésus? Ce bas-relief convient au tombeau de sainte
Marthe: Ces diverses scènes toutes hiératiques,
nous ne faisons pas difficulté de le rappeler, et
que l'Eglise dictait aux sculpteurs de sarcophages^
ont été choisies avec intelligence, on nous l'ac-
etles Juifs (S. Hippolyt. in Daniel et Suzan..) La représenta-
tion de r histoire de Suzanne paraît être plus commune sur les
sarcophages de la Gaule. Martigny. Dict. des Ântiq. chrét.
Sosanne. Sarcophages. Dans la Cappella Greca au cimetière de
Priseille, l'Eglise a les traits de Suzanne... L'abbé Davin«
Compte rendu dn 3« vol. de Rom. Soterr. Ch. do ohev. de
RoaaL Art. do Monde. V janr. 1878.
(1) Voir Martigny. Dict. etc. Sarcophages. Gradflz. Passion.
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328 ÔATNTE MABTHE
cordera, pour le tombeau delà vierge de BétKanie :
et son corps, enseveli par les mains mêmes de
Jésus, dut reposer avec joie au milieu de ces figu-
res qui représentaient de pieux symboles de foi
et d'espérance, qui rappelaient la vie et la puis-
sance de son ami, de son hôte et de son sauveur.
On peut remarquer que la figure de Jésus est im-
berbe, sans nimbe, qu'il tient à la main gauche
un rouleau, et de la"" droite une baguette pour
opérer ces miracles. On dirait Tœuvre d'un ciseau
encore païen, qui, du moins, n'a pas encore eu
le temps de se déshabituer des formes païennes,
et s'efforçant d'exprimer une idée chrétienne en
représentant ces scènes évangéliques.
C'est là certainement une preuve, un monu-
ment du culte de sainte Marthe dans la plus
haute antiquité. Si l'on ne veut pas reconnaître le
marbre comme contemporain de la mort et de la
déposition de sainte Marthe , on ne peut le mettre
en deçà du m* siècle : c'est l'opinion des savants
archéologues Le Blant et Martigny (1). Le mo-
nument, heureusement échappé aux ravages des
Sarrazins, est le témoin incorruptible d'une tra-
dition aussi ancienne que l'Evangile dans la Pro-
vence ; et la preuve se renforce du nom de Basi-
(i) Les sarcophages de France sont en général d'une époque
plus basse et d'un travail plus grossier, comme nous Tavons
déjà fait observer. Quelque&-uns néanmoins, ceux d'Arles,
d'Âix et de Marseille par exemple ((joutons celui de Tarts-
con) pourraient bien remonter au iii« siècle. Marligny^ Diot,
etc., sarcoph.
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SA TIE, SON fflSTOfRB ET SON CULTE. 329
lique donné par Raban à l'église de Sainte-Mar-
the, ce qui désignait aux v« et vi* siècles Téglise
d'un monastère. Enfin, cette circonstance écla-
tante et prodigieuse, relevée par notre historien ,
que les vols, les rapines, les sacrilèges, les par-
jures, par un jugement subit de Dieu, étaient aus-
sitôt punis horriblement au tombeau de sainte
Marthe pour la louange de Notre-Seigneur Sau-
veur (1), cette circonstance nous indique un
grand concours de peuple et de miracles autour
de ce tombeau, et nous reporte aux origines du
moyen-âge et àes jugements de Dieu.
Mais maintenant voici un trait de la vie de
Clovîs, un trait de notre histoire, qui nous montre
tout à la fois la vérité des traditions provençales
et la divine influence de la sainte famille de Bé-
thanie, aux origines de notre patrie et de notre
histoire : C'est la guérison miraculeuse de Glovis
au tombeau de sainte Marthe. Le grand archevê-
que de Màyence la raconte ainsi : Le roi des
Français et des Teutons, Glovis, le premier prince
de sa race qui porta le signe de la foi chrétienne,
attiré par la* multitude et la grandeur des mira-
cles opérés par la très-sainte Marthe, vint à Ta-
rascon ; et aussitôt qu'il eut touché le tombeau
de la sainte, il fut délivré d'un mal de reins très-
grave qui le faisait souffrir misérablement. En
(1) Farta vero vel rapin» aut sacrilegria, sea finlsa judicia,
subito Dei judicio horribiliter puniuntur ibidem incontinenter
td laadem Domini salvatoris. Rabaa. Vita XLIX.
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330 SAINTE MARTHE
témoignage d'un si grand miracle, il donna à
Dieu, par un acte signé de son anneau, la terre
située dans le rayon de trois lieues autour de
réglise delà très-sainte Marthe, sur les deux rives
du Rhône, avec les fermes, les châteaux et les
bois que cette très-sainte vierge possède encore
jusqu'à ce jour par un privilège perpétuel (ou
mieux) avec une immunité perpétuelle — immuni-
tate perpétua (1).
Ce fait rapporté par Raban, à trois siècles de
distance, sur des documents très-rapprochés de
Tépoque où le miracle eut lieu, ce fait concorde
avec tous les monuments de l'histoire de Clovis
et tous les traits du caractère de ce prince. Clevîs
a pu, a dû visiter le tombeau de sainte Marthe^
car, en Tan 500, il combattait, mettait en fuite
Gondebaud et les Bourguignons et entrait vain-
queur dans Avignon , tout près du culte de
sainte Marthe, à quatre lieues de son tombeau.
D'autres faits de la piété de Clovis, de sa dévo-
tion pour l'intercession des saints et de sa muni-
ficence pour les églises et les monastères, surtout
pour environner de splendeur les reliques des
saints, soi^t racontés par l'histoire et s'accordent
bien avec le caractère de ce prince. Cet acte
de donation, en reconnaissance de la grâce reçue,
signé du sceau que le prince Franc portait au
doigt — suo annulo signavit — s'accorde bien
(1) Raban. Vie, etc., XLIX.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. SSl
avec les usages des premiers Mérovingiens. L'his-
toire municipale de la ville de Tarascon elle-
même conflrrûe, indirectement, il est vrai, mais
d'autant plus sûrement, le miracle de la guéri-
son de Clovis ; car, les privilèges, immunités et
franchises de la ville qui s'étendaient juste à la
distance que fixait le diplôme de Clovis, ces im-
munités d'après lesquelles la ville et Féglise de
Tarascon ne seraient jamais soumis à aucune
puissance séculière (1), privilèges renouvelés par
les Rois de France, après la réunion de la Pro-
vence à la couronne, viennent évidemment de
l'acte de reconnaissance de Clovis. Enfin, Raban
n*est pas le seul qui rapporte ce fait; il était
relaté dans un manuscrit célèbre de l'église de
Sainte-Marthe, appelé le Livre Authentique. Ce
pieux document a été brûlé comme tant d'autres
qui vengeraient nos traditions catholiques et na-
tionales, avec les archives de cette église, au
commencement de la Révolution. Mais un extrait
de ce Livre, tiré en 1486, par deux notaires pu-
blics et conservé dans les archives de la ville de
Tarascon, rapporte le fait de Clovis, le don de ce
prince et l'immunité par laquelle la^ ville et l'é-
glise de Sainte-Marthe ne seront jamais soumises
à aucime puissance laïque (2). Ainsi, l'histoire,
(1) Expression du Livre Authentique»
(2) Qaapropter beat» Marthœ et loco ejus^ annali soi chi-
rograpbo, trium milliarum spatio in gyro, ex utraqae parte
Rhodani, terram et villas, et castra dedit^ et fecit locum iUum
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332 SAINTE MiJlTÇE
la diplomatique, la vie communale même de Ta-
rascon déposent de la vérité du miracle de Glo-
vls, du culte de sainte Marthe à Tarascon au
commencement du vi* siècle. Dès lors, il re-
monte à des siècles, aux premiers siècles du chris-
tianisme. En ce moment, le culte esten possession
des esprits et des cœurs^ des traditions et des
mœurs. Ce culte est tout authentique et profondé-
ment enraciné dfins cette terre de Provence. Elle
portait alors avec vénération, elle porte depuis
dix-huit siècles le tombeau et les reliques de
sainte Marthe, où se pressaient les foules, écla-
taient les miracles, se succédaient les pèlerins ;
où se manifestait la divine reconnaissance de
Jésus pour son hôtesse bien-aimée, autant que la
vérité de l'histoire et Tautheliticité des traditions
provençales.
Avignon, comme Tarascon, se glorifie de sainte
Marthe et la reconnaît pour apôtre : et si cette
ville, plusieurs fois ruinée par la guerre, ne nous
présente plus de monuments contemporains ou
garants de la foi dés Avignonnais, nous avons
cependant encore des preuves de cette tradition.
L'église cajhédrale Notre-Dame-des-Doms, bâtie,
dit-on, sur remplacement d'une chapelle érigée
par sainte Marthe en l'honneur de la sainte
et ecclesiam )iberam, scribens ne alicui potesiatl laïc» quaii->
doque subderetur. Extrait du Livre Authentique, manuscrit de
Peireec Biblioth. Garpentras. Voir Paillon. Mon. ined. II9
1335.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 333
Vierge (1) portait sur son frontispice une inscrip-
tion en vers rimes (détruite en 1733) qui procla-
mait l*apostolat de sainte Marthe. Dans le cloître
même de cette église, on vénérait une grotte
comme ayant servi de retraite à sainte Marthe et
qu'on avait convertie en église (2). La tradition
du miracle opéré par sainte Marthe pour ressus-
citer un jeune homme qui s'était noyé en traver-
sant le Rhône pour venir l'entendre prêcher
l'Evangile ; ce miracle, raconté par Raban, sur la
foi d'anciennes histoires, est conservé vivant,
non-seulement dans la liturgie d'Avignon, mais
encore dans la liturgie d'autres nombreuses égli-
ses (3). Saint Dominique, au commencement du
xiii* siècle, venant établir un couvent de son
ordre sur le lieu même consacré par la tradition
comme le lieu même où s'était opéré le miracle ;
saint Vincent Ferrier, au xv° siècle, racontant ce
miracle dans un sermon sur sainte Marthe, sont
des témoins vénérables de cette tradition. Avi-
gnon, depuis Raban, a toujours nommé, vénéré
sainte Marthe comme son apôtre, qui lui trans-
mit la foi, qui fonda son église. Raban rapporte
(1) Templum sane B. Virginis a diva Martha originem ba-
boisse vetns asserit traditio, snmmorum etiam Romanornm
pontiflcum roboratur. Suapez,ev. de Vai8on,etc. Gallia ch. IX,
(2) Caeteram superest qiioque bodiernadieantnimjuxia claus-
tram Domnarum, in quo diva vivens agebat, ex quo adjuhcto
fornice, sacellum ipsi dicatum coDstrucium est. Suarez, id.
{'\) Tamscon, Autun, Lyon, Orléans, Cologne, Marseille
Arles, Paris, etc.
19.
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384 SAINT£ MABTHE
cette tradition sur la foi de textes anciens ; nulle
église, même rivale comme celle d'Arles, ne lui
a jamais contesté cette gloire. Le pape Sixte IV
est donc Técho des siècles, dans sa bulle de l'au-
torisation du chapitre de r.église d'Avignon, en
affirmant que cette église brille entre toutes les
autres églises cathédrales, parce qu'elle fut fon-
dée par la bienheureuse Marthe, l'hôtesse de
Notre-Seigneur Jésus-Christ (1).
Du reste, voici toutes les traditions de la Pro-
vence, traditions de miracle et de foi, parfaite-
ment résumées par M^' l'archevêque d'Avignon,
le témoin vénérable et l'organe autorisé de ces
glorieuses traditions :— « Un jour les habitants
de la colonie phocéenne virent venir de loin une
barque mystérieuse qui s'avançait malgré les
vents et les tempêtes : elle était sans voiles et sans
gouvernail, mais Dieu en était le pilote, et l'ange
de la cité-rçine de ces belles contrées la condui-
sait sur nos rivages. Jamais la mer, qui en est la
providence, n'y porta de plus riches trésors.
» II y avait dans cette barque toute une civili-
sation nouvelle, et un feu sacré dont tout l'Occi-
dent allait être illuminé comme d'un soleil nou-
veau : il y avait l'Evangile ; il y avait Lazare qui
(1) Cum Uaque, sicot accepimus, eoclesia Âvenionensis ioier
cœlcras cathédrales ecclesia» illarum partium claret et olim a
beala Martha, Domini Jesu Ghrisli hospita, ad laudem ^us et
gloriosse Vîrginis est fundata, et manu Dei, utfama est eianti-
quorum habet relatio et aliquorum Romanocum pontiflcum lit-
erae attestantur, coDseorata existit... Sat. IV,Bulla anno 1475,
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE.
devait l'y prêcher et s'asseoir le premier sur le
siège illustre où tant de saints évèques l'ont suivi;
il y avait Maximin qui devait fonder l'église
d'Aix, tandis que Tophirme fondait auprès celle
que devait illustrer saint Césaire.
» Il y avait Madeleine qui devait semer sur cette
terre aride ses larmes fécondes ; il y avait les
saintes Maries dont la cendre vénérée des mate-
lots gardent et préservent des orages la côte qui
porte leur nom (1); il y avait Marthe, amie du Sau-
veur, qui, remontant le Rhône encore plein de
son souvenir et de ses prodiges, vint portant la
céleste lumière sur la roche appelée Notre-Dame-
des-Doms, bâtir à Marie encore vivante une cha-
pelle que Jésus, suivant une tradition, a lui-
même consacrée.
» Mais, à côté de ces trésors, il y en avait un
autre : c'était la relique la plus digne du respect
(I) Les saintes Maries, Marie Jacobé (mère de Jacques le
Mineur), Marie Salomé (mère de Jean et de Jacques le Mineur)
étaient les fllles de sainte Anne, de deux premiers mariages :
43ar sainte Anne fut mariée trois fois, selon de sérieux auteurs,
qui suivent la tradition du moyen-âge, et sont appuyés par les
Visions de sainte Colette et de Catherine Emmerich. (Voyez
Vie de N.-S., IV, 126, VI. 246.) Ces deux Mariesavec Marie-
Madeleine sont les pieuses myrrhophores du sépulcre et les
preoiiers témoins de la Résurrection. C'est encore la tradition
des églises de Provence : 0 sorores egregiœ^ Annœ beatœ fiUœ»
(Hym. Brev. Aptens. 1532). Deus, qui beatas Mariam Jacobiet
Mariam Salome Genitricis tuas sorores ad tuam resurrectio-
nom nuntiandam «elegisli... (Orat. in festo SS. Mar. Missal.
Lug. Oolliique, etc.)
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SAINTE MARTHE
de la terre, puisque celle de Marie est aux deux.
C'était le corps de sainte Anne (1). »
Cela suffit : nous n'avons pas à reprendre le
détail des preuves qui regardent sainte Madeleine
et saint Maximin (2). Car ce qui prouve laposto-
latde l'un des membres de la famille de Béthanie,
ou de l'un de leurs compagnons, prouve l'apos-
tolat des autres. Ils sont inséparables dans This-
toire et la légende comme ils sont inséparables
dans le récit de l'évangile et dans le culte des
Provençaux.Marthe est venue en Provence comme
Lazare son frère, comme Madeleine leur sœur,
comme Maximin, comme les saintes Maries,
comme les autres compagnons de leur transport
miraculeux d'Orient en Occident, de Palestine en
Provence (3). Cette vérité nous est démontrée par
les restes de monuments qui subsistent après dix-
huit siècles sous les ruines accumulées par les
ravages des barbares, les destructions du temps,
les injures des faux savants. Pour nous et pour
les simples qui voient plus droit, qui voient
mieux et plus loin souvent que les savants et les
érudits, cette vérité resplendit, pleinement démon-
(i) Lettre pastorale de monseigneur Dubreoil, arch. d'Avi-
gnon, pour le couronnement de sainte Anne à Apt, août. 1877.
(2) Voir Sainte Madeleine, etc. Madeleine en Pr<»vence, XIV.
(3) Marlialis — Maximinus — Entropius— Salurninus — atque
Cœlidonins — (alias Sidonins) nec non Martha et Magdalene —
pariteret Lazarus.... locum isfum elegerunt — Sorores quas
genuerunt, Gleophas et Salome. Livre d'office de Véglise de
N.-D de la Mer.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 337
trée par cette obstipatron de croyance et de véné-
ration, de culte et d'amour, d'enthousiasme et"
d'harmonie qui subsiste au cœur de la poétique
et chaude Provence (1). Le souvenir de Marthe,
comme le parfum de Madeleine, comme le blanc
suaire de leur frère ressuscité, Jésus les a confiés
à la vénération fidèle de la France ; et la France,
malgré ses fautes et ses malheurs, malgré ses
défaillances et ses misères, s'est acquittée pieiise-
ment de la reconnaissance de Jésus pour ses amis
de Béthanie.
Chose étonnante et merveilleuse, qui n'est pas
sans une profonde et mystérieuse signification I
Tous les plus fidèles amis de Jésus, ses amis de
Béthanie^ ses parents de Nazareth, les premiers
témoins et les premiers apôtres de la résurrection,
ils ont tous été donnés à la France. Jésus nous a
confié les reliques de sa famille et les reliques
de son cœur. La France les a reçues pour les con-
server et les défendre, pour les vénérer et les
aimer ; elle a reçu ces premiers témoins et ces
chers amis de Jésus pour recevoir de leur bouche
véridique la première prédication de l'Evangile,
(1) Frédéric Mlslral, le prince des Pélibrea provençaux,
dans son beau poème de Miréio, fait raconter ou plutôt chan-
ter par les saintes ^bi santOy toute la légende provençtfle; rien de
délicieusement tendre et touchant coa me la prière que chante
Miréio au chant X : 0 santi Mario... Rien de magnifique, rien
de palpitant de foi et d'enthousiasme comme le chant XI
font entier qui est le récit en strophes ardentes de toute l'his-
toire des saints de Provence. La poésie est vraie comme la foi.
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338 SAINTE MARTHE
pour faire fleurir son sol, pour illuminer son
âme et ennoblir son histoire. C'est de là sans
doute qu'elle tient cette merveilleuse force de
résurrection qui la relève après ses chutes les
plus profondes et ses rechutes les plus désespé-
rées. Elle tient cette force, cette grâce, des amis,
des parents, des fidèles, des martyrs de Jésus rt
de leurs reliques. Merveille de force et de résur-
rection qui répond comme une récompense à
cette pieuse et chevaleresque persistance de dévo-
tion pour ces saintes femmes abordées aux riva-
ges de la Provence, et spécialement à son culte
pour la pénitente de Magdalum et pour la vierge
de Béthanie.
/VTl
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X
MARTHE ÉVANGÉLISE LA PROVENGE. — MARTHE
A TARASCON.
Hœc est Christi loquifera
Obstetrix et dapifera,
Cujus sancta petitio
Fit fpatris resuprectio.
Dumque Tharascam perimit,
Aparté terrain eximit,
Et 1 harascônis prsedia
Gaudent ejus praBsenlia.
Exstinctum amne suscitât
Dum fidem Christi praedicat.
Âvonionis patria
Cessât ab idololatria.
(Brev.Eccles. Grass. Gothique.)
Elle est Fapôtre du Christ ; elle le fait naître et le
nourrit dans Tâme de ses auditeurs, elle dont
la sainte, prière fut la résurrection de son frère.
Pendant qu'elle tue la Tarasque, elle délivre le
pays d'un fléau, et les champs de Tarascon se ré-
jouissent de sa présence.
Elle ressuscite un jeune homme qui se noie dans le
fleuve pendant qu'elle prêche la foi du Christ ;
par elle, la cité d'Avignon abandonne l'idolâtrie.
Nous reprenons paisiblement le récit de la vie
de Marthe. Nous n'aurons guère plus à nous arrê-
ter pour discuter des assertions, établir des
preuves et consulter des documents. Nous n'a-
vons qu'à suivre le récit de Baban-Maur, explici-
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340 SAINTE MARTHE
tement confirmé par la liturgie, et traduit, com-
menté par Fart et la poésie. Donnons d'abord le
rayon concentré de la Vision qui résume l'apos-
tolat de Marthe en Provence : — « Je vis sainte
Marthe lorsqu'elle eut quitté Marseille : accom-
pagnée de Marcelle, de l'autre servante et de
quelques femmes qui s'étaient attachées à elle,
elle était arrivée dans une contrée sauvage; d'un
accès difficile, oîi plusieurs femmes païennes
habitaient des cabanes adossées aux antres des
rochers. C'étaient des captives que les gens du
pays avaient enlevées pendant une guerre et qu'ils
avaient établies là ; elles étaient soumises à une
surveillance particulière ; Marthe et ses compa-
gnes s'établirent dans leur voisinage ; elles se
construisirent d'abord de petites cabanes près des
leurs ; plus tard, elles bâtirent un couvent et
une église. L'église, au commencement, n'avait
que les quatre murs avec une toiture en branches
tressées recouvertes de gazon ; toutes y travail-
laient ; elles convertirent d'abord les captives
dont quelques-unes s'adjoignirent à elles ; d'au-
tres, au contraire, leur *donnèrent beaucoup de
chagrin, et, par des dénonciations perfides, atti-
rèrent sur elles des persécutions de toute espèce,
de la part des habitants du pays-
» Il y avait dans le voisinage une ville qui
s'appelait Aquae (1), à ce que je crois. 11 semblait
(!) Aquœ Sexb'œ^ aujourd'hui Aix.
'\
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SA yiB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 341
y avoir là des sources d'eau chaude ; car on
voyait de ce côté s'élever continuellement des
masses de vapeur. J'ai vu Marthe près d'un
fleuve très-large faire périr un monstre qui se
tenait dans le fleuve et qui faisait beaucoup de
ravages. Il renversait les barques ; souvent aussi
il venait à terre et dévorait des hommes et du
bétail. C'était comme un porc d'une grandeur
démesurée; il avait une tête énorme, des pattes
très-courtes, semblables à celles d'une tortue ,
la partie inférieure du corps comme celle d'un
poisson, et des ailes membraneuses garnies de
griffes. Marthe le rencontra dans un bois, sur le
bord du fleuve, comme il venait de dévorer un
homme. Il y avait plusieurs personnes avec elle.
Elle dompta le monstre en lui jetant sa ceinture
autour du cou au nom de Jésus ; puis elle l'étran-
gla. Le peuple l'acheva à coups de pierres et
d'épées. Je la \is souvent prêcher l'Evangile
devant un nombreux auditoire, soit en plein
champ, soit au bord du fleuve. Elle avait cou-
tume alors, avec l'aide de ses compagnes, d'éle-
ver avec des pierres une espèce de tertre sur le-
quel elle montait. Elles disposaient des pierres
en forme de degrés ; l'intérieur était creux comme
un caveau; elles plaçaient en haut une large
pierre sur laquelle Marthe se tenait. Elle faisait
ce travail mieux qu'un maçon de profession,
grftce à son activité et à son adresse extraordi-
naires.
» Je la vis un jour prêcher au bord du fleuve
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342 SAINTE MARTHE
du haut d'un de ces amas de pierres. Un jeune
homme, qui était sur l'autre rive, voulut traverser
la rivière à la nage pour venir l'entendre ; m^îs
le courant l'emportant, il se noya. J'eus alors une
vision où je vis les gens du pays lui adresser
force injures à ce sujet, et lui reprocher en outre
d'avoir converti à la foi des femmes esclaves. Je
vis aussi le père du jeune homme noyé retrouver
son corps le lendemain, l'apporter devant Marthe
en présence d'une foule nombreuse, et lui dire
qu'il croirait à son Dieu, si elle rendait la vie à
son fils. Je vis alors Marthe lui ordonner au nom
de Jésus de revenir à la vie. Il ressuscita en effet
et se fit chrétien ainsi que son père et plusieurs
autres. Toutefois il y eut des gens qui traitèrent
Marthe de magicienne et la persécutèrent. Je
vis aussi qu'un de ceux qui étaient venus de la
Palestine avec elle (c'était, je crois, le disciple
Maximin) s'était établi dans le voisinage et visi-
tait Marthe en qualité de prêtre et lui donnait la
sainte Communion. Marthe travailla beaucoup à
propager l'Evangile et opéra un très-grand nom-
bre de conversions (1)».
Marthe est donc arrivée en Provence sur la bar-
que miraculeuse qui portait l'Evangile en Occi-
dent, qui portait en France, avec les reliques
aimées de Jésus et de Marie, les amis fidèles du
Dieu fait homme devenus ses témoins et ses pré-
(1) Vie de N. S. J.-Ch. VI, 349-361.
dby Google
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 343
dicateurs intrépides. Après avoir suivi Lazare,
son frère, à Marseille ; après avoir avec lui, près
de lui, pour le consoler et le fortifier, prêché le
nom de Jésus, leur hôte et leur ami, amenant les
premiers disciples du Maître, les premiers chré-
tiens de Marseille à la pratique de l'Evangile, Mar-
the poussa plus loin dans la Provence en remon-
tant les rives du Rhône. Elle avait un autre champ
à cultiver, une mission particulière à remplir.
Après avoir assaini cette partie de la Provence qui
lui était confiée, après Tavoir convertie, elle devait
y fonder la vie religieuse ; elle devait instaurer
sur cette terre privilégiée la perfection des con-
seils évangéliques, y faire fleurir Tangélique et
féconde virginité qui devait remplir TOccident de
ses merveilles et couvrir la France de ces immor-
telles générations de vierges, filles, sœurs, émules
de sainte Marthe (1). Parménas, nous dit Raban,
se retira dans la ville d'Avignon, de la province
viennoise, avec la vénérable servante du Seigneur,
sainte Marthe, avec Marcelle sa propre servante,
Epaphras etSosthène, Germain, Evodie et Synti-
que (2). La bienheureuse Marthe, avec ses com-
(I ) 0 qaam pulchra est casta generatio cam olaritate ! Im-
mortalU est.. Sap. IV, I.
(2) Raban, vie, etc.^XXXVII. Raban, en assignant aux vingt-
quatre anciens disciples de Jésus, la plupart d'entre les
soi^^ante-douze disciples, les dix-sept provinces des Gaules et
les sept provinces des Espagnes, s'est trompé pour plusieurs,
cela est incontestable et incontesté. L'abbé Paillon le remarque
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344 SAINTE MARTHE
pagnons, parcourait la ville d'Avignon et la ville
d'Arles, ainsi que les villages le long du Rhône,
les bourgs de la province viennoise, évangélîsant
aux peuples le Seigneur Sauveur ; ce qu'elle avait
vu le concernant, ce qu'elle avait appris de sa
bouche, elle l'attestait publiquement, et ce qu'elle
annonçait de ses divins prodiges, elle le confir-
mait par ses propres miracles ; elle avait, lorsque
c'était opportun, avec le secours de la prière et
en se servant du signe de la croix, la grâce des
guérisons (1), de purifier les lépreux, de rendre
le mouvement aux paralytiques, de ressusciter
les morts, de rendre l'usage de leurs organes aux
aveugles, aux muets, aux sourds, aux boiteux, de
rendre la santé aux infirmes et aux malades. Hac
Martha, Voilà ce qu'était Marthe ; voilà ce que
Marthe faisait (2).
Ne nous étonnons pas d'entendre prêcher une
femme, de voir faire tant de miracles à une vierge.
Lorsque saint Paul ordonne aux femmes de se
taire dans l'église, Mulieres in ecclesiis taceant (3),
lorsqu'il ne leur permet pas d'enseigner, Docere
autem muUeri non permitto (4) , l'apôtre leur
(Mon/ined. I. 52, "3). Nous Tavons aus»i noté. Toutefois, riea
dans Tantiquité no contredit et toutes les traditions locales con-
firment ce qu'il dit ici des compagnons de Marthe, de Lazare
et de Madeleine.
(1) I Cor. XII. 30.
(2) Raban, vie, etc. XXXIX.
(3 I Cor. XIV. 34.
I Timot. 11.12.
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SA VIE, SON fllSTOIBÈ ET SON CTTLTE. 345
défend de parler dans l'église, devant la hiérar-
chie constituée ; il ne leur défend pas d'instruire
et même de prêcher en particulier, avec prudence
et modestie, dans leur petite église domestique ,
comme Priscille fit pour ApoUo selon le livre
des Actes (1), comme Flavie Domitille fit pour
Flavius Clemens, comme Cécile fit pour Valérien
et pour Tiburce, comme Natalie pour Adrien,
Monique pour Patrice, comme Marthe, la sainte
personne, pour Marins, comme Théodelinde pour
Agilulphe, comme Glotilde pour Clovis et pour
ses leudes. Mais encore Fapostolat de Marthe ainsi
que celui de Madeleine, reçu comme directement
du Sauveur, lui-même, accompagné de prodiges
et confirmé de miracles, est au-dessus, avant et en
dehors de ces règles si sages de hiérarchie et de
subordination que le grand apôtre marquait aux
églises régulièrement constituées. D'ailleurs, Mar-
the était un témoin avant même d'être un apôtre,
un vivant exemplaire de l'Evangile, avant d'être
un évangéliste , et il lui était permis, c'était un
besoin pour son cœur, en même temps qu'un
devoir pour sa foi, comme un emploi d'une voca-
tion extraordinaire, de dire à tous ce qu'elle avait
entendu, ce qu'elle avait vu de ses yeux, ce qu'elle
avait compris, ce que ses mains avaient touché
du Verbe de Dieu (2) qui s'était fait son hôte,
son commensal et son ami.
(1) Aot XVIII. 26.
(2) I JoaQ. L I.
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346 SAmTB MABTHE
Quant aux miracles si nombreux dans le récît
de Raban et dont plusieurs racontés dans le dé-
tail sont si prodigieusement admirables, ne nous
étonnons pas que Marthe si familière et si em-
pressée avec l'humanité de Jésus ait reçu et com-
me contracté, par ce saint commerce, une si
grande puissance sur la nature. Elle fut la noble
et dévouée servante de Jésus; elle devait être
rhumble et douce servante des membres infirmes
et souffrants de Jésus. Elle était vierge : l'auréole
de virginité qu'elle a reçue d'une aimable préve-
nance de la grâce l'enlève aux basses régions de
la terre et l'établit dans la région surnaturelle où
le divin Maître opérait tranquillement ses œuvres
divines (1). Ses mains actives et vaillantes, ses
mains pures devaient multiplier les miracles en
multipliant ses œuvres. Vierge, vivant holocauste
où se consumait la chair par l'Esprit et se domp-
tait la nature pour faire fleurir et rayonner la
grâce, Marthe devait faire des miracles, opérer
des prodiges, par ce privilège spécial qui fait de
rinnocence une royauté, de la virginité une do-
mination, un attrait, un charme de la nature. Les
anciens eux-mêmes l'avaient entrevu et comme
subodoré. Les légendes de leurs vestales sont de
pâles pressentiments de la vie toute prodigieuse
de nos saintes vierges. Souvenens-nous, d'ail-
leurs, de cette parole de Jésus , une promesse
(1) Joaa. V. 36. etc.
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SA VIE, SON HISTOIIUB ET SON CtJLTE. 347
divine appuyée d'un serment solennel : En vé-
rité, en vérité je vous dis : Qui croit en moi, les
œuvres que je fais, il les fera lui-même, et il en
fera de plus grandes,parce que je vais au Père(i).
C'est à ceux qui croiront en Lui que Jésus pro-
met cette puissance de miracles, puissance d'au-
tant plus irrésistible que la foi sera plus inébran-
lable. Or, Marthe, nous pouvons le dire, repré-
sente plus spécialement la foi, pendant que sa
sœur Madeleine représente plus spécialement
rameur. La foi pousse Marthe aux œuvres, car
elle est essentiellement agissante ; elle ne peut
se reposer que dans la révélation définitive de la
gloire du visage de Dieu. La foi qui chemine à
travers le monde pour aller à la conquête de
rameur devait disposer Marthe, si naturellement
active, à l'action, au sacrifice, au ministère inces-
sant des œuvres. Dès lors, la foi lui donna le pou-
voir des miracles. L'historien des deux soBurs ne
rapporte point de miracles de Madeleine; l'amour
l'enlève et l'emporte au-dessus des choses de la
nature. Son existence est un prodige, il est wai,
exhaussé sur son piédestal de rocher, balancé
par la main des anges dans le pur azur et la lu-
mière du ciel, mais c'est un prodige environné
de silence, enveloppé de réclusion et qui ne se
découvre que par en haut. Au contraire, plusieurs
des miracles de Marthe nous sont connus, et com-
bien d'autres ne nous ont pas été racontés I Mar-
(i) Jean. XIV. 12.
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348 SAINTB MARTHE
the a confessé Jésus-Christ fils du Dieu vivant dans
Vinfirmité de sa chair ; et c'est par cette foi vail-
lante et forte qu'elle opère des miracles ; et ces
miracles sont d^autant plus grands que cette foi,
plus ferme et plus active, lui fait vaincre les sens
et surmonter la nature, et ces miracles sont des
œuvres de miséricorde, œuvres de guérison, de
délivrance, de résurrection, pour mieux caracté-
riser sa mission et plus glorieusement récom-
penser sa fidèle et merveilleuse activité.
Maintenant^ dirons-nous avec le pieux historien
des deux sœurs, revenons à Tordre de notre ré-
cit, et, mettant de côté la vie contemplative de
Marie, racontons la vie et les miracles de sa sœur
la bienheureuse Marthe. — Entre Arles et Avi-
gnon, cités de la province viennoise, près des
rives du Rhône, parmi des halliers stériles et les
graviers du fleuve, était un désert rempli de bétes
féroces et de serpents venimeux. Là, parmi les
animaux venimeux, errait un dragon terrible,
d'une incroyable longueur et d'une grosseur
énorme. Son souffle répandait unB fumée mor-
telle; ses yeux lançaient des étincelles sulfu-
reuses ; sa gueule, armée de dents aiguës, lançait
des sifflements perçants et d'horribles rugisse-
ments. Tout ce qu'il pouvait atteindre, il le déchi-
rait de ses ongles et de ses dents; tout ce qui
s'approchait de lui périssait par l'infection mor-
telle de son haleine. Il est incroyable combien de
troupeaux et de bergers il avait dévorés, combien
d'hommes il avait fait périr par son souffle em-
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 349
poisonné I Un jour, la bienheureuse Marthe an-
nonçant la parole de Dieu aux foules qui s'étaient
rassemblées autour d'elle, on vint lui parler du
dragon qui était alors le sujet de toutes les con-
versations : les uns la priaient dévotement, quel-
ques autres, comme il n'est pas rare, pour la ten-
ter, disaient : que si le Christ avait quelque pou-
voir, rhéroïque et bienheureuse fille le montrerait
à ce sujet ; car il ne pouvait se faire qu'aucun
secours humain les délivrât de ce dragon. Elle
leur dit : Si vous êtes prêts à croire, toutes choses
sont possibles à celui qui croit (1). Alors, le peu-
ple promettant de croire, elle les précède avec
joie ; elle se dirige avec fermeté vers le repaire
du dragon ; ayant fait le signe de la croix, elle
apaise sa férocité; avec sa ceinture elle lie le cou
du monstre ; et, tournant les yeux vers les peuples
effrayés qui regardaient de loin : Pourquoi trem-
blez-vous? dit-elle. Voici que je tiens le serpent
et vous hésitez encore? Approchez hardiment au
nom du Seigneur Sauveur, et mettez en pièces le
monstre vénéneux. Elle dit, et défendant au dra-
gon^ avec une souveraine puissance, de nuire
à personne par son souffle ou sa morsure ; en-
suite reprochant aux foules leur peu de foi, et
les excitant à frapper avec courage, elle arrête
aussitôt le dragon, mais à peine elle peut rassu-
rer les foules. Eiffin, se précipitant ensemble avec
(l)Maro. IX, 22.
20
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des armes, ils déchirèrent la bête en pièces, ad-
mirant la foi et la constance de la bienheureuse
Marthe, qui tenait immobile si facilement, sans
aucune crainte, avec le lien fragile de sa ceinture,
une si énorme bête pendant qu'on la mettait à
mort (1).
Voilàlepremier miracle de Marthe. Nous n'a-
vons pas aie discuter, à le prouver. Après Raban,
la Légende Dorée le raconte en un récit qui n'est
pas évidemment la réduction de celui que nous
venons de traduire, car il y a des détails diffé-
rents. La liturgie et Thagiologie, Tart et la poésie
ne séparent jamais sainte Marthe de son dragon
vaincu, de sa Tarasque enchaînée par sa virgi-
nale ceinture. Ce miracle est vrai comme les au-
tres miracles de la sainte, comme toute la vie
évangélique et légendaire de la sœur de Lazare-
Mais on nous pardonnera d'insister sur ce fait
prodigieux, pour l'expliquer et pour en marquer
le vrai caractère et la profonde signification. Mar-
the, ce n'est pas étonnant, devait exercer le pou-
voir que Jésus avait donné spécialement à ses
disciples, avant de les quitter. Celle qui fut à la
fois disciple, amie, hôtesse de Jésus, dut recevoir
plus directement, dut exercer plus puissamment
le pouvoir de faire des miracles. Or, parmi les
signes qui doivent suivre et confirmer la parole
des disciples se trouve expressément celui-ci:
(1) Hab. vie etc., XL.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 351
Serpentes tollent (1). Ils prendront, ils touche-
ront les serpents sans en ressentir aucun mal ;
par conséquent, ils les chasseront, ils les extermi-
neront, ou, selon le texte d'un autre évarigéliste
plus explicite encore et dont le miracle dé Marthe
semble être la vivante expression : — Voici que
je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds
les serpents et les scorpions, et toute la force de
l'ennemi ; et vous n*en ressentirez aucun mal (2).
Cet ennemi c'est le diable qui commande aux
animaux féroces et à toutes les choses nuisibles,
et qui s'en sert pour blesser l'homme et pour le
perdre (3).
L'Evangile nous donné ainsi tout à la fois l'ori-
gine et la raison de ce pouvoir de lier, de dé-
truire les serpents, les monstres, les dragons qui
infestaient le monde avant que la lumière de l'E-
vangile n'eût dissipé ses ténèbres et guéri sa cor-
ruption. Comment nous étonner de voir^ au ber-
ceau des principales églises et sous les pieds des
premiers apôtres de l'Evangile, ces serpents
monstrueux abattus, ces dragons vaincus, en-
chaînés, détruits ? La parole de l'Evangile nous
apprend que ces monstres étaient nombreux ; le
(1) Marc. XVI, 18.
(2) Luc. X, 19.
(3) Si?e etiam dlaboli, qui omnibas feris et rebas noiiis
praeest, eisque abutitur, ut homiaem Isdat et périmât. Corn.
a Lap. in Luc. X.
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352 SAINTE MARTHE
paganisme et ses monstrueuses erreurs, la cor-
ruption avec ses vices abominables, le monde
avec ses forcés sataniques déchaînées contre Jésus-
Christ, s'exprimaient, se localisaient, se symbo-
lisaient et, pour ainsi dire, s'incarnaient dans ces
êtres supranaturels, dans ces dragons, dans ces
guivres. Ces êtres énormes et puissants, dont la
faune préhistorique peut donner une idée, mais
qui n'ont pas été classés dans l'histoire natu-
relle, ce sont à la fois des symboles sataniques
et des animaux réels ; ce sont des monstres qui,
de loin en loin, apparaissent en dehors des espè-
ces et des lois naturelles, comme des interven-
tions diaboliques pour troubler l'œuvre de Dieu ;
ce sont des représentants et comme des continua-
teurs effrayants de la race et de l'œuvre du pre-
mier serpent.
D'après plusieurs Pères de l'Eglise, d'après
Bède le vénérable et Denys le chartreux, d'après
S. Bonaventure et Vincent deBeauvaîs, le serpent
qui servit au diable d'organe et d'intermédiaire
pour tenter Eve et perdre l'homme était un dra-
gon (1). C'est la remarque de S. Augustin que les
démons, après avoir trompé les hommes parles
serpents, continuent à les abuser, à les combat-
(1) Âiant Beda, Dionys Cartbus. et histor. scolast. ac
S. Bonav. in 2. Dictunt. 21 et Vincent. Bellov. in specal
histor. serpentem hune fuisse draconem. Âpud Corn, a Lap. In
Gen. III.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 353
tre, à les séduire par ces animaux ; et Dieu per
mit ces ruses, ces incantations et ces terreurs de
serpents, de dragons devenus des idoles terribles,
pour rappeler le fait primitif et capital de la ten-
tation et de la chute (1). De là, le culte du ser-
pent dans toutes les religions de Tantiquité, culte
diabolique, mais en même temps et involontaire-
ment culte véridique, nous rappelant la chute et
la promesse de la réparatioil. Le serpent et le
démon ne se séparent plus dans les souvenirs et
les traditions, dans les terreurs et les espérances,
dans le culte et les erreurs de Thumanité. Le
serpent qui trompa Eve, dit un savant commenta-
teur des livres saints, est aussi bien un vrai ser-
pent que l'on comprend qull est le diable parlant
par le serpent (2). Les anciens croyaient que le
serpent, et surtout le dragon, la forme la plus
monstrueuse et la plus puissante du serpent,
avait quelque chose de divin. On lui confiait la
garde des sanctuaires les plus vénérés, des mys-
(1) HaBC eniin non parva tentatio est, naturam primitus huma-
nam serpentis seductam esse coUoquio. Gaudent enim dsmones
bano sibi potestatem dari, ut ad incantationem hominum ser-
peutes moveanl, ut quolibet modo fallant quos possunt; hsc
aotem permittuntur ad primi facti memoriam commen !an-
dam, quod sit eis quœdam eu m boc génère famiiiaritas.
S» Ang. de Genei«. ad litteram. XI, 28.
(2) Serpens qui decepit Evam tam verus serpens quam
diabolus per serpentem loquens intelligitur. Corn, a LAp. in
LocX.
20.
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354 SAINTE MARTHE
tères les plus terribles, la garde des oracles et
des vaticinations les plus redoutables. On lui con-
fiait la garde des trésors, comme la Toison d'or et
les fruits merveilleux du Jardin des Hespérides ;
on lui confiait l'enfance des demi-dieux conmie
Hercule, le berceau des héros comme Alexandre
et des princes comme Néron, la plus complète
incarnation satanique de sang et de volupté dans
le monde. Le dragon apparaissait en songe^ se
révélait en vision, pour annoncer les destinées
extraordinaires de conquérants et de grands
princes, comme il est raconté dans la vie d'Alexan
dre et de Scipion, d'Auguste et de Sévère (1). Les
Romains, pour se délivrer de la peste, allaient
chercher à Epidaure le serpent d'Esculape, et le
transportaient à Rome pour l'adorer et l'invo-
quer (2). L'empereur Adrien, au rapport de Dion,
ramenait des Indes à Athènes un dragon qu'il
faisait adorer dans un temple magnifique. Ce
n'étaient pas seulement des païens qui rendaient
un culte au serpent et adoraient le dragon, des
hérétiques eux-mêmes, qui se disaient chrétiens,
les ophites, nourrissaient et honoraient un ser-
pent comme leur Christ (3).
. Ces faits historiques et des milliers d'autres
que l'on pourrait recueillir déposent tout à la fois
(1) Plutarque, vie d'Alexandre, etc.
(2) Valère Maxime, i, S.
(3) S. Epiph. haeres. 37, Tbeodoret. Lib. I de hsres. Vide
Corn, a Lap. in Dan. XIV.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 355
de la vérité du serpent comme organe vivant de
séduction et de chute, et de la réalité du
dragon comme incarnation de la puissance et de
la dégradation de l'esprit infernal. Et ces récits,
les uns rigoureusement historiques, les autres
poétiquement légendaires, que nous lisons dans
la vie des Saints, et qui nous représentent les
dragons, les serpents monstrueux, ravageant des
contrées, habitant les déserts, infectant les bords
des fleuves, adorés ou redoutés comme des divi-
nités malfaisantes, écrasés sous les pieds des
saints apôtres, des évêques et des vierges, sont
appuyés de témoignages incontestables. Pline et
Philon sont explicites sur l'existence des dragons.
Lampride et Strabon ne sont pas moins affir-
matifs qu'Eusèbe et saint Augustin. L'abbé de
Vertot, nous racontant le combat du chevalier
de D. Gozon contre le monstre, crocodile ou
dragon, qui désolait l'île de Rhodes en 1332,
nous rappelle le serpent énorme que l'armée
romaine, commandée par A. Régulus, fut obli-
gée d'assiéger sur les bords du fleuve Bagrada en
Afrique ; et il cite Florus, yalère" Maxime et
Orose (1). Saint Jérôme nous raconte dans la vie
de saint Hilarion comment un énorme dragon se
jeta dans un bûcher sur l'ordre du saint soli-
taire (2), et, dans la vie de saint Paul, ermite, il
(1) Hist. des chevaliers de Malte, par Fabbé de Vertot, II,
157-164.
(2) S. Hieron. Vita S. Hiiar.
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356 SAINTE MARTHE
décrit rhippocentaure qui étonnait le désert (1).
Saint Grégoire-ie-Grand nous raconte comment
.dans son monastère le démon apparut sous la
forme d'un dragon (2).
Mais rappelons ici très-rapidement les princi-
paux textes de l'ancien et du nouveau Testament,
qui nous parlent du serpent et du dragon. C'est,
au livre de Job, le défi du Seigneur à Thomme
de prendre et de lier avec sa seule puissance le
dragon des mers, Léviathan (3). C'est le Seigneur
qui, au livre d'Isaïe, brandit son glaive sur Lévia-
than, le serpent-levier, le serpent tortueux (4).
Dans le livre des Psaumes, c'est le Seigneur qui
promet à son serviteur qu'il marchera sur l'aspic
et le basilic, qu'il foulera aux pieds le lion et le
dragon. C'est le Psalmiste qui, nous décrivant les
grandes œuvres de Dieu, nous montre le dragon,
dans la. vaste mer (5). Enfin, c'est l'Apocalypse
qui nous montre, histoire des faits passés, révé-
lation des faits à venir, le combat qu'inaugura
dans le ciel le grand dragon qui, terrassé par
Michel, fut précipité sur la terre pour y continuer
(1) Verum hoc utrum dîabolus ad terrendiim enm horoUia-
verit, an (ut solet) eremus nionstruosorum animaliam ferax
istam quoque gignat bestiam, incertum habemus, dit saint
Jérôme, dans la vie de saint Paul, ermite, racontant Tappari-
tion de rhippocentaure au saint solitaire.
(2) S. Grég. Hom. in evang. XIX. Dialog. IV, 37.
(3) Job. XL, 20.
(4) Is. XXVII, 1.
(5) Psalm. XC, 13, CIII. 26.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 357
sa lutte contre le Seigneur et contre son Christ.
Le grand dragon , Tantique serpent , qui est
appelé diable et satan (1) , voilà tous ses noms,
toutes ses figures et toutes ses transformations.
Mais surtout ce qui nous présente en un tableau
saisissant les ruses et les naensonges, la puis-
sance extra-naturelle et le terrible ascendant du
démon incarné dans le serpent, c'est le dragon
adoré dans le temple de Bel, à Babylone, et dont
Daniel nous raconte la dramatique histoire (2).
Telles sont, en quelques mots, les origines du
dragon vaincu par sainte Marthe, et les témoi-
gnages de rhistoire qui disposent notre esprit à
croire ce miracle, non comme un poétique sym-
bole ou comme une pieuse légende, mais comme
un fait très-acceptable et parfaitement établi.
Revenons donc ii la Tarasque de la vierge de
Béthanie. Nous avons donné le récit de Raban et
très-exactement traduit les détails qull nous
donne du monstre si connu sous le nom de
Tarasque. Cette forme horrible qu'il nous décrit,
est-ce une pure imagination de l'historien ? Est-
ce par tradition qu'il l'a reçue et telle qu'elle était
représentée à la façade de la grande église (du
XII* siècle), dédiée à sainte Marthe à Tarascon,
et telle enfin qu'on la promène encore à Taras-
con dans la magnifique procession qui se célèbre
le Jour de la fête de sainte Marthe ? On ne sait.
(\) Apoc. XII,3. 9.
(2) Daniel. XIVI. 22 et seq.
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358 SAINTE MÀBTHE
Nous avons cité la description que nous fait la
voyante du dragon de sainte Marthe ; elle nous
dit, en considérant de plus haut la race diaboli-
que des dragons : J'ai vu souvent des dragons-
Ils sont autrement conformés que les lézards ailés
ou les crocodile s : leur corps est plus arrondi ; il
a une croupe recourbée et quelque ressemblance
avec celui du cheval;, ils ont le cou épais sans
être court, la tête large et longue ; leur gueule
est effrayante et s'agrandit beaucoup quand elle
s'ouvre, car elle est garnie des deux côtés d'une
large peau plissée et pendante ; à la jonction des
épaules et de la poitrine sont attachées des ailes
membraneuses semblables à celles de la chauve-
souris (1). Leurs jambes ne sont pas plus grosses
qu'une jambe de vache ; la partie supérieure en
est courte ; ils ont de longues griftes et une lon-
gue queue. Lorsqu'ils volent, ils replient leurs
pieds de devant sous le ventre et étendent les
pieds de derrière. Us volent ordinairement droit
devant eux. Je les ai vus pourtant s'enlever par-
Ci) Le dragon appartient essentieUement an type reptik ;
les écailles forment seales le revêtement de la peau, comme U
Cinvient à un animal auquel on donne pour habitation tantôt
la terre^ tantôt les eaux. S'il a des ailes, ce sont invariablemeot
des ailes membraneuses nues, sans plumes, comme celles de la
chauve-souris, du poisson volant, du lézard volant. Dans la
symbolique chrétienne sur laquelle s* est moulée toute l'esthéti-
que du moyen-âge, le type reptile est la représentation da mal
Le dragon de Bergerac, étude p. M. le vicomte de Gourgae,
pp. 33, 34. Note communiquée p. M. Gh. Des Moulins.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE.
dessus de grandes forêts de cèdres. Ces animaux
ont quelque chose d'affreux, de diabolique. Je
ne les ai jamais vus en grand nombre ; je n'ai
pas vu non plus de nids où ils eussent leurs
petits. Je ne les ai vus que dans des contrées tout
à fait sauvages et désertes, au milieu de rochers
affreux et dans de grandes cavernes, quelquefois
aussi au pied de vieux arbres, ou au bord de
fleuves et de lacs solitaires. Les plus grands que
j'aie vus avaient la grosseur d'un poulain, d'autres
celle d'un porc. Ils n'attaquaient que les hommes
isolés. Je vis souvent sortir de leur gosier comme
un trait de feu qui, tombant à terre, se changeait
en une noire vapeur. Dans les temps anciens, sur-
tout avant Jésus-Christ, le règne animal produi-
sait parfois des êtres différents de ceux que nous
connaissons. Dans les temps plus rapprochés de
nous, je n'en ai vu aucun (1).
Cette dernière remarque de la voyante éclaire
toute cette généalogie des dragons, à la fois sym-
bolique et réelle. Avant Jésus-Christ, le monde,
tout entier dans lapossession de l'esprit du mal (2),
avait ses forces désordonnées dont le diable se
servait pour étonner les hommes et pour les asser-
vir, pour produire ces désordres grandioses et ces
effets prodigieux où il se faisait adorer. Le monde
devait produire ces animaux monstrueux, ces
dragons qui désolaient la terre et qui symbolî-
0) Vie de N.-S. VI. S49.353,
(f) Et mundai totos in maligi^o positas eat. I Joan. V. 19.
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360 SAINTE MARTHE
saient en même temps les énergies puissantes, mal-
faisantes et désordonnées des passions humaines,
les idolâtries obscènes et sanguinaires sous l'hor-
rible serTÎtude de Satan. De là, tous ces dragons
vaincus, enchaînés, écrasés sous les pieds des
saints, des saintes, des vierges et surtout des apA-
tres de TEvangile, des Pontifes initiateurs de la
lumière de Jésus-Christ. La Tarasque de sainte
Marthe est comme le type complet et le premier
exemplaire de ces monstres diaboliques domptés
par la puissance des Thaumaturges, symboles
vivants de Tidolâtrie vaincue par l'Evangile, des
ténèbres chassées par la lumière du soleil de jus-
tice. La Tarasque est comme la tête de procession
infernale de toute cetta suite horrible de dragons,
de serpents, de guivres, de monstres qui se tordent
et grimacent en gargouilles au bord des toits de
nos cathédrales, qui rampent dans les voussures,
aux tympans des portes et des fenêtres, sous les
pieds vainqueurs des saints calmes, nimbés et
triomphants. Un savant, Alfred Maury (1), a
compté pouT'la France, àans la légende et les
Acta sanctorum^ trente-six saints qui ont com-
battu le dragon et qu'on représente foulant aux
pieds le monstre infernal, et encore son travail est
incomplet, il en oublie plusieurs ; notre saint
(1) Essai sur les légendes da moyen-âge, savant oovnge
comme tous oeuz da savant archéologue, mais trop eudin toz
interprétations rationalistes.
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 361
Front de Périgueux, par exemple (1). Dans cer-
tains pays et dans certaines villes, le dragon
vaincu prençl un nom particulier et devient le
signe de Tidolâtrie vaincue par le christianisme,
que Ton promène pompeusement dans les pro-
cessions historiques et légendaires. Après Taras-
con qui montre et promène encore la Tarasque
vaincue par sainte Marthe, Rouen promenait la
Gargouille dont elle fut délivrée par saint
Romain^ Metz le Gaouilli vaincu par saint Clé-
ment. Paris avait aussi son dragon subjugué par
saint Marcel, Bordeaux, un monstre sembla-
ble, frappé par la verge d'un autre saint Marcel.
Périgueux nous montre encore, par sa vieille tour
de Vésone éventrée, cella d'un temple païen,
son saint Front écrasant le dragon avec son
bâton pastoral. « Enfin, au moyen-âge, on por-
tait quelquefois aux processions la figure d'un
monstre qui marchait devant la croix, pour indi-
quer le triomphe de Jésus-Christ sur les supers-
titions païennes (2). » Durand (3) et Beleth (4)
(i) Voir la Yie de saint Front, par M. Tabbé Pergot. Le
■avant auteur marque deux dragons vaincus par Tapôtre du
Périgord : celui de la tour de Vésone et celui des bords de la
Dordogne, & Saint-Front-de-Colubri, près de Lalinde. VIII-
XX. Voir pour le détail : Diction, des Légendes. Migne,
1160-1162.
(2) Paillon, mon. ined. II, 302.
(3) Ration. VI.
(4) De divin, offic 123.
21
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362 SAINTE HABTHE
nous parlent de ces processions. Au monastère de
Fleury, on portait le dragon à la procession des
Rameaux ; on le portait à Orléans ; on le porte
encore à lima, au Pérou, en la fête de saint Fran-
çois, comme on le traîne à Tarascon (1).
Du nombre incalculable de ces légendes, de
ces coutumes, de ces représentations historiques
ou symboliques, il ne faut donc pas conclure que
tous les faits rapportés par Thagiographie sont
des légendes, et tous les dragons représentés
sous les pieds des saints, des allégories. « Quel-
ques-unes de ces figures, conclut très-sagement
Tabbé Paillon, ont eu pour origine des monstres
véritables ou des animaux féroces, et il nous
semble qu'il faut mettre de ce nombre le monstre
dont nous parlons» (2). Le dragon de sainte Marthe
n'est donc pas une allégorie^ ou si, dans la suite
des siècles, la Tarasque est devenue Tallégorie
légendaire du paganisme vaincu dans la -Pro-
vence par les saints de Béthanie, dès la même,
il faut bien que ce symbolisme se rattache à la
réalité, et que Tallégorie suppose la préexistence
(1) Dict des Légendes. Ibid. Diction. d'Iconog. oh. 399-401*
Draco, effigies dràconis, qoœ cum vezillis in ecclesiasUcis pro-
ceesionibus deferri solet, quia vel diaboiusipse velhsresis deai-
gnantur, de quibus triomphât Ecclesia. Diabolos enim, ot ail
S. August. hom. XXXVI, in scrip. sanct.. leo et draco est .
leo propter impetnm, draco propter Inaidiaa. Daoufâ
Oiossar.
^ (2) Mon. ined. II, 302. Note.
1
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SA VIE, SON fllSTOlUE EÎ SON CTÎLTE. 363
d un être matériel et vivant. Du reste, la tradition
est trop unanime, trop ancienne, trop universelle,
pour que des explications raffinées ou des hypo-
thèses rationalistes puissent ébranler le récit de
Raban. Marthe est la seule des exilés de Pales-
tine et des apôtres de Provence, que Ton repré-
sente traînant avec sa ceinture le dragon vaincu
des bords du Rhône : et cependant elle ne fut
pas la seule à évangéliser cette contrée. Maximin,
Lazare et Trophime ont prêché la foi du Christ,
répandu la lumière sur la terre de Provence et
fondé des églises ; Madeleine et les deux autres
saintes Maries, Marie Jacobé et Marie Salomé, ont,
comme Marthe, rendu témoignage à Jésus-
Christ ; et cependant on ne raconte d'aucun d'eux
cette victoire sur un monstre ; aucun d'eux n'est
représenté comme Marthe enchaînant un dra-
gon (1). C'est donc un fait réel, vrai, historique ,
et laTarasque aux pieds de sainte Marthe est le
témoignage vivant d'un miracle avant d'être le
symbole populaire du triomphe de sa sainteté.
Enfin, pour achever de dégager la vérité histo-
rique du récit de Raban et de la tradition pro-
vençale, disons que dans ce récit il y a quelques
erreurs qu'il faut signaler et relever. Raban sup-
pose que le monstre dont Marthe délivra les bords
du Rhône s'appelait Tarasque, et qu'il donna
(1) Celle remarque Irès-sensée est de Paillon. Mon. H, 303,
Comment. bUt.
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364 SAINTE MARTHE
son nom au lieu même qui s^appelait Nerluc ou
bois noir et qui dès lors s'appela Tarascon. C'est
tout le contraire qui est la vérité historique.
Tarascon existait avant l'arrivée de Marthe sur
les bords du Rhône : Strabon en fait mention,
et les Acta sanctorum remarquent, pour expliquer
que Tarasque vient plutôt de Tarascon, que le
monstre a dû prendre le nom populaire du lieu
qu'il désolait et où Marthe le dompta si miracu-
leusement (1). Tarascon est un nom évidemment
grec : il porte, il est vrai, dans sa racine, la trace
ou le pressentiment de quelque prodige ou de
quelque monstre. La vierge de Béthanie devait
venir réaliser toutes ces prédictions par sa double
victoire sur la Tarasque et sur l'idolâtrie.
Et maintenant, donnons la suite du récit de
Raban qui nous fait le détail de la vie angélique
et mortifiée de Marthe. « Le désert de Tarascon
ayant été ainsi délivré par la puissance de Dieu
de tous les reptiles qui l'infestaient, la très-sainte
Marthe y choisit sa demeure : ce lieu, auparavant
redouté et détestable, elle le rendit habitable, aima-
ble et délicieux. Elle établit donc là une maison de
prière^ qu'elle s'étudia à enrichir de vertus et de
(1) Eziatimftrunt aliqui nomen habuisse ab horrendo dn-
cone regionem infestante, valgo Tarasca cogfnominato ; ast
alii (remarqae le P. Sollier) pradentius antiqaitatem nrbif
probant ex Strabone, qui ante Ghriati tempora opns soom
geographicum dédit. — Vita sanctsB Marthse ex Henr. Saarex
Acta SS. XXIX Jalii.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE.
nnracles,'plutôt que d'ornements recherchés (1).
Elle demeura là sept ans, solitaire. Toute sa nour-
riture durant ce temps fut de racines d'herbes et
de fruits des arbres, et même elle ne se croyait
permis d'user de ces aliments qu'une fois par
jour (2). Ainsi en agissait-elle envers elle-même^
mais non envers le prochain. En effet, pour que
son jeûne de chaque jour ne lui fût pas un sup-
plice inutile, et pour les personnes qui demeu-
raient avec elle une pratique pénible, s'il était
sans compatissance, se souvenant toujours de
l'hospitalité qu'elle avait exercée, elle n'était
jamais sans avoir des pauvres auxquels elle dis-
tribuait largement ce qu'on lui apportait. Les
indigents avaient toujours part à sa table ; se
réservant les herbes pour elle-même, elle leur
présentait avec sa pieuse sollicitude et sa dévotion
accoutumée les aliments qui leur étaient néces-
saires. Elle les servait avec un plus grand empres-
sement et des soins plus affectueux que si c'eût
été pour elle-même, se souvenant que Celui
(t) L'oratoire construit par sainte Marthe à Tarascon et
dans leqnej elle fut inhumée est l'église basse où Ton vénère
encore aujourd'hui son tombeau. —Note de Paillon. Mon. II>
308. Voir le chap. précédent.
(2) Vina vitans haec vivebat •» Semel die comedebat — Glan-
det^nuces quos legebat — Lympha sitim coercebat — Nuda pedet
incedebat — Genu centies flectebat — Nocte die se stringebat —
8eti8 eqni : sic vivebat — Prose pour la fôte de sainte Marthe.
MiflsaL Tiiron. 1617. Missal. Paris. 1684.
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366 SAINTE MARTHE
qu'elle recevait si souvent autrefois dans la
maison de Béthanîe, qui avait bien voulu éprou-
ver notre faim et notre soif, n'avait plus besoin
maintenant d'assistance temporelle^ et voulait être
maintenant nourri et servi dans les pauvres. Elle
se souvenait, la servante du Christ, de ce que le
Christ doit dire aux siens : Ce que vous avez fait
au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que
vous l'avez fait (1). C'est pourquoi, comme autre-
fois elle servit le Chef de l'Eglise, maintenant
elle s'applique à servir les membres du Christ.
Toujours aimable, toujours affable pour tous ; et
comme Dieu a des préférences d'amour pour celui
qui donne avec joie (2). Il vint au secours de sa
servante avec sa bonté accoutumée^ en sorte
qu'une source inépuisable de plénitude et de
richesse coulait avec abondance de ses provisions
épuisées chaque jour par sa bienfaisance et tou-
jours renouvelées sans peine pour elle. En efTet.la
dévotion des fidèles, avec une libéralité toujours
plus grande, lui apportait ses biens pour qu'elle
pût les donner avec abondance ; car avec sa
générosité innée, elle donnait avec joie. Mais les
riches eux-mêmes, elle ne les renvoyait pas les
mains vides, et ceux qui venaient en grand nom-
bre auprès d'elle en rapportaient quelque bien-
fait de l'âme ou du corps.» Ici, le pieux historien
des deux soeurs raconte les pénitences de Marthe :
(1) Matth.XXV, 40.
(2) II Cor. 11,7,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 367
Son grossier vêtement, son rudecilice de crins de
cheval sur sa chair innocente, ses pieds nus, sa
tête coiffée d'une tiare blanche de poils de cha-
meau, sa couche composée de branches d'arbres
et de sarments. Rigueurs de pénitence et de morti-
fication dont la généreuse vierge faisait ses déli-
ces pour mieux ressembler à son divin Ami, pour
s'associer avec plus d'amour à sa passion et à sa
mort, pour mieux s'unir à la pénitence de sa
sœur bien-aimée. Du reste, tous ces détails s'ac-
cordent très-bien avec les usages des Orientaux
que la colonie des disciples de Jésus apportait en
Provence, et répondent à la manière dont les
anciens pénitents des premiers siècles de l'Eglise
accomplissaient leur rude exomologèse (1). « Au
milieu de ces délices, et mille fois martyre, ajoute
Raban, la très-sainte Marthe aspirait ardemment
au ciel : son esprit, entièrement appliqué à Dieu,
s'absorbait dans les saintes oraisons et pendant
toute la nuit. Celui qu'elle^ avait vu dans sa mai-
son, humble et pauvre, les genoux saus cesse
ployés, elle l'adorait siégeant dans le ciel ; elle
allait souvent aussi dans les villes et les bour-
gades voisines, évangélisant aux peuples la foi du
Seigneur-Sauveur, et elle revenait à sa solitude,
rapportant les gerbes d'une abondante moisson
d*âmes (2) ; car, ce qu'elle enseignait par ses paro-
(1) Voir les notes savantes dont Tabbé Faillon accompagne sa
tradnction de Rnbnn. II, 310-312.
(2) Psalm. CXXV, (J.
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368 SAINTE MARTHE
les, aussitôt elle le prouvait par des prodiges et
des miracles. Par sa seule prière, en y joignant
aussi rimposition des mains, elle chassait lès
démons du corps des possédés, et par la vertu du
Saint-Esprit elle opérait toutes sortes de mira-
cles (1).»
Voilà Marthe établie à Tarascon , vivant de la
vie solitaire et pénitente, comme sa sœur Made-
leine dans son rocher de la sainte Baume. Marthe
offrait ainsi dans sa vie mortifiée un parfait
exemplaire de la vie chrétienne ; mais elle mêlait
la vie active avec la vie contemplative, car elle
avait reçu de Dieu des aptitudes et des dons, une
ferveur de zèle et une activité d'œuvres qui ne se
pouvaient contenir dans la solitude et qui devaient
se répandre au dehors pour gagner les âmes et
convertir les peuples. Elle évangélisa sans doute,
dans les environs de Tarascon, Maillane et Saint-
Gabriel, Saint-Rémi et Pernes, Beaucaire et
Avignon, qui ont gardé dans leur histoire locale
et dans leurs monuments, des traces et des souve-
nirs de Tapostolat de sainte Marthe. C'est dans
une de ses prédications qu'elle opéra le fameux
miracle de résurrection que Raban nous raconte
ainsi : « Un jour, à Avignon, cité de la province
viennoise, près des portes de la ville, en un lieu
agréable, entre les bords- du Rhône et les rem-
parts de la ville, la bienheureuse Marthe était
(1) Raban. Vie, etc., XLI.
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SA VIE, SON fflSTOIRE ET SON CULTE.
assise annonçant la parole de vie aux foules
accourues de la ville et guérissant les malades.
Or, un jeune homme qui était au-delà du Rhône,
voyant sur la rive opposée cette foule de peuple,
et voulant entendre la parole de Dieu, mais
n'ayant ni pont, ni barque pour passer le fleuve,
poussé cependant par Tavidité d'entendre la
parole et de voir les miracles de la servante du
Christ, se confiant en son habileté à nager, se
dépouilla de ses vêtements et se jeta dans le
courant du Rhône pour le traverser à la nage.
Les yeux de tous les assistants au-delà du Rhône
étaient fixés sur lui, lorsque tout à coup, arrêté
par les eaux bouillonnantes du Rhône, il s'en-
fonce et périt. Tout le peuple pousse un cri. On
loue la dévotion du jeune homme, on déplore
son infortune. Que dire de plus ^ Tout le peuple
n'a qu'un désir, une volonté, un vœu, c'est qu'on
envoie des pêcheurs avec des filets, et qu'on
cherche avec soin le corps du jeune homme, si la
miséricorde du Seigneur Jésus permet qu'on le
trouve. Le lendemain, à l'heure de None, ce corps
qu'on a cherché, qu'on a trouvé après de longues
fatigues, on le porte et on le dépose aux pieds de
la très-sainte Marthe. Toute la cité s'assemble
pour ce spectacle ; les personnes les. plus nobles
de la ville, des deux sexes, prient et supplient à
genoux la servante du Christ de leur faire voir
les merveilles du Christ-Sauveur dans la résur-
rection de ce jeune homme. Elle y consent de
grand cœur, pourvu toutefois que tous ceux qui
21.
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370 SAINTE MARTHE
sont présents donnent les mains à la foi chré-
tienne. Ils s'écrient tous d'une voix : Nous croi-
rons que le Seigneur-Sauveur est vrai fils de
Dieu et Dieu lui-même/ qui vous a choisie pour
être sa servante. A ces paroles, la bienheureuse
Marthe, transportée de joie, confiante en la bonté
et la puissance du Seigneur-Sauveur, se pros-
terne avec larmes et prie. Le peuple se prosterne
à son exemple, et, avec de grands cris entrecoupés
de sanglots, ils implorent la clémence du Dieu
tout-puissant, afi^ que, pour l'honneur et la gloire
de son nom. Il -dàîgne en ce miracle montrer sa
puissance. La prière finie, la Servante du Christ
se lève, et, s'approchant du corps : Au nom du
Seigneur Sauveur Jésus-Christ, dit-elle, lève-toi,
jeune homme, et raconte-nous les grandes choses
qu'a faites pour toi la bonté du Rédempteur.
Pourquoi plus dç paroles ? A cette voix, l'âme re-
vient à ce corps, le jeune homme revit ; et, s'étant
assis, il confesse aussitôt qu'il croit en Jésus-Christ
et il est baptisé, )ei après que le peuple a fait
éclater sa joie, oh Ib ramène sain et sauf dans sa
demeure. Ce que voyant, les peuples s'écrièrent
tous ensemble que le Christ Jésus est vrai Dieu,
et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Christ. Dès
ce moment, la renommée de Marthe, la très-sainte
servante du Christ, fut célébrée par toutes les
bouches : et tous, hommes et femmes, l'eurent en
grand amour et en singulier honneur (1).»
(1) Raban, Vie,, etc., XLII.
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SA flEj SON HISTOIRE ET SON CULTE. 371
Ce miracle, comme celui de laTarasque, raconté
par Raban avec une grande simplicité, est resté
dans rhistoire> dans la légende et dans la liturgie.
Raban ne fait ici que rapporter ce qu'il trouve et
ce qu'il sait dans les anciennes vies du v et du
VI* siècles qu'il a sous les yeux pour composer
son histoire, et qui ne sont que le naïf récit de
traditions plus antiques, recueillies de la bouche
ou tombées de la plume des disciples mêmes de
la vénérable Marthe. Tous les anciens ofQces de
sainte Marthe racontent ou chantent cette résur-
rection du jeune homme noyé dans le Rhône. —
Par vous, dit une ancienne prose en usage dans
les anciennes églises de Lyon et de Cologne,
comme d'Arles et de Marseille, par vous le ser-
pent est détruit ; par vous le jeune homme noyé
est rendu à la vie (1). Le terrible serpent qui
répandait ses ravages au bord du fleuve, elle le lie
avec une ceinture et pendant que, près du même
rivage, debout comme une divinité, elle répand la
douce parole de vie^ un enfant est submergé dans
les flots. Les populations le cherchent en pleu-
rant : après qu'on l'a trouvé et retiré des flots, elle
lui rend la vie (2). —
(1) Per te serpens est sub versas — Per te juvenis sabraerâos
— Vit» resUtuilur. — Missal. Lugd. Aarel. 1523. Colon.
Mawil. 1530.
(2) JDzta flumen — Stans at numen — Dum dat mite —
Verbum vit» -^ Infans mari mergritor.
Illum Hontes — Qusrunt flentes — Oui reperto — £t ex*
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372 SAINTE MARTHE
C'est tout le récit de Raban en strophes rimées,
courtes, claires et sonores, comme les aimait le
moyen-âge. On trouve ces miracles rappelés dans
d'autres monuments liturgiques. Ainsi, dans
Tofflce cité par le P. SoUier, dMxActasanctorum,
composé pour Téglise d'Avignon, la iv* leçon (au
jour de l'Octave) raconte le miracle de la Taras-
que, ainsi que le raconte Raban. La v« raconte la
résurrection du jeune homme noyé dans le Rhône
et l'eau changée en vin, miracle dont nous parle-
rons tout à l'heure (1). Enfin la vision, nous expo-
sant le tableau des prédications et des miracles de
la puissante Vierge, nous a raconté cette miracu-
leuse résurrection.
Le récit de la voyante, plus simple que celui
de Raban, est peut-être plus exact. Raban, com-
posant son histoire en légende, a sans doute
dramatisé le miracle qu'il raconte. Dans tous les
cas, nous avons dans tous ces tableaux de l'his-
toire, de la vision et de la liturgie, la vérité prouvée,
l'exposition complète de l'un des nombreux
miracles que le divin Sauveur accordait si libéra-
lement à sa pieuse servante. Dans cette résurrec-
tion du jeune homme noyé, Marthe se souvint de
son frère Lazare et pria avec une irrésistible fer-
tpacto — Per hano vit» redditur — Misaal. Tupon. 45i7.
Missal. Paris. 1654.
(1) Offlcium B. Marthœ virg. et hospitap Christi jaxla leges
Rom. BreviaHi iiltimt emend. auct. Clément. YIII. Avenione.
Acta SS. Die XXIX Jiil.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 373
veuT. Jésus qu'elle priait s6 souvint aussi du
frère de son amie qu'il tira du tombeau ; et mit un
tendre empressement à lui rendre la vie du jeune
homme. Que pouvait-il lui refuser? Voici un
autre de ces miracles que Marthe opérait avec
tant de libéralité pour le bien des autres \ « C'est
alors que, dans toutes les provinces des Gaules
et surtout dans les provinces de Vienne, de Nar-
bonne et des Aquitaines, une éclatante renommée
et latrès-suave odeur de singulières vertus,comme
le parfum d'un champ fécond que le Seigneur a
béni (1), attiraient tous les cœurs à la foi du Christ
et à l'amour de la servante du Christ. La très-
sainte Marthe se réjouissait, et, rendaient gr&ce
avec elle, la sœur bienheureuse que l'on doit
nommer avec un souverain respect, Marie-Made-
leine, ainsi que le directeur et le gardien de sa
lie contemplative, l'archevêque Maximin. Celui-
ci, enflammé du désir de voir et d'entretenir la
servante du Christ, vint directement de la seconde
Narbonnaise, où il habitait, en la province de
Vienne, à Tarascon. De même, l'archevêque Tro-
phime, de la cité d'Arles, et le pontife Ëutrope,
de la cité d'Orange, vinrent à Tarascon avec la
même intention et la même volonté, attirés par
le même désir, au même jour et à la même heure ;
et comme aucun d'eux ne pouvait soupçonner
l'arrivée de l'autre, cependant ils se réunirent
(1) Gen. XXV11.27.
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374 SAINTE MARTHE
ensemble par llnspiration de Dieu qui dispose
toutes choses avec suavité (1). La sainte héroïne
les reçut avec honneur, les servit avec libéralité,
et s'efforça de les retenir près d'elle» Or, le
seizième jour des calendes de janvier, qui est le
dix-septième du mois de Gasleu (selon les Juifs)
qui est appelé décembre chez les Latins, ils
dédièrent la maison de la bienheureuse Marthe,
cette maison illustrée par ses miracles, ses vertus
et sa sainte vie, comme une basilique au Seigneur-
Sauveur. Et, après la dédicace de ce temple,
lorsque les pontifes vinrent prendre le repas du
son, la très^sainte Marthe les servit avec son
admirable affection habituelle. Or, les convives
étaient nombreux et le vin venant à[manquer (2),
rhôtesse du Seigneur-Sauveur ordonna, au nom
de Jésus-Christ, de puiser de Teau et de la servir
à tous avec abondance. Lorsque les pontifes
invités au repas Teurciit goûtée, ils s'aperçurent
que cette eau était changée en un excellent vin.
En conséquence, les pontifes, par un commun
décret, établirent de célébrer ce jour tous les ans,
à cause de la dédicace de la basilique et à cause
de l'admirable changement de l'eau en vin. Après
la mort de la bienheureuse Marthe, à l'occasion
de ce miracle, la coutume s'établit qu'au jour de
la dédicace de sa maison on célébr&t aussi la fête
(!) Sap. VIII-1.
(2) Joan. II-3.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 375
de son passage et en même temps le martyre de
saint Lazare, évéque, son frère, ce que nous
voyons faire au reste jusqu'à ce jourpour le bien-
heureux Jean-Baptiste, pour les apôtres du Christ,
Jean et Jacques, Simon et Jude, et pour plusieurs
martyrs desquels on célèbre la mort, non au jour
où ils ont souffert, mais soit au jour où leurs
églises ont été dédiées, soit au jour deTinvention
de leurs reliques. Enfin les prélats, disant adieu
à la bienheureuse servante du Christ, se recom-
mandant à ses saints mérites et à ses prières, se
séparèrent d'elle, après avoir échangé avec elle
leur bénédiction (1). »
Ce dernier miracle de Marthe, comme les autres,
est célébré par l'abondante et pieuse liturgie que
le moyen-âge avait consacrée à l'apostolique vierge
de Béthanie. — Vous avez mérité la vie de votre
firère, lui dit une prose des plus célèbres et des
plus harmonieuses, en usage dans l'ancienne
liturgie de Lyon, d'Crléans, de Cologne, d'Auch,
de Marseille, d'Arles ; de l'eau vous avez fait du
vin par la divine grâce (2). — Ce miracle convenait
bien à Marthe, la pieuse hôtesse de Jésus et la
libérale économe de son Église naissante. La
générosité de sa charité hospitalière devait le
demander au divin Sauveur, qui veut bien estimer
(i) Rabin. Vie, etc. XLIII-XLIV.
(2) Vilam fratris meruisti — Aqua vinum fecisti — Per dlvi»
Dam gratiam. — MUsal. Lu^d. Massil., etc., i$23. Mon.
ined. 11-594,
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376 SAINTE MARTHE
comme fait à lui-môme ce que l'on fait au plus
petit d'entre ses frères, à plus forte raison ce que
Ton fait aux plus considérables, à ses frères les
plus chers, les évéques et les apôtres. La géné-
reuse reconnaissance de Jésus pour les soins
pieux de son hôtesse devait facilement lui accor-
der Tempire et la disposition de ses créatures,
surtout de celles qui sont le plus nécessaires pour
le large exercice de l'hospitalité.
Voilà les travaux d'apostolat, voilà les miracles
de puissance et de charité que I^arthe exerça
dans la Provence, et plus spécialement sur les
bords du Rhône, au pays de Tarascon. Toutefois,
avant de clore cette dernière partie de sa vie,
nous devons rappeler ce que nous avons dit en
passant et ce que nous devons mettre hors de
doute et en pleine lumière. Marthe ne fut pas
seulement apôtre et thaumaturge ; elle fut aussi
modèle exemplaire de virginité, initiatrice de vie
religieuse et fondatrice de communauté. En pa^
courant sa vie évangélique, nous l'avons vue avec
un caractère particulier s'exercer au ministère des
œuvres de miséricorde ; nous l'avons vue consa-
crant sa fortune et sa vie, appliquant son intelli-
gence et son activité au service de la sainte huma-
nité de Jésus, vouant au Verbe fait chair sa virgi-
nité fidèle. Elle devait fonder dans l'Église la vie
monastique, inaugurer pour le service de l'huma-
nité de Jésus, se prolongeant dans les douleurs,
les infirmités et les misères de l'homme, cette géné-
ration impérissable de vierges chrétiennes, diver-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 3T7
ses de noms, d'ordres, de congrégations et de
visages, mais unies dans le même dévouement et
pour les mêmes OBuvres, se perpétuant depuis le
foyer de Béthanie et la cellule de Tarascon jus-
qu'aux extrémités de la terre, et se multipliant,
odorante floraison de lys, admirable frondaison
de vertus et d'œuvres, dans toute TÉglise, mais
particulièrement sur le sol privilégié de notre
France. — Florete flores quasi lilium et frondete
in gratiam{i).
Rappelons d'abord ce que la vision nous mon-
tre : « Je vis sainte Marthe lorsqu'elle eut quitté
Massilia,en compagnie de Marcelle, de l'autre ser^
vante et de quelques femmes qui s'étaient atta-
chées à elle ; elle était arrivée dans une contrée
sauvage, d'un accès difflcilQ. où plusieurs femmes
païennes habitaient des cabanes adossées aux
antres des rochers. C'étaient des captives que les
gens du pays avaient enlevées, pendant une
guerre, et qu'ils avaient établies là ; elles étaient
soumises à une surveillance particulière. Marthe
et ses compagnes s'établirent dans leur voisinage;
KUes se construisirent d'abord de petites cabanes
près des leurs ; plus tard, elles bâtirent un cou-
vent et une église. L'église, au commencement,
n'avait que les quatre murs avec une toiture en
branches tressées recouvertes de gazon ; toutes
y travaillaient. Elles convertirent d'abord les
(1) Ecoti. XXIX-19.
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378 SAINTE MARTHE
captives, dont quelques-unes s'adjoignirent à elles ;
d'autres, au contraire, leur donnèrent beaucoup
de chagrins, et, par des dénonciations perfides*
attirèrent sur elles des persécutions de toute
espèce (1). » Dans le cours de son récit, Raban ne
manque pas de rappeler que Marthe ne vivait pas
seule et que plusieurs personnes vivaient avec
elle (2) : il ne les désigne pas autrement. Nous
pouvons croire qu'en outre des compagnons de
son apostolat, elle avait avec elle quelques fenames
qui l'avaient suivie de Palestine, quelques autres
qu'elle avait converties à Marseille, et qui furent
le germe de cette communauté qu'elle fonda près
de Tarascon. Quelques auteurs même prétendent
qu'elle fonda un monastère d'hommes, car on lui
attribue la fondation des hospitaliers du Saint-
Esprit (3), en même temps qu'un monastère de
femmes, pour exercer la miséricorde envers les
malades, les pauvres et les voyageurs des deux
sexes (4). La tradition est unanime à croire que
Marthe établit un couvent de femmes auprès
d'elle ; qu'elle fonda le premier monastère de
Vierges chrétiennes adonnées aux œuvres de misé-
ricorde en même temps qu'elles travaillaient sous
la direction et par l'exemple de cette grande sainte
à leur perfection religieuse. Les Acta sanctorum,
(i) Vie de N. S. J.-C. VI-349.
(2) Raban, Vie, etc., XLIV-XLVI.
(3) Hî<»mrch. Aiigust. etc. Auct. CorWn. Korein, 1719.
(4) Voir Paillon. Mon. iued. IL Comnjent. 3J9,
^
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SA VIB, BON HISTOIRE ET SON CULTE. 379
si difficiles pour reconnaître, dans les miracles
que la tradition attribue à sainte Marthe et dans
les circonstances particulières de la vie que
raconte Raban et que chante la liturgie, le carac-
tère historique, ne font pas difficulté d'admettre
ce fait de la vie conventuelle et monastique inau-
gurée par la pieuse vierge de Béthanie. Ce n'est
pas ici le lieu, dit le P. SoUier, de célébrer la
mémoire de sainte Marthe par les prodiges éton-
nants et si connus comme la Tarasque, la guérison
de Clovis. C'est assez de croire à ce qui contribue
à la gloire solide de sainte Marthe, et personne
ne doit répugner à croire que, pendant qu'elle
habitait ce lieu (de Tarascon), son premier soin,
non-seulemçnt comme hôtesse du Christ, mais
comme apôtre, fut de réunir des vierges ses sœurs
et de passer en leur société le reste de sa vie (i).
Ainsi, le P. SoUier, tout en refusant d'entrer dans
la controverse pour discuter les miracles de
sainte Marthe, est cependant un témoin de la
tradition. Il rapporte ces prodiges qu'il qualifie
(1) Huoc equidem non a miracnlis si^^nis aut a vulgatîssimis
prodigiis repetendnm eiistimo.. Draconem... Ghiodovei accès-
sam... Aliaque id genus miranda polius quam fide digna ; ea
osqoam bic vindicanda aut asserenda non suscipio. Satis sit
rébus istis acqniescero quae ad («olidam sanctae Martbs gloriam
condacunL.. Neque vero ab eo abborrere quis débet quod dum
eo loci consitteret, non solum Ghristi bospita, sed et apostola
inter primas curas de sororibus virginibus congregandis cogî-
tare cœperit, in quarum consortio reliqnam vitam exegerit.
AclaSS. XXIX Juillet. P. Sollier.
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380 SAINTE MARTHE
de plus admirables que dignes de foi certaine ;
il donne à Marthe ses titres d'hôtesse et d'apôtre
de Jésus ; il ne fait pas de difficulté de la voira
Tarascon environnée d'une communauté de vier-
ges qu'elle a réunies et qu'elle forme à ce double
ministère d'hospitalité et d'apostolat, à cette dou-
ble vie d'action et de contemplation qui est l'idéal
de perfection de la vie religieuse.
Marthe avait apporté dans la Provence, elle a
fait fleurir sur notre terre de France les premiers
germes des conseils évangéliques; mais surtout
le premier germe de la virginité qui se conservait
comme une étincelle de lumière et de pureté dans
les épaisses ténèbres du paganisme , selon la
remarque d'un pieux auteur (1), que l'ancienne
loi conservait dans les cloîtres du temple, comme
une promesse et comme un signe des innombra-
bles générations de vierges qui devaient sortir
de la cellule de Marthe (2). C'est là une tradition
appuyée des monuments les plus vénérables et
des plus fortes autorités. Nous devons rappeler le
Bréviaire romain qui résume, dans les leçons de
l'office de sainte Marthe, l'essence même de
TEvangile, de la légende et de l'histoire. — Elle se
retira dans un lieu séparé des hommes avec quel-
(1) Jam sub ipsâ romanœ Reipublicse incunabula, in densis
soperstilionum tenebris, invenire fuit Rom» virgines vestales.
Franc. Xav. Maruchanl. de Antiq. Christ. 1767.
(2) Scd ot virgines quae conclus» erant pr»currebant td
ostium, ali» autem... II Macb. II. 19, 20.
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SATIE, SON HtSTOIEE ET SON CULTE. 381
lues femmes des plus vertueuses : elle vécut ainsi
ongtemps avec une grande piété et une admi-
rable prudence (1). — C'est là ce qu'affirme la
Légende dorée \ non que nous regardions le récit
iu pîeux archevêque de Gênes, le B. Jacques de
Voragine, conune un monument d'histoire ; mais
lous le regardons comme un témoin très-véridi-
jue des traditions des premiers siècles.— Ensuite,
lit la légende dorée, ayant rassemblé une nom-
breuse communauté de sœurs et ayant édifié une
grande basilique en l'honneur de la bienheureuse
Marie toujours Vierge, elle mena là une vie très-
austère (2). — Un autre martyrologe, cité par le
P. Sellier, affirme que, dès son séjour à Marseille,
Marthe réunit autour d'elle un monastère de
vierges (3). L'histoire elle-même nous démontre
cette tradition non-seulement acceptable, mais
toute vraisemblable : car, dès le premier siècle de
l'Eglise, saint Ignace, martyr, dans sa lettre aux
Philippiens, salue avec respect le collège des vier-
ges et l'assemblée des veuves qui édifiaient cette
(1) In locum a vici» remotam oum aliqnot honestissimis
feminifl se recepit : ubi summa CDm lande pietatis et pradenti»
dio Tizit. Brev. Rom. die XXIX Jul.
(2) Deinde congregato ibidem magao sororam conventu et
«â honorem B. Mari» semper Virginie magna œdifioata Basi-
lica, 8ati0 ibi aaperam dozit vitam. Legenda, opns aar. etc.
(3) Massiliae primam consistit, ubi bio sezas collecto oœtn
vite regnlaris prima mire dédit specimina. Sanssayns in mar-
trrolAcUSS. XXIX Jul.
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382 SAINTE MABIHE
église de leurs prières, de leurs œuvres et de
leurs vertus (1). Dès le troisième siècle, avanl
même que TEglise Jouissant de sa liberté, pût îns^
taller au grand jour ses monastères de vierges,
ils étaient nombreux, néanmoins, se dérobant
à l'ombre des églises et des catacombes ; car Ba-
ronius, parlant des persécutions de l'empereui
Maximin en Tan 301 , à l'occasion de sainte Domnî
que le tyran recherchait, dont le savant AnnalisU
rapporte les actes, il dit que le scélérat fouillai
dans tous les monastères de vierges — Asceteria-
qu'il les détruisit, accablant d'outrages ces vier
ges qui ne doivent pas même, ô douleur ! êtr<
vues des yeux des hommes (2). Invoquons encon
ici la vision, affirmée par la science et autorisé
par TEglise. Pendant qu'on célébrait les solennité
de la fête de sainte Marthe, il fut nàontré à saint
Véronique de Binasco (en Lombardie) une grand
multitude de religieuses vêtues de blanc qui suî
valent immédiatement Marthe, s'avançant ave
une pompe céleste. Or, un ange dit à Véronique
(i) Nuntîonem quoque facit cœlaum hc^usmodi muliebiioi
jam primo Ghmtî saeculo S. Igoatios martyr dmn ad Pfa
lippcnses scribît hia verbis : Saluto oollegium yirginum et ca
tum viduarum — De Antiq. Christ.
(2) Scd scelerafus furebat communiter in omnia aaceteri
atque sacra quidem asceteria omnia crudeliter diroebantiu
virgines vero turpîter probris afQciebantur ; villes, pro
dolor I quas ne masculorum quidem oculis Tideri erat onqnai
olerandum. Annales^ eic, adan. 301.
dby Google
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 383
Ce sont là des femmes consacrées à Dieu dans le
monastère que Marthe a fondé pendant sa vie (1).
Arrêtons-nous là sur cette vision qui nous trans-
porte en plein ciel. Marthe, la vierge de Béthanie,
Tactive et prudente ménagère, la généreuse et
vaillante hôtesse de Jésus, Marthe a voulu laisser
sur la terre une postérité qui continuât ses
œuvres, son dévouement et son amour .pour
Jésus ; puisque Jésus a voulu résider parmi nous
jusqu'à la consommation des siècles dans la per-'
sonne des pauvres, des petits, des malades, des
infirmes, des orphelins, des vieillards, des mal-
heureux, de tous les rebuts de la nature, de tous
les abandonnés de la société. Pauperes semper
hadetis vodiscum (2). Marthe a voulu plus encore :
elle a voulu que sa maison de Béthanie se con-
tinuât permanente et se multipliât hospitalière
sur la terre et surtout dans notre patrie, et que
Jésus y pût entrer, y vînt séjourner, Jésus, l'éter-
nel pèlerin et le divin mendiant des âmes (3).
Elle a voulu que son bon Maître fût prévenu
d'hommages, accueilli de respect, environné de
service et d'amour. Elle a fondé la vie monasti-
que, on pourrait dire, pour les vierges des deux
(1) De ostensa oelcbritate sanctas Marthœ bospitae Ghristi...
DUit vero angélus Veronio» : Hae sunt femio» Deo sacrât»
moiuisterii quod MaHha vivens instituit. Acta SS. BoUaad.
Xin. Jaouar. de B. Veronica de Binasoo virg. mediol. Vita.
Ub. V, cap. 7.
(2) Joan. XI [, 8.
(3) Apoc III, 20.
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384 SAINTE MARTHE
sexes, mais, du moins pour les femmes. La pre-
mière elle a réuni, constitué, soumis à la règle
dans la vie commune, pour la prière et pour la
contemplation, pour le ministère et pour raction,
les jeunes filles, les femmes, les vierges, les
veuves, la fleur de Thumanité régénérée, Félite
exquise du dévouement et de Tamour. Elle les a
dressées à son exemple, élevées dans son vol
puissant de sainteté, consacrées par la vertu
sacerdotale de son apostolat, pour être à jamais
les servantes et les hôtesses, les sœurs et les
épouses de Jésus. C'est la gloire de notre sainte,
sa gloire perpétuée parmi nous, sa gloire parfaite
dans le ciel et spécialement dans la suite royale
du divin Agneau. Dans Fhistoire de TEglise, elle
nous apparaît ouvrant la marche de ces groupes,
de ces familles, instituts et congrégations de fem-
mes d'élite, élite de cœur, souvent d'esprit, qui
se répandent sur la terre, s'établissent sur les
sommets pour prier, expier et sauver, qui descen-
dent vers toutes les misères pour les soulager, les
guérir et les transfigurer. Dans le ciel, elle nous
apparaît comme en la vision de la B. Véronique
de Binasco, à la suite de l'Agneau, la première
après la Vierge Immaculée, suivant l'Agneau par-
tout où il va, conduisant après elle l'innom-
brable troupeau des blanches vierges, qui Ten-
vîronnent, la contemplent et là bénissent avec
allégresse comme leur sœur aînée et leur mère
vénérable. Albis induta, Martham cœlesti pompa
incedentem illico sequebantur.
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:a.\X. o^^'^t I^^xs et congre^" ^ ^ ^j j
o>^\^^çN^\èe^'''^'-fcs«U«^' Combien de i
^^''^^conduisa»' 'Vierges.;;;; Tarascon? Apre
"^ "**' APS^^*^ . \A ^«0'' - avoir converti le
L'âme <
mort i
iii^"^:^^-^-
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386 SATNTB MARTHE
dans le monastère qu'elle avait fondé ? Combien
d'années lui donna l'hôte divin pour former à la
vertu, diriger dans les œuvres de miséricorde ces
vierges, ces veuves qu'elle avait réunies autour
d'elle ? Nous aimerions le savoir. Mais les tradi-
tions, très-certaines et très-explicites sur les gran-
des lignes de la vie de notre sainte, nous laissent
dans le vague et l'incertain pour préciser des
dates et fixer des nombres. Nous avons dit ail-
leurs que Madeleine avait vécu trente ans à la
sainte Baume : c'est sans doute le nombre d'an-
nées qu'elle passa en Provence ; et le nombre
doit être vrai, tant il nous paraît vraisemblable
par tous les auteurs qui nous l'affirment et tous
les monuments qui nous l'attestent. Marthe,
venue avec sa sœur, morte peu de temps après sa
sœur, vécut donc le même temps en Provence.
Trente ans elle prêcha Jésus, elle servit Jésus,
elle démontra Jésus par sa vie, ses vertus et ses
miracles. Gomme Marthe était plus âgée que
Madeleine, étant l'aînée de la famille de Bétha-
nie, elle devait avoir un peu plus de quarante
ans lorsqu'elle aborda en Provence. Raban nous
a dépeint les deux sœurs : chacune d'elles avait
une beauté de visage noble et grave, une grande
décence de manières et dans les paroles une irré-
sistible grâce de persuasion (i). Madeleine avait
(1) Erat aatem in utrîosque earnm vultu veneranda veooi-
tas, honestas in moribus, in verbis prompUssima gniia ad
Buadendum. Raban. Vita, etc., XXXIX.
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SA VIE, SON HISrOlRE ET SON CULTE. 387
quarante ans à cette époque, Marthepouvaît avoir
quarante-deux ou quarante-trois ans. Elles
avaient conservé la distinctioiî de leur nature, la
noblesse de leur race, l'air et le charme exquis
de leur personne. Car, en même temps qu'elles
étaient de noble origine et formées par une édu-
cation où la simplicité patriarcale se mêlait à la
grâce aristocratique, leur familiarité avec le
Verbe fait chair, leur tendre amitié pour l'ineffa-
ble beauté divine qu'elles avaient vue sur la
terre et qui avait conversé avec elles (1),
avaient dû les revêtir d'un caractère idéal et
d'une surnaturelle beauté. A cet âge qui est la
maturité de la vie, qui, pour les âmes inclinées
vers le couchant et pour les visages petichés vers
l'automne, reçoit de si calmes et doux reflets du
soleil, les deux sœurs devaient conserver quel-
que chose de leur beauté native et de leur dis-
tinction de race : une beauté de lignes plutôt que
de couleur, une beauté plus immatérielle que
sensuelle. Mais la vierge de Béthanie devait con-
server de ce couchant des rayons plus abon-
dants, de cette floraison d'automne des parfums
plus pénétrants-, puisqu'elle était revêtue de ce
doux éclat et de cette angélique beauté que donne
la virginité. 0 quam pulchra est/ Oh I qu'elle est
belle la génération des âmes chastes, épanouies
dans la lumière du visage de Dieu (2) I Marthe
(1) Baruch, III, 38.
(2) Sap. IV. J,
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388 SAINTE MAUTHE
vécut ainsi de longues années de la vie monasti
que et régulière. Elle eut le temps d'informer dani
la perfection de la vie religieuse ces génération!
de vierges chrétiennes qui se succédèrent soui
son gouvernement ; elle eut le temps de les dispo
ser et de les appliquer au ministère de la charité
à rintelligence pratique des œuvres de miséri
corde. Raban nous a dit qu'elle vécut solitaire
pendant sept ans. Sedit ibi solitaria septevfi
annis. Avec tous ses travaux pour délivrer, puri-
fier, évangéliser Tarascon et les bords du Rhône,
nous pouvons compter ces sept années comme
celles de son apostolat. Ayant enfin chassé pai
la vertu de Dieu, du désert de Tarascon, toute
l'infection des reptiles, la très-sainte Marthe choi-
sit là sa demeure, et ce lieu naguère odieux et dé-
testable, elle en fit une habitation pleine de char-
me et d'amabilité (1). Nous l'avons vue véiue d'un
sac et d'un cilice, c'est-à-dire d'une robe étroiU
et grossière par-dessus une tunique de pénitence,
attachée avec une grossière ceinture de crins de
cheval, pieds nus et la tète voilée d'une tiare
blanche de poils de chameau : c'était la coiffure
des Orientaux et qui devenait le voile monasti-
que (2). Voilà tous les caractères décisifs et les
(1) Raban. Vita, etc., XLI.
(2) Vestis ejus aspera saccas et ciliciam tempore septenni,
cingulo nodoso de setis equinis... Semper nuda pedes, a]ba
tiara de pilis cameli velata caput. (Id. ibid )
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m\
SA TŒ, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 389
linéaments de l'habit religieux dans la forme, la
couleur et les habitudes austères. Quelle sainta
vie et quelle ardeur de perfection dans cette,
vierge de Béthanie, révélant aux femmes de
Provence les aimables grandeurs et les charmes
divins de la virginité I Quelle ferveur de zèle pour
le nom, la gloire et le culte du divin Maître
qu'elle avait reçu dans sa maison, qu'elle avait
contemplé de ses yeux, servi de ses mains, aimé
de toute son âme I Quel recueillement dans la
prière et l'oraison à s'entretenir avec Celui qu'elle
avait entendu avec ravissement, dont elle avait
recueilli toutes les paroles, dont elle méditait
avec amour la vie, les discours, les miracles, les
souffrances et la mort I Quelle activité calme, infa-
tigable, dans ces devoirs d'hospitalité qu'elle
exerçait en souvenir de Celui qui l'avait distin-
guée, illustrée, sanctifiée, pour être son hôtesse
pieuse et bien-aimée I Quelle perfection dans la
pratique des vertus chrétiennes et des conseils
évangélîques, et surtout dans la fidélité à ces trois
vœux qu'elle avait déjà formés à la suite de Jésus
son maître, son modèle et son Sauveur 1 Comme
à ces vœux elle donna, dans cette période dQ sa
vie et dans le monastère de Tarascon, leur forme
définitive et leur fécondité de vie surnaturelle I
Quelle pauvreté, quel détachement dans cette
grande âme, qui avait tout quitté, ses biens, son
pays, sa famille, son frère môme et sa sœur, pour
être toute à Jésus, et pour que Jésus fût tout à
elle 1 Quelle pureté virginale dans cette fille des
22.
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390 SAINTE MARTHE
rois de Syrie, qui dans son enfance avait senti
les premiers charmes de la vertu, dont le cœur si
noble s'était penché comme d'instinct, s'était
ouvert dès la première apparition du Verbe in-
carné dans sa famille, vers la lumière angélique
de l'angélique vertu I Quelle surabondante sain-
teté dans cette amie de Jésus, dont les mains
pures avaient servi le Verbe incarné, dont les
yeux si modestes l'avaient si souvent contemplé,
dont tous les sens, comme tout le cœur, avaienl
été pénétrés de la présence, du rayonnement, de
l'amitié, des préférences de grâce et de ten-
dresse, de Jésus et de Marie, de la virginité par
essence et de la vierge par excellence I
Mais il faut nous arrêter là de ces considérations ,
nécessairement un peu vagues, puisqu'elles ne
peuvent porter sur des faits et des détails histo-
riques. Disons seulement avec le pieux chanoine
et panégyriste de sainte Marthe : « Je souhaite-
rais de tout mon cœur, autant pour la consola-
tion des religieuses de notre temps et de toutes
les personnes qui font profession de vertu et de
piété dans le monde que pour la gloire de sainte
Marthe, que les heureuses filles qui vivaient sous
sa conduite eussent pris le soin de laisser à la
postérité les règles qu'elle leur avait prescrites.
Je m'assure que nous aurions à présent un si
juste modèle de la perfection chrétienne et une
idée si excellente de la vie religieuse, que Marthe
passerait dans l'Eglise de Dieu pour la fouda-
trice générale de tous les ordres religieux qui lui
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 391
servent d'appui et d'ornement. » (1) Nous pour-
rons insister plus loin en manière de conclusion
sur cette vocation religieuse de Marthe et sur
cette fonction qu'elle remplit dans TEglise nais-
sante, d'établir le premier monastère et de fonder
la vie religieuse. Nous voudrions insister en par-
ticulier sur' cette disposition à jamais bénie du
Sacré-Cœur qui donnait à la France le plus bel
exemplaire de la pureté dans la vierge de Taras-
con, en même temps qu'il lui donnait . le plus
parfait exemplaire de l'amour divin dans la péni-
tente de la sainte Baume, pour achever l'exem-
plaire complet de la femme chrétienne. Mais nous
avons maintenant à raconter les derniers moments
de la sœur de Lazare et de Madeleine.
Avant de mourir, Marthe alla saluer sa sœur
dans la solitude de la sainte Baume, ou la fit
saluer par saint Maximin : celui-ci était constitué
comme le chef spirituel de la sainte colonie, le
chef hiérarchique des apôtres de la Provence ; il
était demeuré le supérieur des deux sœurs et
comme le directeur de leur conscience. C'est
pourquoi nous voyons Madeleine visitée quel-
quefois par Maximin ; et, lorsqu'elle sut que le
dernier jour de sop exil sur la terre était arrivé,
elle vint, transportée par les anges, lui demander
la communion comme viatique vers son bien-
(1) Histoire pané^ri que de la vie de sainte Marthe, hôtesse
de .T-C, par Rostan Berlct, chanoine de Sainte-Marthe, 1650,
IV. 4, 229.
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392 SAINTE MARTHE
aimé. Maximin avait baptisé la pieuse famille de
Béthanie. C'est à lui que le divin Sauveur avait
confié cet office ; et, par là, le disciple de Jésus»
avait gardé sur les trois membres de cette famille
privilégiée et sur toute la maison une certaine
autorité de paternité spirituelle et de direction.
Enfin, c'est à Maximin que saint Pierre "aurait
confié le gouvernement de la chrétienté de Pro-
vence et des églises que les apôtres venus de la
Judée devaient y fonder. Sans toucher à la contro-
verse qui s'éleva dans les premiers siècles de
TEglise, au sujet de la primatie que Téglise
d'Arles, fondée par Trophime, prétendait exercer
sur les églises de Provence et de la Septimanie (1),
primatie qui n'atteignait pas, du reste, les églises
d'Aix, de Marseille et d'Avignon, nous pouvons
constater les relations tout à la fois hiérarchiques
et personnelles, officielles et intimes, que nous
voyons entre Maximin et les membres de la
famille de Béthanie. Ces relations tenaient à la
personne du disciple, constitué parle divin Maître,
dans une pensée de tendre prévoyance, pour le
remplacer et pour le continuer, surtout auprès
de Marthe et de Madeleine. Gomme nous compre-
•nons bien ici et comme nous admirons les déli-
catesses que le Sacré-Cœur manifestait pour les
privilégiés de Béthanie 1
Or, nous dit Raban, la bienheureuse vierge
(1 Mon. ined., etc., I, 603, etc.
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SA VIE, SON HlSTOfRB ET SON CULTE. 393
salua sa vénérable sœur' célébrée dans l'univers
tout entier, Marie-Madeleine, la priant avec ins-
tances de venir la visiter pendant qu'elle vivait
encore. Dès que larchevêque Maximin eut rap-
porté ce désir à la bienheureuse amante de Dieu,
elle salua sa sœur à son tour, lui accorda ce
qu'elle demandait, quoiqu'elle l'ait accompli,
non dans son corps, mais après qu'elle fut sortie
de son corps. D'où l'on peut comprendre que les
saints de Dieu se souviennent de ceux qu'ils
aiment, et qu'après être sortis du corps^ ils leur
rendent ce qu'ils leur ont promis, tandis qu'ils
vivaient dans leur corps (1). Nous aimons cette
réflexion de Raban ; elle a sa profondeur naïve et
sa pieuse émotion. Oh 1 oui, les saints de Dieu
se souviennent, ils aiment, ils visitent, ils protè-
gent ceux qui sont restés après eux sur la terre.
Vivant dans la lumière permanente et dans l'éter-
nel amour, comment pourraient-ils oublier et
cesser d'aimer? Nous aimons surtout ces der.
niers rapports de Marthe et de Madeleine ; cette
dernière visite, sinon par elles-mêmes, du moins
par l'intermédiaire de leur cher et vénéré père en
Jésus, l'évêque Maximin. Quels souvenirs, quelles
tendresses ! Que de vérités et de grâces échangées
entre ces grandes âmes, toutes remplies, toutes
palpitantes de l'amour de Jésus, toutes unies,
toutes imprégnées de sa présence, de sa parole,
(l) Raban, Vie, etc., XLIV.
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394 SAINTE HARTBE
de son affection ! Comme elles s'animaient à Tai-
mer, à le désirer davantage 1 Comme la dévorante
flamme de charité qu'elles avivaient encore par
leurs entretiens devait bientôt rompre les liens
de la chair et les réunir bientôt à Jésus, en Jésus,
le foyer commun de leur amour, le centre éternel
de leur béatitude 1
Vers le même temps, s'éleva dans la province
d'Aquitaine une cruelle persécution des Gentils,
et beaucoup de chrétiens furent chassés en exil.
Parmi eux, Front (i), évêque de Périgueux, et
Georges, évêque du Vélay, se retirèrent à Taras-
con, près de la bienheureuse Marthe ; et elle,
montrant sa charité, s'appliqua à les recevoir
avec bonté, avec libéralité, à les retenir avec
générosité, jusqu'à ce qu'il leur fut permis de ren-
tier dans leur propre diocèse. Enfin, lorsqu'ils
furent sur le point de rentrer dans leur église,
la servante de Dieu, leur disant le dernier adieu :
0 évêque de Périgueux, dit-elle, sachez que cette
année prochaine écoulée, je sortirai de ce corps
de mort (2). Je vous prie, si cela vous plaît, que
votre sainteté vienne pour m'ensevelir. Ma fille,
lui dit l'évêque, je serai présent à vos funérailles,
si Dieu le veut, et que je vive encore. Les pontifes
revinrent dans leur église (3), et la bienheureuse
(1 ) Haban écrit Frontinus, c'est Froato qui a prévalu.
(2) Rom. Vil, 24.
(3) Saint Georges était donc évoque comme saint Front
Tjous les premiers prédicateur de FËvangile, du reste, surtoot
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SA VIE, SON flïSTOlMÎ ET SON CULTE.
Marthe, convoquant les personnes qui vivaient
avec elle, leur prédit que le jour de son passage
viendrait aussitôt après Tannée écoulée, et dès ce
moment, étendue sur sa noble couche de sar-
ments, presque toute cette année elle fut brûlée
par la fièvre comme Tor est éprouvé dans la four-
naise (i).
Nous ne serons donc pas trop étonnés de voir
saint Front, Tapôtre et Tévéque des Pétrocores
(Périgueux), assister aux funérailles de Marthe,
puisque nous le voyons venir chercher un refjuge,
une consolation et une force auprès de la pieuse
amie de Jésus ; puisque nous voyons Marthe lui
annoncer d'avance Tépoque de sa mort et lui
demander son assistance pour le jour de ses funé-
railles... Encore ici le divin Maître ne devait rien
refuser à ses amis, surtout à Marthe, son hôtesse,
surtout à Front, un de ses premiers disciples.
Nous admettons le récit de Raban dans toute son
étendue et dans tous ses détails ; et, comme nous
le dirons bientôt, nous admettons avec Raban,
avec toutes les traditions hagiologiques et litur-
giques, les rapports de saint Front et de sainte
Marthe (2). L'apôtre des Pétrocores et premier
les foDdateara d'église, étaient revotas de la plénitude da saoer-
doce, et ron ne comprend pas comment le Propre do diocèse
de Périgueux marque la fête de saint Gteorges eonfesseur non-
pontife.
(1) Sap. III, 6, Rab. Vie, etc., XLIV.
(2) Voir la Vie de saint Front, par M. Tabbô Pergot, etc.,
XVIII-XXL
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396 SAINTE MARTHE
évoque de Vésone, venu en Occident avec la
pieuse colonie des premiers disciples et des amis
de Jésus : Front, envoyé par Pierre, comme Maxi-
min et Lazare , comme Trophime et Martial ;
Front ayant gardé pour Marthe, la généreuse
hôtesse du Maître, une affection plus tendre et
des relations plus intimes : nous admettons tout
cela, tout le prodigieux et même le miraculeux
extraordinaire des funérailles ; car nous sommes
en possession depuis des siècles de ces détails
légendaires, ou plutôt de ces faits historiques, que
nul document n'est venu démentir, que nulle
difQculté ne doit infirmer, car les plus respecta-
bles traditions de nos églises et les plus vénéra-
bles offices de notre liturgie les rappellent, les
célèbrent et les chantent (i).
Cependant, Madeleine, épuisée de désirs et de
larmes, préparée par sa pénitence et par son
amour, détachée des biens du corps, unie enfin
et pour toujours à son divin Maître, montait au
ciel, et le saint évoque Maximin embaumait son
corps et Tensevelissait dans un sépulcre de mar-
bre blanc. — « Or, pendant que ces choses se pas-
Ci) Le nom latin de Front ne fait point de difficulté: Front
a pu venir de la Palestine, comme Maximin, avec aon nom
aussi latin, comme Trophime, avec son nom grec, comiDe
Lazare ou Elzéar, avec son nom juif ou syriaque. L'Evangile
nous cite des noms de toutes les langues et de tous les pea-
ples parmi les premiers disciples (Act. VI, 5). Front pooviit
être d'une famille de prosélytes latins ou de fonctiouDaim
romains, établis en Palestine depuis la conquête.
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SA VIE^ SON HISTOIBE ET SON CULTE. 3Ô7
saient près d'Aîx, métropole de la province ecclé-
siastique, seconde Narbonnaîse, à lamême heure,
dans la province de Vienne à Tarascon, la ser-
vante du Seigneur-Sauveur, la très-sainte Marthe,
retenue au lit par la fièvre, mais appliquée aux
louanges divines, pendant qu'elle méditait les
choses du ciel, vit les chœurs des anges qui por-
taient au ciel Tâme de sa sœur Marie-Madeleine.
Ayant appelé les personnes qui l'assistaient, elle
leur rapporta ce qu'elle avait vu, les invitant à la
féliciter. ; et elle s'écria disant : 0 ma très-belle et
heureuse sœur, qu'as-tu fait ? Pourquoi, comme
tu me l'avais promis et tu me l'avais fait dire, ne
m'as-tu pas visitée ? Ainsi, sans moi, tu jouis des
embrassements du Seigneur Jésus qui nous a
tant aimés, nous qui l'aimions tant? Je te suivrai
partout où tu iras. Mais toi, cependant, vis de la
vie éternelle, sois heureuse à jamais, et n'oublie
pas celle qui ne peut t'oublier (i). Réjouie par
cette vision, la sainte héroïne désirait avec plus
d'ardeur encore de rompre les liens de la chair
pour être avec le Christ (2) ; supportant avec
peine de demeurer plus longtemps dans la chair
(1) Qaod fratribus et sororibus patefecit dieens : 0 pul-
eherrima, felix et mea dilecta soror, non attendisti quod mibi
▼ovisli, at me visitares. Vivascum magistro et vero Hospite nos-
tro in sede beata. Brev. Eduense. An. 1550. Oflici. Sanctae
Martbae. Haec vîdentar ex Habano desumpia fuisse, aut saltem
ex vetcri instrumeDto quo usud est Habanus. Note de Paillon.
Mon. ined. II, 552.
(2) Philip. 1, 23.
23
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398 SAINTE MARTHE
et d'être privée de la société de sa sœur et des
angesqu'elle avait vus,mais sachant qu'elle quitte-
rait bientôt la terre, elle avertit les fidèles, elle les
enseigne et les fortifie. Lors donc que le bruit se
fut répandu que la servante de Dieu passerait
bientôt de ce monde, une grande multitude de fidè-
les se réunit et ils demeurèrent avec elle jusqu'à
ce qu'elle fut ensevelie, dressant des tentes dans
les bois et allumant des feux de toutes parts (1).
Tels sont les pressentiments de la mort de
Marthe et les premiers appels de Jésus à cette
sainte âme pour lïnviter au festin royal des noces
éternelles. Sa sœur la précède et lui ouvre la voie ;
les anges l'invitent au nom de Jésus impatient
d'acquitter sa dette d'hospitalité. Madeleine doit
précéder Marthe : la pénitence et la contempla-
tion doivent plus vite user la vie et corroder les
liens de la chair, que l'action et la prière. Celle
qui a beaucoup aimé s'en va la première recevoir
la récompense de Tamour ; mais celle qui a beau-
coup servi doit la suivre bientôt pour recevoir la
même récompense à titre de salaire. Avrntde
mourir, Marthe a vu l'âme de Madeleine monter
au ciel, comme saint Antoine a vu l'âme de saint
Paul, premier ermite, emportée par les anges ;
comme saint Benoît a vu l'âme de Scolastique sa
sœur s'envoler au ciel comme une colombe en
plein essor ; comme sainte Thérèse a vu l'âme de
saint Pierre d'Alcantara entraînée au ciel par un
(1) Haban. Vie, elc. XLVI.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 399
torrent de lumière. Cette faveur, accordée à tant de
saints, de voir Târae qu'ils avaient aimée sur la
terre d'une affection plus ardente et plus pure,
monter au ciel et les entraînant après elle,
Marthe devait en jouir avant les autres : elle avait
tant aimé sa sœur I elle l'avait ramenée à Jésus
par tant de larmes et de prières 1 En se séparant
d'elle pour vaquer aux œuvres de miséricorde,
aux exercices de la vie régulière et pour la laisser
vaquer aux œuvres de pénitence et de contempla-
tion, elle avait fait un si grand sacrifice I Ces deux
âmes si aimantes, si aimées, où les torrents de
la grâce avaient exalté, sanctifié les sentiments de
la nature et les dispositions de nobles cœurs,
(levaient se révéler Tune à l'autre et se faire signe
pour monter au ciel bien vite l'une après l'autre.
C'est donc avec une pieuse et tendre émotion que
nous entendons Marthe dévorée de la fièvre, plus
dévorée encore du désir de voir Dieu, s'écrier en
voyant Madeleine montant au ciel : Partout où tu
iras, j'irai ; là où tu demeureras, je demeurerai ;
ton peuple sera mon peuple ; et ton Dieu mon
Dieu (1).
Or donc, le soir du septième jour qui suivit
cette Vision, Marthe ordonna d'allumer sept
cierges et trois lampes, et de prier avec elle. Et
vers le milieu de la nuit, les personnes qui veil-
laient avec elle, accablées d'un lourd sommeil,
s^endormirenrt. Alors un tourbillon impétueux se
(t) Rnth. I, 16.
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400 SAINTE MARTHE
précipita avec un vent violent, et U éteignit les
cierges et les lampes. La servante du Christ, en
comprenant la cause, ût le signe de la croix, et
pria contre les embûches des démons. Ensuite
elle éveilla les personnes qui la gardaient et les
pria de rallumer ses luminaires. Aussitôt elles se
hâtèrent. Mais comme elles tardaient à revenir,
voici qu'une lumière descendue du ciel brilla
tout à coup, et, dans la lumière même, Marie-
Madeleine, Tapôtre du Christ Seigneur Sauveur,
apparut portant à la main droite un flambeau
allumé. Aussitôt, avec- la céleste lumière, elle
alluma les sept cierges et les trois lampes éteintes.
Ensuite, s'approchant de la couche où reposait
sa sœur : Salut, dit-elle, ma sainte sœur. Et lors-
que sa sœur Teût saluée à son tour : Voici, dit-
elle, comme tu me Tavais mandé par le bienheu-
reux pontife Maximin, que je te visite dans ton
corps pendant que tu vis encore ; mais voilà ton
bien- aimé le Seigneur Sauveur qui vient pour te
rappeler de cette vallée de misères, comme avant
mon passage il m'est apparu pour me faire entrer
dans le palais de sa gloire. Viens donc et ne tarde
pas. Elle dit, et s'empresse avec joie d'aller au-
devant du Seigneur qui entre et qui, s'approchant
du lit, regarde Marthe d'un visage très-doux, lui
dit : Celui que tu as servi en lui consacrant tes
biens, Celui à qui tu as donné si souvent une a
aimable hospitalité^ Celui à qui tu as prodigué
tes soins, à moi et à mes membres après ma pas-
sion, me voici. C'est moi à qui tu as dit humble
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SA VIE, SON HlSTOmB ET SON CULTE. 401
ment prosternée : Je crois que vous êtes le Christ
flls du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde (d).
Viens donc, mon hôtesse ; viens de Texil ; viens
recevoir la couronne (2). Elle, entendant ces paro-
les, s^efforçait de se soulever et voulait suivre
incontinent le Sauveur. Attends, lui dit le Sau-
veur, parce que je vais te préparer une place, et
je viendrai de nouveau, et je te prendrai avec
moi, afin que là où je suis, tu sois aussi avec
moi (3). Il dit et disparut. Sa sainte sœur Marie
disparut aussi ; mais la lumière resta qui était
apparue avec eux. Et lorsque les personnes qui
étaient sorties revinrent, elles trouvèrent les
luminaires qu'elles avaient laissés éteints brillant
d'un éclat inaccoutumé ; et elles furent remplies
d'admiration (4).
, N'est-ce pas une scène auguste et charmante
que ces lumières qui éclairent la couche virgi-
nale de Marthe, ces trois lampes, image des trois
vertus théologales , ces sept cierges, image des
sept dons du Saint-Esprit : vertus si parfaites
dans cette sainte àme, dons si merveilleusement
féconds dans cette prodigieuse vie de vierge,
d'hôtesse et de servante de Jésus ? C'est la scène
évangélique des vierges sages qui se reproduit
et pour ainsi dire se joue dramatiquement autour
(i) Joan. XI, 27.
(2) Caot. IV, 8.
(3) Joan. XIV, 2-4.
(4) Raban. Vie, etc., XLVII.
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402 SAINTE MARTHE
de la couche et dans la cellule de Marthe. N'est-
ce pas un tableau plein de suavité céleste et de
divine poésie que cette apparition de Madeleine
dans un flot de lumière descendue du ciel, qui
vient pour rallumer les luminaires éteints par la
malice de Satan, toujours prêt à troubler les der-
niers moments des serviteurs de Dieu? Madeleine,
dans sa gloire et son amour, qui n'a pas oublié
sa sœur, vient lui porter la lumière qui ne s'é-
teindra pas : douce aurore qui vient annoncer et
précéder le lever de l'astre adorable et bien-aimé,
Jésus, leur hôte et leur ami. Puis, cette appari-
tion de Jésus qui se révèle en rappelant les plus
aimables et les plus divins souvenirs de la vie
de Béthanie ; et qui vient chercher lui-même celle
qui le pressait avec tant d'instance pendant sa vie
mortelle, d'accepter sa généreuse hospitalitéj
puis ces luminaires rallumés, qui brillent d'un
éclat céleste, et qui ne s'éteindront plus jusqu'à
lamort de Marthe, jusqu'à son entrée dans l'éter-
nelle lumière de la gloire : voilà une scène, un
récit, un tableau, qui égalent et dépassent les
plus merveilleuses légendes, ces légendes dignes
du pinceau préraphaélique des maîtres ombriens,
qui rayonnent autour du lit de mort et du tom-
beau des saints.
* Le docte Faillon semble ne voir qu'une allégo-
rie dans cette scène, et tout au plus une légende,
comme on les composait au moyen-âge (1). Raban
(i) Mon. Ined., II, 327-328. Note,
-VTl
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 403
n'a point inventé cette scène. Nous la trouvons
aussi dans la légende dorée, avec les mêmes
détails et les mêmes circonstances qui cependant
ne sont pas copiées de Raban. On dirait que les
deux auteurs, Tarchevêque de Mayence et Tar-
chevêque de Gênes, ont écrit sur les mêmes docu-
ments et sous le coup des mêmes traditions (1).
Si la légende a de plus longs discours, la vie a
plus de détails précis et caractéristiques. Mais ces
apparitions qui se pressent aux derniers moments
de la vierge de Béthanie sont vraies : elles ont le
caractère et Tintime persuasion de la vérité. Ce
qui est raconté de tant de saints et de saintes, ce
que saint Grégoire raconte dans ses Dialogues
avec tant de détails et comme témoin fidèle, Jésus
le devait accorder libéralement aux deux sœurs,
si aimantes, si aimées ; et la liturgie de nos égli-
ses du moyen âge, dont la poésie enchâsse si
dévotement la vie et les miracles de nos saints,
ne manque pas ici de répéter les traits principaux
de cette scène admirable (2).
(t) B.Martba finem suum prωentiens suos admontiit ut
liiminaribus aijcensis ciroà se usque ad obitum vigilarent.
Nocte vepo mediâante transUûs sui diem ciistodibus somno
gravatiî}, vcntus vehemcns irruit et luminaria cuncla extinxit.
nia vero malignorum spiritaum turbam cernens orare cœpil...
Et ecce sororem ad se venientem vidit, quse manu faccm
teneos caereos et lampades inde acccadlt, dûmquo altéra alte-
ram proprio nomine vocarot, ecce Cbristus advenit dicens...
Legenda opus aur., etc.
(2j Mnrtha prcce sollicita — Somno loppentea excita — Ne
bora nos aolicipct — Qua sponsus Cbristus venerit — (Hym,
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404 SAINTE MARTHE
Mais continuons : Marthe ne peut plus rester sur
la terre après que sa sœur et son Sauveur lui sont
apparus dans la lumière de la gloire. — « Dès
que le jour parut^ elle se fit porter au dehors, en
plein air, car toute hâte lui semblait bien lente,
et cette matinée lui paraissait longue de mille
ans. On étend de la paille sous un arbre touffu,
sur la paille, un cilice, sur lequel on trace une
croix avec de la cendre. Et pendant que le soleil
se lève, on porte la servante du Christ, on la
dépose sur la cendre, et à sa demande on dresse
devant ses yeux limage du Sauveur crucifié. Là,
après un moment de repos, regardant la multitude
des fidèles, elle Jeur demande de hâter par leurs
prières le moment de son passage, et comme ils
pleuraient abondamment, elle, élevant les yeux
au ciel : 0 mon Dieu, dit-elle, pourquoi. Sei-
gneur Sauveur, tardez-votis encore? Quand
viendrai-je et apparaîtrai-je devant votre face ? (1)
Depuis qu'au point du jour vous m'avez parlé,
mon âme -s'est liquéfiée (2) dès ce moment du
désir de vous voir. Tous mes membres se roidis-
sent, mes nerfs se paralysent, mes os et mes
moelles se dessèchent. Toutes mes entrailles se
consument. Ne me confondez pas. Seigneur, en
Brev. Eccles. Grass.) Sororem vidît scandere — Cnin aoî^elis
insethere— Cum quibus cœlos pénétrât — Nobisque vitam
impetrat (ibid). Mortom suam baic prsB^civit. . • Ut supra.
(1) Psal. XII, 3.
(2) Cant. V, 6.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 405
me faisant attendre ; mon Dieu ne tardez pas (1).
Pendant qu'elle priait et méditait ainsi, il lui vint
à l'esprit qu'elle avait vu un jour conunent le
Christ, à la neuvième heure du jour^ avait expiré
sur la Croix ; et qu'elle avait apporté avec elle de
Jérusalem, Thistoire de la passion du Christ,
écrite en hébreu. Ayant appelé saint Parménas,
elle le pria de l'apporter et de la lire devant elle,
afin de tempérer au moins ainsi l'ennui de son
attente. En effet, son espérance ne fut pas trom-
pée, car, entendant lire dans sa propre langue, le
récit des supplices qu'elle avait vus souffrir à son
bien aimé, la compassion lui tirant des larmes,
elle se mit à pleurer ; et, oubliant en ce moment
son exil, elle fixa toute son attention sur le récit
de la passion jusqu'à cet endroit où il est dit que
le Christ remettant son esprit aux mains du Père,
rendit l'Esprit ; elle poussa un grand soupir et
expira (2). Or, elle s'endormit dans le Seigneur
le quatre des calendes d'août, le huitième jour
après le passage de sa sœur^ sainte Marie-Made-
leine, la sixième férié, à la neuvième heure du
jour, la soixante-cinquième année de son âge (3). »
Ce beau récit de la mort de Marthe, ce récit
plein de calme grandeur et de simplicité, nous
l'accompagnerons de deux remarques sûr la lec-
ture que Parménas fit à notre sainte et sur l'Age
(1) Psal. XXXIX, etc.
(2) Luc. XXIII, 46.
(3) Raban. Vie, etc., XLVIII.
23.
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406 SAINTE MABTHE
OÙ elle mourut. Plusieurs historiens de sainte
Marthe, comnae Vincent de Beauvais, supposent
que le récit de la passion dont il s^agit dans la
me de Raban était tiré de TEvangile selon saint
Luc : sans doute parce que Raban se sert des
expressions mêmes de saint Luc racontant les
derniers moments du Sauveur, pour nous racon-
ter le dernier soupir de sa servante. Cette raison
nous semble peu solide et cette opinion ne se sou-
tient guère. En effet, Raban dit formellement que
le récit de la passion de Jésus que Marthe se fit
lire à ces derniers moments,était en langue hébraï-
que': ce qui ne peut convenir à TEvangile de
saint Luc écrit en grec : et ce qui conviendrait
mieux à TEvangile de saint Mathieu, écrit> dit-on,
en hébreu, ou mieux en syriaque, langue que
parlaient les Juifs à cette époque. Mais nous
serons plus près de la vérité, en disant avec Pail-
lon : — « Ce pouvait être quelqu'un des écrits
que les premiers chrétiens composèrent pour leur
édification (1)». Ce récit, Marthe l'aurait apporté
de Judée ou même l'aurait dicté à Parménas pour
' le conserver plus vivant et plus consolant dans
son exil. Quant à l'âge que Raban donne à Marthe
au moment de sa mort, il ne nous semble ni cer-
(I) Mon. iaed. II. 329. Nota. Que l'on se rappelle le pre«
miep verset de la préface de saint Luc en son évangile : Quo-
niam quîdem multi conati sunt ordinare narrationem rerum
quœ in nobis complétas sunt... Ces récits fragmentaires du
seraient fondus et auraient disparu dans l'oBUvre inspirée des
évangiles canoniques.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 407
tain ui vraisemblable, si Ton croit, comme la plu-
part des auteurs le rapportent et comme les meil-
leures traditions l'assurent, que la famille de
Béthanie et ses amis ne quittèrent la Judée et
n'abordèrent en Provence que la quatorzième
année après Tascension de Jésus-Christ, deux ans
après la dispersion des apôtres. Or, puisque
Marthe était Tainée de la famille de Béthanie,
puisqu'il est vrai que Madeleine resta trente ans
dans sa solitude de la sainte Baume et qu'elle
mourut quelques jours avant sa sœur, il suit
que Marthe, à l'époque de sa mort, devait avoir
huit ou dix ans de plus que ne lui donne Raban.
Mais qu'importe? Cette grande âme dut mourir
d'amour plutôt que de vieillesse ; à force de pous-
ser vers le ciel son ardent soupir d'amour, son :
Cupio dissolvi et esse cura Christo (1). Elle dut
hâter le moment de la délivrance ; et lorsque
Madeleine, du haut de la sainte Baume, eut pris
son essor vers le ciel, rien ne pouvait retenir
Marthe. Les deux sœurs unies dans la vie, et dans
l'amour de Jésus, ne devaient plus rester long-
temps séparées dans la récompense et dans la
gloire.
A peine Marthe eut-elle expiré sur son humble
couche de pénitence, que son corps, sa dépouille
sacrée, devint l'objet des soins pieux, du culte de
douleur et de vénération des personnes qui l'eij-
(1) PUilipp. I. 23.
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408 SAINTE MARTHE
vironnaîent à ces derniers moments et qui étaient
ses plus intimes disciples. Nous reprenons ici le
récit de Raban qui va nous raconter les merveilles
de ces funérailles triomphantes. — « Son corps
embaumé dignement, enveloppé avec honneur, fut
transporté dans sa propre église, par ses compa-
gnons qui étaient venus avec elle d'Orient, et jus-
qu'à ce jour étaient demeurés constamment avec
elle à savoir : saint Parménas et Germain et So-
thènes, et Epaphras qui avaient été les compa-
gnons de saint Trophime, archevêque d'Arles, et
Marcelle, sa servante, avec Evodie et Syntique (1).
Ces sept personnes consacrèrent trois jours et
trois nuits à célébrer ses funérailles avec une
multitude de peuples accourus de toutes parts, et
qui, jusqu'au troisième jour, autour du saint
corps, veillaient en chantant les louanges de Dieu,
ayant allumé des cierges dans l'église^ des lampes
dans les maisons et des feux dans les bois (2). »
Si le pieux historien de sainte Marthe a pieuse-
(1) Les compagnons de sainte Marthe, gui eum eu ah Orienk
venerunt, et usquein diemiUum et perseverarfer adhœarwU:
devinrent évidemment ses disciples > elle imposa sans doute
une rè^le de vie et une discipline de perfection aux boiDines
comme aux femmes. Marthe serait ainsi pour les deux sexes
rinHiitrice de la vie monastique. C'est, en effet, par h Pro-
vence, par Cassien de Marseille et Honorât de Lérins, que la vie
monastique a commencé dans notre France pour l'assainir, li
défricher, la convertir, pour la conquérir bu Christ et à ia civi*
lisalion chrétienne.
(2/ Raban. Vie etc,XLVI II.
I
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 409
ment inventé et composé les détails des funé-
railles de sainte Marthe, il s'est merveilleusement
rencontré^ avec la vérité de l'histoire et la pratique
des premiers siècles. C'est, ei effet, ainsi que se
célébraient les funérailles des premiers chrétiens,
comme le remarque FaîUon avec sa forte et sin-
cère érudition (1). C'est ainsi qu'à la mort de
saint Etienne, le livre des Actes nous rappelle
que les chrétiens firent sur lui un grand deuil,
planctum magnum [2]. C'est ainsi qu'après la
mort de la sainte veuve Tabithe à Joppé, on
exposa son corps pendant trois, jours (3). Les
constitutions apostoliques ordonnent que les
morts, après avoir été embaumés, ne soient ense-
velis que le troisième jour, avec des psaumes, des
prières et des leçons, à cause de celui qui le troi-
sième jour est ressuscité des morts (4). C'est ainsi
qu'aux obsèques de saint Cyprien de Carthage,
on alluma des cierges et des torches au milieu
d'un concours et d'un appareil qui faisaient un
(f)Mon. ineJ. II. 33i. 334. Notes. Voir aiis^i Diction, des
Ant. cbrét. L'abbé Martigny. Passion, Ensevellssemen t. Sépul-
lurei», etc.
(2) Act. Vin. 2.
(3) Act. IX. .37.
(4) Unguentis pricus delibnta cadavera duorum vel tpium
dieriim spatio insepiilta lemanere consuevenint ; quo tempore
fidèles peoes ipsa sacras bymnodias constanter Deum laiida-
bani... in const. Apost. Lib. VI II. 42. legitur : ExsequisB
mortuoram flant tertio die adbibitis psalmis, prccibus et lec-
tioDibus proplcr eum qui tertio die a mortuis suscitatus est
Franc. Xav. Marn:ban de Ant. Cbfist. rit. sepuU.
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410 SAINTE MARTHE
irioraphc de ses funérailles. Nous savons par
saint Grégoire de Nysse (1), que le peuple assis-
tait en foule aux funérailles : il décrit la pompe
funèbre de sa sœur Macrine, où assistaient, outre
les prêtres et les clercs, les moines, les religieuses
et le peuple tout entier. Ce qui est certain, c'est
que jamais les funérailles ne se faisaient sans la
présence des prêtres, comme cela eut lieu en par-
ticulier à celles de sainte Paule, où Ton vit de
nombreux évêques portant des flambeaux et chan-
tant allernativement des psaumes en hébreu, en
grec, en latin et en syriaque (2). Ces remarques
suffiront pour autoriser le récit de Raban, aussi
véridique en ce point, que nous pouvons appuyer
des monuments de Tantiquité ecclésiastique ,
qu'en d'autres détails que nous ne pouvons aussi
directement justifier, mais qui n'en sont pas
moins dignes de respect et de foi. D'ailleurs, ne
nous lassons pas de répéter et continuons de
nous souvenir, que Raban rédigeait son histoire
sur une vie du v° siècle et sur des traditions, anti-
ques, même de son temps.
Et maintenant continuons avec notre auteur de
racoFxter les funérailles solennelles de la vierge
de Tarascon, en nous attachant à la circonstance
(1) Epist. ad Olymp.
(2) S. Hieron. Epist. de epitaph. sanctae Paulae. L'abbé
Marfigny. Diction., etc. jadis les trois jours qui précédaient les
funérailles étaient cor.sacrés à des prières continuelles qu'of-
fraient près du corps, dans le cimetière, le clergé, les parents et
la mastse du peuple ctirélien. Ibid,
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SA VJE, SON HISTOIRE BT SON CULTE. 411
la plus merveilleuse de cette admirable déposi-
tion. « Or, le jour du sabbat, on lui prépara une
sépulture insigne dans sa propre basilique que
les évêques (Maximin d'Aix, Front de Périgueux
et Georges du Vélay) avaient dédiée ; et le jour du
dimanche, à la troisième heure du jour, tous
étaient rassemblés afin de donner au saint corps
une sépulture convenable. C'était la veille des
calendes d'août. Mais voici qu'à la même heure,
à Périgueux ville d'Aquitaine, au moment où le
saint pontife Front allait célébrer la messe, et
qu'en attendant le peuple, il s'était endormi dans
sa chaire, le Christ lui apparut et lui dit : mon
fils, viens remplir la promesse que tu as faite
d'assister aux obsèques de Marthe mon hôtesse. Il
dit, et aussitôt, en un clin-d'œil, ils apparurent à
Tarascon, tenant des livres à la main, dans l'Eglise,
le Christ à la tète et le pontife aux pieds du saint
corps ; ils le placèrent eux-mêmes dans le mau-
solée, à l'admiration de tous ceux qui étaient
présents. Ils sortent après avoir accompli les funé-
railles ; un des clercs les suit et demande au sei-
gneur qui il était et d'où il était venu. Le Sei-
gneur ne lui répondit rien, mais lui donna le livre
qu'il tenait. Le clerc revint au sépulcre, montra le
livre à tout le monde, et à chaque page, il vit :
éternelle sera la mémoire de Marthe, hôtesse du
Seigneur ; elle n'aura rien à craindre des langues
méchantes (1). Le livre ne contenait pas autre
(1) Pros. CXL 7.)
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412 SAINTE MARTHE
chose. Cependant à Périgueux, le lévite (le diacre)
réveillait le pontife,lui disant tout bas: queTheure
du sacrifice était passée, que le peuple se fatiguait
d'attendre. Alors le prélat s'adressant au peuple :
ne vous troublez pas, dit-il, et ne soyez pas en-
nuyés d'avoir tant attendu ; car à l'instant j'ai été
ravi en esprit, soit dans mon corps, soit hors de
mon corps, je ne sais , Dieu le sait (1), jusqu'à
Tarascon, pour ensevelir avec le Seigneur Sau-
veur, la très sainte Marthe, sa servante, comme je
le lui avais promis pendant sa vie. Envoyez donc
quelqu'un qui me rapporte notre anneau et dos
gants que j'ai déposés entre les mains du sacriste,
pendant que je plaçais le saint corps dans le
mausolée. Le peuple entendant ces paroles est
dans l'admiration. On envoie des messagers à
Tarascon. Les habitants de Tarascon écrivent aux
habitants de Périgueux, pour leur marquer le
jour et l'heure de la sépulture de Marthe qu'ils
ignoraient et qu'avec leur pontife qu'ils connais-
saient bien, un vénérable personnage avait assisté
à ces obsèques : ils parlaient aussi d'un livre et du
contenu de ce livre, en cas que cela ne fut pas
connu de l'évèque : et ils renvoyèrent l'anneau
qui avait été remis au sacriste, avec l'un des
gants ; mais ils gardèrent l'autre en témoignage
d'un si grand miracle (2). »
(1)11. Ck)r. XII. 2.3.
(3) Raban. vie elc, XLIX
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SA VIB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 413
C'est en ces termes que Raban raconte simple-
ment, sans discussion, comme un fait incontes-
table et incontesté, le grand miracle de Tenseve-
lissement de Marthe par son bote divin assisté
par saint Front et de la double présence simulta-
née du saint apôtre du Périgord, à Pérîgueux
dans son église et à Tarascon près de sainte
Marthe. La légende dorée qui rapporte le même
miracle et qui semble s'être renseignée aux mêmes
sources que Raban, en prenant même quelques-
unes de ses expressions, ajoute quelques détails,
et change de place quelques circonstances. Ainsi
le B. Front, célébrait déjà la messe : après Tépitre,
assis sur son siège, pendant que le chœur chan-
tait le Graduel et que le diacre se préparait à
chanter TEvangile, il s'était endormi. N. S. et saint
Front, arrivés à Tarascon, chantent tout l'office
auprès du corps de sainte Marthe (1). C'est le
diacre qui vient éveiller le pontife, afin de lui
demander la bénédiction pour chanter l'Evangile:
et le pontife étant éveillé raconte au peuple ce
qu'il vient de faire, la sépulture qu'il vient de
donner à sainte Marthe avecN. S. ; puisilraconte
aussi lui-même la circonstance du livre donné
par le Seigneur au clerc qui l'interrogeait, lequel
portait écrit sur chacun de ses feuillets, le magni-
fique témoignage de la sainteté de Marthe et du
(1) Circà corpus ejus psallentes totum oflicium ambo cœteris
respondentibus pergerunt et corpus ejus in sepulcro luis mani-
bus collocaTerunt. Leg.
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414 SAINTE MARTHE
culte glorieux dont Jésus a voulu décorer son
hôtesse et son amie. Evidemment, Jacques de Vo-
ragine, dans son récit n'a pas voulu copier le récit
de Raban : peut-être a-t-il chois^i parmi les tradi-
tions diverses du miracle, ce qui s'éloignait du
récit de Raban, pour donner à sa rédaction hagio-
graphique un caractère d'originalité. Dans tous
les cas, nous avons deux versions du même mira-
cle, deux récits de la même mort et des mêmes
funérailles, et dont les différences ppouvent mieux
qu'une identité de rédaction, la croyance des peu-
ples et l'autorité des traditions.
Est-il nécessaire maintenant, est-il du moins
utile d'insister sur ce double miracle dont il plut
au divin Sauveur d'illustrer les funérailles de la
sœur de Lazare et de Madeleine ? Faut-il surtout
démontrer la convenance de la présence de Jésus
ensevelissant de ses propres mains le corps de sa
servante, pendant qu'il introduit son âme dans
les splendeurs de la gloire ? Nous n'aurions qu'à
citer un passage des monuments liturgiques du
moyen-âge en l'honneur de sainte Marthe :— Dece
qu'il daigne être présent à ses funérailles comme
par un droit d'hospitalité, car il voulut comme
hôte être présent à sa mort, comme à la vie de
son hôtesse ; il nous montre par là qu'elle est
grande et noble cette vertu d'hospitalité qui mé-
rita de recevoir cet hôte divin (1). — Cette raison
(J/ Ipsîus se sepuKurae — Ilospitali quodam jure — Quod
4igQatur juQgero — l|ospes sua ia bospita — Dum ia morte,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 415
suffît, ce nous semble, pour justifier l'étonnante
présence de Jésus aux funérailles de Marthe. Ce
que le divin Maître a daigné faire pour plusieurs
de ses serviteurs, ce que racontent les saintes
histoires et ce qull serait au moins téméraire de
contester pour tant d'autres saints, comment le
divin ami ne Fauraît-il pas fait pour cette géné-
reuse amie ? comment ce doux hôte, si pieuse-
ment accueilli, ne l'aurait-il pas fait d'abord pour
rhôtesse qu'il voulait honorer ? D'ailleurs, il y a
trop de monuments qui l'attestent, trop de litur-
gies qui la chantent, trop de traditions qui la
racontent, cette divine présence del'ami deBétha-
nie, pour que nous en doutions un seul instant,
et pour qu'on n'y voie qu'une symbolique légen-
de. « Elle est attestée, dit Paillon, par la liturgie
des églises de Provence, entr'autres par celles
d'Aix, d'Apt, d'Arles, de Marseille, et même par
celles de Lyon, d'Orléans, d'Auch, de Tours, de
Paris, de diverses églises étrangères, celles de
Cologne, de Constance, par celle des Domini-
cains et de divers autres ordres ; elle est le sujet
de plusieurs morceaux de sculpture (2) ». Et nous
la retenons, nous la croyons comme la plus tendre
et la plus glorieuse expression de la reconnais-
sance de Jésus pour la vierge de Béthanie, en
même temps comnae une marque de la spéciale
dom in vitâ — Prœsens esse voluit — Oslendit quae, quanta,
qualis — Virtus essel hospitalis — Quas quantum ppomeruit —
Missal. Const.
(1) Mon. iaod. II; 336. Noto 4e FaÂllpn,
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416 SAINTE MARTHE
bienveillance du Christ qui aime les Francs, et
qui voulut ensevelir de ses mains de fils de Dieu,
dans notre terre de France, les chères reliques
de son hôtesse et de son amie.
Quant à la présence de saint Front à ces funé-
raillles triomphantes, on ne peut pas davantage
la contester ; il y a trop de monuments qui la
rappellent et de trop constantes traditions qui en
perpétuent le souvenir. D'ailleurs, cette présence
de révêque de Périgueux suit la divine assistance
de Notre Seigneur : les mêmes preuves et les
mêmes raisons qui attestent cellerci doivent attes-
ter celle-là. Saint Front est partout, dans les sou-
venirs populaires, dans les prières, et les louan-
ges liturgiques, l'assistant du pontife divin qui
préside aux funérailles de sainte Marthe. Quant
à la manière toute prodigieuse avec laquelle
saint Front fut présent à ces funérailles ; quant
à ce transport instantané de Périgueux à Taras-
con ; quant à cette présence simultanée en
deux endroits diflérents, à cette bilocation du
compagnon et de Tarai de sainte Marthe, on ne .
peut Texpliquer que par un miracle, assez rare
sans doute, mais que Ton constate néanmoins
dans la vie de quelques saints et, il y a un siècle
à peine, dans 4a vie de saint Alphonse deliguori.
Le sage et savant éditeur de Raban, discutant
cette circonstance merveilleuse de Tensevelisse-
ment de sainte Marthe (1), penche à croire que
(1) Mon. kied.,II, 335-342. Notes.
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SA VIE, soin HISTOIRE ET SON CULTE.' 417
cette présence de saint Front aux funérailles de
sainte Marthe a été empruntée par la légende à
saint Grégoire de Tours, qui raconte la même
chose de saint Ambroise assistant aux funérailles
de suint Martin. Un dimanche, au milieu de Tof-
fice, le grand évêque de Milan fut ravi dans sa
cathédrale par un sommeil extatique, et trans-
porté à Tours, exactement comme il est raconté
de saint Front. Cette similitude de miracle et
cette presque identité de circonstances pour-
raient faire soupçonner que Tun de ces récits
dérive de l'autre ; que les historiens de sainte
Marthe et les rédacteurs de ces innombrables
pièces liturgiques qui se chantaient dans toutes
les églises au moyen-âge, ont appliqué à la vierge
de Tarascon ce que Thistorien des Francs avait
raconté du grand thaumaturge des Gaules, ne
pouvant croire que les funérailles de la grande
amie du Sauveur n'eussent pas été honorées et
illustrées d'autant et d^aussi grands miracles que
les funérailles du saint évéque de Tours. De là,
cette merveilleuse légende.
Ces inductions ont quelque chose de spécieux,
sans doute. Toutefois, on peut répondre que les
traditions provençales plus anciennes que les
traditions milanaises, peuvent réclamer, avec l'an-
tériorité, l'authenticité du miracle, et que le fait
extraordinaire qui se serait passé entre Périgueux
et Tarascon, aurait pu inspirer les populations
enthousiastes de Milan et de ïours pour leurs
grands évoques; et Grégoire de Tours n'aurait fait
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418 SAINTE MARTHE
que traduire une croyance populaire. Ainsi, la si-
militude des deux faits, de Tours et de Tarascon,
loin d'être une raison d'infirmer le récit de Raban,
pourrait plus facilement infirmer le récit de Gré-
goire de Tours. Mais il n'en est pas besoin :
deux miracles du même ordre et presque identi-
ques en leurs circonstances, peuvent très-bien se
passer en des temps différents et pour des sujets
distincts. Autrement il faudrait dire que le fait de
saint Alphonse de Liguori, arrivé en plein dix-
huitième siècle, avec des circonstances analogues
et presque identiques à celies du fait de saint
Front, arrivé à la fin du premier siècle, n'est
qu'une frauduleuse copie de celui-ci, à dix-sept
siècles de distance. Nous aimons mieux croire
que saint Front a réellement été présent aux
funérailles de sainte Marthe, au milieu des cir-
constances extraordinaires et pleinement mira-
culeuses. L'abbé Faillon ne peut guère en dou-
ter. — Il serait difficile, dit-il, d'expliquer autre-
ment la tradition de Provence et celle des églises
dePérigueux, de Lyon, de Tours, d'Arles, d'Auch,
de Marseille, d'Orléans, aussi bien que la liturgie
de ces églises. Nous admettons donc que saint
Front a assisté aux funérailles de sainte Marthe :
nous pouvons même supposer que ce n'a pas été
sans des circonstances extraordinaires et tout à
fait merveilleuses ; en ajoutant cependant que,
si quelqu'une de ce genre a pu donner occasion
de confondre saint Front avec saint Ambroise,
nous n'en connaissons ni la nature, ni les détails,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. ' 419
par défaut de monuments historiques... Au reste,
le fond du prodige, rapporté dans la Vie de
sainte Marthe, c^esi-k'ûive cette double présence
de saint Front, n'est pas dénuée d'exemples dans
l'histoire ecclésiastique. S. Bonaventure rapporte
de saint François d'Assise le même prodige, qu'il
compare au transport de saint Ambroise, rap-
porté par saint Grégoire de Tours. Il a été renou-
velé depuis dans saint Pierre d'Alcantara, dans
sainte Thérèse, dans saint Philippe de Néri,
comme on le voit dans leurs bulles de canonisa-
tion (1). Bien plus, la présence de saint Front à
Tarascon, tandis que, durant le môme temps, on
l'aurait vu à Périgueux livré à un sommeil exta-
tique, n'a rien que de conforme à ce qu'on a vu
dans le dernier siècle en la personne de saint
Alphonse de Liguori. On rapporte, en effet, dans
so Vie, et il a été prouvé dans les procédures de
sa canonisation, que, dans la matinée du 21
septembre 1774, lorsqu'il venait d'achever le
saint sacrifice, il s'assit dans un fauteuil et y
resta sans mouvement et sans parole pendant
tout le jour et toute la nuit suivante, et qu'à son
réveil voyant toute sa maison dans l'étonnement :
Vous ne savez pas, dit-il, que je suis allé assister
le pape qui vient de mourir ? En effet, on apprit
bientôt que Clément XIV était mort le 22 sep-
tembre, précisément à sept heures du matin, qui
(1; Bcncd. XIV. De canon. SS. IV, 32.
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420 SAINTE ICARTHB
fut 16 moment où saiot Liguori avait repris Tu-
sage de ses sens (1).
Ajoutons à ces preuves indirectes, qui, tout en
établissant la possibilité du prodige, donnent aux
traditions provençales, dont Raban est rhistorien,
une grande force de possession, et dès lors une
grande autorité, ajoutons que Ton conservait à
Tarascon, relique et preuve du miracle, un des
gants oubliés de saint Front et qui ne lui fut pas
renvoyé (2). Bernard de La Guionie atteste qu'on
Ty voyait de son temps, au xiV* siècle ; et il s'est
conservé jusqu'à la Révolution comme une reli-
que et comme un monument du miraculeux
transport de saint Front. Disons encore que l'of-
fice de sainte Marthe, publié à Avignon, sous
l'autorité de Clément VIII, racoûte dans la
sixième leçon de l'Octave, le transport de saint
Front à Tarascon, et l'assistance du saint évéque
(1) Vie de salut Alphonse de Liguori, par Jeancard. 370-371.
Mon. ined. 11-342-344.
(2) On conteste, nous le savons, que T usage de r anneau et
des gants lemonte aux évêques des premiers siècles ; c'est
une erreur que la science démontre tous les jours. L'usage de
Vanneau sigillaire passa des Romains aux chréUens et très-
certainement aux évêques. L'abbé Martigny (Dict. d'antiq. Ch.)
cite des exemples d'anneaux de chréUens et d 'évêques remoo-
tant aux premiers siècles. L'anneau de saint Eusèbe, pape,
310. L'anneau de saint Caîus,pape, 283. (Voir Anneaux épisc.,
etc.) D'autres auteurs, Honorius d'Autun, entr*autres, pré-
tendent que Tusage des gants dans les fonctions sacrées desévê-
ques vient des apôtres.
1
^•vn
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SA TIE, soir HISTOÎHE ET SON GtJLTE. 421
aux funérailles de sainte Marthe (1). C'est assez
pour nous qui croyons aux magnificences de
Famour de Jésus pour les saints, et qui croyons
plus facilement encore à ses délicates préférences
d'honneur et de gloire pour ses amis. Nous
croyons ici que le bon Maître, l'ami tendre et
généreux, a voulu marquer les funérailles de
Marthe, son hôtesse et son amie, de condescen-
dances adorables et de circonstances merveilleu-
ses. Nous le voyons ainsi dans la vie et dans la
mort des deux sœurs bien aimées, également
admirable^ également aimable : c'est encore une
révélation des profondeurs de lumière et des
suavités d'amour de son sacré cœur.
Assez de science et de discussion. -- Nous pre-
nons, ô bienheureuse Marthe, toutes ces merveil-
les racontées par les pieuses histoires, comme des
témoignages authentiques du singulier amour de
Jésus pour sa généreuse hôtesse de Béthanie. Il
voulut venir lui-même, précédé de votre sœur bien
aimée, vous inviter au festin des noces éternelles:
il voulut venir avec votre compagnon privilégié
de persécution et d'apostolat, assister à vos funé-
railles, et, de ses mains divines, ensevelir votre
corps et le consacrer par ce contact et ces béné-
dictions. Il vous le devait Je généreux sauveur ;
il ne faisait que vous rendre, en votre mort, les
(I) Acta SS. XXIX. Julii. onic. Sandae Martbae vîrg. et
bohp. Gh. AveDîoDc, elc.
24
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1
A22 SAINTE MAKTHE
soins et les empressements que vous aviez eus
pour son humanité vivante, dans les adorables
infirmités de sa chair. Votre sœur était morte,
par un excès d'amour, après la communion, et
son corps pénitent avait été enseveli par les
mains apostoliques de Maximin ; et vous, morte
dans un élan de compatissance pour la passion
de votre divin maître, vous deviez être ensevelie
par lui et par Front, un de ses premiers disciples,
un des amis de votre famille : en sorte que Taras-
con ne devait rien envier à la sainte Baume ni à
saint Maximin. Oh I comme nous aimons cette
divine scène où Jésus vient vous annoncer la fin
de votre exil, alors que d'un visage très doux et
très alTectueux, d'un regard bien connu et d'une
voix bien aimée, il vous dit : c'est moi que tu as
servi avec une générosité si pure et si dévouée,
moi que tu as reçu dans ta maison, à ton foyer,
à ta table, avec tant d'empressement et de joie ;
C'est moi que tu as reconnu, adoré et con-
fessé, dans mon incompréhensible qualité de fils
de Dieu, c'est moi qui viens à toi, moi qui veux
te récompenser, t'introduire dans ma maison, te
servir de mes royales mains, te faire asseoir sur
mon trône et te couronner de mon amour éter-
nel (1). C'est moi qui veux payer généreusement,
en ami reconnaissant, en Dieu magnifique dans
ses dons, c'est moi qui veux te rendre tous les
(1) Raban. XLVII.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 423
soins, tous les empressements, tous les serfices,
tous les dévouements, toutes les tendresses que
tu as eus pour moi et pour mes frères, même les
plus petits. Viens donc mon hôtesse bien aimée ;
et là où je suis, tu seras avec moi : tu m'as reçu
dans ta maison, et je te reçois dans mon ciel : et
tous ceux qui tlnvoqueront, je les exaucerai par
amour pour toi (1). 0 pieuse sœur de Madeleine
qui par vos prières et votre infatigable amour
l'avez amenée repentante aux pieds de Jésus : 0
tendre sœur de Lazare, qui par votre affliction et
vos larmes avez obtenu la résurrection de ce frère
bien aimé; nous croyons que Jésus, près de Tautel
de son temple, recevant votre âme dégagée des
liens du corps, accompagné du bienheureux évo-
que Front, Ta placée glorieusement dans le chœur
des vierges, avec allégresse et exultation (2). Nous
croyons que le divin maître, assisté de Tapôtre
de notre Périgord, a, de ses propres mains, de ses
mains divines, enseveli votre corps virginal, pour
le faire refleurir en vertits prodigieuses, pour le
(1) Ecco Christus advenit, dicens : Veni, dilccta hospita mea,
et ubi e^^o su m illic mecum cris ; tu me susccpisti iu huspitio
tuo, ego te recipiain in cœlo meo, et icvocanles te exaudiam
amore-tuo. J^cgenda, oçnsaupcum etc.
(2) Sletit Jésus jiixlà aram tcmpli, Martbœ sus hospitae ejus
aoimam assumens cxulam a corpore, eomite sibi aslante Fron-
tone aatistile, gloriosè locans cam ia virgiDum agmioe cum
laetitiâ et exsultatione. Offcrtor ia missâ saota: Marthe. Mis-
8al. écoles. Auscit.
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424 SAINTE MARTHE
faire^riller en miracles de guérison et de protec-
tion, dans l'heureuse province qui le possède,
dans la France qui vous honore. C'est pourquoi
nous vous disons avec nos pieux ancêtres, plaise
au Seigneur que ce soit avec la même simplicité
de foi, la même ferveur de dévotion : Priez pour
nous, dame de Tarascon, Vierge de Béthanie:
que par le secours de vos prières, nos péchés
soient effacés. Marthe, obtenez la grâce à ceux qui
vénèrent votre mémoire à Theure décisive de la
mort ; s'il vous plaît, implorez le pardon de nos
péchas; et, que le cours de notre vie étant achevé,
vous nous conduisiez par un chemin sûr à la
gloire éternelle. Amen (1).
(1) Ora pro nobis, Domina— per tenostra pcccamioa — de-
leantur— Impetra, MarUia, gratiam — His qui ioam memoriam
— Venerantur — In auguslâ mortisborâ — Nobis, si p]acet,im-
piopa — Peccalprum veniain — Curuuque vil» perfeoto — Du-
cas nos tramite recto —ad supernam curiam (aliâs gloiiain).
Anen. — Miss;^. Lugd Aurel. Misiil. arelat. etc.
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XII
DES BELIQUES ET DV CULTE DE SAINTE MARTHE.
Tu moDstra nostris exiges
Terris vilae reddens corpora {
Reges que malis eximes
Quod quidquid snpplex expetit.
O terqne qiiaterque, o seplies
Bealus urbis incola,
Qoi te circuoidaDs cominus
Sedem célébrai ossium.
Cui propter advolvi licet
Qui fletibus spargit locunif
Qui pectns in terris premit
Qui vota fundlt murmure.
Fac dulcis bospes mentinm
Nos bospitœ suffragio
Cœll quiète cîvium
Gaudere coatuberaio.
(Hym. Laud. ofTic. B. Marthe
Virgin, et hosp. Gh. Juxta leges
Rom. Brey. Clément. VIII. Ave-
nione, .
C'est vous qui dans nos contrées exterminez
les monstre», qui rendez la vie aux morts, qui
délivrez nos rois de leurs maux: vous accordez
tout ce que la prière suppliante vous demande.
0 trois et quatre fois, ô sept fois heureux
l'habitant de votre ville qui souvent peut venir
environner de dévotion le sanctuaire où
repose votre corps;
Qui peut là se prosterner, arroser ce lieu
vénéré de ses larmes, presser son cœur sur le
sol sacré, répandre ses vrpux avec le murmure
de sa prière.
0 doux hôte des ftmeét, par le suffrage de
votre hôtesse, faites nous jouir de la paix du
ciel dans la société des bienheureux.
Ce n'est point sans un dessein particulier de
son amour, que Jésus a voulu lui-même ensevelir
le corps de sainte Marthe. Avec deux doigts de sa
24.
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426 SAINTE MABTHE
main divine, il avait touché le front 'Qe Madeleine
et l'empreinte de ces deux doigts est restée sur
cette tête bienheureuse, toujours conservée pour
la vénération des peuples. Il a voulu, de ses deux
mains et de ses deux bras, toucher, embrasser,
sanctifier la dépouille mortelle de Marthe, afin de
la préserver de la destruction, afin de la signaler
au respect des siècles, afin de lui communiquer
le pouvoir des miracles, et pour la glorifier sur
la terre, en attendant la gloire de la résurrection.
Nous allons donc suivre et vénérer, à travers les
générations et les siècles, la trace miraculeuse
des religues de sainte Marthe. Raban termine
ainsi le récit de la vie de sainte Marthe entrelacée
à la vie de sa sœur Madeleine ; et ces dernières
paroles seront le texte des développements de
rhîstoire posthume de notre sainte, du culte de
la Provence et de la dévotion des siècles catholi*
ques : — Or, dans la basilique de la bienheureuse
Marthe, depuis le jour de son ensevelissement,
des miracles sans nombre sont arrivés, des aveu-
gles, des sourds, des muets, des boiteux, des para-
lytiques, des estropiés, des lépreux, des démonia-
ques et tant d'autres affligés de diverses infir-
mités, ont recouvré une pleine santé. Clovis, roi
des Francs et des Teutons, le premier roi qui
porta les marques de la foi chrétienne, attiré par
la multitude et la grandeur des miracles de la
très sainte Marthe, vint à Tarascon ; et aussitôt
qu'il eut touché la tombe de la sainte, il fut déli-
vré d'une grave maladie des reins qui le faisait
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 427
misérablement souffrir. Et il donna à Dieu, en
témoignage d'un si grand miracle et il signa Tacte
de son anneau, la terre qui s'étend à trois lieues
autour de TEglise de sainte Marthe, sur les deux
rives du Rhône, avec les fermes, les bourgs et lès
bois : biens que la très sainte héroïne possède jus-
qu'aujourd'hui avec immunité perpétuelle. Enfin,
les vols, les rapines, les sacrilèges, les faux juge-
ments, en ce même lieu, par un prompt jugement
de Dieu, sont horriblement punis, à la louange
du Seigneur Sauveur (1).
Le pieux auteur qui dans son monastère de
Fulde et sur son siège de Mayence résume toute
la science, toute l'illustration et toute la sainteté
de son siècle, Raban Maur, en écrivant cette vie
de la bienheureuse Marie Madeleine et de sa sœur
sainte Marthe (nous ferons encore, et pour la der-
nière fois, cette remarque), avait sous les yeux une
ancienne vie des deux sœurs de Béthanie : du
moins, il avait entre les mains, des extraits de
ces pieuses rédactions où les premiers fidèles
et sans doute les disciples de la Vierge de Taras-
con, avaient voulu fixer leurs souvenirs et trans-
mettre leur vénération. Dans la trame du récit de
Rabaa, on découvre très-bien la trace, il indique
lui-même le témoignage de ces anciens monu-
ments qui remontent du moins au ¥• siècle, mais
surtout ici, dans les dernières lignes, nous avons
(1) Haban, vie, olc. XLIX. m fev.
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428 / SAINTE MARTHE
le résumé de toute Tbistoire du culte de sainte
Marthe. Nous allons donc raconter cette histoire
en touchant seulement aux faits principaux ,
appuyés des manuscrits authentiques échappés
aux ravages des temps et des hommes.
Le premier, ou du moins le plus ancien tom-
beau qui reçut le corps de sainte Marthe, est un
sarcophage chrétien qui existe encore, quoique
mutilé, et qui contient toujours les saintes reli-
ques. Le sarcophage nous offre dans ses sculptu-
res, un bas-relief, quoique fruste dans l'ordon-
nance des scènes et le type des figures, une
incontestable démonstration de son antiquité qui
remonte aux premiers siècles du christianisme.
Nous avons ailleurs parlé de ce tombeau, monu-
ment irrécusable de Tapostolat de sainte Marthe
en Provence ; nous devons en parler encore,
puisque c'est la première page d'histoire qui
raconte le culte de sainte Marthe. Ce tombeau en
marbre blaïic, par sa forme, ses dimensions, le
bas-relief qui orne la face antérieure, les sujets
sculptés, les draperies, le style, en un mot, rap-
pelle les sarcophages anciens découverts dans les
catacombes de Rome (1). L'abbé Paillon met en
regard du tombeau de sainte Marthe un tombeau
découvert dans les catacombes romaines et
publié par Arringhi(2). On dirait que de ces deux
tombeaux, l'un est la copie de l'autre. Le tom-
(1) Voir Marligny. Diction, des Antiq. chrét. Sarcophages.
(2) Homa Bobterramea a Paul. Arringhi Roma 1651*
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}
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 429
beau romain indique un ciseau plus exercé, plus
de science dans les groupes, d'harmonie dans les
lignes, de grâce dans les draperies. Le tombeau
provençal indique un ciseau plus inexpérimenté ;
mais évidemment Tun procède de l'autre : ou
plutôt tous les deux viennent de la même école ;
s'ils ne sortent pas du même atelier. Ils viennent
de cette corporation de sculpteurs, qui, dès les
premiers siècles, on peut dire dès la première
aube du christianisme, travaillait comme une
confrérie d'artistes novices sous l'influence de
l'Eglise, sous l'inspiration du dogme nouveau,
sous la dictée du symbolisme chrétien. Leur
ciseau, hier encore payen, retraçant les figures
les moins sensuelles de leur art d'autrefois, pour
en faire des signes idéalisés de Tart nouveau, tail-
lait, sculptait ces innombrables tombeaux qui
peuplent les catacombes, qui recevaient la dé-
pouille des chrétiens, les restes sanglants des
martyrs, les reliques des saints. Les travaux des
archéologues romair.s, les découvertes et comnae
les révélations du chevalier de Rossi, ne permet-
tent plus de douter du caractère chrétien et de
l'antiquité de ces tombeaux contemporains des
premiers disciples des apôtres.
Les sujets sculptés sur le tombeau de sainte
Marthe sont les sujets ordinaires sculptés sur les
sarcophages chrétiens. Ge ne sont pas des sujets
tirés de l'histoire de sainte Marthe, ni des pages
de l'Evangile qui parlent de la sœur de Made-
leine ; ce sont les signes et comme les formules
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430 SAINTE MARTHE
déterminées de Ticonographie des tombeaux et
des catacombes.
Tel est le caractère de ces figures groupées en
scènes, drapées à Tantique, sans nimbe, aux che-
veux courts, avec le type romain. Le Christ est
jeune, imberbe, portant levolumen, comme on le
représentait aux catacombes , sous les traits
symboliques de TApollon devenu chrétien. On
ne change pas, en effet, instantanément les idées
et les procédés de Tart ; et le ciseau des sculp-
teurs depuis longtemps habitué aux figures
payennes, ne pouvait qu'après des années et
même des siècles d'inspiration chrétienne,
donner aux figures, aux groupes, aux signes, aux
symboles, un autre idéal, une autre expression,
une autre beauté. Il fallait aussi respecter et déro-
ber le secret des mystères et se défendre contre
la haine délatrice des persécuteurs. Par consé-
quent, pendant les trois premiers siècles, il fallut,
sous des figures, des types, des symboles encore
payens, cacher des idées toutes spirituelles et des
mystères tout chrétiens. L'art nouveau comme
l'Eglise est bien représenté par la chaste Suzanne
entre les deux vieillards impudiques. Aussi
regardons-nous le tombeau de sainte Marthe
comme à peu près contemporain du second,
peut-être du premier siècle de TEglise ; et ce
serait le premier tombeau dans lequel fut dé-
posé le corps de sainte Marthe, celui-là même
dans lequel sainte Marthe fut ensevelie par les
mains du Christ assisté de saint Front. «I^
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1
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 431
corps de sainte Marthe a été déposé successive-
ment dans plusieurs tombeaux. Le plus ancien
qu'on connaisse est aujourd'hui renfermé dans le
grand monument de marbre, au fond de Téglise
souterraine. Le tombeau, de style antique, offre
sur Tune de ses faces les mêmes sujets que pré-
sentent un grand nombre de sarcophages trouvés
à Rome dans les cimetières de Calliste, de Luci-
De, de Sainte-Agnès et ailleurs (1). Personne n'en
soupçonnait l'existence, et Ton fut fort surpris,
en 1820, de le trouver dans le grand tombeau de
sainte Marthe, lorsqu'on changea le monument
de place pour étayer un pilier de l'église supé-
rieure qui menaçait de crouler (2) ».
Ce tombeau de marbre blanc, cet antique et
vénérable tombeau, sur sa face antérieure, porte
le bas-relief dont nous venons de parler. Ce
bas-relief est mutilé, mais on le complète facile
ment en le comparant avec les sarcophages
romains de la même époque. On restitue faci-
lement les têtes de ce bas-relief mille fois pré-
cieux, et plus dégradé par la barbarie du mau-
vais goût que par la main du temps : Vénérable
monument de la fbi des ancêtres et de Tart ^es
premiers siècles ; sarcophage sculpté par un ci-
seau gaulois, sur l§ modèle ou l'inspiration des
sculpteurs romains, tombeau richement décoré,
(1) Roma sublerp. a Paulo Arringhi. Romo, 1651.
(2) MoDoments de TEglise de sainte Marthe à Tarascon
1835, p. p. 27-28.
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432 8AINT£ MARTHE'
que la piété des disciples de Marthe fit venir
saas doute d*Arles, d'Aix ou de Marseille. Ces
villes gallo-romaines devaieut avoir des confré-
ries d'artistes, surtout des confréries de sculp-
teurs de tombeaux, de marmoraires (i), comme
on en trouvait à Rome pour les chrétiens, et sur-
tout pour les patriciens et les riches, pour ceux
que la vénération des peuples voulait honorer,
pour les martyrs et pour les saints. A tous ces
titres, la vierge issue de sang royal^ Thôtesse de
Jésus, la gloire de Tarascon, devait reposer dans
un riche tombeau.
C'est dans Féglise même que Marthe avait éle-
vée, que les pontifes ses amis et sescompagnons,
avaient dédiée, qu'elle fut ensevelie (2). Le tom-
beau dans lequel la dépouille mortelle de notre
sainte fut placée devait être apparent, car les
fidèles qui venaient y prier, les malades qui
venaient y demander la guérison, pouvaient l'ap-
procher et le toucher, comme il est dit au rédt
de la guérison de Glovis. Dès le moment où le
corps de Marthe j enseveli par les mains de Jésus,
qui durent lui communiquer une vertu plus
abondante de guérison pour ipus (3), reposa dans
làT)asilique, il devint un centre, un foyer, d'où
les grâces et les miracles sortaient à flots et
(1) Dict. des antiq. chrét. Martigny aarcoph. IV.
(2) Parata ot ei sepultam insignis ad propriam ejosquiffl
PoDtiflces dedicaverant basilicam. Habao, vita. etc. , XLIX.
(3; Lac. VI, «9.
dby Google
SA VJE, SON HISTOIHE ET SON CtLTB. 433
rayonnaient admirablement, où les fidèles accou-
raient, où s'empressaient les populations et se
multipliaient les témoignages de la foi, de la
vénération, de Tamour et de la reconnaissance.
Dans la basilique de la bienheureuse Marthe, dit
Raban, rapportant évidemment les croyances des
anciens temps et résumant Thistoire de ce glo-
rieux tombeau, dès le jour de sa mort, des mi-
racles sans nombre ont été opérés. Et il en
donne le détail que nousavons donné ailleurs (i).
Raban appelle basiliqueVéslise Ae sainte Marthe,
ce qui nous fait supposer que cette église était
desservie par des^ religieux ; car ce nom distin-
guait aux VI' et yiV siècles Téglise d'un monas-
tère (2). Evidemment, le collège de vierges et de
pieuses femmes que sainte Marthe avait réunies
autour d'elle, ce vrai monastère qu'elle avait
fondé, réglé, gouverné, dut se perpétuer autour
de son tombeau, comme se perpétua la vénéra-
tion pour sa mémoire et le culte pour ses reli-
ques. Les disciples eux-mêmes que la sainte avait
autour d'elle lorsqu'elle mourut, durent former
autour de son tombeau une garde d'honneur, et
développer à l'ombre de cette église, déjà si riche
en prodiges, les rudiments de la vie monastique.
Dès lors il ne nous semble pas invraisemblable,
de voir, dès les premiers siècles, auprès du tom-
beau de sainte Marthe, des religieuses qui conti-
(1) Id. id.
(2) Mon. inad. 1,582.
26
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1
434 SAINTE MARTHE
nuent la Tîe tout ensemble, active et contem-
plative, la vie parfaite de la vierge de Béthanie,
et des religieux formés par son exemple, qui des-
servent son église et gardent ses reliques sacrées.
Après avoir, en une phrase abondante, énuméré
toutes les sortes de miracles qui s'opéraient au
tombeau de sainte Marthe, Raban ajoute une
variété de prodiges qui nous représente bien les
mœurs de ces temps reculés, les pratiques qui
s'établirent presque légalement dans les siècles
postérieurs du moyen-âge et que l'Eglise eut de la
peine à régler et comprimer. «. — Or, près du saint
tombeau les vols, les rapines, ou les sacrilèges, ou
les faux jugements, par un prompt jugement de
Dieu sont horriblement punis, là, incontinent, à
la louange du Seigneur Sauveur (1).«— Voilà l'ori-
gine àQ% jugements de Dieu; preuve éclatante de
foi, qui suppléait naïvement à l'impuissance de la
loi dans une société rudimentaire. L'origine de
cette coutume qui forme presque tout le Code pénal
de ces longs siècles de préparation politique et
sociale qui précèdent le moyen-âge, remonte aux
premiers siècles, et l'on peut dire aux premiers
tombeaux des saints renfermant leurs reliques.
C'est la justice qui se rendait par une interven-
tion d'en-haut,,que Dieu ne savait pas refuser à
(1) Furla vero, vel rapinse aut sacrilegiai seu falsa jadida,
subito Dei judicio^ horribiliter puniuntar ibidem incontinenter
ad laudem Domini salvatoris. Ibid.
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SA VIE, SON HISTOTRB ET SON CULTE. 435
la foî naïve et à rimpuîssance des juges, qui se
rendait près de ces ossements sacrés, témoins et
souvent juges de la vérité. Les coupables soup-
çonnés, les prévenus non convaincus étaient con-
duits auprès des saints tombeaux ; les innocents
calomniés, les victimes, si nombreuses dans ces
temps d'anarchie sociale, citaient les calomniateurs
et les persécuteurs à ce tribunal,où,Dieu,parrorga-
ne de ses saints, rendait ses sentences et manifes-
tait ses justices. Saint Augustin ^ cite plusieurs
faits de ce genre qui s'étaient passés au tombeau
de saint Félix de Noie ; Saint Grégoire de Tours,
en ses livres des Miracles et de la Gloire des
Martyrs (1), cite des exemples de ces comparutions
et de ces exécutions miraculeuses en des lieux
saints : ad locum sanctum^ c'est-à-dire au tom-
beau des saints. Voilà ce qui se faisait au tom-
beau de sainte Marthe et comment notre béni
Sauveur voulait autoriser et glorifier les restes
de sa généreuse amie. En même temps, par cet
organe il se manifestait à la foi simple et rude de
ces chrétiens des premiers âges (2), en suppléant
par lui-même ce qui manquait à l'autorité pré-
caire et mal constituée de ceux qui devaient gou-
verner le peuple de Dieu.
Parmi tous ces miracles, il en est un demeuré
célèbre qui détermina la dévotion de nos rois pour
(1) De gloria martyr. 81. De miiacoUsi etc. 19.
(2) Mon. ined.I, 582, 583.
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436 SAINTE MARTfiB
Texilée de Béthanie, venue pour chercher dans
notre France une seconde patrie et mettre sous
la protection de nos princes son culte et sa mé-
moire ; c'est la guérison de Glovis. Nous avons
plus haut rapporté le récit de Raban ; il n'est pas
le seul qui le raconte. La Légende dorée le rap-
porte à peu près en mêmes tenues. « Or, comme au
sépulcre de la bienheureuse Marthe s'opéraient
de nombreux miracles, Glovis, roi des Francs, se
fit chrétien et fut baptisé par saint Remy, et
comme il souffrait d'une grave douleur de reins,
venant à son tombeau, il y trouva une santé com-
plète. C'est pourquoi il enrichit ce lieu (le tom-
beau et la basilique) et lui donna à trois milles à
la ronde, sur les deux rives du Rhône, la terre,
les fermes et les bourgs, et rendit ce lieu libre de
tout impôt (1).» —Il se peut que la légende repro-
duise seulement le récit de Raban ; dans tous les
cas, elle est un témoin de la continuité de la tra-
dition de ce miracle. Si l'on prenait à la lettre la
rédaction du bienheureux archevêque de Gênes,
il faudrait croire que les nombreux et éclatants
miracles qui se passaient au tombeau de sainte
Marthe et qui durent faire une vive impression
sur l'esprit des populations, en même temps qu'ils
ont laissé dans l'histoire une si lumineuse trace,
aidèrent à la conversion de Glovis. Les historiens
qui nous racontent la vie et surtout la conversion
(1) Legenda etOpus Sanctse Martb.
^mi
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SA VCE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 437
du grand roi des Francs ne nous donnent pas ce
détail ; mais il se peut que le récit des innombra-
bles miracles de sainte Marthe fait au prince
Franc ait commencé d'ébranler son esprit qui
trouva soudainement une vive invocation au
Dieu deClotilde, pendant la bataille incertaine de
Tolbiac. 4insi Marthe aurait comme Madeleine,
une influence bénie dans notre histoire, et sur
le territoire de notre France. La généreuse hôtesse
de Jésus payait au peuple Franc, aussi divinement
que sa sœur, et Thospitalité qu'elle avait reçue, et
la vénération dont on entourait son magnifique
tombeau.
Ce grand miracle qui rendit la santé au pre-
mier de nos rois chrétiens et qui l'affermit dans
la foi, ce miracle pour la France eut les consé-
. quences les plus importantes et les plus salutaires.
Nous ne saurons jamais que dans le ciel, dans la
pleine révélation des enfants de Dieu, Taction de
salut et de force, de préservation et de destinée
que les saints ont exercé sur les peuples. Ce
grand miracle a été raconté, célébré, chanté, comme
prodige et comme événement. Les Acta SS. ont
recueilli un des écrits qui le racontent dans le
martyrologe, relativement moderne, qu'ils repro-
duisent, mais auquel le P. Solier donne l'autorité
de l'immense collection Bollandienne. « —A son
tombeau, comme éclataient de grandes preuves de
la puissance et de la gloire divine, Glovis, le roi
des Francs, ayant été transporté, fut guéri d'une
grave maladie qui le faisait grandement souf-
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JJ
n
488 SAINTE MARTHE
frir (i). — » Ce miracle est chanté dans la belle li-
turgie que le moyen-âge avait composée à la louan-
ge de sainte Marthe, et qui couvrait de ses fron-
daisons poétiques et mystiques, presque toutes
les églises d'Occident, avant la funeste révolu-
tion liturgique des xvii« et xviii^ siècles. Toi,— lui
chantais la prose si connue: Ave Marthagloriosa^
— par la seule puissance de Dieu, tu as guéri la
maladie incurable du roi Glovis ; c*est pourquoi
rois et reines célèbrent Tadmirable puissance de
ta vertu de guérison (2). — Le souvenir et la men-
tion du miracle se cadençaîent même en répons et
en versets rimes, comme toutes les prières liturgi-
ques de ce temps (3). Ainsi, la guérison de devis
est mentionnée dans les livres liturgiques et for-
mait en partie la matière d'une des leçons de
l'office de sainte Marthe à Tarascon et à Avi-
(1) Post piorum laborum perfectum carriculum^ ad conspec-
tum aeterni régis supernseque Sion beatorum ciyiam consor-
tium, die quem praBii^erat, meritis plenaet miraculis evolavit,
ad cujus tumulum magoà cum fietret divioae virtutis et gloria
insignia Ghlodovseus rex Franco mm delatus, a gravi qua deU-
nebatur aegritudine sanatas est. Saussayus in martyix»!. Cité
par le P. Solier. Acta SS. XXIX. JuUi.
(2) Tu sola virtute Dei— Morbum Chlodovœi — Carasti inca-
rabilem — Unde Reges etRegina)~TusB laudant medicina —
Virtutem mirabilem. Missel. Lugd. Aurel. Colon. MaasU.
Arelat., etc.
(3) Ghlodovseus patitur Rex Francorom « DifAsos arte
medicorum — Morbum insanabilem — Glorios» Martbs rex
sepulcrum visitavit — Mox ejus precibus invcnit — Sanitatem
admirabilem — Brev. Grassense.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 439
gnon (1) où la sainte était aussi honorée comme
patronne et fondatrice de la foi. Cette guérison
était aussi mentionnée dans plusieurs anciennes
liturgies de diverses églises, comme celles d'Ar-
les,, de Lyon, d'Auch, de Cologne, de Marseille,
d'Orléans, de Grasse, ainsi que dans des manus-
crits très-anciens du monastère de Saint- André
d'Avignon et de l'église de Sainte-Marthe de
Tarascon, que dom Polycarpe de La Rivière avait
déchiffrés avec beaucoup de peine à cause de leur
vétusté. Enfin, on la lit dans les écrivains hagio-
graphes du moyen-âge*, Vincent de Bauvais, Ber-
nard de la Guionie, Pierre de Noël, saint Vincent
Ferrier, saint Antonin de Florence, Denys le
Chartreux (2j. Rien ne manquait à ce miracle
pour l'assurer, le répandre au loin et l'illustrer.
Les circonstances et les suites de ce miracle
sur lesquelles il nous faut appuyer, le rendent
plus célèbre encore et le font entrer dans l'his-
toire politique de notre pays. En témoignage d'un
si grand miracle, dit le récit de Raban et en subs-
tance la légende dorée,le roi Clovis donna à Dieu
et signa de son anneau cette donation, toute la
terre à trois lieues à la ronde autour de réglise
de sainte Marthe, sur les deux rives du Rhône,
avec les fermes, les bourgs et les bois ; et tout
(1) Fama adoionitus miraculoram quse ad Marthae sepal-
crom qaotidie perpetrabantur, ut eo supplex accessit, plenam
ret ulit sanitatem. Brev. Aven., etc.
(2) Mon. ined. II. 592-593. .
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3|e
440 SAINTS MiJlTHE
1
cela jusqu'à ce jour, la très sainte héroïne le pos-
sède avec privilège perpétuel (1). Ce passage très-
circonstancié, se rapporte et concorde parfaite*
ment avec Thistoire de Glovis et Thistoire locale
de Tarascon. Clovis était dans la Provence en Tan
500 ; il venait de mettre en fuite Gondebaud, roi
des Bourguignons, d'assiéger et de prendre Avi-
gnon : or, Glovis n'était qu'à quatre lieues du
tombeau de sainte Marthe (2). Ce tombeau tout
éclatant de miracles dut attirer son attention ;
surtout dans une maladie qu'il venait sans doute
de contracter au milieu des fatigues de cette
guerre où il avait combattu avec sa fougue et sa
bravoure ordinaires. Il dut aller à ce tombeau,
ou si l'on veut, il dut s'y faire porter, conune dît
la légende, pour demander aux reliques vénérées
de cette grande sainte, la guérison et la santé.
Clovis, malgré ses mœurs encore rudes et ses bar-
baries politiques dont l'histoire a certainement
forcé l'odieux, Clovis avait une foi vive et nous le
voyons très-souvent recourir aux saints avec une
confiance touchante et naïve. C'est ainsi qu*en
l'an 506, étant malade de la fièvre, il fit venir
saint Séverin, abbé du monastère d'Âgaune, qui '
le guérit. Aussitôt guéri, le roi se leva, et se pros-
ternant aux pieds du saint abbé, il lui offrit en
reconnaissance tout l'argent de son trésor pour
ii) Raban, etc. XLIX.
(2) Faillon. mon. ined. I. 535. S37.
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SA VIE, SON HISTOCRE ET SON CULTE. . 441
les pauvres, et le pouvoir de mettre en liberté
tous les prisonniers qu'il voudrait (1). Tel était
le roi des Francs, ardent et généreux dans sa
reconnaissance comme dans sa foi ; tel il était sur
les champs de bataille, tel il était aux pieds des
saints : tel il fut au tombeau de sainte Marthe.
Ce privilège spécial d'après lequel le territoire
de sainte Marthe fut aftranchi de la domination
séculière, et par conséquent de tous les droits
féodaux qui s'essayèrent sous les mérovingiens,
ce privilège qui durait au temps oîi fut rédigée
cette ancienne vie dont se servait Ràban, persé-
véra donc sous les princes Mérovingiens qui gou-
vernèrent cette partie de la Provence qui renferme
Tarascon et le tombeau de sainte Marthe. Un peu
plus tard^ ce privilège fut aboli par les ravages
des barbares et n'eut plus d'effet après ces inva-
sions, lorsque Lothaire fils de Louis le Débon-
naire donna à son troisième fils Charles, le
royaume de Provence compris entre laDurance,
les Alpes, la Méditerranée et le Rhône/ Néan-
moins comme le fait remarquer Paillon, la ville
de Tarascon conserva encore en Provencejusqu'à
la Révolution française, des droits et des immu-
nités qui ne pouvaient avoir eu pour origine que le
privilège émané de Glovis, et qui seraient tout-à-
fait inexplicables sans ce privilège (2). C'est ainsi.
(1) Acta SS. Vite S. Severin. XI, febru.
(2) Id. 590. C'est sans doute en vertu de ce privilège que la
vlUe de Tarascon possédait les forts de saint Gabriel et de
25.
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442 SAINTE MARTHE
1
comme reste et conséqucDce de cette immunité à
regard de toute puissance jéculière, que la ville
de Tarascon avec son territoire (le territoire décrit
par la donation de Glovis) se gouvernait par elle-
même avec ses us et coutumes et ses magistcats
particuliers. Cette autonomie était censée remonter
aux Romains : elle émanait du tombeau de sainte
Marthe, comme la plupart des libertés et franchises
du moyen-âge émanaient du tombeau des saints.
Les rois mérovingiens établirent sans doute un
viguier à Tarascon, délégué du comte d'Arles;
mais les rois ou comtes de Provence n'exercèrent
jamais dans la ville que la haute juridiction : et
encore n'exerçaient-ils cette autorité qu'en qua-
lité de consuls, propre nom des magistrats de
Tarascon. Alphonse II, en 1202 reconnut le privi-
lège comme étant fondé sur un ancien usage. Le
viguier du comte ne pouvait exercer la justice au
nom de son seigneur, qu'en dehors de la ville et
du territoire de Tarascon, dans une ferme appelée
le Mas d'AltavèSy appartenant en propre aux
comtes de Provence. Les habitants de Tarascon
devaient être jugés et détenus dans l'enceinte
de leur ville. Aucun habitant ne pouvait exercer
aucune fonction au nom du comte, mais les sol-
dats de la garnison du château des comtes
Laarade qu'elle disputa aux comtes de Provence jusqu'à la fin
du XI V*» siècle. Celui de Laurade renfermait une église de
sainte Martlie, dont le doyen du chapitre était curé. Note do
Paillon^ etc.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 443
devaient tous être pris pannî les habitants de la
ville. Plus tard, après la réunion de la Provence
à la couronne de France, les troupes du roi ne
logeaient pas à Tarascon : cette exemption était
un reste de Timmunité qui datait de Clovis et
venait du tombeau de sainte Marthe (1).
L'église de saiYite Marthe retint aussi quelque
chose des privilèges accordés par Clovis, en ce
que dans le rayon d'une lieue au moins, toutes
les terres étaient soumises à la dîme qui était
perçue par le prieur. Toutefois lorsque le Lan-
guedoc eut été séparé de la Provence et fit un état
à part, cette église n*eut plus aucune juridiction
sur les terres situées de l'autre côté du Rhône
soumises à un autre souverain (2). Mais^ lorsque
la Provence, par la mort de son dernier comte
Charles III, revint définitivement à la couronne
de France en 1481, Louis XI s'empressa de rendre
à TEglise de sainte Marthe le privilège accordé
par Clovis, privilège qu'il spécifia dans une
charte de 1482, par laquelle il fondait un chapitre
royal comme celui de la sainte chapelle de Paris,
à la place des religieux augustins qui desser-
vaient l'église de sainte Marthe. Nous reprodui-
sons ici quelques passages de cette charte où
(1) Les privilèges municipaux de la ville de sainte Marthe fu-
rent confirmés par Louis Xill et Louis XIV. Ce n'est qu'en
'année 1688 que le gouvernement de la ville fut réuni au gou»
veroemeot du château.
(2; Mon. ined. L 592.
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444 SAINTE MARTHE
Louis XI exprime sa diWotion royale envers sainte
Marthe et sa reconnaiseapce pour les bienfaits
reçus de la grande sainte,' une des plus nobles
traditions de sa couronne. — Louis, par la gr&ce
de Dieu, roi de France, comte de Provence, fai-
sons savoir que nous récordant des très grands
biens et singulières grâces que Dieu notre créa-
teur nous a faits... par rintercession de la glo-
rieuse dame madame sainte Marthe à laquelle
nous avons eu et encore nous avons et toujours
nous aurons, tant qu'il plaira à notre dit créateur,
nous laisser en ce monde, très-singulière dévo-
tion et confiance, de laquelle son benoît corps
repose en son église, fondée en son nom audit
lieu et ville de Tarascon : pour reconnaissance
desquelles choses et que ladite église a été fondée
par mes prédécesseurs qui y ont en leur temps
donné et aumosné de leurs biens domaine et
seigneurie ; dont ainsi que nous avons pu claire-
ment savoir par la légende de ladite dame mada-
me sainte Marthe, et par autres vrais enseigne-
ments approuvés en Sainte Eglise : feu de bonne
mémoire, le roi Clovis, notre prédécesseur, a été
le principal fondateur d'icelle, mêmement pour
aucuns évidents miracles et préservation de mala-
die advenue en sa personne, par l'intercession
de ladite sainte Marthe , comme il croyait et pen-
sait, voulut et ordonna ce qui s'ensuit : — que
ledit lieu et terre de sainte Marthe serait quitte et
franc, exempt et immune à jamais de toutes char-
ges, subsides et choses quelconques : et avec ce y
r%ni
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 445
donna et délaissa ses biens : laquelle chose n'a été
du depuis, entretenue du tout et accomplie. Nous
voulons ensuivre nosdits prédécesseurs et conti-
nuer ce qu'ils avaient par dévotion etaumosne com-
mencé. Comme aussi désirant de tout notre cœur
et pouvoir accroître, décorer et augmenter ledit
lieu et église de madame sainte Marthe de Taras-
con, et le divin service fait en iceux, à ce que notre
créateur y soit de bien en mieux servi, loué et
adoré et sa benoîte mère et ladite sainte Marthe...
Avons voulu et ordonné (i)... — Ces fondations
et privilèges furent renouvelés par Charles VIII,
fils et successeur de Louis XI, en 1429 ; par Henri
II en 1549 ; par Charles IX en 1564. Et l'assemblée
du clergé de France en 1655, rappelant le miracle,
et la reconnaissance de Clovis, appelait ce grand
roi le fondateur de Téglise de sainte Marthe.
Ainsi, ce miracle perpétue le souvenir du premier
roi chrétien de notre France chrétienne dans
toute notre histoire. Clovis, vainqueur de TAria-
nisme, par la protection de sainte Marthe, la
première adoratrice de la divinité de Jésus-
Christ, Clovis, guéri miraculeusement au tombeau
de la vierge de Béthanie, transmet à sa race, à
tous nos rois très-chrétiens, sa dévotion et sa
reconnaissance. C'est ainsi que le tombeau de
sainte Marthe a préservé la France de Thérésie
Arienne,et que la généreuse vierge a payé Thos-
{{) Pondatioa du chipitre royal de sainte Marthe. Charte de
Louis XI. Mai 1182. Mon. inid. II, 1330.
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1
446 SAINTE MARTHE
pitalité que la France avait donnée à son exil, à
son culte, à ses reliques. C'est ainsi que la
royauté française a proclamé sa foi en la mission
de sainte Marthe dans notre pays, la vénération
pour sa mémoire, sa reconnaissance pour la pro-
tection de Taimable et puissante hôtesse de Jésus.
Mais revenons au sixième siècle, près du tom-
beau de sainte Marthe, alors illustré par tant de
prodiges. Averti par la renommée des miracles
qui s'opéraient chaque jour au tombeau de la
bienheureuse Marthe (1), est-il dit de Glovis, le
miracle de la guérison du roi de France et les
libéralités de sa royale reconnaissance durent
augmenter la célébrité de ce tombeau, durent
attirer des foules plus nombreuses encore, dont
la foi naïve et la dévotion exaltée durent arracher
bien des miracles à ces reliques déposées dans
cette église de Tarascon. En ce temps-là on célé-
brait la fête de sainte Marthe le 17 décembre, avec
la fête de son frère Lazare, évoque et martyr, le
jour même où fut consacrée son église, comme
nous l'avons rapporté plus haut. Elle était morte
le 29 juillet ; on le savait, et Raban le rapporte;
mais la fête de cette dédicace fut d'abord la plus
célèbre et la première : ce qui était très-conforme
aux usages de la primitive église qui conservait
pieusement et solennellement célébrait ^annive^
(1) Faroa admonitus miraculorum quse ad B. Martha sepol-
cpum quotidie perpetrabantur. Offic. B. Marthas virg. et hoep,
Christ. Avenione. Lect. VI. In die octava.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 447
saîre de rérection des oratoires et de la dédicace
des temples bâtis sur le tombeau des saints. Jus-
qu'au Concordat en 1802, qui a transféré au
dimanche après Toctave de la Toussaint, la fête
de la dédicace de toutes les églises de France,
on célébrait chaque année à Tarascon, au mois
de décembre, celle de FEglise souterraine où a
toujours été renfermé le tombeau de sainte Mar-
the et que constamment on a honoré comme le
lieu que cette sainte patronne avait sanctifié par .
sa présence durant la vie. Ce jour là, on faisait
Tofflce divin dans Féglise inférieure ; et cette fête
n'avait rien de commun avec celle du i*" juin,
dont Fobjet était la dédicace de l'église supérieure
consacrée en 1197 par Imbert d'Aiguière, arche-
vêque d'Arles, et Rostang de Marguerite, arche-
vêque d'Avignon (1).
Cette antique église que Raban appelle Basili-
que, ce lieu vénérable et célèbre ou Marthe a prié,
où les premiers fidèles de Tarascon se sont réunis
pour la prière et les saints mystères, où les reli-
ques de notre sainte furent déposées par le Sau-
veur lui-même, c'est l'Eglise inférieure ou l'Eglise
(1) Mon. inédiU, etc., I. 647. Cette fête, célébrée au 17 dé-
cembre, fut transférée au 3 décembre, lorsqu'à la fin du xvi«
siècle la sacrée congrégation des Rites défendit que Ton fil
ancan autre office que celui de la férié, depuis le 17 décembre
jusqu'à la îèie de Noël. C'est après cette fête, commune à sainte
Marthe et à son frère, que Ton célébra la fête unique de sainte
Marthe au 29 juillet.
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1
448 SAINTE MARTHE
basse. C'est là proprement Toratoire de sainte
Marthe consacré par les saints évoques Maximin
et Trophime; c'est là que Clovis est venu prier, là
qu'il a été guéri et qu'il a signalé sa magnifique
reconnaissance. Cet oratoire, de proportions étroi-
tes, comme tous les oratoires élevés aux premiers
siècles de Tévangile, pour de petits groupes de
fidèles, pour des églises domestiques et quelques
disciples, cette chapelle englobée et couverte par
des constructions postérieures, formait une égUse
à part, la première et la seule église de Tarascon.
Elle n'était point sous terre, autrefois, iTdans les
premiers siècles, du 2* au 8% comme elle est au-
jourd'hui. Le terrain où la ville est assise s'étant
exhaussé par les débordements et les alluvions
du Rhône, le sol de l'église auquel on ne voulut
pas toucher se trouva plus bas : et bientôt il fal-
lut descendre par des degrés : puis il fallut pour
donner du jour, ouvrir ces petites fenêtres hautes
que Von remarque encore dans les petites cha-
pelles de cette église (1), qui devint ainsi une
église souterraine. Enfin , comme cette église
devenait incommode et insuffisante, on construi"
sit sur le flanc méridional de l'édifice vénérable,
une nouvelle église plus spacieuse dont on voit
un reste dans le portail latéral de la grande
(1) La chapelle de sainte Madeleine et la chapelle de>io(
Maximin et de ;9aint Front : les deux saints évoques sont suis
dans la môme chapelle et dans la môme trftditioik
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 449
église romane qui existe encore et qui date du XIP
siècle (1).
Mais Toratoire primitif est resté le sanctuaire
qui contient toujours le corps de sainte Marthe,
ces pieuses reliques conservées avec un soin
jaloux,dérobées à toutes les fureurs des Sarrazins,
et plus tard des modernes iconoclastes, les héré-
tiques et les révolutionnaires. Tel fut cet oratoire
dans les premiers siècles et jusqu'aux ravages des
Sarrazins. Au commencement du8°siécle,les Sar-
razins d'Afrique s'emparèrent de TEspagne qu'ils
inondèrent de sang et de ruines : et bientôt débor-
dant par dessus le^ Pyrénées ils se précipitèrent
sur la Provence. Les historiens et les chroni-
queurs ont rempli leurs récits des effroyables
ravages de ces barbares : ils les appellent tantôt
Sarrazins, tantôt Agaréniens, tantôt Vandales (2).
Mais ils sont tous d'accord à les montrer comme
des ennemis implacables et féroces de Jésus-Christ
et des chrétiens, acharnés spécialement à démolir
les églises et les monastères, à massacrer les moi-
nes et les prètras, à brûler, disperser, anéantir les
saintes reliques. — Les provençaux qui ne tar-
(1) Mon. ined. I, 647-C48. Note.
(2)Cum gensAgarenorumfiirens onmen depopulMttt provin-
ciam... Acta SS. XII A.ug. eo tempore gens impia vandalorum
Galliam devasture caepit. quo le npore destruclaB ecclesiae subver
8iri monastaria, caplae urbes... bistor. Franc, scapt. Ducbesne,
III. Gens cpudeliasi na, omni hummitale postposita... tandem
provinciam Narbonensem venit, ubi devaslans omnia... vit
laocti Porcarii. ibid.
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450 SAINTE MARTHE
dèrent pas à apprendre ces horreurs, craignirent
d'être envahis à leur tour, et prirent le parti d'en-
fouir aussi dans la terre les corps de leurs saints
tutélaires. Les Acta SS. racontent comment un ange
apparaissant à saint Porcaire, abbé de Lérins,
l'avertit de se lever en hâte pour cacher les sain-
tes reliques et les dérober à la fureur des barba-
res (1). Ce fut peut-être sur un semblable avertis-
sement, ou d'après cet exemple, qu'à Marseille on
cacha le corps de saint Lazare, à Tarascon, celui
de sainte Marthe, à Notre-Dame-de-la-Mer les
corps des saintes Marie Jacobé et Salomé et à
saint Maximin celui de sainte Marie Madeleine;
au moins, dans cette sage précaution, on ne peut
méconnaître les soins de la divine providence sur
les restes mortels de ces saints personnages que
le Sauveur avait particulièrement aimés (2).
Il faut donc rapporter au viii* siècle, conune
nous l'avons fait pour sainte Marie-Madeleine,
le recèlement du corps de sainte Marthe. Ces
pieuses reliques furent cachées par les religieux
qui desservaient alors la basilique de sainte Mar-
the. Elles furent enfouies dans l'église inférieure,
qui peut-être alors commençait à s'enfoncer dans
le sol, et qui sans doute était entourée, et par là
(1) Gum gens Agarenorum furens omnem depopulasset pro-
vinciam, angélus dominî par dies decem prœverniens apparaît
Jn somnis s. Porcario,dicens : surge velociter, et occulta vcne-
randas rellquias... vita s. Porc. Acta ss. XII Aag.
(t) Mon. ined. 1681.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 451
même fut ensevelie par les bâtiments du monas-
tère et de rhôtellerie que les plus antiques tradi-
tions nous montrent autour du tombeau de la
vénérable hôtesse de Jésus. Ce corps fut donc
enfoui ; mais on eut soin de mettre avec les reli-
ques une tablette de marbre blanc où étaient
gravés ces mots en caractères romains : HicMar-
tha jacet, ou comme porte une autre version :
BeataMarikajacet hic y Idi bienheureuse Marthe
repose là (1). Cette tablette fut retrouvée avec le
corps en H87. Elle fut conservée dans le trésor
de sainte Marthe, inscrite et décrite dans un in-
ventaire de 1487. Elle a disparu dans la Révolu-
tion qui a détruit brutalement tant de titres et de
monuments de notre histoire; mais cette tablette
a été vue pendant six siècles, en tout conforme à
ces tablettes que Ton mettait à Rome, au rapport
de Baronius et de Bellarmin, dans les tombeaux
des saints et dans les sépulcres des martyrs, pour
conserver leur nom et assurer la vérité de leurs
reliques.
Les reliques de sainte Marthe restèrent cachées,
enfouies, peut-être oubliées, pendant plus de
quatre-cents ans. Car ce ne fut qu'à la fin du xii*
siècle, en 1187, qu'elles revirent la lumière et les
splendeurs renouvelées de leur culte restauré.
Lorsque les sarrazins eurent ruiné Téglise de
sainte Marthe et la ville de Tarascon, pendant
une succession dlnvasion3 et de ravages qui dura
(1) Moo, égliie de sainte Marthe, 12. ''
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452 SAINTE MARTHE
près d'un siècle, on comprend que le souvenir
précis du lieu où fut caché le saint corps se fût
perdu: et, si le culte de la sainte germa de nou-
veau et reverdit parmi les ruines, c'était bien
parce que ses racines traditionnelles et évangéli-
ques plongeaient plus avant que les bouleverse-
ments et les ruines, dans le sol chrétien de la
Provence. Il existe un monument de cette renais-
sance du culte de sainte Marthe, après les inva-
sions sarrazines : c'est l'antique portail Roman
resté accolé à l'un des côtés de l'église actuelle,
mais évidemment plus ancien de style, de maté-
riaux et de construction que cette église consa-
crée en 1197, dix ans après l'invention des reli-
ques. Ce portail dut être reconstruit après les
ravages des sarrazins, avec l'église qui fut rem-
placée par l'église actuelle. On voit même dans
un des murs qui font partie de cette construction,
un grand chapiteau antique, de marbre blanc,
mutilé. Ce chapiteau faisait sans doute partie de
la basilique ruinée par les sarrazins.
Nous avons ainsi, dans l'église de sainte Mar-
the, avec le portail du ix« ou x' siècle contempo-
rain de Raban et de la Vie de sainte Marthe, por-
tant encastré dans ses murs, un reste des cons-
tructions mérovingiennes qui recouvraient le
tombeau de sainte Marthe, nous avons la syn-
thèse monumentale de l'histoire du culte de
sainte Marthe. Ce portail dont nous parlons et
qui forme, en dehors de l'église actuelle, une
page archéologique de l'histoire de sainte Marthe,
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SA TIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 453
avant rinvention de ses reliques, ce portail est
moins Roman que Romain, avec un Attique grec:
ce mélange des styles ne peut surprendre dans
cette Provence aux origines grecques et latines
superposées, puis sanctifiées par la famille de
Béthanie, venue de TOrient. Le portail à plein
ceintre offre une voussure profonde reposant sur
cinq colonnes de chaque côté. Le linteau portait
rentrée de Jésus à Jérusalem, sujet admirable-
ment choisi pour une église dédiée à sainte Mar-
the : Car Jésus sortait de Béthanie pour entrer à
Jérusalem en triomphateur, et c*était à Béthanie
qu'il devait rentrer le soir de ce jour pour rece-
voir les soins de Marthe. Cette scène offrait une
particularité : c'est que l'un des disciples portait
un parasol au-dessus de la tête du maître. Ce
détail des mœurs orientales est à peu près inconnu
dans l'iconographie chrétienne de notre occident.
Le tympan au-dessus du linteau portait le Christ
assis sur un trône^ accosté des quatre animaux
symboliques, des quatre évangélistes. La vous-
sure était surmontée d'un Attique reposant sur
une corniche à feuilles d'Acanthe, qui contour-
nait les murs de l'édifice et qui était soutenue
par des modillons aux figures bizarres, comme
les taillait grossièrement le ciseau primitif des
artistes Romans. L' Attique était orné de colonnes
rondes entremêlées de pilastres cannelés. Mais
aux deux côtés de la voussure, sur le plat du mur,
à la retombée des voussoirs, étaient représentées
deux scènes caractéristiques : à gauche, en en-
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SAINTE MÀBTHE
1
trant, la résurrection de Lazare ; à droite, la
victoire de sainte Marthe sur la Tarasque : deni
scènes qui se répondent et s'expliquent admira-
blement à la gloire de la vierge de Béthanie et de
Tarascon*. Dans la scène de la Tarasque, sainte
Marthe était placée dans une niche plus élevée
que le niveau des autres personnages. Elle tenait
enchaînée avec sa ceinture la Tarasque qui dévo-
rait un homme ; elle aspergeait d'eau bénite le
monstre dont le corps était revêtu d'une carapace
armée de cornes acérées, comme la tradition
populaire veut la voir représentée. La sainte
tenait à la main gauche une croix à double croi-
sillon. Voilà les figures et les scènes que le por-
tail carlovingien offrait aux regards des pèlerins
de sainte Marthe. Aujourd'hui le portail est mu-
tilé, les figures ont disparu sous le marteau des
iconoclastes de 93. La Révolution a aussi passé
par là pour détruire et pour effacer. Heureuse-
ment la descrip;ion et le dessin de ces curieuses
sculptures nous ont été conservés par un habi-
tant de Tarascon qui gardait le culte de sainte
Marthe parmi les souvenirs patriotiques (1).
Nous avons remarqué dans le bas-relief qui
représentait sainte Marthe enchaînant la Tarasque,
(1) Notes mélangées de divers événements et des ohoees la
plus curieuses que j*ai vues. Tome ix, manuscrit appart. aoz
liéritîers de M. Monren , inutile de le rappeler, poar les
détails, voir les mon. inéd. 1. hist. du culte de sainte Maitbe
1293, etc.
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SA TIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 455
une croix à double croisillon dans sa main gau-
che. Cette croix est la même que portaient les
chevaliers et les frères hospitaliers du St-Esprit.
Cet ordre, en effet, prétendait avoir eu sainte
Marthe pour fondatrice. La fondation de cet ordre,
qui fut sans doute une congrégation de frères
avant d'être un ordre de chevalerie, comme les
aimait le moyen-âge, des moines armés du glaive
pour défendre FÉglise, attachés par des vœux aux
œuvres de miséricorde, cet ordre de chevalerie
se perd à la lettre dans la nuit des temps. Mais il
pourrait se rattacher aux disciples de sainte Mar-
the qui, près d'elle, exerçaient ITiospitalité, ainsi
que le raconte Raban ; comme tous les ordres
hospitaliers le rappellent en honorant sainte
Marthe pour leur patronne et leur modèle. On
conservait dans le trésor de sainte Marthe (lln-
ventairede 1487 en fait une mention spéciale)
une croix en cuivre à double croisillon ; on la
conservait comme une précieuse relique. On
croyait qu'elle avait servi à Fusage de sainte
Marthe, et que c'était celle qu'elle avait fait placer
devant ses yeux avant d'expirer. Il est vrai, Raban
parle d'un crucifix (1), mais Raban qui n'avait
pas vu la croix conservée à Tarascon, n'avait-
il pas un peu amplifié le texte de l'ancienne vie
qu'il avait sous les yeux, en écrivant? Elle
portait en eftet au rapport de Launoi : Signum
(I) Craoiflxl salvatoris imago ante fiidem cjas erigitar. Vie
de ninte Madeleine, etc, XLVIII.
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456 SAINTE MAKTHE
crucis pra oculis habens, ayant devant les yeux
le bois, ou plutôt la représentation du bois de
la croix. D*alleurs la croix simple comme image
a dû précéder le crucifix qui ne se montre pas
aux premiers siècles du christianisme, sauf le
graffite sacrilège, grossière image au trait dessiné
par une main ennemie sur le mur du palais des
Césars au mont Palatin (1). Quoi qu'il en soit, les
chevaliers, les religieux et les religieuses de
Tordre du Saint-Esprit, en portant cette croix à
double croisillon, pensaient porter la croix de
sainte Marthe, tout à la fois comme la preuve
authentique de leur antique descendance et
comme le pieux témoignage de leur vénération
pour sainte Marthe, leur fondatrice et leur
pati:onne (2).
Disons enfin, pour épuiser toutes les traces qui
nous restent du culte de sainte Marthe survivant
aux ravages des Sarrazins et nous pouvons le
(1) La seule image du crucifix datant du temps des perséca-
tions, qui nous soit parvenue, est une caricature ; nous TODlom
parler du graffite découvert snr un mur, il y a quelques an-
nées^ dans les fouilles du mont Palatin à Rome, «et transporté
au musée Kircber où nous Pavons observé. Iconographie de la
croix et du crucifix, par Grim. de. Laurent. Ann. archéol.
XXVI-137.
(2) Remarquons que la croix dite de Jérusalem est une crobL
à double croisillon comme la croix de sainte Marthe. Notre
sainte aurait-elle apporté cette forme de croix de Jérusalem
comme souvenir de sa patrie, et le petit croisiUon de cette croix
n'est-il pas. le titre môme de la croix, plus développé que daof
les croix moins anciennes 7 Videant periiu
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SA TIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 457
croire, antérieures à rélévation de ses reliques,
disons que Thistoire municipale de Tarascon
dépose de la gloire de sainte Marthe. L'image de
notre sainte était tracée sur les antiques sceaux
de la ville. La bienheureuse hôtesse du Christ
ainsi que dit Texergue de Tun de ces sceaux,
Beata Martha hospita Christi, est représentée
assise comme un apôtre sur une chaire de prédi-
cation, la croix à la main, la tête nimbée. C'était
la figure du contre-scel. La face principale du
sceau de Tarascon et de ses consuls, porte un
château accosté de deux portes, et, au-dessous, en
pointe, la Tarasque, symbole de la protection de
la sainte et de la reconnaissance de la ville pour
sa patronne. La Tarasque paraît encore sur les
monnaies frappées à Tarascon sous le roi René (Ij.
Ce grand miracle, manifestation éclatante de la
complaisance du Sauveur pour son amie, de la
protection de sainte Marthe pour Tarascon, ce
grand miracle est resté profondément empreint
* dans la mémoire, dans Thistoire et dans la vie
municipale de ce peuple religieux ,vif et passionné,
des bor^ls du Rhône. Dans -ses fêtes dramatiques,
, la Tarasque joue toujours un rôle aussi populaire
que le culte de sainte Marthe. C'est très-certaine-
(I) Oa cite parmi les plat anciennes représentations du mi-
racle de la Tarasque, une ancienne peinture dans l'église de
saint Maximin, une statue en marbre peinte et dorée dans
réglise de la Major, à Marseille : mais ces œuvres d'art sont
évidemment postérieures à Tépoque dont nous parlons, malgré
le témoignage de Faillon. 1. 1218. 1220.
26
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458 SAINTE MAHTHE
ment aux premiers siècles du moyen-âge, alors
que pour le peuple chrétien, plus artiste et mieux
cultivé que les foules d'aujourd'hui, le drame
liturgique était le grand charme et le vivant ensei-
gnement, c'est à ces premiers siècles que remonte
la procession de la Tarasque encore en usage. —
« D'après une coutume immémoriale, le jour de
la fête de sainte Marthe, on porte à la tète de la
procession et devant la croix, un énorme simu-
lacre de la Tarasque qu'une jeune fille vêtue de
satin bleu et en voile rose, tient attaché par une
ceinture de soie. Celle-ci a un bénitier et un asper-
soir à la main et représente sainte Marthe triom-
phant de ce monstre. Pour rendre la figure plus
frappante^ le simulacre ambulant détourne de
temps en temps sa masse sur les groupes qui bor-
dent son passage : il avance la tète et ouvre sa
large gueule comme pour les dévorer. La jeune
fille fait alors aspersion sur lui, et incontinent le
monstre s'apaise et semble oublier sa férocité
naturelle. Devant et derrière l'animal, des hom-
mes armés de vieilles piques ou de masses d'armes,
et revêtus d'habits légers qui imitent par leurs
formes singulières les armures de fer du moyen-
âge, désignent le peuple de Tarascon qui mit en
pièces la Tarasque... on promène encore le mons-
tre par la ville le lundi de la Pentecôte, pour
servir aux jeux publics institués par le roi
René (1).»
(1) Famon. Mon. inecU !• 4217-1218.
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SA VJB, SON fflSTOIRE ET SON CULTE.
Les reliques de sainte Marthe, dérobées depuis
plusieurs siècles, cachées et enfouies pour ne pas
tomber aux mains sacrilèges des barbares, igno-
rées des générations qui se succédèrent sur le
sol délivré et dans la ville rebâtie de Tarascon,
devaient enfin revoir la lumière et retrouver les
splendeurs d*un culte de vénération qu'aucun
autre ne surpassa jamais. Elles devaient en môme
temps récompenser par un éclat de protecfion et
de miracles, la foi si constante et si méritoire des
peuples de Provence. Ces reliques furent décou-
vertes en Fan 1187 ; comment, par quels moyens,
dans quelles circonstances ? on ne le sait pas ;
l'histoire se tait, et la tradition ne nous a rien
transmis que la date de cet événement. Le retour
de sainte Marthe à la lumière ne fut pas éclatant
comme celui de sainte Madeleine, un siècle plus
tard, ainsi que nous l'avons raconté en son lieu.
De cet événement capital pour Thistoire et le culte
de sainte Marthe, il ne reste qu'un bas-relief
accompagné d'une inscription, inscrusté dans le
mur du portail latéral de Féglise haute. Les deux
premiers vers de rinscriplion nous apprennent
que le saint corps fut découvert en Tan 1187 (1).
Neuf fois vingt ans, plus sept avec mille, c'est-à-
dire mille cent quatre-vingt-sept ans s'étant écou-
lés, cette dernière année, l'hôtesse du Christ nous
est révélée. Nobis patet hospita Christi, C'est
(I) Vigioti Dovies fepiem cum mille relapsis. Anao pos-
tremo nobis patet hospita Christi.
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i
460 SAINTE MARTHE
rhôtesse du Christ, -afin qu'on ne puisse la con-
fondre avec aucune autre, le nom de Marthe n'au-
rait pas été aussi significatif. C'est un événement
subit et remarquable que cette manifestation
d'une relique si chère aux populations de Pro-
vence. Les trois autres vers de l'inscription racon-
tent la consécration de l'église dont nous parle-
rons tout à l'heure. Le bas-relief nous montre
sous un arc surbaissé reposant sur deux colon-
nettes, l'invention du corps de sainte Marthe, tout
en nous rappelant les merveilles de son enseve-
lissement. Les deux grandes époques du culte de
sainte Marthe sont ainsi réunies dans la même
scène, racontées dans le même bas-relief, affir-
mées et comme illustrées l'une par l'autre. Le
corps de sainte Marthe, enveloppé de suaires, mais
le visage découvert, est couché sur une table, ou
sur une espèce de sépulcre. Aux pieds du corps
est la figure de Notre-Seigneur :.on le reconnaît à
son nimbe crucifère ; et ses mains sont encore
occupées à l'ensevelissement du saint corps. Du
côté de la tête est saint Front, évêque de Péri-
gueux. Ces deux personnages portent de riches
vêtements, sans indice de dignité, mais pour
marquer leur gloire éternelle. C'est, on le voit,
la scène que Raban nous a racontée des funé-
railles de Marthe opérées par son divin hôte
et son aposfolique ami. Derrière le sépulcre, en
face du spectateur, est un évêque, tête nue, tenant
la crosse de la main droite, et de la gauche un
livre, une tablette sur laquelle il semble lire.
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SA VIE, SON fflSTOIRE ET SON CULTE. 461
C'est sans doute Pierre Isnardi (1), archevêque
d'Arles et métropolitain de la Provence, ou Ros-
tang de Marguerite, alors évêque d'Avignon.
Imbertet Rostang sont nommés dans les trois
autres vers de Tinscription qui se rapportent à la
consécrtion de TEglise, dix ans plus tard. L'évê-
que qui dans ce bas-relief, reçoit et constate les
reliques de la sainte, lit sans doute, en la pré-
sentant à Notre-Seigneur, la tablette de marbre
blanc sur laquelle étaient inscrits les mots en
caractères romains: Hic Marthajacet. C'est là que
Marthe repose. Cette inscription trouvée dans le
sépulcre enfoui de la B«inte, et qui, sans doute,
par le prélat chargé de vérifier les reliques, fut
alors remplacée par une plaque en métal où l'on
grava cette inscription : Sancta Martha hospita
jacet hic. Sainte Marthe, hôtesse du Christ, repose
ici ; cette plaque fut trouvée lors de l'ouverture
du tombeau faite en 1805, et l'on remarque que
les caractères sont bien de la fin du \iv siècle.
Enfin, près de la figure de Tévèque qui reçoit le
saint corps des mains même du Sauveur et de son
apôtre^ est représentée une main qui descend du
ciel. Serait-ce la main bénissante de Dieu le
Père, comme on la représentait assez souvent
dans l'antiquité chrétienne, pour indiquer la pro-
tection spéciale de Dieu, ou peut-être quelque
circonstance miraculeuse dont Dieu s'était servi
(1) Les monamentt de Téglise de sainte Marthe disent :
Imbert d'Aigaières.
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1
462 SAINTE MARTHE
pour faire découvrir et faire éclater au Jour les
saintes reliques ? Mais la main n'est point nimbée
comme devrait l'être la main divine. Ce pourrait
être alors le gant oublié de saint Front : preuve
de sa présence et témoignage des miracles qui
marquèrent le premier ensevelissement du corps
de sainte Marthe.
Mais, quoi I dans cette découverte providen-
tielle du corps de sainte Marthe à la fin du m'
siècle, dans cette élévation de reliques si célèbres
et si chères sur cette terre de Provence, ny eut-il
pas quelque signe extraordinaire de l'intervention
divine et de la solUcitude de Jésus ? Nous pou-
vons affirmer que le généreux ami de Marthe
se montra par quelque signe auprès du tombeau
de Marthe pour le révéler et le glorifier, comme
il s'était montré dans, sa personne même, pour
Tensevelir, afin d'inaugurer divinement le culte
de son hôtesse. .Les Acta SS., citant le P. Gues-
nai, ne font pas difficulté de dire que ces reli-
ques furent divinement retrouvées : divinitùs
inventas (1) Mais nous pouvons croire que parmi
les signes qui ne notis ont pas été racontés, il y
en eut un qui présente encore les caractères du
miracle : c'est l'état du saint corps qui apparut
(I) Ex quo potet, înqiiit Guesnaeus (L« Goesnai^ jésuite, qui
réfuta Launoi en 1 648) sanctissimae Martha* reliquias qoas olim
propter furorem genlilium caelarîs opoHucrat, et in inferions
templi bypogeo habebantur repositse et reconditce,divinitàs ioveo*
tas esse anno 1187. Acta SS. P. Sollier. XXIX JuJii.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 463
sans corruption ; et cet état s'est conservé, du
moins dans une relique insigne, déposée dans
l'église de Roujan, au diocèse de Montpellier. Le
bas-relief dont nous avons parlé, nous montre le
corps de sainte Marthe revêtu de ses chairs et
resté sans corruption malgré les onze siècles qui
auraient dû le réduire en poussière, et cet état
d'incorruption qui demeure visible dans le bas-
relief, est resté dans la tradition et dans le culte
de notre grande sainte. « Cette merveille est
demeurée depuis comme visible à tous les yeux :
elle est même encore palpable dans la relique in-
signe que possède Téglise de Roujan, aujourd'hui
diocèse de Montpellier, et qui provient du monas-
tère des chanoines réguliers de N.-D. de Cassan,
situé dans le voisinage. C'est le bras et la main
gauche du saint corps. Cette main, qui est mince
et petite, et ce bras sont encore revêtus de leur
peau, excepté une partie du bras d'où quelqu'un,
par une dévotion mal réglée, a détaché, flit-on,
la peau qui manque. Mais dans cette partie même
où l'os est ainsi détaché, on aperçoit divers car-
tilages, et, de plus, les doigts de la main sont
encore accompagnés de leurs ongles tous parfai-
tement entiers, à l'exception de celui du pouce
gui a été pareillement enlevé par un excès de
dévotion. » (1) Cette relique, disons-nous, qui
semble garder l'impression du signe qui marqua
la révélation du saint coips à la lumière du xii*
(1) Mon. ioid. I, itSi.
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464 SAINTE MARTHE
«ècle, cette relique fut donnnée aux chanoines
réguliers deN.-D. de Cassan qui formaient alors
une communauté florissante et célèbre dans tout
le midi de la France, par les religieux de sainte
Marthe qui la confièrent à un archevêque d'Arles.
Cette relique qui fit fleurir à Cassan le culte de
sainte Marthe, est encore signalée au xviii* siècle
avec ces marques extraordinaires dïncorrup-
tion (1). Cette relique est encore enfermée dans
son antique reliquaire d'argent doré, monument
du XV' siècle, portant à son sommet sous un édi-
cule gothique, la statue de sainte Marthe enchaî-
nant la Tarasque : et sur les- deux côtés les sta-
tues de saint Lazare et de sainte Madeleine. Voilà
la tradition du miracle à travers les siècles. Nous
trouvons une admirable convenance dans cette
marque merveilleuse .de conservation du corps
de rhôtesse bien-aimée de Jésus. Cette main vail-
lante et généreuse qui avait si bien servi le
Maitre, devait se conserver intacte, comme au
front de sa plus jeune* sœur, touché de la main de
Jésus, devait se conserver intacte la divine em
preinte du Nolimetangere : les deux sœurs sem-
blablement unies devaient être semblablement
favorisées. Tune en son corps victime de péni-
tence, Tautre en sa chair, fleur intacte de virginité.
(1) On trouve (sur le maître-autel) entr'autres reliques le bras
de sainte Marthe, vierge, en chair et en os, dont le corps est à
Tarascon, en Provence. 11 fut présenté par monseigneur ^a^
chevôque d'Arles. Le P. Le Royer, génovéfain de Paris, dans
la vie du P. Blanchard, réformat, du mon. de Cassan.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 465
Un autre monument, celui-là plus visible et
plus artistique, de l'invention et de l'élévation des
reliques de sainte Marthe, c'est l'église supé-
rieure, l'église actuelle de sainte Marthe, une
admirable église romane, une des plus belles de
la Provence. Elle fut bâtie en dix ans, de 1187,
date de l'invention des reliques, à 1197, date de
la consécration de l'église. C'est ce qui donne à
cette basilique son unité de style, sa simplicité
de plan, son harmonie de proportions, sa grâce
austère, sa majesté pleine d'élégance et de force.
Elle est de ce beau style Roman de la dernière
période, un peu retardé dans notre Midi, cardans
le Nord, à cette époque de la fin du xii« siècle,
on voit s'élever et s'élancer de toutes parts l'ogive
gothique. Ici l'ogive paraît sans doute et perce
dans son élan le plein cintre Roman ; mais le
plan, les proportions, les ornements, tout est
Roman encore, très riche, très orné, comme il
convient à la châsse monumentale de ce tombeau
qui contient les reliques d'une vierge d'Orient,
dont le corps est venu se reposer au sein de la
terre provençale. L'édifice fut consacré sous le
titre de l'Assomption de la sainte Vierge et de
sainte Marthe, par Imbert d'Aiguières, archevêque
d'Arles, assisté de Rostang de Marguerite, évêque
d'Avignon, le premier jour de juin, qui, cette
année, tombait un dimanche. Voilà ce que cons-
tatent les trois derniers vers de Tinscription dont
nous avons déjà parlé : Mille deux cents ans,
naoins trois ans étant écoulés, le prélat Imbert
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l
466 SAINTE MABTHE
assisté du prélat Rostang consacre cette église
le !•' de juin (1). La dernière section du bas-
relief qu'on remarque au-dessus de Tinscrîption
indique la cérémonie de la consécration de
l'église par celle de l'autel principal. On voit sur
le premier plan une table d'autel portée sur
quatre petites colonnes. Les [évéques consécra-
teurs sont placés aux deux extrémités ; ils tien-
nent chacun leur crosse d'une main et de l'autre
ils font les onctions de l'autel. Dans le milieu
s'élève la croix aux côtés de .laquelle sont deux
espèces d'amphores destinées à contenir le saint
Chrême pour les onctions. Les évéques portent
l'un et l'autre de petites mitres fort basses dont
les pointes répondent aux épaules de ces prélats,
selon l'usage pratiqué alors dans plusieurs églises
de Provence. Ils sont revêtus d'un habit long à
manches larges et de la chape par-dessus. Cette
cérémonie fut l'origine de la fête du 1*' juin, jour
anniversaire de la dédicace de l'Église haute,qu'on
célébra depuis^ tous les ans, jusqu'au concordat
de 1802 (2).
Les fêtes des saints sont dç vrais moquments
de leur histoire et de leur culte, des monuments
vivants que se transmettent les générations avec
leur foi, leur vénération et leur reconnaissance.
(1) Mille ducentis transactis minus ac tribus annis. Imbertas
pnesul Rostanno praeside secum, in prima jnnii eonsccra
eoolesiam.
(2) Mon. inid. 1-1228-12^9.
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SA HE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 467
C*est à partir de Tinvention et de l'élévation des
reliques de sainte Marthe, que la fête de cette
sainte, qui se célébrait auparavant le 17 décem-
bre avec celle de saint Lazare, se célébra désor-
mais à Tarascon, le 29 juillet (1) ; et, de là, dans
les églises particulières, dans les ordres religieux,
entre autres les Cisterciens (1264) qui célébrèrent
comme à Tarascon Tofflce en douze leçons, les
Dominicains qui fixèrent cette fête au 27 juillet
(1274-1277), les Franciscains qui la fixèrent au 20
Juillet puis au 29 (1267), les Chartreux qui la
mirent au 28 juillet, puis à la date actuelle.
L'Église tout entière, à la fin du xii* siècle, avait
adopté Tusage de Téglise de Tarascon. La date et
révénement de ces saintes reliques retrouvées et
honorées dans une magnifique église et par une
fête nouvelle, ravivèrent le culte* de sainte Mar-
the, augmentèrent la dévotion et attirèrent les
pèlerins au saint tombeau. Saint-Louis y vint
s*agenouiller en revenant de la Sainte-Beaume :
il consacrait, pour ainsi dire, sa personne, sa
race et son royaume aux amis particuliers de
Jésus. Après lui vinrent Charles d'Anjou, son
Arère, Charles II dit le Boiteux, et ce Saint-Louis,
fils de Charles II, évêque de Toulouse, première
fleur de sainteté sortie du tronc royal de notre
grand Saint-Louis, roi de France. Le pieux évoque
vint dans Téglise de sainte Marthe prononcer un
discours à la louange de notre sainte. Sainte Bri-
(i) Aeta. SS. XXIX, jol.
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4Ô8 SAINTE MAHTHE
gitte y vînt de Suède avec sa suite, et à la fin de
ce môme xiv» siècle, un pape d'Avignon, Clé-
ment VII, y vint aussi (1383), constatant dans
une bulle le concours des pèlerins de toute na-
tion et de toute condition au saint tombeau de
Tarascon (1).
En cette même année, Louis I", roi de Sicile
et comte de Provence, fondait un office solennel
pour être célébré le jour de la fête de sainte
Marthe, en la sainte chapelle de Paris ; il fondait
aussi dans TEglise de sainte Marthe de Tarascon
une messe chaque jour, et un hôpital dans la
ville, en souvenir de l'hospitalité qu^elle donna à
Notre ^Seigneur Jésus-Christ. Les papes d'Avi-
gnon témoignèrent magnifiquement leur dévotion
à sainte Marthe. Grégoire XIII en 1373, donnait à
TEglise de sainte Marthe un autel d'argent qui
racontait en bas-relief la vie et les miracles, la
mort et l'ensevelissement de sainte Marthe, tels
que nous les avons racontés d'après Raban. La
chambre pontificale du pape Urbain VI avait
donné un rétable d'argent. Gomme Robert de
Genève, Pierre de Luna témoigna de son ardente
piété pour sainte Marthe : et c est dans la ville de
Tarascon, près du tombeau de la sainte que Pierre
de Luna traita avec Gerson et avec le duc d'Or-
(1) Quod plerumque tum de multis et remolis parlibns plures
praelati et nobiles viri, et alii perigrioi causa devotionis ibidem
venerunt. 2« bulle de Robert de Genève, Clément VIL mon.
ined. 11-1005.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CtILTE.
léans, de Textinction du malheureux schisme
d'Occident. Chacun . des nobles pèlerins et des
généreux dévots de sainte Marthe, tenait à laisser
à ses pieds, autour de son tombeau, dans son
église, un signe, un monument de dévotion et
de reconnaissance. — Dès 1451 six lampes
d'argent brûlaient sans cesse devant le saint
corps dans TEglise inférieure. On voyait dans le
trésor de cette église,une multitude de figures, de
statues, de croix, de reliquaires^ en argent et en
or. — Ces dons étaient si précieux pour la ma-
tière et les pierreries, et en si grand nombre dès
le XIV* et le XV° siècle, qu'on serait tenté de
regarder comme fabuleux les inventaires qui
nous en restent, s'ils n'étaient consignés dans les
actes publics de ce temps et pour servir à la dé-
charge des gardiens du trésor (1).
La dévotion pour sainte Martlie s'exerçait sur-
tout à vénérer ses reliques. Le corps de la sainte
était resté renfermé dans son tombeau, mais
pour satisfaire la piété des pèlerins dont les foules
ne pouvaient descendre et contenir dans l'Eglise
basse, on avait enfermé quelques ossements dans
une châsse fermée par une grille d'argent. La
clé de cette grille remise aux mains du Prieur
de sainte Marthe qui, dès la fin du XIV* siècle,
fut d'ordinaire un cardinal de la cour d'Avignon,
donna lieu à de vives réclamations de la ville de
(1) Invent, de 1487. Invent. de 1583. Invent, de 1513 et
mon. ined. I. 1237.
27
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470 SAINTE UjLKtnÉ
Tarascon. Le pape dut intervenir et décider que
ces saintes reliques seraient-fermées à deux clés,
Tune entre les mains du prieur de sainte Marthe,
Tautre entre les mains du délégué de la ville (i).
Pendant cette période de Thistoire de sainte
Marthe, les cardinaux prélats enrichirent plu-
sieurs églises dltalie, d'Espagne, de Bohème, de
Belgique et de Rome , sans parler du célèbre
monastère de Notre-Dame de Gassan, des reli-
ques retirées de la châsse des pèlerins. Dans ces
siècles de foi, les peuples, les cités comme les
communautés, regardaient les reliques des saints
comme leur trésor, comme le titre le plus vénéré
de leur honneur et de leur sécurité. Leur patrio-
tisme local autant que leur foi de catholiques
les attachaient à ces restes des amis de Dieu, le
plus souvent leurs apôtres et dont le tomheau fut
comme le berceau de leur histoire. Ils les gar-
daient avec un soin jaloux-: ils prenaient souvent
les armes pour les conquérir et les défendre. Ils
élevaient au-dessus de cette poussière féconde,
des monuments admirables. Ils enchâssaient dans
Tor et les pierreries ces ossements précieux. Toutes
ces inventions, toutes ces délicatesses, toutes ces
splendeurs de Tart, de Fart alors vivant, croyant,
exalté, leur ont fait sur notre sol et dans notre
histoire le plus noble culte et la plus belle gloire.
C'est la promesse du Seigneur, entendue et réa-
lisée par les peuples chrétiens. — Que leur mé-
(I) Bulle de Clément VII. 24 Avril 1383.
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SA VIE, SON HISÏOIRE Et SON CULTE. * Ali
moire soit en bénédiction et que leurs ossemenis
pullulent dans leur tombeau. Utsitmemoriaillo-
rum in benedictione et ossa eorurn pullulent
de loco suo (1). Nulle part ailleurs la mémoire des
saints ne fut bénie et les ossements sacrés ne pul-
lulèrent en richesses d'art et de poésie, comme à
Tarascon la mémoire et les os de sainte Marthe.
Aussi Yoyons-nous dès la fin du XV* siècle
Tarascon refuser des reliques de la sainte, crainte
d'appauvrir son trésor et de Tépuiser (1471). On
donnait en place, aux pèlerins de noble rang, des
images d'or de sainte Marthe (2). Pour garder et
défendre les reliques de leur sainte contre l'em-
pressement des foules et les entreprises des pèle-
rins armés, la ville de Tarascon mettait sur pied
ses hommes d'armes qui environnaient la châsse
dans les processions, comme les gardes du corps
de sainte Marthe. Ce cortège a gardé dans l'his-
toire le nom de Guet /le sainte Marthe; et, de nos
Jours quatre hommes armés de hallebardes, escor-
tant la châsse de la sainte rappellent et coniinuent
le guet patriotique et religieux des ancêtres.
Jamais la ville de Tarascon ne voulut laisser sor-
tir de ses murs les saintes reliques ; et, lorsque les
huguenots du Languedoc pillant et dévastant
les églises, les états de Provence en 1563, statuè-
(1) Eccl. XLVI. 14.
(2) Eléonore d'Autriche, sœur de Charles Quint, Louis
d'Orléans, grand sénéchal, René de Savoie, sénéchal de Pro-
vence, ete,, reçurent de ces images.
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472 SÀIKTE HÂllTâJB
rent que le corps de sainte Marthe serait trans-
porté en lieu sûr, les habitants de Tarascon se
levèrent, promettant de garder et de défendre
leur trésor, et s'en rendirent caution pour toute
la Provence. Ils ont tenu parole et gardé leur
trésor.
Plusieurs fois dans le cours de leur longue
histoire, les reliques de sainte Marthe ont été
reconnues et le saint tombeau a été ouvert. Les
procès-verbaux de ces ouvertures ont été perdus,
mais nous avons celui de 1458, alors que le chef
de sainte Marthe fut placé dans un reliquaire de
vermeil, œuvre d'Etienne Dandeloti, d'Arles. I^
corps de la sainte était toujours dans son antique
tombeau, derrière l'autel de l'église basse. Au-
dessus on avait élevé un 'monument de pierre
comme un autre tombeau sculpté, dont les bas-
reliefs racontaient la légende de sainte Marthe.
La face antérieure de ce ^tombeau vide offrait
une ouverture, pour laisser passer les linges et
autres objets qu'on voulait faire toucher au vrai
tombeau qui contenait les reliques. Le chef sacré
que l'on trouva séparé du corps et dans une
caisse particulière enfermée dans le tombeau,
fut placé dans son reliquaire, le 10 août 1458, en
présence du roi René, de la reine Jeanne de Laval,
son épouse, de la princesse Galande, sa fille, et
de Frédéric de Lorraine^ son gendre; en présence
des seigneurs de la cour, de l'élite de la noblesse
et de la bourgeoise. Cette tête sacrée, qui répandit
une très suave odeur lorsqu'on ouvrit la caisse
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SA VBB, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 473
qui la renfermait, fut transportée de l'église basse
dans Téglise haute, où le peuple vint la vénérer
et la baiser au milieu du concours le plus solen-
nel et des plus vives réjouissances. La tête fut
placée dans l'armoire des saintes reliques : mais
ce reliquaire n'était pas encore assez riche pour
la gloire de la généreuse amie de Jésus et pour
la dévotion de nos rois. Louis xi avait viaité le
tombeau de sainte Marthe n'étant encore que
Dauphin de France (1447) et il y avait déposé un
cierge de cire de 144 livres. Devenu roi de France,
il fit faire par André Mangot, orfèvre de Tours^
un buste en or de la sainte, posé sur un soubasse-
ment également en or. La sainte est représentée
voilée comme une vierge, et couronnée comme
une reine d'une couronne de fleurs de lys. Le
soubassement représente une galerie circulaire
avec des arcades en ogive où se reproduisent en
émail les principaux traits de la vie de sainte
Marthe, telle que nous l'avons racontée. La tête
de la sainte fut transférée de la châsse d'argent
dorée dans cette châsse splendide d'or et d'émail,
le 8 décembre 1470^ par André de la Place évoque
de Sisteron, en présence du roi René, de la reine
Jeanne et de toute la cour, aux applaudissements
d'un peuple immense accouru d'Avignon, d'Arles,
et de Beaucaire, pour s'unir aux heureux fidèles
de Tarascon. Cette châsse, œuvre d'art et de
magnifique dévotion, pesait plus de cent nlarcs.
Elle était la plus riche du royaume de France, si
riche cependant en œuvres d'art et de foi, avant
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474 SAINTE MARTHE
d^être dévastée par les huguenots et pillée par les
révolutionnaires. Le pieux roi I^ouis XI, que cer-
taines histoires ont trop maltraité, peut-être parce
qu'il était réellement dévot et royalement géné-
reux pour Jésus-Christ et pour les saints, le pieux
roi avait voulu se faire représenter à genoux avec
son manteau fleurdelysé, priant la sainte de lui
rendre en ce monde et en l'autre ce qu'il a fait
pour elle, et qu'elle lui donne la grâce de faire
encore une caisse d'or pour mettre le reste de
son corps (1). — - «Lâchasse d'or que Louis XI fit
dresser à l'honneur de cette grande sainte, est
la merveille du siècle et de la magnificence de ce
grand roi, le chef-d'œuvre de son temps et l'ad-
miration du nôtre, le prodige de l'art et le déses-
poir de tous les ouvriers. C'est le riche et précieux
ouvrage dont le prix qui n'est pas plus considé-
rable par la matière que par la délicatesse du
travail, surpasse tout ce qu'il y a eu en France et
peut-être en toute la chrétienté, de beau, de
magnifique en ce genre. C'est le fameux présent
que fit le grand roi, dans lequel il ne grava pas
moins ses propres Aertus et sa réputation, qu'il
représenta dignement le mérite et la figure de
sainte Marthe (2).» — C'est un témoin oculaire qui
parle devant cette belle œuvre visible à tous et
(1) A côté de la statuette de Louis XI, on lisait ceUe ins-
oription : Rex francomm Ludovious undecimua hoo feclt fierl
opùs, anno Dni. MCGGG-LXXVUI.
(2) R. Bertetvie panôjyr. IV. ch, 10,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 475
admirée de tous. On le comprend bien, cette
châsse vraiment royale ne p ouvait échapper aux
rapacités sacrilèges de la Révolution ; elle a dis-
paru, sauf la relique insigne qui a été dérobée
et conservée. Mais des dessins nous restent de
cette œuvre où Tart exquis du xv® siècle surpas-
sait à peine la riche matière. Le pieux chanoine
de sainte Marthe, Rostang Bertet, dont nous avons
déjà cité rHistoire panégyrique de la vie de
sainte Marthe, la fit graver pour son ouvrage, et
parmi les vers, les sonnets en grand style, que le
bon chanoine entremêle à son histoire, nous
prenons cet heureux quatrain qu'il met au bas de
la châsse royale de sainte Marthe :
Marthe, la France te donne
De cheps gages de sa foi ;
Mettant à tes pieds son Roy
Et sur ton clief sa couronne.
(Hist. Panégyr. IV^ partie, 207.)
Ce ne fut pas le seul don de la magnifique
dévotion de Louis XI pour sainte Marthe. En
1470, il envoyait à son tombeau quatre lampes
d'argent qui devaient brûler sans cesse ; en 1480,
il envoyait un tabernacle d'argent ; il déposait
dans le trésor une main de justice, comme un
hommage de son autorité après l'hommage de sa
personne. On cite encore un énorme calice de
vermeil que le pieux roi donnait en reconnais-
sance d'un avertissement miraculeux qu'il avait
reçu de sainte Marthe et qui l'avait, croyait-il,
préservé d'un empoisonnement. Enfin, il fonda
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476 SAINTE MARTHE
près du tombeau de sainte Marthe un chapitre
royal en 1482 (1). Ce chapitre remplaça les cinq
religieux blancs de Frigolet, [attachés à Téglise de
sainte Marthe, et qui ne pouvaient donner à la
basilique et au saint tombeau la splendeur du
culte perpétuel que lui donnèrent les quinze cha-
noines et les quinze bénéflciers de ce chapitre qui
se rattachait au chapitre royal de la sainte cha- .
pelle de Paris. Nos rois honoraient sainte Marthe
comme une sainte de leur famille et comme une
patronne spéciale de la France. Les riches
dotations de Louis XI furent augmentées par son
fils Charles VIII. François P' vint en personne
au tombeau de sainte Marthe après la victoire de
Marignan (1516) ; Louise de Savoie, mère de
François I", vint pendant la captivité de son fils
recommander à la sainte la France et son roi
(1525). Charles IX y vint aussi faire un royal
pèlerinage ; Anne d'Autriche y vint deux fois :
d'abord en 1632, alors qu'elle implorait les saints
protecteurs de la France, pour donner un héritier
au royaume très-chrétien, puis en 1660 où elle
vint avec son fils Louis XIV, remercier les saints
de Provence de la naissance et de la conservation
de son fils qui devait être le grand roi.
(1) Ce chapitre était composé de quinze chanoines, de qainie
vicaires ou bénéflciers, de six enfants de chœur avec un maître
de musique, de deux clercs pour servir à Téglise et de deux
bâtonniers ou francs-sergents. 11 le dota richement... Moo*
inid. I, i254.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 477
On le comprend, nous ne pouvons citer tous
les noms des personnages remarquables par leur
naissance, leurs dignités ou leur notoriété qui
vinrent honorer sainte Marthe, se prosterner à
son tombeau, déposer dans son église des témoi-
gnages de leur dévotion. Citons, toutefois, ce
Dominique de Marinis, archevêque d'Avignon,
dont répiscopat tout entier fut une suite d'actes
de dévotion singulière, de consécration -à sainte
Marthe et de dons à son tombeau (1649-1661).
C'est à lui qu'on doit le sarcophage en mar-
bre blanc avec la statue de la sainte qui dans,
l'église basse de sainte Marthe enferme et recou-
-vre le sarcophage antique de la sainte : œuvre
élégante et distinguée d'une reconnaissance
intempérante que nous admirerions davantage
s'il n'avait pas fallu mutiler le vieux tombeau de
notre sainte pour l'enfermer dans ce lit de parade.
L'inauguration de ce tombeau fut un événement
pour Tarascon et une grande fête. Le pieux arche-
vêque termina la décoration de la crypte par des'
marbres qui revê-irent tout le sanctuaire (1).
Mais que dire de la dévotion ardente, du culte
(I) La statue de sainte Marthe est couchée sur ce lit de pa-
rade, elle a les raains croisées sur la poitrine, l'une tient la
croix, Tautre le goupillon. Cest une œuvre remarquable, exé-
cutée à Gênes. Elle porte pour inscription ces mots qui résu-
ment T Evangile, Thistoire et la béatitude de Marthe : sollicita
non iurbatur. Près de l'autel, une autre inscription rappelle
modestement le donaleur,F.Dominicu8 de Marinis, arch. Aven.
An. Dni MDGLXI. Mon. inid. I, 1255, etc.
27.
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478 SAINTE MARTHE
à la fois religieux et patriotique des Tarasconais
pour leur grande sainte ? On connaît lo mouve-
ment emporté de ces populations provençales et
rexpansion qu'elles mettent dans Texpression de
leurs idées et de leurs sentiments, surtout de
leurs croyances traditionnelles. Le culte de sainte
MartheàTarascona gardé ce caractère populaire :
il est toujours plein de vie et nous dirions de
passion, depuis dix-huit siècles qu'il est conservé,
défendu, aimé_, transmis, pratiqué. Le culte de
la vierge de Béthanie est resté comme l'honneur
du pays, la sauvegarde de la cité, la tradition de
foi^ de reconnaissance et d'amour, dans un siècle
où les traditions méprisées et calomniées s'abo-
lissent, où toute vie locale s'éteint, où tout patrio-
tisme religieux s'efface et disparaît. Il est vrai,
les bienfaits de Marthe pour Tarascon sont
innombrables, ses miracles sont infinis. La pré-
sence de Marthe, son séjour en ^le lieu, la perma-
nence de ses reliques ont comme établi dans le
pays, autour de ce peuple et dans cette cité, d'a-
près les historiens même les plus graves et les
plus autorisés, une atmosphère saturée de prodi-
ges, une action incessante de protection surna-
turelle et divine. Les Acla Sanctorum constatent
la suite incroyable de miracles innombrables
coulant du tombeau de la sainte et rayonnant de
ses reliques (1). Tous les éléments lui étaient
(1) Ne iii immensum abcat miraculomni propè innumerabi-
lium ielatio,cô se rcslringit orjttor no8ter,,.Acta SS.XXIX Jyl.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 479
soumis. Ses reliques sauvaient Tarascon d'un
affreux incendie en 1639. Elles ont souvent pré-
servé Tarascon des inondations du Rhône et arra-
ché des submergés aux étreintes des flots .Pen-
dant les pestes de 1629, de 1639, de 1640, de 1649,
Tarascon fut préservé, ou s'il fut atteint par le
fléau ce fut moins pour le désoler que pour l'a-
vertir de recourir avec confiance à la souveraine
protection de sa dame" et de sa sainte (1). L'in-
fluence de la sainte, ses fidèles le croient et l'af-
firment, ses panégyristes le proclament, s'étend
sur le sol, dans l'atmosphère de cette heureuse
contrée. Marthe est l'abondance et la fertilité du
sol, comme elle est la poésie des imaginations et
la joie des âmes (2). Delà vient, conclut le pieux
chanoine de sainte Marthe, que Tarascon est un
lieu sacré et à couvert de tous les fléaux et de
tous les malheurs des peuples. C'est de là qu'elle
abhorre l'hérésie, et que cette mère des vices et
des rebellions n'a jamais approché de ses portes
pour y établir son séjour (3).
Ainsi, la ville de Tarascon se montra fidèle et
reconnaissante à sainte Marthe, proclamant qu'elle
tenait de la vierge de Béthanie son origine et sa
(1) Tarascones clientas suos tara mirabilitep protexit ut dura *
viclaos omnes contagio invasissct ab ea ipsi immunes fuerint.
Ibid.
(2) Tarasconcnsis agep constanti fertililate et abnndantia sub
lam potcnto protectrice poppetuô gaudeal. Ibid.
(3) Vie Panég. IV. oh. 13.
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480 SAINTE MARTHE
gloire, ses privilèges et sa prospérité. Elle ne
craignit pas de placer sur tous ses monuments,
même civils, le nom et le glorieux patronage de
sainte Marthe. Sur la façade de Thôtel-de-ville
reconstruit, lés Tarasconais écrivirent : In Dei
hospitis et hospitœ vif^ginis gloriam.,. 1648. A la
gloire de Dieu notre hôte et de la vierge son
hôtesse. Sur le bronze des cloches qui chantaient
dans le campanile qui ne fut bâti que vers la fin
du XV* siècle, ils inscrivaient : Christo hospiti et
Diva MarthcB hospita sacrum devotissimi Taras-
conenses..' 1713. Au Christ notre hôte et à la
divine Marthe son hôtesse, les Tarasconais très-
dévôts ont consacré ces cloches. Enfin, car on
ne peut tout dire de cette glorieuse histoire, on
ne peut toucher que les principaux événements,
le XVIII* sièle lui-même fut pieux et magnifique
pour sainte Marthe. Toute l'histoire de la sainte,
en quatorze tableaux, fut peinte par Nicolas Mey-
nard. Carie Vanloo et surtout par Vien, premier
peintre de Louis XVI (i). Cette histoire de sainte
Marthe, en quatorze belles pages de peinture, est
entièrement conforme à la Vie de Raban, aux
récits de la légende, aux euseignements de la tra-
dition, tels que nous les avons retenus dans cette
histoire. Le xviii° siècle lui-même, incrédule et
frondeur,n'osa pas douter de ces faits prodigieux;
et la peinture, en une suite de beaux tableaux,
presque des chefs- d'œuvres, est venue joindre
(1) Voir Mon. de l'éçlise de sainte Marthe, etc., 1835.
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SA VIE, SON fflSTOIBE ET SON CULTB. 481
aux œuvres des autres arts, son hommage pour la
vierge, hôtesse de Jésus-Christ, apôtre de la Pro-
vence, trésor de Tarascon et patronne de notre
France.
Voilà ce que firent pour sainte Marthe dix-sept
siècles de dévotion et de reconnaissance. Voilà ce
que les rois et les peuples avaient amoncelé dans
le sanctuaire de cette vierge bénie, de dons ma-
gnifiques, d*œuvres d'art^ de touchants ex-votOy
de richesses, et de témoignages de piété. La révo-
lution est venue pour mutiler et détruire, souiller
et disperser tous ces trésors de l'histoire et de la
patrie. Tous ces trésors ont été pris, pillés, anéan-
tis ; le vol plus ou moins légal, le pillage organisé
de ces incomparables richesses, appauvrit et dé-
shonora la France, sans enrichir les scélérats qui
les provoquèrent pour en profiter. Ainsi la révo-
lution ne produit que des ravages et ne laisse que
des ruines. La splendide châsse d'or de Louis XI,
les autres reliquaires furent enlevés, portés à la
monnaie, dit-on, mais perdus pour Tart et la reli-
gion, pour la Provence et pour la France. Les
reliques furent perdues aussi ; le chef sacré de
sainte Marthe, un autre ossement considérable
renfermés dans un reliquaire, ont disparu sans
qu'on ait pu retrouver leurs traces. Mais une in-
tervention divine sauva le reste des reliques en-
fermées dans le tombeau de l'église basse. Deux
fois les déprédateurs sacrilèges se présentèrent
pour profaner et piller les reliques, deux fois
saisis d'une inexplicable terreur, ils s'enfuirent
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482 SAINTE MARTHE
sans avoir consommé leur attentat. La sainte
hôtesse de Jésus garda du moins pour ses fidèles
une part de ses reliques précieuses. Alors un
ancien magistrat, M. Fabre (il est bon de louer
et de perpétuer ces noms là) fit murer rentrée de
la Crypte, pour que la fureur révolutionnaire
oubliât les saintes reliques. Après le rétablisse-
ment du culte, les habitants de Tarascon s'em-
pressèrent de revoir et d'honorer les reliques de
leur sainte. M. Reynaud, curé de sainte Marthe
fit exécuter une châsse en bois doré; Monseigneur
de Cicé, Archevêque d'Aix et d'Arles, délégua
M. Arquier, curé de Saint-Remi, pour procéder à
la reconnaissance et à l'exaltation des reliques.
On ouvrit la Crypte, on dégagea le tombeau anti-
que où depuis dix huit siècles reposait le corps
de sainte Marthe. On y trouva avec la poussière
et les ossements, restes bénis du corps de sainte
Marthe, la plaque de m:'tal qui porte les mots:
sancta Martha hospita Christi Jacet hic. Sainte
Marthe hôtesse du Christ repose ici. On déposa
divers ossements dans la châsse et dans un autre
reliquaire, et l'oi. remonta dans l'église sainte où
le peuple de Tarascon put vénérer les restes de la
sainte, et où l'office de sainte Marthe fut célébré
avec une grande solennité, 3 août 1805. Le lende-
main, la châsse fut portée en procession par
toute la ville : et sainte Marthe reprenait posses-
sion de son culte, et Tarascon retrouvait quel-
ques restes de l'ardente dévotion des ancêtres
pour iêter sa sainte et sa patronne.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 483
Les reliques laissées dans le tombeau furent
enfermées dans une nouvelle caisse, on y ren-
ferma le procès-verbal de la cérémonie ; on scella
la caisse sur laquelle on mit une plaque de plomb
avec ces mots : Hic jacent ossa sanctœ Marihœ
hospitœ Christi, Ici reposent les ossements de
sainte Marthe hôtesse du Christ. Lorsqu'on ouvrit
le tombeau, on trouva parmi les ossements du
corps, quelques ossements de la tête. Mais il faut
savoir qu'on n'avait mis dans le reliquaire de
Louis XI que le crâne de la sainte. Ossa cùpitis
sanctœ Marthœ fracta aliqiiantulum. Les osse-
ments de la tête de sainte karthe un peu brisés,
dit le procès-verbal de la translation de 1458. Le
tombeau resta dans cet état jusqu'en 1820 que
Ton fut obligé de l'avancer de quelques pieds vers
l'autel, afin de réparer un des piliers de l'Eglise
haute qui s'était affaissé. En l'an 1840, les eaux
du Rhône ayant envahi le territoire et la ville de
Tarascon, envahirent l'église basse. Le curé de
sainte Marthe, M. Bondon, délégué de Monsei-
gneur Bernet, archevêque d'Aix, retira les osse-
ments de l'antique tombeau, immergé dans les
eaux. Ils furent vérifiés, séchés, puis remis dans
deux caisses, avec toutes les précautions et toutes
les garanties que demandait un tel trésor (1). Les
reliques ont repris leur place, et Ton peut dire
ont retrouvé leur antique puissance avec la foi
(f) Voir le procès-verbal du 21 janvier 1841 cité dans les
03Q0. iucJ. II. 1647-1648.
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484 . SAINTE MAETHB
des fidèles qui fait jaillir les miracles de la pous-
sière des amis de Dieu. Le 9 mai 1820, une gué-
rison miraculeuse s'opérait encore au tombeau
de sainte Marthe (1). De ces ossements si miracu-
leusement conservés pendant dix-huit siècles,
peuvent s'écouler encore bien des grâces, peu-
vent rayonner bien des miracles, selon la foi qui
les sollicite et la piété qui les provoque. La sainte
hôtesse de Jésus a toujours auprès du maître la
même puissance d'intercession. Espéroos que les
foules reviendront, que les princes retrouveront
le chemin du saint tombeau. Espérons pour la
Provence et pour la France tout entière, que le
psaume de Louis XI entonné par un prince de sa
race, se chantera de nouveau tous les jours, dans
le sanctuaire restauré, devant le tombeau res-
plendissant de la vierge de Béthanie devenue une
des puissantes patronnes de la France.
Seigneur, en votre puissance le Roi se réjouira:
et sur votre salut son allégresse sera extrême.
Vous lui avez accordé le désir de son cœur ; et
vous ne Tavez pas trompé dans la volonté de ses
lèvres.
Car vous Tavez prévenu dans les bénédictions
pleines de douceur ; vous avez placé sur sa tête
une couronne de pierres précieuses.
Il vous a demandé la vie, et vous lui avez
accordé de longs jours, pour des siècles et pour
des siècles de siècles.
(1) Voir mpn. ined. II n» 3§1 p. p. i658 etc.
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J
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 485
Grande est sa gloire en votre salut: sur lui
vous placez la gloire et Téclat de la grandeur.
Parce que vous le donnerez, comme bénédic-
tion dans les siècles des siècles, vous le réjouirez
avec la joie de votre visage.
Car le roi espère au Seigneur ; et dans la misé-
ricorde du très haut il ne sera pas ébranlé.
Que votre main se montre pour tous vos enne-
mis ; votre droite trouvera pour les châtier tous
ceux qui vous haïssent.
Vous les mettrez comme dans une. fournaise
ardente, au temps où vous découvrirez votre
visage. Le Seigneur dans sa colère les épouvan-
tera et le feu les dévorera.
Vous perdrez le fruit qu'ils laisseront sur la
terre, et vous perdrez leur race parmi les enfants
des hommes.
Parce qu'ils ont fait décliner les maux sur
vous ; ils ont formé des desseins qui ne pourront
pas s'affermir.
Parce que vous leur ferez tourner le dos pour
les flageller ; vos élus échappés à leurs mains
humilieront leur visage.
Exaltez-vous , Seigneur dans votre puissance :
nous chanterons et nous glorifierons vos vertus (1).
(1) Ps. XX. Après avoir enrichi de ses dons le tomboau de
sainle Marthe et fondé le chapitre royal pour son culte,
Louis XI ordonna que le psaume XX serait chanté tous les
jours dans la basilique, pour le salut de sa personne et de toute
sa race. H. Bertet vie paneg. IV. ch. 13.
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XIII.
SAINTE MARTHE, PRIEZ POUR NOUS.
Ora pro nobis Domina
Per le nostra peccamina
deleantur :
Impetra Martha, gratiam
His qui luain memoriam
venerantur.
(Pposa miss. Lugd. Aurel.
Colon. Massil. Arelat.4523-
1530).
Invocemus sanctilafem
Imploremus carilalem
CaraB Chrisli hospilae.
l'andem cursu nos pcrfeclo, •
InolTénso pede recto
ExpeditaB semitae,
Ad se ducat
Et perducat
Mariba duce
Vera luce
Luminoso tramite.
(Prosa Missal. Con&f. J504.)
Priez pour nous, dame de Tarascon, dame de
France, que par vos prières nos péchés soient
effacés. Demandez grâce, Marthe, pour ceux qui
vénèrent votre mémoire.
Invoquons la sainteté, implorons la charité de la
chère bôtesse du Christ. Enfin, noire couise
achevée, nos pieds ayant pircouiu sans obslacle le
rhemin de la vie, qu'il nous conduise à lui, sous
la conduite de Marthe, dans la vraie lumière, c^
par un lumineux chemin, pour nous reposer en lui^
Marthe est un type évangélique de la plus
admirable précision et de la plus étonnante
beauté : c'est une vierge, c'est une sœur, c'est
une femme, c'est la femme même, la femme inno-
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488 SAINTE MARTHE
cente et pure ; la femme chrétienne, prévenue de
grâces et qui se donne à Jésus, reconnaissant
en lui Torigine de son innocence, la source de sa
pureté, la lumière de sa beauté, le terme de son
amour et de son bonheur. Ne nous étonnons pas
que TEvangile nous donne sur Marthe et sur sa
sœur Madeleine tant de détails si précis et tant de
circonstances si caractéristiques. L'Evangile veut
nous montrer la sœur de Lazare et de Madeleine
comme le modèle vivant, agissant et modeste, de
la femme préservée par Tamour de Jésus, de la
Vierge et de la sœur, éclairant le foyer domesti-
que de son dévouement virginal, embaumant le
cloître de sa vertu consacrée: De même que Made-
leine est la femme pénitente qui retrouve Tinnol
cence dans les larmes et refait sa beauté dans
Tamour divin.
Le divin Maître avait un sentiment d'affection
tout particulier pour cette famille de Béthanie,
pour le frère et les deux sœurs (1). C'est pour
cela sans doute que ce divin ami a voulu^que son
évangile marquât son affection incomparablei
son amitié bénie pour ces trois personnes privi-
légiées ; et Ton comprend que le dévouement actif
de Marthe, Timpétuosité de conversion et l'amour
de reconnaissance de Madeleine, ITiumble et
généreuse fidélité de Lazare, on comprend que le
caractère de ces trois nobles hébreux, compa-
ct) Joan. XI, 5.
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SA YCE, SON HISTOIllS ET SON GtJLTE. 489
triotes de Jésus, aient comme séduit le cœur du
Maître. Mais cela même, cette préférence adora-
ble du cœur de Jésus, ne suffirait pas à nous
expliquer que l'évangile parle si souvent de
Marthe et de Madeleine. Marie elle-même, la
divine mère de Jésus, Marie la vierge, la mère,
la fenune par excellence, n'a pas, ce semble, dans
le récit de l'Evangile, une part aussi ample et
aussi familière. Sans doute, l'Eglise dans le dé-
veloppement de ses traditions, dan& l'évolution
de sa doctrine et de son amour, devait suppléer
à ce que l'Evangile ne dit pas. D'ailleurs, la mère
de Jésus est tellement en haut, tellement à part
dans l'humanité, que nous comprenons le silence
respectueux de l'Evangile : l'histoire de Marie
devait se dérouler dans les annales de l'Eglise.
Mais Marthe et Madeleine sont nos deux sœurs :
l'une l'ange du foyer et de la famille, l'autre le
chérubin de la contemplation et de l'amour ;
Tune, le type et le modèle des chrétiennes vivant
de la vie commune et se dévouant aux ministères
de la charité ; l'autre, le type et l'exemplaire de
la vie solitaire et contemplative, se dévouant aux
réparations des larmes et de la pénitence. C'est
pour cela que l'Evangile (qu'il en soit béni) con-
sacre plusieurs pages aux deux sœurs^ plusieurs
pages à Marthe notre sœur si pure et si dévouée.
Nous avons raconté sa vie ; cette vie si belle,
dans son unité, si féconde dans sa pureté. Nous *
l'avons vue, étudiée, admirée à Béthanie, à Mag-
dalum, à Jérusalem, à Marseille, àTarascon.
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^9Ô SAINTE MARtriH
Nous Tavons vue toujours active, dévouée, s'ou-
bliant elle-même pour penser aux autres, pour
servir les autres ; mais surtout ardente et fidèle
pour servir Jésus, l'ami, le maître, Thôteetle
commensal béni, Jésus le messie connu, le pro-
phète vénéré, le Sauveur obéi, Jésus le fils du
Dieu vivant, le verbe incarné, le Dieu fait homme,
Jésus proclamé, adoré , aimé avec tant de foi.
d'humilité, de dévouement et de pureté, par la
sœur de Lazare et de Madeleine. La foi, le dévoue-
ment et la pureté: —la foi vivante et agissante; le
dévouement humble et fécond de la charité ; la
pureté dans sa forme parfaite et dans sa fleur in-
tacte, la virginité : voilà bien ce nous semble le
caractère de Marthe et comme les traits princi-
paux de sa physionomie de sainte et de sainte
évangélique. Nous allons la regarder et l'étudier
d'une vue d'ensemble, la saluer d'un dernier
regard qui ne touchera qu'aux lignes principales
de sa vie, avant de la quitter, et la présenter une
dernière fois, l'offrir aux âmes de notre temps et
plus spécialement aux femmes de notre siècle et
de notre pays, en l'invoquant pour elles et pour
nous par une dernière prière, un dernier hom-
mage de dévotion. Marthe confessant Jésus avec
une foi pleine de tendresse et de force ; Marthe
servant Jésus avec un dévouement humble et
généreux ; Marthe glorifiant Jésus par une virgi-
nité toujours intrépide et féconde ; quel exemple,
quel modèle et quelle protection pour toutes les
âmes chrétiennes qui veulent suivre Jésus ; pour
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SAtlE, SOîi rilStOIRE Et SON CtJLTB. 491
toutes les vierges chrétiennes qui veulent appar-
tenir à Jésus I...
I
Une des premières paroles du Maître, on peut
dire sa parole principale et qui résume toute sa
mission, toute son oeuvre^ tout son évangile, est
celle-ci : Tel est Tamour dont Dieu a aimé le
monde qu'il lui a donné son fils unique, afin que
celui qui croit en lui ne périsse pas, mais qull
ait la vie éternelle (1). Jésus par cette parole écla-
tante comme un trait de lumière, pénétrante
comme une effusion d'amour, Jésus nous ouvre le
cœur de son père, et donne à Tincarnation son
vrai caractère, celui d'être avant tout et pardes-
sus tout, une œuvre d'amour. — C'est ainsi, c'est
avec cette véhémence irrésistible, avec cet effort
infini, cet excès incomparable qui submerge la
créature dans un transport de tendresse pater-
nelle ; c'est ainsi que Dieu, le roi éternel des
siècles, le maître absolu de toutes choses, le
créateur tout-puissant, Dieu l'être infini, néces-
saire, souverainement grand, souverainement
heureux, souverainement bon. Dieu la cause, la
fin, la plénitude, la fécondité, Dieu Têtre, l'intel-
ligence, l'amour, 5ic Deus dilexit,.; c'est ainsi
que Dieu a aimé, le premier, avant même qu'il y
(1) Joao III. )6.
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402 SAlKlè MiJlTHE
eût un cœur pour le noyer dans la dilectîon, avant
que le monde fut pour recevoir les grandes eaux
sorties de son impétueuse tendresse, c'est ainsi
qull a aimé, par grâce, par choix, par dilection,
regardant le néant et remplissant cet abynae d'un
acte incomparable de puissance, d'une énergie
adorable de sagesse, mais surtout d'une effusion
paternelle d'amour. — Sic Deus dilexit mundum.
C'est ainsi qu'il a aimé le monde, le monde qui
lui devait échapper, se révolter et se dérober à la
vie, . à la reconnaissance, à la béatitude, à la
gloire, ce monde qui devait passer à son ennemi,
ce monde qui devait l'insulter, le déshonorer,
l'abandonner, le mépriser, l'oublier. C'est ainsi
qu'il l'a aimé, jusqu'à lui donner son fils ; non
pas un étranger, une créature si parfaite qu'elle
fût, non pas même un ange, une créature spiri-
tuelle, éclatante de force et de beauté, non pas
même un génie, un saint, un fllb d'adoption et
de dilection, mais son fils> son propre fils, son
fils naturel, son fils unique, consubstantiel, le
fils parfait d'un père parfait, le fils aimé d'un
amour infini, dont la complaisance forme une
personne divine par procession éternelle, dont la
jubilation incessante fait l'incessante béatitude
de Dieu. Il a donné ce fils ; il le donne par grâce,
avec une libéralité qui eût dû appauvrir son seia
paternel, avec une générosité qui ne sait rien se
retenir ; il l'a donné sans rien demander en
échange, sans rien exiger, ni retour, ni compen-
sation. Il l'a donné pour que ce fils fût notre
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\
SA VtÈ, SON ËISTOrRE ET SON CtLTE. 493
réparateur et notre sauveur, notre rédempteur et
notre salut, pour que le divin créateur fait aima-
ble créature, restaurât par son amour sa créature
déchue, rachetât par son sang sa créature perdue,
vivifiât par sa mort, sa créature condamnée à la
mort éternelle — sic Deus dilexit mundum. Ainsi
Dieu a aimé le monde pour le relever, le combler
et le diviniser, pour nous racheter par son fils,
nous adopter dans son fils, nous couronner avec
son fils dans sa gloire et sa béatitude.
— Mais il faut croire en lui. Il faut croire en
Dieu sans doute, mais il faut croire encore, il
faut croire dabord en ce fils ; il faut croire qu'il
est Dieu, fils de Dieu, qull s'est fait homme sans
cesser d'être Dieu ; qu'il est le verbe, sagesse de
la puissance et de l'amour, et que ce verbe s'est
fait chair, et qu'il habite parmi nous. Il faut
croire en cet homina semblable à nous, faible,
tenté, souffrant , pleurant, mourant; il faut le
croire Dieu, réellement Dieu et réellement homme,
Dieu de toute éternité. Connu dans le temps et
pour l'éternité, l'un de nous en la forme de notre
créateur, formant avec une nature semblable à la
nôtre, issue de la même origine, une seule per-
sonne divine : fils de notre mère, avec les mêmes
sentiments, les mêmes affections, les mêmes mi-
sères que nous, sauf le péché, et fils de Dieu, coé-
ternel, consubstantiel, inséparable de son père.
Il faut croire en ce mystère nœud de tous les
mystères, en ce miracle récapitulation de tous les
miracles, en cette œuvre de puissance^ de sagesse
28
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4Ô4 SAÏNTÊ MAÈtflfi
et d'amour, qui semble pour le monde une folîe,
un scandale, un amas d'incohérences et d'im-
possibilités. Oui, certes, il faut le croire, il faut y
croire, d'une foi pleine, absolue, inébranlable,
parce que là est la vérité, la vie et le salut ; là
est la paix, le bonheur et la gloire. Il le dît, il
le répète encore : — afin que quiconque croit en
lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle (1). Or,
la vie éternelle, dira t-il ailleurs en bénissant son
père de ce qu'il a révélé ces hauts mystères de
vie et ces profonds accords d'amour, auxhumbles
et aux petits, la vie éternelle, c'est devons con-
naître, ô mon père, pour le seul Dieu véritable,
et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (2).
La vie éternelle en germe est dans la foi; la vie
éternelle en plénitude et en épanouissement est
dans la gloire, mais la foi est la racine et le fon-
dement, l'origine et la source de la vie éternelle (3).
Jésus revient sans cesse à cette affirmation fonda-
mentale. Telle est la volonté de mon père qui
m'a envoyé, que celui qui voit le fils et croit en
lui, ait la vie éternelle et je le ressusciterai au
dernier jour. En vérité en vérité, je vous dis:
qui croit en moi a la vie éternelle (4). Et toutes
ces fortes paroles, ces véhémentes assertions,
(1) Joan. Ibid.
(2) Joan. XVII. 3.
(3) Radicem atque originem aterns vits fidem et yeras pie-
lalis viiLulem nsse ufllrmat. S. Cyril XIV. 16.
(4) Joan. VI. 40-47.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 495
poïir arriver à la grande, solennelle et divine affir-
mation : — Je suis la Résurrection et la vie.— Ego
sum resurrectio et vita (1). Et pour éclairer ces
paroles du lumineux commentaire de saint Au-
gustin, ajoutons encore : il a voulu révéler ce
qu'il était. En effet, il aurait pu dire en abrégé:
celui qui croit en moi me possède ; car le Christ
est vrai Dieu et vie éternelle : celui-là donc qui
croit en moi, dit-il, va en lîioi, et celui qui va en
moi me possède: mais qu'est-ce que le posséder ?
C'est posséder la vie éternelle. La vie éternelle a
pris la mort, la vie éternelle a voulu mourir, selon
la nature qu'il a prise de toi, non selon la sienne,
il a pris de toi cette nature selon laquelle il
pouvait mourir pour toi. C'est de l'homme, en
eflet, qu'il a pris chair, mais non à la manière de
l'homme ; car ayant un père dans le ciel, il s'est
choisi une mère sur la terre, et là il est né sans
mère, ici il est né sans père. La vie a donc assu-
mé la mort afin que la vie tuât la mort. Car celui
qui croit en mot. dit-il, a la vie éternelle : non ce
qui paraît, mais ce qui est caché. Car la vie éter-
nelle est le verbe ; dans le principe il était en
Dieu, et le verbe était Dieu, et la vie était la lu-
mière des hommes (2). Lui, la vie éternelle, il a
donné à la chair qu'il a prise la vie éternelle (3).
(1) Joan. XI. 23.
(2) Joan I. 8. 4.
(3) Assumpsit ergo vHa mortem, ot vita ocoideret mortem.
— J^am ^ui in me crédit, in(|uit, habet vilam ^ternam : npa
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496 SAINTE MARTHE
Voilà donc ce que nous devons croire. Voilà
ce que tout homme venant en ce monde, éclairé
de la lumière du Verbe et touché de la grâce de
Dieu, voilà ce qu'il doit croire d'une foi certaine,
immuable, comme la véracité de Dieu même, avec
un assentiment plein et entier de Tesprit, du
cœur, des sens, à la parole de Dieu qui s'articule,
au témoignage de Dieu qui se révèle, à la grâce
de Dieu qui prévient, touche, meut et conduit les
âmes à travers Tombre et le mystère pour adhérer
à la vérité. Voilà ce que Marthe crut et confessa,
la première des saintes femmes, la première
parmi les disciples de Jésus. Pierre, il n'y avait
pas longtemps, avait reconnu, avait confessé la
divinité de son Maître, avec cette impétuosité
de foi qui ne le préservera pas de chute et de
reniement (1). Marthe avait-elle entendu cette
confession de foi si explicite et si forte, et qui
mérita au fils de Jean l'admirable prérogative de
chef de l'Eglise, de pierre fondamentale sur
laquelle le divin Maître allait bâtir tout son édi-
fice ? Gela n'est pas probable. Jésus et les apôtres
étaient alors dans les environs de Gésarée de
Philippe, dans la Phénicie, au pied du Liban : Il
ne paraît pas que les saintes femmes aient suivi
qnod patet aed quod latet. Vila enim œterna verbum : in prîn-
cipio epat apud deum, et deus erat verbum. et vila erat lux
hominum. Ipse vita œferna dédit et carni siisceptae vitam
œlemam. S. Aug. in Joan. Tjact. XXXVI. JO.
(1) Math. XVI, J6.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 497
jusque là les pas du Maître. Mais la' dame de
Béthanie, si connue et si aimée dans le groupe
des amis de Jésiis,' dut apprendre des disciples
cette circonstance extraordinaire et cette pre-
mière explosion de la foi nouvelle. Elle dut
apprendre en même temps que le Sauveur, a
peine Pierre eût-il prononcé sa magnifique pro-
fession de foi, avait dû réprimer vivement la
pétulance grossière et pleine d'orgueil de Tapô-
tre. Va-t-en derrière moi, Satan, tu es un obsta-
cle pour moi, car tu ne goûtes pas les choses de
Dieu, mais les choses des hommes (1).
Mais Jésus avait dit, après que Pierre eut
reconnu, confessé, exalté la divinité de son
Maître, Jésus avait dit: tu es heureux, Simon
Barjona, parce que cette révélation ne te vient
pas de la chaipet du sang, mais de mon père qui
est aux cieux (2). Le Fils parlait, mais le Père
enseignait. Moi qui suis un homme, qui est-ce
que j'instruis ? Qui, sinon celui qui entend mon
Verbe? De même le Père instruit celui qui entend
son Verbe. Cherchez ce qu'est le Christ et vous
trouverez son Verbe : dans le principe était le
Verbe... pour que le Père vous instruise, écoutez
son Verbe. Quel est son Verbe que j'entends,
dîrez-vous ? Dans le principe était le Verbe : il
n'a pas été fait mais il était, et le Verbe était en
Dieu : et le Verbe était Dieu. Comment les hom-
{{) Matb. n>id. 23.
(2) Math. XVI, i6-!7.
28.
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498 SAINTE MARTHE
mes, constitués de chair, ont-ils entendu un tel
Verbe? C'est que le Verbe s'est fait chair et il a
habité parmi nous (1). Cette foi que Jésus pro-
voque et réclame est donc une révélation d'en
haut faite dans le plus intime de Tâme. Il faut
s'élever au-dessus du monde, percer à travers le
voile de la chair et du sang, au-delà de l'hori-
zon borné de la créature et de l'espace, s'arra-
cher au visible, au contingent, au mortel, au
créé, pour aller, pour monter, pour s'arrêter et
se fixer à Kinvisible, à l'éternel, à l'absolu, à l'in-
créé. Et, cependant, il fallait pour Pierre, comme
pour Marthe, il fallait s'aider de la chair et du
sang de Jésus, de sa nature humaine, et la consi-
dérer, l'embrasser et l'adorer d'une même étreinte,
d'une même foi, d'un même amour et d'une
même confession. Vous êtes le Christ fils du Dieu
vivant. C'est le Père qui a fait cette révélation, —
adorable mystère et divine réciprocité. Le Fils
vient pour nianifester le Père ; le Père agit pour
autoriser le Fils ; le Fils parle pour enseigner le
Père, le Père ouvre llntelligence pour qu'elle
entende la parole du Fils. Le Fils doit être reçu,
confessé comme Dieu pour pouvoir communi-
quer la vie : et le Père à l'intérieur, dans Hntirae
de l'âme et de l'esprit, éclaire, affirme et persuade
cette vérité. Aucun ne vient à moi, dit le Fils, si
(1) Quomodo homines in carno constiUiti audierunt taie ver-
bum 7 Quia verbum caro factum est et habita vit in nobis.
Joan. I, i. S. Aug. iii Joan. Tract. XXVI.
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SA VIE, SOxN HISTOIRE ET SON CULTE. 499
le Père qui m'a envoyé ne Ta attiré à moi (1).
C'est peu, dit saint ^.ugustin, en expliquant admi-
rablement cette doctrine, c'est peu d'être attiré
par la volonté, vous êtes aussi attiré par la volup-
té. Qu'est-ce qu'être attiré par la volupté ? Délec-
tez-vous dans le Seigneur, et il vous accordera
les demandes de votre cœur (2). Il y a une volupté
du cœur auquel est donné ce pain céleste. Or, si le
poète a pu dire : Chacun est attiré par sa volup-
té (3), non par la nécessité mais par la volupté ;
non par l'obligation, mais par la délectation : avec
combien plus de force nous devons dire que
l'homme est attiré au Christ qui lui donne les
délices de la vertu, les délices de la béatitude,
les délices de la justice, les délices de la vie éter-
nelle ; car le Christ est tout cela... Donnez-moi
une âme aimante, et elle sentira ce que je dis.
Donnez moi une âme qui désire, une âme affa-
mée, une âme qui se sent étrangère dans cette
solitude, une âme qui a soif et soupirant après
la source d'eau vive de l'éternelle patrie ; donnez-
moi une telle âme et elle saura ce que je dis (4).
Dès- lors, celui que le Père a attiré, c'est celui-là
qui dit : Vous êtes le Christ fils du Dieu vivant.
Voyez qu'il a été attiré et attiré par le Père. Tu es
heureux, Simon Barjona, parce que ce n'est pas
(1) Joan. VI, 44.
(2) Psal, XXXVI, 4.
(3) Virgil. Eclog. II.
(4) S. Aug. io Joan. Tract. XXVI, 4.
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500 SAINTE MARTHE
la chair et le sang qui t'ont révélé xette vérité,
mais mon Père qui est dans les deux. Cette révé-
lation, c'est l'attraction même. Istarevelatio ipsa
estattractio. Vous montrez à la brebis une branche
de verdure, et vous l'attirez. On montre des noix
à un enfant et on l'attire. Ce qui fait courir attire,
attire sans lésion du corps, attire par le lien du
cœur. Si donc ce qui se révèle aux amants parmi
les délices et les voluptés dé la terre, les attire,
car il est bien vrai que chacun est attiré par sa
volupté, le Christ révélé par le Père n'attirerait
pas? Qu'est-ce que l'âme en effet désire plus for-
tement que la vérité ? Pourquoi donc sentir les
avidités de la faim, pourquoi désirer d'avoû* sain
le palais intérieur qui goûte le vrai, sinon pour
manger et boire la sagesse, la justice, la vérité,
réternité ? (1)
' Voilà le mystère d'attraction, de révélation et
de foi qui s'opéra d;:;^ Tâme de Marthe. Quel-
ques jours après Pierre, dans des circonstances
déchirantes pour son cœur, près du tombeau de
son frère, enseveli depuis quatre jours, elle eut
avec Jésus cet entretien adorable, où s'opéra dans
cette âme désolée mais Adèle le dernier triomphe
de la grâce. C'est ainsi que dans les déchirements
de la nature et par les brisures du cœur, la grâce
s'introduit avec plus d'abondance et d'impétuo-
sité. Nous l'avons traduit plus haut cet entretien, et
(1) s. Aug. Ibid 5.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 501
commenté avec les paroles des Pères et les mys-
térieuses intuitions du cœur. Nous n'en rappor-
tons ici que les deux versets où Jésus s'affirme et
se révèle, où Marthe croit et confesse. Jésus lui
dit : Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en
moi, quand même il serait mort, il vivra. Et celui
qui croit en moi ne mourra pas de mort éternelle.
Tu crois cela ? — Elle dît : Oui, Seigneur, je crois
que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, qui
êtes venu en ce monde (1). Heureuse Marthe I
Noble cœur. Ame dévouée I Jésus l'instruit et la
console. La douleur a comme ouvert plus large
et plus profond son vaillant cœur, son cœur
aimant de sœur et de chrétienne ; elle reçoit cette
lumière, elle se soumet à cette révélation, elle
s'abandonne à cette attraction ; elle affirme, elle
profère un acte de foi qui sera l'admiration des
siècles et qui ravit le cœur de Jésus. — Oui, Sei-
gneur, je crois que vous êtes le Christ Fils du
Dieu vivant, qui êtes venu dans le monde. Je
crois que vous êtes le Christ, notre .Christ pro-
mis, prophétisé, attendu, le Christ Rédempteur,
médiateur et sauveur. Je crois que vous êtes le
Christ et le Fils de Dieu, le Fils éternel, adora-
ble, infini, le Fils égal au Père, qui a daigné
nous visiter, nous éclairer, nous sauver ; qui s'est
fait homme en élevant notre nature humaine à
l'unité de sa personne divine. Oui, Seigneur, je
(1) Joan. XI, 25-27,
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502 SiiNTE MARTHE
le crois d'uae foi pleine, entière, indubitable,
parce que vous me Tavez dit. Verbe de vie, parce
que votre Esprit me Ta révélé, esprit de vérité,
parce que votre Père m'a attirée vers vous. Je le
crois, et en le croyant, je crois que vous êtes la
résurrection, je crois que vous êtes la vie. Je
crois que qui croit en vous, quand même il mour-
rait, vivra ; et que qui vit et croit en vous ne
mourra pas de mort éternelle (1).
Admirons la simplicité, la force et la plénitude
de cet acte de foi. Marthe, le Maître ne vous le dit
pas après cette magnifique profession de foi, mais
son regard profond et doux, l'expression de son
visage ému, Tauguste et pénétrante solennité de
sa personne se préparant à récompenser par un
miracle, le plus grand de ses miracles, cet acte
de foi le plus formel et le plus humble qull eût
encore reçu, vous le donnent assez à comprendre,
vous avez ravi le cœur du Maître. Vous êtes heu-
reuse, Marthe, car ce n'est pas la chair et le sang
qui vous ont révélé ce mystère, c'est le père de
votre maître, de votre hôte, de votre ami. Vous
êtes heureuse Marthe, et nous osons dire, vous
êtes de tout l'Evangile l'âme la plus droite, la plus
humble et la plus croyante. C'est votre servante
Marcelle qui s'est écriée, au milieu de la foule,
alors que Jésus exposait sa doctrine : Heureux le
sein qui vous a porté, heureuses les mamelles
(1) s. Aug. in Joan, XLIX, 15,
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ÈA VIE, SON fiîSÎOIfi£ St âON dtLTE. 503
qui vous ont allaité (1). Mais vous montez plus
haut. Vous passez au-dessus de la cliair et du
sang, vous allez jusqu'au sein paternel^ vous
allez y prendre le verbe, y contempler l'invisible, y
saisir Tinaccessible, et vous proclamez : vous êtes
le Christ fils du Dieu vivant. Gomme Pierre avait
dit cette parole, prononcé cette confession, fait
cet acte au nom des apôtres, au nom des prêtres,
au nom des hommes, vous avez dit la même
parole, prononcé lamème profession, fait le même
acte, au nom du collège dévoué des saintes fem-
mes, au nom des vierges^ au nom des filles et des
femmes qui reconnaissent en vous leur modèle
et leur patronne.
Quel charme nous trouverions et quelle suavité
lumineuse, à considérer dans cette âme de sœur,
de vierge et d'apôtre, le travail de la grâce, le tra-
vail combiné des trois adorables personnes de la
Trinité, par Torgane béni, pieusement écouté,
tendrement aimé du verbe fait chair 1 — « Pen-
dant que le Sauveur parlait ainsi aux oreilles de
Marthe, dit un célèbre orateur avec sa grande
théologie, une immense lumière rayonnait dans
son esprit docile une surabondance de grâce qui
accompagnait toujours la parole de l'homme. —
Dieu inondait et élevait son cœur pudique. Elle
comprit donc tout d'un coup, la vérité, la subli-
mité, la magnificence de cette révélation divine,
et en fut ravie et transportée hors d'elle-même; et,,
(I) Luc. XI. 27.
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504 SAINTE MARTHE
élevant son regard et parcourant en un instant
Tabyme qui sépare Dieu de l'homme, à travers
l'homme elle vit Jésus-Christ, le fils consubstan-
tiel de Dieu ; elle sentit, elle aima ce même Dieu,
et se trouva toute remplie, toute possédée de lui,
et en état de penser, de parler de Dieu comme
Dieu pense et parle de lui-même. Ainsi Jésus-
Christ lui ayant demandé si elle croyait la grande
et importante vérité qu'il venait de lui faire en-
tendre. Credis hoc (1) % Marthe n'hésita pas un
instant à lui faire cette confession publique de
sa foi en disant avec le ton d'une conviction pro-
fonde, avec l'enthousiasme d'un grand amour :
Oui, oui. Seigneur, j'ai toujours cru, et mainte-
nant je crois plus que jamais que vous êtes le
messie, le fils du Dieu vivant, venu au monde
pour sauver le monde (2). Oh I que cette confes-
sion est grande dans sa petitesse, sublime dans
sa simplicité. C'est l'unité delà nature et la plu-
ralité des personnes en Dieu ; c'est le but de son
incarnation, de sa vie et de sa mort, ce sont les
dogmes fondamentaux du christianisme, c'est
toute la religion abrégée, renfermée dans trois
mots, c'est Tacte de la foi théologique le plus
complet, le plus parfait qui se trouve dans les
livres saints (3). »
(1) Joan XI. 25.
(2) Joan. id. 2^.
(3) Ventura. Les femmet» de Tévang, bom. X.
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SA VIE, SON HTSTOIKE ET SOK CtTLTÉ. 505
Mais en réfléchissant encore davantage à la
suite du dialogue, à l'enchaînement des preuves,
aux progrès de la lumière dans cette âme docile,
Marthe nous est un prodige incomparable dans
cette profession de foi. La familiarité, Tintimité
de Jésus avec la famille de Béthanie, les relations
de famille et d'amitié que Jésus entretenait avec
frère et les deux sœurs ; ces deyoh's d'hos-
pitalité, ces services empressés que Marthe lui
rendait ; en un mot cette humanité de Jésus si
condescendante et si réellement, si tendrement
humaine, cette humanité toujours présente, tou-
jours accueillie, toujours aimée, devait rendre à
Marthe plus difficile Teftort que devait faire son
âme pour se dégager de ses sens, de ses impres-
sions, de son cœur même, pour voir, croire, ado-
rer, confesser la divinité, au-dessus, au-dedans,
au-delà de cette vraie et compatissante humanité.
Vivre si familièrement avec Jésus, l'approcher de
si près et si affectueusement, le servir comme un
maître, le recevoir comme un hôte, l'aimer com-
me un ami ; puis, à sa parole, le reconnaît! e, le
croire, le confesser comme un Dieu : toilà sans
doute le mérite incomparable de Marthe, voilà la
victoire qui, dans Marthe, triompha d'es sens,
des impressions, des sentiments, non-seulement
du monde, mais d'elle-même, de ses habitudes et
de ses tendresses : voilà le triomphe, le mérite et
la puissance de la foi (1).
(1) I Joan. V. 4.
29
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506 Sainte MaUtëé
Elle ne se contenta pas, la fidèle Marthe, d'avoir
reconnu dans Tâmi de son frère, dans son hôte
vénéré, son Sauveur et son Dieu. Elle va porter
cette foi dans sa famille. Elle la répandra dans
Béthanie ; elle la portera jusqu'en Occident ; elle
en enrichira la Provence ; elle en éclairera la
France tout entière. Aussitôt qu'elle a déposé aux
pieds du divin Maître le complet hommage de sa
foi, elle se lève et va dans sa maison. Elle vient
dire à sa sœur,à voix basse, avec discrétion, mais
avec un accent irrésistible, et dans la personne
de sa sœur^ elle dit à toutes les âmes de bonne
volonté : le Maître est là et il t'appelle. — Magister
adest et vocat te — le Maître est là : le Maître, le
docteur, le Verbe, le Maître est là ; le Maître des
cœurs et des âmes, le Maître de la vie et de la
mort, le Maître souverain à qui nous devons obéir,
que nous devons suivre, croire, adorer ; le Maître
que nous devons suivre à la croix, à la mort, à la
résurrection, à la vie éternelle, à la béatitude in-
finie. Madeleine se lève et va à Jésus. A la voix
de Marthe, à cette lumineuse confession de foi,
que d'âmes se sont levées pour prendre le même
chemin, que d'âmes se lèveront pour suivre le
chemin de la vierge de Béthanie, de l'apôtre de
Tarascon I
« Sublime femme dont Jésus-Christ a fait l'mi
des premiers confesseurs, des premiers évangé-
listes de sa divinité I... que nous devons donc être
reconnaisyants à cette vierge fortunée, à sainte
Marthe, dont la pureté du cœur, la docilité de
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SA VJE, SON «ISTOIÈE BÏ SOK CtJLTE. 507
l'esprit, le désir sincère de mieux connaître Jésus-
Christ et l'humilité de la prière nous ont valu de
la part de ce fils de Dieu une déclaration de sa
divinité si resplendissante de lumière, si majes-
tueuse de grandeur, si imposante d'autorité (1).»
Elle nous a valu cette révélation, elle a provoqué
cette effusion de la lumière du Verbe, elle a coo-
péré à l'évangile. Elle a reçu, elle a gardé, elle a
prêché cette foi chrétienne comme une croyante
fidèle, comme une humble disciple, comme une
infatigable apôtre, mais surtout et toujours
comme une dévouée servante de Jésus. Voilà
votre modèle, femmes chrétiennes. Voilà com-
ment vous devez croire en Jésus-Christ, com-
ment vous devez affirmer et communiquer la foi
de Jésus-Christ. Marthe est votre modèle pendant
sa vie évangélique. Elle est comme chargée des
intérêts spirituels et temporels de sa maison, de
sa famille. Elle n'a pas d'époux, elle n'a pas d'en-
fants. La noble fille des anciens princes de Syrie,
la noble dame de Béthanie est réservée aune labo-
rieuse existence d'activité, de sollicitude et de
prévoyance, de tendrssse et d'amour, pour chacun
des membres de sa famille. Elle est la conseillère
de son frère Lazare ; elle est la providence de la
maison, une riche et noble maison ; elle admi-
nistre les biens considérables qu'elle tient de ses
(1) Vent. bom. ibM.
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508 âAlNTE MABTâE
ancêtres ; elle les administre pour les grandes
œuvres auxquelles sa vocation l'appelle. Elle
sait les donner largement pour Jésus et pour les
apôtres, pour la sainte humanité du Verbe, pau-
vre, mendiante, exilée sur la terre. Mais surtout
Marthe est la sœur aînée de Madeleine, une
seconde mère, une petite mère, comme nous disons
dans les charmantes mièvreries de notre langage.
Elle a charge d'âmes en même temps que minis-
tère de femme forte et fonction de sœur de cha-
rité. Nous parlerons tout à l'heure de ses œuvres,
nous n'avons ici qu'à considérer sa foi, racine de
ses œuvres. Elle a été la première parmi les âmes
dociles à la parole de Jésus, la première de ses
disciples et de ses apôtres. Elle a accompagné,
peut-être conduit son frère au fils de Marie, elle
a écouté les enseignements et les conseils du
maître avec une attention humble et soutenue :
elle a reçu les enseignements et les conseils que
lui destinaient les mystérieuses préférences de son
divin ami,avec allégresse et générosité. Enfin, ses
docilités persévérantes, ses aspirations virginales
de disciple, l'ont élevée à ce magnifique témoi-
gnage de foi que l'évangile publie pour l'ensei-
gnement de tous les siècles, l'ont préparée à ce
vaillant apostolat que notre France admire et
bénit.
Voilà donc votre modèle, femmes de France,
filles, sœurs, mères, épouses, vous toutes qui
devez apporter et entretenir, étendre et propager,
augmenter et raviver la foi dans la famille, dans
dby Google
SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 509
le foyer, dans la société. Ainsi vous devez croire
à Jésus, dans sa parole, dans son enseignement,
dans la parole méditée de son évangile, dans ren-
seignement toujours vénéré de son église. Vous
devez aller comme Marthe et sans cesse, de votre
maison à Jésus, de Jésus revenir à votre maison,
des âmes désolées, des cœurs en deuil au conso-
lateur suprême, au maître souverain, pour leur
rapporter la résignation et Tespérance. Vous
devez aller des esprits qui doutent et des cœurs
dévoyés, vous devez aller à celui qui est la voie,
la vérité, la vie, pour leur rapporter la lumière et
la docilité. Vous devez aller, avec une douce et
persévérante intimité, de Jésus à ces âmes qui sont
sous votre autorité, sous votre influence, sous votre
main et dans votre cœur, pour leur rapporter le
retentissement des afflrmationis divines, le reflet
des révélations adorées, les contagions irrésisti-
bles de votre foi pleine de ferveur et de courage.
Vous devez comme la grande sœur de Béthanie,
la sœur aînée, cette noble fille restée vierge,
assiéger de tendresses infatigables et de prières
persévérantes, le cœur de Madeleine, pour la ra-
mener aux pieds de Jésus. Vous devez comme
Marthe prier pour vos Lazares morts, ensevelis
déjà corrompus ; et, comme elle, par la vivacité,
de votre foi, plus encore que par la ferveur de
vos prières et Tabondance de vos larmes, arracher
à Jésus la résurrection d*un frère, d'un père, d'un
époux, d'un parent, d'un ami, la résurrection et
la vie de tous ceux sur qui s'étend l'autorité de
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510 SAINTE MARTHE
votre ministère ou la charité de votre dévoue-
ment (1).
Marthe est votre modèle, Marthe est votre
patronne ; par elle, demandez, obtenez cette foi
vive, humble, forte, inébranlable, cette foi con-
tagieuse dont Tapostolat irrésistible doit submer-
ger doucement les âmes. Vous la devez commu-
niquer ; dèslors elle doit abonder, surabonder en
vous. Vous la devez entretenir, multiplier par la
prière, par les sacrements, par la communion.
Méditez Texemple de Marthe ; lisez et relisez les
divines pages de l'Evangile où elle reçoit Jésus
et le sert, où elle proclame le Christ et Tadore,
où elle ramène à Jésus sa sœur repentante, où
elle conduit à son frère enseveli, Jésus, la résur-
rection et la vie. Méditez, étudiez, priez Marthe,
ce beau modèle évangélique, cette sœur si ten-
dre, cette femme forte si douce, cette vierge si
pure, et vous ferez de votre maison une autre
Béthanie, où Jésus sera servi, aimé, adoré, où
Jésus viendra se reposer, manger les aliments
que vous lui aurez préparés, pour vous repaître à
soft tour et toute votre maison, de Taliment indé-
fectible de sa foi, pour vous abreuver des cou-
(1) Or, c'est par une foi si noble, si éclairée, si vive, ai par-
faite, que Marthe prépare, obtient, je dirais presque qu'elle
arrache des mains du Seigneur le prodige de la résurrection
de son frère. Car la foi de Marthe est cette foi que Jésus-
Christ appelle la foi de Dieu. (Marc. Xî. 22.) Veotum Jjom.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 5il
rants d'eau vive gui jaillissent de son sacré
cœur (1).
II.
La foi de Marthe, si vive et si profonde,ne reste
pas inactive. Bien avant qu'elle n'eût reçu de son
bon Mattre cette communication de gr&ce qui
l'éleva si puissamment à connaître, adorer et
confesser le grand mystère de l'Incarnation,
Marthe agissait, Marthe servait,Marthe se dévouait.
Nous pouvons même dire que cette grâce de
choix que lui lit l'adorable Sauveur,de la tirer de
la foule des disciples et du groupe des saintes
femmes, pour lui faire prononcer avec tant de
ferveur et d'humilité, d'une voix si claire, si
forte et si théologique qu'elle éclate dans l'Evan-
gile et retentit jusqu'à la consommation des siè-
cles, la grande parole de Dieu, du Christ et de
l'Eglise : vous êtes le Christ fils du Dieu vivant,
nous pouvons croire que cette grâce fut en partie
une récompense. Sa charité, son dévouement,
son ardeur aux œuvres, son activité dans l'admi-
nistration des aumônes qu'elle consacrait à
Jésus et à ses fidèles, devaient appeler des béné-
dictions spéciales, provoquer des lumières, des
élans, des ardeurs, propres à l'élever à cette subli-
mité de connaissance et de foi.
(I) Bealior sed hospita .— Quœ pascis a qno pasoorU -^
Mentem que repies hosplte •» Dnm membra curai bo^itis — •
Hym. Vesp. offîci. Aven»
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512 SAINTE lOETHE
Dans^la physionomie de notre sainte, nous
voyons donc un second caractère, une autre alti-
tude, un autre éclat de beauté : c'est le dévoue-
ment, le dévouement actif, généreux, intrépide,
qui se dépense et se consume sans rien se rete-
nir, sans rien se réserver. Marthe est de ces
âmes rares, pleines de force, d'énergie et de
volonté, qui sortent d'elles-mêmes pour se donner,
disons mieux, pour se consacrer au bonheur des
autres en se mettant au service de Dieu. Elle
n'est point naturellement contemplative, quoi
qu'elle ait des profondeurs de vue, des acuités
de regard, et des grands coups d'aile qui la trans-
portent dans les choses éternelles. Elle est natu-
rellement active, agissante, et mêlée aux choses
des temps, qu'elle apprécie avec prudence, qu'elle
administre et qu'elle gouverne avec sagesse,
qu'elle dépense avec une sûreté de discernement,
avec une largeur de désintéressement qui en ont
fait dans l'Evangile ^la première économe de
l'Eglise.
Celte attitude d'action, cette activité généreuse
que nous voyons en Marthe, nous les connais-
sons dès les premiers temps que son nom nous
est appris et que sa vie nous est révélée. Dès les
premiers mots que l'Evangile dit de la sœur de
Lazare et de Madeleine, îl nous la montre agis-
sante et empressée. Elle reçoit Jésus dans sa
maison, un château dans une villa, près de Jé-
rusalem : et cette grande dame, riche et noble,
vient servir de ses mains diligentes l'hôte aima-
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. J513
ble et simple, le docteur Galiléen, Taraî de la
famille et de ses jeunes années, en qui elle pres-
sent son Sauveur et entrevoit lé Messie. Le pre-
mier mot caractéristique deTEvangile sur Marthe
est celui-ci : Martha excipit illum in domum
siiam (1). Marthe Taccueillit dans sa maison : et
cet autre qui complète le premier : Et Martha
m/m^^mèa^ (2). Et Marthe servait. Marthe reçoit
Jésus chez elle, dans sa maison, dont elle lui fait
les honneurs, dont elle met à ses pieds tous les
Mens. Jésus veut bien se faire accueillir, se lais-
ser traiter, servir comme un hôte ; il veut bien
recevoir des soins et des offices, afin de donner
en retour des mérites et des grâces. En racontant
sa vie, nous Tavons vue à la lumière de l'Evan-
gile,etdansles intervalles,àla lueur plus vacillante
de la Vision, nous l'avons vue suivre ou précéder
les pas de Jésus, dans sa vie publique. Elle avait
préparé dans certaines hôtelleries réservées à
Jésus et à ses disciples, les aliments, les vête-
ments et objets indispensables pour les repas du
jour et pour le sommeil de la nuit. Présente,
absente, elle est toujours là par sa prévoyance
presque maternelle. Depuis des années, elle a
rendu ces soins à son frère, à sa sœur. Ce minis-
tère privé de dévouement domestique la prépa-
rait à son ministère comme sacré près de la per-
(1) Luc. X. 38.
(2) Joan. XII, 2,
29.
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514 SAINTE MARTHE
sonne de Jésus et de ses disciples. Elle prépa-
rait, arrangeait, prévoyait toutes choses, avec la
décision, la prudence et la douce autorité d'une
mère, d'une sœur, plus que d'une servante, quoi-
que bien humblement elle ne voulût que ce der-
nier titre et ce bas office. Le plus souvent c'était
avec ses biens, avec ses riches revenus, qu'elle
pourvoyait à toutes les dépenses ; et c'était tou-
jours avec une satisfaction pleine de charmes,
avec un empressement plein d'enthousiasme et
de joie.
Voilà ce que nous dit l'Evangile et ce que nous
pouvons deviner, ce que nous comprenons bien
par la connaissance que nous avons du caractère
de Marthe. L'Evangile ne dit pas tout des trente-
trois années de la vie de Jésus ; il ne dit pas
tout des trois ans et deux mois de vie publique
du Sauveur, de ses actions, de ses paroles, de
ses miracles. Le monde entier, nous dit saint
Jean, ne pourrait contenir, lire et comprendre les
livres qui les raconteraient en détail (1). Dès
lors, nous prenons les traits de l'Evangile, même
lorsqu'il les multiplie, sur certaines âmes et cer-
tains caractères qui doivent révéler et préparer
certaines fonctions dans l'Eglise, nous prenons
ces traits comme des éléments choisis, qui résu-
ment toute une vie, un dessin dont le contour
arrête une physionomie, où se condense tout un
système de grande lumière et de prédestination,
(1) Joan. XXI. 25.
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sa YIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 515
Toute la vijB de Marthe tient donc dans ces mots
divins de TEvangile. Nous pouvons étendre,
développer, expliquer cette noble existence,
éclairer cette touchante figure, préciser ce magni-
fique dévouement. Marthe, préparée par sa vie
domestique à son ministère près de Jésus, Marthe
remplaçant la mère et peut-être le père, enlevés
par la mort, pour administrer les affaires consi-
dérables de cette famille opulente et princière,
Marthe, dévouée à son frère qu^elle conseille et
qu'elle dirige, Marthe dévouée à sa sœur qu'elle
aime avec une adorable faiblesse de grande sœur
et qu'elle sauve avec une infatigable tendresse de
mère, Marthe est tout entière appliquée à ses
devoirs de famille et de vocation : pour mieux
les remplir, renonçant à ce qui faisait Thonneur
et la joie des filles d'Israël, le mariage qui pou-
vait les faire entrer dans la famille du Sauveur.
Marthe «st bien préparée parla Providence, et
tout armée par la grâce,pour exercer son dévoue-
ment à la personne de Jésus et à toute la commu-
nauté chrétienne.
Dès le moment qu'elle a connu le fils de Marie,
Marthe s'est attachée à lui. Sa vocation, sa vraie
et définitive vocation a commencé de se dévoiler
à son cœur. Et elle a commencé à la suivre avec
cette décision pleine de prudence et de fermeté, qui
faisait le fond de son caractère. Dès ce moment
elle se donne à Jésus, selon que l'Homme-Dieu a
besoin, veut bien avoir besoin de ses soins, de
ses services et de ses affectueuses largesses. Elle
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516 SAINTE MÀBTHE
ne quitte pas tout pour le suivre, comme avaient
fait les apôtres et comme ils le rappellent à Jésus
avec un certain orgueil naïf (1), parce que Jésus
ne lui a pas encore demandé de tout quitter.
Bien au contraire, Jésus a besoin que Marthe
demeure, qu'elle demeure dans sa maison pour
le recevoir, qu'elle demeure dans sa famille pour
le disposer aux opérations de la grâce, qu'elle
demeure à Béthanie, aux portes de Jérusalem,
pour reueillir, réconforter les disciples dispersés,
en leur servant de providence et de mère. Un
jour viendra où Marthe quittera tout pour suivre
la volonté du bon Maître qui l'enverra loin de sa
patrie, au-delà les mers, évangéliser un autre
pays de prédilection, et porter sur ses ritages,
avec la parole toute vibrante de l'évangile et le
sang de la croix tout chaud encore du sacrifice,
une révélation spéciale, une forme angélique de
vie chrétienne, la virginité consacrée au service
de la sainte humanité. Ce qui fait qu'en lisant
l'évangile, en suivant Jésus dans ses. courses
apostoliques, en le voyant avec les infirmités de
notre nature, manger, se reposer, dormir, se vêtir,
recueillir des aumônes pour l'entretien de sa petite
communauté de disciples et pour le soulagement
des pauvres, car avant de le proclamer, il vou-
lait goûter la joie de donner plus grande que celle
de recevoir (^, nous voyons sans cesse Marthe à
(1) Math. XIX. 27.
(2) AcU XX. 35 .
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SA VK, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 517
côté de Jésus et tout occupée de la vie du Maître :
nous la devinons dans chacune des scènes évan-
géliques et nous la bénissons des soins qu'elle
prend de notre cher et béni Sauveur. Nous Tavons
déjà vue et considérée dans le groupe des saintes
femmes, les dirigeant et les inspirant pour les
iravaux qu'elles-exécutent et pour les soins qu'el-
les prennent de la communauté chrétienne.
Marthe, ce nous semble gouvernait les saintes fem-
mes, lorsque Marie, la mère de Jésus n'était pas
là ; et l'on sait qu'elle restait souvent dans sa
maison de Capharnaîim pour attendre son flls au
retour de ses courses apostoliques. Marthe exer-
çait cette fonction d'autorité, cette science de gou-
vernement pour lesquelles elle était née. Jésus
l'avait choisie, Jésus l'avait préparée par des
grâces de choix ; Jésus l'avait attachée à sa per-
sonne sacrée, par des dons, des attraits et des
aptitudes auxquels Marthe a pieusement corres-
pondu.
C'est donc vous, mon Sauveur, qui l'avez choi-
sie, vous qui l'avez appelée, vous qui l'avez appli-
quée à cet admirable ministère. Vous l'avez choi-
sie dès le premier instant de votre vie d'Homme-
Dieu. Parmi tous les choix que vous avez faits
à l'occasion de votre naissance et de votre habi-
tation parmi les hommes, à l'occasion de vos dis-
ciples, de vos apôtres et de vos amis, vous avez
choisi Marthe pour vous recevoir, pour vous ser-
vir, pour suppléer votre divine mère, de ses
mains virginales. Vous l'avez choisie pour être
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518 SAINTE MARTHE
un modèle admirable à tous ceux qui vous
devront recevoir et servir dans la personne de vos
pauvres. Vous Tavez choisie, vous l'avez appelée
par des relations de famille et d'amitié, comme
par des pentes et des attraits, des sollicitations
intérieures ; vous Tavez appelée vous même : et
Taction de votre grâce opérant dans cette âme
virginale, si naturellement vertueuse et dévouée,
était servie par tous ces liens mystérieux dont
vous enchaînez vos élus; In funicuUs etdum
traham eos , in vinculis ckaritatis (1) C'était
l'effet puissant de votre regard qui se reposait
sur elle, de votre voix qui prenait un accent
particulier pour lui parler, de vos lèvres qui
aimaient à prononcer son nom, de vos gestes,
de votre attitude, de toute votre personne que vous
mettiez à sa disposition avec une adorable con-
descendance, pour qu'elle pût s'enricher de mé-
rites et de vertus en vous prodiguant ses biens et
ses soins. C'est donc par une grâce de choix, par
une vocation pleine de distinction et de préfé-
rence, que vous avez attaché Marthe à votre per-
sonne, et que vous l'avez aimée, non comme une
humble et fidèle servante, mais comme une sœur
tendre et dévouée. Marthe, cette magnifique sainte,
ce beau modèle, cet admirable exemplaire et
comme cette reine de nos sœurs, de nos filles de
charité, la voulant faire le type accompli et comme
la vierge mère de ces innombrables générations
(1) Osec. X 14.
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 519
de femmes qui devaient exercer dans l'église le
^ministère, des œuvres de miséricorde, vous la
deviez aimer d'une dilection particulière, vous la
deviez honorer d'une familiarité tout affectueuse :,
vous la deviez combler de tous les dons^ de toutes
les grâces, de toutes les vertus du dévouement et
de la charité.
Nous pouvons bien dire, mon béni Sauveur,
que dans la personne de Marthe, vous avez choisi,
vous avez prédestiné, vous avez enrichi de* vos
dons excellentSjtoutes celles qui ont suivi sa voie,
porté son nom, opéré ses œuvres, imité son dé-
vouement. Nous pouvons croire que vous avez
considéré, aimé, béni dans Taimable personne
de votre hôtesse et de votre amie, toutes celles
qui vous devaient recevoir, qui vous devaient
servir dans le monde et dans la vie religieuse,
dans la famille et dans le cloître : en sorte que
nous admirons en cette grande sainte, nos sœurs,
nos filles, nos mères, toutes ces âmes tendres et
fortes, qui pour votre amour nous aiment, nous
servent, et, parleurs soins pieux et délicats, nous
rappellent à vous, en exerçant cette divine puis-
sance du dévouement qu'elles tiennent de vous
par votre sainte Marthe. Dès lors nous compre-
nons les préférences de votre cœur et les riches-
ses incomparables de votre grâce envers cette
noble fille. C'est pour nous que vous l'avez choisie,
préférée, appelée, attachée à votre personne, com-
blée de tant de grâces ; c'est pour nous que vous
avez fait sa vocation si admirable : elle devait
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520 SAINTE MARTHE
nous la consacrer. C'est pour nous que vous avez
fait sa main si active et si douce : elle devait tou-
cher pour les soulager et les guérir à toutes nos
infirmités. C'est pour nous que vous avez fait son
visage si beau, son regard si lumineux: son visage
et son regard devaient s'attendrir et se pencher
sur toutes nos misères. C'est pour nous enfin que
vous avez fait son cœur royal, si vaillant et si
doux, si tendre et si fort : elle devait nous aimer
en vous, elle devait se dévouer à nous, pour vous.
Soyez béni, mon Sauveur, de l'avoir choisie dans
une famille d'amis, de l'avoir appelée pendant
votre vie mortelle, de l'avoir envoyée dans notre
France : soyez béni de l'avoir faite si noble et si
pure, si belle et si bonne, puisque vous deviez
nous la donner.
Ne nous étonnons pas maintenant des multi-
tudes d'âmes qui se sont levées dans l'Eglise
pour aider Marthe dans son 'ministère. Ne nous
étonnons pas des innombrables légions de vier-
ges, de veuves, de femmes qui se sont succédé et
se succéderont pour remplir l'office de Marthe,
auprès des membres indigents de Jésus.La postérité
virginale de notre sainte devait être d'autant plus
nombreuse que leur mère a reçu de Jésus une
plus grande énergie de dévouement et de cha-
rité. Qui dira jamais tous les ordres^ toutes lès
congrégations, toutes les familles de religieuses
qui tiennent de Marthe leur vocation, qui sont
venues, qui viennent après elle pour exercer les
innombrables ministères de la charité? C'est elle,
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 521
c^€St notre sainte, qui a donné des mères aux
orphelins, des sœurs aux malades, des filles aux
vieillards abandonnés. C'est elle qui a peuplé les
écoles et les ouvroirs, les refuges et les dépôts,
les hôpitaux et les hospices, les champs de ba-
taille et les ambulances, de ces anges qui descen-
dent d'en haut et passent par le cœur de Jésus,
pour servir, pour se dévouer, pour consoler,
pour aimer. C'est elle qui a multiplié, qui multi-
plie tous les jours les vocations et les dévoue-
ments, à mesure que le mal et la peine, que le
vice et la misère, que le luxe et la volupté mul-
tiplient leurs victimes, leurs formes hideuses de
maladies et d'infirmités, leurs repoussantes géné-
rations, de dégradés, de rejetés, d'abandonnés.
C'est elle qui fait surgir auprès de chaque lit de
soufifrance, auprès de chaque berceau délaissé,
pour recueillir et sanctifier chaque moisson de
larmes, de désespoir et d'abrutissement, comme
les civilisations avancées les laissent derrière
elles, des vierges, des femmes, des saintes au
cœur intrépide et dévoué. C'est la gloire de notre
sainte d'avoir été la première servante de Jésus
et d'avoir servi de type, de servir de patronne et
de mère à toutes les servantes des pauvres, h
toutes les dévouées de la misère, de la faiblesse
et du malheur.
Arrêtons-nous maintenant d'une manière plus
spéciale, à ces vierges du foyer, que le monde
ignore ou méprise, mais que l'exemple, la grâce
et la protection de la vierge de Bétbanie retien-
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522 SAINTE MARTHE
nent près de tant, de foyers, sans elles si froids et
si désolés, attachent à tant de familles par elles
consolées et sanctifiées. Le célibat domestique a
précédé le célbat religieux : la sainte et noble
virginité dont Marthe fut la plus insigne ser-
vante après la Reine des vierges, a visité, habité,
gardé le foyer chrétien, avant de grouper des
âmes choisies en familles, en sociétés, en reli-
gions, pour Tangélique office de la contemplation
ou pour les œuvres divines de la miséricorde.
L'Eglse a béni cette forme de la perfection chré-
tienne et réglé cette exploitation du vaste champ
de la misère publique qui réunit les élues du
dévouement dans une maison et sous une règle
commune. Si elle ne consacre plus aussi solen-
nellement qu'autrefois celles qui restent au foyer
et dans leur famille, elle ne les regarde pas
moins comme les auxiliaires de son apostolat et
les anges gardiens du foyer domestique. Ces
humbles dévouées imitent Marthe dans la pre-
mière période de sa vie. La sœur de Lazare et de
Madeleine fut prévenue d'une telle abondance de
grâces, elle pratiqua le dévouement sous tant et
de si belles formes, qu'elle peut servir de modèle
pour un grand nombre de vocations. La vierge
de Béthanie enseigne les devoirs de famille,
comme à Tarascon elle forme les femmes consa-
crées à la vie commune et au service des frères
du dehors.
Le monde^ cet adversaire obstiné de l'Evangile,
le monde ne comprend pas le dévouement parce
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SA VIE, SON HISTOIRE ET SON CULTE. 523
qu'il ne connaît que Tégoïsme. Il appelle donc,
croyant les flétrir, du nom décrié de vieilles filles
ces humbles et pures servantes du dévouement.
Le monde les croit victimes et délaissées : il les
raille et les considère comme inutiles ; mais en
réalité le cœur et le regard de Jésus sont sur
elles. Qui nous dira les mille formes variées de
leur vocation, de leur emploi, de leur dévoue-
ment ? C'est une sœur aînée qui a pris la place
de la mère infirme ou malade, impuissante ou
surchargée ; le miséricordieux Sauveur la subs-
titue pour gouverner la famille et veiller aux
soins domestiques. D'autres fois, à la place de
leur mère, que la mort leur a prise, elle a recueilli
les orphelins pour les élever, et Jésus a facile-
ment transformé un cœur de vierge en cœur de
mère, pour réchauffer, aimer et nourrir la couvée
abandonnée ; tandis qu'avec un empressement
plein de charmes, elle entretient au foyer la
flamme, la chaleur et la vie pour le père fatigué
de travail, accablé de soucis. C'est une fille qui
se consacre au père, à la mère infirmes, aux
grands parents cassés de vieillesse, rebutés quel-
quefois et chassés de leur vieux foyer ; elle les
sert, elle les réchauffe, elle les caresse même avec
des tendresses comme maternelles. S'il est dans
la famille quelque infortune, quelque délaisse-
ment, quelque indigence de vieillard ou d'enfant,
quelque misère secrète et qu'on veut cacher, quel-
que honte qui veut se dissimuler, c'est elle, c'est la
sœur de Marthe, c'est la vieille fille qui se dévoue
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524 SAINTE MARTHE
pour ce ministère, sans ostentation et presque
sans effort. Elle reçoit, on lui donne cet emploi
de charité domestique, naturellement, par une
disposition providentielle de cette vocatiouque
Jésus lui révélait un jour au pied du tabernacle
et qu'elle a suivie docilement. Quelquefois, pour
les amener là, pour leur confier ce discret et tou-
chant ministère de charité domestique, peut-être
Jésus a-t-il contrarié leurs premiers goûts, trompé
leurs premiers rêves, et sévèrement sevré leur
cœur d'affections trop humaines. Jésus Fa per-
mis, Jésus Ta voulu* parce que les cœurs froissés
et déchirés sont plus tendres pour les douleurs
des autres ; les cœurs comprimés et broyés
répandent plus abondante et plus pénétrante
Fonction de leur parfum. Et d'ordinaire un voile
de deuil, un nuage de tristesse quijecouvrent ces
fronts penchés et ces regards attendris, disposent
plus facilement les âmes à s'ouvrir vers elles :
on sent qu'elles ont souffert, qu'elles ont pleuré,
qu'elles savent aimer. Ces épreuves que le monde
est incapable d'apprécier, ce sont des grâces aus-
tères qui doivent retirer ces âmes, les donner
tout entières au souverain amour ; et fortifier ces
cœurs, les tremper dans les larmes et dans le
précieux sang, pour qu'ils puissent mieux se don-
ner et se donner tout entiers. Gomme elles béni-
ront Jésus, ces humbles Marthe, ces tendres
sœurs de Lazare^ toutes dévouées à leur frère
bien-aimé, ces charitables sœurs de Madeleine,
infatigables a poursuivre de prières et de larmes
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«A VIE, SON mSTOiRÊ Eï SON CtJLÎB. 525
leur sœur égarée ; comme elles béniront Jésus
d'avoir retenu leur cœur et fixé leur vocation dans
le cloître de la famille ; comme elles béniront
leur divin ami d'avoir un peu froissé leur cœur
pour le retenir, pour le sanctiier par la vertu,
pour le posséder par la virginité, pour le pousser
doucement et si tendrement le consacrer aux
œuvres, aux joies intimes, aux conquêtes pacifi-
ques de la charité 1
Telles sont les servantes, les amies, les sœurs de
Jésus qui lui rappellent les soins aimables et
l'accueil empressé de Marthe dans la maison de
Béthanie. C'est par elles, et souvent par elles
seules, que Jésus garde une entrée dans la
famille, qu'il s'y glisse souvent et qu'il finit par
y séjourner pour y répandre sa paix et sa lumière,
sa résignation et son amour. Mais l'action de
ces humbles et douces filles, sœurs de la vierge
Marthe, ne se borne pas à la famille et ne se con-
centre pas au foyer. Nous parlons des vraies
sœurs de Marthe, qui comprennent leur vocation,
dont l'esprit est ouvert et le cœur élargi, qui ne
se cantonnent pas dans un petit monde de prati-
ques pieuses, pour de là foudroyer le grand
monde qui les dédaigne et critiquer le prochain
qui passe à leur portée ; nous parlons de celles,
plus nombreuses que le monde croit, qui savent
s'oublier, se dévouer et servir à la lumière et
dans la charité de Jésus. Il arrive souvent que
leur action rayonne au dehors, comme le reflet
de leur auréole et le parfum de leur vertu. Elles
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526 SAINTE MARTflU
exercent modestement et souvent avec une irré-
sistible efficacité, leur apostolat près des indiffé-
rents, des incroyants ou des abusés. Elles sa-
vent répondre sur les choses de la foi ; elles osent
contredire les eni^urs et repousser les blasphè-
mes ; elles osent, elles savent surtout imposer le
respect et la déférence, par la douce chaleur de
leurzèle, et rintelligente sincérité de leur dévo-
tion. Enfin, elles forment pour les œuvres du
dehors, le tiers-ordre domestique de la charité :
ce sont les auxiliaires du prêtre dan& le zèle des
âmes et dans le goût pour la beauté de la mai-
son du Seigneur : ce sont les intermédiaires de
la sœur de éharité pour le soutien des œuvres et
la communication des aumônes. Ces âmes qui
semblent tristement solitaires, esseulées, sont
plus libres pour courir, voler et se dévouer aux
œuvres compromises, aux infortunes soudaines,
aux catastrophes imprévues ; ce sont les réserves
de la miséricorde et de la charité. Qui nous dira
toutes les infortunes secourues, toutes les igno-
rances éclairées, toutes les misères allégées,
toutes les larmes essuyées, toutes les âmes con-
solées, relevées et sauvées par ce tiers-ordre des
familles chrétiennes ? Le monde qui les mécon-
naît et les raille est bien ingrat pour ces dévoue-
ments d'autant plus efficaces qu'ils sont plus
modestes,d'autant plus méritoires qu'ils sontplus
méconnus. C'est par leur ministère que Jésus, le
Dieu des pauvres et des petits, diminue la somme
des maux, des haines, des divisions dans la
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SA VIE, SON Histoire eT son culte. 527
société, pour augmenter les biens de la foi, de la
paix et de la sécurité. Mais du moins, et leur
cœur n'a pas d'autre désir, le bon Maître qui
voit dans le secret du foyer comme il voit dans
le secret du cœur et le mystê]^^ de Tâme, le bon
Maître les reconnaît et les bénit, le bon Maître
leur rend au centuple, en amour divin, ce qu'elles
ont quitté pour lui et leur réserve la vie éter-
*nelle, auprès de Marthe leur sœur aînée et sa
généreuse hôtesse. C'est pourquoi de tous les
points de l'horizon et de tous les siècles de
l'Eglise, de tous les sanctuaires de la famille
chrétienne, de toutes les solitudes du cloître et
de toutes les maisons de charité, les sœurs, les
filles de Marthe la glorifient et l'invoquent en
disant : Donnez-nous, Marthe, donnez à vos fidè-
les de nourrir les membres du Christ, de telle
sorte qu'elles remplissent leur cœur de Dieu et
ne sentent plus l'amour du monde. Faites, ô
Jésus, doux hôte des âmes, par les sufirages de
votre hôtesse, que nous puissions dans le repos
du ciel, jouir de la société des saints (1).
(1) Da Martha — Da fidclibus— Sic mcmbra Christi pascere
— Ut pectusimpleant Deo — Mundi nec aesliis sentiant — Fac
dulcis hospis mentium — Nom hospitse suffragio — Cœli quiète
clvium — Gaudere contubernio — Hym. Vesp. off. sanctae
Marlh. Aven.
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528 SAINTE HAATâE
III
Le royaume des deux est semblable à dix vier-
ges qui prirent leurs lampes pour aller au devant
de répoux et de Tépouse. Or, les vierges sages
prirent de Thuile dans leurs vases avec leurb
lampes (i). — Le royaume des deux, c'est l'église,
qui fait descendre des deux la paix et l'espérance
avec le divin époux : c'est le royaume des âmes
qui commence ici- bas dans l'attente et la prépa-
ration, dans l'action et la souffrance, le règne de
Dieu. Dans ce vaste